| leckan #2 + last christmas |
| | (#)Jeu 9 Déc 2021 - 16:25 | |
| - Spoiler:
| ► last christmas
Now I know what a fool I've been But if you kissed me now, I know you'd fool me again
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“Désolé pour le retard.” Encore, toujours. Cela ne servait à rien de lui en vouloir depuis bien longtemps ; cette mauvaise habitude avait la vie trop dure. Et Marcus avait tout essayé -ou presque- pour découvrir les joies de la ponctualité ; noter ses rendez-vous trente minutes plus tôt, démultiplier les alarmes, préparer absolument toutes ses affaires à l’avance afin de ne plus avoir qu’à sauter dedans. Le temps était contre lui, toutes les montres, les horloges et les cadrans digitaux. Il était un homme en retard, et à quarante ans passés, cela était désormais une partie intégrante de son caractère bien plus qu’une vilaine manie. Au moins s’en excusait-il systématiquement -la sincérité, en revanche, n’était pas toujours de la partie. Comme toujours, les saluts vis-à-vis de Jake étaient maladroits ; entre une bise, une étreinte, une poignée de main ou rien du tout, le Leckie savait rarement comment s’y prendre. Parce qu’il ne savait pas se passer de saluts tactiles alors ne rien faire était hors de question, mais la poignée de main était trop formelle, l’enlacement avait un ratio d’affection difficile à jauger, et la bise ne faisait que lui susciter des palpitations lors du passage d’une joue à l’autre où il réalisait à quel point il était simple et tentant de s’interrompre en cours de route pour être embrassé -ou pire, pour être celui qui embrassait. Le dilemme fut tranché à sa place par la même raison ayant causé son retard ; entre les bras de Marcus se trouvait un grand sac rempli de jouets qu’il était allé récupérer chez sa sœur pour la collecte. Les mains prises, la bise s’imposa ainsi que le tempo allegro de son rythme cardiaque. Le brun se racla la gorge avec un sourire nerveux et reporta immédiatement l’attention sur son encombrement ; “Je t’ai pas dit ? Je prends la relève du Père Noël cette année. Je me donne beaucoup de mal côté barbe depuis des mois pour assurer le rôle comme il se doit.” Il osa lâcher le sac d’une main afin de passer ses doigts dans son pelage facial toujours aussi précisément taillé que d’habitude et rarement un centimètre plus long ; les jouets manquèrent de se casser la figure et cela lui prit toute une acrobatie pour empêcher la catastrophe. Mais au nom de l’humour, cela valait toujours le coup. “En fait, Norah m’a demandé de déposer quelques vieux jouets d’Aidan et Julie, au passage.” Il n’avait pas dit non, parce que c’était Norah et qu’il avait cessé de lutter contre sa petite sœur depuis longtemps. Elle demandait, il accourait, c’était la vie qu’il avait décidé de mener. De plus, Marcus était bien heureux de participer à l’exemple donné aux deux enfants à propos de cette notion de générosité, pourquoi il était important de penser à son prochain, de partager et de se défaire de l’automatisme de jeter, même si la partie la moins amusante de la mission lui revenait. “Et je pense que je vais avoir besoin d’un soutien émotionnel pour cette étape parce que je ne suis absolument pas prêt à admettre qu’ils ont autant grandi.” il admit avec juste assez d’autodérision pour que cette pointe de rigolade compense la véritable émotion qu’il ressentait. Le temps passait à toute vitesse. Aidan n’était qu’un bambin lorsque son père décéda. Aujourd’hui, il était trop âgé pour certaines peluches et certains jouets auxquels leur oncle assimilait tant de souvenirs. Les chances que l’australien verse sa petite larme n’étaient pas nulles. “Ta mission sera de m’empêcher d’aller en repêcher dans le tas une fois que ça sera fait, ok ?” confia-t-il à Jake. Parce que s’il croisait les yeux vitreux de Monsieur Popotame, une peluche en forme de pachyderme violet qui avait originellement pour vocation d’être “le meilleur ami pour toujours” de Julie, là, au milieu de la pile, il ne pourrait pas promettre qu’il plongerait tête la première pour le sauver -au moins pour cette année.
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| | | | (#)Lun 13 Déc 2021 - 21:52 | |
| « Désolé pour le retard. » Depuis le temps que les deux hommes se côtoient, Jake a compris que Marcus est l’une de ces personnes à qui il faut donner une fausse heure de rendez-vous – un peu plus tôt – pour espérer ne pas faire face à un trop grand retard. Un jour, il arrivera à l’heure – et donc en avance – et ce jour-là, les poules auront des dents, les cochons auront des ailes et il neigera en plein été. Pour cette fois-ci, l’infirmier se rend bien compte que le Leckie avait toutes les raisons du monde d’être retardé : le sac presque plus grand que lui qu’il a dans ses mains en dit long sur le trajet qu’il vient de faire. « J’ai à peine attendu. » Il admet, en s’approchant pour lui faire une bise rapide ; ce que Marcus a entre les bras l’empêche de trop s’approcher, l’oblige à garder ses distances. Ce n’est que mieux, pour l’instant, ça évite le doute dans lequel il se plonge en permanence quand il s’agit de le saluer. Le jour viendra où il n’hésitera pas et pourra l’étreindre à sa guise, il commence à y croire – ou alors, l’espoir s’est transformé de lui-même en croyance, depuis le temps. « Je t’ai pas dit ? Je prends la relève du Père Noël cette année. Je me donne beaucoup de mal côté barbe depuis des mois pour assurer le rôle comme il se doit. » Il joint les gestes à la parole en désignant sa barbe et manque de lâcher ce qui représente donc sa hotte, sous le regard amusé de Jake. « Je vois. Tu pourras aussi postuler pour le rôle du clown quand viendra la saison des carnavals, je pense. » Avec les quelques acrobaties qu’il vient de lui montrer, l’infirmier n’en doute pas une seule seconde. « En fait, Norah m’a demandé de déposer quelques vieux jouets d’Aidan et Julie, au passage. » Vaughan ne peut qu’aimer l’idée et le soutenir dans la démarche. Lui-même, à travers le service de pédiatrie, a participé à la collecte de jouets un peu plus tôt dans la semaine. Il vient aujourd’hui en tant que visiteur et accompagnateur, prêt à observer les enfants se séparer de jouets qui les ont fait vibrer et à imaginer le visage de ceux qui les recevront, plus tard. Dans ces moments-là, il ne peut pas s’empêcher de ressortir son âme d’enfant et de penser à toy story. Dans ses pensées, il invente toute une histoire à ces jouets abandonnés et récupérés, en se disant qu’ils seront mieux là où ils sont utilisés plutôt qu’à attendre indéfiniment dans un coffre. « Et je pense que je vais avoir besoin d’un soutien émotionnel pour cette étape parce que je ne suis absolument pas prêt à admettre qu’ils ont autant grandi. » Lui aussi, il aimerait bien pouvoir regarder les vieux jouets de Melchior avec mélancolie en se disant que le temps passe extrêmement vite. Il n’a jamais connu sa peluche favorite et son doudou sans lequel il ne peut pas dormir. D’une part, ça le rend triste. D’autre part, il se dit que ça viendra un jour, peut-être, avec un autre enfant. « J’imagine que ce doit être compliqué. » Lui, il n’a pas vraiment de famille. En dehors des enfants de ses amis et de ceux rencontrés aux urgences, il n’a pas l’habitude d’en côtoyer et donc ne suit que très rarement l’évolution de bambin, à enfant, à adolescent. « Ils ont quel âge exactement ? Quand ils seront encore un peu plus grands, tu pourras transformer ça en défi contre eux. Le premier qui te dépassera t’aura battu. » Mais ce n’est peut-être pas la chose à dire à un homme qui ne veut pas voir le temps passer : ce doit être dur de se projeter et d’imaginer un bébé grandir et dépasser un homme de plus d’un mètre soixante-quinze. « Ta mission sera de m’empêcher d’aller en repêcher dans le tas une fois que ce sera fait, ok ? » Jake le regarde une seconde avant de faire un salut militaire, la tranche de la main à moitié posée sur la tempe. « Oui, chef. » Avant de se reprendre et de se relâcher, pour parler plus sérieusement. « Ils ont bien fait les choses, tu auras une crêpe pour te changer les idées quand tu auras déposé les cadeaux. » Les yeux toujours sur le paquet qu’il a entre les bras, la curiosité finit enfin par l’emporter. « Avant de tout leur donner, tu me montres un peu ce qu’il y a ? » S’il y a une histoire derrière certains jouets, Jake est curieux de les entendre. Ils sont venus ici pour ça, même si le reste des activités proposées par la ville fait bien envie au Vaughan. Il aime énormément l’idée de passer un moment avec l’homme qu’il préfère pour célébrer sa fête préférée.
@Marcus Leckie |
| | | | (#)Jeu 16 Déc 2021 - 15:34 | |
| | ► last christmas
Now I know what a fool I've been But if you kissed me now, I know you'd fool me again
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Les neveu et nièce de Marcus étaient la prunelle de ses yeux, plus encore que le reste de la famille puisqu’ils étaient des enfants et l’aîné de la fratrie avait toujours eu des facilités avec les petits humains. Il aimait les faire rire, se tourner en ridicule, développer leur imagination et les accompagner lors de chaque étape, parfois difficile, de l’aventure de la vie. On lui avait déjà dit qu’il ferait un bon père, et il rétorquait à chaque fois qu’il en avait l’air uniquement parce qu’il s’agissait des enfants des autres. Il n’aurait peut-être pas eu le même émerveillement et la patience nécessaire pour accueillir des tornades pareilles dans son espace vital chaque heure de chaque jour de sa vie jusqu’à ce qu’ils se décident à quitter le nid. Ce n’était pas un égoïste invétéré, Mac, mais il aimait vivre pour lui-même. Aujourd’hui, la question ne se posait plus. Trop âgé, trop seul, l’hypothèse se balayait d’elle-même. Et il n’en était pas triste ; il avait Aidan et Julie. « Ils ont quel âge exactement ? Quand ils seront encore un peu plus grands, tu pourras transformer ça en défi contre eux. Le premier qui te dépassera t’aura battu. - Aidan a six ans et Julie douze. Vu la taille du reste des membres de la famille, comparé à moi, je donne pas cher de la durée du défi. » La seule personne qui ne dépassait pas Marcus était Norah. Caelan était perché si haut qu’il pouvait annoncer la pluie avant qu’elle n’arrive depuis l’horizon, quant à Percy il tournait autour du mètre quatre-vingt, de même que feu Frank. C’était une chose que tous se faisaient un malin plaisir à lui rappeler ; l’aîné était celui qu’ils pouvaient tous regarder de haut, littéralement.
Mission du jour : déposer les vieux jouets sans se laisser envahir par l’émotion. Un pari risqué que Marcus n’était pas certain de tenir ; il n’y avait que son abhorration du sentimentalisme en public qui avait le potentiel de retenir la larme qu’il aurait normalement versée par nostalgie. « Ils ont bien fait les choses, tu auras une crêpe pour te changer les idées quand tu auras déposé les cadeaux. » Son regard trouva le stand non loin d’eux, sans doute pensé spécialement pour les personnes dans son cas. Une odeur délicieuse s’en échappait tandis que la file d’attente ne faisait que s’allonger ; raison de plus pour s’y mettre rapidement. “Tu sais comment me parler.” Café, alcool et nourriture était la sainte trinité des meilleurs moyens de capter la pleine attention du brun. « Avant de tout leur donner, tu me montres un peu ce qu’il y a ? - Je m’en sais rien moi-même à vrai dire, Norah ne m’a rien dit. » Probablement pour éviter que son frère ne se lance dans des négociations à base de chantage émotionnel basé sur tous les souvenirs qu’ils avaient avec ces jouets. Pire encore s’il relevait dans le lot certains des cadeaux qu’il avait lui-même achetés pour les enfants.
Marcus déposa le sac par terre et commença à fouiller dedans. “Voyons ça…” Quelques jouets de bébés, les moins mâchouillés par les gencives déterminées des bébés ; des éléments d’apprentissage des formes, des couleurs, de la coordination qui pourraient être tout à fait utiles à d'autres bambins. “Mon dieu je ne me souvenais pas qu’ils avaient autant de peluches.” Un ours, un poussin, une pieuvre, un tigre, un pikachu, un poney rose et le fameux Monsieur Popotame. “Non, celui-là je le garde, je sais qu’elle va le regretter.” Et la mission était déjà un échec. Néanmoins, Mac était certain que cette peluche était de celles que Julie, un jour, se mordrait les doigts de ne pas avoir pu l’offrir à ses propres enfants. Un megazord, des Lego, et deux épées plus tard, l’australien tomba sur une baguette magique en parfait état. “QUOI ? Non !” Un si petit bout de plastique, une si grande indignation. “On a joué pendant des heures avec Julie avec ce truc !” C’était ce qui lui remontait le moral le plus efficacement, jusqu’à il y a quelques années. L’adolescente devait estimer avoir trop grandi pour jouer à la magie. “Quand Norah a déménagé après le décès de Frank, je suis allé les aider à faire les cartons. Julie devait avoir sept ans. Elle secouait sa baguette au milieu de sa chambre et je mettais les objets dans les boîtes en faisant comme s’ils flottaient dans l’air.” C’était ce qui avait calmé l’angoisse de la fillette et séché ses larmes de crocodile à l’idée de quitter son chez elle. Il la lui avait offert en revenant d’une fashion week à Londres. “J’arrive pas à croire qu’elle veuille s’en séparer.”
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| | | | (#)Dim 2 Jan 2022 - 16:27 | |
| Un des regrets de Jake est de n’avoir aucune famille. Il a toujours été plus ou moins heureux de ne pas avoir de frère ou de sœur en voyant comment son père le traitait lui en grandissant. Mais en vieillissant, il a ressenti un manque à chaque période de fêtes. Noël, le nouvel an, son anniversaire : il n’avait personne pour célébrer avec lui, du moins, personne qui ne partageait son sang. En voyant comment Marcus aime sa nièce et son neveu, il se dit qu’il aurait aimé connaître cet amour-là. Il espère qu’un jour il pourra connaître la joie des petits enfants. Mais celle-ci, il ne l’aura jamais. Et jamais, c’est quelque chose de bien trop définitif pour plaire à l’infirmier. Il aurait pu, par alliance, mais il est encore très loin d’une bague et d’un joli mariage. A l’heure actuelle, il est coincé dans la phase où il ne sait pas dire ce qu’il ressent et le montre que très maladroitement. « Aidan a six ans et Julie douze. Vu la taille du reste des membres de la famille, comparé à moi, je donne pas cher de la durée du défi. » C’est vrai que Marcus n’est pas l’homme le plus grand qu’a rencontré Jake. En le regardant ainsi, il a l’impression qu’ils font la même taille. La vérité est que Vaughan le dépasse de deux centimètres. Rien d’incroyable, mais c’est vrai qu’il est rare que l’infirmier soit le plus grand, entre lui et quelqu’un d’autre. « Il faudra leur appuyer sur la tête. Peut-être que ça marche. Je me souviens que ma mère me le faisait en rigolant pour me dire de ne plus trop grandir… Elle a réussi son coup, je pense. » Il dit ça en se désignant lui-même d’une main, pour montrer que oui, il n’a pas tant grandi que ça après son décès. Un mètre soixante-dix-huit, ce n’est pas énorme pour un homme.
Pour distraire les plus émotifs – comme Marcus – il y a le stand de crêpes, que Jake a remarqué dès son arrivée. En même temps, il est déjà venu ici pour participer à la récolte avec l’hôpital. Il a pu en goûter une et, clairement, il a bien envie d’en reprendre une avec le Leckie. « Tu sais comment me parler. » Il faut lui parler de la même manière, à Jake, alors oui, il le comprend. Il lui demande ce que contient ce sac, quand même, pour savoir quels sont les cadeaux qui vont connaître une seconde vie. « Je n’en sais rien moi-même à vrai dire, Norah ne m’a rien dit. » C’est donc la grande découverte pour les deux hommes. Marcus dépose le sac et l’ouvre pour regarder ce qu’il y a à l’intérieur, sous le regard intéressé de Jake. Il ne demande pas que pour donner bonne allure mais réellement parce qu’il se sent concerné. « Voyons ça… Mon dieu je ne me souvenais pas qu’ils avaient autant de peluches. » Il les sort les unes après les autres. « J’ai aussi eu une période peluches… quand j’avais la trentaine. J’aimais bien les pêcher aux foires, là. » Donner vingt pièces à une machine pour avoir une peluche qui en vaut quinze fois moins, c’était quelque chose qu’il appréciait fortement. « Non, celui-là je le garde, je sais qu’elle va regretter. » Jake le regarde un court instant avant de sourire, assez touché par comment Marcus agit face à ces simples peluches. « Je peux fermer les yeux et faire comme si je n’avais rien vu le temps que tu la caches quelque part, si tu veux. » Pour la sauver de ce don, pour qu’il puisse la garder et la rendre à sa nièce au moment adéquat. Il fouille encore et tombe sur une baguette de magicien. « QUOI ? Non ! On a joué pendant des heures avec Julie avec ce truc ! » Qui de Julie ou de Marcus a le plus aimé cet instant ? Selon Jake, c’est bel et bien l’adulte qu’il y a en face de lui et non la petite enfant qu’elle était à ce moment-là. « Quand Norah a déménagé après le décès de Frank, je suis allé les aider à faire les cartons. Julie devait avoir sept ans. Elle secouait sa baguette au milieu de sa chambre et je mettais les objets dans les boîtes en faisant comme s’ils flottaient en l’air. J’arrive pas à croire qu’elle veuille s’en séparer. » Il se pince les lèvres en observant la baguette. « C’est assez symbolique comme objet. Mais à sept ans, je pense pas que ce soit si marquant que ça. » Il comprend que ça le soit pour Marcus, qui a vécu le drame en étant bien plus âgé que la petite. « Et c’est pas le meilleur souvenir, dans tous les cas. Cacher sa peine en jouant, ça reste cacher sa peine. Un autre enfant en a peut-être la même nécessité. » Il s’approche pour prendre la baguette des mains du Leckie, en faisant mine de lui jeter un sort. « Accepter de donner les jouets tu devras ! » Il tente le coup, sans être très certain de ses pouvoirs de sorcier.
@Marcus Leckie |
| | | | (#)Ven 21 Jan 2022 - 23:40 | |
| | ► last christmas
Now I know what a fool I've been But if you kissed me now, I know you'd fool me again
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Découvrir et redécouvrir ces jouets, c’était déballer des années de vie, des souvenirs, les bons comme les mauvais. Marcus était matérialiste, c’était peu de le dire, et bien qu’il appréciait la valeur pécuniaire des choses, il plaçait surtout beaucoup d’affection dans les objets auxquels il avait tendance à s’attacher à outrance. Il suffisait de l’écouter parler de sa propre collection de chaussures pour le comprendre, mais cette fois, c’était les anecdotes à propos de son neveu et de sa nièce qu’il partageait avec Jake qui laissaient entrevoir la sensibilité du quarantenaire vis-à-vis d’objets et comment il transférait les émotions sur le matériel. On ne lui ferait pas dire que ce n’était que des jouets, que des peluches, des éléments voués à être temporaires dans la vie d’un enfant. C'étaient des Noëls, des anniversaires, des félicitations, des caprices au milieu de la galerie marchande, des souvenirs achetés à la volée à l’aéroport avant de sauter dans l’avion. « J’ai aussi eu une période peluches… quand j’avais la trentaine. J’aimais bien les pêcher aux foires, là. » Il était immédiatement évident que les peluches en question n’avaient pas la même valeur sentimentale que les jouets ici présents, cependant Marcus prenait cela comme un rappel de ne pas trop se laisser emporter, de ne pas en faire des tonnes. Se détacher de l’ancien était normal ; peut-être qu’un jour, Julie et Aidan eux aussi seraient pris d’une fièvre pour les lots de fêtes foraines et pour cela, il fallait faire de la place sur les étagères. “Tu sais de quoi ça a l’air un homme de plus de trente ans à la pêche aux canards entouré de gosses ?” Et une blague limite, une. Le Leckie poursuivit sa fouille dans le sac de jouets confié par Norah et tomba fatalement sur le fameux hippopotame dont il ne s’imaginait pas se défaire. Lui, oui, et non Julie qui avait visiblement pris cette décision qu’il contestait. Adulte, on savait que parfois, on repensait avec regret à des choses que l’on avait jetées trop rapidement, sans assez y réfléchir. Elle ne le savait pas encore, mais elle le remerciera un jour de ce sauvetage. « Je peux fermer les yeux et faire comme si je n’avais rien vu le temps que tu la caches quelque part, si tu veux. » Jake faisait un écart dans la mission qui lui était confiée, néanmoins il comprenait sûrement la démarche de Marcus. Peut-être avait-il regretté de s’être débarrassé de certaines de ses peluches de fête foraine après coup. Et s’il lui en restait encore aujourd’hui ? La pensée le fit grimacer. “On dira que je l’avais malheureusement oubliée dans le coffre de la voiture, elle a glissé, mince alors.” Il haussa les épaules, l’air innocent, et glissa l’hippo sous son bras. S’il avait droit à un unique joker, c’était celui-ci, et il ne regrettait pas l’utiliser ainsi.
Plus tard, ce fut la fameuse baguette de Harry Potter que Mac sortit du sac. Plus qu’une saga qu’il affectionnait au même titre que n’importe qui ayant un coeur et une âme, ce jouet représentait surtout une étape importante dans la vie de Julie. Un épisode qu’il n’aurait jamais songé qu’elle puisse mettre derrière elle. Elle n'oubliait pas le déménagement pour autant, ce qui l’avait motivé, son père, il le savait parfaitement. Mais, contrairement à son oncle, la fillette avait visiblement le courage de faire la paix avec tout ceci. Ou peut-être qu’à ses yeux, il ne s’agissait que d’une vieille baguette avec laquelle elle n’avait plus joué depuis des années. « C’est assez symbolique comme objet. Mais à sept ans, je pense pas que ce soit si marquant que ça. Et c’est pas le meilleur souvenir, dans tous les cas. Cacher sa peine en jouant, ça reste cacher sa peine. Un autre enfant en a peut-être la même nécessité. » Est-ce qu’on pouvait normaliser de jouer pour cacher sa peine chez les adultes aussi ? « Accepter de donner les jouets tu devras ! » récitait Jake comme un abracadabra, la baguette entre les doigts. “Mauvaise saga, Yoda.” se moqua Marcus en retour en récupérant l’objet dans un furtif jeu de mains. Il la remit dans le sac en lâchant un soupir résigné. “Mais tu as raison.” Bien sûr qu’il avait raison. Tout ce qui rappelait Frank et sa mort touchait encore bien trop le Leckie plus que de raison. Il avait mal pour sa soeur, le mari qu’elle perdait, le père qui ne verrait pas ses enfants grandir. Norah s’était trouvé un idéal et se l’était vu arraché. L’injustice le dépassait. Sauf qu’il n’était pas question de Frank, ni de lui. Finalement, Marcus déposa le sac dans le bac des dons. “Prenez tout, allez. Hors de ma vue.” Excepté Mr Popotame qui demeurait son otage jusqu’à un jour prochain. L’australien tourna les talons avant que la possibilité de changer d’avis ne le frôle ; il attrapa Jake par le bras et l’attira quelques pas plus loin. “Allons voir ce que valent ces crêpes.”
L’odeur avait le mérite d’être alléchante pour un stand sans prétention. Il fallait dire que la senteur de toute pâte en pleine cuisson était diablement efficace sur n’importe qui, comme un gâteau au four ou un pain tout juste cuit. Les possibilités de garniture n’étaient pas excessives et Marcus, pas bien difficile quand il s’agissait de son estomac, savait déjà qu’il se tournerait vers une généreuse couche de pâte à tartiner -et tant pis s’il en avait plein les dents. La file d’attente était courte, fort heureusement. “Comment s’était passée la collecte de l’autre jour ? Vous avez récupéré des jouets pour le service pédiatrie ?” il demanda à Jake en attendant leur tour afin de se changer les idées de ce sac de jouets. Ils feraient le bonheur d’autres enfants, c’était cela l’important.
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| | | | (#)Jeu 27 Jan 2022 - 21:42 | |
| « Tu sais de quoi ça a l’air un homme de plus de trente ans à la pêche aux canards entouré de gosses ? » Jake se pince les lèvres en imaginant la scène. « Je parlais des machines avec les pinces. Tu vois lesquelles ? » Il se défend comme il le peut. « Bon, j’ai déjà essayé la pêche aux canards mais c’est anormalement bas, ce jeu-là. » Et si ça l’est autant, pour Jake, c’est simplement parce que c’est mal foutu. Il refuse de croire que c’est parce qu’il n’y a que les enfants qui y participent, en temps normal. « Mais tu as raison, de loin, ça peut paraître suspect. » Il aurait pu y emmener son fils, si celui-ci ne le dépassait pas déjà en taille. Après toutes les peluches regardées et regrettées par Marcus, il finit par s’arrêter sur une qui semble réellement l’impacter. Jake n’essaie pas de comprendre toutes les émotions transmises à travers un simple jouet, lui qui n’est absolument pas matérialiste. Il préfère les souvenirs qui ne se voient pas, qui ne peuvent se raconter. Ni à travers d’un objet, ni à travers d’un lieu. Seulement dans les mémoires. C’est quelque chose de plus intime, d’après lui : une odeur, un goût, une sensation. Chacun voit le monde à sa façon et si c’est ainsi que Marcus le perçoit, l’infirmier n’y trouve rien à redire. Il ne le ferait pas à sa place, voilà tout. Il accepte donc de fermer les yeux sur celle-ci, comme si c’était vraiment lui qui avait les cartes en mains. « On dira que je l’avais malheureusement oubliée dans le coffre, elle a glissé, mince alors. » « Ce n’était pas sa destinée. » Elle se retrouvera dans les mains d’un autre enfant, un jour, peut-être. En attendant, si Marcus a besoin de la garder et pense que c’est nécessaire pour sa nièce et son neveu, Jake le respecte.
C’est ensuite au tour d’une baguette d’être sortie du sac. Là encore, il y a des souvenirs à raconter, toute une histoire derrière un simple jouet. Et si Jake arrive facilement à intégrer que c’est quelque chose d’intense – on parle tout de même d’un deuil – il essaie de faire comprendre à Marcus que la garder ne servirait à rien. S’il commence ainsi et qu’il cherche bien au fond de sa mémoire, il trouvera une histoire comme celle de la baguette et de la peluche pour tous les autres jouets contenus dans le sac. C’est pour ça que Jake prend son rôle à cœur et le rappelle à l’ordre, en lui disant qu’un autre enfant y trouvera son bonheur. Si c’est pour lancer des sorts à ses frères et sœurs ou cacher un grand malheur à son jeune âge, peu importe. Le jouet trouvera preneur et Marcus, lui, pourra passer à autre chose – comme l’ont fait son neveu et ses nièces en acceptant de donner tous ces vieux objets. « Mauvaise saga, Yoda. Mais tu as raison. » « Les sorts sonnent tellement mieux quand c’est à l’envers. Et puis, j’ai toujours aimé les crossovers. Pas toi ? » Yoda et Harry Potter dans la même pièce, ce serait quelque chose de fabuleux ou de totalement horrible, qui sait. Marcus se résout enfin à poser le sac dans le bac de don. La personne en face de lui ne peut s’empêcher de lui faire un grand sourire, que Jake lui rend pour qu’elle ne se sente pas biaisée dans cette histoire. Marcus, lui, est trop occupé à déjà regretter les jouets. « Prenez tous, allez. Hors de ma vue. » Marcus se dégage assez rapidement du stand pour pouvoir faire des pas de côté, s’en aller d’ici. Il embarque Jake avec lui qui se laisse volontiers traîner. « Allons voir ce que valent ces crêpes. » Jake hoche la tête et s’avance avec Marcus vers le fameux stand, tenu ici pour récompenser les personnes qui ont fait un don. Il y a d’autres âmes en peine avant eux, qui semblent attendre patiemment. La queue ne fait que de bouger depuis tout à l’heure, les employés doivent être suffisamment rapides pour que ça ne devienne pas dérangeant d’attendre. Jake se place légèrement sous le toit du stand, à côté de Marcus, et attend avec lui. « Comment s’était passée la collecte de l’autre jour ? Vous avez récupéré des jouets pour le service pédiatrie ? » Il est venu ici avec un interne pour assurer cette récolte, en effet. « Une moitié est partie avec les jouets donnés à la mairie, l’autre est rentré avec nous à l’hôpital. Les gens ont été extrêmement généreux. En décembre, quand l’hôpital est impliqué quelque part, tu peux être sûr que tout le monde est prêt à faire un pas en avant. » Ce n’est pas le cas le reste de l’année et c’est assez désolant, d’après Jake. Mais il ne peut que remercier ceux qui participent lorsque la magie de Noël les pousse à le faire, malgré tout. Mieux vaut ça que rien, il paraît. Jake observe le stand et sa décoration : des boules de Noël un peu partout au travers des garnitures, des guirlandes qui traversent le dessous des plaques de cuisson pour remonter jusqu’au toit. Et, accroché au niveau du toit, juste au-dessus de lui et de Marcus – évidemment – ce que l’on ne voit habituellement que dans les films : du gui. Jake lève les yeux là-haut, les redescend vers l’homme en face de lui. Il repense à Albane qui le pressait de l’inviter pour un rencard et qui lui disait qu’il était grand temps de faire le premier pas. Il revoit toutes les scènes de films où les héros s’embrassent sous le gui et se dit que c’est forcément le moment. S’il ne prend pas ça comme un signe, il ne prendra jamais rien et ils resteront à jamais bloqués dans cette situation. « On est bien placés, là, tu ne penses pas ? » Il lui fait un léger signe de tête vers la branche de gui au-dessus d’eux, en espérant qu’il comprenne où est-ce qu’il veut en venir. Il ne fait pas exactement le premier pas, il en fait un demi : tout en espérant que Marcus va, à son tour, parcourir la moitié du chemin – qu’ils soient enfin réunis, totalement sur la même longueur d’onde.
@Marcus Leckie |
| | | | (#)Lun 14 Mar 2022 - 12:45 | |
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Now I know what a fool I've been But if you kissed me now, I know you'd fool me again
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C’était fait, une bonne fois pour toutes, comme on arrachait un pansement, et Marcus songea que sa soeur sera sans doute fière qu’il n’ait secouru qu’une seule peluche -pour d’excellentes raisons, d’après lui. Elle lèverait les yeux au ciel, comme elle le faisait toujours, mais elle comprendrait. Les enfants dans le besoin pouvaient bien se passer d’un jouet, cela ne faisait pas la différence vis-à-vis du nombre d’autres donations qu’il avait cédées au stand. La collecte semblait rencontrer un franc succès à vrai dire et il revint en mémoire au brun que Jake y avait participé, côté bénévole, au nom de l’hôpital. « Une moitié est partie avec les jouets donnés à la mairie, l’autre est rentrée avec nous à l’hôpital. Les gens ont été extrêmement généreux. En décembre, quand l’hôpital est impliqué quelque part, tu peux être sûr que tout le monde est prêt à faire un pas en avant. » Voilà qui pouvait mettre un peu de baume au coeur de tous ceux qui n’avaient plus foi en la race humaine. “C’est bon de savoir que l’esprit de Noël n’est pas mort.” fit-il avec un sourire dans sa barbe. Chez lui, l’esprit de Noël était prépondérant. Son appartement était envahi de décorations, de guirlandes, et un immense sapin trônait au centre de son salon habituellement désencombré. Sa hauteur sous plafond lui permettait quelques folies qu’il ne se refusait jamais. Même son balcon scintillait toute la nuit et les plaintes des voisins ne sauraient le dissuader d’être visible à des kilomètres à la ronde. Son impressionnante collection de pulls plus ou moins hideux qu’il ne sortait que pour le mois de décembre tenait dans une valise qu’il dépoussiérait des fins fonds de son dressing pour l’occasion. S’il avait un animal de compagnie, il y avait fort à parier qu’il l’affublerait de petites mailles, d’oreilles l’elfe ou de bois de renne à gogo. Si Noël durait toute l’année, Marcus abandonnerait son travail chez Michael Hills pour proposer ses services à ce cher Saint Nicolas sans hésiter -et il serait tout aussi excellent dans le rôle. L’esprit de Noël, donc, était une chose. Le romantisme, en revanche, demeurait aux abonnés absents. En témoignait le regard incrédule que Mac lança à Jake lorsque celui-ci fit remarquer le gui au-dessus de leurs têtes. « On est bien placés, là, tu ne penses pas ? » Il observa le brun du coin de l’oeil, lisant si parfaitement l’expectative dans sa moue naïve, puis posa de nouveau son regard sur le bouquet. Il pourrait l’embrasser. En avait-il envie ? Probablement. Ici et maintenant ? Pourquoi pas. Allait-il le faire pour autant ? Aucune chance. Effectuant un nerveux mouvement de balancier sur ses deux pieds, le Leckie se pinça les lèvres, à l’opposé de l’attendu. “Tu crois qu’il va pleuvoir ?” fit-il finalement, fronçant même les sourcils pour la crédibilité, comme si cela était la seule explication à leur exceptionnel placement sous le toit du stand. Ca, et pas du tout l’opportunité de faire enfin un pas en avant.
Oh, diantre, voilà qu’arrivait leur tour et Marcus se sentit sauvé par le gong. Comme à son habitude, il commanda une crêpe enduite de Vegemite, l’un de ses nombreux péchés mignons. Il lui semblait qu’il n’y avait plus que les personnes de sa génération qui savaient encore apprécier cette spécialité australienne. Toutes les autres avaient été matrixées par les saveurs venues du reste du monde. Comme, par exemple, Jeff. “Je sais toujours pas comment tu peux manger cette horreur.” Jeff qui était derrière eux dans la file et qui avait étouffé son rire face à une énième tactique d’évitement d’engagement de la part de Marcus. Jeff qui s’y connaissait en la matière pour en avoir lui-même subies un bon nombre. Jeff qui était accompagné de son nouveau petit ami, quelqu’un de son jeune âge, après avoir abandonné l’idée de jouer les gold digger auprès de personnes plus âgées comme le Leckie. “C’est d’une fierté nationale dont tu parles, fais attention.” qu”il répondit en tenant son trésor à deux mains. Jeff se tourna vers Jake et le toisa de bas en haut une bonne demi-douzaine de fois en l’espace d’une seule seconde. Puis, il esquissa un sourire mutin. “Qui est cette personne bien agréable pour les yeux ?” A son tour, Marcus observa Jake rapidement, l’air de réaliser à cet instant seulement que, oui, il était en compagnie d’un véritable bonbon humain. Et c’était probablement parce qu’il ne pouvait s’imaginer ce qu’un bel homme comme lui pourrait bien trouver dans son petit mètre soixante-seize de bonhomie qu’il avait fini par exclure cette pensée de leur relation. “C’est Jake. C’est un bon ami.” Après ce sabotage dans les règles de l’art, c’était sans doute ce qu’il allait rester, yep. “On a passé du bon temps, Mac et moi, précisa Jeff puisque l’embarras asséchait la bouche du Leckie de tout mot et ne laissait sur son visage qu’un long sourire crispé. On devrait remettre ça, un de ces jours. - Je jetterai un oeil à mon planning et je te texte.” En Marcus, cela voulait dire “non”. “Content que tu ailles bien.” dit-il poliment alors que les civilités voulaient qu’ils retournent chacun à leur vie respective en ne se recontactant ô grand jamais. “Content que tu entretiennes ce sexy dad bod.” commenta Jeff avec un clin d’oeil qui lui donna envie d’être aspiré dans un trou dans le sol. Lorsque son ex tourna les talons, Marcus se jeta sur une bouchée de sa crêpe, prêt à dévorer toutes les émotions de frustration, de honte et de peur qui le traversaient pour mieux les réprimer et les ignorer comme un adulte digne de ce nom.
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| | | | (#)Jeu 24 Mar 2022 - 17:19 | |
| « C’est bon de savoir que l’esprit de Noël n’est pas mort. » Jake espère effectivement qu’il ne le sera jamais. Il adore cette fête, adore les personnes qui la font vivre, qui sortent le grand jeu à l’approche de décembre. Evidemment qu’il est l’un d’entre eux ; comment peut-on affirmer être un bisounours si on n’a pas la panoplie complète pour fêter le vingt-cinq décembre ? Il n’est pas croyant, non, mais cette date n’est plus réservée qu’à ces gens-là. C’est le moment des cadeaux, des retrouvailles, des grands repas, des étoiles dans les yeux. Que l’on ait cinq ans ou cinquante ans, ça ne change jamais d’après l’infirmier. C’est ce qu’il se dit habituellement et ce qu’il n’a de cesse de se répéter depuis qu’il a rejoint Marcus ici. Il a l’air de partager sa pensée à ce sujet et, surtout, il a l’air de ressentir la même chose que lui lorsqu’ils se retrouvent. C’est pour ça qu’il tente, qu’il ose enfin. Une approche qui n’a rien d’original, certes, mais qui peut faire son petit effet si le Leckie le veut bien également. Jake lance un regard au-dessus d’eux, fait remarquer le gui à l’homme à ses côtés en espérant que celui-ci comprenne bien le message. Il n’y a pas trente-six façons de l’interpréter, et pourtant. « Tu crois qu’il va pleuvoir ? » Il s’imaginait déjà les papillons dans le ventre, déjà raconter comme leur premier baiser s’est raconté. Il fait semblant de regarder le ciel plus que la plante et hausse ses épaules. Après ce vent, oui, ça ne l’étonnerait pas que des nuages viennent gronder au-dessus de leurs têtes. La personne derrière le comptoir s’adresse à eux, Jake ne sait pas s’il doit être soulagé ou complètement déçu. Il ne savait pas quoi répondre à cette question – qui de toute manière n’attendait pas de réponse – mais aurait préféré aller au bout des choses, malgré tout. Le confronter, une bonne fois pour toutes, même si ce n’était absolument pas le but au départ. Marcus commande une crêpe au vegemite, Jake part sur quelque chose de plus commun avec du chocolat noir. « Je sais toujours pas comment tu peux manger cette horreur. » L’infirmier se retourne en comprenant bien que cette phrase est adressée à l’homme à ses côtés, pour voir à qui appartient cette voix masculine. « C’est d’une fierté nationale dont tu parles, fais attention. » Les commandes déjà reçues, Jake fait semblant de regarder l’intérieur de la sienne pour tenter de disparaître. « Qui est cette personne bien agréable pour les yeux ? » Il parle de lui comme s’il n’était pas là, comme s’il n’entendait pas. « C’est Jake. C’est un bon ami. » Les deux derniers mots font sourire le Vaughan. Pas un sourire qui veut dire qu’il est heureux de cette appellation, non, c’est plutôt de la frustration camouflée. Il aurait préféré être présenté différemment. En réalité, à cet instant précis, il aurait préféré être dans ses bras et ne pas du tout avoir à être présenté. Mais les événements prennent une tournure inattendue, c’est peu de le dire. « On a passé du bon temps, Mac et moi. On devrait remettre ça, un de ces jours. » Jake se risque enfin à réellement regarder l’autre homme. Plus jeune que Marcus, forcément plus jeune que lui, donc. Ce qui n’est pas forcément une bonne chose, parce qu’il ne peut pas s’empêcher de se comparer pour essayer de comprendre pourquoi lui galère depuis tant de mois. Il n’écoute pas les dernières phrases prononcées par Marcus, seulement occupé à fixer l’homme qui, en plus de tout ça, est également accompagné d’un autre. « Content que tu entretiennes ce sexy dad bod. » Ces derniers mots, eux, il arrive à les entendre – en plus de les lire sur ses lèvres. « Au revoir. » Jake passe une main dans ses cheveux et fait quelques pas pour se décaler, Marcus étant toujours à côté, alors que Jeff s’en va enfin. Il regarde le Leckie mordre dans sa crêpe, regarde la sienne, ne sait pas tellement ce qu’il est supposé faire. Manger, oui, mais après ? « Alors… » Il joue quelques secondes avec le carton sous sa crêpe avant de soupirer les quelques mots d’après. « Lui c’était un très bon ami ? » Il insiste bien sur le très, pour revenir sur la manière dont il l’a présenté à l’instant. Il n’y a finalement pas d’indicateurs pour le nommer autrement, les deux hommes ne se retrouvant que de manière amicale depuis des mois. Mais il croyait en plus, il imaginait plus. Et s’il doit se confronter à un mur maintenant et se faire entendre dire qu’il a eu tort, c’est le moment ou jamais. Il mord dans sa crêpe à son tour, même si toute la gourmandise et l’envie qu’il avait tout à l’heure en approchant du stand se sont envolées avec ses espoirs. Il ne pensait pas pouvoir ressentir toutes ces sensations-là à cet âge, persuadé que les histoires de flirt et de déceptions étaient déjà bien derrière lui. « Je vais peut-être songer à rentrer. Tu voulais faire un tour du marché de Noël ? » Sa crêpe est à peine entamée et ils ne se sont retrouvés que depuis peu de temps. C’est la déception qui parle, la frustration aussi. Il n’aime pas être guidé par des ressentiments comme ceux-là, ayant l’habitude des émotions positives, celles qui font ressortir le meilleur de lui-même. Sa question attend évidemment une réponse négative ou, si Marcus en est capable – et sûrement que non – une réponse à celle qu’il n’a pas posée directement ; pourquoi l’éviter à ce point-là ?
@Marcus Leckie |
| | | | (#)Lun 9 Mai 2022 - 11:13 | |
| | ► last christmas
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Entretenir le dad bod, quelle bonne idée. En plus la crêpe n’était pas mauvaise. Son talent naturel pour mettre les pieds dans le plat avait frappé une fois encore, de même que son réflexe d’ingérer ses frustrations. Boule d’émotions qu’il était, placide d'apparence, tellement en contrôle de soi, tellement tout sourire, qu’on en oubliait qu’il était un homme avec ses failles grandes comme des canyons. Son air distancé de tout lui donnait cette allure intouchable, implacable, comme si rien n’était en mesure de l’affecter. Orgueil, préservation, un peu des deux. « Lui c’était un très bon ami ? » Marcus leva un sourcil circonspect en observant la silhouette de son ex qui continuait à s’éloigner, bras dessus bras dessous avec ce petit ami qui semblait en mesure de lui accorder l’attention qu’il lui réclamait auparavant. Le bon temps qu’ils avaient passé, il n’y avait plus pensé depuis longtemps, tout simplement parce que cela n’avait jamais été notable à ses yeux. Futile, comme bon nombre d’hommes qu’il avait connus, relégués au statut de vagues flirts. Ils le percevaient probablement de la même manière. Il apparaissait, décevait, disparaissait ; c’était un cycle qui se répétait systématiquement. Pourquoi ne parvenait-il pas à abaisser ses barrières ? Pourquoi s’entêtait-il à tous les rejeter ? Il ne voulait pas y penser, faire le tour de la question, encore moins trouver une solution. L’aveuglement était plus simple, comme la vitre opaque qui l’empêchait actuellement de voir la vexation de Jake, d’avoir la bonne réaction, passant totalement à côté du sous-entendu. “Lui ? Nah.” fit-il bêtement en haussant les épaules. Quelle idée. C’était une connaissance, au mieux, quelqu’un qu’il oublierait de nouveau avant que la nuit ne tombe. “On s’est rencontrés à une fashion week, Milan je crois. Ça a duré un mois à tout casser et voilà.” Cela n’avait jamais eu le moindre potentiel de devenir sérieux un jour, à ses yeux. Si peu important que cela ne méritait pas qu’on s’y attarde. Il leva les yeux vers Jake avec un sourire idiot. “Il était pas mon genre.” Contrairement à toi, s’il osait le penser, s’il se permettait la naïveté de croire qu’il y aurait un jour une sortie où ils se tiendraient la main. Et cela serait déjà trois pas de plus que ce qu’il avait permis à qui que ce soit d’autre, une hypothèse de trop pour son craintif cœur de guimauve.
« Je vais peut-être songer à rentrer. Tu voulais faire un tour du marché de Noël ? » fit l’infirmier au bout de quelques pas, ayant à peine entamé sa crêpe. La surprise de la déclaration fit plonger une brique dans l’estomac de Marcus, éclaboussé par une pointe de déception qu’il savait si bien dissimuler dans sa barbe. “Ouais, j’espérais qu’on trainerait un peu. Je savais pas que tu ne pouvais pas rester.” Il songeait à une obligation à laquelle Jake devait répondre, un autre engagement qu’il aurait pris, qu’il devait respecter mais dont il ne l’aurait pas informé -il ne lui en voulait pas, ils ne se devaient rien. Ce n’était jamais en vain lorsque le Leckie se déplaçait pour voir Jake, même pour une dizaine de minutes. Néanmoins, il avait espéré passer plus de temps en sa compagnie, cette fois. “On a même pas pu aller s’asseoir sur les genoux de Santa, je voulais demander un poney. Ou un château. Ou une plage privée avec un beau prof de surf rien que pour moi. J’ai pas encore décidé.” Tant de possibilités et un seul souhait à la clé. Lui et Jake auraient pu brainstormer en chemin et trouver le parfait cadeau à demander -et ne jamais obtenir. Encore fallait-il qu’on les autorise à écraser les guibolles du pauvre Père Noël d’un jour, pour l’amour des traditions. Il reviendrait avec son neveu et sa nièce, songea Marcus, et il rattraperait cette occasion manquée avec eux. Ils avaient plus de chances de faire passer son message aux oreilles du grand barbu de toute manière, et ils auraient une photo en prime. Entre temps, Jake et lui longeaient quelques stands en attendant que les crêpes soient englouties et que l’infirmier s’en aille comme annoncé. En passant à côté d’un portant de vêtements, le Leckie s’arrêta et se saisit de l’un des cintres auquel était suspendu un sweat décoré avec tout le mauvais goût et le kitsch dont les amoureux de Noël étaient capables. “T’as même pas le temps de me laisser t’offrir ce magnifique pull de lutin qui montre ses fesses ?” La grande classe, vraiment, et les LED intégrées n’aidaient en rien à rendre cette chose plus portable dans l’espace publique. Mais c’était bien pour cela qu’il avait attiré l’oeil de Mac qui ne voyait là qu’une excuse pour retenir Jake une minute de plus.
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| | | | (#)Ven 13 Mai 2022 - 11:52 | |
| « Lui ? Nah. » Il n’a pas envie d’en entendre plus, en réalité. Il se fiche bien de qui était cet homme de la vie de Marcus, tout comme de tous les autres qu’il a pu connaître. Son passé ne l’intéresse pas, seul le futur l’attire réellement. Et ça le désole de voir à quel point le Leckie ne semble pas se rendre compte de ce qu’il pourrait y avoir entre eux. Quand Jake pense qu’ils font un pas en avant, il voit qu’ils vont en faire deux en arrière cinq minutes après. Comme là. C’était presque un piège tant la scène aurait été parfaite pour la fin d’un film de Noël et, pourtant, Jake y croyait. S’il faut des signaux, il les avait tous. « On s’est rencontrés à une fashion week, Milan je crois. Ça a duré un mois à tout casser et voilà. » C’est mieux que rien. Il le pense mais ne le dira pas. Jake aimerait bien avoir un mois entier à vivre avec Marcus, où il n’est pas seulement l’homme qu’il apprécie bien mais avec qui il n’ose rien. Son impression de se faire des films sur ce qu’il y a entre eux est plus forte que jamais. « Il était pas mon genre. » Et quel est son genre ? L’infirmier cherche à comprendre. Il a récolté beaucoup de détails au cours de ces derniers mois, au travers de discussions innocentes. Il n’arrive pourtant pas à brosser un portrait de l’homme qui correspondrait à Marcus. Il commence à se dire que personne ne peut réellement le satisfaire, que le célibat lui convient parfaitement et que ça ne sert à rien d’espérer plus. Certains vivent très bien cette situation, pas Jake.
Et c’est sûrement pour ça qu’il trouve une manière de fuir : il va songer à rentrer, oui. Il n’en a pourtant pas envie. Il aurait aimé passer l’après-midi avec Marcus. Pourquoi pas la soirée. Et puis toute la vie puisque Jake est un idéaliste qui voit toujours beaucoup trop loin. « Ouais, j’espérerais qu’on traînerait un peu. Je ne savais pas que tu ne pouvais pas rester. » Il le peut. Il devrait. Depuis quand Jake se fait-il passer avant les autres ? Il essaie de ravaler la déception, d’enfouir ses envies, d’accepter. Il ne peut pas le forcer à faire ce dont il n’a pas envie. Et mettre un terme de manière prématurée à leur rendez-vous est une façon détournée de dire ‘si tu ne me donnes pas ça, je te prends ça’, ce qui ne lui ressemble vraiment pas. Il ne sait pas quoi répondre, n’a pas envie d’inventer une activité inexistante juste pour le fuir. « Il y aura d’autres occasions. » Ils arrivent toujours à en trouver, oui. « On a même pas pu aller s’asseoir sur les genoux de Santa, je voulais demander un poney. Ou un château. Ou une plage privée avec un beau prof de surf rien que pour moi. J’ai pas encore décidé. » « Tu pourras demander les trois. » Il imagine Marcus assis sur les genoux d’un type en costume qui ne s’attendait pas à ça en signant son contrat et, effectivement, ça le fait sourire jusqu’aux oreilles. Est-ce qu’il pourra s’asseoir lui aussi et demander au père Noël, sans que le Leckie l’entende, d’avoir comme cadeau toute l’affection de ce dernier ? Qui ne tente rien n’a rien, paraît-il. « On peut y aller… » Il le dit sans réelle conviction, malgré tout. Et ils avancent vers le lieu en mangeant leurs crêpes mais rien ne dit qu’ils s’y arrêteront. Il a dit qu’il partait, il va probablement le faire. Les pas sont lents, la crêpe est engloutie à une vitesse trop peu élevée pour des hommes de leur gabarit. L’un comme l’autre n’a pas envie qu’ils se séparent, et pourtant. C’est Marcus qui tente une nouvelle tentative le premier en attrapant un pull dans un stand. « T’as même pas le temps de me laisser t’offrir ce magnifique pull lutin qui montre ses fesses ? » Jake regarde le pull attentivement. « C’est vrai que c’est mon style. » La couleur, les lumières, le dessin ; tout est parfait. « Mais si je mets celui-là, toi… » Il regarde les autres pulls à la recherche d’un autre, au moins aussi laid – on ne les appelle pas les ugly sweaters pour rien. « Celui-ci ? » Un pull avec une guirlande accrochée, qui ressort et qui, ça n’en fait aucun doute, doit gratter dès qu’on s’en approche un peu trop. Il attrape le cintre et montre sa découverte à Marcus. « Je veux bien aller voir le père Noël avec ça. » Et après il s’en va. Peut-être. Marcus a réussi sa mission, il n’a plus trop envie de partir.
@Marcus Leckie |
| | | | (#)Mar 5 Juil 2022 - 19:33 | |
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Si cela ressemblait à une tentative désespérée de retenir Jake, c’est que ça l’était, plus que l’air détaché de Marcus ne pouvait le laisser paraître. Qui était-il, après tout, pour retenir le brun dans ses autres engagements ? Certainement pas lui et son incapacité à en prendre. Comme toujours, dans la nervosité, il parlait trop, trop vite, sans réfléchir. Il gagnait du temps, il finirait bien par trouver un argument, gagner dix minutes, leur épargner de terminer ce moment sur une note douce-amère. C’était Noël, après tout. L’idée d’aller voler la place à des marmots baveux sur les genoux du Père Noël parut avoir un effet limité sur Jake, pas assez pour le dissuader de le planter. « Tu pourras demander les trois. » Connaissant Marcus, c’était sans doute ce qu’il ferait. De toute manière, entre le poney, le château et la plage, les probabilités qu’il obtienne même un seul de ces souhaits étaient plus maigres qu’un cure-dent. Il n’y avait jamais eu peur du ridicule, le Leckie, cela l’amusait bien trop. Être un adulte et effectuer des réclamations aussi excentriques à Santa avant de repartir avec une photo de lui et d’un pauvre acteur sous-payé totalement interloqué dans un costume bien trop chaud pour la période de l’année, c’était sa définition d’un bon moment.
Le portrait ne pouvait être parfait sans un pull traditionnel de Noël. En passant à proximité d’un stand, il trouva rapidement la perle rare pour Jake -s’il acceptait de jouer le jeu. « C’est vrai que c’est mon style. » Bingo. “Il ira si bien avec tes yeux.” insista Mac en battant des cils à outrance. C’était vendu, donc, et il passa le fameux pull par-dessus son bras en attendant d’aller le régler en caisse. Non, cela n’était pas de l’argent jeté par les fenêtres. « Mais si je mets celui-là, toi… Celui-ci ? » Pendant du cintre qu’il tenait, Jake lui adressa un pull à la maille rêche et longue, cerné d’une guirlande qui allait sans aucun doute le faire ressembler à un sapin de Noël ambulant. Mac détailla rapidement ce qui s’apparentait à la plus grande offense à la fashion police dont il s’était auto-proclamé lieutenant. Le textile grattait déjà le bout de ses doigts, le tour de son cou s’imaginait déjà le calvaire à suivre. « Je veux bien aller voir le père Noël avec ça. » fit Jake. Nul besoin d’en dire plus ; le Leckie empoigna le second pull et se rendit immédiatement en caisse avec le tout. “Deal.”
Changés, l’australien immortalisa le moment avec un selfie côte à côte avec Jake, un bonhomme de neige gonflable en fond, en attendant leur tour dans la queue pour s’asseoir sur les genoux de Santa. Quand son tour vint, Marcus demanda le poney, le château, la plage. Son regard se posa sur l’infirmier, tenu derrière le cordon rouge parce qu’un adulte à la fois était déjà bien assez d’abus de leur part. “Et de ne plus être seul Noël prochain.” il ajouta tout bas. Mais ça, ça ne dépendait pas de l’acteur sous-payé aux cuisses en compote.
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| | | | | | | | leckan #2 + last christmas |
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