« SWANN ? » Dans mon dos, la porte d’entrée claque au point de faire vibrer la cloison, tandis que dans un geste désinvolte, je me débarrasse de mes chaussures au milieu du couloir. Jetant un coup d’œil à ma montre, je m’étonne presque que personne ne semble me répondre, ce n’est pas pour me déplaire pourtant. Je soupire et me dirige vers la cuisine abandonnant au passage la veste de mon costume et ma cravate sur le dossier du canapé. La journée a été affreusement longue, parsemer de réunion toute plus ennuyante les unes que les autres, à prendre des décisions insensées pour des projets dont je n’ai absolument rien à faire. « Swann ? » J’appelle à nouveau, juste pour être certains, mais je m’avoue vaincue lorsque seul le tic-tac de l’horloge me répond. Il doit encore être en train de s’amouracher de son mec. Je soupire à nouveau et fais une autre tentative. « Maisie ? » Pas de réponse et comme j’ai complètement oublié le prénom de la deuxième, je ne m’emmerde pas à hurler à nouveau. Je pourrais plier bagage plutôt que passer la soirée seule dans cet appartement, mais le mien est encore légèrement en travaux et la solitude serait la même.

À défaut d’avoir trouvé un dîner à ma convenance dans le frigo, je me suis fait livrer quelques plats que je déguste affaler sur le canapé qui me sert également de lit. C’est bien loin d’être confortable, la télévision est minuscule, le programme complètement à chier et pourtant, je reste là, a scroller sur mon téléphone sans vraiment savoir ce que j’attends. À plusieurs reprises, mon doigt glisse sur l’écran pour ouvrir l’application de messagerie, à regarder le prénom de Murphy de travers comme si elle allait se décider à me proposer de la rejoindre dans une soirée je ne sais où. Mais mon téléphone reste incroyablement silencieux et je me refuse à être celui qui demandera. Plutôt crever, de toute manière ce petit jeu à semble-t-il déjà trop durer.

Tel un petit vieux, je suis en train de piquer du nez, lorsque la porte d’entrée s’ouvre et que la lumière s’allume subitement. J’allais gueuler, pour changer, avant que mon regard ne tombe sur le visage de Swann. « Oh la gueule! » Un rire m’échappe tandis que je me redresse pour mieux l’apercevoir. « T’as embrassé un poteau ? »

@swann buchanan

« SWANN ? » - “Merde.” Il avait pensé (espéré) être seul au moment de rentrer et si la présence de Maisie ou Sofia n’aurait pas été dérangeante, mais celle d’Arthur l’est bien plus. Parce qu’Arthur va poser des questions, Arthur va se montrer curieux et, surtout, Arthur n’aura aucune limite. Il anticipe la suite des événements sans aucun mal parce qu’il connaît parfaitement son ami de toujours. Arthur n’est pas quelqu’un d’empathique, il est le genre de personne qui se nourrit de la peine d’autrui, et Dieu sait à quel point l’anglais en est gorgée ce soir. La mâchoire serrée, les paupières fermées, il jure dans sa barbe, assez bas pour qu’il soit le seul à l’entendre. S’il n’usera jamais de ses poings, il n’est pas un petit ange au point de ne pas pouvoir jurer.

Nul besoin de lui préciser que c’est effectivement lui qui passe le pas de la porte ; il reconnaîtra sa silhouette bien vite et saura la distinguer de celle des filles. Elles sont de toute façon déjà couchées, sûrement, ce qui réduit considérablement la liste des personnes susceptibles d’entrer. « Swann ? » Nouvelle question, nouvelle absence de réponse. Le blond ne souhaite pas parler, pas alors qu’il se sait être d’humeur massacrante et absolument pas enclin à une quelconque discussion. Il a simplement envie de nettoyer une bonne fois pour toutes les traces de sang autour de son nez et aller se coucher pour passer à une autre journée et à autre chose avec. « Maisie ? » - “C’est moi.” qu’il consent finalement à répondre en grognant, ne voulant pas laisser la moindre faute reposer sur sa cadette. Elle n’a rien fait, elle n’aurait pas fermé la porte aussi brutalement, elle ne serait pas entrée dans l’appartement sans s’annoncer et la simple idée qu’Arthur puisse laisser la faute reposer sur elle l’espace d’un instant lui est insupportable. Sa voix dénote assez de celle de la jeune femme pour qu’il ne prenne pas la peine de préciser son prénom.

« Oh la gueule! » Et c’est justement pour cette réponse bien précise qu’il n’avait aucune envie de trouver un de ses colocataires en arrivant à l’appartement. S’étant contenté de brièvement éponger le sang avec les feuilles d’essui-tout lui étant passées sous la main, son visage est encore largement coloré de rouge autour de son nez. Il ne fait pas le fier, bien au contraire, et pourtant la douleur encore lancinante est sans doute le dernier de ses soucis en cet instant. Les discussions tournent en boucle dans son esprit, autant que les mauvaises réactions ayant mené à cette issue qui aurait pu être évitée. Pire encore, il s’en veut d’avoir fait faux bond à Rory. « T’as embrassé un poteau ? » Le regard que lui décoche le blond est noir ; il n’est pas d’humeur à jouer ce soir. “Un poteau d’un mètre soixante et quarante kilos à tout cracher, et l’embrasser est bien la dernière chose à laquelle j’ai pensé.” Oh non, non, certainement pas. Il a pensé du mal d’elle à un moment et s’en veut pour ça, mais il ne s’est pas un seul instant imaginé embrasser Murphy - et au Diable que tout ceci ne soit qu’une façon de parler. “J’ai rencontré l’ex de Rory, ça s’est bien passé comme tu peux le voir.” L’ironie reste toujours son arme de dernier recours, accessible peu importe la situation et le contexte. Il ne s’imagine pas expliquer que la jeune femme a cherché à lui faire du mal et n’a pas moindrement eu du mal à parvenir à son but. Elle a tiré sur toutes les cordes sensibles à la fois et Swann n’a pas su anticiper les choses, encore moins les contrer. “Il est droit ? Tu penses que c’est cassé ?” Quitte à enfin se retourner en sa direction, Swann joint le désagréable à l’utile, profitant des (très) maigres connaissances en médecine de son ami pour lui demander l’état de son nez à l’heure actuelle. A vrai dire, s’il n’est pas parfaitement droit, Arthur prendra sûrement un malin plaisir à remettre les os dans leur axe. Et pour une fois, Swann ne se retiendra pas de l’insulter.

« C’est moi. » La voix qui s’échappe de l’entrée n’est qu’un faible murmure que je saurais reconnaître entre mille qu’importent les années écoulées. Un timbre familier, mais un ton si silencieux qu’il me renvoi à l’époque où Swann passait son temps à frôler les murs pour mieux se faire oublier du reste du monde. Autrement dit, le gars absolument pas marrant qui passait des heures à ruminer dans son coin. Arf, de toute façon, la soirée s’annonçait déjà comme ennuyante à souhait. C’est que je m’attendais à le voir débarquer avec son air de chien battu, les larmes aux yeux et prêt à me dire qu’il allait se coucher. Je suis pas vraiment loin du compte, il fallait juste rajouter un nez qui semble avoir reçu une patate et le compte est bon. Finalement, je vais peut-être enfin pouvoir m’amuser un peu. « Un poteau d’un mètre soixante et quarante kilos à tout cracher, et l’embrasser est bien la dernière chose à laquelle j’ai pensé. » Oh, oh quand Swann emploi le sarcasme, c’est que rien ne va plus. Il a l’air bougon le petit ourson. J’abandonne complètement mon repas et l’émission débile qui tourne encore sur le téléviseur pour lui offrir toute mon attention. Je sens que je vais rire. « J’ai rencontré l’ex de Rory, ça s’est bien passé comme tu peux le voir. » Dans le mille. « Tu t’es fait éclater la tronche par une pédale ?! » Je pouffe alors qu’il semble vouloir aller s’enterrer dans un trou. « Oh Swann, je t’ai donc rien appris ? » Ce n’était pas faute de lui avoir appris à employer le sarcasme comme une arme de défense à défaut de vouloir réellement apprendre à se servir de ses poings. Je soupire en ricanant, il a jamais été très doué pour défendre ses intérêts le blond.

Un autre prendrait pitié du gamin maladroit qui s’est fait bousculer par un camarade. Je me fiche bien de ses états d’âme quand Swann a toujours été du genre à se laisser faire. « Il est droit ? Tu penses que c’est cassé ? » Il a une sale tête et deux bleus sont en train de se former sous ses paupières. Non pas que j’ai conservé un quelconque souvenir marquant de mes années de médecines à ses côtés, mais tant qu’il ne pisse pas le sang sans s’arrêter, on est dans le bon. Je m’approche néanmoins pour attraper son menton et tourner son visage dans ma direction. « Fais voir. » Je le tire sous la lumière et prétends l’observer alors qu’il marmonne. « Respire par le nez au lieu de faire la mauviette. » J’attends de l’entendre inspirer, il ne grimace pas, et se plaint d'aucune douleur. « T’en fais pas princesse t’es juste bon pour des bleus de boxeur les prochains jours. » Je lui lance un sourire et par un pur élan de bonté, je m’en vais fouiller dans le congélateur. Je lui envoi le premier paquet que je trouve avant d’ouvrir la partie inférieure du réfrigérateur pour nous servir deux bières. « Faut que j’aille lui casser la gueule ? » Je me ferais un plaisir de taper dans le tas, il le sait que trop bien.

Le récit de la soirée est limité aux maigres informations qui pourraient intéresser Arthur, et tout le reste est encore allègrement passé sous silence. Tout ce que son ami a besoin de savoir, c’est qu’on lui a effectivement éclaté le nez et que le ‘on’ en question est l’ex petite amie de Rory. « Tu t’es fait éclater la tronche par une pédale ?! » Le premier anglais semble vouloir utiliser l’humour, chose que le second n’a absolument pas le coeur à. “Arthur.” Il gronde, le faux grand-frère de pacotille qui voudrait apprendre à son ami à garder ses remarques pour lui, parfois. Employer le terme de pédale est encore moins approprié aujourd’hui que cela l’était déjà à l’époque, surtout alors que la seule personne à qui cela pourrait référer, c’est bien lui, et non pas Murphy qui répond à un féminin. « Oh Swann, je t’ai donc rien appris ? » Il lui a appris bien des choses, mais pas à abandonner sa générosité et sa gentillesse à toute épreuve, même lorsque les choses se retournent bien rapidement contre lui. Même après cette soirée, il continue de penser que Murphy a besoin d’aide et qu’à défaut de savoir si elle a quiconque prêt à se proposer dans son entourage, il continuera de répondre présent malgré son caractère plus que récalcitrant. Arthur ricane une seconde de plus alors que Swann en profite enfin pour faire état des dégâts. “J’allais pas m’en prendre à une femme et encore moins une amie de Rory.” Il défend son geste ou, plus précisément, l’absence de geste. Arthur ne l’écoutera de toute façon pas, raison pour laquelle il ne prend pas davantage de temps à se perdre en détails inutiles.

La première chose que l’anglais cherche à connaître, c’est l’état de son nez et, surtout, s’il est cassé ou non. Les marques de contusion sont déjà importantes mais cela ne signifie absolument rien ; et la douleur ne permet pas non plus de jauger les choses avec précision. Tout ce qu’il peut donc faire, c’est se reposer sur son ami et les quelques cours auxquels il a daigné venir, à l’université de médecine. Sans délicatesse, il attrape son menton et dévisage son visage sous tous les angles, ce dont Swann ne prend pas le temps de se plaindre, ses yeux trop occupés à se poser partout sauf sur le visage de son ami. « Fais voir. » Au moins, désormais aveuglé par la lumière de la lampe, il n’a plus à éviter le moindre contact visuel tant il est occupé à garder ses paupières closes. « Respire par le nez au lieu de faire la mauviette. » - “Ta gueule.” Ce n’est pas ce soir qu’il prendra le temps de jouer à celui qui a la plus grosse et il est bien loin d’avoir l’envie de le faire. Sa patience est restée au loft et il se montre plus à fleur de peau que jamais, terrassé à l’idée de ne pas avoir fait le bon choix en quittant cet appartement. Non sans s’en plaindre, il obéit pourtant, sachant qu’Arthur agit par sadisme mais aussi pour son bien. « T’en fais pas princesse t’es juste bon pour des bleus de boxeur les prochains jours. » Chose dont il ne se vantera pas, encore moins lorsque viendra le moment de s’occuper de ses patients en ayant l’air d’avoir participé à un combat de rue - rien qui ne caractérise l’anglais, en somme. Pour autant, il est soulagé d’apprendre que rien n’est cassé puisque cela signifie qu’il aura simplement besoin de temps pour guérir et non la visite d’un quelconque médecin.

Swann récupère bien volontiers le premier paquet de surgelés venu et l’entoure d’un torchon pour le poser autour de son nez, grimaçant désormais à cause du choc de température et de l’inconfort. En entendant Arthur sortir des bières, pourtant, il se relève aussitôt. « Faut que j’aille lui casser la gueule ? » - “Non, certainement pas.” Parce que casser la gueule à quelqu’un n’a jamais aidé à résoudre le même problème, tout comme il veut croire qu’il peut parfaitement gérer ça tout seul. Et, surtout, il ne veut pas voir Arthur mêlé à toute cette histoire. “T’as déjà pris une bière avant ? T’as déjà bu, ou pas ?” Il n’est pas à cheval sur la consommation d’alcool (tant qu’elle reste un minimum raisonnée), là n’est pas le problème. En réalité, Swann a encore un service à lui demander, et pas des moindres. “Tu te souviens de tes entraînements de suture ?” Parce que je crois que je vais en avoir besoin. Loin d’être fier, il lui présente enfin la paume de sa main ouverte, tâchée de sang séché: le sien. Son visage de boxeur n’était que la partie immergée de l’iceberg et si Swann avait pu lui cacher la seconde alors il l’aurait fait, mais à en juger par le sang qui continue de s’échapper de sa main par un maigre filet, lui-même doit se rendre à l’évidence qu’il ne peut pas s’en sortir seul et surtout sans rien faire. “C’était vraiment une soirée de merde.” qu’il consent enfin à avouer, posé sur le canapé à défaut d’être certain de sa capacité à rester debout sur le long terme. S’il préférerait autant qu’Arthur ne boive pas une bière dans l’immédiat, il peut de son côté s’en ouvrir une bien volontiers.

Sous le filet de lumière, les contusions paraissent bien plus marquer, en parfait contraste avec le ton laiteux du visage de Swann. Je pourrais presque m’amuser à relever les différentes nuances de couleurs qui viennent agrémenter les ailes de son nez pour mieux remonter sous ses yeux. Si la prédominance se veut à tirer vers le noir tendance violacée dans quelques jours, c’est toute une palette diversifiée qui soulignera à la perfection son maigre talent de défense. De manière délibérée, je me moque de son allure de jeune premier aux convictions pacifiste qui l’ont fait plier sous les coups d’une fille. « Ta gueule. » C’est qu’il cherche presque à mordre l’animal blessé, mais pour être convainquant, il faudrait déjà qu’il accepte de croiser mon regard. Ce n’est pas son genre de jurer, mais rien ne semble normal quand par habitude, il est celui qui compte mes bleus pour s’assurer que tous les os sont bien à leurs places après une énième échauffourée dans un bar. Je pourrais insister, mais je me fiche bien de connaître toutes les raisons qui lui auront valu de se retrouver dans cet état. Le temps d’un instant, je me concentre sur sa respiration avant de juger qu’il vivra malgré sa blessure.

« Non, certainement pas. » Bien sûr qu’il refuse quelconque forme de vengeance, parce que dans le monde de Swann tout se règle avec un sourire et quelques mots choisi avec attention. Loin d’être du genre à lever la main sur une femme, je me soucis tout de même assez du sort du blond pour ne pas laisser la violence, utiliser envers lui, impunie. Il est inutile d’allonger la conversation quand il se butera à me reprocher la moindre de mes réflexions. On a toujours préféré se complaire dans un silence confortable, une bière à la main. « T’as déjà pris une bière avant ? T’as déjà bu, ou pas ? » L’accord tacite que je pensais ancrer se fait envoyer valser par un Swann inhabituellement sur la défensive. « Tu te prends pour mon père ? » On peut très bien être deux à jouer ce jeu. Il n’a pas envie de se lancer dans ce genre de joute verbale où ma volonté de ne jamais courber l’échine finira par venir égratigner son ego déjà blessé. Dans un pur esprit de défi, je fais sauter la capsule de ma bouteille, près à descendre une gorgée. « Tu te souviens de tes entraînements de suture ? » Mes sourcils se froncent surpris par le soudain changement de sujet. Il ne me laisse pas le temps d’en placer une que se dévoile sous mes yeux la paume de sa main ensanglantée. « Putain Swann. » Préoccuper à me foutre de l’état de son nez, je n’avais pas souligné le fait qu’il cachait sa main dans son dos depuis le départ. Non pas que je m’en serais réellement soucié, mais maintenant, il y a sa plaie et un filet de sang qui m’oblige à faire attention. « Juste un coca. » Ça, c’est pour répondre à sa première question. Je pointe du doigt la cannette encore présente sur la table basse du salon pour lui assurer que, pour une fois, je ne me moque pas de lui. « Salle de bain ? » Ça, c’est pour sous-entendre que mes années de médecines n’ont pas été glorieuses, mais que je sais encore me servir d’un kit de suture. Merci bien.

Je n’attends pas sa réponse, je connais les contenus des placards étant allé fouiller pour tenter de trouver quelques comprimés. Tout ce que je voulais, c’est quelque chose pour me faire planer, je n’avais mis la main que sur une trousse de secours parfaitement organisé par un gars ayant fait des études de santé, mais sans aucunes substances, un tant soit peu intéressante. Dans la petite pièce, j’attrape la fameuse trousse, une bouteille de désinfectant et tout ce qui pourrait s’avérer nécessaire. « C’était vraiment une soirée de merde. » No shit Sherlock. Le gamin revient avec des bleus et une entaille qui a le mérite de presque soulever un semblant de panique chez ma personne. « Pour le mal de crâne. » La boîte d’ibuprofène atterris sur ses genoux tandis que j’installe le maigre matériel sur la table basse avant de m’y asseoir. Sans geste brusque, j’attrape son poignet pour mieux voir la blessure qui continue à saigner lentement. Je dépose un coton imbibé d’alcool sur sa main, essayant de nettoyer les contours pour mieux appréhender la profondeur de l’entaille. « Tu comptes me dire ce qui c’est vraiment passer ? » que j’ai toutes les armes en main pour rendre une visite de courtoisie à ce petit-ami. La coupure est loin d’être nette et surtout assez profonde sur la fin du tracé. Est-ce qu’il s’est débattu ? Je relève les yeux vers Swann qui continue à observer tous les points de la pièce sans jamais s’attarder sur mon visage. « Ça va faire mal. » Il avait vu juste, il faudrait au moins deux ou trois points. Je le connais assez pour savoir qu’il refusera une visite à l’hôpital et qu’il ne reste que l’option de le faire dans son salon. Alors que je n’ai pas pratiqué depuis des années et que mes mains risquent de trembler. Je cherche à gagner juste un peu de temps en allant lui verser un verre de la bouteille de whisky acheté il y a quelques jours de cela. Si je ne peux pas boire, qu’il le fasse au moins à ma place, le temps que je prépare l’aiguille sans jamais questionner la raison pour laquelle il a ce genre de matériel chez lui. « Je t’interdis de bouger. » La couture artisanale n’a jamais été mon forte.

Alors qu’il continue de sentir le sang couler le long de ses doigts et qu’il l’imagine perler sur le carrelage de l’appartement, Swann se résout bien malgré lui à accepter la gravité de ses blessures et, surtout, la nécessité de points de suture. Les questions envers Arthur sont amenées fébrilement alors qu’il préfère d’abord s’assurer qu’il est sobre avant de lui expliquer les raisons de son interrogatoire soudain « Tu te prends pour mon père ? » lesquelles n’ont justement aucun rapport avec une envie soudaine de jouer à la police. Tant qu’il n’en abuse pas, Arthur a bien sûr le droit de boire quelques bières, et ce ne sont en rien les affaires du blond. Ce soir, c’est en relevant lentement sa main blessée qu’il lui fait comprendre la raison l’ayant mené à s’intéresser autant à ses dernières consommations. Il n’a déjà plus la force de sourire pour garder les apparences intactes, c’est à peine s’il sait comment son corps arrive à le soutenir alors que la poussée d’adrénaline est loin derrière lui et que la barre dans son crâne ne fait que gagner en importance au fil des secondes écoulées. « Putain Swann. » Exactement Arthur, il n’aurait pas su dire mieux. « Juste un coca. » L’anglais hoche la tête, lui faisant totalement confiance sur sa réponse, sans doute parce que ça lui permet d’être aussitôt rassuré de ne pas avoir à passer aux urgences de l’hôpital le plus proche. Arthur s’occupera de lui, ce qui lui pose un bien moindre dilemme morale que d’embêter un médecin qui a bien mieux à faire de sa nuit de garde. « Salle de bain ? » Il hoche la tête, le laissant trouver tout ce dont il a besoin dans ladite pièce. Sur ça aussi, il lui fait confiance. Il sait qu’il ne prendra pas le moindre risque et, de toute façon, il n’aurait pas la force d’aller contre l’avis d’Arthur: il ressemblerait à un chien enragé sous l’effet d’un calmant, et ça aurait tout de pathétique.

Arthur revient rapidement avec tout le matériel nécessaire pour faire perdurer cette soirée de merde. Le blond ne pose qu’un simple regard sur les affaires regroupées, son attention rapidement ravie par les médicaments que son ami lui propose. « Pour le mal de crâne. » S’il n’est généralement pas un fervent partisan des médicaments, il doit bien avouer que ceux-ci ne seront pas de trop. Il les accepte sans un mot, n’ayant aucun mal à avaler le cachet sans la moindre goutte d’eau, ayant sans doute des affaires bien plus importantes à traiter dans sa vie en cet instant. Tout ce dont il a envie, c’est d’entendre la voix de Rory avec qui il a raccroché le temps d’entrer dans l’appartement et à qui il a promis de le rappeler dans cinq minutes. Se souvenant sans doute trop tard du temps qui file, l’anglais lui envoie donc un message pour s’excuser et lui promettre qu’il n’oubliera pas de le rappeler dès que possible. En attendant, il laisse sa main aux bons soins d’un Arthur plus doux que jamais, lui qui attrape son poignet du bout des doigts pour observer de plus près l’étendue des dégâts causés par le couteau - et non Murphy. Ce n’est que par habitude que Swann l’observe faire, et non par crainte d’une maladresse de sa part. Lorsqu’il dépose le coton imbibé d’alcool contre ses chaires abîmées, le blond détourne le regard, maudissant la sensation de brûlure sans pourtant émettre le moindre son. Son visage crispé parle sans doute pour lui. « Tu comptes me dire ce qui c’est vraiment passer ? » - “Je te l’ai dit, j’ai rencontré l’ex de Rory et ça s’est pas vraiment bien passé.” Il répète d’un ton neutre, comme s’il ne faisait que répéter un texte. Ce texte n’est que le reflet de la réalité, pourtant. Il se contente de ne pas ajouter le millier de détails expliquant avec précision le déroulé précis de la soirée. “Faut que je m’assoie.” L’anglais avoue rapidement, se sentant toujours trop surélevé alors qu’il était pourtant déjà assis sur le canapé. C’est à même le sol qu’il se retrouve rapidement, prenant soin de ne pas bouger sa main pour que son ami puisse continuer de la nettoyer. Le médicament ne peut pas faire effet immédiatement, il doit encore jongler avec sa tête prête à exploser et le pire reste à venir. Arthur échange un coton contre un autre, Swann voit les billes rouges s’accumuler dans un bol qui ne servait que ce matin encore à entreposer les céréales et leur lait. “Elle m’a menacé avec le couteau, je crois. Je m’en souviens pas vraiment. J’ai voulu le lui retirer des mains mais c’est par la lame que je l’ai attrapé.” Arthur fait tous les efforts du monde pour lui en cet instant, alors l’anglais se doit bien de lui rendre la pareille autant que possible. C’est ce qu’il fait avec un récit décousu, peu compréhensible, raconté d’une voix condensé alors qu’il relève ses genoux contre son torse pour mieux poser son bras par-dessus et y enfouir sa tête. Demain sera un jour meilleur. “Elle a tiré.” Mais elle l’a sûrement pas fait exprès non plus, elle a agi dans le feu de l’action. Elle ne savait pas ce qu’elle faisait, Murphy.

« Ça va faire mal. » C’est un je sais qu’il retient. Ce sont des mots qui n’auraient servi à rien. Bien sûr que recevoir des points sans anesthésie lui fera un mal de chien, il n’a même pas besoin d’avoir fait autant d’années de médecine pour le savoir. Le blond relève la tête lorsqu’il sent l’alcool lui monter aussitôt au nez et il attrape le verre par automatisme lorsque son ami le lui tend. “J’aurais pas pris ce médoc si j’avais su.” Et en temps normal, il n’aurait pas pris le risque de le combiner avec la moindre goutte d’alcool mais il faut croire que cette soirée le fait sortir du droit chemin. Tout ce qu’il se contente de faire, c’est râler, nouvelle habitude qui n’est généralement pas la sienne. « Je t’interdis de bouger. » - “Je le ferai pas.” Il va le détester et sans doute l’insulter de tous les noms dans son esprit, mais sa main contractée par la douleur ne bougera pas d’un iota.

Animé par la fatigue, la douleur, la tristesse et d’innombrables d’autres sentiments sur lesquels Swann ne saurait sans doute pas poser de mots, il trouve le besoin de continuer de parler à Arthur, ce même ami qui n’a pas joué le rôle de conseiller depuis bien longtemps, si ce n’est toujours. “Rory était dans la pièce d’à côté, il sait pas tout ce qu’il s’est passé. Il pense sûrement que c’est moi qui lui aie fait du mal, maintenant.” Se lamenter n’est pas dans les habitudes du blond, il se contente généralement de garder toutes ces pensées pour lui et de les stocker jusqu’à ce qu’il explose et qu’il ne soit trop tard. Habitude comme une autre, il sait qu’elle comporte quelques failles. Ce qu’il sait aussi, c’est que Rory est désormais auprès d’une ex-petite-amie aux deux avant-bras entaillés et que la seule personne présente au moment des faits, c’est Swann. Personne ne pourrait penser qu’elle s’est blessée délibérément - même l’anglais en vient à reconsidérer la véracité de ses souvenirs. “Je veux pas le perdre. Je l’aime.” Il est encore trop tôt pour qu’il s’agisse là des premiers effets de l’alcool, mais une telle sensibilité est largement à mettre sur le dos de la suite d’événements ayant précipitée sa soirée. “J’ai jamais aimé personne, à Londres.” Il n’a jamais aimé personne comme il l’aime, lui, et il n’avait jamais non plus pris le temps d’expliquer sa relation à Arthur. C’est sans doute chose faite, désormais.

Dans une minutie qui frise le ridicule, j’aligne avec précision chaque élément nécessaire à l’opération qui s’en vient. Je préfère ignorer la raison qui aura poussé Swann à conserver un kit de suture dans les placards de sa salle de bain et préfère m’appliquer à rendre chaque étape disponible dans l’idée de gagner quelques minutes. Non pas que l’exercice semble insurmontable, un étudiant de première année pourrait se charger de cela, disons que mon penchant pour la perfection m’oblige à une véritable précision dans l’unique but de ne pas laisser une affreuse cicatrice au creux de la main de Swann. Avant de tenter la moindre couture, je m’applique à désinfecter sa peau quand bien même un mince filet de sang ne cesse de s’écouler de l’entaille que je m’efforce de nettoyer. La coupure n’est pas belle, laissant imaginer la pression de la lame sur sa peau. « Je te l’ai dit, j’ai rencontré l’ex de Rory et ça s’est pas vraiment bien passé. » Mon regard se détache de la blessure pour mieux remonter vers son visage. Swann n’a jamais été particulièrement doué pour mentir, il sait donner la réponse qui pourrait en contenter beaucoup, mais je n’ai jamais appartenu à cette majorité. « Prends-moi pour un couillon. » Il ne reste qu’une seule option à cette histoire, une qui ne me plaît guère et qui sous-entendrait que l’on abuse de la gentillesse de Swann. « Faut que je m’assoie. » Il se laisse glisser sur le sol bien trop lentement à mon goût. Je peux bien lui promettre un atelier de couture maison, mais il est hors de question de gérer un malaise et tout ce qui s’en suit. Soirée de merde, n’est-ce pas ?

Je m’applique à faire cesser le saignement, concentré sur ma tâche, je ne vois rien de tous les rouages qui semble tourner à plein régime dans un coin de son esprit. Son silence parle pour tout le reste, il hésite, cela s’entend dans chacune de ses inspirations. « Elle m’a menacé avec le couteau, je crois. Je m’en souviens pas vraiment. J’ai voulu le lui retirer des mains, mais c’est par la lame que je l’ai attrapé. » - « Une idée de génie. » La remarque m’échappe avant même qu’il ne termine. « Elle a tiré. » Avec une telle force que la plaie lui mange la moitié de la paume et viens tout juste de cesser de saigner alors qu’une pyramide de coton imbibé d’hémoglobine a pris place dans le bol à ses côtés. « Donc ton mec était avec une folle hystérique. »[/color] Il va trouver quelque chose à redire l’anglais, j’entends d’ici toutes ses pensées qui se bousculent à tenter de trouver des excuses à cette fille. Il va dire qu’elle ne l’a pas fait exprès la pauvre, qu’il avait probablement dit quelque chose pour la vexer ou bien que tout cela n’était qu’un malentendu. « Arrête de lui chercher des excuses. » Il rumine pour dédouaner le monde entier, à vouloir se rejeter la faute pour ne jamais admettre que le problème vient bien trop souvent des autres. Il m’exaspère dans sa désolation. « Bouge les doigts pour voir. » Manquerait plus que je me laisse aller à lui donner des conseils et que l’on s’écoute jaser comme deux gonzesses. Mon attention tout entière se focalise sur sa main et ses doigts qu’il réussit à remuer malgré les grimaces de douleur.

Les gestes reviennent de manière instinctive. À défaut d’avoir une paire de gants à enfiler, je fais couler du désinfectant sur mes mains à nous en froncer le nez sous l’attaque de cette odeur entêtante. Par trois fois, je cherche l’angle parfait dans lequel apposé sa main pour que même le moindre soubresaut ne vient pas me faire planter l’aiguille au mauvais endroit. Jamais attentif aux autres, le lien avec Swann, c’est toujours avérer bien différent. Il fait partie des faibles, de ceux qui acceptent le blâme sans se défendre a courber l’échine pour toujours plaire au plus grand nombre. Il est docile là où je ne me plie jamais à l’autorité et surtout, il est profondément gentil quand je ne me soucie guère de mon prochain. Swann s’apparente à être mon parfait opposé et pourtant, il est bien le seul à n’avoir jamais perdu son titre d’ami. Pour lui, je fais un effort. Pour sa tête de chien battu qui m’exaspère au possible, je veux tout de même bien faire. « Rory était dans la pièce d’à côté, il sait pas tout ce qu’il s’est passé. Il pense sûrement que c’est moi qui lui aie fait du mal, maintenant. » Tout m’échappe dans son récit quand il est celui prêt à se faire recoudre sur un coin de canapé. Je suis sur le point de m’acquitter d’une énième remarque déplacée, mais Swann est loin d’avoir complètement vidé son sac. « Je veux pas le perdre. Je l’aime. » Et voilà qu’on va verser dans le pur romantisme coulant. « J’ai jamais aimé personne, à Londres. » Il est amoureux et je ne sais pas quoi dire, l’aiguille en suspend au-dessus de sa plaie. Est-ce qu’il s’attend à ce que je le guide ou je ne sais quoi ? J’en doute, mais lorsque nos regards se croisent, il ne me faut pas longtemps pour réaliser qu’il s’inquiète réellement. Si Swann n’a jamais aimé personne avant ce fameux Rory, je n’ai jamais aimé personne tout court. « Si tu t’attends à un conseil de ma part, c’est que t’as vraiment pris un sale coup. » Je ris légèrement avant d’inspirer pour me concentrer sur la tâche à venir. Les points doivent se croiser, il faut serrer, mais pas trop. Le mantra se répète en boucle dans mon esprit tandis que j’effectue le premier point. La douleur devient la meilleure des distractions pour ne pas avoir à me lancer dans une conversation qui n’a, à mes yeux, strictement aucun intérêt. Il ne bronche pas d’un millimètre Swann, mais la blessure est grande, la plaie profonde et cela va prendre du temps. Sans jamais relâcher du regard ce que je suis en train de faire, je finis par soupirer très rapidement. « Si vous êtes dans une véritable relation, il prendra le temps de discuter avec toi avant de lancer la moindre accusation. » Tout est lâché à la vitesse de l’éclair, marmonne dans un coin de ma barbe dans une maigre tentative de lui faire comprendre que l’accusé sans preuve résulterait à un échec profond d’une quelconque relation. Paradoxale venant d’un homme qui passe son temps à juger les autres par leur simple apparence ou appartenance sociale. S’il me demande de répéter, je jurerai n’avoir strictement rien dit. De toute manière, je dois me concentrer sur ma couture alors que mes doigts commencent à légèrement trembler sur la pression exercée. Tandis que je remonte vers l’intérieur de sa paume, Swann a un soubresaut incontrôlé, maigre indice de la douleur qu’il est en train d’endurer. Refusant de me lancer dans une quelconque conversation sur sa vie sentimentale, mais conscient que le silence ne l’aidera en rien à se détendre, je finis par dire le premier truc qui passe. « J’ai fait une overdose. » A défaut de lui parler de sentiments, je remets la balle au centre en lui délivrant une information que je n’avais révélé à personne auparavant. Cette soirée ne fais aucun sens.

« Prends-moi pour un couillon. » Ce n’est pas ce qu’il fait, il le jure. Il se contente simplement de repousser à plus tard une discussion qu’il ne se sent pas prêt d’avoir en cet instant même, surtout alors que Swann ne peut déjà qu’anticiper toutes les réactions que son ami pourrait avoir. Il aurait sans doute gagné à laisser sa concentration se poser ailleurs que sur les gestes qu’Arthur esquisse autour de sa plaie, mais il n’en est pas capable non plus. Tout ce qu’il sait, c’est qu’à ainsi lui dédier sa soirée, son ami mérite une explication plus précise de sa soirée et, surtout, de la façon dont tout lui a échappé. Éternellement égal à lui-même, l’anglais se contente de dédouaner Murphy de toute responsabilité, sincèrement assuré que toute la soirée n’a été qu’une suite malheureusement d’événements et qu’elle n’est pas à blâmer, s’étant elle aussi retrouvée blessée. « Une idée de génie. » La réaction d’Arthur le fait sourire, il est au moins un des rares n’essayant même pas de faire semblant de le caresser dans le sens du poil ou de le rassurer. Si Swann a profondément besoin que d’autres le fassent à sa place, il sait aussi que son ami de toujours agit parfois comme un vent de fraîcheur dans son existence. « Donc ton mec était avec une folle hystérique. » Il voudrait trouver quelque chose à redire à cela, c’est évident, mais il se contente de relever les yeux pour observer son ami devenir son médecin particulier pour la soirée. L’anglais préfère encore largement garder le silence plutôt que de lui donner raison: il aurait bien trop l’impression de dire du mal de Rory, ce qui est la dernière chose en ce monde qu’il voudrait faire. Même avec des excuses accumulées depuis plus de trente ans, il n’arrive pas à en trouver une à Murphy pour expliquer qu’elle ne soit pas une folle hystérique. Il l’aurait dit avec d’autres termes mais, au fond, l’idée reste la même. Au moins, il est heureux de pouvoir dire que leur relation amoureuse appartient au passé. Heureux et ô combien soulagé. « Arrête de lui chercher des excuses. » Il ne sait pas faire autrement. Chercher des excuses à autrui est sûrement inscrit profondément dans son adn. « Bouge les doigts pour voir. » Ce à quoi il s’adonne rapidement, ses yeux vrillés sur sa propre main comme si cela allait pouvoir l’aider à bouger les doigts. Swann le fait après quelques secondes, gardant pour lui ses grognements de douleur qui se contentent finalement d’être des grimaces. Les choses seront plus faciles d’ici quelques longues heures.

Sa main se retrouve entre celles d’Arthur, littéralement comme métaphoriquement, et Swann lui fait une entière confiance, bien assez pour qu’il n’essaye même pas de lui prodiguer le moindre conseil alors qu’il a assisté à plusieurs années de cours de médecine supplémentaires. Peu importe, il n’est pas médecin pour autant, encore moins habileté à faire des points de suture lui-même. Il aurait dû se rendre à l’hôpital pour les recevoir, tous deux le savent très bien mais personne n’en dit rien: Arthur fera du bon travail. Preuve en est, il prend le temps de s’appliquer à trouver le bon angle pour Swann de poser sa main, et l’anglais le laisse se décider sans se plaindre. Tout ce qu’il sait encore faire, c’est penser à voix haute et lui faire part de ses craintes, ces dernières étant uniquement liées à l’avenir de son couple plutôt qu’au temps que prendra sa main à guérir. La tête du blond a retrouvé sa place contre son bras, ses yeux vrillés en direction du sol. Il ne veut pas avoir à affronter le regard d’Arthur, peu importe ce dont il peut être fait. « Si tu t’attends à un conseil de ma part, c’est que t’as vraiment pris un sale coup. » Il rigole, l’anglais sourit doucement. “J’aurais fait tout le contraire de ce que t’aurais pu me dire.” Il confesse donc, sans grande surprise, les discussions personnelles n’ayant jamais tenues une part importante de leur amitié - encore moins les discussions autour de l’amour. Le sourire disparaît pourtant rapidement du visage blafard de l’anglais lorsqu’Arthur lui fait le premier point. Il serre les dents, garde ses jurons pour lui, tente de ne pas bouger malgré la douleur. « Si vous êtes dans une véritable relation, il prendra le temps de discuter avec toi avant de lancer la moindre accusation. » - “C’est sérieux, Arthur.” Leur relation est sérieuse, il ne peut simplement pas savoir à quel point puisqu’il ne connaît pas tout l’historique. Ce qui remonte à seulement quelques mois à ses yeux est en réalité vieux de six années, dont cinq passées ensemble. C’est une véritable relation, comme il le dit lui-même, et sur ce sujet au moins Swann n’émet pas le moindre doute. Ce qu’il craint déjà, c’est toute cette période pendant laquelle des doutes ne pourront que naître dans l’esprit de Rory, à juste titre, et qu’il ne sera pas présent à ses côtés pour lui expliquer ce qu’il s’est réellement passé.

Il n’est plus en capacité d’en dire davantage pour défendre son couple, son esprit accaparé par la douleur se voulant un peu plus vive à chaque nouvelle insertion de l’aiguille dans sa chair déjà meurtrie et fatiguée. Il esquisse un soubresaut incontrôlé, s’énerve contre lui-même sans rien dire, se contente de serrer un peu plus fort encore ses dents entre elles. C’est sur Rory qu’il essaye de se concentrer, à lui et à lui seul qu’il voudrait penser plutôt que de donner autant d’importance à une douleur paradoxalement présente pour le soigner. « J’ai fait une overdose. » Et aussitôt, il n’est plus capable de penser à rien d’autre, relevant subitement la tête en direction du brun pour tenter de capter son regard. Sa main bouge sans qu’il ne s’en rende compte, il en oublierait presque ce qu’ils étaient en train de faire. “Quand ça ?” Où ça ? Avec qui ? Il a beaucoup de questions à poser mais aucune qui ne saurait modifier le passé est, déjà, Swann est infiniment désolé de ne pas avoir su être présent pour lui à une époque où il en aurait eu besoin. “Je suis désolé.” Qu’il forme donc rapidement, sincèrement, ne sachant faire autre chose qu’être éternellement sincère avec Arthur.

« J’aurais fait tout le contraire de ce que t’aurais pu me dire. » - « Et t’aurais probablement finis par viser juste. » L’échange s’apparente à une pure plaisanterie, sans véritable surprise, les confessions n’ayant jamais été une facette essentielle de notre relation. Bien souvent, Swann s’essayait à quelques confidences qui auraient pu provoquer une conversation véritablement sérieuse. Il a sa manière de faire, cette façon si innocente d’aborder un sujet, qui m’a bien souvent amené à lui révéler quelques éléments dont je m’étais juré de ne jamais parler à qui que ce soit. Les discussions gravitant autour des relations impliquant le moindre sentiment ne m’ont tout simplement jamais intéressé et Swann a toujours su se garder d’oser s’aventurer sur un tel terrain en ma compagnie. On mettra cela sur le dos des années passées, de la nostalgie de notre complicité ou n’importe quelle autre connerie qui pourra justifier mon soudain – maigre – intérêt pour sa relation actuelle. Cela doit avoir affaire avec son air de chien battu, sa main esquinter ou le fait que jouer l’apprenti couturier m’engendre un stress particulier, mais me voilà à prodiguer un avis non teinté de sarcasme ou toute autre intention de moquerie. Une banalité propulsée d’entre mes lèvres à la vitesse de la lumière et qui sera immédiatement nier si un jour, il venait à m’en reparler. « C’est sérieux, Arthur. » Un instant, j’abandonne mon opération pour relever la tête en direction de Swann. Son regard est sans appel, empli d’une lueur de sincérité qui m’arrache un soupir. Il est amoureux et à mes yeux cela résonne comme la pire des sentences. « On est pas dans la merde avec ça. » A quoi bon prétendre aux félicitations quand il remet déjà en doute la confiance que ce fameux Rory semble placer en lui. Il est bien plus simple d’annihiler la moindre idée de romantisme, et de longue conversation sur son bonheur trouvé, en insérant à nouveau l’aiguille dans ses chairs. La douleur n’a jamais été une meilleure distraction.

Si j’ai tendance à toujours lui demander d’agir comme un homme, je réalise que la douleur engendrée par mes actions commence à lui devenir insurmontable. On est loin d’avoir tout le matériel adéquat pour tenter une anesthésie digne de ce nom, alors les confessions feront affaire de distraction. Je pensais juste jeter un pavé dans la mare, assez pour le tenir en place, pas pour le voir s’agiter soudainement. « Bouge pas ! » Je récupère sa main entre mes doigts, soudainement fasciné par mon travail et entrepris de la véritable mission de terminer ce que j’ai pu débuter sans jamais croiser son regard. L’aveu se veut étrangement intime, même devant les principaux témoins, je n’ai jamais consenti à utiliser le mot qui n’était que la véritable traduction de ce qui m’était arrivé ce soir-là. De la drogue, beaucoup trop, et un trou noir qui m’a fait copiner avec la mort pour une brève durée. « Quand ça ? » - « Fin juillet. » Et autant de mois de sobriété depuis, de quoi engendrer un véritable frisson à la seule pensée d’une trace de cocaïne. Je le vendrais lui et ses amourettes pour pouvoir y toucher à nouveau, mais ce n’est pas le genre de chose que l’on avoue à un ami qui s’inquiète toujours de trop. « Je suis désolé. » Bien sûr qu’il l’est sans même savoir pourquoi. « De quoi ? » Désolé de ne pas avoir été là ou désolé de ne pas l’avoir compris ? L’absurdité de ses excuses m’arrache un rire sans que jamais mon regard ne se détache de la paume de sa main. « J’ai même pas le droit à un "je te l’avais dit" ? » Le sarcasme s’emploie à devenir une arme de défense, n’importe quoi qui pourra donner l’illusion que l’événement était sans conséquence, juste une bosse dans le parcours, rien de marquant. « Bouge pas, j’ai presque fini. » Il lui reste une fenêtre d’ouverture, pour poser des questions et presque obtenir des réponses. Après cela, cette soirée n’aura jamais existé.

Défendre son couple face à Arthur est peine perdu. Il ne croit pas en l’amour, il ne croit pas en la fidélité, et c’est à peine s’il peut croire en la sincérité des sentiments. Il est sans attaches, Arthur, et c’est ainsi que Swann l’a toujours connu, tel son parfait opposé. Le blond, lui, a toujours espéré trouver le grand Amour un jour, celui avec qui s’imaginer le futur serait simple. Rory est cette personne, il est sa personne, comme il le lui a déjà confessé. Que son ami ne veuille pas l’entendre n’est pas un problème, l’anglais sait que ce n’est pas un ressentiment dirigé vers Rory en particulier et cela lui suffit pour passer l’éponge sur ses remarques acerbes. Il changera d’avis le jour où il tombera réellement amoureux, lui aussi. Même pour un cas désespéré comme le sien, Swann ne doute pas un seul instant qu’il saura trouver une personne qui le rend heureux et inversement. En attendant, il n’a pas besoin de vanter les mérites de son couple: ils n’ont rien à prouver, pas même à Arthur.

Quand son ami lui avoue avoir fait une overdose, l’attitude de l’anglais change du tout au tout et il en viendrait presque à oublier qu’il est en train de se faire recoudre les chairs. « Bouge pas ! » qu’il le ramène rapidement à l’ordre, ravivant la douleur de l’opération par la même occasion. L’esprit de Swann a beau être accaparé par la nouvelle qu’il vient d’entendre, la douleur ne s’évanouit pas pour autant. Pour autant, peu importe à quel point il déteste chaque seconde écoulée et ne rêve que de retourner à sa vie paisible, il consent à laisser de nouveau sa main entre celles d’Arthur, lui qui évite désormais soigneusement son regard. Il n’avait jamais connu son ami dans un tel instant. Il n’avait même jamais vu le brun troublé, à vrai dire. Il était toujours sûr de lui et conquérant, Arthur. Pour autant, le blond ne peut simplement pas se contenter d’écouter la nouvelle sans chercher à en savoir plus et, surtout, sans chercher à comprendre à son tour. « Fin juillet. » Une date, pour commencer. L’épisode remonte à quelques mois à peine, le cœur de Swann se serre - autant que le font ses dents à cause de la douleur. “Ça a un rapport avec ton arrivée ici ?” Il est arrivé trop peu de temps après pour que Swann puisse sincèrement croire que cela ne soit qu’un pur hasard. Il lui manque des parties du puzzle, c’est certain, et s’il doit glaner des informations alors cela ne peut être que ce soir. Après, le cœur de son ami se refermera aussi rapidement qu’il interdira l’accès à d’autres confessions.

Swann s’excuse sans qu’il n’arrive à se contrôler davantage, incapable de trouver autre chose à lui dire. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il aurait voulu être un meilleur ami, plus présent alors qu’il était encore en train d’essayer de peser le pour et le contre à l’idée de retrouver sa place d’antan auprès de Rory, en juillet, quand Arthur frôlait la mort. Il n’aurait jamais dû avoir à se questionner sur la relation qu’il voulait avoir avec Rory, et c’est du temps de gagné qu’il aurait pu concéder à leur amitié si précieuse, entre anglais. « De quoi ? » De quoi Swann est-il désolé ? Ce serait difficile de lister tant il est justement désolé de tout. Alors, il se contente d’hausser son épaule libre, ayant bien compris l’ordre de ne pas bouger. Tout ce qu’il souhaite, c’est qu’on arrête de triturer sa main alors qu’il sent que la douleur atteint un véritable point de non retour et qu’elle devient de moins en moins supportable à chaque seconde écoulée. « J’ai même pas le droit à un "je te l’avais dit" ? » Arthur rigole ; ce n’est pas le cas de son ami. “Tu sais que c’est pas mon genre.” Peu importe à quel point il pourrait le penser très, très fort: il ne dirait pas de tels mots, voués à faire bien plus de mal que de bien sur leur chemin. Tenir des reproches à Arthur ne changera pas le passé et n’amènerait rien de bon pour son futur, alors il préfère garder ses commentaires pour lui. De toute façon, ce n’est même pas ce qu’il pense: il est simplement heureux que son ami s’en soit sorti. « Bouge pas, j’ai presque fini. » Mais l’anglais a besoin de reprendre un peu d’alcool, parce qu’il sait bien que la douleur ne s’évanouira pas à l’instant où le fil aura été fini d’être cousu sur sa peau. Loin de là. Le pire reste sûrement à venir, mais son propre cas n’est plus ce qui l’intéresse désormais. “Accident ? Ou volontaire ?” Est-ce qu’il a voulu en venir, Arthur ? Est-ce que lui aussi, il a eu de telles pensées sombres ? Il demande, lèvres pincées, craignant sans doute bien trop la réponse qui pourrait lui être donnée.

L’aveu est lancé dans le simple désir d’occuper les pensées de Swann de manières suffisamment longue afin de le détourner de la douleur. En aucun cas, il ne s’agit d’un désir particulier de partager l’information avec l’anglais. Qu’importe s’il s’agit de la première fois, véritable, où j’ose prononcer ces quelques mots à voix haute. Même la psychologue du centre de désintoxication n’a jamais réussi à me faire admettre qu’il s’agissait bien d’une overdose et pas seulement d’un léger malaise à l’issue d’une soirée. Il était peut-être temps de dire les choses ainsi, quand le manque se fait ressentir et que, parfois, ou trop souvent, je ne saurais le définir, la drogue envahi mes pensées de manière incontrôlée. Je pourrais prétendre à bien des subterfuges, mais les pensées sont là, elles m’assaillent sous toutes les formes, rendant les nuits courtes et ma capacité de concentration parfois bien trop légères. Il serait idiot d’avouer cela alors que Swann a laissé sa main entre les miennes. C’est peut-être pour cela que je ne prends pas mon rôle à la légère, pour lui prouver que je suis capable, qu’importe l’aveu, qu’importent les erreurs du passé. « Ça a un rapport avec ton arrivée ici ? » Je pourrais mentir, prétendre à une envie de voyager, le désir d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Je pourrais trouver une parade, n’importe laquelle Swann ne viendrait jamais questionner mes propos. C’est peut-être parce qu’il n’utilisera jamais rien de tout cela contre moi que je baisse les barrières. Ou bien parce que je connais son secret depuis bien des années, le seul que je n’ai jamais laissé échapper, quand bien même on a su se disputer au fil de notre amitié. « Tu te doutes bien que le fils Coventry retrouvé à moitié mort lors d’une soirée ça fait jaser. » Parce que je n’étais pas seul chez moi, ce jour-là. Je m’étais écroulé dans une chambre ou une salle de bain, je ne sais même plus, chez l’un de mes pseudo-amis du moment, fils héritier d’un milliardaire qui intéressait mon père. « On m’a poliment demandé de quitter Londres. » Pour le bien de la famille, pour préserver Charlotte ou ne plus faire honte à mon paternel, je ne sais plus vraiment. Tous les arguments ont été avancés, il fallait que je parte, fin de la discussion.

Swann s’excuse sans même savoir pourquoi, il se désole d’un événement dont il n’aurait jamais pu avoir le contrôle. Je parie qu’il s’en veut de ne pas avoir su, de ne pas avoir compris dès l’instant où j’ai débarqué chez lui. Il rumine quand j’aurais presque voulu l’entendre affirmer que je l’avais bien cherché. « Tu sais que c’est pas mon genre. » Il n’est pas comme ça Swann, qu’importe ce qu’il pense, qu’importe si cela était amplement mérité, il n’oserait pas. Pas même avec moi. Pourtant, il serait probablement le seul dont les paroles auraient un quelconque impact. Tant pis. Je me concentre à nouveau sur sa blessure, il ne reste qu’un point pour refermer complètement la blessure. La moindre des réactions émanant de Swann me laisse comprendre que la douleur devient insoutenable. Sans me presser, j’en viens à clôturer le point. « Accident ? Ou volontaire ? » Sa question me heurte de plein fouet, vient réveiller bien des choses inavoués et entraîne mon corps à réagir de la plus stupide des façons. J’en viens a serrer avec force le nœud qui termine mon travail, au point de l’entendre laisser échapper un gémissement. « Tu me prends pour qui ? » Il a frappé en plein dans le mille Swann et me voilà sur la défensive. Il a visé le point qui fait le plus mal quand je n’ai aucune réponse valable à lui donner. « Ce n’était qu’un accident à la con. » Je n’ai pas voulu en finir. Qu’importe si Charlotte refusait de me parler, qu’importe s’il a été véritablement prouvé que ces gars-là ont abusé d’elle. Cela n’avait aucun rapport avec le divorce de mes parents, les actions de ma mère ou la trahison de Seth. Aucun lien ne pouvait en venir à déduire que mon geste se voulait comme la traduction des dernières années a erré dans un job que je déteste sans jamais trouver ce qui pourrait réellement me plaire. Confiner dans l’idée de devoir plaire pour continuer à exister. Ce n’était pas un acte désespéré, je ne suis pas un être faible. Il me faut me mordre la langue pour ne pas utiliser cet argument contre l’anglais. « On va pas faire un drame pour une dose de trop. » Celle pour laquelle j’ai insisté auprès de ce gars, quand mon cœur semblait exploser dans ma poitrine et que je me sentais déjà un peu trop partir. Ce n’était que sur le feu du moment rien de plus, je le jure.

Si mon regard ne croise jamais celui de mon ami, c’est parce que je termine de bander sa blessure avec précaution. Si je vole une gorgée de son verre, c’est juste parce que ma gorge est sèche, rien de plus.

« Tu te doutes bien que le fils Coventry retrouvé à moitié mort lors d’une soirée ça fait jaser. » Alors c’est bien pour ça qu’il est venu, Arthur: le prince a été déchu et chassé de ses terres pour que l’image de sa maison n’en soit pas trop entachée. Il n’est pas venu parce que son ami lui manquait, il n’est pas venu pour découvrir le monde. Pire encore, il n’est surtout pas venu de son propre gré. Lui aussi, à sa façon, a été forcé à fuir le pays. Lui aussi, Londres a failli avoir sa peau, d’une toute autre manière. La gorge de Swann se serre autant à cause de la nouvelle que de la douleur, maintenant, et s’il ne regarde pas son ami plus longtemps dans les yeux c’est parce qu’il se sait incapable de davantage cacher la douleur animant ses traits. “Je me doute, oui.” Il se contente donc sobrement de répondre, bien au fait qu’Arthur aime toujours aussi peu les épanchements d’émotions. Il ne veut pas de sa pitié, il ne veut pas savoir que l’anglais en ressent pour lui. « On m’a poliment demandé de quitter Londres. » Poliment. Tous deux savent ce dont il en retourne, Swann esquisse un sourire froid et faux alors que ses yeux restent rivés sur la table du salon qu’il ne sera plus jamais capable de voir de la même manière. Il préférait quand son ami s'exerçait sur des fruits quand il s’agit de sutures, c’est un fait. La douleur est plus grande à chaque nouvelle intrusion dans sa chair, il ne répond plus rien simplement parce qu’il resserre bien trop sa mâchoire pour laisser des mots s’en extirper.

Finalement, l’anglais en vient à poser la seule question qui le préoccupe réellement: est-ce que cette overdose n’était qu’un accident ou est-ce que son ami de toujours a pensé à en finir, d’une façon ou d’une autre, plus ou moins longuement, plus ou moins sérieusement ? Est-ce que son coeur a pensé une chose et son cerveau s’est ensuite chargé de l’exécuter, comme il en est coutume pour bien des choses de la vie ? La première réponse vient par un dernier point plus brute que les autres, lequel Swann ne doute pas un seul instant a été réalisé en toutes connaissances de cause. L’air qui passe entre ses dents siffle, il referme lèvres et paupières pour ne pas avoir à jurer. Finalement, lorsqu’Arthur en vient à couper le fil, c’est sa paume qu’il referme à son tour, bien plus doucement, bien plus paradoxalement aussi. C’est à peine si ses doigts se referment, en réalité. « Tu me prends pour qui ? » Le ton est donné. Il n’y a rien à répondre à une question posée uniquement par colère et détresse, Arthur se sentant comme un animal pris au piège. Swann n’a rien d’une figure négative, pourtant, et il voudrait que son ami accepte une bonne fois pour toutes le fait qu’il ne veut que son bien, même s’il mériterait bien souvent de payer pour les conséquences de ses actes stupides. « Ce n’était qu’un accident à la con. » - “Si tu le dis, je te crois.” Arthur s’emporte, Swann tente de le calmer. Il pose son dos contre le canapé, préférant encore rester sur le sol un instant. La tête relevée, il l’observe boire le verre auquel il a enfin droit. Sa main le brûle, il voudrait la couper pour qu’elle ne lui pose pas de problèmes: dès qu’il s’agit de sa personne, il se veut bien moins mesuré.

« On va pas faire un drame pour une dose de trop. » Et alors qu’Arthur bande la plaie avec précaution, l’anglais continue de se montrer docile. “T’as consommé, depuis ?” Inutile de préciser de quel genre de consommation il parle, Swann l’ayant observé (et bien souvent participé, à l’époque) sniffé toute la poudre à sa disposition pendant de nombreuses années. Ce n’est pas un secret entre eux, mais le blond ignore encore de savoir si cet événement l’a terrifié au point de le forcer à prendre une pause dans la consommation de drogue, ce qui serait un bien triste événement menant pourtant à une bonne résolution. “J’te dirai pas de consulter un psy. J’ai essayé et j’ai détesté. Mais si tu veux en parler après trois verres ou dix, tu sais que je te supporterai malgré tes insultes.” Parce qu’Arthur aura besoin d’alcool pour en parler ; parce que Swann a menti: il ne le croit pas lorsqu’il dit que tout n’était qu’un accident. Il n’a pas le visage d’un homme qui a fait une erreur, il a le visage d’un homme qui se demande comment il a pu rater une chose aussi simple que se donner la mort. Et l’anglais retrouve le même dès qu’il passe devant un miroir.

L’idée était parfaitement stupide d’utiliser cette information dans l’unique but de détourner son attention. J’aurais dû me douter que Swann allait se poser des questions, qu’il ne laisserait pas la nouvelle glisser comme si je venais d’évoquer un énième achat de voiture de luxe. « Si tu le dis, je te crois. » Il ne croit rien de tout ce que j’avance, mais préfère jouer la carte de la politesse lorsque sa main est encore entre mes doigts. Il ne remet rien en question, il approuve sans questionner plus longuement, mais je sens son regard qui s’attarde à mesure que mes pensées semblent galoper à plein régime vers les brefs souvenirs restants de cette soirée. Ce n’était qu’une erreur de parcours, je n’avais pas su mesurer les quantités, la fatigue, c’était jouer de mon raisonnement. On passera sous silence les multiples conflits qui m’avaient poussé à consommer chaque jour avant cette soirée, le désir d’oublier se faisait si puissant que la raison n’avait plus de place dans l’évaluation des risques. L’enchaînement des cocktails explosifs sans que jamais mon corps n’impose de limite avait jouer avec le désir de partir à la recherche de cette fameuse limite dont tout le monde n’avait de cesse d’évoquer. Je me pensais invincible, abattu autrement que par la prise de drogue, fracasser au-delà de tout ce qui se pouvait ramener à une quelconque raison. Ce n’était qu’une dose de trop, sans aucun rapport avec l’effondrement familial et les trahisons en tout genre, sans aucun lien avec les questionnements permanents. Juste une dose de trop, dans une soirée pas franchement mémorable, au milieu d’un tas d’inconnus à peine sensible à la cause d’un énième fils de riche qui flambe son héritage dans la cocaïne. Juste une soirée de merde avec ses conséquences. « T’as consommé, depuis ? » Mon regard reste fixer sur le bandage que je déroule avec précautions autour de la couture encore fraîche. « Pas vraiment. » J’étais bien trop surveillé à Londres pour oser tenter quoi que ce soit et ce n’est pas comme si je connaissais grand monde dans le coin. « Pas de cocaïne en tout cas. » Quelques joints pour prétendre, quelques médicaments qui n’ont servi à rien. Et si mes doigts tremblent légèrement à l’évocation de la poudre, on prendra cela pour un léger spasme après m’être autant concentré pour ne pas blesser davantage l’ami qui semble se donner un malin plaisir à se concentrer sur ma personne. « J’te dirai pas de consulter un psy. » Dieu merci. « J’ai essayé et j’ai détesté. Mais si tu veux en parler après trois verres ou dix, tu sais que je te supporterai malgré tes insultes. » - « Tu m’as pris pour une mauviette ? » Il voulait des insultes ? Il a l’habitude Swann, plus que n’importe qui d’autre. Il sait, lui. Il a compris avec une aisance qui me tord le bide. À croire que les années à distance n’ont rien changer, qu’il est toujours celui qui sait lire au-delà de l’image d’exposition. « Tu me gonfles quand tu fais ça. » Ce sera la chose la plus proche d’un remerciement qu’il pourra recevoir ce soir.

Les compresses ont fini à la poubelle, Swann est à nouveau installer dans le canapé et une nouvelle bouteille s’entame en douceur. Assis l’un à côté de l’autre, le regard fixer sur la télévision en sourdine, on laisse les tensions retomber. Je me sers mon troisième verre tel un chirurgien qui viendrait juste de sortir de l’opération la plus importante de sa carrière, avant de m’étaler à nouveau aux côtés de Swann, mon épaule contre la sienne. « Donc tu sors vraiment avec un gars ? » Tout pour oublier à jamais la conversation qui porterait mon nom. « Genre c’est pas une phase ? »

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La douleur semble bien plus supportable maintenant que tous ses soucis sont tournés vers son ami bien plus que sa propre personne et les répercussions de cette altercation dans sa vie. Désormais, c’est en direction d’Arthur que son regard brillant de souci est tourné, surtout alors qu’il ne croise pas celui de son homologue anglais. S’il se retient de lui faire part de tout son souci, il n’en existe pas moins pour autant. Simplement, Swann le connaît assez pour savoir à quel point il détesterait l’idée qu’il s’en fasse pour lui, surtout pour une consommation de drogues qu’il ne peut qu’à moitié contrôler. Il pose des questions qu’il déteste simplement parce qu’il a besoin de savoir, quitte à ce qu’Arthur ne lui réponde finalement jamais puisqu’il est dans son caractère de se refermer comme une huître dès qu’il en a la moindre occasion. « Pas vraiment. » Pas vraiment, ce n’est pas non plus “non”. Pas vraiment, c’est ce qu’on dit lorsque la réponse est positive mais qu’on ne veut pas l’assumer de façon aussi directe. Swann garde une moue et le moindre commentaire pour lui. « Pas de cocaïne en tout cas. » Le blond grimace lorsque son ami resserre doucement une dernière fois le bandage autour de sa plaie. Il préfère que cette grimace soit excusée par la douleur plutôt que le souci grandissant pour son ami, alors que son coeur est déjà lourd depuis la soirée écoulée et les problèmes généraux de sa vie. Non pas qu’il refuserait de s’occuper de son ami d’une façon ou d’une autre mais tout l’assomme en cet instant, et Swann sait n’avoir ni le courage ni l’énergie d’avoir une plus longue discussion à ce sujet. Il tente de se rassurer comme il peut, s’accrochant à l’idée qu’Arthur est toujours vivant, face à lui, et vraisemblablement en bien meilleur état de santé que lui-même. « Tu m’as pris pour une mauviette ? » Swann souffle, résigné. Ils sont arrivés au point de la conversation où son ami se contentera de se braquer, préférant voir le blond comme un ennemi plutôt qu’une personne qui voudrait l’aider. Paradoxalement, seule la première hypothèse est moins douloureuse à croire. De son côté, le kiné ne relève pas l’insulte, le connaissant trop bien pour savoir qu’il n’agit là que dans une tentative pour se protéger, en disant tout ce qui lui vient à l’esprit. « Tu me gonfles quand tu fais ça. » - “Toi aussi, Arthur.” Il aimerait que les choses puissent être plus simples entre eux. Si seulement. Pour le moment, il se contente de lui répondre d’une voix ferme mais ô combien désolée.

Contre le canapé, l’anglais tente de trouver une position confortable qui aurait le super-pouvoir d’apaiser son âme. Du coin de l'œil, il observe son ami nettoyer la scène de crime, désormais bien plus préoccupé par ses mots qu’il ne l’a finalement jamais été de sa propre blessure. La chair guérit toujours et il met toutes les chances de son côté, refusant de se servir plus d’alcool qu’il n’en a déjà eu. D’ici quelques heures, une courte nuit à peine, il sait qu’il retrouvera Rory et il souhaite avoir tout son esprit pour ça. « Donc tu sors vraiment avec un gars ? » Ne s’attendant pas à une telle question, il souffle brièvement en guise d’amusement. « Genre c’est pas une phase ? » Une phase n’aurait jamais pu le rendre aussi heureux. “On est ensemble depuis plusieurs années, mais c’est peut-être une grande phase ?” Il reprend, remontant son regard dans le sien avec un maigre sourire, sous-entendant toute l’ironie de ses paroles. Non, bien sûr que non Rory n’est rien de comparable à une phase, à un besoin de rébellion, ou à n’importe quelle connerie dans le genre qui aurait pu être une parfaite excuse à son couple homosexuel. “Je l’aime. Je te l’ai dit.” Il reprend d’un ton bas mais ferme ne voulant pas laisser passer la moindre once de doute entre ses mots. Et pour cause: il n’a aucune raison de douter. “Je vais essayer de dormir et j’irai le voir demain matin. Tu me feras passer un interrogatoire une autre fois.” Il en aurait tous les droits puisqu’il ignore beaucoup de choses sur sa relation, si ce n’est tout, mais Swann estime que le moment n’est pas approprié pour une telle discussion: Rory mérite mieux que ça. “Moi aussi j’aurai des choses à te demander.” Il annonce, prévient, avant de reporter son attention sur la télévision et le programme qu’il n’écoute pas.

Les confessions deviennent confuses et les émotions se mélangent. Tout ne devait tourner qu’autour de la désastreuse soirée de Swann, jamais la conversation n’aurait dû s’orienter sur les véritables raisons de ma présence à ses côtés dans ce pays à des milliers de kilomètres de Londres. L’anglais est doué à ce point-là pour détourner les conversations et vous obliger à en lâcher un peu sur la table. Je devrais m’y être habitué avec les années et pourtant, je finis toujours par plonger tête baissée dans ce piège dissimulé. Ses intentions sont bien loin d’être mauvaise, mais je n’ai aucunement envie de m’étaler sur les raisons de mon addiction, ce qui m’a poussé à traverser les limites et les différents ultimatums imposés par mon géniteur. Ce genre de conversation réclame une dose d’alcool faramineuse et une heure bien plus tardive. « Toi aussi, Arthur. » On s’insupporte l’un l’autre dans ce cas, les cartes sont jouées, il n’est pas nécessaire d’épiloguer.

Soudainement, il n’y a plus de blessure physique à panser, plus de gestes à réaliser pour cacher les regards appuyés et les pensées qui fourmillent. L’un à côté de l’autre, il ne reste que le poids de cette soirée particulière et les questions qui en découlent quand même. « On est ensemble depuis plusieurs années, mais c’est peut-être une grande phase ? » Et je réalise qu’il y a bien des étapes que j’ai loupé dès l’instant où il a quitté l’Angleterre pour se réfugier ici. Des années et pourtant, il avait bien parlé d’une fille, non ? Il est peut-être mieux de garder les questions pour plus tard. « Je l’aime. Je te l’ai dit. » Je l’entends sa détermination, elle est si familière. « C’est le problème avec toi Swann, t’aime tout le monde. » Il aime vite et fort, sans jamais prendre le recul de la réflexion et en donnant tout ce qu’il possède sans pour autant réaliser que parfois il ne recevra rien en retour. C’est ainsi, qu’il veuille l’admettre ou non. Il pourrait bien me le reprocher, je n’en rien à faire. Je me servirais bien un autre verre. « Je vais essayer de dormir et j’irai le voir demain matin. Tu me feras passer un interrogatoire une autre fois. » Le deal semble assez juste. « Moi aussi, j’aurai des choses à te demander. » - « Alors on verra ça un autre jour. » Le plus éloigné dans le futur possible, parce qu’il y a des conversations qu’aucun de nous deux ne souhaite avoir réellement. Pour ce soir, on se contentera d’un second verre, devant une émission de téléréalité complètement déconnecté du monde. C’est bien aussi, c’est suffisant parfois.