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Les fêtes de fin d’année étaient toujours un peu curieuses pour Yasmine. Le melting-pot que formait sa famille avec les Jaafari et les Davis, c’était plus ou moins ce qui avait vraiment poussé les Khadji a s’intéresser à ces traditions-là. Et encore, elle estimait avoir toujours beaucoup de choses à apprendre pour se rapprocher de l’aficionado du concept — elle avait des notes à prendre, des échelons à grimper avant de devenir un petit lutin du bonhomme rouge, c’était certain. Mais c’était plutôt plaisant finalement, d’évoluer dans autre chose, et de se laisser gagner par la frénésie entourant Noël. Ce n’était pas ses coutumes, elle était loin d’avoir la science infuse en la matière d’ailleurs. Elle tachait néanmoins de comprendre l’histoire derrière la tradition, et elle pouvait parfaitement faire illusion ; les récits qu’elle entendait étaient jolis, aussi doux qu’ils étaient féériques, et ça la rendait avide de savoir.
Quand elle voyait décembre arriver, elle se laissait aller à l’élaboration de listes de cadeaux qui, d’année en année, s’allongeaient au fil des rencontres qu’elle faisait. Cette année, ça avait quelque chose de particulier, et même ses parents, qui restaient toujours un peu en retrait de ces célébrations là, semblaient motivés à l’idée de penser à autre chose. Ils avaient hâte d’accueillir Qasim, Olivia et les enfants, et Yasmine devait admettre qu’ayant été d’un grand secours pour elle ces derniers temps, elle était aussi impatiente qu’eux de pouvoir les gâter sous couvert de remerciements qu’elle leur avait déjà largement présentés, mais qui à ses yeux, n’étaient pas dignes de la main qu’ils lui avaient tendue sans même hésiter. L’année avait été compliquée pour tout le monde, si la lumière au bout du tunnel était verte et rouge, ce n’était pas si grave d’après les propres dires de Fatima. Il fallait se contenter des bonnes choses, et c’était dans cette optique que Yasmine envisageait le mois en cours.
Ce n’était pas toujours simple, mais elle faisait face avec une dignité toute singulière, qui lui était propre. Depuis son retour à Brisbane, elle avait repris une routine bien huilée, qu’elle avait su rendre moins habituelle néanmoins en y ajoutant des petits rites pour s’accrocher au mieux qu’elle ressentait. Elle redoutait la thérapie qu’elle avait commencé, mais la première séance à laquelle elle s’était rendue s’était avérée salvatrice, et la femme qu’elle avait eu en face d’elle s’était montrée d’une délicatesse rare à son encontre ; d’aucun dirait que c’était son métier d’agir de cette manière, d’être aussi douce et compréhensive, sauf qu’elle savait que non, ce n’était pas donné à tout le monde d’être aussi emphatique, et l’espoir qu’elle avait senti se réverbérer sur elle lorsqu’elles avaient discutés de ses difficultés récentes, c’était aussi un bon allié pour continuer sur cette lancée qu’elle avait emprunté pour soigner des blessures beaucoup plus profondes qu’elle voulait bien le laisser paraître. Si on lui demandait, elle répondait qu’elle allait bien, et ce n’était pas faux, il y avait juste quelques variations de temps à autre qu’elle savait de plus en plus déceler et rendre de moins en moins bouleversantes au fur et à mesure que le temps passait ; son anxiété faisait des siennes, mais elle réussissait à remonter assez vite à la surface pour reprendre de l’air, et respirer. Edge l’aidait beaucoup aussi, simplement en étant là, et en anticipant les moments où elle se sentait basculer vers des songes et des suppositions. S’ancrer dans la réalité, c’était devenu vital à ses yeux, et c'était sans doute pour cette raison que cette année, les fêtes avaient une autre saveur pour elle ; ça lui occupait l’esprit d’une façon plus saine que toutes ces fois où elle avait essayé de se détourner des secrets qu’elle gardait en elle.

Elle devrait se scinder en plusieurs morceaux cette année, elle le savait. Ce n’était pas un problème, et tout le monde semblait l’accepter avec plus ou moins de bonne volonté. La nouveauté, c’était que cette année, Sohan ne serait pas mis en retrait du moment que les Khadji passeraient avec le reste de la tribu rapportée qu’ils formaient avec leur entourage proche, et ça la remplissait d’une joie supplémentaire. Lui non plus n’était pas tellement coutumier de ce genre de choses, mais ça lui faisait du bien de se dire que, cette fois, il participerait à la fête, entouré de tous, sans qu’ils ne soient obligés de composer avec la rancœur que ses parents lui avaient longtemps réservée en se bricolant une soirée de secours. C’était ce qui l’avait enjointe à le faire venir au Queen Street Mall aujourd’hui. Sous un prétexte qui n’en était pas un à dire vrai, parce qu’elle avait véritablement de emplettes à faire pour remplir la liste qu’elle tenait à la main, l’attention brusquement dirigée vers l’encart d’un flyer collé contre une vitre devant laquelle elle s’était arrêtée le temps de quelques secondes.
"Je savais pas qu’il y avait une collecte de jouets, c’est adorable." lança-t-elle, les yeux brillants, en direction de son frère, flanqué derrière elle. Ça faisait déjà une bonne heure qu’ils tournaient au milieu des artisans installés pour l’occasion, et les paquets qui pesaient lourds à son poignets lui rappelèrent qu’elle avait eu la main leste sur le portefeuille — et l’idée qu’elle eut à ce moment-là ne lui ferait certainement pas faire des économies, mais Sohan connaissait Yasmine. Il y avait fort à parier qu’avant même qu’elle ne se retourne sur lui, toupillant avec grace, il devinerait ce qu’elle allait lui demander "Sohan, j’ai une idée." La tête inclinée, les yeux brillants encore plus fort, une partie de ses cheveux relativement courts remontée en un chignon lâche qui lui donnait l’air aussi angélique que les bibelots survolant la grande allée du centre commercial, elle se retint de battre des cils pour affirmer son avantage de petite-sœur à qui on ne pouvait rien refuser "Je sais qu’on est là pour nos listes de cadeaux, mais…" Mais le magasin de jouets étaient à quelques pas seulement. Elle avait déjà fait ce genre de choses pour le service pédiatrique du St-Vincent, choisir des jouets pour qu’ils soient redistribués, et quand bien même ça ferait monter la facture à la fin de la journée, l’occasion était trop bonne et l’intention l’était encore plus "Juste quelques-uns. En plus, t’auras le droit à un rabais sur les crêpes. C’est mauvais pour ta ligne, mais pense à la joie immense des enfants quand ils auront ces jouets entre les mains." Et elle n’attendit pas tellement qu’il lui donne une réponse positive. Yasmine, la tête rentrée dans les épaules avec facéties, harponna doucement le bras de Sohan pour, l’air de ne pas y toucher, le guider vers l’entrée du magasin de jouets.

Noël pour Sohan était une période un peu particulière. Il n'avait pas grandi en célébrant cette fête. Elle n'avait jamais fait partie des traditions de sa famille, mais d'un autre côté, il avait grandi avec les enfants de sa classe, revenant de vacances, s'informant avec enthousiasme des cadeaux que leurs camarades avaient pu recevoir du Père Noël. Il avait toujours compris que la différence était culturelle. Il ne s'était jamais senti lésé de ne pas célébrer. De ne pas avoir de cadeaux gracieusement disposés au pied d'un sapin le matin du vingt-cinq décembre. Les traditions liées à cette fête, il en avait pris connaissance parce qu'il vivait en Australie et qu'ici, c'était important. Il avait tout appris de ses amis, de ce qu'il pouvait voir dans les films ou dans les publicités. Il était persuadé qu'il avait encore des choses à apprendre. Il n'était pas au point sur toutes les subtilités. Il s'abstenait bien souvent de mentionner ce fameux Père Noël devant les enfants, par peur de la bourde. Du mot en trop qui viendrait mettre fin à une croyance à laquelle ils étaient attachés. Il avait aussi toujours eu du mal à comprendre pourquoi Noël était synonyme de cadeaux, pourquoi ce jour avait été choisi plutôt qu'un autre. Il comprenait cependant le contexte religieux, comprenait pourquoi cet événement particulier pouvait être important pour ceux qui y croyaient. Il ne jugeait pas. Jamais. Il n'hésitait pas à participer. Loin de lui l'idée de revêtir son costume de Grinch sous prétexte que cette fête ne signifie pas grand-chose, voire rien du tout pour lui. Il est content de participer. Lui aussi, il apprécie cette ambiance. Il aime voir la ville se couvrir de décorations, les vitrines arborer du rouge, du vert et du blanc en guise de palette de couleur. Il aimait aussi voir le contraste entre l'Australie et le reste du monde occidental. Les effigies de Père Noël en short, surfant sa meilleure vague n'avaient absolument rien à envier à l'homme bedonnant dans son costume rouge et blanc.

Yasmine n'avait pas eu à le forcer pour le faire venir avec elle au Queen Street Mall aujourd'hui. Elle n'avait pas non plus eu à lui rappeler de préparer une liste de cadeaux qu'il souhaitait acheter et offrir à leur famille au sens large. Des idées, il en avait des dizaines en tête. Il avait même plusieurs options de cadeau, pour chaque personne. Au cas où il ne puisse pas mettre la main sur son choix numéro un. Il ne célébrait pas Noël et pourtant, il était peut-être mieux préparé que quelqu'un ayant grandi dans une famille australienne lambda. Autant lui que Yasmine n'avait pas mis bien longtemps à se retrouver les mains chargées de sacs, remplis de cadeaux. Il semblait ne pas y avoir un seul magasin capable de leur résister. Sohan passait un bon moment. Un très bon moment qui venait chasser les mauvaises passes de cette année. Un très bon moment qui venait repousser le nuage noir qui avait voulu s'installer au-dessus de leur tête et de celle d'Amjad en particulier. Il oubliait un peu tout cela, il se concentrait sur le présent et sur le futur proche aussi. Il pensait à ces bons moments qu'il allait passer avec sa famille. Qasim et Olivia seront de la partie. Le temps allait être à la fête, c'était certain. La surprise d'avoir été invité par sa mère comme s'il n'avait pas été absent de toutes les fêtes de famille ces dernières années avait été remplacée par l'excitation. Il est sur sa lancée, mais s'arrête quand même quelque instant quand Yasmine marque un arrêt, les yeux rivés sur un flyers, collé sur la vitrine du magasin devant lequel ils s'apprêtaient à passer. Lui, il s'arrête sur le décor de la vitrine, joliment pensé, les casse-noisettes les regardant par vitre interposée. Il n'entend qu'à moitié ce que Yasmine lui dit et se tourne vers elle. "Pardon ?" demande-t-il, avant de se pencher vers le flyers. Une collecte de jouets. Voilà ce dont Yasmine venait de lui parler. "Je savais pas non plus. Tu penses qu'il y a beaucoup de monde qui participe ?" Il demande, mais dans le fond, il se dit que la réponse est évidente. Il pense que oui. Ou tout du moins, il espère que les gens donnent. Qu'ils partagent ce qu'ils ont avec ceux qui n'ont rien durant cette période si particulière. Quand il pose de nouveau les yeux sur sa soeur après avoir parcouru une dernière fois le flyers, il la voit venir. Il la voit venir de loin avec ses grands sabots. Son idée, il est certain qu'il vient d'avoir eu la même. Elle n'a même pas besoin d'en dire plus. D'ailleurs, elle n'a même pas besoin de lui demander s'il est d'accord. Elle a encore moins besoin d'insister. "Je prends les crêpes en plus sans hésiter, mais t'avais pas besoin d'en faire autant. Tu m'as bien regardé ? Tu crois que j'allais dire non ?" Lance-t-il, prenant presque un air choqué que sa sœur ait pu penser qu'elle allait avoir besoin de marchander pour l'entraîner avec elle dans le magasin de jouets. "Tu penses qu'ils ont des listes de ce qu'ils veulent qu'on achète, ou alors, on prend ce qu'on veut et ils se débrouillent ensuite pour les donner à des enfants à qui ça pourrait correspondre." Parce que c'était important. Il y avait fort à parier que ce cadeau serait l'un des seuls, si ce n'est le seul que ces enfants recevront pour Noël, ils ne pouvaient pas se louper. Ils leur devaient au moins ça. "On se dit quoi ? Deux cadeaux chacun ? Un pour un garçon et un pour une fille ? Plus ? Ou on est déjà dans l'excès là ?" S'enquiert-il alors qu'ils entrent dans le magasin avant d'ajouter. "Je ne me rends pas compte." Parce que si ça ne tenait qu'à lui et s'il disposait d'un compte en banque ne se vidant jamais, il achèterait le magasin pour redistribuer les jouets, mais ça, ça restait du domaine de l'utopie. Eux, il fallait qu'ils agissent à leur échelle, ce qui était déjà bien.

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"J’espère. Mais c’est pas censé être une période de partage et de générosité ?" répondit-elle à son frère quand il lui demanda s’il y avait beaucoup de monde qui participait à cette collecte de jouets. Yasmine ne lésinait pas souvent sur la générosité, c’était une valeur qu’elle avait rapidement acquise, aussi elle n’était pas sans savoir que chez certains, ce n’était pas aussi évident que ça. Elle n’apportait aucun jugement à ça, chacun voyait midi à sa porte et se retrouvait avec sa conscience quand il était seul. Mais en sachant ça, elle n’était pas sans penser qu’elle était sans doute un peu naïve en souhaitant que chacun soit assez indulgent pour mettre la main au porte-monnaie. A dire vrai, elle ne s’en souciait pas tellement à cet instant-ci, déjà en train de mettre en place sa tactique pour convaincre Sohan de bousculer leurs plans et de partir en quête des jouets parfaits à choisir pour remplir la hotte du Père Noël.
Son bras harponnant déjà celui du jeune homme, elle prit une mine innocente lorsqu’il sembla s’offusquer de la manière dont elle l’appâta pour qu’il le rallier à sa cause. Dans en semblant d’étreinte, le bras de son frère serré au creux du sien, et son menton posé sur son épaule, elle fronça le haut de son nez poinçonné de taches de rousseur en lui disant "Je sais que c’est pas ta période préférée non plus, j’ai pensé qu’il fallait un petit plus pour ranimer le petit lutin qui sommeille en toi." Elle lui tira doucement le lobe de l’oreille, comme la petite-sœur un peu agaçante qu’elle n’avait pourtant jamais été. En secret, ça la fit sourire d’imaginer son frère dans un habit de lutin du Père Noël… seulement elle ne s’appesantit pas sur cette image en particulier, même si elle laissa un rire lui échapper pendant qu’elle se redressait. Elle le ravala rapidement, desserrant légèrement sa prise sur le bras de Sohan pour remonter les paquets qui pendaient à son poignet et jeta un œil au chemin qu’ils foulaient tous les deux et qui menait directement au magasin de jouets ; le tout sur un air de Noël particulièrement entêtant qui la fit très discrètement fredonner avant qu’elle ne s’arrête pour répondre à Sohan "On doit pouvoir avoir carte-blanche. Au pire, on verra une fois qu’on sera arrivés, et on se répartira la liste pour contenter tout le monde. T’as déjà des idées ?" C’était un coup à adoucir des frustrations enfantine enfouies au plus profond, de partir à la recherche des jouets parfaits. Ils n’avaient jamais manqué de rien, les enfants Khadji, mais ce n’était un secret pour personne qu’Amjad et Fatima avaient eu beaucoup de chance aussi d’élever des enfants très peu exigeants en la matière. Yasmine ne se souvenait pas d’avoir joué à la Barbie, et ce n’était pas tant par manque d’intérêt, elle avait seulement préféré se distraire avec les jeux de société usés de son frère, n’étant pas la dernière non plus à faire tourner son imagination pour se concocter des univers dans lesquels elle n’avait besoin de rien d’autre que du paysage  luxuriant qui l’entourait, pour ne pas obliger qui que ce soit à dépenser plus qu’il n’était nécessaire. Le seul vrai caprice qu’elle avait eu à l’époque, c’était la peluche de tigre qu’elle avait reçu pour son cinquième anniversaire et qu’elle gardait toujours aujourd’hui comme source inépuisable de réconfort. Son parfait état — relatif, à dire vrai, il avait souffert du temps tout de même — traduisait le soin qu’elle y avait apporté pendant des années en gardant à l’esprit qu’elle avait été coûteuse, tandis que la petite-fille qu’elle avait été alors c’était prise d’affection du compagnon de Jasmine dans le dessin-animé de Disney et s’était montrée intraitable sur ce qu’elle souhaitait pour son anniversaire. Entre ça, et la panoplie de docteur qu’on lui avait offerte très tôt et qui avait semé les graines de sa vocation, il s’agissait sans doute des seuls jouets neufs qu’elle avait eu, et jamais elle ne l’avait regretté.
Néanmoins, l’éventualité de traîner dans un endroit où il était permis de rêver, quand on était un adulte qui touche un salaire, c’était un peu dangereux — surtout quand il s’agissait de gâter ceux qui en avaient le plus besoin. Et il n’y avait qu’à le voir, les yeux brillants d’expectative, prête à dénicher ce qui plaisait à coup sûr aux enfants. Et visiblement, elle n’était pas la seule à avoir hâte dans le fond, comme en témoignait ce que lui dit son frère, et qui fit naître un nouveau sourire sur son visage quand elle le tourna dans sa direction "Moi non plus, je me rends pas compte. J’ai l’impression que deux chacun, c’est trop peu." Elle fit mine de réfléchir, et comme si elle se lançait dans la résolution d’un problème de mathématiques compliqué, elle posa un doigt sur le centre de sa bouche "On va vouloir tomber dans le cliché des jeux de guerre pour les garçons et des jeux de dinette pour les filles. Tu crois pas qu’on devrait plutôt y aller à l’instinct, sans se soucier des clichés de genre, et faire le tri une fois qu’on aura fait notre choix ? De toute façon, ils seront distribués à l’aveuglette." Cette phrase qu’elle prononça, elle lui fit réaliser que ce serait de cette manière qu’elle aimerait gâter ses propres enfants si elle en avait. Ça la ramena un court instant à ce monde auquel elle tentait d’échapper depuis juillet et qui la rendait prisonnière d’éventualités qu’elle savait impossible à contenter — pour l’instant tout du moins. Elle marqua un temps de silence, pas assez long toutefois pour qu’elle prenne racine dans ce fameux monde que son esprit convoitait trop souvent, et elle ajouta avec un peu plus de sérieux, tandis qu’elle retrouvait une posture normale et qu’elle se recula doucement pour laisser Sohan libre de tout mouvements "Il faut quelques jeux d’éveil pour les bébés aussi, la collecte n’est pas seulement réservée aux plus grands." Elle hocha la tête, et quand ils arrivèrent enfin devant le magasin de jouets, elle força un sourire qu’elle adressa à son frère, balayant ses pensées d’un revers de bonne humeur quand elle lui demanda avec enthousiasme "On se donne quoi, une bonne heure pour faire le tour ?"

Il hausse les épaules, Sohan. Si, effectivement, Noël était une période de partage et de générosité. Plus que les cadeaux, c'était ces fondements-là qu'il retenait de cette période de fin d'année. Il n'était cependant pas sûr que tout le monde soit dans le même cas. Où alors, il se disait que certains devaient peut-être se reposer sur leurs lauriers, se contenter d'étendre ces moments à leur famille proche, sans peut-être penser que d'autres n'avaient pas la chance de pouvoir profiter. Il ne les jugeait pas. Il n'était pas du genre à jeter la pierre. Il était pleinement conscient que certains ne pouvaient se permettre de faire des folies malgré une période propice à la dépense. Certains se démenaient déjà pour faire plaisir à leurs proches et n'avaient pas vraiment le moyen de faire plus que cela. Ça restait admirable. D'autres n'y pensaient peut-être pas. Il se comptait même là-dedans. Il avait beau ne pas fêter Noël, il n'avait jamais été étranger aux traditions qui accompagnaient cette fête. Pour autant, il ne pouvait pas prétendre s'être rapproché chaque année d'associations afin de faire profiter ceux pour qui c'était important. Il ne comptait pas le nombre d'années où il était resté loin de tout cela. Il ne célébrait pas. Il n'avait donc aucune raison de se retrouver les bras chargés de cadeaux à ne plus savoir quoi en faire. Ca ne voulait pas forcément dire qu'il n'était pas généreux. La preuve en était qu'il était finalement là, aujourd'hui, avec Yasmine, des sacs dans les mains comme témoins de leur virée shopping du jour. Leur contenu allait sans aucun doute mettre des sourires sur des visages. Cependant, il ne pouvait garantir que sans elle il se serait arrêté devant cette vitrine pour prêter attention à l'affiche qui y était collée. “Normalement, mais je me dis qu'il y a bien une bonne poignée de gens qui voient ça et se dit qu'il y a beaucoup de monde qui doit participer et donc ils ne participent pas.” Il hausse les épaules une fois de plus. Il se dit que c'est une possibilité, mais pas que. C'est aussi une raison de plus pour qu'eux participent. Pour qu'ils ne soient pas de ceux qui se reposent sur la potentielle générosité des autres. Ca le fait sourire que Yasmine se soit sentie obligée de l'appâter à coup de crêpes. Oui il n'a jamais été un grand fan de Noël et de toutes ces fêtes familiales. D'autant plus quand il était en froid avec ses parents. Pour lui, c'était comme le souvenir de ce qu'il avait perdu et de tous les moments précieux dont il ne faisait plus partie. Cependant, il était adulte. Il pouvait gérer. Des enfants n'avaient pas à le faire et qu'importe les circonstances, s'il pouvait faire en sorte de leur apporter un peu de bonheur grâce à quelques cadeaux, alors, il le faisait avec plaisir. “Il était déjà bien là le petit lutin, mais maintenant qu'il sait qu'il aura quelque chose à se mettre sous la dent après, tu peux être sûr qu'il va bien travailler.” Répond-il à Yasmine en riant avant de profiter de la proximité de sa soeur pour lui ébouriffer doucement les cheveux. Il la suit sans se faire prier. Leur destination se trouvant droit devant eux. Il hoche la tête de haut en bas pour acquiescer quand elle lui demande s'il a des idées. “Rien de fou, mais je pensais à des legos déjà, je me dis que même si c'est un cadeau qu'un seul enfant recevra, il pourra jouer avec d'autres et ça à le mérite d'occuper un moment. Ou des jeux de société aussi, c'est toujours fun ça permet de jouer à plusieurs.” Il ne sait pas trop ce qui se fait réellement aujourd'hui, mais il peut affirmer sans trop douter que ces deux choses sont des incontournables qui traversent les âges. “Après je suis sûr qu'une fois dedans on aura que l'embarras du choix avec les articles phares en tête de gondole au cas où on manque un peu d'inspiration.” Il se connaissait. Il connaissait Yasmine tout autant. Il ne s'inquiétait pas vraiment d'un quelconque manque d'inspiration. Bien au contraire. C'était plutôt le trop plein d'inspiration qu'il redoutait. Avec sa soeur, ils n'avaient jamais manqué de rien et il avait envie de partager ce sentiment avec des enfants n'ayant pas la chance qu'il avait pu avoir en grandissant. Certes, ses parents n'étaient pas riches. Ils ne l'avaient jamais été, loin de là, mais ils avaient toujours tout fait pour ne manquer de rien et pour que Yasmine et Sohan ne puisse se rendre compte qu'ils n'étaient pas particulièrement aisés. Sohan avait mis du temps à réaliser que ses parents n'étaient pas riches. Qu'avoir les jeux qu'il souhaitait ne voulait pas dire que ses parents avaient de l'argent à foison. La réalisation était venue plus tard. Quand il avait réalisé qu'Amjad ne comptait pas ses heures et que Fatima faisait très attention aux dépenses sans pour autant les priver de quoi que ce soit.

C'était pour cela qu'il n'arrivait pas à jauger. N'arrivait pas à se rendre compte de ce qui était trop, ou pas assez comme il l'expliquait à Yasmine. Elle non plus ne semblait pas plus sûre d'elle. Donner semblant être le maître mot. Elle aurait sans doute acheté un cadeau pour chaque enfant dans le besoin s'ils n'étaient pas tenus par un compte en banque qui n'était pas illimité. Ils étaient bien barrés tous les deux. Sohan pouvait déjà prédire qu'ils allaient y aller un peu fort. Que ce serait sans doute un peu too much. Cependant, ils allaient faire des heureux, alors est-ce que l'on pouvait considérer que c'était réellement une mauvaise chose ? Il y avait débat. “Oué … Dis comme ça. On risque de se brider inconsciemment. Puis peu importe ce qu'on achète, ça pourra forcément correspondre et plaire à quelqu'un. On a beau ne plus être enfants depuis un moment, on est quand même pas si ringards que ça n'est-ce pas ?” Loin de lui l'idée d'offrir un cadeau complètement à côté de la plaque tel un adulte à des années lumières de la réalité d'un enfant. Quand Yasmine mentionne les jeux d'éveil pour les bébés, ça lui donne une idée. “Et si au lieu de faire filles et garçons, on faisait en sorte d'avoir des jeux pour des enfants d'un peu tous les âges ? Des jeux d'éveils pour les bébés jusqu'aux trucs un peu plus poussés pour des enfants plus grands en passant par des jeux un peu entre les deux ? Comme ça on ne fait pas de jaloux.” Et ça leur permet aussi de pouvoir se laisser embarquer par les jeux qui pouvaient les inspirer sans se poser trop de questions. “Une heure ça me semble raisonnable. Tiens, un pour toi.” Déclare-t-il quand ils passent les portes automatiques du magasin de jouets et qu'il va récupérer deux paniers à roulettes, lui laissant le loisir de tirer le sien. Il ne perd pas de temps, Sohan pour s'engouffrer dans le premier rayon et laisser ses yeux parcourir les étagères. Il ne saurait dire si c'est parce qu'ils sont pressés par la limite de temps qu'ils se sont imposés ou si c'est les couleurs et tous les jouets qui l'inspirent particulièrement, mais il ne lui faut pas longtemps pour voir quelque chose qui l'intéresse. Un cube en bois, avec sur chaque face une activité différente. Du puzzle au petit labyrinthe en passant par un jeu d'empiècement sur le dessus. Ça lui semble être la combinaison parfaite entre le beau jouet, le jouet amusant pour un bébé déjà curieux. “Qu'est-ce que t'en dis ?” Demande-t-il, attrapant une des boîtes pour la montrer fièrement à Yasmine. Un large sourire sur les lèvres.

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Elle avait besoin de ce genre de moments avec son grand frère, Yasmine — surtout depuis juillet. Qu'il se soit tout doucement réinséré dans la dynamique de leur famille, elle n’avait pas pu tellement en profiter, devant gérer ses propres épreuves pour surmonter la perte qui les avait frappés, elle et Edgerton, et plus que n’importe quoi d’autres encore, elle le regrettait. Elle en avait pourtant toujours rêvé, qu’un jour où l’autre, ils puissent de nouveau profiter de la sécurité que représentait leur maison d’enfance en espérant en même temps que la manière dont Amjad et Fatima avaient géré l’homosexualité de leur fils ne vienne pas totalement ternir l’idée qu’ils étaient vraiment chez eux, justement, dans cette maison. Tout s’était enchaîné trop rapidement pour qu’elle réussisse à tout mener de front, et à célébrer un peu les choses sans se laisser la sensation d’en faire trop. Mais là, elle n’en avait pas fait assez, la faute à pas de chance. Si les choses s’étaient passées autrement, elle aurait aimé faire réaliser à son frère que, s’il y avait encore du chemin à parcourir, il avait fait le plus gros, et que quand leur père irait mieux, il pourrait sans aucun doute avoir une vraie conversation avec lui. C’était certainement pour ça aussi, qu’elle se nourrissait d’espoir grâce aux fêtes de fin d’année, comptant sur elle pour apaiser définitivement les cœurs et retrouver ce quelque chose que, tous, avaient perdu il y avait déjà un trop gros nombre d’année. Elle qui était si étrangère aux célébrations de de Noël en particulier, elle mettait au défi les coutumiers du fait pour lui faire entendre pour de bon qu’en effet, les miracles de Noël existaient bel et bien. Mais en attendant, elle ne voulait pas insuffler trop de pression à tout ça, et se laissait aller à rêver à la montagne de jouets qu’ils s’apprêtaient à dénicher pour les enfants les moins bien lotis. A l’intérieur d’elle, dans une région proche de son cœur qu’elle sentait battre fort dans sa poitrine, Yasmine sentit gonfler son enthousiasme à l’approche de la devanture de la boutique. Bras-dessus, bras-dessous avec Sohan, elle se sentait aussi bien que si rien ne lui était arrivée de notable au cours des derniers mois, et tandis qu’elle avait un temps mis de côté la légèreté pour se remettre de sa fausse-couche, s’autoriser à de nouveau la laisser s’instiller en elle, ça lui permettait de profiter du moment sans s’aliéner devant la réalité des faits.

Elle profitait, c’était tout "Moi, je suis pas ringarde, c’est sûr." commença-t-elle avec une conviction nettement surjouée. C’était quand même elle qui portait toujours des modèles de sweats d’il y avait une vingtaine d’années, et des jeans taille-haute que les plus jeunes ne sauraient trouver ailleurs que dans des fripes. Mais tout ça, c’était cyclique alors… se séparant de son frère pour replacer les cordons des paquets qu’elle tenait comme des bracelets autour de son poignet, c’est l’air de ne pas y toucher qu’elle releva la tête pour la tourner dans sa direction, et dire d’une voix lourde de malice "Mais toi. T’utilises encore le mot ringard, ça doit vouloir démontrer quelque chose. Hé, c’est pas ma faute si tu sais pas renouveler ton vocabulaire, papy." Elle compléta le reste de sa phrase en arabe, et ouvrit la bouche en grand avant de sautiller pour partir en avant histoire de laisser le temps au jeune homme de saisir l’affront qu’elle venait de lui faire. Riant doucement, elle se tourna vers lui entièrement, parcourant le reste du chemin à reculons "Je marche pour le choix par tranche d’âge. J’ai trop hâte." lui avoua-t-elle quand ils arrivèrent enfin, et que plus par commodité qu’autre chose, elle confia ses achats effectués dans d’autres boutiques à l’accueil du magasin avant de jeter à ce dernier un œil circulaire qui fit monter en elle l’appât de quelque chose de grand. Un bon moment passé avec son frère, une certitude grandissante qu’ils faisaient quelque chose qui comptait vraiment.
Elle attrapa le panier à roulettes que lui confia Sohan, et avec un sourire, elle lui montra le chemin opposé à où ils se trouvaient en lui disant presque sur le ton de la confidence , mission pour une campagne qui lui tenait particulièrement à cœur "OK, on devrait commencer par là." Et elle y resta un moment par-là, à contempler les rangés de jouets et d’activités qu’elle foula d’un pas lent et concerné, un doigt posé sur le creux de sa bouche sur laquelle une moue concentrée était affichée. Elle s’estimait être une tata-gâteau, Yasmine. Quand Qasim et Olivia avaient commencé à avoir des enfants, elle était entrée dans une phase où, chaque fois qu’elle allait faire un peu de shopping, elle ne revenait jamais sans un petit quelque chose pour faire plaisir aux petits — ils le lui rendaient bien aujourd’hui, même si elle n’avait pas voulu acheter leur affection, force était de constater qu’ils étaient reconnaissants de sa largesse en matière  de petites attentions. Elle tacha de se remettre dans cet état d’esprit-ci, en se basant sur le critère primaire de la chasse aux cadeaux qu’ils avaient déterminé avec Sohan, et fonda ses premiers choix sur l’idée que si ça pouvait potentiellement plaire à Mehdi, Ava et Reda, ça plairait sans aucun doute à un autre petit qui saurait en faire bon usage.
Elle ne voulait pas non plus tomber dans les choix un peu trop dangereux, ceux que regrettent les parents quand on fait des cadeaux à leurs enfants et qu’ils passent des heures à réparer les dégâts d’une activité trop salissante par exemple. Mais dans son panier, il y avait des kits de chimie, des ateliers d’électricité, et autres puzzles de découvertes du corps humain… la mordue de sciences qu’elle était, elle n’avait pas pu la tenir bien loin, et presque par culpabilité, elle ajouta des jeux de mosaïques pour ne pas donner l’impression qu’elle voulait faire naître des vocations tandis qu’à ses côtés, Sohan se montrait plus créatif qu’elle ne l’était. Elle lui sourit en le voyant triturer les bords d’un cube d’éveil qu'il avait choisi, et ne put s’empêcher de lui trouver des allures de tonton-gâteau, à lui aussi. Là encore, ça lui serra un peu le coeur sur le moment, et puis elle opina énergiquement de la tête en lui disant "Je suis sûre que c’est un truc qui pourrait beaucoup plaire à Reda, c’est une valeur sûre. Attends, moi aussi j’ai trouvé plein de choses…" commença-t-elle, et elle brassa la boîte du kit de chimie qu’elle aurait aimé avoir lorsqu’elle était plus jeune et qu’elle brandit devant ses yeux pour le montrer à son frère "Je sais, je donne l’impression de choisir que des jeux que j’aurais aimé avoir quand j’étais plus jeune. Mais regarde, il y a 150 expériences à faire, c’est génial." Elle tapota sur le dessus de la boîte pour désigner le macaron qui disait ce qu’elle venait de réciter avant de lâcher un rire en poursuivant sa phrase "J’aurais fait une maman pitoyable, à reporter mes désirs et mes frustrations sur mes propres enfants." Et c’était trop tard, elle se rendit compte de ce qu’elle venait de dire après seulement quelques secondes, et se rattrapa en secouant la tête avec vivacité, gardant sur le visage un sourire qui s’élargit par volonté de faire passer tout ça pour rien d’autre qu’une boutade quand elle remit le kit de chimie dans son panier et qu’elle ajouta, pour faire bonne figure "Je sais pas pourquoi j’ai dit ça. On devrait aller voir du côté des arts créatifs. Les enfants aiment toujours le coloriage, tu crois ? C’est pas trop ringard ?" fit-elle sans s’attarder, prenant même le temps de plaisanter, et sans accorder un seul nouveau regard à son frère à qui elle tourna le dos en poussant son panier vers l’endroit qu’elle lui désigna du menton.

Lui ringard ? Il le nierait jusqu'à son dernier souffle s'il le fallait. C'est pour cela qu'il prend un air choqué en levant les sourcils en direction de sa cadette. L'invitant ainsi à oser réitérer ce qu'elle venait de dire sans même y aller avec des pincettes. Dans les faits, peut-être qu'il était un peu ringard. Juste un peu, pas plus. Mais ça allait sans doute avec les années qui défilaient l'une après l'autre sans qu'il ne puisse rien y faire. Il n'était pas ringard selon lui. Plus que ringard, il dirait sûrement qu'il était parfois dépassé par toutes les nouvelles modes qui disparaissent aussi vite qu'elles apparaissent. Il n'a pas le temps de suivre. Il a beau être hyper connecté et toujours à l'affût des nouvelles technologies, ses centres d'intérêts ne sont pas les mêmes que ceux des millenials ou de la génération Z qui n'hésiteraient probablement pas à le traiter de boomer au moment où il aurait ouvert la bouche pour laisser échapper une expression un peu vieillotte. C'était le jeu cela dit. Lui aussi avait forcément trouvé ses parents un peu ringards ou à côté de la plaque à une époque. Il avait été le jeune qui aurait traité les autres de ringards. La roue finissait inévitablement par tourner. Les avant-gardistes d'aujourd'hui étant les futurs ringards de demain. “Pas encore, mais parle pas trop vite, tu vas te jinxer.” Lui répond-il en souriant. Parce que finalement, elle aussi elle finirait ringarde et dans quelques années, ils seront tous les deux ringards, ensemble, peut-être même sans qu'ils ne s'en rendent compte. “Je ne répondrai rien d'autre à cette attaque gratuite que ce n'est vraiment pas dans l'esprit de Noël.” Il aurait même pu rajouter ‘nah' à la fin de sa phrase et lui tirer la langue pour contraster avec le ‘papy' qui venait de lui être lancé, mais ça n'aurait peut-être fait que confirmer qu'il en était bel et bien un, mais qu'en plus, il était gaga. Cependant, il semblait avoir des idées, le papy. Des idées que sa sœur semblait approuver à en croire sa réponse quant au choix des cadeaux en fonction des tranches d'âge. Idée à laquelle il avait pensé afin de ne pas avoir à se limiter en termes de choix de cadeaux et qui permettait aussi de faire plaisir à tout le monde. C'était donc dans cette optique qu'ils entamaient leur aventure dans le magasin de jouets, chariot à roulettes en main puisqu'ils allaient bien devoir trimbaler leurs futurs achats jusqu'aux caisses.

Ils s'étaient donné une heure et Sohan comptait bien profiter de cette heure pour trouver des cadeaux qui mettraient des sourires sur les visages de ceux qui les recevraient. Il n'avait pas énormément de références sur lesquelles se baser quand il s'agissait d'enfants et de cadeaux. Il se basait sur les jouets que l'enfant qu'il était aurait pu apprécier. Il se basait aussi sur les jouets que les enfants de Qasim et Olivia appréciaient ou avaient pu apprécier par le passé. Pour le reste, il y allait au feeling. Il laissait son âme d'enfant parler. Son attention est attirée par les couleurs vives des jouets qui ressortaient sur les étagères. Le cube en bois qu'il choisit comme premier cadeau qui pourrait faire plaisir à un bébé est le reflet parfait de toutes ces choses-là. “C'est ce que je me dis. J'hésite même à lui en prendre un pour lui, mais finalement ce que je lui ai pris tout à l'heure s'en rapproche un peu. C'est pas un cube, mais le principe est le même.” Déclare-t-il en souriant. Venant poser délicatement le jouer dans son panier. “En plus en bois ça devrait bien tenir, ça fera surement plaisir à quelqu'un d'autre une fois que le bébé qui le recevra s'intéressera à des jouets plus avancés.” Il n'allait pas acheter tous les cadeaux avec l'idée que les jouets tiennent dans le temps en tête, mais s'il trouvait quelque chose d'intéressant qui en plus s'avérait être qualitatif, il n'allait bien évidemment pas passer à côté. Il ne peut s'empêcher de sourire quand il voit le kit de chimie choisi par Yasmine. Il secoue même la tête de gauche à droite quand elle se justifie sur ce choix. “De un, il a l'air génial ce kit, de deux, on était des enfants comme les autres. Ce qui nous aurait plu va forcément plaire à quelqu'un. Puis je suis pas mieux que toi, je suis activement à la recherche d'un kit de pâte à modeler sympa et d'une voiture Meccano.” Déclare-t-il en riant. Les idées lui viennent au fur et à mesure que les souvenirs des jeux de son enfance lui reviennent aussi. A défaut d'être des jouets réellement attendus, tels quels par certains enfants, ça pouvait être de jolies découvertes. Il s'apprête à attraper une boite sur l'étagère pour la regarder de plus près quand la phrase de Yasmine le fait tiquer. Il tourne immédiatement la tête vers elle, alors qu'elle se rattrape, proposant de changer de rayon. “Pourquoi aurait ? T'as encore largement le temps si t'as envie d'avoir des enfants et tu seras rien de moins qu'une super maman. C'est normal de vouloir faire partager ce que tu apprécies.” Répond-il en haussant les épaules, pas réellement certain de comprendre d'où cette inquiétude était soudain sortie. Il ne savait pas s'il était sur une pente glissante. Si Yasmine ne lui disait pas tout où s'il s'agissait simplement d'une remarque un peu maladroite de sa sœur. “J'suis certain qu'ils aiment encore le coloriage et la peinture à l'eau aussi. A mon avis ils ont prévu tout un tas de kits pour Noël.” Approuve-t-il suivant sa sœur vers ledit rayon s'arrêtant cependant quelques mètres plus loin. “Yas ! T'en penses quoi ?” demande-t-il tenant dans chacune de ses mains un gros pistolet Nerf. “J'sais pas encore si c'est pour les enfants ou pour toi et moi par contre. Tu penses que ça ferait de moi un mauvais père ?” Demande-t-il en laissant tomber les pistolets dans son panier.

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S’immerger dans un monde comme celui dans lequel ils venaient de mettre les pieds, ce n’était sans doute pas l’idée la plus brillante de l’année, mais Yasmine s’évertuait à contrôler ses pensées les plus douloureuses pour avancer dans la bonne direction. Du moins, elle apprenait à le faire. Il y avait encore des ratés, des moments où elle laissait ses songes prendre le dessus pour lui rappeler qu’il y avait une autre dimension où elle serait ici pour autre chose que remplir son panier de jouets à offrir à des enfants qu’elle ne connaissait pas. Ce n’était pas toujours facile de faire le point sur tout ça, ça l’était encore moins quand on avait un talent invétéré pour se rendre coupable des choses incontrôlables. Elle y travaillait, ça lui prendrait du temps avant de pouvoir affirmer que c’était comme ça, qu’il n’y avait pas de raison parfois, qu’il fallait juste avancer et faire avec sans trop se poser de questions au risque de perdre la raison. Elle essayait de le faire, sinon elle ne serait pas là, à partager des sourires et des blagues avec son frère sur qui elle posa ses yeux brillants d’admiration pour celui qu’il était devenu. Seulement, ça aussi c’était incontrôlable, de se dire qu’elle l’avait privé de quelque chose lui aussi, d’un neveu ou d’une nièce qu’il aurait gâté sans compter. Il y avait des fois où c’était un peu plus compliqué d’oublier, elle l’admettait.
Elle acquiesça à ce que lui dit son frère à propos de la matière du cube qu’il tenait entre les mains, elle le rangea en même temps que le kit de chimie qu’elle lui montra de son côté, et qu’elle savait désiré par l’enfant qu’elle avait été. Ses deux réalités entrèrent en collision, et avant même qu’elle ne soit capable de retenir quoi que ce soit, elle s’élança dans un discours volubile sur ce que ça faisait d’elle de vouloir imprégner la nouvelle génération de ses grands désirs de sauver le monde, et de le faire par la science. Elle se mordit l’intérieur de la joue, ne s’attendant à rien d’autre que de la bienveillance de la part de son frère, qu’elle tira par la manche pour qu’il ne s’attarde pas trop sur ce qu’elle venait de lui dire, et lui dit dans la foulée "Avance par là, on va le trouver, ton kit de pâte à modeler." Mais Sohan était aussi attentif qu’elle savait l’être, et ce qu’il ajouta la fit sourire par réflexe, plus que par envie.

Elle resta silencieuse un petit moment, Yasmine, cachant son léger trouble par des œillades distraites aux allées qu’ils foulèrent en rythme. Il ne savait pas tout. Il savait tout ce qui n’impliquait pas de lui briser le coeur; pas parce que ça le concernait vraiment, mais parce qu’il était assez proche de sa petite sœur pour savoir l’impact que ça aurait sur elle dans le futur, pour savoir l’impact que ça avait sur elle maintenant, cette fausse couche. Elle ne lui en avait pas parlé par pudeur, encore qu’elle avait mis sa mère au courant à cause de la capacité de Fatima à savoir exactement ce qui se tramait en scannant intensément les pensées de sa fille, prétendant qu’elle  l’avait faite, alors c’était son super-pouvoir de deviner tout ce qui voilait le vert de ses yeux qu’elle lui avait légué, comme un nombre incalculable de traits qui faisaient qu’elles ne pouvaient pas renier leur lien de parenté. Elle avait su que quelque chose n’allait pas, elle n’avait pas interféré plus que ça dans sa décision de ne pas vouloir en faire une affaire d’état et surtout de garder le secret. Elle était une femme, elle savait ce que ça faisait d’être atteinte dans cet aspect-là de sa féminité, et quand bien même elle était un peu rude parfois avec son unique fille, elle était aussi d’une délicatesse sans bornes quand il s’agissait de préserver ses émotions, et de prendre soin d’elle; par des petites gestes, par des petites histoires, par des montagnes de nourriture. C’est ce qu’elle avait fait, en se montrant compréhensive, en se montrant douce, en se montrant d’une grande aide quand il avait fallu qu’elle fasse entendre à Yasmine qu’elle n’y était pour rien, que ça arrivait parfois. Amjad, il avait déjà assez de souci comme ça. Il se doutait de quelque chose, il savait lire entre les lignes, mais il était aussi épuisé par sa rééducation alors il se montrait moins aventureux sur ce genre de terrain, et il faisait assez confiance à sa fille pour savoir qu'elle se relèverait de ce qu’elle vivait avec la force que, lui, il lui avait légué. Il se contentait des câlins inopinés de sa fille quand elle venait le voir, le menton posé sur le haut de sa tête inclinée sur son épaule, et de la manière dont elle essayait de le stimuler pour qu’il ne s’enfonce pas dans la léthargie induite par ce qu’il avait vécu.
Olivia et Qasim étaient au courant, eux aussi. Après tout, ils avaient joué un rôle important pour elle ces derniers temps, se plaçant en protecteurs sans même qu’elle ne s’échine à les supplier de l’aider; ils avaient été là, plus que n’importe qui pendant cette période-là. La famille d’Edge n’ignorait rien non plus, du moins Tamara, et peut-être Camille qui était devenue assez proche de Molly pour ne rien ignorer de ce qui se tramait quand la chérie de son cousin était concernée. Le temps était venu d’en parler à Sohan. Sans en faire trop, juste pour qu’il le sache. Il la tira de ses pensées en l’appelant par son prénom, et en pointant deux pistolets dans sa direction. Et l’allégorie était assez savoureuse pour qu’elle laisse un sourire remonter l’une de ses joues quand elle se réinséra dans le moment présent.
"Pourquoi tu t’en inquiètes, t’as des choses à me cacher ? Je vais bientôt être tata ?" lui demanda-t-elle pour plaisanter tout en s’approchant de lui pour empoigner l’un des pistolets et l’observer tout en le faisait tourner dans ses mains. Elle hésita un instant, et puis tout en tournant enfin la tête vers lui, elle finit par lui dire très doucement "J’ai fait une fausse-couche. C’est rien, ça va." Ce n’était pas rien, et ça n’allait pas tant que ça. Mais elle ne dit rien de plus que ça; elle voulait simplement le lui dire, point. Les conditions n’étaient pas idéales, elle en était consciente, et sans doute qu’elle choisissait ce moment justement parce que ça limitait l’action de faire un grand drame de quelque chose de plutôt courant finalement. Elle tenta un sourire pour apaiser ce qu’elle imaginait pouvoir lire dans les yeux de son frère — imaginait parce qu’elle ne le regarda pas tout de suite, continuant à fixer les détails du jouet qu’elle tenait entre les mains en ajoutant sur le même ton "Ça arrive plus souvent qu’on ne le pense, et j’étais stressée par rapport à papa. On arrête pas de me dire que c’est pas de ma faute, c’est que ça doit être vrai." Elle opina du chef, relevant le menton pour finalement affronter le regard de son frère qu’elle gratifia d’un léger froncement de nez en lui rendant son pistole "Ça va, je t’assure. C’est juste difficile de ne pas y penser parfois." Au moins elle l’admettait sans rougir, et tandis que l’impression de plomber l’ambiance s’insinua en elle, elle finit par pointer du doigt les pistolets pour mieux changer de sujet "Tu sais, si c’est ce que tu veux pour Noël, je peux te l’offrir…" Elle se redressa avec malice, non sans murmurer rapidement, se mettant à côté de lui pour pouvoir glisser son bras sous le sien "Mais tu m’en offres un aussi."

Il ne s'attarde pas vraiment sur ce que Yasmine vient de dire. Il ne s'attarde pas non plus sur le fait qu'elle ne répond pas à sa question et se contente de l'entraîner avec elle dans une autre allée du magasin de jouets. D'ordinaire, il aurait tiqué. Il se serait arrêté. Il aurait réitéré la question. Aujourd'hui, il est distrait, il est dans leur projet du moment. Il n'a d'yeux que pour les étagères de jouets qui se trouvent devant eux. Il pense aux enfants qui vont découvrir ces présents et les sourires qui iront sans doute avec l'ouverture des cadeaux. Il n'a pas l'habitude de ce genre d'aventures. Il met aussi cela sur le fait que cette fin d'année a été un peu particulière. Entre les problèmes de santé de Amjad et sa place retrouvée au sein de la famille après toutes ces années sans contact. C'était un grand huit émotionnel auquel il n'avait pas été préparé. Il avait l'impression qu'une pression immense était tombée de ses épaules, mais il ne pouvait pas non plus se débarrasser de l'inquiétude qui pesait au-dessus de sa tête quant à la santé fragile de son père. Cette journée shopping avec Yasmine, c'était donc une bouffée d'air frais. Un moment dont il avait besoin pour oublier un peu le quotidien et se concentrer sur les bonnes choses. Il avait la chance de pouvoir faire plaisir et il n'allait pas se gêner. D'ailleurs, à le regarder, pistolets Nerf en main, on se demanderait presque qui est l'enfant dans l'histoire. Son large sourire dessiné sur les lèvres, il interroge sa sœur. “T'es déjà tata, j'ai suffisamment à faire avec Winston pour l'instant.” Répond-il en souriant. Il n'irait pas jusqu'à dire qu'avoir un chien était comparable au fait d'avoir un enfant. Il pouvait cependant attester qu'un animal demandait déjà énormément de temps et d'investissement qu'il n'osait même pas imaginer ce à quoi ressemblerait sa vie avec un enfant à sa charge. Il laissait ça aux autres. Il se contenterait plus qu'amplement d'être l'oncle cool qui offre des jouets que les parents regrettent à l'instant où ils sont déballés.

Il est surpris par l'aveu de Yasmine. Son sourire s'efface de son visage et il baisse le pistolet qu'il pointait toujours sur elle. “Yasmine …” Il ne trouve rien d'autre à dire sur le moment. Repose le pistolet sur l'étagère et vient attraper sa sœur doucement par le poignet. “C'est pas rien. T'es sûre que ça va ?” Lui demande-t-il soudain inquiet. Il avait des dizaines de questions qui lui venaient en tête. Cependant, il ne voulait pas se montrer trop intrusif. Surtout ici, au milieu d'un magasin de jouets. Ce n'était ni le lieu, ni le moment. Il respectait bien trop sa sœur pour ne pas lui épargner un interrogatoire. “Je suis vraiment désolé que ça te soit arrivé à toi.” Ajoute-t-il. Il ne souhaitait à personne de vivre une telle chose, encore moins à sa sœur qui à ses yeux ferait la meilleure maman du monde, sans l'ombre d'un doute. Il hoche la tête de haut en bas pour acquiescer quand elle dit que ça arrive plus souvent qu'on ne peut le penser. Il comprend aussi que la période n'était peut-être pas la plus propice et que les soucis de santé de Amjad avec le stress qu'ils avaient pu générer n'avaient pas aidé. Il n'en était pas moins désolé et peiné pour elle. Outre la fausse couche qui était déjà terrible, il était encore plus touché de réaliser que Yasmine avait du mal à ne pas se sentir coupable. Il n'était pas médecin, il ne savait absolument rien de ce qui pouvaient être les causes d'une fausse couche, mais il était certain que sa soeur n'y était pour rien. Ce n'était tout simplement pas le moment, sans doute. “Bien sûr que c'est vrai. Il faut vraiment pas tu crois que c'est de ta faute. T'as une bonne hygiène de vie, tu ne bois pas, tu ne fumes pas, je pense pas que t'aurai pu faire quoi que ce soit de plus pour que ça ne se produise pas.” Tente-t-il de la rassurer. Il avançait des choses dont il n'était pas vraiment sûr. Il manquait d'objectivité quand il s'agissait de sa cadette. Il avait aussi la ferme conviction que tout arrivait pour une raison et que si ça n'avait pas fonctionné cette fois-ci, ce n'était pas forcément un hasard. Il ne lui dit pas cela, cependant, préférant ne pas enfoncer le couteau dans la plaie. “Je suis là si t'as besoin d'en parler. Je pourrai peut-être pas comprendre comme Molly ou Clara, mais je sais écouter.” Lui dit-il ensuite en haussant les épaules. Il ne voulait pas insister sur le sujet si elle ne souhaitait pas en parler, ce qui semblait être le cas, mais il se montrait disponible comme il l'avait toujours été. Il savait aussi passer à autre chose quand c'était le moment. Quand Yasmine pointe du doigt les pistolets en mentionnant son propre cadeau de Noël, il sourit. Un sourire qui s'élargit d'autant plus quand elle mentionne qu'il devrait aussi lui en acheter un. “Tu sais quoi ?” Déclare-t-il récupérant le pistolet dans la main de sa sœur pour le mettre dans son panier avec celui qu'il tenait. “Je vais prendre ces deux-là pour nous. Ce sera même pas pour Noël, parce que je te préviens tout de suite, on va chez moi quand on a fini et on va voir lequel de nous sait le mieux viser. Celui qui perd aura un gage.” Déclare-t-il avant de se tourner vers le rayon. "Par contre, je me dis que pour les enfants on pourrait plutôt prendre des pistolets à eau ? Il fait chaud, c'est peut-être mieux que les Nerfs classiques, on sait jamais s'ils se visent dans le visage ou je ne sais quoi. Ca semble plus safe l'eau.” Il hésite, réfléchit et change presque d'avis. “Ou alors on évite les jeux qui pourraient se finir dans des pleurs pour X ou Y raison ?” Est-ce qu'il ne valait mieux pas s'en tenir à des choses sans projectile ? Elle était là, la vraie question.

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On pouvait accuser Yasmine de ne pas soigner ses timings, mais dans le cas présent, c’était voulu. Les émotions avaient été intenses ces derniers temps, elle se demandait parfois si elle était encore capable de ressentir correctement. Il y avait un avant et un après tout ça, elle le sentait aussi bien dans son corps que dans sa tête, et si ça ne paraissait pas évident pour les membres de son entourage, ça l’était pour elle au point qu’elle se disait que ce repère de sa vie serait le début d’une nouvelle ère qu’elle craignait autant qu’elle désirait. Ça remettait en perspective plusieurs choses auxquelles elle avait toujours pensé, même si le faire désormais, ça relevait parfois d’une torture psychique, d’une gymnastique trop compliquée, pour le traumatisme qu’elle avait vécu. Elle s’en relèverait, de ça elle en était convaincue parce qu’elle n’avait pas été la seule à souffrir de cet événement.
Il pesait une responsabilité sur ses épaules qu’elle s’évertuait à tenir droites parce qu’elle ne se laissait pas le choix, c’était bien pour ça qu’elle avait eu besoin de partir quelques temps, de reprendre le temps de considérer ses attentes et ses besoins, en commençant pas accepter l’idée qu’il fallait qu’elle se fasse aider par quelqu’un. Sa thérapie avançait bien, elle lui ouvrait les yeux sur des éléments de son existence qu’elle n’avait jamais pris  en compte, qui constituaient pourtant la manière dont elle se défendait quand le pire lui tombait sur le coin du nez. Elle regrettait d’avoir considéré sa première tentative de thérapie comme une grosse erreur simplement parce qu’elle était tombée sur le mauvais médecin. Aujourd’hui, elle était en paix avec l’action même de consulter, et ça elle le devait à Edge qui lui avait appris que ça avait un vrai effet, de parler à quelqu’un de neutre. Elle lui devait tout un tas d’autres choses aussi, elle n’avait pas assez de temps pour énumérer la liste de ce qu’elle lui devait depuis le mois de juillet, même au-delà, mais elle savait dans le fond d’elle-même que c’était en partie grâce à lui qu’elle réussirait à avancer avec ce poids dans son abdomen; il s’allégerait avec le temps, c’était une conviction qu’elle se répétait plusieurs fois par jour tout en essayant d’y croire tandis qu’elle avait encore un peu de mal à se dire qu’elle aussi, elle avait vécu ce petit drame.

Elle n’attendait rien d’autre de Sohan que de la bienveillance "Pas toujours. Mais là, ça va." décida-t-elle de lui dire avec franchise, sentant qu’il lui enserrait son poignet dans une étreinte timide pendant que leurs regards se croisaient, et qu’elle décela chez lui un vrai sentiment de tristesse qui faillit lui mettre les larmes aux yeux si elle ne les avait pas détournés un petit instant. Si elle avait choisi de lui dire ici, et maintenant, c’était pour éviter de s’effondrer justement, aussi évita-t-elle de le faire en se parant d’un petit sourire qu’elle rendit plus franc quand son regard changea de trajectoire "C’est ce que ma thérapeute essaye de me faire rentrer dans la tête. Je vais avoir besoin d’un peu de temps avant de me laisser le bénéfice du doute. J’y travaille, je te promets que dans quelques temps, je serai moins dure avec moi-même." En attendant, elle ne pouvait que s’incomber le plus gros de ses malheurs, c’était comme ça.
Elle le remerciait cependant, de ne pas attendre ne serait-ce qu’un instant avant de se placer dans le rôle du grand frère manquant cruellement d’objectivité à son égard, même si à des moments donnés, ça la faisait toujours grincer des dents de l’entendre vanter ses mérites. Dans l’instant, ça lui faisait du bien d’être brossée dans le sens du poil, même si dans quelques minutes, elle se rappellerait combien elle était anxieuse, combien son sommeil était mauvais, combien son hygiène de vie n’était pas aussi saine que le disait son aîné — son aîné qui était un rock sur lequel elle se reposerait sans hésiter d’ordinaire, mais qui avait supporté tant de choses ces dernières années, qu’elle n’avait pas envie d’alourdir le sentiment de légèreté qui émanait de lui depuis qu’il avait été autorisé à reprendre sa place au sein de leur famille "Je sais que tu sais écouter. C’est pas parce que je pense le contraire que je t’en parle que maintenant… c’est juste que ça me fait de la peine d’imaginer un monde où t’aurais eu autre chose à câliner qu’un Winston." Et la confession était assez difficile à prononcer pour qu’elle ne sente pas sa gorge se serrer.
C’est pour ça qu’elle détourna le sujet aussi vite, fourrant ses mains dans les poches arrières de son jean taille haute pendant que son frère rebondissait sur sa proposition de lui offrir un nerf pour Noël "Est-ce que t’es en train de me mettre au défi de te mettre la pâté, Sohan Khadji?" Ses sourcils se levèrent, et son sourire s’élargit sincèrement quand elle empoigna un des deux pistolets qu’elle tint devant son visage en l’admirant de long en large avec le genre de regard qui font loucher quelques secondes "Parce que je me sens capable de le relever." Elle en avait des choses à extérioriser, alors s’il fallait le faire de cette façon, elle ne se ferait pas prier. Heureusement cependant que le jeune homme était là pour replacer leurs priorités dans le bon ordre; elle arrêta de loucher pour mieux le regarder, et baissa son arme factice pour lui dire, la tête penchée "Peut-être que c’est pas très judicieux de leur mettre ce genre d’idées dans la tête, que les pistolets c’est fun et tout le bazar." Yasmine et ses élans de Miss Univers. Une preuve qu’elle ne savait pas être une autre plus de quelques secondes. Elle posa son Nerf dans son panier "Mais les pistolets à l’eau, ça véhicule pas le même genre de message." Ils réfléchissaient trop. Elle secoua la tête, se remettant à pousser son panier à roulettes "Tu sais quoi, on va rester sur les loisirs créatifs. On pourra pas nous accuser de vouloir enfoncer de forces des idées malsaines dans la tête de qui que ce soit, et on aura la conscience tranquille. T’avais dit…" Elle fit mine de réfléchir en plissant les yeux, finissant par prendre le pistolet que son frère avait toujours dans les mains pour le mettre avec le sien, dans son panier; elle retrouva le sens de ses pensées, et leva un index devant son nez quand elle remit le doigt sur les paroles précédente de son frère aîné "De la pâte à modeler, on y va." Personne ne risquait rien avec de la pâte à modeler.

Ca n'allait pas toujours pour Yasmine, mais aujourd'hui semblait être un bon jour. C'était ce que Sohan en déduisait. Ce n'était pas ce qu'il aurait aimé entendre. Non pas qu'il aurait préféré entendre un mensonge de la part de sa sœur. Bien au contraire, il appréciait qu'elle soit toujours honnête avec lui. Il appréciait que leur lien soit si fort qu'ils n'aient jamais besoin de se mentir l'un à l'autre. Il savait d'ailleurs que ce serait impossible et qu'un mensonge serait découvert en moins d'un quart de seconde. Il n'aurait donc pas voulu qu'elle lui mente sur ce qu'elle ressentait actuellement, mais il aurait aimé qu'elle se sente mieux. Il savait que ce n'était pas si simple. Qu'on ne se remettait pas du jour au lendemain de quelque chose comme cela, d'autant plus quand la culpabilité venait s'ajouter à l'équation. Cette vilaine culpabilité capable de faire faire deux pas en arrière après un pas en avant. C'était un travail de tous les jours. Il était content d'entendre qu'elle se faisait aider dans cette épreuve. Qu'elle avait une professionnelle pour l'aiguiller dans la bonne direction. A son rythme. Ce n'était pas une course. Elle n'avait pas d'adversaire si ce n'était elle-même et ses propres pensées. “C'est tout ce que j'avais besoin d'entendre. Le temps fera les choses, mais pas tant que tu te sentiras coupable et sera si dure avec toi-même.” Lui répond-il simplement. C'était un travail qu'elle devait faire sur elle et ce n'était pas parce qu'il lui répéterait inlassablement que ce n'était pas de sa faute ou qu'elle n'était coupable de rien qu'elle finirait par le croire. Cependant, ce n'était pas pour autant qu'il allait arrêter de lui dire, arrêter de lui rappeler. D'autant plus quand elle lui explique la raison pour laquelle elle ne lui avait pas parlé de cela plus tôt. Son cœur se serre. S'il était honnête, d'ailleurs, il dirait que son cœur se brise même un petit peu quand il entend les paroles de sa sœur. “Dit pas ça.” S'empresse-t-il de dire. Il ne voulait pas qu'elle pense ce genre de choses, qu'elle se rajoute une culpabilité qui n'a pas lieu d'être. Si Sohan a toujours rêvé de voir sa sœur maman, ce n'était pas pour avoir un bambin à câliner à chaque fois qu'il lui rendrait visite, mais bien parce qu'il était persuadé qu'elle serait la meilleure maman du monde. Elle avait tellement d'amour et de bienveillance à revendre qu'il savait que ce serait un rôle qui lui irait à merveille. Rien d'autre. Il se contentait parfaitement de câliner Winston. D'autant plus qu'il n'avait pas que lui à câliner si on y réfléchissait bien. “J'ai pas qu'un Winston, j'ai aussi un Sasha et puis une Yasmine.” Ajoute-t-il en souriant, toutes dents dehors. Il préférait détendre un peu plus l'atmosphère. Non pas qu'il souhaitait minimiser ce que Yasmine avait vécu, il ne voulait simplement pas l'entraîner un peu plus dans une discussion qu'elle n'avait pas forcément envie d'avoir ici, à ce moment précis.

C'est aussi pour ça qu'il lâche vite l'affaire et reporte son attention sur les pistolets Nerfs que sa cadette avait dans les mains. Un défi, c'en était un et pas des moindres, il ne laisserait pas faire dans cette guerre disputée à coup de balles en mousse. Il n'était pas un tireur hors pair, mais il savait viser, sa sœur n'avait qu'à bien se tenir. “Un peu que c'est un défi, j'espère que t'es prête à courir.” Le met-il en garde, sourire malicieux sur le coin des lèvres. Un sourire malicieux qui se transforme petit à petit en sourire un peu idiot à mesure qu'il cogite. Acheter des cadeaux pour les enfants dans le besoin, oui. Acheter des cadeaux véhiculant un message un peu particulier n'était peut-être pas une bonne idée. Il écartait les Nerfs facilement, trouvant tout de suite une bonne raison de ne pas offrir ce genre de choses à des gamins qu'il ne pourrait pas superviser. Il pense ensuite aux pistolets à eau, se délestant de possibles blessures liées à leur utilisation. Cependant, Yasmine soulevait un point important. “Oué, restons sur les loisirs créatifs, ça nous évitera de nous poser cinquante mille questions.” Répond-il en riant avant d'ajouter. “On pourra seulement nous accuser d'avoir créé de futur artiste. Ça commence par la pâte à modeler et ça finit par la céramique ou la poterie à l'argile.” Déclare-t-il en hochant la tête de haut en bas. Il ne lui en faut pas plus pour se remettre en marche, déambulant dans les allées à la recherche du fameux kit de pâte à modeler qui rendrait n'importe quel gamin fou de joie. Devant le rayon, il a l'embarras du choix. Du kit composé d'une bonne dizaine de pots de couleurs différentes au robot pâtissier en passant par le salon de coiffure, il suffisait d'en choisir un. “Robot pâtissier ou machine à glaces ?” demande-t-il à Yasmine, tenant les deux boîtes dans ses mains avant d'ajouter. “Le robot me parait mieux, plus d'options on dirait.” Déclare-t-il, reposant la boîte contenant la machine à glace et posant celle contenant le robot pâtissier dans son chariot. “Tu cherches quoi d'autre ?” demande-t-il à Yasmine, pensant déjà à sa prochaine idée. Il irait faire un tour au rayon jeux de société ensuite, hésitant cependant entre un Monopoly ou un Trivial Pursuit. Il souhaitait également acheter une peluche ou deux, pour les plus petits.

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Il était arrivé un moment où Yasmine s’était demandée si les attentes que ses parents avaient toujours eu à son égard avaient rendu tout ça encore plus difficile à vivre; si elle n’avait pas eu  aussi conscience que sa mère attendait ses petits enfants de pieds fermes, ça l’aurait aidée à considérer son drame personnel avec plus de philosophie — avant de se rendre compte que non, que c’était plus compliqué que ça encore, et que ça n’avait pas seulement rendu le poids qu’elle portait déjà sur les épaules plus lourd de n’être pas capable de ça, que ça avait surtout rongé une bonne partie de sa féminité avec qu’elle n’avait jamais vraiment réussi à apprivoiser jusqu’à un point nommé. C’était cruel, car c'était un peu comme si chaque fois qu’elle se sentait assez prête pour quelque chose, on lui rappelait qu’elle était sensée ne pas avoir cette confiance en elle, et qu’on détruisait toutes les bases bancales de ce qu’elle était prête à se laisser comme marge pour avancer, et se départir de ses peurs et de ses complexes. Etre dure avec elle-même, c’était ce qui l’avait fait être ce qu’elle était aujourd’hui, elle aurait aimé le dire à Sohan qui n’avait jamais vraiment compris comment elle pouvait s’accorder si peu de crédit. Mais l’estime qu’on se portait, c’était personnel, profondément ancré en nous, et le travail à faire pour se départir du sentiment qu’on avait parfois de ne pas être assez bien, c’était à nous-même de le faire. Elle le faisait en ce moment-même, mais le chemin était semé d’embûches, alors peut-être qu’avoir la certitude que dans son entourage, elle avait des proches prêts à croire en elle, ça l’aiderait plus qu’elle n’avait jamais été capable de l’imaginer, pas assez à l’aise pour aimer l’idée de s’apprécier assez elle-même.

"Je suis moins poilue que Winston et Sasha." commença-t-elle, et puis mimant un instant de doute, elle tourna la tête vers son frère avec un sourcil en accent circonflexe "Non? Arrête avec tes grands yeux, tu vas finir par me vexer." ajouta-t-elle, et puis un éclat de rire vint sonner la fin de cette conversation trop difficile à supporter pour qu’elle ne s’échine à ne pas vouloir passer à autre chose rapidement. C’était déjà son lot quotidien d’y penser sans arrêt, il valait alors mieux s’intéresser à d’autres horizons pour lui donner la sensation que le reste de sa vie ne tournerait pas qu’autour de ça, de ce vide qu’elle ressentait sans trop savoir pourquoi "Il faut qu’on mette une récompense en jeu sinon c’est pas drôle." fit-elle finalement, préférant s’arrêter sur les paroles de son frère et sur ce défi qu’il lui lança. Elle n’en donnait pas l’air, mais elle était compétitrice, Yasmine. Il fallait la voir un micro à la main, à vouloir mener ses troupes durant une partie de karaoké; tout le monde savait qu’il ne valait mieux pas plaisanter avec ça, et qu’elle serait prête à tout pour garder la couronne qui lui revenait de droit. Pour les petits défis de ce genre, c’était un peu pareil. Elle avait tant souffert d’être reléguée à la place de petite chose fragile lorsqu’elle était petite, seule fille du cocon formé par ses parents, elle et Sohan et et les Jaafari, qu’elle admettait volontiers qu’elle avait parfois besoin de montrer de quel bois elle se chauffait pour cesse de la traiter comme un trésor. Elle ne boudait pas les chutes, les jeux salissants et les activités en plein air, alors une partie de pistolets à eaux avec son frère? C’était à peu près tout ce qu’il lui fallait pour se reconnecter avec une partie d’elle qu’elle croyait évaporée avec la petite chose qui avait à peine poussée dans son ventre.
Mais n’étaient-ils pas ici pour les enfants dans le besoin? Cette réflexion lui vint quand la culpabilité pointa le bout de son nez, et que déterminée à reprendre le cours de leur activité du jour, elle mena Sohan bien loin du terrain détruit de ses propres certitudes "Pourquoi pas les deux?" lui répondit-elle, les yeux plantés sur les boîtes de jouets que lui désignait son frère, avant d’ajouter, roulant des yeux pour parfaire l’idée qu’elle exagérait "Je sais, on a dit que quelques petits trucs… le robot alors, je me range à ton avis." trancha-t-elle finalement, s’activant pour faire entrer le carton dans son chariot, et ne lésinant pas sur les efforts pour y parvenir. Après avoir dégagé son visage de ses cheveux et retiré son bonnet qu’elle largua dans son chariot, elle posa son regard sur son frère. Elle ne savait pas exactement comment il se débrouillait pour être celui qu’il était, à toujours réussir à lui remonter le moral sans même lui donner l’impression que ce soit une corvée pour lui. Elle pouvait s’imaginer plein de choses Yasmine, son esprit était un vaste champ de possibles qu’elle cultivait sans cesse, mais vivre une vie dans la présence de Sohan, c’était quelque chose qu’elle savait impossible pour sa conception des choses. Ne serait-ce que pour son bien être, et c’était peut-être un peu égoïste de souhaiter qu’ils resteraient toujours ça, un frère et une sœur qui prenaient soin l’un de l’autre aussi instinctivement que c’était de prendre une inspiration. Elle eut un sourire, et puis elle fit un pas dans sa direction pour juste le prendre dans ses bras et le serrer contre elle avec toute la force qu’elle avait en réserve pour qu’il comprenne tout ce que ça voulait dire pour elle qu’il soit juste lui. Elle n’avait pas besoin de parler, il savait, néanmoins ça ne l’empêcha pas de lui glisser à l’oreille, un léger sourire remontant le coin de son visage qu’elle avait de collé tout contre sa joue "Je suis heureuse que tu sois mon frère. J'en aurais pas aimé un autre autant que je t'aime toi."

Il fait la moue quand elle dit être moins poilue que Sasha et Winston, fait mine de réfléchir un instant comme s'il avait vraiment besoin d'un moment de réflexion pour confirmer ce qu'elle venait de dire. Il finit par rire, cependant, quand elle annonce qu'il est sur le point de la vexer. “C'est pas une question de poils !” Lance-t-il marquant un court moment de pause avant de continuer en tentant de reprendre son sérieux. “Même si, sans vouloir te vexer hein! T'as quand même une jolie crinière.” Il tire la langue en lui faisant un clin d'œil. Il se remet à rire. Loin de lui l'idée de comparer sa sœur à un animal. Lui de lui aussi l'idée de porter un quelconque jugement sur l'apparence de sa cadette. Poils ou pas. Crinière ou pas. Ce n'était pas ce qu'il avait voulu souligner. Il savait aussi que sa sœur avait parfaitement compris ce qu'il voulait dire. Que le but était plutôt de mettre en avant le fait qu'il n'avait pas besoin d'avoir de mini Yasmine à chouchouter pour avoir un tourbillon d'amour en retour. Il avait Yasmine pour ça et même si ce n'était pas comparable, il mettait leurs amis à quatre pattes dans le même panier, autant pour leur loyauté que pour la quantité de câlins qu'ils pouvaient réclamer à la journée. Bien sûr, ça ne remplacerait jamais un enfant et il serait le plus heureux du monde de voir gambader des mini-Yasmine qui l'appellent tonton, mais sa soeur ne lui devait rien et si la vie faisait qu'elle n'ait jamais d'enfants, il ne lui en voudrait pas pour cela. C'était impensable à ses yeux. C'est pour cela qu'il n'insiste pas. Qu'il accepte que la conversation passe à autre chose. Yasmine sait où le trouver si elle a besoin de quelqu'un à qui parler. Il sera toujours une oreille attentive pour elle … Ou un compétiteur redoutable quand il s'agira de la poursuivre à travers la maison armé d'un pistolet Nerf. Il était polyvalent et pouvait tenir n'importe quel rôle à la perfection. Aussi, quand elle mentionne une récompense pour le gagnant, il ne peut s'empêcher de sourire. “Tu proposes quoi ? Un repas payé par l'autre au restaurant de notre choix ? Autre chose ?” Demande-t-il. Il propose simple parce que c'est la première chose qui lui vient en tête et qu'il se dit que si sa soeur à proposé une récompense, c'est qu'elle a sans doute une idée derrière la tête. “On garde le gage aussi hein, comme ça, double peine pour le perdant.” Ajoute-t-il. Ce qu'il n'ajoute pas, c'est que, dans sa tête, il est certain de gagner et qu'il est déjà en train de réfléchir à quelques idées de gages qu'il pourrait donner à sa cadette. Il sait aussi qu'elle sera une compétitrice redoutable et qu'il faudra mettre en œuvre tout ce qu'il a pu apprendre avec les longues années qu'il avait pu passer à jouer à des jeux vidéo. Tirer sur des personnages de jeux vidéo à l'aide d'une manette de console était une chose, tirer sur sa sœur avec un pistolet en plastique chargé de balles en mousse en était une autre, mais il avait confiance en ses capacités. Peut-être un peu trop. Peut-être qu'il va vite regretter d'avoir proposé cela, mais c'était un risque qu'il était prêt à prendre. Ne serait-ce que pour entendre le rire de sa sœur raisonner dans les couloirs.

Il n'en oublie cependant pas la raison de leur présence aujourd'hui. Il n'oublie pas son panier qu'il compte bien remplir de présents avant d'arriver jusqu'aux caisses. Il n'oublie pas non plus toutes les idées de cadeaux qu'il a en tête et c'est les yeux pleins d'étoiles que son regard se pose sur les nombreux kits de pâte à modeler. Un incontournable à ses yeux. Le genre de cadeaux qu'il avait déjà offert aux enfants de Qassim et qui avait fait mouche. Pas de doute que ça plairait tout autant à des enfants qu'il ne connaissait pas. “Car j'ai encore d'autres idées en tête et je préfère varier les plaisirs.” Répond-il en souriant. C'était aussi simple que cela. Il aurait pu prendre un kit de chaque et décidé qu'il avait assez contribué à cet élan de solidarité, mais il n'était pas le genre de personne qui achetait la même chose en plusieurs fois afin de ne pas avoir à se casser la tête avec les cadeaux. Il aimait réfléchir à ce qu'il pouvait offrir à chaque personne, prenant soin à ce que le cadeau soit aussi personnalisé que possible. Alors, même si aujourd'hui était un peu différent et qu'il ne savait pas qui recevrait les cadeaux qu'il était en train d'acheter, il ne voulait pas choisir l'option de facilité et voulait aussi faire plaisir à tout le monde. Ou tout du moins à un maximum d'enfants, tout âge confondu. “Je trouverai sûrement une occasion d'acheter la machine à glace pour quelqu'un d'autre. C'est que partie remise.” Déclare-t-il ensuite en haussant les épaules. Il ne s'attend cependant pas à ce que sa soeur vienne l'enlacer à cet instant précis. Il est presque pris de court, mais inconsciemment, ses bras viennent entourer sa cadette. Il la serre contre lui. Son sourire, s'affichant sur son visage quand il entend les mots qu'elle vient lui murmurer. “C'est justement pour ça que le destin à voulu que ce soit moi ton frère. J'en aurai pas non plus aimé une autre plus que je t'aime toi. C'est pour ça qu'on forme la meilleure équipe.” Lui répond-il. Il sera toujours reconnaissant pour le lien qu'il partageait avec sa soeur. Ils se complétaient autant qu'ils se ressemblaient et il n'imaginait pas un monde dans lequel ils n'étaient pas ensemble pour affronter toutes les épreuves que la vie mettait sur leur chemin.

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"Un repas payé par l’autre, ça me va. Puisque je suis certaine de gagner, j’ai pas envie d’abuser de mon pouvoir de vainqueur pour t’obliger à faire chauffer la carte bleue." Elle haussa une épaule, l’air de se donner bonne conscience "Je pense à ton ego. Ça fera déjà assez mal comme ça de te faire battre par une fille, pas besoin d’en rajouter." Ils s’en fichaient bien de tout ça, elle le savait. Elle savait aussi que faire preuve d’autant d’orgueil à ce moment-là ne faisait pas partie de ses habitudes. Mais elle s’y plia, parce qu’elle n’ignorait pas que ça ferait sourire, voire même que ça ferait rire son frère, et qu’après ce qu’elle venait de lui annoncer, ce n’était pas de trop. Yasmine avait beau être compétitrice, elle ne prenait pas vraiment ce genre de choses au sérieux, pour autant ça lui faisait du bien de prétendre le contraire, de pouvoir se réfugier derrière une barricade faite d’enfantillages et de frivolités.

Ils étaient ici pour autre chose cependant, et elle tacha de le rappeler à son frère de la manière la plus douce qui soit tandis qu’ils avaient encore une fois du mal à se décider sur ce qui ferait le plus besoin à un enfant. Ils réfléchissaient trop, c’était une certitude qui s’insinua en elle. Ils étaient devenus grands, c’était dans ces moments-là qu’elle s’en rendait véritablement compte, parce que dans le fond, elle était persuadée qu’absolument tout ferait plaisir à un enfant. Ils n’avaient pas d’exigences, ils se contentaient de se réjouir qu’on pense à eux en les gâtant comme ils le méritaient ; ils n’avaient pas le vice de trouver ça mesquin de la part de quelqu’un de recevoir tel ou tel cadeau, ça, ça venait des parents qui dans une optique de tout donner à leurs enfants en faisaient des petits capricieux qu’il devenait impossible de contenter au final. Pour les enfants qu’ils s’apprêtaient à gâter, il n’y avait pas de vice, il n’y avait qu’un besoin évident à combler, mal lotis par la plupart, alors que leur vie venait à peine de débuter. Ça lui serra le coeur, mais elle réinséra dans la conversation en riant à la réponse de son frère "Incontrôlable en plus de ça. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de toi, Sohan Khadji ?" lui fit-elle dans un arabe surjoué, chuchoté sur le ton de la farce qui ne tarda pas à s’amenuiser quand elle posa son regard sur lui pour l’observer un peu plus longtemps.
Et le prendre dans ses bras, ressentant soudain le besoin de le remercier pour ce qu’il était et ce qu’il lui apportait au quotidien. Elle ne comprenait pas qu’on ne puisse pas entretenir de bonnes relations avec ses frères et sœurs, encore qu’elle entendait que ce n’était pas parce qu’on faisait partie de la même famille qu’on était forcé d’avoir des choses en communs. Mais c’était assez nébuleux pour elle pour qu’elle puisse sincèrement se réjouir d’entretenir cette relation-ci avec son frère, basée sur une confiance aveugle et un amour aussi pur qu’il était sincère. On lui reprocherait probablement d’en faire trop, mais il était son allié dans tout ce qu’ils avaient vécu mutuellement, chacun de leur côté ou pas. Bien souvent, Sohan et sa bonne parole étaient le baume qui finissait de la guérir quand elle ne se sentait pas dans son assiette, à toujours lui donner les bons conseils, à toujours vouloir lui changer les idées quand elle restait focalisée sur quelque chose. Elle ne mentait quand elle lui disait que si sa place avait été prise par quelqu’un d’autre, elle ne l’aurait pas autant aimé ; c’était cavalier de le prétendre sans en douter, elle ne pouvait pas s’imaginer être la sœur de quelqu’un d’autre dans tous les cas, mais dans son cœur, elle le ressentait de cette manière et elle voulait le lui exprimer.
Ce qu’elle fit, sans s’attendre à ce qu’il ne lui rende la pareille. Il le fit néanmoins, la serrant dans ses bras aussi fort qu’elle était en train de le faire, sentant l’étaux de leur corps se resserrer pour former cette unité qui faisait bloc face aux agressions, face aux critiques. Quand elle se décolla de lui, elle prit son visage entre ses deux mains, et le nez froncé dans une mine farceuse qu’elle accentua quand elle lui toucha le bout du nez avec la pulpe de son index, elle mit un terme à leur soudaine démonstration de sentiments en lui disant sur un ton aussi sérieux qu’il était théâtral dans le fond "L’âge, ça te rend sentimental." Comme si ce n’était pas elle qui venait de lui faire une déclaration "Allez, on va régler tout ça. Je passe la première !" Elle ne lui laissa pas tellement le temps de lui ravir la place à dire vrai, elle s’élança avec son chariot jusqu’au premier guichet qu’elle trouva, laissant son chariot glisser de lui-même tandis qu’elle grimpa sur l’armature en ferraille en donnant l’impression de conduire un bolide beaucoup trop rapide pour elle. Elle redeviendrait adulte plus tard.

rp terminé.