Cette semaine-là, le vendredi, je finissais à dix-huit heures, ce qui me permettait, contrairement aux autres jours, de pouvoir aller au marché de Noël. Je n'étais pas spécialement du genre à être heureux à outrance à l'approche des fêtes, probablement parce qu'Helen ne m'avait jamais inculqué le fameux "esprit de Noël", ce que je ne lui reprochais pas, pour le coup, j'étais persuadé qu'il fallait posséder une âme pour ressentir ce truc bizarre à l'approche des fêtes et elle en était totalement dépourvue. Cependant, même si l'ambiance de l'appartement ne s'était pas vraiment améliorée depuis la crémaillère, j'avais passé pas mal de temps avec Niamh depuis et mon moral allait beaucoup mieux. J'avais eu une petite période de déprime passagère, mais elle n'était rien à côté de l'état limite dépressif dans lequel était mon meilleur ami depuis la même fête. C'en était au point où, me sentant impuissant, j'avais appelé sa mère dans son dos pour la convaincre de passer un peu plus de temps que prévu chez nous, en espérant qu'elle réussirait là où je ne faisais qu'échouer.

Je ne faisais qu'échouer, mais ça ne voulait pas dire que je n'allais pas continuer d'essayer, encore et encore, jusqu'à ce qu'il aille mieux. Et durant la période des fêtes de fin d'année, j'avais l'ambiance, le marché et les illuminations comme alliés. Je m'étais donc mis en tête de faire sortir Eden. Seulement, lorsque j'étais rentré à l'appartement, je l'avais retrouvé à errer comme une âme en peine, en pyjama. "Ok Tac ! Tu viens avec moi, on sort que tu le veuilles ou non. Si tu n'es pas prêt dans trente minutes, je te ferai sortir dans cette tenue, tu es prévenu... Je t'emmènerais même en slip s'il le faut !" Avais-je annoncé avec engouement. Et même si je plaisantais, je ne comptais pas le laisser passer la soirée sans venir avec moi, ce fut donc un soulagement de le voir aller prendre sa douche en quatrième vitesse.

Lorsqu'il ressortit avec une tenue rouge et blanche, un large sourire illumina mon visage, voilà qui était nettement mieux que le pyjama puant avec lequel je l'avais trouvé en arrivant. "Tu t'es mis dans le thème à ce que je vois !" C'était bon signe selon moi, au moins il n'en était pas au point d'avoir oublié la période à laquelle on était. J'avais peut-être l'air d'en rajouter, mais c'était moi qui vivais avec lui et ses airs de piano déprimant depuis de longues semaines. Il n'était plus que l'ombre de lui-même ces derniers temps alors même quelque chose d'aussi infime qu'une tenue aux couleurs de Noël semblait être un pas en avant de mon point de vue. Nous arrivions rapidement en ville et je fus émerveillé, moi aussi pas les lumières et les stands, vraiment, cette ambiance festive ne pouvait qu'être une bonne chose pour le moral de mon colocataire. D'ailleurs, il me prit dans ses bras et je le serrais contre moi, jusqu'à ce qu'il se redresse.

" Merci Tic. "

"J'espère que tu me remercies de ne pas avoir désaccordé ton piano. Tu savais qu'il y a des tas de tuto pour ça sur youtube ?" plaisantais-je -d'accord, à moitié, j'avais réellement été voir les tuto en question-, en faisant mine de ne pas avoir vu la larme qu'il venait d'essuyer.

Il était évident qu'il ne me remerciait pas pour ça, mais il me semblait également normal d'essayer d'aider mon meilleur ami dans une mauvaise passe. J'étais certain qu'il aurait fait la même chose pour moi. Je regardais autour de nous en passant un bras autour de ses épaules.

"Bon, et si on passait aux choses sérieuses ? Je ne suis pas vraiment doué pour les décorations de Noël, ma mère ne décorait jamais quand on était gosse... Alors, j'espère que tu es en forme, tu as presque tout à m'apprendre !"

Bien sûr, ce n'était pas tout à fait vrai, j'avais regardé des tonnes de films de Noël, souvent sous l'œil moqueur de Gideon d'ailleurs. Mais il était vrai que je n'avais pas une grande expérience des décorations en dehors de ça, si j'avais décoré deux sapins dans ma vie, c'était déjà beaucoup. Et puis, cette activité avait, bien sûr, l'immense avantage de le faire penser à autre chose et ça, c'était inestimable. J'avais même glissé une allusion à ma mère dans le tas alors que j'évitais habituellement le sujet avec lui, Eden était tant opposé à Helen que j'avais l'impression qu'il ne pourrait même pas croire qu'un personnage comme elle pouvait exister. Bref.

"Ta mère arrive quand déjà ?" Est-il nécessaire de préciser que je savais précisément quand elle arrivait, en fait ? "Ce serait bien que tout soit décoré à son arrivée, non ? On est quand même à moins d'une semaine de Noël."

J'avançais à reculons vers les stands, risquant à tout moment de me prendre les passants qui s'y baladaient.

"Alors, tu viens ? Par quoi tu veux commencer ? Les boules ? Les guirlandes ? Un chocolat chaud ? Un tour de grande roue ?" Je devais avoir l'air d'un gosse, j'en étais même à sautiller sur place tant j'étais impatient. "En tout cas, je te préviens, je ne partirais pas d'ici sans avoir trouvé une décoration à l'effigie de Tic et Tac !"

" Hahaha ! Je rigole mais tu sais que si tu touchais mon piano, l'un de nous serait mort. "

Je riais, mais en réalité, je n'étais même pas certain que ce soit une blague.

“Tu me menaces maintenant, Tac ?” Parce que, soyons sérieux cinq minutes, qui allait croire que dans un combat face à Eden, ce serait lui le perdant ? Adriana m'avait mis K.O en un coup, après tout.

Changeant de sujet, je révélais à Eden qu'il allait tout devoir m'apprendre en matière de décoration, puisque je n'y connaissais rien. Ce qui était à la fois vrai, puisque j'appartenais à la famille O'Connor et que les enfants du Diable n'ont pas le droit à Noël et en même temps, ça donnait une sorte de mission à Tac, l'occasion de penser à autre chose que sa tristesse. Du moins, je l'espérais. La conversation se poursuivit autour de sa mère, je lui demandais quand celle-ci arrivait, alors que je le savais très bien, puisque je l'avais appelée pour l'inviter à venir plus tôt.

" Je suis irrécupérable, elle arrive dans 3 jours. Heureusement que t'es là pour me secouer ! "

Je haussais les épaules.

“Elle t'aurait secoué à ma place, si je n'avais pas été là, je suis loin d'être indispensable !

Je me forçais à sourire et à ne pas détourner les yeux. En réalité, cette période des fêtes me rappelait souvent tout ce qu'Helen pouvait dire, dont le fait que j'étais inutile. D'ailleurs, les années précédentes, j'évitais tout ce qui me faisait trop penser aux fêtes, je passais la plupart de mon temps sous ma couette à regarder des films en buvant du vin. Mais cette année, j'avais une mission… Et pour tout dire, aussi étrange que ce soit, j'étais vraiment excité à l'idée de découvrir ce marché de Noël et toutes les choses que je ne faisais pas habituellement. Le premier choix d'Eden se porta sur la nourriture, nous marchions donc à la recherche d'un stand de marrons chauds dans un premier temps. Sur le chemin, il raconta qu'à Paris, il y avait plusieurs boutiques Disney et qu'il pouvait même aller à Disneyland quand il le voulait.

"Oooh, ce serait cool qu'on y aille tous les deux un jour ! Ou à celui de Tokyo ou Hong Kong ? "

“Ce serait génial, oui !”

Je ne savais absolument pas à quoi un parc sur le thème de Disney pouvait ressembler, mais une chose était sûre, avec mon meilleur ami, ça ne pourrait qu'être extraordinaire. Je nous imaginais déjà déambulant au milieu de décors de dessins animés, affublés de déguisements d'écureuils, comment ne pas penser qu'une journée pareille serait PAR-FAITE ? Nous arrivions au stand où je prenais des marrons chauds, des churros et un vin chaud, je n'étais pas dans mon canapé, mais la partie boisson de ma tradition déprimante serait au moins respectée !

" Santé Tic !

“Santé Tac !”

Trinquons à l'année qui arrive en espérant qu'elle soit plus joyeuse pour toi, pensais-je. Mais je ne le disais pas tout haut, pour une fois qu'il était habillé, dehors ET semblait de bonne humeur, je ne voulais surtout pas insister sur les mauvais sujets. Pendant que j'engloutissais plus de calories que ce que je mangeais habituellement en un week-end complet, Eden me parla un peu de sa mère. Je dois avouer que sa description me rassurait beaucoup, la seule expérience que j'avais en la matière était Helen et elle ne donnait pas spécialement envie de faire confiance aux autres mères. J'avais fait l'effort de contacter Kate pour Tac, parce que je savais qu'il s'entendait bien avec elle, mais j'avais tout de même une appréhension. Quand on a vécu toute sa vie avec quelqu'un qui est l'exact opposé de ce que le mot “maman” est censé signifier, on a un peu de mal à faire confiance aux autres parents.

" Tu vas vite t'en rendre compte, ma mère c'est une boss ! Si j'aime autant Noël et Halloween, ce n'est pas un hasard. Tu vas me traiter d'enfant gâté mais clairement, c'est sa faute ! Non vraiment, en plus c'est une vraie reine pour organiser des fêtes. Elle est encore plus dans le détail et l'attention que moi. J'exagère absolument pas ! Pour son hôtel, l'année dernière, tu aurais vu, c'était un thème blanc et bleu pastel avec des touches argentées... Magique ! Je dois bien avouer que fêter Noël en France tout seul deux ans d'affilée, ça n'a pas été la même histoire."

Le voir rire et parler avec autant d'entrain me donnait du baume au coeur. Sa mère avait l'air de quelqu'un d'exceptionnel, à l'exact opposé de la mienne et c'était parfait ainsi. C'était vraiment bizarre pour moi, mais j'avais hâte de fêter Noël. Vraiment.

" Sois pas trop surpris mais, je sais qu'elle t'a déjà acheté un cadeau. Je sais pas quoi mais elle a pensé à Mitsu, toi et Nini. "

Et là, c'était la panique.

“Quoi !?” Fis-je, en écarquillant les yeux. J'avais déjà galéré comme jamais pour les cadeaux de Nini, Eden et Mitsu alors que je les connaissais, mais je pensais que la mère d'Eden n'en ferait qu'à lui. “Mais comment je vais faire ? Je vais me sentir si mal si je n'ai pas de cadeau alors qu'elle m'en offre un ! Tu vas m'aider, pas vrai ?”

C'était clairement plus une supplication qu'une demande. Comme si je n'étais déjà pas assez stressé par la venue de sa mère pour avoir en plus à lui chercher un cadeau. J'imaginais ce que j'aurais pu vouloir offrir à la mienne, pensant bêtement que cela me donnerait peut-être une idée correcte. Les deux premières choses qui me virent en tête furent une muselière et un bon pour un internement en hôpital psychiatrique… Ouais, j'étais clairement dans la merde.

Nous passions à côté des premiers stands d'ornements où j'achetais un peu tout ce qui me passait sous le nez, comme si j'essayais de rattraper les années sans décorations en en achetant des centaines. Parmi elles, j'en prenais une représentant un chat qui ressemblait étrangement à celui de ma meilleure amie et pour la lui offrir. Aussi, lorsque nous arrivions à la grande roue, j'étais déjà encombré de trois sacs et j'avais passé des guirlandes autour de mon cou pour les transporter plus facilement. C'est donc avec un peu de mal que je m'installais dans la petite cabine, face à Eden. La roue se mit en mouvement et dans le silence du soir, le paysage défilant lentement sur les côtés, j'observais Eden sans savoir quoi dire. Lorsqu'il y avait des dizaines de chalets pour capter nos attentions, faire semblant que tout allait bien était facile. Quand il n'y avait plus autant de distraction, c'était nettement moins simple. Pourtant, je ne voulais pas prendre le risque qu'il retourne à sa déprime, il fallait que je trouve un sujet de conversation. Mais je n'en avais pas beaucoup d'autres que Mel ou son boulot et ceux-là étaient bannis. Alors, comme souvent quand je ne savais pas quoi dire, je finissais par dire n'importe quoi.

“Tu sais, j'ai rencontré une fille il y a quelque temps et je crois que j'ai réussi à tout gâcher en un temps record.” lâchais-je, sans réfléchir, en regardant les lumières de la ville qui apparaissaient de plus en plus avec la hauteur.

Une fille. Adriana. Et alors qu'il était en déprime pour un crush depuis deux mois. Si j'avais voulu un sujet pire, je n'aurais probablement pas su.