| Porcelain Days [Adriana / Muiredach 1] |
| | (#)Jeu 23 Déc 2021 - 1:30 | |
| Pratiquer ce métier que j’aimais profondément venait parfois à des entailles profondes au plus creux de l’âme. Des plaies qui étaient difficiles à panser. Des enquêtes qui en arrivant sur la scène du crime, on sentait notre cœur se contracter comme s’il était caché sous le poids d’un éléphant, comme si l’air n’était qu’une bouillon épais si acre qu’il était pratiquement impossible d’inspirer pour le laisser couler dans ses poumons. Pour moi, les enquêtes les plus pénibles impliquaient inlassablement des enfants. Depuis une petite vingtaine d’année, depuis que j’étais devenu père, j’avais toujours ressenti ce nœud dans l’estomac quand j’apprenais qu’il y avait des enfants d’impliquer dans une enquête. Une partie de moi crois fermement que les petits ont le droit d’être protéger de la cruauté du monde qui les entourent. J’avais fait de mon mieux pour épargner mes enfants de cette saveur amère que pouvait avoir la vie.
Tout cela nous ramenait donc à cette enquête que je trouvais ardu : un kidnapping d’enfant dans un divorce sale, ce n’était pas le genre de cas que l’on voulait prendre conscience en plein mardi à quelques jours de Noël. On s’entend, j’avais beau tenir plus du Grinch’ que du bonhomme à la barbe blanche et à l’habit rouge, je n’avais simplement pas envie qu’un enfant ne profite pas de cette belle fête que j’avais pourtant célébrer presque religieusement avec mes enfants. L’affaire était pressante dans le temps et le poste bouillonnait d’activité. Chaque minute comptait dans cette course contre la montre pour retrouver la petite Nora, trois ans, et son père, Edgar. Dépêché sur les lieux de l’enlèvement, j’avais passé beaucoup trop d’heures avec l’équipe à passer au peigne fin autant la scène de crime que ce que disait les témoins de la nursery.
Je n’avais naturellement pas su quoi dire à la mère ébranlée en demandant des informations des plus factuelles. Neutre, stoïque comme à mon habitude, j’avais pris en note un tas d’informations et dans l’équipe, les tâches s’était naturellement répartie entre de la patrouille et des pistes. Le tictac de l’horloge nous accompagnait. J’avais jugé contreproductif de rentrer à la maison. Ma tête tournait trop en explorant les pistes. Je savais fort bien que je n’allais pas arriver à dormir… et pourtant je me suis brièvement assoupi dans mon bureau vers deux heures du matin, mal installé dans mon fauteuil pour me faire réveiller par un coup de téléphone pour une piste. Demandant à un collègue de me suivre après avoir noter les informations, je lui lançais les clés de la voiture. Un tour dans le stationnement d’un petit motel miteux en banlieue permis d’identifier le véhicule. Renfort appelé, sur les coups de sept heures tapantes, nous entrions dans une chambre miteuse pour y trouver le père dépasser et lui mettre les menottes.
Il était en ce moment huit heures. J’avais clairement fait savoir que j’avais l’intention de poser le restant de ma journée après avoir bouclée mon rapport. J’avais l’allure d’une personne qui avait dormi sur la corde à linge. On avait bien beau avoir retrouver la petite saine et sauve, j’avais le cœur lourd et de la difficulté à fonctionner. J’aurais tant aimé pouvoir voir mes enfants, même s’ils n’étaient plus des petits. Alistair était déjà rendu un adulte. Il aurait 19 ans dans un peu plus de cinq mois. Et ma grande Isla devait entamer sa résidence en médecine non? Définitivement une adulte. Mais j’aurais tout donné pour pouvoir les serrer alors que je n’étais pas le plus câlin des hommes.
Le passage vers le coin cuisine vit remplir ma tasse d’une quatrième tasse de l’insipide décaféiné avec lequel je pris mes cachets du matin machinalement. J’étais à fixer le vide avec une tasse de café à demi-tiède et au goût de carton. J’étais à des kilomètres d’ici et pourtant. J’eus un semblant de sourire sur mon visage en voyant passer Adriana, une bonne amie de ma fille. Un « Bon matin. Le café est une horreur froide ce matin. » qui était des plus maladroit et suivit d'un baillement. @Adriana Suárez |
| | | | (#)Jeu 30 Déc 2021 - 21:17 | |
| Lorsque Adriana était arrivée au poste de police à 20H00, pour prendre son service, plusieurs départements étaient en effervescence. Rapidement, on la briefa sur l’enquête en cours : l’enlèvement d’une enfant de trois ans, sans doute par son père. De patrouille cette nuit, elle se hâte d’enfiler son uniforme puis rejoignit son coéquipier pour visiter plusieurs adresses qu’on leur assigna. Son service terminait à 8H00 du matin, et Adriana était sur les rotules. Ils avaient vérifié tous les lieux qu’on leur avait demandé d’inspecter, des hangars, des anciennes granges, des bâtiments appartenant au père ou à ses proches. Rien. Tout est vide, et aucun indice du passage de la petite Nora n’avait été retrouvé. La brunette aurait aimé travailler sur l’enquête, être dans un bureau à exploiter des pistes. Elle aurait voulu apporter un regard neuf sur l’affaire, au lieu d’avoir l’impression de chercher une aiguille dans une botte de foin. Mais non, elle n’était qu’en patrouille, à sillonner les routes et à ouvrir l’œil. Finalement, alors que la nuit allait bientôt s’achever, un appel radio leur demanda de se rendre dans un petit motel miteux pour épauler la brigade criminelle. La voiture du père avait été vue, stationnant sur le parking, et l’équipe espérait que le père et la petite s’y trouvaient. Comme les autres policiers, Adriana et son coéquipier se stationnèrent à une vingtaine de mètres de l’hôtel, pour ne pas attirer l’attention. Ils sortirent de leur véhicule et s’équipèrent de gilets par balles et d’armes à feu avant d’écouter la stratégie de la brigade criminelle, aux commandes de l’opération. Il était 7H00 quand une dizaine de policiers entrèrent dans la petite chambre et y trouvèrent le père, réveillé en sursaut, ainsi que la petite qui avait disparu. Adriana rangea immédiatement son arme et attrapa la petite, enroulant une couverture autour d’elle et la sortant du motel pour la porte jusqu’à l’ambulance garée derrière les voitures de patrouille, en attente de l’intervention. Heureusement, l’enfant semblait aller bien, physiquement parlant, mais être un peu choquée par la situation. La brunette avait agi instinctivement, se disant qu’une présence féminine pourrait rassurer la gamine. Elle se fichait des moqueries et des remarques sexistes de ses collègues qui finiraient par arriver. Elle voulait juste que l’enfant ne voit pas son père se faire arrêter, et ne soit pas entourée par une dizaine de policiers braquant sur son papa des armes à feu. Il était déjà 8H00 du matin, la petite était rentrée chez sa mère, et les policiers étaient retournés au poste. Adriana n’avait pas encore quitté son uniforme, avait encore de la paperasse à remplir. Elle devait finir avant de rentrer, ne voulait de toute façon pas repousser ça à ce soir. La fatigue se faisait cependant ressentir. La tension accumulée s’était envolée, et avec la descente d’adrénaline, elle se sentait à plat, et avait un énorme mal de crâne. Un café lui ferait le plus grand bien, même si c’était le jus de chaussette préparé par ses collègues. Elle alla s’en servir une tasse et Muiredach l’interpela. « Bon matin. Le café est une horreur froide ce matin. » Elle répond à son sourire, l’a toujours apprécié, malgré la froideur qu’il pouvait renvoyer. En réalité, elle le connait depuis de nombreuses années, bien avant la police, puisqu’elle est une grande amie d’Isla, sa fille. « Tant que c’est de la caféine, je prends quand même. » Elle fit pourtant la grimace en avalant une gorgée. « Ok, là, ils se sont surpassés. » Elle s’assit sur le comptoir de la cuisine, ajouta un peu de sucre pour tenter d’améliorer le goût, alors qu’elle aimait en principe son café noir. Elle prit ensuite une touillette pour mélanger l’infâme mixture, et releva le regard vers Muiredach. « Je ne suis pas sûre d’avoir fait le bon choix, à l’époque. Je veux dire, devenir flic. Je voulais éviter que des drames arrivent aux gens, mais en réalité, on débarque après les tragédies, pour tenter de recoller les morceaux. » Elle esquissa un sourire triste qui ne gagna pas ses yeux. « Aujourd’hui, ça s’est bien terminé, mais c’est rare. » Elle haussa les épaules. « Je crois que j’étais trop utopiste, trop jeune. Que je le suis sans doute encore. » Depuis quelques temps, elle se posait de réelles questions sur son métier, son orientation professionnelle. Elle était devenue policière pour aider les gens, mais avait l’impression de ne pas y arriver. Elle voyait la misère humaine au quotidien, ce qu’il y avait de pires en l’être humain, et ne faisait qu’attraper les méchants, une fois que les infractions étaient commises. C’était dur, bien plus dur qu’elle ne l’aurait imaginé. |
| | | | (#)Dim 9 Jan 2022 - 21:53 | |
| Je savais fort bien qu’il aurait fallu que je baisse un peu ma garde. Mon quart de travail qui s’étirait maintenant sur près de vingt-quatre heures n’aidait sans doute pas. En arrivant à la maison, je serais rompu de fatigue : la dureté de cette journée en montagnes russes me rattraperait sans doute. Comme j’aurais aimé pouvoir prendre mes souliers de course à la fin de mon quart pour que je puisse faire sortir la fumée qui bouillait silencieusement en moi d’une manière autre. Comme j’aurais aimé pouvoir simplement crier sans sentir le besoin de me justifier. La réalité, c’était que sans doute je laisserais la pression sortir dans cette douche que je prendrais avant de me laisser sombrer dans un sommeil qui serait probablement peu réparateur. Mais non, j’avais toujours été doué, peut-être trop doué, pour laisser mes émotions ailleurs que dans ce milieu de travail où je passais définitivement beaucoup trop de temps depuis mon divorce.
Pourtant, Adriana était l’une des seules personnes qui avaient le droit à des sourires de ma part. Elle avait fait un bon boulot aujourd’hui. Je l’avais vu avec sa gentillesse quand elle était allée chercher la petite Nora. Elle avait également en sa faveur cette amitié qu’elle avait tissée avec ma grande fille. Elle était si petite la première fois qu’elle avait mis les pieds chez moi pour traîner avec ma fille. Sa présence soulevait une douce nostalgie surtout quand on considérait l’état de ma relation avec ma fille.
Ça n’empêcherait pas que je me garderais bien de lui préciser que le décaféiné était encore pire que celui avec de la caféine. Hors de question que j’avoue à voix haute que j’étais sur l’affreux jus de chaussette qui ne donnait même pas un semblant de réveil. Je me contentais donc de dire : « Et encore, celui de trois heures du matin goûtait le savon. C’est presque une amélioration. » Amélioration qui ne serait jamais suffisante pour compenser une tasse caféinée.
Je la regardais ajouter un sucre dans son café et s’asseoir sur le comptoir de cuisine avant de relever les yeux vers moi. Je l’écoutais en silence se confier sur comment elle trouvait ce métier particulièrement difficile parfois. Elle m’avait approché au tout début de son parcours, quand elle songeait à joindre l’école de police. Mon amour de mon métier avait naturellement coulé de sens à travers mes mots. J’avais su que je voulais être un policier avant même d’entrer à l’école. J’aimais les règles, les lois, l’encadrement et la justice. Le fait de devenir enquêteur avait coulé de sens : c’était stimulant mentalement de réfléchir, de raisonner et d’observer pour comprendre où se trouvait le point d’origine d’un crime. Identifier les failles dans un crime (parce qu’aucun n’était parfait) était satisfaisant. Mais ça n’empêchait pas que je mentirais si je disais que je n’avais jamais eu de doutes ou d’envie folle de tout plaquer. Ce métier a un poids émotif indéniable.
Fidèle à moi-même, ce fut d’honnêteté que je m’armais pour commencer à parler. Je me passais une main dans cette barbe de quatre jours que je raserais sans doute dans ma douche. « Je t’avoue que j’en ai moi-même parfois des doutes face à ce métier. Et pourtant, je sais que le seul moyen que je le quitterais, c’est quand je vais mourir probablement. Je ne me verrais pas faire autre chose. » La réalité était encore plus crue quand on savait que mon cardiologue s’amusait à dire que mon refus de considérer la chirurgie comme une option viable disons qu’il y avait des chances que ce métier aie réellement ma peau. Mais justement, à quelque mois de ma cinquantaine, je ne me voyais pas recommencer dans un autre domaine une nouvelle vie et si ça se savait… disons que je n’aurais pas vraiment le choix. Je passais un autre petit coup de bâtonnet dans mon café noir (comme si le fait de le brasser avait une chance de le métamorphoser en quelque chose de plus digeste). Puis, je déglutis lentement : « C’est normal d’avoir des doutes quand on s’expose à ce que l’humain peut faire de pire en boucle. Mais, tu vois, aujourd’hui, tu as fait un boulot exceptionnel. Pour Nora, tu as tenu des superhéroïnes. »
C’était mon supérieur qui disait après tout que j’avais de la difficulté à souligner les bons coups de mes subalternes? C’était déjà ça de gagner non? C’était pas mal le plus proche qu’on aurait. Qu’un de mes hommes aille chercher la petite aurait sans doute été bien plus traumatisant. C’était pour ça que c’était bien qu’il y ait des femmes sur les équipes. J’aurais été mal placé pour la tirer de là. Et j’aurais sincèrement toujours voulu une femme avec moi dans les cas de viol avec des victimes encore en vie. « Mais tu sais que chaque affaire qu’on résout aide aussi. Ça amène la paix aux victimes et parfois à leurs proches. Pour peu que le restant du système judiciaire soit capable de suivre et que les journalistes n’agissent pas en charognards . Ce n’est peut-être pas aussi plaisant que pour les pompiers qui ont les remerciements de la population plus facile, mais à la fin. On apprécie ce que l’on fait… sauf quand les gens ont l’impression que ça bloque. » Pour moi, ce que je trouvais difficile, c’étaient les enquêtes comme celle de la mort de son frère ou comme l’affaire Hemingway. Celles qui restaient sans réponse et qui prenaient une place considérable dans ma tête. @Adriana Suárez (milles excuses pour la petite attente) |
| | | | (#)Sam 22 Jan 2022 - 22:53 | |
| La journée touche à sa fin, ou plutôt la nuit. La fatigue gagne progressivement Adriana, surtout depuis que l’adrénaline est retombée en même temps que l’affaire a été bouclée. Tout ce qui lui reste à faire, c’est de la paperasse, et elle n’est pas trop pressée de la remplir. Elle sait que quand elle aura terminé, elle pourra rentrer chez elle, dormir, puis profiter d’un peu de temps de repos pour aller à la salle ou faire une balade à moto. Mais en même temps, elle traîne dans la salle de repos, incapable de rentrer tout de suite et d’affronter la solitude, après une nuit aussi intense. Muiredach est là, un café à la main, et il avertit Adriana sur le goût horrible de la boisson. La brunette rit, ne peut tout de même pas résister à l’appel de la caféine et prend les quelques mots de l’inspecteur comme une invitation à la conversation. C’est assez facile, de discuter avec Muiredach. S’ils n’ont jamais été réellement proches, ils se connaissent depuis aussi loin qu’Adriana se souvient. Lorsqu’elle avait trois ans, sa mère la déposait déjà chez les MacLeod pour passer quelques heures avec son amie Isla. Et si, jusqu’aux 17 ans d’Adriana, leurs échanges se limitaient à des politesses et des banalités, tout avait basculé en septembre 2013, à la mort du frère de la brunette. Muiredach avait été chargé de l’enquête, et leurs conversations étaient devenues plus régulières et plus profondes. Finalement, c’était naturellement vers l’inspecteur qu’Adriana s’était tournée lorsqu’elle avait envisagé de rejoindre la fac de droit pour ensuite devenir policière. L’enthousiasme de Muiredach avait été communicatif, et l’inspecteur avait rassuré Ade sur son choix. Et pourtant, des années plus tard, après seulement deux ans à exercer ce métier, la voilà qui doutait déjà de son choix. Parce que ce n’était pas un métier facile, certes : on avait beau l’avoir prévenu, rien ne peut préparer à ce qu’on y voit au quotidien. Parce que ce n’était pas ce à quoi elle s’attendait, tout simplement. Elle pensait naïvement pouvoir éviter que des tragédies, comme ce qui était arrivé à Eduardo, se produisent. En réalité, elle intervenait en aval, une fois que les horreurs avaient été commises, pour tenter de ramasser les pots cassés. C’était décevant, et c’était dur, moralement parlant. « Je t’avoue que j’en ai moi-même parfois des doutes face à ce métier. Et pourtant, je sais que le seul moyen que je le quitterais, c’est quand je vais mourir probablement. Je ne me verrais pas faire autre chose. » Elle hausse les épaules, touillant distraitement son café, son regard perdu sur le liquide bien trop clair pour être autre chose que du jus de chaussettes. « Mouais. Je ne sais pas. Je crois que je serais capable de faire autre chose. Je voulais que personne ne vive ce que j’ai vécu, mais … » Elle pince les lèvres avant qu’un sourire triste ne vienne naître sur son visage, plongeant son regard dans celui de Muiredach. « … faut croire que j’étais naïve de penser pouvoir y arriver. » Elle est gênée d’admettre ça à haute voix, parce que ça donne d’elle une image de gamine candide. Et dans ce métier, on n’a certainement pas besoin de ça pour se faire une place. Elle en bavait déjà suffisamment au quotidien parce qu’elle était jeune, qu’elle sortait d’école, et surtout parce qu’elle était une femme. Si un de ses collègues l’entendait parler ainsi, elle serait la risée de tout le service. Mais elle avait confiance en Muiredach, parce qu’ils se connaissaient depuis toujours. « C’est normal d’avoir des doutes quand on s’expose à ce que l’humain peut faire de pire en boucle. Mais, tu vois, aujourd’hui, tu as fait un boulot exceptionnel. Pour Nora, tu as tenu des superhéroïnes. » Adriana ne peut s’empêcher de rougir légèrement au compliment, détournant le regard. Elle sait que Muiredach est plutôt froid avec tout le monde, qu’il n’est pas un pro des félicitations, alors elle apprécie d’autant plus ses paroles. Pourtant, un rire sans joie s’échapper de ses lèvres. « Ha ouais ? Tu pourrais en parler aux autres alors ? Parce que ça fait moins d’une heure qu’on est de retour au poste, et j’ai déjà eu le droit à trois commentaires sexistes, dus à mon intervention. » Elle lève les yeux au ciel, agacée par le comportement de certains de ses collègues, mais s’empresse d’ajouter, l’inquiétude se lisant dans son regard. « Je rigole, par pitié, ne leur dit rien ! » S’ils se faisaient remonter les bretelles par Muiredach, le quotidien de la brunette n’en serait que plus désagréable. Déjà que leurs échanges pouvaient faire jaser, puisqu’ils se parlaient beaucoup plus que l’auraient fait des collègues qui ne se connaissaient pas à l’extérieur. Tout était question d’apparences, ici. « Mais tu sais que chaque affaire qu’on résout aide aussi. Ça amène la paix aux victimes et parfois à leurs proches. Pour peu que le restant du système judiciaire soit capable de suivre et que les journalistes n’agissent pas en charognards. Ce n’est peut-être pas aussi plaisant que pour les pompiers qui ont les remerciements de la population plus facile, mais à la fin. On apprécie ce que l’on fait… » Muiredach ne pensait pas si bien dire, en mentionnant les pompiers, puisque c’était ce qui trottait dans la tête depuis quelques temps. Elle avait épaulé les soldats du feu sur une intervention, et avait à la fois était terrorisée et galvanisée par ce qu’elle avait ressenti. Et même si elle avait risqué sa vie, elle l’aurait refait sans hésiter pour en sauver une autre. Finalement, l’idée de rejoindre les pompiers avait germé devant son esprit quand Trent, un pompier, avait planté la petite graine dans sa tête. Depuis, l’idée faisait son petit bonhomme de chemin, petit à petit, sans pour autant qu’Adriana soit prête à se lancer dans une reconversion. « … sauf quand les gens ont l’impression que ça bloque. » Aïe, les mots de trop. Ceux qui font référence à Eduardo. La brunette pince les lèvres et secoue la tête. « Ne fais pas ça, s’il-te-plaît. » Elle aimerait dire que ce n’est pas grave, si les meurtriers d’Eduardo ne sont jamais attrapés, mais c’est faux. Pourtant, elle aimerait rassurer Muiredach, ôter le sentiment de culpabilité qu’il pourrait ressentir. Parce qu’il n’a aucune piste pour résoudre cette affaire, et ne la résoudra jamais. Sans doute parce qu’Adriana a menti, à l’époque, et qu’elle ment toujours : elle a caché à tous le mobile de l’agression, la perte de drogue par Eduardo. Parce qu’elle voulait protéger la mémoire de son frère, et épargner ses parents, dévastés par le chagrin. Elle sait que les coupables ne seront jamais punis, mais elle ne peut pas se résoudre à dire la vérité, même si elle est certainement responsable, en grande partie, de l’échec de cette enquête. « Ce n’est pas de ta faute, ni de celle des autres enquêteurs. » Elle hausse les épaules, son regard triste mais ferme planté dans celui de l’inspecteur. « Ca ne me ramènera pas mon frère, et ça n’atténuera pas la douleur. Je n’ai pas besoin qu’on les trouve pour avancer. Tu dois oublier. » Oublier cette enquête, ne plus culpabiliser, alors qu’il n’y est pour rien. |
| | | | (#)Jeu 3 Fév 2022 - 16:58 | |
| Rares étaient les collègues avec qui je m’ouvrais assez pour parler de mes insécurités, du fait que je ne savais pas ce que je ferais si, un jour (plus prochain que ce que je voulais admettre), je n’étais plus en mesure de faire ce métier que j’avais choisi autant qu’il m’avait choisi.
Les forces de l’ordre m’avaient toujours fasciné : un mélange de mon amour (quasiment inconditionnel) des règles et de cette admiration que j’avais eu pour mon père, à l’image de bien des garçons devenus grands. La structure du milieu de travail et la rigueur dont il fallait faire preuve dans le cadre d’une enquête ou d’une intervention avaient su me rassurer. Je n’avais toujours été ce genre de personne qui aimait suivre les règles au pied de la lettre : pas de tricherie dans les jeux et des crises de colère terribles lorsqu’elles étaient brimées et que j’étais petit. J’étais devenu plus contrôlable avec le temps. C’était silencieusement que je rongeais mon frein lorsque je les voyais légèrement tordues pour s’adapter à une situation particulière.
Les enquêtes de la criminelle étaient venues rajouter une couche supplémentaire sur cette réalité droite et carrée : elles étaient stimulantes et forçaient à envisager des dizaines d’avenues différentes. Je trouvais fascinant de comprendre pourquoi certaines personnes commettaient les crimes. Même si je ne l’admettais pas aisément à voix haute, je ne comprenais pas nécessairement pourquoi la sexualité et l’amour étaient la cause de tant de crime.
C’était donc naturellement que j’avais parlé avec enthousiasme de mon métier quand Adriana m’avait demandé mon avis. Je l’aimais, ce métier. Même s’il était difficile. Même si je revenais souvent à la maison vidé de mes émotions avec une vision terrifiante de l’humanité (et du manque d’humanité dont certains individus faisaient preuve à l’égard des autres). C’était peut-être un peu facile de le voir ce métier avec des lunettes roses au début pour que le passage de l’eau sous le pont le transforme en une vision plutôt sombre de ceux auprès de qui nous en venions à arriver.
Si la brunette pouvait s’imaginer se recycler, c’était au-dessus de mes capacités. Je savais aussi par expérience que l’équipe et la taille du poste y jouaient pour beaucoup. Dans le village où j’avais été rétrogradé, je m’étais retrouvé à en faire de la prévention. Parce que le service était petit. Parce que la criminalité y était d’un ennui particulièrement ennuyant surtout dans le plus bas de la saison touristique. Ce fut d’ailleurs ce que j’abordais en reprenant une autre gorgée de l’horreur appelée « café ». « Faut aussi dire que tu es sensiblement plus jeune que moi. À mes yeux, par contre, c’est une erreur de penser que l’on n’empêche pas d’autres crimes. La criminelle, ce n’est pas la meilleure pour le voir : un meurtre seul, ça n’amène pas de prévention. Mais arrêter des récidivistes ou des criminels dont l’action est plus insidieuse, ça joue aussi. Les stups’ par exemple font plus de prévention. Et les plus petits postes que celui de Brisbane aussi en font beaucoup plus. » Je n’étais pas en train de suggérer un exil à l’autre bout du monde. J’étais simplement lucide sur le fait que le rythme et la quantité de cas à gérer influençaient sur ce rôle que les policiers pouvaient jouer en amont : en allant dans les écoles pour parler des risques, en faisant des interventions dans des milieux plus difficiles. Et je savais qu’il faudrait trouver le temps pour construire des ponts avec des communautés marginalisées. Mais ce n’était pas mon rôle de faire ce genre de suggestion – c’était à des gens bien plus hauts gradés que moi que revenait cette décision d’intervenir comme elle aurait aimé le faire pour éviter ces idées que l’on voyait parfois dans les journaux de « tous les flics sont des bâtards ». Ce n’est pas parce que j’agis – parfois – comme un con que je ne suis qu’un bâtard. Mais l’expliquer, c’est difficile et ça prend du temps pour déconstruire les a priori de part et d’autre.
Je levais un sourcil lorsque la Suárez dit qu’elle souhaitait que je le dise aux autres qu’elle avait fait un bon boulot. Je n’étais pas certain de son sérieux, malgré ce petit rire qu’elle avait laissé échapper. C’était difficile avec cette fatigue de l’enquête de le déterminer, mais son roulement d’yeux au ciel me le confirma. « C’est bien ce que je croyais. Parce que si je viens à ta défense, les autres ne se la fermeront plus. Un truc pour qu’on m’accuse de favoritisme. » Je me savais très bien avare en compliments. Et considérant cet historique qu’il y avait avec moi qui avait supposément trompé ma femme avec des preuves dans la valise arrière de ma voiture? Je ne la voyais pas comme ça : c’était un peu comme ma fille. J’avais encore parfois en tête ces rires et ces gloussements d’enfants les jours où la Suárez passait ses journées chez moi à jouer avec ma grande. Mes relations au travail n’étaient que professionnelles. Soyons honnêtes : la plupart de mes relations n’étaient que professionnelles. Je n’étais pas certain que je voulais que ça change sur le long terme.
Parce que c’était compliqué parfois d’en sortir. La preuve se voyait dans cette brève référence que j’avais faite à l’enquête sur la mort de son frère. Comme toutes les enquêtes sur lesquelles j’avais bossé et qui avaient fini en queue de poisson, elle occupait une place plus grande dans ma tête. J’avais sincèrement l’impression que j’aidais lorsque j’amenais le coupable à la justice et je ne l’avais pas fait. J’avais échoué. Je l’avais à travers la gorge et je ne réalisais pas nécessairement la tristesse que ce cas pouvait amener chez ma cadette. « Je m’en excuse. Je ne veux pas te le ramener en mémoire. » Je le savais que ce souvenir était sans doute plus traumatisant pour la jeune femme que pour moi. Et pourtant… pourtant, je me sentais oublier de le rajouter : « Dans l’absolu… je le sais. L’enquête pour Eduardo, c’est le genre de chose qui arrive. Une piste qui devient froide et qui n’est jamais résolue. Ça n’empêche pas que je trouve ça difficile encore de ne pas comprendre pourquoi. » Parce que c’était justement ce que je recherchais. Une incroyable liste de pourquoi dont je trouverais assez aisément la solution. Je n’aimais pas les questions restées sans réponses et les non-dits. Je préférais les faits couchés en noir et blanc sur du papier. À l’instar de mon absence de croyance en Dieu, j’avais également beaucoup de difficulté à accepter la thèse de la mauvaise place au mauvais moment. Le hasard avait le dos long. « Et j’ai de la difficulté à croire que le hasard est la seule excuse. »
Je relevais brièvement les yeux pour accrocher son regard triste. Je me pinçais brièvement les lèvres avant de prendre une longue gorgée de café encore. « ,Mais parfois, il y a aussi des bavures que je trouve encore plus difficiles… Les oublier, c’est beaucoup plus difficile. Parce que la culpabilité est réelle dans ces cas-là. Si l’on n’avait pas merdé, si on avait mieux suivi les règles… le dénouement aurait été différent… probablement. » Je m’interrompis. Je déglutis lentement. « [color=crimson]Ces proches de victimes là n’avancent pas facilement dans l’absence claire de réponse. » Je savais que les parents de la petite Hemingway ne m’avaient jamais pardonné pour mon geste et je vivais dans la peur constante que l’on retrouve un autre corps aussi mutilé, aussi petit. Parce que « mon » erreur avait des conséquences possibles. @Adriana Suárez |
| | | | (#)Jeu 10 Fév 2022 - 21:28 | |
| Adriana écoute Muiredach attentivement, comme l’a toujours fait. Déjà lorsqu’elle était petite, elle trouvait qu’il dégageait quelque chose qui forçait à l’écouter. Pas qu’il parlait souvent, ni qu’il était très sociable, bien au contraire. Mais une certaine autorité se dégageait de lui. L’expérience qu’il avait, conférait également plus de poids à ses mots. « Faut aussi dire que tu es sensiblement plus jeune que moi. À mes yeux, par contre, c’est une erreur de penser que l’on n’empêche pas d’autres crimes. La criminelle, ce n’est pas la meilleure pour le voir : un meurtre seul, ça n’amène pas de prévention. Mais arrêter des récidivistes ou des criminels dont l’action est plus insidieuse, ça joue aussi. Les stups’ par exemple font plus de prévention. Et les plus petits postes que celui de Brisbane aussi en font beaucoup plus. » Il avait raison, comme souvent. Il y avait de nombreuses façons d’exercer ce métier, de nombreux services à découvrir. Peut-être n’avait-elle tout simplement pas encore trouvé ce dans quoi elle s’épanouirait. Après tout, ce n’était sans doute pas pour rien qu’à la sortie de l’école, les policiers étaient affectés pendant trois ans aux Services généraux, afin d’apprendre tout ce qu’ils pourraient auprès de différentes brigades. La conversation dérive bien trop vite sur Eduardo. Adriana sait que cette enquête pèse à Muiredach, que l’inspecteur regrette de ne pas l’avoir résolu. Elle sait qu’il y pense souvent, peut-être encore plus que d’autres dossiers non classés, parce que ça touche quelqu’un qu’il connaît. Pourtant, elle ne peut rien faire pour apaiser sa souffrance, et lui ne peut rien faire non plus pour atténuer celle de la brunette. « Je m’en excuse. Je ne veux pas te le ramener en mémoire. » Elle secoue la tête en pinçant les lèvres. « Ce n’est pas enfoui très profond. » Comme si elle pouvait oublier. Comme s’il pouvait se passer une journée, rien qu’une journée, sans qu’elle y pense. « Dans l’absolu … je le sais. L’enquête pour Eduardo, c’est le genre de chose qui arrive. Une piste qui devient froide et qui n’est jamais résolue. Ca n’empêche pas que je trouve ça difficile encore de ne pas comprendre pourquoi. » Adriana le sait, elle, pourtant. Elle sait que c’est de sa faute, qu’elle n’a jamais révélé à la police, ni à ses parents, les paroles des agresseurs d’Eduardo. Elle sait qu’elle a caché aux autorités que son frère vendait de la drogue et qu’il en avait perdu une grosse quantité. Avec ces informations, peut-être que les assassins auraient été attrapés, à l’époque. Mais c’était trop dur de salir la mémoire de son frère et d’accabler encore plus ses parents. Et aujourd’hui, c’est bien trop tard pour que de nouveaux éléments puissent permettre de clôturer cette enquête vielle de huit ans. « J’t’en veux pas, tu sais. » Elle plonge ses yeux noisette dans ceux de Muiredach. Le regard de la brunette est triste mais déterminé, et un petit sourire qui ne gagne pas ses yeux s’affichent sur ses lèvres. « J’t’en veux pas. Ni pour Eduardo, ni d’avoir partagé ton enthousiasme pour ton métier. Je ne regrette pas d’avoir choisi cette voie, même si j’en changerai peut-être. Dans tous les cas, ça aura été une expérience enrichissante. Et même si tu m’avais dit que c’était le pire métier de la terre, j’aurais sans doute quand même foncé tête baissée. » Elle rit, car si les conseils de Muiredach avaient été précieux, la brunette était obstinée, et il était difficile de lui faire changer d’avis. « Et pour Eduardo, ça arrive, tu n’as rien fait de mal. J’t’en veux pas. Alors lâche l’affaire. » Dans tous les sens du terme. Car c’était trop tard, bien trop tard. Adriana saute du comptoir et renverse la fin de son café dans l’évier avec de rincer sa tasse. « Je vais finir ma paperasse et j’irai me coucher. Et j’espère que je ne prendrai pas un blâme pour insubordination si je te dis que tu devrais faire pareil, parce que t’as une sale gueule. » Elle adresse un dernier sourire triste avant de retourner vers un petit bureau pour y taper la fin de son rapport. |
| | | | | | | | Porcelain Days [Adriana / Muiredach 1] |
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