Tu n’as pas vraiment voulu y croire quand Wyatt t’a dit que Ariane était revenue. Un peu comme tu n’as pas voulu y croire non plus quand vous avez réalisé qu’elle était disparue et qu’elle n’avait pas l’intention de revenir de sitôt. Dans un cas comme dans l’autre, c’est avec hargne et colère que tu as accueilli la nouvelle et tu es décidée à ne pas vouloir y croire tant et aussi longtemps que tu n’auras pas mis les yeux sur elle. Tu ne sais même pas pourquoi tu y tiens tant que ça d’ailleurs, tu n’as pas vraiment besoin de t’assurer qu’elle est bel et bien de retour à Brisbane pour savoir que tu lui en veux toujours autant d’être partie aussi lâchement et que tu n’as pas l’intention de lui offrir quoique ce soit en tant qu’accueil, ni même autrement. Peut-être au fond que tu veux simplement la satisfaction de pouvoir lui fermer la porte au nez en retour, même si tu es loin d’être la seule qu’elle a laissé derrière, la seule qu’elle a abandonné. Mais depuis quand tu te préoccupes du sort des autres, toi? Exactement comme Ariane : jamais.

Tu n’es sûrement pas en état de conduire, mais ce n’est pas ce qui t’empêche de te mettre derrière le volant de ta voiture qui menace de tomber en morceaux à n’importe quel moment. Le truc est défectueux au possible, mais tu n’as pas les moyens de faire la moindre réparation, encore moins de changer pour un modèle plus récent, alors tu fais avec et tu continues d’espérer qu’il ne te lâche pas au pire moment possible. Vu ta chance, ce ne serait pas surprenant, mais pas cette fois. Il fait un bruit d’enfer alors que tu te stationnes dans la rue, devant cette maison dans laquelle tu as passé la plus grande partie de ton enfance, là où tu as été élevé quand ta mère n’était plus assez en forme pour le faire elle-même. Tu claques la portière, comme si tu voulais être certaine que peu importe qui se trouve dans la demeure – que ce soit ta tante, son hippie ou ta cousine – puisse parfaitement t’entendre arrivée. Comme toujours, la porte d’entrée n’est pas verrouillée et c’est sans la moindre gêne que tu pénètres dans la demeure comme si tu y étais chez toi, ce qui n’est pas tout à fait loin de la réalité, tout compte fait. « Sara? » que tu appelles, prête à la voir surgir de sa cuisine en train de concocter un truc que personne ne saurait comment prononcer, et que personne n’aurait envie de goûter, bien évidemment. Mais c’est la silhouette d’Ariane qui apparaît. Tu éclates de rire d’ailleurs quand tu poses les yeux sur elle. Il y a un détail que Wyatt avait oublié de spécifier, apparemment. « T’étais laide quand t’étais enceinte d’Abel, mais là t’es carrément hideuse. » Et immense surtout. Ça fait combien de temps qu’elle est partie, déjà? Elle ne venait pas juste d’accoucher? Il a quel âge déjà, son autre morveux? Tu as perdu le fil, entre elle et Wyatt qui semblent s’être donné le mot de repeupler la planète. N’ont-ils pas encore compris que les gènes Parker sont déficients? Elle en est la preuve pure et simple Ariane, après tout.

« Sara? » c’était une question de temps avant que Nora finisse par débarquer ici. En soi, c’est presque décevant qu’elle ait mis autant de délai avant de venir ; pas parce que je suis déçue d’avoir attendu qu’elle débarque, juste que si elle avait été foutue de mettre les pieds chez nous au tout début, je suis persuadée qu’elle aurait été bien plus rageuse qu’elle ne l’est là. La poussière a eu le temps de tomber, elle a eu le temps de se faire à l’idée. Je voulais une adversaire qui allait mordre et griffer, à la place elle éclate de rire à la seconde où je tourne le coin du couloir pour tomber face à elle. « T’étais laide quand t’étais enceinte d’Abel, mais là t’es carrément hideuse. »« Ça m’étonnera toujours que t’aies pas été la première de nous à avoir un enfant par accident. » faut dire les choses comme elles sont dans cette famille, c’est ce que je me suis toujours tuée à lui apprendre. Petit poulain qui marchait dans nos pas à Wyatt et moi, on a fait d’elle le meilleur du pire de nous et même si elle est une personne à part entière, je peux pas m’empêcher de reconnaitre autant de mon frère que de moi en elle.

Un jour, c’est elle qui va se tirer. C’est elle qui décidera qu’elle étouffe pour une justification complètement bidon qui en un claquement de doigt, une fraction de milliseconde va devenir sa seule raison de vivre. Et quand ça arrivera (pas si, quand) je serai particulièrement fière de lui filer le fric nécessaire pour payer son billet d’avion aller sans retour, l’envoyer à l’autre bout du monde sans demander jamais de nouvelles le temps qu’elle se retrouve ou qu’elle se perde ; c’est selon. Tout est relatif et sa colère pareil. Si j’étais pas enceinte des jumelles, une bouteille de scotch et deux joints seraient facilement venus à bout de sa crise de gamine. Faudra que je sois un peu plus créative pour le coup, aujourd’hui. « Tu rages parce que je t’ai pas envoyé de carte postale ? » évidemment. Le premier reproche de la Terre entière reste que je ne l’ai pas dit à personne et que personne ne l’a vu venir. Rae ne s’en étonne pas : s’ils me connaissaient vraiment, pas la moindre chance qu’on ait été surpris de la tournure des choses. Mais Nora est jeune, elle sait rien de la vie, elle fout n’importe quoi le temps d’apprendre en se cassant les dents ou en cassant celles des autres. À son âge j’aurais fait comme elle, probablement pire. Est-ce qu’on finit par s’adoucir, plus les générations s’additionnent ? Ça voudrait dire qu’Abel sera sympa et les filles encore plus ; ew.

Un coup d’oeil par la fenêtre par-dessus son épaule suffit à ce que la carte nostalgie regarde comme on se marrait avant que tu penses que ma décision de partir te concernait, p’tite égocentrique s'exhibe de mon jeu. « Je pensais qu’on l’avait brûlée, celle-là. » sa voiture, celle qui hurle de toutes ses parties même lorsque le moteur est coupé. Ou alors c’était la bagnole de son ex-copain à l’époque ? Je sais juste qu’on en avait démolie une et que ce soir-là était probablement l’un de nos meilleurs souvenirs. Quelques semaines à peine avant que mon adresse passe subitement de Brisbane à Paris.

   
@Eleonora Parker

« Ça m’étonnera toujours que t’aies pas été la première de nous à avoir un enfant par accident. »
« Faut croire que je suis la seule qui sait encore comment se servir d’un condom. »

Dans un autre contexte, ça aurait pu être une drôle de conversation. Parce qu’elle n’a pas complètement tort. Ça a toujours été bien plus probable que ce soit toi qui oublies de faire attention, que ce soit toi avec ta vie qui tombe en ruine et tes mauvaises décisions qui trouve le moyen de te faire engrosser par le premier con qui se retrouve dans ton lit. Mais non, suffit de voir comment ça ne semble pas réussir ni à Ariane, ni à Wyatt pour que jamais tu n’oublies de prendre ta pilule et que jamais tu ne baises sans condom. Un accident est trop vite arrivé et ce n’est pas vrai que sur ce coup-là, tu vas suivre le chemin tracé de ceux que tu as toujours considéré comme tes aînés. Tu ne cesses de dévisager Ariane du regard, comme si tu cherchais à comprendre ce qui a réellement changé, en dehors de cette grossesse surprise dont elle ne s’est vantée à personne avant de revenir. Est-ce qu’ils sont de son idiot de mari ou du premier imbécile qu’elle a ramassé quelque part en Europe? Tu te poses la question, mais jamais que tu ne la prononces à voix haute. Des plans pour qu’elle pense que tu en as quelque chose à faire quand la vérité, c’est que tu l’as barré dès l’instant où elle a préféré se la jouer égoïste ultime en partant sans jamais dire quoique ce soit à personne, changeant toutes les règles du jeu quand entre vous, entre Parker, vous aviez pourtant toujours promis de ne pas être un abandon de plus dans la vie des autres. « Tu rages parce que je t’ai pas envoyé de carte postale? » « T’étais partie quelque part? » Tu fais l’innocente, avec un sourire qui ne fait qu’en rajouter une couche quand pourtant, tu ne cesses de la mitrailler de ton regard. « Te donnes pas plus d’importance que t’en as réellement. » Elle est douée pour ça Ariane, croire qu’elle est le nombril du monde. Well not anymore.

Le regard d’Ariane se perd sur l’extérieur, et toi tu continues de te demander ce qu’elle fout là. Ça a sûrement à voir avec son ventre qui a quadruplé en termes de volume. Quand tu penses que tu mérites la palme des décisions de merde, il y a toujours un de tes cousins pour venir te rappeler que tu ne tiens pas ça du voisin et que toujours, toujours, il y en aura un pour faire pire que toi. « Je pensais qu’on l’avait brûlée, celle-là. » « C’est vrai que t’aimes ça foutre le feu partout où tu passes, hein Ari? » Pas question que t’embarques dans son petit jeu de nostalgie à la con. Elle te connaît pourtant, elle devrait savoir que t’as la rancœur et la rancune trop profonde, surtout lorsqu’il est question d’abandon. Tu crieras toujours haut et fort que tu n’en as rien à foutre qu’elle soit partie comme une voleuse comme elle l’a fait, que c’est son bordel, qu’elle peut bien crever for all you care, mais tu ne pourras jamais la berner elle, pour ton plus grand malheur. « Laisse-moi deviner, t’avais plus d’argent donc t’es venue siphonner un peu plus de cash de ton cher et tendre mari? » Ce serait bien un move dont elle est capable après tout. « Ou tu voulais montrer à ton fils que tu l’as remplacé pour un meilleur modèle à venir? » Oh c’est que tu pourrais continuer longtemps à ce jeu-là. Il n’y a pas à dire, tu as tout appris de ton égoïsme de la part d’Ariane et elle est restera éternellement indétrônable.

« Faut croire que je suis la seule qui sait encore comment se servir d’un condom. »
« Fais pas la maligne où je perce tous tes emballages pour prouver mon point. »

Dans un autre monde, j’aurais pu me vanter qu’avec Wyatt on avait réussi à inculquer à Nora la pire trouille possible de tomber enceinte à travers son bordel de vie avec son bordel de mecs. Dans celui-ci, je cherche déjà vite fait le placard dans lequel Sara a fichu son matériel à couture rien que pour faire part d'un autre genre de leçon. Quelle maturité. « T’étais partie quelque part? » qu’est-ce que je disais. Elle occupe chaque centimètre de la pièce en tournant comme un lion en cage, même immobile elle joue les gamines pourries gâtées et me fait presque m’ennuyer de Yele. Presque. « Ouh, t'as vraiment eu mal que je parte, pauvre chat. » elle y mettrait pas autant de coeur, wow une Parker qui a du coeur, si c’était pas le cas. Et à sa manière, elle est la pire traître qui traîne dans la cuisine. J’espère qu’elle le captera avant que je lui dise, parce que sinon y’a des assiettes qui risquent de voler. « Te donnes pas plus d’importance que t’en as réellement. » « Dis-le encore une fois que j’te crois. » ou que je t’écoute seulement, c’est selon.

La voiture, vieille bagnole avec de la rouille qui grignote jusqu’au pare-brise. Et elle se balade là-dedans jusqu’à ce que les morceaux l’abandonnent sur la voie publique. T’as toujours eu un joli death wish Nora, c’est mignon.  « C’est vrai que t’aimes ça foutre le feu partout où tu passes, hein Ari? » « C’est une de mes plus belles qualités. » le palmarès est plutôt rempli, il déborde sur le recto et le verso, j’ai trois autres pages qui le complètent et une petite dizaine d’annexes bien modestes en complément de lecture. Que veux-tu, j’ai toujours eu une histoire d’amour bien plus belle et bien plus vraie avec mes boîtes d’allumettes et mes briquets. Sans rancune. « Laisse-moi deviner, t’avais plus d’argent donc t’es venue siphonner un peu plus de cash de ton cher et tendre mari? » si tu savais que c’est moi qui paie comme une grande et avec mon propre fric l’hypothèque de ce taudis depuis deux ans parce qu’elle redonne son salaire à la Terre via sa secte d’hippies de sous-sol tu ferais moins la maligne, mais pour ça aussi j’attends le bon moment question de garder l’effet de surprise. Passons. « Ou tu voulais montrer à ton fils que tu l’as remplacé pour un meilleur modèle à venir? » un grand, un immense, un fabuleux sourire prend toute la place qui lui est due sur mon visage. Depuis quand c’est devenu mon boulot de rassurer les âmes en peine qui ont manqué d’attention parentale durant leur jeunesse et qui projette leurs traumas sur les enfants des autres ? « Toutes ces réponses. Tu vois quand tu veux, la conversation coule comme de l’eau. »

On avance, on avance, on sait faire que ça, avancer. « Alors on récapitule. » j’ai fait du thé, regarde comment je suis une adulte. T’en veux ? Dommage, y’a qu’une tasse de disponible, les autres s’alignent côte à côte par mes bons soins sur le comptoir comme autant de munitions que tu pourras me lancer à la gueule quand ta joute verbale viendra à terme. On y arrive.  « T’as su par Wyatt que je suis revenue. » facile, il lui dit tout, il ventile comme il peut depuis qu’il pleurniche plus sur les épaules de ses colocs de cellule. « T’en as rien à battre. » visiblement, tu le dis si fort que les murs en trembleraient presque. Je glisse si facilement dans l’ironie. « T’es venue ici en quatrième vitesse. »  ah tiens, elles te tentent les tasses n’est-ce pas ? La mienne monte à mes lèvres, une gorgée comme un suspens de plus. « Mais t’en as rien à battre. » évidemment, quelle question Ariane, tu vois bien qu’elle s’en fout. « Adorable. » dis-le que je t’ai manqué. J’attends.

« Ouh, t’as vraiment eu mal que je parte, pauvre chat. » Vas-y Ari, fais comme si tu comprenais tout et tout le monde. Agis comme si tu étais le centre du monde et qu’on tournait tous autour de toi, incapable d’avancer sans ton incroyable présence. C’est qu’elle a toujours su prendre tellement de place, ta cousine, que oui, t’as sûrement donné l’impression plus souvent que tu ne l’aurais voulu qu’elle t’était importante, la rouquine. Mais elle peut bien faire la maligne aussi longtemps qu’elle le souhaite, tourner la situation à son avantage comme elle le voudra, tu ne lui diras jamais ce qu’elle s’imagine entendre entre chacun de tes commentaires. Elle est là, ouais et? Tu as vu et maintenant c’est le temps de tourner les talons et de t’en foutre pour de vrai. Alors pourquoi est-ce que tes talons sont collés sur le plancher? Foutue Ariane de merde. « Dis-le encore une fois que j’te crois. » Un mince sourire étire tes lèvres même si tu bouilles de l’intérieur, parce qu’elle a toujours réponse à tout, la connasse. Un jour, t’arriveras à la surplanter. Ce jour-là n’est pas encore arrivé. Elle dirait que t’as encore beaucoup à apprendre et apparemment qu’elle sera peut-être dans le coin plus que tu ne le pensais pour te montrer. « C’est une de mes plus belles qualités. » Évidemment qu’elle trouve que c’est une qualité, évidemment qu’elle chantonne un peu plus alors qu’elle prend la grosse tête à vue d’œil. Il est où, le bouton off dont? Tu considères déjà que tu as eu ta dose. « Toutes ces réponses. Tu vois quand tu veux, la conversation coule comme de l’eau. » Elle n’a de compassion pour rien ni personne Ariane, pourquoi est-ce que ça te surprend encore? « Sérieux, qu’est-ce que tu fais là? » Autant aller droit au but, sinon vous ne vous en sortirez jamais et tu n’as pas l’intention de perdre ta journée ici.

« Alors on récapitule. »
« On est obligé? »

Tu soupires déjà, tu commences tranquillement à défiger. Bientôt, tu auras la force de lever ton majeur en l’air et de te tirer. Bientôt, tu pourras prétendre qu’elle n’est jamais partie, qu’elle n’est jamais revenue, qu’elle n’a jamais rien été parce que c’est ce qu’elle fait avec les autres. Des pions qu’on utilise au besoin et qu’on écarte quand ils deviennent encombrants. Toi aussi t’es qu’un pion, Ariane. « T’as su par Wyatt que je suis revenue. » Aucune réaction de ta part. Elle sait de toute façon, à quoi bon nier? « T’en as rien à battre. » « On peut rien te cacher. » que tu répliques d’une voix lasse, lâchant un énorme soupir. Elle est bientôt finie, sa récapitulation? « T’es venue ici en quatrième vitesse. » Tu roules des yeux. Ça lui fait bien trop plaisir de croire ça d’ailleurs. « Mais t’en as rien à battre. Adorable. » « C’est dommage qu’on ait passé l’âge de se tirer les cheveux et que tu sois enceinte, parce que c’est pas l’envie qui me manque en ce moment. » Un bon petit coup dans sa tignasse, ça ferait du bien. Tu pourrais la lui couper sa tignasse peut-être? Elle doit bien être au ralenti avec son gros ventre. C’était ta vengeance ultime, quand t’étais gamine et qu’elle te faisait chier. Un petit coup de ciseau quand elle a les yeux fermés et hop, le tour est joué. Dommage que ce ne soit plus aussi facile de la faire tomber de son piédestal. « J’suis juste venue m’assurer que Wyatt était pas devenu fou. Le manque de sommeil tout ça. T’aurais bien pu être une hallucination. » Tu t’es approchée doucement, tes doigts enroulant l’une des tasses qu’elle a délaissé sur le comptoir. « T’as su pour son gamin et t’as eu pitié? Bien sûr que non. Ariane ne pense qu’à Ariane, qu’est-ce que je dis là. » Tes doigts serrent un peu plus fort autour de la tasse, ton regard s’assombrit alors que tu ne la lâches pas du regard. « À quel point est-ce que tu le sais que t’as merdé? » Parce qu’elle est bien là, la vérité, pas vrai? Elle a merdé all around et elle pense qu’elle peut revenir avec son sarcasme et qu’elle peut reprendre sa place comme si de rien était.

Try again.

« Sérieux, qu’est-ce que tu fais là? »
« J’pensais que tu t’en foutais ? »
« On est obligé? »
« Juste parce que t’insistes. »

Un copier coller de Wyatt, c’est pas étonnant en somme. Nora qui fait que répéter le même discours que lui à peu de choses près, ils ont dû se monter la tête l’un l’autre entre une coupe de rouge et un joint comme si c’était un rituel où chaque étape était nécessaire pour que le résultat soit impeccable. Un peu plus et je la fous sous le robinet pour qu’elle s’improvise plombière elle aussi, ça rendrait la scène encore plus mignonne. « On peut rien te cacher. » si tu savais, tu ferais pas autant la maligne à croire que je te vois pas venir avec tes grands airs de je-m’en-foutisme. Ils disent tous qu’ils en ont rien à battre que je sois revenue, que je devrais bien finir par me tirer à nouveau, et pourtant regardez-les qui sprintent jusqu’à ma porte rien que pour perdre de leur précieux temps à venir me le dire. « C’est dommage qu’on ait passé l’âge de se tirer les cheveux et que tu sois enceinte, parce que c’est pas l’envie qui me manque en ce moment. » « Des promesses, des excuses. » ce qu’il y a de plus triste dans la scène, c’est que Nora y croit vraiment. La naïveté des gamins, quoi. Elle pense chaque mot, elle les assume d’une langue qui claque sur son palais avec toutes les forces qu’il lui reste et en soit, c’est respectable. Pas selon mes standards, elle craint à un niveau, mais pour le commun des mortels son petit jeu passe crème. Quelle actrice.

« J’suis juste venue m’assurer que Wyatt était pas devenu fou. Le manque de sommeil tout ça. T’aurais bien pu être une hallucination. » ouh, intéressant. Continue Nora, y’a un truc là, quelque chose qu’on a pas encore gratté et que je me ferai un plaisir de saigner à la seconde où tu m’auras donné assez de munitions pour que t’aies plus aucune possibilité de t’en sortir. « T’as su pour son gamin et t’as eu pitié? Bien sûr que non. Ariane ne pense qu’à Ariane, qu’est-ce que je dis là. » c’est facile, c’est si facile, elle étale les cartes de son jeu sous mes yeux à la seconde où elle les pige. Si l’idée de l’avoir dans une quelconque alliance au poker vient de suite de s’envoler, c’est un plaisir de l’avoir comme adversaire à affronter. « À quel point est-ce que tu le sais que t’as merdé? » « Ça t’arrange, hen ? » ouais, ouais, je sais, j’aurais dû prendre une petite minute de plus question de voir si elle avait encore de l’or à me donner, mais que voulez-vous j’ai jamais été du genre patiente. « Que j’ai merdé. Belle fenêtre d’opportunité que t’as là. » Nora, écoute-toi parler deux secondes, juste deux secondes. Tu détesterais être dans les coulisses et assister à ça, alors m’en veux pas si je t’amène direct au premier rang. « T’es pas venue pour voir s’il hallucinait, t’es passée rien que pour t’assurer que ta place dans sa vie était intacte. » petite version édulcorée, petite tentative de remplacer tout l'espace que j’avais dans la vie de Wyatt. Un peu plus et elle finit le mois avec les cheveux teints en roux à se chopper un type 3 fois son âge, les paris sont ouverts.

« Grandir dans mon ombre ça a dû vraiment te foutre des séquelles, ça explique beaucoup en vrai. » et pour une fois qu’elle a le rôle dont elle rêve, c’est du facile pour elle. Oh Nora, prends la place, elle est entièrement à toi. Tu la mérites depuis le temps.

C’est le concours de celle qui aura le dernier mot et tout le monde gagne autant que tout le monde perd. C’est un jeu des plus lassants et des plus inutiles, mais auquel tu t’adonnes parce que c’est Ariane et que même dans les meilleures circonstances, elle a l’habitude de faire bouillir ton sang avec pas grand-chose et en ce moment, vous êtes très loin des meilleures circonstances. C’est la colère à l’état brute, un abandon que tu associes à ta personne quand c’est le monde entier qu’elle a laissé tomber Ariane et que ce n’est pas ta place de le prendre si personnel même si c’est ce que tu fais de mieux. « Ça t’arrange, hen? » Tu lèves les yeux vers elle tout en fronçant légèrement les sourcils. Qu’est-ce que tu en as à faire, qu’elle est merdée ou pas? Qu’est-ce que ça change dans ta vie à toi, concrètement? Tu pourrais répliquer, mais ça ne sert à rien. Tu la connais bien assez pour savoir qu’elle ne tardera pas à te faire comprendre exactement ce qu’elle sous-entend par-là. « Que j’ai merdé. Belle fenêtre d’opportunité que t’as là. » « L’opportunité de quoi, exactement? » Tu soupires, reculant légèrement parce que tu sais. Oh oui tu sais, elle va passer à l’attaque bientôt, elle va mordre et tu n’es jamais équipée pour te défendre quand ça arrive. « T’es pas venue pour voir s’il hallucinait, t’es passée rien que pour t’assurer que ta place dans sa vie était intacte. » Elle se croit brillante, la rouquine, avec sa psycho de merde et ce qu’elle pense comprendre. « Et toi, elle va comment, ta place dans sa vie? » Si elle pense que tu vas tomber dans le panneau et te défendre sur ça comme une amateure, elle a tort. Ça lui ferait bien trop plaisir que tu t’indignes et que tu cries haut et fort que tu n’as jamais voulu prendre sa place, que tu ne veux pas être elle, que tu t’en fous quand en grandissant, elle a été ton premier modèle et que niveau connerie, elle continue de l’être. « Moi j’étais là. Toi, t’étais où? » Partie, disparue, ailleurs, à se foutre de tout et de tout le monde. Et si tu t’en fous tant que ça Ariane, pourquoi tu continues d’essayer de te justifier?

« Grandir dans mon ombre ça a dû vraiment te foutre des séquelles, ça explique beaucoup en vrai. » Et elle revient en force avec son psychobabble comme si tout ton être s’expliquait autour de son existence à elle. Tu échappes un rire mauvais, mais tu commences sincèrement à perdre patience. « Tu te donnes tellement d’importance Ari, c’est affligeant. » Tu reposes la tasse sur le comptoir avec force, sans jamais t’éloigner d’elle. « T’as toujours fait que ce que tu veux Ariane, y’a jamais personne qui a essayé de t’arrêter parce que ça sert à rien. Mais avant, t’avais au moins la décence de pas nous exclure. » Et elle est sans doute là, la plus grande des trahisons. Et elle est là aussi, ta plus grande faiblesse et tu te détestes de la lui tendre ainsi sur un plateau d’argent, mais tu n’as pas le cœur à poursuivre cette discussion encore bien longtemps, pas la moindre envie de faire perdurer le moment chez ta tante. « Faut croire que pas se lâcher, ça a pas la même signification pour tout le monde. » Sur qui on peut compter quand sa propre famille vous laisse tomber?

« L’opportunité de quoi, exactement? » j’avais visiblement aucun souvenir que la voix de Nora était aussi désagréable et si les hormones avaient pas le dos large probablement que fût un temps j’aurais mis son intonation de crécelle sur la faute de la grossesse. Conneries. À la place, ce sont ses questions qui prennent le blâme, questions qu’elle martèle comme si du haut de sa silhouette de gamine elle allait avoir une réponse à ses 'pourquoi' 'pourquoi' 'pourquoiiiii' alignés les uns précipitamment après les autres. « Et toi, elle va comment, ta place dans sa vie? » pas touché, pas coulé, c’est de la triche parce que peu importe ce qu’elle aurait bien pu dire l’idée aurait été la même et la victoire me serait revenue. Nora, tu peux pas te battre contre une adversaire qui change les règles au fur et à mesure rien que pour gagner sur tous les fronts. Je croyais t’avoir mieux élevée que ça. « Moi j’étais là. Toi, t’étais où? » « C’est nouveau ça, j’suis vraiment partie trop longtemps. » c’est nouveau ça, les interrogations larmoyantes. Les discours où elle file le micro à l’autre, où elle tire pas ses propres conclusions. Où elle attend la réponse d’en face pour conclure la conversation ; oh, une Parker à l’écoute et intéressée, la malédiction disait donc vrai.

Évidemment, qui dit voix stridente dit cassette qui saute. « Tu te donnes tellement d’importance Ari, c’est affligeant. » on a pas déjà parlé d’à quel point j’étais imbue de moi-même ou c’est une redite des mêmes paroles mais dans un ordre qui diffère ? « T’as toujours fait que ce que tu veux Ariane, y’a jamais personne qui a essayé de t’arrêter parce que ça sert à rien. Mais avant, t’avais au moins la décence de pas nous exclure. » ouais bah les choses changent que veux-tu que je te dise. Tu pensais vraiment que t’allais te lever à tous les matins et qu’avec certitude tu pourrais te fier sur des gens, sur des réactions, sur des paroles, sur des promesses qui étaient identiques la veille ? Ma pauvre, la vie va te faire du mal et t’en es même pas déjà consciente. « Faut croire que pas se lâcher, ça a pas la même signification pour tout le monde. » les promesses à base de pacte de sang et de crachats au creux d’une paume qu’on sert entre cousins sont adorables quand on a autant d’années d’âge que de doigts sur une main. Ajoute quelques données au compteur, mélange des variables bien précises et tu te retrouveras peut-être un jour devant la même foutue situation et à ce moment-là la crise sera inverse ; tu vas rager contre tous ceux qui supporteront pas ton envie d'en faire qu'à ta tête. Hypocrite. « Avant, hm ? » et c’est même pas une affaire de Parker, elle comprend rien. Ça arrive à tout le monde et avec son vécu qui se résume en quelques mauvais épisodes de telenovella son avis sur ma vie me passe bien loin, très loin par-dessus la tête. « La porte est là, si tu veux voir ce que ça fait. » parce qu’à l’entendre, la discussion est close et les explications avec. Allez Nora, tire-toi toi aussi, rends-moi la monnaie de ma pièce, ouh venge-toi si tu l'oses. « D’ici quelques années tu feras pareil. » et ce jour-là je serai probablement occupée à m’en foutre plutôt que de lui dire je te l’avais dit. Qu’elle le voit comme un cadeau de crémaillère, sa propre petite pratique pour elle d'avoir le coeur net sur comment on se sent quand on en fait à sa tête. « Essaie, t’en meurs d’envie. » et puis tant mieux, vraiment. J’ai pas de temps à perdre avec une enfant butée quand j’en ai deux qui menacent de se pointer le bout du nez à tout moment.

« C’est nouveau ça, j’suis vraiment partie trop longtemps. » Tu ne sais même pas à quoi elle fait référence, tu t’en fiches, tu ne veux pas savoir. Cette conversation ne sert à rien, sa présence t’irrite et tu en viens à croire qu’elle aurait mieux fait de rester dans son trou. Que de revenir comme ça, comme si son absence n’avait eu aucun impact, comme s’il s’agissait là d’un simple jeu dont elle avait le complet contrôle ne pouvait qu’envenimer une situation que tu n’aurais jamais dû chercher à sauver de toute manière. Non, tant pis. Elle voulait se la jouer miss indépendante, égoïste 101, qu’elle fasse. Elle n’avait pas besoin de toi, tu pouvais très bien vivre sans elle. Pourtant, tu prouves tout le contraire tant tu persistes à vouloir lui faire admettre quelque chose qui lui passe six pieds par-dessus la tête, à Ariane. Tu t’entêtes, tu t’enfonces et elle, elle prend tout l’avantage que tu ne cesses de lui offrir. T’es loin d’être aussi douée qu’elle, tu vas finir par le regretter, tu le sais déjà, tout ça. « Avant, hm? » Elle voudrait que tu hoches de la tête pour confirmer, mais tu restes complètement immobile malgré la colère qui bouille de partout. La colère qui a envie de lui crier toutes sortes de bêtises, même si tu sais que c’est une bataille perdue d’avance. T’as perdu assez d’énergie ici et maintenant, et dans les six mois derniers mois aussi. « La porte est là, si tu veux voir ce que ça fait. » Tu n’attendais certainement pas sa permission pour la prendre justement, la porte et tu jurerais qu’elle dit ça seulement pour que tu aies envie de la contredire. Ça marcherait, presque. Presque, on a dit. « D’ici quelques années, tu feras pareil. » Tu te pinces les lèvres, te retiens de lui dire que tu n’es pas elle, que tu ne le seras jamais. Elle aimerait bien trop t’entendre débattre de cette question alors que tu as été élevé de manière à devenir le parfait sosie de celle que tu as trop longuement admiré, de cette sœur que tu n’avais pas, que tu pensais avoir en elle toutefois. T’as été naïve Leo, ça te tue de l’admettre. Tu ne lui feras pas ce plaisir. « Essaie, t’en meurs d’envie. » La tasse qui vient frapper le mur, qui éclate en mille morceaux sur le sol, c’est simplement pour l’effet. Tu n’as même pas visé près de sa tête, même si ce n’était pas l’envie qui manquait. C’est avec un simple doigt d’honneur bien levé que tu la prends finalement, cette porte qu’elle te montre avec toute l’arrogance qu’elle possède, et elle résonne dans toute la maison quand tu la claques sans jamais offrir un autre regard à ta cousine. Pour des retrouvailles larmoyantes, vous auriez sans doute faire un peu mieux. Meh, qu’importe.

Bon débarras.