Ces dernières semaines avaient été affreuses. La vie d’Adriana semblait redevenir un film en couleurs uniquement depuis quelques jours, depuis qu’elle avait retrouvé son meilleur ami. Elle avait fini par pardonner à Mel son infidélité du 31 octobre. Pendant un mois et demi, ils ne s’étaient pas parlé, et la vie de la brunette avait été un enfer. Difficile de traverser des moments difficiles quand la personne à qui vous vous confiez habituellement est celle qui vous a tant fait souffrir. Car si Ade n’avait pas été amoureuse de Mel, il n’empêche qu’il lui avait brisé le cœur. Il l’avait trahi, l’avait trompé, avait brisé la confiance qu’elle avait placé en lui. Même s’ils n’avaient pas eu de sentiments amoureux l’un pour l’autre, ils avaient été en couple, et l’on n’embrassait pas quelqu’un d’autre quand on était dans une relation. En outre, ils étaient meilleurs amis depuis qu’ils avaient trois ans, et on ne faisait pas souffrir ainsi son meilleur ami. C’était inenvisageable.
Les semaines avaient passé et, malgré les tentatives de Mel de se faire pardonner, Ade avait eu besoin de plus de temps pour ne plus être en colère. Il lui avait fallu plus d’un mois pour que la tristesse s’efface, et qu’elle soit prête à tourner la page sur cet épisode. Leur dispute avait ranimé chez les deux amis des souvenirs horribles : en 2013, suite à la mort du frère d’Adriana, les deux adolescents ne s’étaient pas parlés pendant près de deux ans. Aucun des deux n’avait envie de revivre un tel passage à vide, et la brunette avait fini par accepter de recoller les morceaux avec Mel. L’approche des fêtes de fin d’année avait été décisive, Ade ne se voyant pas fêter un nouveau Noël sans son meilleur ami.

Ce soir-là, Adriana avait décidé de rejoindre Mel au Ras le bol. Elle voulait lui faire une surprise, puis l’emmener manger un morceau. Ils avaient beaucoup de temps à rattraper, beaucoup de choses à se dire. Comme elle l’avait fait de nombreuses fois, elle arriva peu de temps après la fin du service et pénétra dans le restaurant, malgré la pancarte annonçant la fermeture, puis referma la porte derrière elle. Lorsque son regard croisa celui d’Eden, son sourire s’effaça immédiatement de son visage. Un silence, sans doute trop long, s’installa entre les deux jeunes gens. Ade était réellement surprise de se retrouver face à face avec Eden. Pourtant, elle aurait dû prévoir cette possibilité, en venant rejoindre Mel au boulot. Ce n’était cependant pas une chose à laquelle elle avait prêté attention, à l’époque, quand elle venait le chercher au travail. Il y a deux mois, elle n’avait pas réellement remarqué Eden, un collègue de Mel parmi d’autres. Elle se sentait stupide, maintenant, d’avoir voulu surprendre son ami. Finalement, Eden brisa le silence en premier.

« Il … ne travaille pas ici aujourd’hui. Désolé. »
« Ho. »

C’est tout ce qui lui vint, spontanément, et elle se sentait encore plus stupide.

« J’aurais dû vérifier avec lui, hum … »

Elle se mordilla la lèvre inférieure, hésitante. Ade n’avait pas la langue dans sa poche, et elle avait envie de rajouter quelque chose. En réalité, elle avait envie de tout expliquer à Eden, qu’il comprenne le comportement de Mel, qu’il pardonne, comme elle avait pardonné. Et elle savait que ce n’était pas le cas, de ce que Mel lui avait rapporté. Elle déglutit difficilement, alors qu’un long silence s’était à nouveau installé entre elle et Eden. Il devait se demander pourquoi elle n’avait toujours pas tourné les talons.

« Mel a clairement déconné sur ce coup. Et je pense que je suis suffisamment bien placée pour savoir à quel point ça peut faire mal, même si je ne prétends pas savoir ce que tu ressens, mais … »

Elle hésita une nouvelle fois, tenta de choisir soigneusement ses mots.

« C’est réellement quelqu’un de bien. Il ne s’était jamais comporté ainsi, et je le connais depuis qu’il a trois ans ! »

Un sourire empli de tendresse illumina son visage, alors que divers souvenirs d’enfance lui revenaient.

« Et je sais qu’il n’avait jamais ressenti auparavant ce qu’il ressent pour toi. »

Elle était peut-être allée trop loin, elle en avait peut-être trop dit. Mais en réalité, elle avait peur qu’Eden l’interrompe à chaque seconde et lui demande de quitter l’établissement afin de pouvoir fermer derrière elle. Son amitié avec Mel avait survécu à cette épreuve, et elle était redevenue la meilleure amie, celle qui protège les arrières, celle qui souhaite le bonheur de l’autre, celle qui fait tout pour qu’il soit heureux.

Eden est là, en face d’elle, et Adriana se sent stupide de ne pas avoir envisagé l’éventualité de le croiser. Elle n’a pensé qu’à Mel, à lui faire une surprise, à passer un peu de temps avec son meilleur ami pour tenter de rattraper les semaines perdues. Eden brise le silence en premier, lui indiquant que Mel n’est pas là. Et si la brunette reste un instant interdite, elle ne bouge pas pour autant. Il y a tant de choses qu’elle rêve de dire à Eden, mais elle ne sait pas par où commencer. Pour être honnête, elle ne sait même pas si elle doit prononcer les mots qui lui brûlent les lèvres. Elle est hésitante, mais finalement, se met à parler, car Ade n’est pas connue pour avoir la langue dans sa poche. Alors elle parle, beaucoup, peut-être trop. Explique le comportement de Mel, et ce qu’il ressent à l’égard d’Eden. Ce dernier semble surpris des paroles de la brunette.

« Je … Pourquoi tu me dis tout ça après ce qu’on t’a fait ? »

Ade fait la moue, et prend le temps de réfléchir à sa réponse. La question est légitime, mais la réponse à y apporter n’est pas franchement facile à formuler. Elle s’assied sur une table, laissant ses jambes se balancer dans le vide, puis esquisse un sourire triste.

« Peut-être parce que tu ne l’as pas fait intentionnellement. Peut-être aussi parce que Mel est mon meilleur ami, et que j’ai l’habitude de surveiller ses arrières et de vouloir son bonheur. »

Elle hausse les épaules, écoutant les excuses du jeune homme tout en secouant la tête.

« Je … Je suis désolé pour ce que j’ai fait. Je ne savais pas qu’il était avec toi. Je n’aurais jamais fait ça si je l’avais su. Je sais qu’on ne se connaît pas alors tu peux ne pas me croire. »

Et ça fait mal. Ca fait mal parce qu’on la sent, la culpabilité qui le ronge. Ca fait mal, parce que ça ranime des souvenirs horribles, enfouis très peu profondément. Si Ade a pardonné à Mel, une part d’elle est toujours blessée. Certains de leurs réflexes amicaux sont revenus très rapidement, mais pour que tout soit comme avant, il leur faudra beaucoup de temps … En espérant que tout puisse redevenir comme avant : simple, fluide, évident. La brunette ne doute pas de la sincérité des excuses d’Eden, et c’est rassurant de savoir qu’il n’est pas un homme cruel, sans cœur. Il est tel que Max et Mel le lui ont décrit. Le visage d’Adriana reflète sa tristesse et sa douleur, mais elle préfère sourire face à Eden. Elle connait sa peine, n’a pas envie de s’enfermer dans la sienne, et préfère donner le change. Elle laisse même échapper un petit rire.

« Je sais tout ça. Max a déjà bien vanté tes qualités. »

Elle lui fait même un clin d’œil, avalant pourtant difficilement pour tenter de faire disparaître la boule qu’elle a dans la gorge.

« Je n’ai aucune idée de ce que Mel ressent … La dernière dois qu’on a eu une discussion … Il m’a dit que tu étais la personne la plus importante à ses yeux. Je pense que je comprends pourquoi. »
« Ho. »

Adriana fait la moue, gênée, tout en rougissant. Le compliment que Mel a prononcé lui fait extrêmement plaisir, mais elle se sent embarrassée de savoir que son meilleur ami a pu dire ça à Eden, alors qu’il tentait de s’excuser. Ce n’était sans aucun doute pas la meilleure stratégie à adopter. La brunette passe sa main dans sa nuque, signe de sa gêne, puis reprend.

« He bien, on peut dire qu’il a de drôles de manière de le montrer … »

Elle grimace, mais reprend.

« C’est Mel dans toute sa splendeur, avec plein de maladresse. »

Elle hausse les épaules, comme si ce mot, « maladresse », s’associait parfaitement à son ami.

« Il est également la personne la plus importante pour moi. C’est mon meilleur ami depuis toujours, ou presque, et c’est vrai qu’on a un lien particulier … »

Et voilà qu’elle aussi en rajoute une couche. Vanter la profondeur de leur relation n’est sans doute pas la chose la plus intelligente à faire pour convaincre Eden des sentiments de Mel à son égard.

« On a toujours été amis, mais ça n’a toujours été que de l’amitié. Et ce ne sera toujours que de l’amitié. On a fait une erreur en se mettant en couple. Il n’a jamais été amoureux de moi, et je n’ai jamais été amoureuse de lui. »

Elle hésite un instant.

« Tu peux me croire quand je te dis que je ne l’avais jamais vu comme ça avant. »

Parce que c’était le cas. Parce qu’il avait eu quelques copines, mais jamais rien de sérieux, jamais rien qui avait duré, jamais rien qui avait importé.

Tout dans cette situation est étrange. Le fait que Eden et Ade se retrouvent seuls à seuls pour discuter est étrange. Le fait que leur discussion soit si intime et sympa est étrange. Le fait qu’ils évoquent les sentiments de Mel est étrange. Rien n’est à sa place, et pourtant, ils semblent avoir beaucoup de choses à se dire. Nul doute qu’ils se sentiront mieux après cette discussion.

« Je... Je sais pas quoi dire. Je t'avoue que j'avais envie de te parler mais je ne m'attendais absolument pas à cette discussion. Tout ce que je sais c'est que je voulais m'excuser mais je m'imaginais que tu me détesterais. Quand je t'entends, je comprends que je suis pas fautif mais j'ai passé ces derniers temps à le croire et à en vouloir à Mel. »

Ade hausse un sourcil en l’écoutant : envie de lui parler ? Certes, cette discussion était visiblement nécessaire, et leur ferait du bien à tous les deux. Mais pour être sincère, elle n’aurait jamais cherché à revoir Eden pour discuter avec lui. Car même si elle ne lui en voulait pas, il était toujours associé à des souvenirs particulièrement douloureux. La brunette pince les lèvres et secoue la tête.

« Tu n’as pas à t’excuser, car tu ne savais pas. Et j’imagine que tu as dû me détester en me voyant embrasser Mel … »

Elle se souvient de l’avoir vu se décomposer, sans avoir compris pourquoi. Rétrospectivement, elle se sentait stupide ne pas avoir immédiatement eu le déclic. Lors de cette soirée, elle avait rapidement compris qu’il y avait un souci, sans réussir à mettre le doigt. Et pourtant, elle est flic. La seule explication logique était la suivante : elle n’avait pas voulu croire que Mel était capable d’une telle chose. Son cerveau l’avait embrouillé, empêché de voir les signes, comme s’il voulait, comme par habitude, protéger son meilleur ami.

« Et pourtant, je continue à... Espérer. Je sais pas trop comment dire. Je lui en veux mais je peux pas le détester. »

Il espérait ? Nul doute qu’Ade répéterait à Mel la teneur de cette conversation, et les paroles prononcées par Eden. Parce que comme toujours, elle surveillait ses arrières, et voulait son bonheur. Mais pour l’instant, elle se concentre sur Eden qui semble toujours beaucoup souffrir de cette situation, même plusieurs semaines après cette fête d’Halloween.

« Je pense qu’il a eu sa dose de personnes qui lui en veulent, ces dernières semaines. Moi, j’ai tourné la page. Et toi ? »

Parce qu’elle est là, toute la question : savoir où en est Eden aujourd’hui. Adriana l’observe rougir alors qu’il poursuit.

« Je suis désolé de te dire tout ça. Ça doit déjà pas être simple de me parler... »

Un sourire sincère illumine le visage de la brunette, alors qu’elle hausse les épaules. Elle voudrait lui dire tellement de choses : que ça fait du bien de vider son sac, de se sentir moins coupable, qu’il est bien plus sympa qu’elle le pensait, que c’est moins difficile qu’elle l’aurait imaginé. Mais en même temps, elle devrait ajouter qu’elle a toujours mal, que son cœur est toujours brisé par la trahison de Mel, qu’elle a toujours énormément de peine quand elle imagine que Mel a fait passer Eden avant elle. Alors elle évite de répondre directement, préférant botter en touche.

« Ce serait sans doute plus utile de parler à Mel, tu ne crois pas ? »

Elle lui adresse un petit sourire et descend la table qu’elle avait squatté, prête à s’en aller et à envoyer des textos à son meilleur ami pour le retrouver, et lui parler de cette conversation.