31 décembre. Encore une soirée de fêtes qui s’annonce difficile. Si mon réveillon de noël avec Jake et Albane était une petite bulle de bonheur le reste des fêtes a été beaucoup plus difficile à encaisser pour moi. Le 25 Matt est passé me chercher et nous sommes allés voir notre mère qui n’était pas dans un bon jour. Enfin elle se souvenait de lui et pas de moi et ça c’était pire qu’un coup de poignard. J’avais dû sécher mes larmes et enfiler de beaux vêtements pour aller dîner chez Ade. C’est notre tradition de passer le repas de noël ensemble mais cette année l’ambiance était différente. Je sais que sa mère et son frère n’ont pas eu les détails de notre rupture et qu’ils ne m’ont pas traité différemment de d’habitude mais j’ai eu du mal à les regarder dans les yeux en sachant ce que j’avais fait à Ade quelques semaines plus tôt. Et ce soir c’est le réveillon, encore une soirée étouffante. D’habitude j’attends le réveillon avec impatience, c’est l’occasion de lâcher prise et de fêter comme il se doit la nouvelle année. Cette année pourtant je sais que je vais me sentir de trop à la soirée. Je passe la soirée avec Ade et quelques amis à nous, rendez-vous dans notre bar habituel. Le bar où j’ai rencontré Eden, ce sera déjà difficile à cause de ça. Mais c’est surtout le regard de nos amis que je crains. S’ils savent tous qu’Ade et moi nous ne sommes plus ensemble certains connaissent les détails et c’est ça le problème. Je sais que les personnes de notre groupe dont Ade est la plus proche m’en veulent énormément, même si elle m’a pardonné eux ne semblent pas avoir oublié. Alors je sais que je vais devoir passer la soirée en esquivant les regards accusateurs et les petites piques. Au moment où je mets ma chemise je me dis que je vais encore gâcher la soirée et c’est pesant.

Je quitte l’appartement de Jake et je prends le bus pour aller au bar, cette année Ade ne passe pas me chercher et nous nous retrouvons tous au bar. Et je repense à la dernière fois que j’ai pris le bus pour aller à une soirée, j’espère que cette fois je n’aurais pas besoin d’appeler Jake en plein milieu de la nuit. J'arrive au bar et j'ai un petit pincement au cœur en passant les portes. Je repense à Eden, à cette soirée irlandaise où nos regards se sont croisés pour la première fois. Et je ne sais pas si je dois sourire parce que c'était beau comme moment ou me mettre à pleurer parce que je n'aurais plus la chance de me plonger dans son regard. Bien sûr je le croise au boulot mais c'est pas pareil, on prend tous les deux soin d'éviter l'autre. Quand on se croise on a l'air de deux inconnus et ça me brise le cœur à chaque fois parce que c'est ce qu'on est devenus l'un pour l'autre : des étrangers. En fait ça me déprime plus qu'autre chose d'être ici. Je balaie la pièce du regard mais personne n'est arrivé. Je me dirige vers le bar, j'ai besoin d'un verre pour affronter la difficile soirée qui m'attend mais je vais quand même les attendre. Je m'assieds sur un des sièges et j'attends patiemment qu'ils arrivent. Ade est la première à passer les portes du bar. Elle se dirige vers moi et je lui souris. "Salut toi." Je suis au moins heureux pour une chose en cette fin d'année : Ade m'a pardonné. Je ne sais pas où elle a trouvé la force de me pardonner mais je suis soulagé qu'elle l'ait fait. C’est encore bizarre entre nous mais petit à petit les choses redeviennent comme avant même si c'est certain quelque chose s'est cassé depuis cette nuit d'halloween. Je sais que j'ai perdu sa confiance, je la comprends et j'espère que le temps pourra nous aider. Parce que comme je l'ai très maladroitement rappelé à Eden elle est mon pilier. Sans elle je suis perdu et ça s'est confirmé pendant le mois de novembre où j'étais complètement déboussolé. "Comment tu vas ?" Je suis un peu stressé et je suis sûr qu'elle l'a senti. Nous sommes interrompus au bout de quelques minutes seulement par le reste du groupe qui se dirige vers nous. Je les salue mais je sens bien que l'accueil de certains est bien plus froid à mon égard. Nous commandons leur boisson et nous nous préparons à trinquer. Mon gin tonic en main je lève mon verre et l'un de nos amis lance "A cette dernière journée de l'année." Un autre ajoute "À la santé et à la réussite". Complété par un "Et à l'amour et à la fidélité surtout". Je ne réponds pas, je préfère ignorer cette remarque et à la place je bois plusieurs gorgées de mon verre. La soirée s'annonce longue, très longue et je suis trop sobre pour encaisser des remarques comme ça.

« T’as vu, je m’améliore ! Pour une fois, je ne suis pas la dernière ! » Je souris quand elle me dit « pour une fois ». C’est vrai que la ponctualité ça n’a jamais été son truc et dans la très grande majorité des cas elle est la dernière à arriver. Mais je la connais alors ce n’est pas un problème, je connais sa limite de retard, je sais que passé sa moyenne de 45 minutes de retard je dois commencer à m’inquiéter. En dessous tout va bien, c’est la routine mais ça ne me dérange pas et j’ai même pris l’habitude de toujours lui gardé une bière, histoire qu’elle ne se retrouve pas sans rien en arrivant. « Tu progresses oui ! » Elle est même arrivée avant le reste du groupe, un véritable exploit. Je ne suis pas mécontent, les retrouvailles avec le reste du groupe seront très certainement assez tendues alors je suis content de ne pas me retrouver seul avec eux. Ade c’est un peu ma bouée de sauvetage, celle à qui je vais m’accrocher ce soir pour ne pas me noyer dans le flot de regards noirs et de remarques je vais certainement essuyer. Je profite que nous soyons seuls pour lui demander comment elle va. « Ca va merci. C’est chouette d’avoir une coloc qui est une fille, elle m’a aidé à choisir ma tenue ! » Je sais qu’elle ne pensait pas à mal mais sa réponse me va droit au cœur. Parce que ça me ramène à notre coloc et surtout à la fin catastrophique que celle-ci a eu et ça suffit à me rendre triste. J’essaie de cacher ma mine un peu triste. « Je suis content que ça se passe bien dans ta coloc. En tout cas elle a du goût ça te va bien. » Je suis content pour elle si ça se passe bien mais j’ai l’impression que les casseroles que je traîne depuis la soirée d’Halloween et les mauvais souvenirs me collent comme mon ombre et ça me fatigue. « Sinon je suis allée à la salle aujourd’hui puis j’ai fait de la moto, une balade le long de la côte. C’était agréable avec ce temps. Et toi ? » Je suis soulagé qu’elle ait changé de sujet, elle a dû sentir que j’étais mal à l’aise et que le sujet était encore sensible. Les nouvelles sont bonnes de son côté, du mien c’est un peu moins joyeux. Hier à la fin de mon dernier service au ras le bol j’ai voulu manger au restaurant en terrasse. Une jeune femme qui avait l’air très sympathique s’est installée avec moi et s’est enfuie avec mon chargeur de téléphone et mon portefeuille. J’ai été bête de lui faire autant confiance mais le mal est fait. « On m’a volé mon portefeuille hier, je suis dégoûté… »  Hier j’ai passé une partie de l’après-midi au commissariat et l’autre à appeler ma banque pour faire opposition, je vais aussi devoir refaire tous mes papiers d’identité. De quoi finir l’année en beauté. Les autres arrivent et nous commandons notre premier verre, au moment de trinquer Jimmy un des pote d’Ade fait une remarque extrêmement vexante vis-à-vis de ma fidélité envers Ade. « Va te foutre, Jimmy, et mêle-toi de tes affaires ! » Elle le tue du regard et les autres qui sont restés silencieux ont le droit au même regard. Je suis extrêmement mal à l’aise, il n’a pas tort mais j’ai l’impression d’être un intrus à cette soirée et c’est pesant. « Non mais c’est bon laisse tomber, je l’ai pas volée celle-là. » Je préfère l’ignorer et Ade devrait faire pareil je n’ai pas envie qu’une dispute éclate en plein bar, on est là pour faire la fête pas pour s’engueuler. Je suis fatigué des disputes et des tensions j’aimerais pour une fois passer une soirée tranquille avec Ade. Je la regarde boire son verre d’un coup et attraper ma main. Je m’empresse de l’imiter et je la suis. « Tu viens danser ? » Je hoche la tête, s’éloigner des vautours, excellente idée. « Bien sûr, bon tu verras, je danse toujours aussi bien, y a des choses qui changent pas. » J’ai jamais été un grand danseur et elle le sait mais je sais qu’elle s’en fiche. J’aimerais bien apprendre à danser mais je suis né avec deux pieds gauches, heureusement que mon truc c’est la musique et pas la danse, je serais en difficulté sinon. « Tu as déjà réfléchi à tes résolutions ? » Vaste question. Je sais que c’est notre tradition mais j’ai eu l’esprit assez embrouillé ces derniers temps et je n’ai pas pris beaucoup de temps pour y réfléchir. J’ai quelques pistes qui sont assez déprimantes alors j’essaie de réfléchir pour mettre un peu de positif dans ces résolutions. « J’ai quelques idées mais j’hésite encore. J’ai pris de quoi les noter ne t’en fais pas. Et toi ? » J’ai deux bouts de papier et un stylo dans la poche de ma veste, j’avais anticipé pour qu’on puisse les écrire et se les échanger. Je jette un regard sur le côté et je croise le regard du groupe qui est en train de nous fixer, enfin de me fixer. C’est pesant, je sens bien qu’ils sont en train de parler de moi et à ce moment je n’ai qu’une envie : claquer la porte du bar et d’aller me planquer sous ma couette. Je déteste cette sensation, cette sensation de déranger, d’être en trop.  « Non mais ils me regardent super mal, j’ai l’impression de déranger. » Je sais que j’ai déconné mais j’avais espéré mieux comme soirée de nouvel an.

Ade arrive et pour une fois elle n’est pas en retard, elle arrive juste après moi. Le genre de miracle où l’on se dit d’habitude que la météo va très certainement se détraquer avec une tempête de neige en plein été. Je souris et la chambre un peu, d’habitude on ne l’attend pas avant plusieurs dizaines de minutes de retard. « Je déchire, tu veux dire ! Je suis deuxième, juste après toi ! Je crois que j’ai battu tous mes records là ! » Je l’entends rire et après avoir reconnu qu’elle progressait dans ce domaine là je lui demande comment elle va. Elle me parle de sa coloc et je pense qu’elle doit bien sentir à la petite mine qui s’affiche sur mon visage que c’est un sujet difficile. Je sais que tout est de ma faute, j’ai tout foutu en l’air, ce qui est plus que dommage on s’entendait très bien pour vivre ensemble. Elle change de sujet en me parlant d’une balade en moto mais j’ai un peu la tête ailleurs. « Et toi alors ? Comment ça va chez Jake ? » Jake a été mon ange gardien dans toute cette histoire, rien de moins. S’il n’avait pas décroché en pleine nuit pour venir me chercher au milieu de la rue en proie à une crise d’angoisse je ne sais pas ce qui aurait pu m’arriver. Je ne préfère pas imaginer mais c’est grâce à lui que j’ai pu me battre contre les idées noires qui parasitaient mon esprit et qui m’empêchaient d’avancer. “ça se passe vraiment bien. On s’entend bien, c’est pas aussi bizarre que ce que j’imaginais et je crois que son chat m’a adopté.” Je me sens énormément chanceux d’avoir un père comme lui. J’ai l’impression d’être un peu chez moi et je me sens un peu moins perdu et moins seul et c’est très précieux pour ma santé mentale. Je lui parle ensuite de mes mésaventures d’hier et du vol de mon portefeuille. « Quoi ? Qu’est-ce qui s’est passé ? T’as été déposé plainte ? Tu as bien fait opposition à toutes tes cartes ? » “J’ai fait toutes les démarches oui, je me sens un peu bête.” Je pensais que mon dernier jour au Ras le bol serait porteur de bonnes nouvelles et au lieu de ça je me suis retrouvé dans une situation délicate. Nos amis -et surtout les amis d’Ade- sont là et au moment de trinquer je me prends une très grosse pique qui me fait mal. Je détourne le regard et Ade insulte Jimmy mais je l’ai méritée cette remarque. Elle m’invite à danser et même si je suis un danseur médiocre je saisis tout de suite l’occasion de m’extirper des griffes de ses vautours d’amis qui n’attendent qu’une chose me faire culpabiliser. « Je comprends pas comment tu peux être aussi nul, sérieusement ?! Tu as pourtant le sens du rythme, alors fais un effort ! » Sa remarque me fait sourire parce que je suis déjà en train de faire des efforts. Etre musicien et être bon danseur c’est différent. J’ai le sens du rythme mais deux pieds gauches alors je fais ce que je peux mais elle n’a pas l’air convaincue. “Mais je suis au max de mes efforts là.” La situation me fait un petit peu rire mais mon corps lui reste plus que tendu, je me sens mal à l’aise dans ce bar. Et puis vient la discussion sur les résolutions, sujet très délicat cette année mais c’est une tradition qui fait partie de nos règles alors il faut la respecter. « Je pense que je sais ce que je veux écrire, oui, mais je ne veux pas te faire de peine. L’année 2021 a été étrange. On a mis notre amitié en péril, tous les deux, en se mettant en couple et … la suite, on la connaît. J’ai besoin de tourner la page là-dessus, Mel, et d’en parler dans mes résolutions … » Je sais qu’elle a raison et je suis rassuré qu’elle soit honnête avec moi mais ça fait mal d’entendre ça, il n’y a que la vérité qui blesse comme on dit. « Tu m’as fait beaucoup de mal, Mel, je ne vais pas te mentir … » Je ne sais même pas comment elle a pu trouver la force de me pardonner, j’ai de la chance d’avoir une amie comme elle. « Mais on doit aller de l’avant, et pour ça, je dois l’inclure dans mes résolutions. Et j’ai pas envie que tu sois blessé, ou vexé, par ce que je pourrais écrire. Est-ce que tu comprends ? » Je hoche la tête, elle a raison. De mon côté je n’ai pas envie de censurer ce que je pourrais dire, rien n’est fixé mais j’ai quelques idées de résolutions. “Non mais je comprends. Sois honnête dans ce que tu veux écrire surtout, n’essaies pas de me protéger je le mérite pas.” Les regards des autres sont braqués sur nous et je me sens mal à l’aise d’être épié à ce point. J’ai l’impression d’entendre leurs critiques et je sens leur haine. Je n’en peux plus et je me confie à Ade. « Et si on allait déjà à la plage, toi et moi ? On s’arrête prendre une bouteille en route, et on finit la soirée ensemble. Tu en dis quoi ? » J’ai l’impression qu’on m’enlève un gros poids de sur les épaules. J’ai hâte de quitter cet endroit pour essayer de passer une soirée plus agréable et je n’ai pas besoin de quelqu’un d’autre qu’Ade pour passer un nouvel an dont on se souviendra longtemps. “Excellente idée, c’est étouffant par ici.” Je regarde autour et c’est bien ce que je me disais, les regards inquisiteurs des autres sont collés à nous et ils ne s’en cachent même pas. « Allez, va chercher tes affaires, on y va ! »

J’attrape ma veste et je la rejoins devant le bar. Côte à côte nous marchons vers la plage qui est à peine à quelques minutes à pied du bar. Le bruit des vagues est apaisant et la lune se reflète sur l’eau. Quelques personnes sont là sur la plage mais nous réussissons à trouver un coin un à l’écart. Je m’assieds avec elle et je pose la bouteille de gin entre nous. “On est mieux ici.” Mes bras sont posés sur mes genoux et je regarde l’océan avant de me tourner vers elle et de dire. “Bon je crois que c’est le moment d’écrire nos résolutions.” Je sors de ma poche le papier et je lui tends un stylo avant de décapuchonner le mien. “Tiens.” Je vois qu’elle hésite un peu avant de commencer à écrire, je reporte mon regard face à la feuille vierge que je tiens entre les mains. Je sais ce que je veux écrire depuis plusieurs jours mais je n’ose pas vraiment le faire. Pourtant je dois être honnête même si je sais que ça va inquiéter Ade. Alors j’écris avant de lui tendre mon papier, comme chaque année elle sera la seule à connaître le contenu de mes résolutions.

Je réponds à ces questions sur la cohabitation avec Jake. Je lui réponds que tout se passe bien et c’est vrai. Je n’aurais pas pu imaginer une meilleure situation. Tout se passe bien entre nous même si nous avons des rythmes différents et que l’on se retrouve souvent en décalé. Entre mes horaires au restaurant et ses gardes de jour et de nuit il y a des fois où l’on ne fait que se croiser et il arrive que je passe la journée seul à l’appartement avec le chat pour seul compagnon. Mais nous essayons de passer du temps ensemble malgré tout, de faire un bon repas ensemble et de se regarder un film. Jake m’a accueilli sans se poser de questions, il a répondu à mon appel à l’aide quand j’étais au fond du trou et pour ça je lui serai toujours reconnaissant. « Tant mieux. Tu m’inviteras, à l’occasion, que je fasse connaissance avec le chat ? » Je comprends bien qu’elle parle de Jake. Je sais qu’elle l’a déjà croisé une fois mais ils ont tous les deux été avares sur les détails et je ne sais pas trop ce que l’un pense de l’autre. Je pense qu’ils s’entendent bien mais c’est vrai qu’un repas tous les trois serait une bonne idée. “Bien sûr, tu verras il est très sympa.” Face aux regards inquisiteurs des amis d’Ade, celle-ci prend ma main pour m’inviter à danser. J’essaie de me concentrer sur la musique et sur Ade mais mes deux pieds gauches ne me facilitent pas la tâche, ce qui ne manque pas de la faire rire. Je lui dis que je fais de mon mieux et une fois de plus elle essaie de m’apprendre à danser, même si nous savons tous les deux que c’est peine perdue. « Regarde-moi ! Pas tes pieds. Plie légèrement les genoux, et bouge les pieds d’un côté, puis de l’autre. » J’essaie de suivre ses indications mais j’ai l’impression que plus j’essaie et plus c’est brouillon. Je ris face à cette situation ridicule et je lui réponds. “Non mais je suis un cas désespéré je crois.” Une fois que la musique s’achève elle me parle des résolutions, une tradition qui nous est chère depuis aussi loin que je m’en souvienne. Elle me prévient que je risque d’être blessé par ce qu’elle pourrait écrire mais qu’elle doit le faire quand même. Je lui réponds qu’il faut qu’elle soit honnête, c’est important et que dans tous les cas je ne mérite pas qu’elle me protège. C’est moi le méchant dans cette histoire, pas elle. « Arrête, Mel. Arrête de te flageller. C’est du passé, et je t’ai pardonné. Alors essaie de te pardonner aussi. » Je ne sais même pas comment elle a pu trouver la force de me pardonner. “C’est pas évident.” Je n’ai pas envie de gâcher davantage la soirée alors j’ajoute une note d’espoir. “Mais je vais essayer.”

Les regards se font de plus en plus pesants et je n’ai qu’une envie : fuir loin de ce bar. Ade me propose de finir la soirée ailleurs et nous prenons le chemin de la plage. Arrivés sur la plage je contemple les vagues et je suis d’accord : ce cadre est bien plus apaisant. Il est l’heure d’écrire les résolutions et je tends à Ade un papier et un stylo. Je griffonne de mon côté et je la laisse rédiger les siennes tranquillement. Je lui tends les miennes -non sans appréhension-. Je vois son visage passer par tout un tas d’émotions et c’est avec un sourire qu’elle termine la lecture. « Attends, je dois rajouter deux ou trois choses sur ma liste. » Je lui tends à nouveau le stylo et je suis curieux de savoir ce qu’elle va écrire. Elle me tend le papier et à mon tour je découvre ses résolutions. La première phrase me fait mal parce que je sais que c’est à cause de moi que cette confiance est détruite. La phrase sur Pablo m’attriste également parce que je sais à quel point ça l’affecte. La colocation ça me blesse aussi parce que pour moi c’était notre truc à tous les deux. Je souris en lisant la recommandation sur ses compétences culinaires qui ne sont effectivement pas fameuses. Qu’elle écrive qu’elle sera là pour moi me fait chaud au cœur et j’ai un petit rire en constatant qu’elle veut m’apprendre à danser. « Tu sais que tu peux encore changer tes résolutions ? Parce que je suis pas certaine que tu arriveras à les tenir, ni même que tu devrais … » Je secoue la tête et j’attrape la bouteille de Gin. “Non je suis sûr de moi.” Je bois une gorgée de la boisson avant de reposer la bouteille entre nous. “ça fait un moment que j’y pense et c’est la bonne solution même si c’est difficile.” S’il y a bien une résolution que je dois respecter c’est bien celle de rester loin d’Eden. Il mérite d’être heureux et vu comment notre histoire a démarré je ne pense pas pouvoir le rendre heureux comme il le mérite. Je décide de changer de sujet et je lui dis avec un ton sérieux. “Alors je peux déjà te dire qu’il y a une résolution que tu ne pourras pas tenir.” Je vois qu’elle se demande de quoi je dois vouloir parler. “M’apprendre à danser, c’est une cause perdue.” Je souris, j’essaie de détendre un peu l’atmosphère et je n’ai pas envie qu’on reparle de mes résolutions parce que je sais qu’Ade ne sera pas d’accord, mais je suis sûr de moi sur ce coup là. J’attrape à nouveau la bouteille et je bois un peu plus, j’ai envie d’oublier cette année plus que pourrie et recommencer à zéro pour 2022.

Les résolutions sont rédigées et c’est plutôt hésitant que je tends mon papier à Ade. Pas parce que je doute de ce que j’ai écrit mais plutôt parce que j’appréhende sa réaction. Ce que j’ai écrit et sincère, si j’ai manqué de franchise avec elle il y a quelques mois je n’ai jamais menti sur mes résolutions. J’aurais pu en garder certaines pour moi mais on s’est promis de toujours dire la vérité pour ces résolutions et je veux tenir cette promesse là. J’appréhende et j’ai raison de le faire, je commence à la connaître et je sais que celle qui mentionne ma santé mentale va forcément l’alerter. Et bingo ça ne loupe pas, je sais qu’elle me pardonne et qu’il faut qu’on avance mais je n’y arrive pas, je suis bloqué dans mes erreurs. Je maintiens ce que je dis, je ne veux pas changer mes résolutions parce que ça ne serait pas sincère. Je bois un petit peu et Ade me prend la bouteille des mains pour boire à son tour. J’essaie de changer de sujet et je parle d’une de ses résolutions qui est plutôt impossible à réaliser : m’apprendre à danser. En danse je suis un cas désespéré, c’est perdu d’avance et ça me fait sourire qu’elle se fixe cet objectif alors qu’elle sait à quel point je suis maladroit. « Allez, debout ! On va commencer dès maintenant, histoire qu’on soit sûr que tu saches danser avant la fin de l’année 2022. Je crois qu’on n’a pas une minute à perdre ! » Elle me fait rire, une année de cours intensifs ne serait pas de trop pour y arriver. Elle me tend la main et je la saisis pour me relever. Les heures qui passent sont un peu floues, un mélange de gin, de rire et de bain de minuit et de pas de danse plus ou moins bien exécutés. L’ambiance est bien plus légère, elle me fait rire à en avoir mal aux abdos et il y a même des moments où je dois essuyer quelques larmes provoquées par un fou rire. C’est fou à quel point j’aime cette fille, c’est ma meilleure amie et c’est dans ces moments là que je me dis que cette amitié est précieuse. Au bout de la deuxième bouteille tout devient encore plus flou, je vois Ade trébucher un petit peu, j’essaie de l’aider à se relever et on décide de faire une petite pause. Autour de moi tout tourne et je me dis qu’aller se baigner dans notre état ce n’est pas du tout une bonne idée. Allongée sur le dos, Ade observe les étoiles et sans réfléchir davantage je profite de cette accalmie pour envoyer un texto. Erreur numéro 1 : ne jamais envoyer de drunk texts. Erreur numéro 2 : Encore moins à son ex. Mais je m’en fiche un peu, je sais que c’est mal, que je ne devrais pas et que c’est complètement égoïste mais je m’en fous. Ma conscience est trop embrumée par l’alcool pour s’exprimer alors j’attrape mon téléphone et je pianote sur mon clavier pour envoyer un message à Eden. Puis deux, puis trois, jusqu’à ce que ça soit si peu discret qu’Ade s’en rende compte. « Diiiiis ! Tu fais quoi là ? » J’essaie de prendre un air innocent mais qui ne doit pas être bien convaincant. “Rien rien.” Encore un mensonge, mais j’ai trop honte de lui avouer que je suis en train d’envoyer des messages à Eden, ça la blesserait trop et elle aurait raison. “Il est quelle heure ? Faudrait peut-être qu’on rentre non ?” Changer de sujet pour noyer le poisson c’est une de mes techniques préférées et ça a l’air de marcher puisqu’Ade ne me repose pas de nouvelle question. Le début de l’année 2022 n’est pas franchement glorieux pour moi mais j’espère que la suite sera meilleure. Meilleure pour Eden, pour Ade et pour tous ceux que j’ai pu blesser récemment, ils le méritent tellement.