Rudy regarde les photos enregistrées sur son téléphone depuis quelques secondes. Un court instant est suffisant pour qu’il se rende compte à quel point il a merdé, cette fois-ci : sur une photo, il se voit souriant avec Lena. Sur la suivante, il trouve toute une série de clichés d’Erika dénudée. Il a mis un terme à sa liaison avec la jeune femme pour pouvoir lui soutirer de l’argent. Lui-même a du mal à y croire : son plan, imaginé dans le fin fond de sa cellule, est devenu réalité. Il ne pensait pas y arriver : il se savait avoir le cran, il ignorait s’il aurait les capacités. Même s’il a encore du mal à accepter sa liberté, sa réhabilitation s’est passée exceptionnellement bien. Il a été hébergé par un vieil ami et a trouvé un travail dès les premières semaines. Et suite à cela, il s’est tenu à l’écart des problèmes du mieux qu’il le pouvait en essayant de rencontrer la victime idéale. Il a passé des semaines à la chercher, d’autres semaines à la traquer, quelques autres supplémentaires à l’attirer pour finalement arriver à cet instant précis. Il a les photos, il a de quoi la faire chanter, il a tout ce qu’il désirait : mais il y a un hic. Il n’avait pas prévu de se remettre avec Lena durant cette période. Il n’avait pas non plus prévu que son coup d’un soir devienne une liaison d’un mois, que ses sentiments surpassent son besoin d’argent. Un instant lui a donc été suffisant pour comprendre que quelque chose n’allait pas et qu’il devait y remédier. S’excuser et tout annuler avec Erika ? Sûrement pas. L’argent, il en a besoin : qu’il le veuille ou non, c’est le porte-monnaie de cette femme qui sauvera la vie de sa petite sœur. Avouer tout ce qu’il a fait à Lena et lui faire comprendre qu’ils ne peuvent plus rester ensemble ? Oui, c’est ça qu’il doit faire. Il est adossé à son bâtiment, une cigarette entre les lèvres, le téléphone toujours dans sa main. Dans quelques secondes maintenant, il va grimper les escaliers qui le séparent de l’étage de sa petite amie et tout foutre en l’air, encore. Dans quelques secondes maintenant, il va briser son cœur, encore. Il tire une dernière fois puis écrase le mégot par terre avant de se mettre en route. Les étages lui semblent plus difficiles à gravir, cette fois. Peut-être parce qu’il a l’impression que la dernière, c’est bien celle-ci. Quand il a rompu avec elle à sa sortie de prison, une part de lui savait qu’ils se retrouveraient. Là, le doute est immense. Tout comme la certitude, celle qui lui murmure à l’oreille qu’elle ne lui pardonnera jamais. Arrivé devant la porte, il ouvre sans toquer – comme il le fait depuis qu’ils ont décide de reprendre – et entre dans l’appartement. Il la retrouve sur le canapé. Un léger sourire se dessine sur ses lèvres mais disparaît aussitôt. Il n’a pas envie de lui donner de faux espoirs et de la laisser être heureuse de sa présence alors que, dans quelques minutes, elle voudra qu’il déguerpisse au plus vite. C’est d’ailleurs pour ça qu’il ne s’approche pas d’elle pour l’embrasser, comme il le fait habituellement. Salut. Il dit, pour qu’elle le regarde, pour qu’elle s’intéresse à lui, pour qu’elle comprenne qu’il est ici pour lui parler. Faut qu’on parle. Genre, sérieusement. Il n’est jamais sérieux, il ne sort jamais une phrase de ce type. L’instant est rare, l’instant fait déjà mal. J’ai couché avec une autre. Et il va droit au but. Parce qu’il est là pour ça, parce qu’il n’a pas l’intention de lui faire croire que c’est arrivé par hasard et qu’il regrette. Son seul regret, là-dedans, c’est d’être obligé de la faire souffrir : il n’aurait jamais dû se remettre avec elle. À l’époque, il pensait que tout était terminé avec Erika et qu’il ne la reverrait jamais. Il s’était trompé. Son autre regret alors, s’il peut se permettre d’en avoir plusieurs, c’est de ne pas avoir tout arrêté avec Lena avant de débuter quelque chose avec Erika. S’il avait fait les choses dans l’ordre, il n’en serait pas là aujourd’hui. Plus d’une fois, toujours avec la même femme. Mais j’ai une explication, s’tu veux bien l’entendre. Il essaie de rester détaché dans ses propos, dans son ton, même son regard est ailleurs : partout dans l’appartement plutôt que sur elle.

@Lena Edwards

Les yeux rivés sur son téléphone, Lena était impatiente que cette journée se termine. Le lendemain, elle avait une soirée magistrale qu'elle avait sué pour organiser et dont elle avait hâte de voir le résultat final. Il faut dire qu'elle n'avait pas eu de journée décevante depuis plus d'un mois, et ce fait était à marquer d'une pierre blanche. De manière surprenante, le fait d'avoir Rudy dans sa vie à nouveau lui avait apporté une sérénité qu'elle n'aurait jamais pensé retrouvé. Avec lui dans les parages, elle savait qu'elle n'avait à craindre aucun moment de solitude trop lourd à porter, et c'était sans doute la chose la plus précieuse qu'il lui apportait. Lena avait la sensation qu'on lui donnait enfin une nouvelle chance dans la vie, et elle aimait tout particulièrement cet état d'esprit - bien qu'elle ne pouvait s'empêcher de se demander quand une complication viendrait tout gâcher, comme d'habitude. Elle lâchait son téléphone des yeux alors qu'elle entendait la porte de son appartement s'ouvrir. Hey ! La venue de Rudy n'était pas prévue, la surprise ne rendait cette visite que meilleure. D'office, en le voyant, ses son regard s'illuminait. Salut. Le sourire qu'elle arborait alors qu'il venait d'entrer chez elle s'effaça tout aussi vite que le siens avait disparu. Faut qu’on parle. Genre, sérieusement. Son ton était froid, distant, presque désinvolte et faisait comprendre à la blonde que ce qu'il avait à lui dire était effectivement des plus sérieux. Elle se redressait sur le canapé, fixait son regard sur lui tout en s'attendant au pire car elle savait bien qu'il était toujours plein de surprises, et pas toujours des bonnes. J’ai couché avec une autre. Elle faillit s'étouffer en entendant cette phrase. Tu te fous de moi ? C'était une blague, bien évidemment. Il n'aurait pas pu lui faire ça seulement deux mois après s'être remis avec elle, alors qu'elle commençait à peine à lui redonner sa confiance. Non, il ne pouvait pas gâcher ce qu'ils essayaient de reconstruire pour une simple histoire de coucherie sans valeur. Quoi qu'à bien y songer, venir lui dire ce genre de choses aurait été bien trop cruel pour une blague. Il semblait trop sérieux, ses traits étaient durcis par son expression grave. Du plus profond de son cœur, Lena ne voulait pas y croire. Mais il semblait bien qu'il disait la vérité. Plus d’une fois, toujours avec la même femme. Mais j’ai une explication, s’tu veux bien l’entendre. Elle eut une irrépressible envie de prendre tous les objets qui se trouvaient près d'elle pour les lui jeter violemment dessus en lui criant de s'en aller sans jamais revenir ici. Elle eut envie de l'insulter, de lui dire que sa place était en prison, de se lever pour aller lui mettre la claque qu'il aurait totalement méritée. Pourtant elle était trop abasourdie, déçue et perdue pour faire quoi que ce soit. Qui était cette autre femme ? Qu'avait-elle de plus qu'elle ? Lena a toujours sur que fréquenter Rudy était une erreur, mais elle avait eu un espoir qu'il se soit racheté en prison et que cette période l'ait fait réfléchir sur lui même, sur ses erreurs. Elle venait de comprendre qu'il en était devenu encore pire qu'avant, puisque la loyauté qu'elle pensait pouvoir lui attribuer n'existait visiblement plus. Tu mérites même pas que je t'écoute. La colère se lisait sur son visage. Elle aurait voulu pouvoir jouer à celle qui n'en avait rien à faire, aurait voulu montrer à Rudy qu'il n'avait plus le pouvoir de lui faire du mal, mais ç'aurait été mentir. S'il lui avait déjà brisé le cœur dans le passé, elle venait d'apprendre qu'un cœur pouvait se briser deux fois. Mais vas-y, je suis curieuse de savoir pour quelle raison t'as encore décidé de me gâcher la vie. Elle était insupportablement dédaigneuse, mais une curiosité malsaine la poussait à vouloir écouter ce qu'il avait à dire. Au moins, elle aurait de quoi le descendre auprès du monde entier lorsqu'elle se plaindrait de lui.

Se remettre avec Lena ne faisait pas partie du plan. En sortant de prison, il avait prévu de rompre avec elle et de s’effacer définitivement de sa vie. Deux ans loin d’elle lui avait fait le plus grand bien : il ne se sentait plus malsain à longueur de journée, en l’entraînant dans ses vices comme il l’avait fait tout au long de leur relation. Et il savait pertinemment que du côté de la blonde, le résultat était le même : elle pouvait se reconstruire, enfin, sans penser à lui. Il lui devait la vérité, lui dire qu’il avait été emprisonné et qu’il n’avait pas simplement disparu. Il lui devait une rupture, lui dire qu’il l’aimait toujours mais que le mieux pour eux – pour elle surtout – était qu’ils ne restent pas ensemble. Il lui devait la paix en n’essayant pas de la reconquérir, surtout en ayant cette idée de chantage envers Erika. Mais ce qu’il lui devait, également, c’était de ne pas la laisser seule lorsqu’elle appelait à l’aide : il a accouru quand elle a eu besoin de lui et s’est laissé guider par ses sentiments, persuadé qu’Erika était une histoire ancienne et que ça ne reviendrait pas sur le tapis. Malheureusement pour elle, pour lui, et finalement pour toutes les personnes impliquées dans cette histoire, Rudy a réussi à revoir Erika. Et s’il n’a pas su quitter Lena avant de la tromper, il sait malgré tout qu’il lui doit la vérité. Un mois trop tard et plusieurs coucheries trop tard, certes : ce qu’il pensait n’être qu’une histoire d’un soir s’est transformée en véritable liaison. Il y a mis un terme en envoyant les photos à Erika, le processus est lancé et il ne peut pas le désamorcer. Avant qu’elle l’apprenne de quelqu’un d’autre, le mexicain sait qu’il lui doit la vérité. Il n’essaie pas d’être tendre avec elle et de chercher son pardon, il entre directement dans le vif du sujet. « Tu te fous de moi ? » Il aimerait bien. En quittant l’appartement, il va falloir qu’il supprime – bloque, même – son numéro et essaie de ne plus jamais la revoir. Pour éviter de lui faire du mal, encore. Il lui confirme que non, ce n’est pas une blague, en lui précisant que c’était toujours avec la même personne. Et il veut lui prouver que ce n’était pas contre elle – quitte à remuer le couteau dans la plaie – en lui expliquant ce qui l’a motivé à le faire. « Tu mérites même pas que je t’écoute. Mais vas-y, je suis curieuse de savoir pour quelle raison t’as encore décidé de me gâcher la vie. » Encore. Il ferme les yeux un instant en repensant à la soirée où il a transformé leur couple en quelque chose d’horrible, quand il a agressé ce type, dans ce bar. Il les rouvre et la regarde, croise ses bras, se pose contre le mur du salon. « Maria engendre des frais médicaux qui ne sont pas remboursés, genre, vraiment chers. » Il va droit au but, il n’a pas besoin de slalomer entre les excuses : il sait qu’il a eu tort de la blesser, mais il a raison de faire ce qu’il a fait. Personne ne peut lui faire avaler le contraire – sa notion du bien et du mal est cassée et, pour lui, il ne fait que le bien actuellement. Lena est un dommage collatéral, tout comme Erika. « Alors j’ai décidé d’gagner des sous comme j’le peux. J’suis pas intelligent comme Diego ou Alma, j’peux pas aller dans les jobs qui sont grave bien payés. Et… J’voulais pas remettre le nez dans la drogue, j’aurais pas su vendre, ça aurait fini par être ma consommation plus qu’autre chose. » Il n’a pas retouché à de la cocaïne depuis qu’il est sorti de prison, ce qui est une véritable fierté pour le mexicain. « Alors j’ai trouvé autre chose. Une meuf, riche et assez connue, qui a pas mal à perdre. J’voulais pas qu’ce soit un truc qui dure, j’voulais juste me la taper et prendre des photos d’elle pour la faire chanter, après. Et j’l’ai fait, du coup. Mais j’ai eu une liaison avec pendant un mois, ça j’l’avais pas prévu. » Il la retrouvait elle en quittant Lena, donc. « J’voulais pas m’foutre de toi. » Et si ses sentiments sont forts, il ne peut pas dire ne pas en avoir développé pour Erika – d’où cette liaison, il n’arrivait pas à le faire. Mais s’il doit parler d’amour, il pense à la blonde plutôt qu’à la brune. « J’voulais pas faire le con une fois d’plus. Quand j’l’ai connue, elle, t’étais plus d’actualité. On s’est remis ensemble pendant l’processus, j’ai pas su t’éloigner d’moi. Pardon. » Les excuses de Rudy sont rares, très rares. Même s’il évite d’y mettre de l’émotion et des gestes, c’est sincère. Il est désolé de l’avoir blessée, une fois de plus.

@Lena Edwards

Rappeler Rudy après la mort de sa mère était une grave erreur. Lena aurait dû savoir qu'il ne ferait que la décevoir, encore. Elle aurait dû s'écouter et respecter les promesses qu'elle s'était faites à elle même. Mais Rudy avait beau être ce qu'il était, elle ne pouvait s'empêcher de vouloir revenir à lui à chaque fois. Elle s'en voulait pour ça, presque autant qu'elle lui en voulait à lui d'avoir joué un double jeu. Par une curiosité malsaine, elle lui demandait des explications. Ou plutôt elle l'autorisait à les lui donner. Maria engendre des frais médicaux qui ne sont pas remboursés, genre, vraiment chers. En quoi ça avait un rapport avec leur relation ? Il avait joué au gigolo pour payer les soins ? Lena gardait ses commentaires pour elle mais elle observait fixement Rudy, toujours de loin, assise sur son canapé, le visage totalement fermé. Alors j’ai décidé d’gagner des sous comme j’le peux. J’suis pas intelligent comme Diego ou Alma, j’peux pas aller dans les jobs qui sont grave bien payés. Et… J’voulais pas remettre le nez dans la drogue, j’aurais pas su vendre, ça aurait fini par être ma consommation plus qu’autre chose. Elle grimaçait légèrement, agacée qu'il se rabaisse ainsi. S'il y avait bien une chose sur laquelle elle n'avait jamais été d'accord était le fait qu'il se croyait moins intelligent que d'autres. Lena avait toujours été persuadée qu'à faire des efforts, il aurait pu réussir à faire quelque chose de mieux dans sa vie qu'avoir l'ambition de vendre de la drogue. Elle devait se tromper. Alors j’ai trouvé autre chose. Une meuf, riche et assez connue, qui a pas mal à perdre. J’voulais pas qu’ce soit un truc qui dure, j’voulais juste me la taper et prendre des photos d’elle pour la faire chanter, après. Et j’l’ai fait, du coup. Mais j’ai eu une liaison avec pendant un mois, ça j’l’avais pas prévu. Elle grinçait des dents, se retenait de le traiter de tous les noms parce qu'elle était perturbée par la situation. Qu'est-ce qui était le pire, son chantage ou sa tromperie ? Elle se le demandait encore. Un chantage ? Non mais je rêve là. Tu me dégoûtes. Il y était déjà allé fort en défigurant un inconnu dans un bar sous le coup de la colère, ou toutes les fois où il s'était montré violent. Préméditer ce genre d'actions était un cran au dessus en terme de sournoiserie. J’voulais pas m’foutre de toi. Elle soupirait, les yeux en l'air, exaspérée de l'entendre parler. Il ne disait que des idioties et il avait l'air sincère. Il se fourvoyait lui même. Pourtant t'as réussi ton coup, bravo. Le dédain qu'elle avait dans la voix était presque palpable. J’voulais pas faire le con une fois d’plus. Quand j’l’ai connue, elle, t’étais plus d’actualité. On s’est remis ensemble pendant l’processus, j’ai pas su t’éloigner d’moi. Pardon. Elle se levait d'un bon, fit deux pas en avant. T'es qu'un putain de connard. Pour l'avoir trompée, évidemment. Parce que s'ils s'étaient remis ensembles c'était son idée. Que ce soir là, Lena se serait contentée de partager un peu de temps avec lui, qu'elle aurait pu passer à autre chose le lendemain, une fois sobre. Mais aussi et surtout pour avoir arnaqué une inconnue de cette façon. Pour avoir ne serait-ce que songé à ce plan horrible, pour l'avoir mis en œuvre ensuite. Tu crois que faire des excuses changera quelque chose ? Non, rien ne pourrait le faire. Plus maintenant. Comment j'ai pu croire que t'en avais quelque chose à foutre de moi après que t'aies disparu en prison deux putain d'années sans même m'écrire une lettre. Ce "détail", elle lui aurait reproché toute leur vie, de toute manière. Tu sais très bien que t'avais qu'à me demander de l'argent, je vous aurais aidé. T'aurais pu laisser tomber, rien t'obligeais à aller jusqu'au bout. Plusieurs fois déjà elle lui avait dit qu'elle leur donnerait tout, à lui et sa famille. Peut-être n'était-elle pas aussi riche que cette pauvre victime arnaquée, mais cet enchaînement de drames aurait pu clairement être évité. Mais t'es qu'un sale égoïste, tu t'en fous de faire le con, tu t'en fous de faire du mal. Il ne pensait qu'à lui, ne changerait jamais.

« Un chantage ? Non mais je rêve là. Tu me dégoûtes. » Tout pareil. Ouais, il ressent ça, lui aussi. Raconter son plan aussi directement, sans passer par des chemins plus longs pour atténuer la chose, ça le dégoûte. De lui-même, de la vie en général : pourquoi a-t-il dû en arriver là ? Ceux qui prient un Dieu se rendent-ils comptent qu’une enfant est en train de mourir, comme ça, sans la moindre raison ? Oui, c’est horrible. Mais non, ce n’est pas sa faute. Il a fait ce qu’il pensait juste pour l’aider, il n’a pas réussi à aller au bout de son plan. Il n’est désolé que pour elle, de l’avoir entraînée dans cette histoire, d’avoir sali son nom en la trompant pendant plusieurs semaines. S’il avait été assez fort pour rompre avec elle, il l’aurait fait. L’amour a ses raisons que la raison ignore, paraît-il. « Pourtant t’as réussi ton coup, bravo. » Il a réussi à se foutre d’elle, oui. Il a réussi à ne plus penser à elle. Il a réussi à l’appeler « l’autre » quand il était avec Erika, à penser à la quitter pour elle. Il a réussi à oublier son plan, à développer des sentiments, à ne pas faire ça que pour l’argent. Est-ce qu’il va lui dire, ça ? Peut-être pas aussi directement. Il n’est pas venu ici pour la faire souffrir, seulement parce qu’il lui doit la vérité. Elle se lève et se rapproche de lui. Il se sent tout petit, comme quand sa mère l’engueulait, à l’époque, quand elle lui disait de ne pas faire de mal autour de lui. « T’es qu’un putain de connard. » Bon, elle n’utilisait pas ces propos, elle. « Tu crois que faire des excuses changera quelque chose ? Comment j’ai pu croire que t’en avais quelque chose à foutre de moi après que t’aies disparu en prison deux putain d’années sans même m’écrire une lettre. » Il voulait l’épargner, à cette époque. Il pensait que c’était pour son bien, il n’imaginait pas la revoir un jour. Il croyait passer trois ans derrière les barreaux, il n’en a fait que deux. Vingt-quatre mois, et il sait que si elle avait été au courant, elle aurait fait la connerie de l’attendre. Elle a pu vivre sa vie, sans lui. « Tu sais très bien que t’avais qu’à me demander de l’argent, je vous aurais aidé. T’aurais pu laisser tomber, rien ne t’obligeais à aller jusqu’au bout. Mais t’es qu’un sale égoïste, tu t’en fous de faire le con, tu t’en fous de faire du mal. » Il se pince les lèvres. Est-ce qu’il doit continuer et lui donner tort ou accepter, lui donner raison et s’en aller ? « J’m’en fous pas. Si j’m’en foutais, t’aurais eu un message et basta. » Peut-être le même message qu’Erika, d’ailleurs. « Fallait que j’te le dise là, en face à face. J’aurais aussi très bien pu ne jamais te mettre au courant et continuer notre couple, comme ça. T’aurais pas pu l’savoir. » Parce que Erika ne va pas aller le crier sur tous les toits et que, à part elle, il n’y a qu’Andrea qui est au courant. « Mais non, j’te l’ai dit. » Il n’attend pas de remerciements ou d’applaudissements. « J’voulais pas t’faire ça, vraiment. » Il aurait aimé être le bon, cette fois-ci, que leur histoire dure et perdure. « Tu trouveras quelqu’un à ta hauteur. Ça a jamais été moi et tu l’sais très bien. » Il sait qu’il a été important, pour elle, qu’il l’a aidée à se sortir d’une phase difficile et à s’ouvrir au reste du monde. Mais sa part est faite, dans la vie de Lena, et il n’y a plus sa place désormais. « J’aurais aimé qu’ça le soit. Et j’aurais aimé pouvoir changer pour toi, vraiment, comme j’te l’avais dit à la plage. » Faire des efforts et les maintenir, qu’il n’y ait que du positif. « Mais j’suis c’que j’suis et ça bougera pas. » Pas pour l’instant, en tout cas. Il n’a pas conscience du mal qu’il fait, il le sait : il s’en rend toujours trop tard, une fois que c’est fait, une fois qu’il n’y a plus rien à rattraper. Là, il était obnubilé par son plan, il pensait bien faire. Maintenant que c’est fait et qu’Erika lutte, il se rend bien compte de ce qu’il risque et de ce qu’il fait endurer. Que ce soit à la brune, à la blonde ou à sa famille, si jamais ça doit dégénérer. « J’espère qu’tu passeras vite à autre chose. » Il hausse ses épaules et se retourne, il est prêt à partir. A quoi bon en ajouter plus ? Elle le déteste, elle vient de lui faire comprendre, ça ne changera pas. Il ne veut pas passer des heures à s’excuser et à faire des promesses dans le vent, il a ce qu’il mérite.

Ce moment devait arriver. D'une manière ou d'une autre, ils finiraient par se faire du mal l'un l'autre, ce n'était qu'une question de temps. Sans doute valait-il mieux que ça arrive maintenant, juste après qu'ils se soient remis ensembles. Plus le temps aurait passé, plus le pansement aurait été difficile à arracher. Ça ne l'empêchait pas de lui faire des reproches, de hausser le ton sur Rudy alors même qu'elle sentait ses joues rougir et des larmes emplir ses yeux. Lena détestait lui montrer qu'il la touchait. Elle détestait montrer à quiconque qu'elle était blessée. Alors elle ravalait son envie de crier et de tout jeter par terre autant que celle qui lui criait de fondre en larmes comme une enfant. J’m’en fous pas. Si j’m’en foutais, t’aurais eu un message et basta. Elle se demandait si le voir disparaître sans plus d'explications aurait été plus simple que ce vivre cet instant, mais à se rappeler les quelques semaines après son emprisonnement, elle se doutait que ç'aurait été pire. Fallait que j’te le dise là, en face à face. J’aurais aussi très bien pu ne jamais te mettre au courant et continuer notre couple, comme ça. T’aurais pas pu l’savoir. Peut-être que c'était ça, la solution ? L'amour de Lena pour Rudy était tellement tordu qu'elle aurait très bien pu se faire à une vie avec lui, même s'il n'était qu'à quatre vingt pourcent investi. En fait, il aurait très bien pu lui demander ce qu'il voulait qu'elle l'aurait accepté tant que ça lui permettait de rester avec lui. Rien que pour ça, il valait bien mieux qu'ils se séparent. Mais non, j’te l’ai dit. J’voulais pas t’faire ça, vraiment. C'était fait, pourtant. Et elle aurait eu envie de lui répéter encore une fois, mais il était au courant, il savait que tout était de sa faute. Sinon il n'aurait pas pris la peine de venir. Tu trouveras quelqu’un à ta hauteur. Ça a jamais été moi et tu l’sais très bien. Elle maintenait son regard et chacun des mots du mexicain semblait la briser un peu plus. Elle ne voulait pas quelqu'un de mieux, elle voulait de lui. Maintenant, elle risquait de ne plus jamais vouloir de personne dans sa vie. Ça aurait pu être toi et tu le sais très bien. Ils le savaient tous les deux : il n'aurait pas suffit de grand chose pour qu'ils puissent continuer. Lena avait réussi à lui pardonner beaucoup de choses, elle connaissait ses pires défauts, elle savait pertinemment qui il était. Elle l'aurait accepté comme ça, l'aurait aimé sans condition. J’aurais aimé qu’ça le soit. Et j’aurais aimé pouvoir changer pour toi, vraiment, comme j’te l’avais dit à la plage. Mais j’suis c’que j’suis et ça bougera pas. Ce n'était pas ce qu'elle lui demandait : il suffisait qu'il évite d'arnaquer une inconnue pour la contenter. J’espère qu’tu passeras vite à autre chose. Il arrive des moments où l'émotion est si forte qu'on ne sait plus quoi ressentir. Lena en vivait un à cet instant précis. Le sentiment le plus clair et intense était évidemment sa colère. Avoir été trahie, savoir qu'il avait monté un tel plan en plus de l'avoir trompée et qu'il était donc un esprit aussi manipulateur la rendait folle de rage. Loin de se cacher de cette colère, elle était pourtant, d'un autre côté, curieuse d'en savoir plus. La blonde a toujours été fascinée de comprendre comment les gens fonctionnent et Rudy ne faisait pas exception à cette règle, peu importe le dégoût qu'il lui inspirait. Pars pas. Elle avait brisé le silence pesant qui s'était installé dès lors qu'il lui avait tourné le dos pour s'en aller. La dernière fois qu'elle lui avait demandé de rester, le mexicain était parti sans se retourner. Ça l'agaçait de se retrouver encore une fois dans la position de celle qui lui demandait de rester, mais cette fois, ce n'était pas parce qu'elle en était trop amoureuse pour le laisser partir - quoi que. Elle comptait surtout sur le fait qu'il voulait lui donner des explications. Elle les méritait. Son ton était froid, son visage glacial. Toute expression semblait l'avoir quittée, elle qui d'habitude était si transparente sur ce point. J'veux savoir qui c'est. Il ne lui donnerait probablement pas de nom - quoi que. Mais elle voulait savoir si toute cette histoire avait vraiment valu le coup. Si cette femme là, en plus d'avoir de l'argent, était de bonne compagnie. Elle avait mal pour elle qu'elle ait dû subir Rudy, qu'elle soit tombé dans son piège : elle avait encore plus mal pour elle même, pour son ego aussi. Et pourquoi elle. Je veux comprendre. Elle voulait comprendre pourquoi il finissait toujours par choisir le monde entier plutôt qu'elle, pourquoi il n'avait pas essayé de lui parler de ses problèmes pour qu'elle l'aide à trouver des solutions, pourquoi elle n'avait pas vu la catastrophe arriver alors qu'elle savait pertinemment qu'il n'était qu'une bombe à retardement. Dans une curiosité malsaine mêlée à une incompréhension totale, Lena avait besoin de réponses pour espérer un jour passer à autre chose - si seulement c'était possible. Il les lui devait bien. T'es tombée dessus par hasard, ou c'est elle que t'avais en tête en imaginant toute cette merde ? Parce que ça changeait beaucoup de choses à ses yeux.

« Ça aurait pu être toi et tu le sais très bien. » Oh oui, il le sait. Et il va nourrir des regrets silencieusement pour le restant de ses jours. Il aurait pu prendre sur lui et essayer de réfléchir différemment. Parler de ses projets avant de les mettre en place pour savoir s’ils sont cohérents ou totalement stupides – là, pour le coup, c’est la deuxième option qu’il faut choisir. Rudy n’est pas un homme infidèle, habituellement. Il a beau aimer plaire et aimer regarder les femmes, il n’avait jamais franchi le cap de l’infidélité avant Erika. Tout simplement parce qu’il n’a eu qu’une seule relation sérieuse et qu’avant de jeter son dévolu sur l’agente immobilière, il n’avait d’yeux que pour Lena. Il l’aime, il l’aimera probablement toujours. Il l’a dit et le pensera sûrement jusqu’à la fin de ses jours mais cette femme est l’amour de sa vie. Peu importe la souffrance causée, peu importe leur obligation d’être séparés. Ça aurait pu être lui s’il avait su s’acheter une conscience, s’il n’avait pas que deux diables sur ses épaules. Ça aurait pu, oui. Il lui sort cette phrase que tous les anciens compagnons ont du mal à prononcer : il espère qu’elle passera à autre chose. Il aimerait pouvoir lui souhaiter une belle vie et tout le bonheur du monde mais si elle peut se sentir misérable loin de lui, il ne va pas mentir, ça lui fera plaisir. De savoir qu’elle a besoin de lui pour s’épanouir – Rudy est un homme toxique et ça ne changera pas, ça non plus. « Pars pas. » Il s’arrête face à la porte, ferme ses yeux une seconde, ne bouge pas. Il attend de savoir ce qu’elle va lui dire, ce qu’elle va lui demander. « J’veux savoir qui c’est. » Il a eu peur qu’elle lui dise que ce n’est pas grave. Qu’elle peut lui pardonner et qu’ils peuvent recommencer. Ça aurait été la goutte d’eau et, se connaissant, il sait qu’il n’aurait pas su se tenir, qu’il aurait accepté. Elle mérite tellement mieux que lui. « Et pourquoi elle. J’veux comprendre. T’es tombé dessus par hasard, ou c’est elle que t’avais en tête en imaginant toute cette merde ? » Il se retourne vers elle. « Elle s’appelle Erika. » Pas besoin de lui donner un nom de famille : le virement n’a pas encore été fait et il ne veut pas qu’elle s’amuse à la retrouver. Elle pourrait la convaincre de ne pas le faire et maintenant que toute la procédure a été engagée, Rudy ne peut pas se permettre de ne pas recevoir cet argent. « J’ai imaginé l’plan dans ma cellule. J’l’ai connue à l’Interlude, là où je travaillais. J’ai pensé à une femme avant d’tomber sur elle. » Donc non, Erika n’a pas été une évidence. Enfin, si. Après May, quand il a posé ses yeux sur elle, il a su qu’il ne cherchait pas quelqu’un d’autre. Il ne sait pas si c’est parce qu’il a eu un coup de foudre – en vue de ses sentiments actuels – ou si c’est parce qu’il avait raison, juste pour son plan. Tout ce qu’il sait c’est qu’il a fait d’elle sa proie et que petit à petit, son piège s’est refermé sur elle. « Notre rencontre c’était en Novembre. » Autrement dit, ça date de plusieurs mois déjà. « J’crois qu’elle commençait vraiment à tomber amoureuse, j’sais pas trop. J’ai joué le jeu. » Il ne compte pas lui dire qu’il a ressenti des choses, lui aussi. Ça ne mènerait à rien. « Mais elle est connue. Et vraiment riche. J’veux dire, c’est pas ce virement qui va la rendre pauvre ou quoi. Elle s’en remettra. » Peut-être pas personnellement mais financièrement oui, elle saura passer à autre chose. L’avant et l’après Rudy ne se ressentira même pas sur son compte bancaire. « J’ai pas attaqué la première bourge venue non plus, j’ai fait gaffe à c’qu’elle puisse passer au-dessus. » On devrait presque le remercier, non ? « C’est tout ? J’peux partir ? » Il veut bien répondre à d’autres questions si elle en a. Mais concernant Erika, il n’a rien de plus à dire. Il ne veut pas en arriver au moment où il faudra lui expliquer pourquoi il a mis un mois à agir plutôt qu’une seule nuit. Parce que là, il ne saura pas comment se défendre. Son cœur bat pour Lena, ses pensées ne sont dirigées qu’envers Erika… ça n’a plus le moindre sens et il déteste ça.

@Lena Edwards

Elle s’appelle Erika. Cette phrase résonnait dans l'esprit de Lena, à l'instar d'un écho incessant. Elle tournait ce prénom cent fois dans sa tête en une fraction de seconde, se demandant si elle connaissait la femme qui avait partagé le lit de Rudy. Peut-être qu'elle l'avait déjà croisée sans savoir qui elle était, au fond rien n'était impossible. La blonde rencontrait beaucoup de monde : et si elle avait déjà fait face à cette femme ? Elle était une victime mais elle la dégoutait surtout. Peu importe si elle était inconsciente de la situation, peu importe à quel point Lena n'aurait souhaité à personne de se faire avoir par le mexicain, elle les détestait, lui comme elle. Malgré tout, elle avait envie d'en savoir plus. Comme si elle cherchait un moyen de trouver des excuses au brun, comme si en connaissant les détails de ses pensées elle réussirait à plus facilement faire le deuil de leur relation pourtant déjà enterrée depuis longtemps. Il ne manquait plus qu'elle s'en rende compte. J’ai imaginé l’plan dans ma cellule. J’l’ai connue à l’Interlude, là où je travaillais. J’ai pensé à une femme avant d’tomber sur elle. Et elle avait du mal à savoir si elle préférait cette option là qu'une autre : au moins, ici, elle pouvait se convaincre que Rudy avait réellement monté son plan dans un but précis. Sinon, la question de savoir s'il avait en réalité trouvé des excuses pour se lancer dans une aventure avec une autre aurait été légitime. Notre rencontre c’était en Novembre. Les yeux de Lena étaient ancrés dans les siens alors qu'il venait de lâcher cette bombe. Les calculs étaient rapides à faire : tout dans leur relation depuis qu'ils s'étaient remis ensembles était donc une illusion. Elle en restait abasourdie, réalisait à quel point il venait de se moquer d'elle plus que jamais. Mais elle s'en voulait, aussi : le fait d'avoir appelé son numéro un peu trop facilement alors qu'elle était au plus mal, il n'y pouvait rien. L'erreur de Lena était bien la seule chose pour laquelle elle ne pouvait pas le blâmer - et encore. J’crois qu’elle commençait vraiment à tomber amoureuse, j’sais pas trop. J’ai joué le jeu. Amoureuse ? Si la supercherie lui avait paru si réelle, Lena était en droit de se demander si elle n'avait pas été qu'une victime, elle aussi, après tout. Elle effaça cette pensée, persuadée que les années qu'ils avaient partagés avant son premier emprisonnement avaient été les plus belles de sa vie, que tout ça ne pouvait être que réel. C'est bien pour ça qu'elle tombait de haut à l'entendre aujourd'hui lui avouer ses tromperies. Mais elle est connue. Et vraiment riche. J’veux dire, c’est pas ce virement qui va la rendre pauvre ou quoi. Elle s’en remettra. Elle secouait la tête comme pour s'assurer d'avoir bien entendu ce qu'il venait de dire : Rudy était un incorrigible connard à avoir de telles pensées. J’ai pas attaqué la première bourge venue non plus, j’ai fait gaffe à c’qu’elle puisse passer au-dessus. Elle l'avait laissé s'exprimer en le fixant, bouche bée, tout du long, incapable de réagir tant elle estimait qu'il ne disait que des absurdités. Son discours lui avait paru irréaliste. C’est tout ? J’peux partir ? Sa question eut comme l'effet de réveiller Lena dont le regard s'assombrit encore un peu plus pour devenir patibulaire. Pincez moi, je rêve. Tu viens me balancer une bombe, t'expliquer, et t'es pressé de partir maintenant ? Garder son calme jusqu'ici avait déjà été un exploit, il fallait que tout explose à présent. Elle avait envie de lui hurler dessus, de pleurer et de vomir de dégoût, tout ça a la fois. Jamais elle ne s'était sentie aussi furieuse. Tu te crois intelligent parce que t'as bien choisi ta cible en plus ? Tu veux des félicitations peut-être ? Elle se mit à taper deux fois dans les mains comme pour l'applaudir de ses exploits, mais ses poings se crispaient à le voir inconscient de ses fautes alors elle relâchait ses bras le long de son corps pour éviter de le frapper - elle n'aurait pas réussi, de toute manière. Tu sais quoi ? Ouais, tu peux partir. Tu peux surtout claquer la porte et plus jamais revenir ici. Ça valait de soi : elle ne le laisserait plus passer le pas de la porte. Rudy était définitivement banni de son appartement, de sa vie, et si elle en avait le pouvoir elle l'aurait banni de Brisbane aussi. Il ne méritait que l'exil, de pourrir en prison. Non, Rudy n'avait aucune marge de progression, il ne comprenait rien, ne s'améliorerait jamais. Tu peux même te planter en moto si t'en as envie, tu sais quoi. Elle ravalait ses larmes, mélange d'une colère extrême et d'une profonde tristesse. Elle regretterait rapidement lui avoir dit ça mais sans doute qu'il le devinerait, sa rage ne faisant que cacher des sanglots. J'veux plus jamais te voir. Alors elle lui tournait le dos, s'autorisant à verser une larme lorsqu'il ne pouvait plus la voir, attendant d'entendre la porte claquer derrière lui pour réaliser que tout était fini.

« Pincez moi, je rêve. Tu viens me balancer une bombe, t’expliquer, et t’es pressé de partir maintenant ? Tu te crois intelligent parce que t’as bien choisi ta cible en plus ? Tu veux des félicitations peut-être ? » Elle tape dans ses mains, ça a le don d’agacer Rudy. Il cligne des yeux à chaque claquement, comme pour prendre sur lui. Si ça avait été un autre contexte – et sûrement une autre personne – il se serait immédiatement emporté. Il déteste que l’on se foute de lui aussi ouvertement. Mais là, il sait qu’il l’a mérité et qu’il n’a pas le droit de s’offenser pour si peu. « Tu sais quoi ? Ouais, tu peux partir. Tu peux surtout claquer la porte et ne plus jamais revenir ici. Tu peux même te planter en moto si t’en as envie, tu sais quoi. J’veux plus jamais te voir. » Il lui a fait ses adieux l’année dernière. Ils auraient dû le rester ainsi, ne pas être qu’un au revoir au milieu de tant d’autres. S’ils l’avaient été, ils s’en seraient mieux portés tous les deux. Elle aurait peut-être réussi à rencontrer quelqu’un d’autre, depuis le temps, et il n'aurait pas à vivre avec cette culpabilité. Faire subir tout ça à Erika n’est presque rien, pour lui, mais c’est une véritable souffrance que d’avoir joué avec Lena. Il aurait dû être plus fort et rompre avec elle lorsque Erika est revenue dans sa vie. Ou même, il n’aurait pas dû s’emporter le soir où elle a eu besoin de lui, ne pas lui dire tout ce qu’il lui a dit. Mais il lui semblait qu’ils étaient beaux, à une époque. Ils vivent tous les deux avec des œillères depuis des années, incapables de se rendre compte qu’il n’y a rien d’idyllique dans leur relation. S’ils la voyaient sur d’autres, ils se rendraient compte de la toxicité infernale de ce lien. Mais puisque c’est sur eux, ils n’arrivent pas à ouvrir les yeux et à passer à autre chose. Peut-être que cette fois-ci est la bonne. Elle se retourne et Rudy sait ce qu’il lui reste à faire. Pas de baiser pour lui dire adieu, cette fois-ci. Pas un dernier mot murmuré. Pas d’excuses. Rien, si ce n’est une porte qu’il s’applique à claquer comme elle le lui a demandé. Il n’ira pas se planter en moto, non. Il a déjà planté leur relation, il ne faut pas trop lui en demander non plus. Il reste derrière la porte d’entrée quelques longues secondes avant de finalement se décider à rentrer. Il est presque certain que cette fois-ci est la bonne, que tout est enfin réellement terminé. (lol)