Don't even know the color of your hair but once I see you standing there. I will know you instantly so if you're in the fields, across the way and wondering, you dare come up to me.
C’est lorsqu’il se retrouve seul dans cette maison bien trop grande pour lui que Carl réalise que sa propre compagnie ne lui suffit vraiment pas. La solitude il la subit bien plus qu’il ne la choisit et pourtant la vie à plusieurs ne lui a pas toujours convenu, quand il cohabitait avec vingt autres personnes pour les besoins d’une émission ce n’était pas une partie de plaisir tous les jours et ça n’aurait pas été moins pesant sans caméras, il le sait. Ce qu’il lui faut c’est un juste milieu, vivre sous le même toit qu’une famille comme celle de Talia est l’idéal pour lui parce qu’il n’a pas l’impression d’étouffer comme dans ce fameux manoir de Coles Bay où il ne pouvait pas faire un pas ou pousser une porte sans tomber sur un autre candidat. Le concept d’intimité y était inexistant et c’est assez ironique que lui puisse s’en plaindre quand il n’hésite pas à profaner cette même intimité chez les autres, à travers ses petites pratiques pas du tout louables. Il n’est pas fait pour évoluer au milieu d’un troupeau Carl parce qu’il est inévitablement voué à devenir l’élément le plus faible qui se fera piétiner, mais il n’est pas non plus fait pour la vie en solo où il ne pourrait compter que sur lui-même pour se gérer. Ça, ce ne serait vraiment pas un bon plan et il n’a de toute manière jamais envisagé de pousser son indépendance aussi loin. Il ne s’imagine pas capable d’entretenir un appartement qui ne serait qu’à lui et pourtant les tâches ménagères ne lui font pas peur quand elles font partie de ses missions d’au pair, passer le balais ou s’occuper du linge n’est pas un problème ni tellement une corvée quand c’est chez les autres. C’est justement de cette façon que Carl occupe le plus clair de son temps pendant ses journées quand Talia est au travail et Maya à l’école, et par rapport à l’une de ses anciennes familles d’accueil qui le traitait comme un larbin il voit vraiment la différence. Ici son contrat est respecté, il n’en fait pas plus que ce qui est convenu et c’est appréciable. Il n’est pas une bonne à tout faire, Talia ne lui fait pas du tout ressentir les choses dans ce sens et c’est bien pour ça qu’il espère la garder comme maman d’accueil le plus longtemps possible. Aujourd’hui Carl a une lessive et du repassage à faire, il doit aussi penser à vider les poubelles mais la seule tâche qu’il redoute vraiment c’est la cuisine. Ce n’est pas du tout son rayon et c’est une chose qu’il s’était bien gardé de préciser en se proposant comme au pair, lui qui voulait à l’époque mettre toutes les chances de son côté quitte à embellir la réalité. Certains jours Carl se débrouille et d’autres jours il se retrouve démuni face à une cuisinière, comme ce jour-là. Le bonhomme n’est jamais le dernier pour mentir et ses mensonges il les entretient, comme lorsqu’il commande de la nourriture pour prétendre ensuite l’avoir cuisinée. C’est tout un stratagème qui se met en place car les preuves doivent avoir disparu avant le retour de toute la famille mais il a une complice Carl, tout seul il aurait du mal à faire en sorte que son petit manège tienne debout. Mitsuko n’a pas mis longtemps à comprendre ce qu’il mijotait au même titre que lui n’a pas mis longtemps avant d’avouer son vilain petit secret. Ça reste entre elle et lui, elle n’est pas censée le trahir et elle ne lui en demande pas encore trop pour le couvrir et préserver son silence. Pourvu que ça dure.
Il ne lui reste qu’une petite heure avant d’aller chercher Maya à l’école et le suivi de sa commande sur son téléphone lui indique que Mitsuko sera là d’ici cinq minutes. Sa livreuse attitrée est toujours ponctuelle avec lui mais il ne pense pas que ce soit un privilège qu'elle lui accorde par rapport à d’autres, c’est juste qu’elle doit prendre son boulot au sérieux et qu’à force elle connait aussi parfaitement son adresse. Cette fois Mitsuko a même un peu d’avance et Carl sait qu’il sera généreux dans son pourboire car chaque minute de gagnée lui permet de s’organiser, il prépare d’ailleurs sa monnaie alors que l’application lui confirme bien que sa commande est là. Il a même droit à un message personnalisé de Mitsuko pour signaler sa présence avant que celle-ci ne vienne directement toquer à la porte, puisqu’il laisse toujours le portail ouvert quand il l’attend. C’est certainement un effort qu’elle n’entreprend pas pour tout le monde et il apprécie, parce qu’il n’a pas à sortir pour récupérer sa commande et prendre ainsi le risque d’être vu par les voisins. Il n’est jamais serein Carl, c’est une chose de plus qu’il n’aimerait pas que Talia apprenne parce qu’il ne veut pas la décevoir. « Salut ! » s’exclame le bonhomme une fois la porte ouverte et Mitsuko face à lui. La brune lui remet sa commande qui arrive toujours en parfait état avec elle, comme quoi les bonnes notes qu’il lui met sur l’application ne dépendent pas uniquement du fait qu’elle le couvre. « Tiens, ton pourboire. » Cette fois pas d’oubli Carl s'y est pris en avance, il lui remet l’argent dans le creux de sa main et au même instant un grognement caverneux l’interpelle. Des gargouillements, ou ce qui y ressemble. « C’est ton ventre ça ? » il la questionne d’un air curieux, se demandant d’un coup à quand peut bien remonter son dernier repas. « Attends, euh.. tu peux rester manger si tu veux. » Ça sort tout seul, il ne réfléchit même pas. Mitsuko a l’air d’avoir faim et lui ne se sent pas de la laisser repartir comme ça, elle a en plus un peu d’avance alors il se dit qu’elle peut bien entrer quelques minutes le temps d’avaler un truc. Carl se décale de la porte pour lui créer un passage et c’est la toute première fois qu’il laisse entrer quelqu’un dans cette maison qui n'est pas la sienne, autant dire qu’il n’est pas tout à fait certain de ce qu’il fait. « Faut juste pas que ma famille d’accueil l’apprenne car j’sais pas si j’ai le droit de faire venir des gens ici. » C’est vrai ça, il n’a jamais demandé à Talia ce qu’il en était. Il n’est pas chez lui et ne risque pas de l’oublier, simplement il se sentirait un peu mal de laisser repartir Mitsuko le ventre vide et ça il compte un peu sur Talia pour le comprendre si jamais il devait se faire prendre. « Ni ce qu’ils penseraient s’ils te voyaient là. » il poursuit, d’un coup assez inquiet quant aux étiquettes qu’il pourrait encore récolter. Oh il préfère presque ne pas savoir Carl, c’est tellement commun aujourd’hui de trouver que tout ce qu’il fait est tordu. Il amène le sac de sa commande dans la cuisine et en sort progressivement tout ce qu'il contient, en se brûlant légèrement les doigts au passage. « Je commande toujours plus de nourriture que nécessaire comme ça je gratte un repas le lendemain, mais du coup sers-toi. » Parce que cette nourriture n’est pas vouée à être servie avant plusieurs heures, elle doit avoir compris comment le bonhomme s’y prend pour faire passer cette cuisine pour la sienne. Et ce qui ne sera pas mangé ce soir ne sera donc pas gâché, demain midi Carl devra juste se trouver autre chose puisque ce qui est censé lui faire un deuxième jour va revenir à Mitsuko. « Ça doit pas t’arriver souvent de manger ce que tu livres, si ? » C’est ce qu’il suppose mais peut-être qu’elle sympathise avec plus de clients qu’il ne le pense. Carl fait glisser le poulet au caramel et la soupe jusqu’à elle puis met le reste de côté pour plus tard, et c’est là qu’il réalise sa possible boulette. « J’ai pas du tout fait exprès de commander chinois, hein, va pas croire. » Il préfère le préciser des fois qu’elle ne le prenne contre elle ou s’imagine qu’il se moque d’elle, quoique ce n’est peut-être pas ce qui peut vraiment offusquer Mitsuko là tout de suite. D’un coup Carl est pris d’un furieux doute : est-ce qu’elle est bien chinoise ? Le garçon n’est pas du tout sûr de lui et plus il la regarde, plus l’impression d’avoir encore gaffé l’envahit. Enfin Carl, tu n’as quand même pas fait un raccourci aussi honteux, pas toi.
Dernière édition par Carl Flanagan le Sam 7 Mai 2022 - 21:08, édité 1 fois
Combien de fois ses pieds s’étaient-ils posés sur les pédales de son vélo ? Beaucoup de fois, beaucoup trop de fois, les yeux de Mitsuko s’étaient écarquillés après avoir découvert le chiffre affiché sur son application, elle avait délivré plus de deux-cents commandes. Elle se demandait encore comment elle avait pu en arriver à là, elle qui pensait que ce boulot ne serait que passager. La jeune femme était forcée de constater que les seules choses d’éphémères dans sa vie étaient au nombre de trois : l’argent, ses conquêtes et ses amitiés. Elle avait manqué plusieurs fois de se retrouver dans le rouge, son appétence pour la mode lui faisait souvent comprendre qu’elle ne pouvait plus faire de folies. La brune ne pouvait plus avoir une paire de chaussures pour aller avec chacune de ses tenues, ni d’accessoires, elle devait aller à l’essentiel et avait du mal à s’y résoudre. Elle tirait souvent la tête une fois qu’elle se retrouvait chez elle, elle n’avait pu s’empêcher de parler de son désespoir, quitte à agacer ses colocataires en chouinant un peu trop sur son sort. Contre toute attente, cela lui avait permis de décrocher une période d’essai sur le lieu de travail de Maxwell, qui devait se faire dans une poignée de semaines. Elle allait devoir se frotter à un métier qui ne la faisait pas vraiment rêver, mais qui lui semblait mieux que ceux qu’elle pouvait exercer actuellement. Bien évidemment, elle ne lui avait pas fait savoir que son travail ne la faisait pas crever de jalousie, cela serait non seulement faire preuve d’ingratitude, mais en plus qui était-elle pour juger ? Lui au moins n’avait besoin que d’un seul job pour subvenir à ses besoins et elle n’avait pas l’impression qu’il recevait la moindre aide financière extérieure. La mère de son colocataire lui avait paru infecte, elle ne l’imaginait pas une seule seconde être une personne généreuse. Néanmoins, elle ne put s’empêcher de penser égoïstement qu’elle se sentait moins seule, car elle aussi n’était pas en bons termes avec sa génitrice, mais de son côté tout était de sa faute. Elle lui avait laissé sa chance de prouver qu’elle pouvait devenir une meilleure personne suite à sa première déchéance, mais elle avait lamentablement échoué, en faisant une des seules choses qu’elle ne pourrait probablement jamais lui pardonner. Avoir eu une aventure avec un père de famille avait déjà été une pilule difficile à avaler, mais apprendre qu’elle allait avoir un casier judiciaire et même pire, passer des années derrière les barreaux, lui fut presque fatal. Comment avait-elle put se rater à ce point sur son unique progéniture ? Elle ne l’avait pas dit à haute voix, mais Mitsuko avait pu le deviner à travers son regard. Elle espérait secrètement que cette année sa relation avec elle pourrait s’améliorer, mais elle allait devoir faire ses preuves.
Elle aimerait pouvoir dire qu’elle n’avait pas le temps de penser à elle lorsqu’elle travaillait, mais cela ne serait qu’un piètre mensonge, encore plus en voyant l’adresse de son prochain client. Il avait le malheur de vivre non loin de chez elle, mais elle faisait toujours de son mieux pour contourner sa rue, même si cela était le chemin le plus court pour arriver chez lui. Elle connaissait bien les détours, après tout celui qu’elle allait livrer était loin d’être un petit nouveau pour elle, elle dirait même qu’il s’agissait de son meilleur client. Mitsuko aurait pu se demander s’il n’avait pas trafiqué son algorithme afin qu’elle ne tombe que sur lui, si elle n’avait pas rapidement deviné que le jeune homme n’était pas vraiment ce qu’on pouvait appeler un génie. Elle lui avait si facilement soutiré les vers du nez, il n’avait pas su inventer la moindre histoire crédible pour lui expliquer pourquoi il commandait si souvent et autant. La brune aurait peut-être put passer outre, fermer les yeux sur la raison pour laquelle il dépensait autant son argent sur Deliveroo, mais elle avait vu en lui un être manipulable, auquel elle pourrait facilement soutirer de l’argent. Sa mère n’en serait pas fière, mais elle ne le saura probablement jamais et puis, pourquoi elle se gênerait ? Il était plein aux as pour quelqu’un qui effectuait des jobs modestes. Elle s’était toujours demandée d’où venait cet argent, elle s’était d’abord imaginée qu’il avait eu un héritage, puis qu’il avait pu gagner une loterie, mais elle avait tout faux. Le bougre tirait sa thune d’une émission de télé-réalité, qui aurait pu le croire ? Il n’avait clairement pas le physique type d’un candidat, ni la personnalité. La livreuse crut que son amie lui avait fait une mauvaise blague, jusqu’au moment où elle lui dévoila quelques extraits de lui à la télévision. Il était devenu étrange pour elle de se rendre chez lui, maintenant qu’il savait que lui aussi, avait connu une forme de célébrité, ils avaient peut-être plus en commun qu’elle ne pouvait le croire. Elle laissa descendit de son vélo, qu’elle laissa dans un coin discret et tendit la commande du brun. « Salut. » Une familiarité qu’elle avait encore plus l’impression de pouvoir se permettre, maintenant qu’elle en savait un peu plus sur lui. Elle attrapa rapidement le billet qui lui était destiné, elle le remercia et commença à se diriger vers son moyen de transport. Le ventre de la demoiselle grogna comme il l’avait rarement fait, un bruit auquel Carl n’avait pas pu échapper. « Oui c’est mon ventre. » Dit-elle presque honteuse, il n’était pas glamour d’avoir de tels gargouillements en public. Elle cligna plusieurs fois des yeux lorsqu’elle crut l’entendre lui proposer de rester manger, mais elle ne se faisait pas des films, il l’invitait clairement à rentrer. « D’accord. » Répondit-elle sans hésitation, de la nourriture gratuite cela ne se refusait pas, pas vrai ?
Mitsuko avait franchi son palier pour la première fois ou plutôt celui du couple pour lequel il travaillait. La baraque était plutôt chic, mais était-ce étonnant ? Ses propriétaires ne manquaient pas de moyens pour avoir pris un garçon au pair. Il ne savait même pas s’il avait le droit de la faire venir ici, elle trouvait presque mignon qu’il prenne ce genre de risques pour elle. La jeune femme avait croisé ses bras dans son dos, son regard virevoltait dans tous les sens, jusqu’à ce qu’il ne se demande ce que ses patrons pourraient bien penser de sa présence ici. Meh. Ses sourcils s’étaient légèrement froncés à l’idée qu’ils puissent croire qu’elle pourrait être son coup d’un soir. « S’ils débarquent tu leur dis juste qu’on est amis, hein. » Cela passerait beaucoup mieux que d’essayer de le faire gober qu’elle était sa petite amie, elle doutait fortement de ses capacités à cacher un éventuel dégoût. La délicieuse odeur des plats qu’il déballa lui chatouilla les narines encore plus fortement que lorsqu’elle les avait reçus au restaurant. « T’es flemmard à ce point ou t’as deux mains gauches ? » Elle n’en revenait pas qu’il puisse anticiper ses propres repas de cette façon, qu’il ne faisait même pas l’effort de se faire des trucs vite faits, mais qui auraient le mérite de ne pas lui coûter cher. Il se demanda s’il lui arrivait de fréquemment manger ce qu’elle livrait, elle eut un petit sourire en coin. « Plus que tu ne pourrais le croire, on me fait des petits cadeaux parfois. » Ils venaient étrangement toujours des restaurateurs masculins, mais de telles offrandes ne pouvaient être refusées, puisqu’elle ne se disait même pas qu’elle leur devait quelque chose en retour. Elle commença à se frotter les mains, jusqu’au moment où son interlocuteur eut une phrase malheureuse. Mitsuko le regarda de travers, elle n’avait pas été confondue avec une chinoise depuis sa sortie de prison, dans laquelle on la surnommait sans la moindre honte la chinetoque. « Je suis japonaise, bakayero. » Traiter d’idiot celui qui la nourrissait n’était pas ce qu’il y avait de plus intelligent, surtout qu’il n’avait pas dû le faire exprès contrairement à ses codétenues, qui adoraient lui taper sur le système. Il n’avait pas l’air du genre sanguin, mais se mettre à dos celui qui lui donnait le plus de pourboires serait complètement débile. « Désolée je me suis emportée. » Elle sera plus aimable une fois qu’elle aurait manger, mais elle n’allait tout de même pas le faire debout dans la cuisine. « Où est-ce que je peux manger ? » Elle ne savait même pas si les enfants dont il s’occupait étaient là ou non, mais si c’était le cas ils allaient sûrement devoir faire attention de ne pas devoir se faire repérer.
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Dernière édition par Mitsuko Kurosaki le Sam 12 Mar 2022 - 17:31, édité 1 fois
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Mentir est tout un art dans lequel Carl n'est pas vraiment maitre. Peu importe ce qu'il s'emploie à cacher le garçon finit toujours par se faire démasquer, ses émotions le trahissent bien trop facilement parce qu'il ne contrôle pas du tout celles-ci et il a certainement aussi une trop haute conscience morale, le poussant parfois à se dénoncer tout seul. C'est ce qui est arrivé avec Mitsuko, qui n'aura pas eu besoin de le cuisiner bien longtemps avant d'apprendre pourquoi il est devenu l'un de ses clients les plus fidèles avec des commandes toujours plus suspectes, et une peur d'être vus à chaque livraison. Carl lui a déjà fait le coup de la faire passer par l'arrière de la maison quand des voisins s'étaient agglutinés dans la rue à l'occasion d'un vide-greniers, un petit jeu auquel la jeune femme ne se prête pas toujours de bon cœur même si à l'arrivée elle y trouve quand même son compte. Le bonhomme n'a pas peur de mettre la main à la poche pour préserver son vilain petit secret, et pour le moment le silence de Mitsuko ne lui coûte pas encore trop cher. Mais elle doit l'avoir assez bien cerné pour comprendre qu'on obtient de lui ce qu'on veut sans trop de difficulté et qu'il est même la meilleure proie de chantage qu'on puisse trouver dans les alentours, alors il ne serait pas étonnant que la jeune livreuse cherche à profiter de plus en plus de son gentil pigeon. Tout ce que Carl voit, lui, c'est qu'elle est toujours d'une efficacité redoutable quand il s'agit de le livrer et ça l'arrange particulièrement quand il a comme aujourd'hui un planning assez serré. Il tient à se laisser le temps de camoufler sa petite affaire avant le retour de Maya puis celui de Talia et c'est aussi pour ça qu'il ne voudrait surtout pas avoir affaire à une autre livreuse, parce qu'il n'est pas du tout certain qu'une autre lui faciliterait autant la tâche. Cette Mitsuko mérite bien les pourboires qu'il tâche de ne surtout plus oublier comme il avait pu le faire la toute première fois, et Carl est aussi bien incapable de la laisser repartir en sentant la faim gronder chez elle parce qu'il s'imagine qu'elle a à peine le temps de manger entre toutes ses livraisons, ce qu'il n'invente peut-être pas pour une fois. L'invitation à rester manger lui échappe tout naturellement, le garçon n'est pas bien sûr de savoir ce qu'il fait mais il se rappelle avoir commandé un bon stock de nourriture, sûrement bien assez pour permettre à Mitsuko de se sustenter avant de repartir sillonner les routes de Brisbane sur son vélo. Il refuse de toute façon de la laisser continuer sa tournée avec le ventre vide et face à lui la jeune livreuse n'oppose aucune résistance, elle ne se fait pas prier pour entrer et passer cette porte devant laquelle elle s'était jusqu'ici maintes fois présentée sans jamais dépasser son seuil.
Si la paranoïa du garçon avait décidé de doublement ressortir il aurait tout à fait pu s'imaginer que Talia et son compagnon avaient disposé des caméras aux quatre coins de la maison pour vérifier qu'il n'y fait pas venir des gens en leur absence, mais cette idée ne lui effleure même pas l'esprit. Carl s'inquiète pourtant de ce que le couple pourrait penser s'ils venaient à trouver Mitsuko chez eux, lui qui ne leur a jamais demandé l'autorisation de faire entrer qui que ce soit ici. Peut-être que ça ne les dérangerait pas que le bonhomme ait un peu de compagnie mais c'est une garantie qu'il n'a absolument pas, voilà pourquoi il souhaite à tout prix éviter que l'information leur parvienne. Mitsuko laisse entendre qu'il n'aura qu'à prétendre qu'ils sont amis si jamais ils venaient à être surpris tous les deux, mais cette excuse ne le convainc qu'à moitié. « J'sais pas s'ils me croiraient, je suis pas connu pour en avoir beaucoup. » Des amis, à vrai dire Talia ne lui en connait aucun. Carl passe beaucoup de temps dans sa chambre quand il est en repos et ne travaille pas au café, sa famille d'accueil sait très bien que sa vie sociale ne repose pas sur grand-chose alors il doute qu'un tel bobard puisse passer comme une lettre à la poste. « Mais ce sera toujours plus crédible que de dire qu'on sort ensemble, ça c'est sûr. Personne dans ce monde pourrait gober qu'un mec comme moi fréquente une fille comme toi. » qu'il reprend dans un petit rire nerveux. Il pourrait même dire une fille tout court mais Mitsuko a en plus l'avantage d'être très jolie, le genre de fille sur qui Carl se retournerait dans la rue et encore, on sait qu'il ne se contente pas toujours d'un regard. Le garçon en dit sûrement un peu trop après ça, sa petite tactique consistant à se garder des repas pour le lendemain étonne la jeune livreuse et pas tellement dans le bon sens au point que celle-ci se demande s'il s'abstient de cuisiner lui-même par flemme ou parce qu'il ne sait juste rien faire de ses dix doigts. « Un peu des deux je crois. » Disons que flemmard pourrait être son deuxième prénom, mais qu'il est aussi très peu habile de ses mains et d'autant plus dans une cuisine. Mitsuko n'en est en tout cas pas à son premier repas offert, comme quoi Carl est loin de faire exception. « C'est ta récompense pour avoir de bons temps de livraison ? » Il ne sait même pas si ces cadeaux dont elle parle proviennent d'autres clients comme lui ou bien des restaurants dont elle dépend, mais toujours est-il que la livreuse n'a pas l'air d'être trop à plaindre. « Du coup tu t'en sors bien entre les repas que tu grattes et les pourboires, ça donne presque envie de devenir livreur même si bon.. c'est un job que je pourrai jamais faire, ça. » Son regard se perd autour de lui pendant un instant, Carl n'osant pas préciser qu'un tel métier serait incompatible avec sa réputation car certains clients refuseraient tout simplement d'être livrés par un garçon trainant un tel passé. Il serait aussitôt reconnu et avec les plaintes qu'il récolterait ce job Carl le garderait une journée tout au plus, il en est convaincu.
Et puis le bonhomme commet une sacrée bourde, partant très maladroitement du principe que Mitsuko est chinoise comme si une asiatique ne pouvait pas être autre chose. Au passage il récolte un bakayaro qui a tout l'air d'être une insulte mais dont il n'osera pas demander la signification, car il le voit comme une étiquette de plus dont il n'a pas du tout besoin. « Oh, euh.. pardon, je confonds tout le temps. » Il se pourrait que Mitsuko lui ait déjà dit d'où elle venait il y a plusieurs mois de ça, mais c'est une information qui doit être entrée par une oreille et directement sortie par une autre. Pourvu que ce raccourci honteux soit vite oublié et ne compromette pas la survie de son petit secret, Carl n'espère que ça mais contre toute attente la livreuse s'excuse pour la réaction qu'elle vient d'avoir. Il remue alors la tête, plus confus qu'autre chose. « Non c'est pas grave, c'est moi qui suis stupide. Promis je ferai plus jamais l'erreur. » Il a bien retenu la leçon : Mitsuko est japonaise et lui un sombre crétin, c'est enregistré. Avec tout ça son invitée est toujours debout dans l'attente de savoir où elle va bien pouvoir se poser pour manger et heureusement que Carl n'est pas noté sur sa réactivité, car il serait très loin de récolter cinq étoiles. « Viens, suis-moi. » Cette fois le garçon active le pas vers le salon et débarrasse les quelques babioles ornant la table basse pour laisser à Mitsuko la place de s'y installer. « Tu peux te mettre là mais fais juste gaffe à pas tâcher le canapé, ça me trahirait direct. » C'est surtout qu'il n'aurait pas le temps de faire disparaître une tâche d'ici ce soir, qui plus est une tâche de poulet au caramel qui ferait certainement de beaux dégâts. « Et je sais même pas pourquoi je parle si bas alors qu'on est tous seuls. J'irai chercher la petite dont je m'occupe que dans une heure alors tu peux prendre ton temps. Enfin, si t'as pas douze mille livraisons de prévues derrière. » Il se doute bien que Mitsuko a d'autres clients mais elle n'a pas l'air de crouler sous les livraisons aujourd'hui, alors elle va peut-être pouvoir savourer un minimum son repas avant de devoir reprendre son travail. Une heure, c'est le temps que Carl peut de son côté lui accorder avant de devoir lui aussi se remettre au boulot, même s'il n'a pas vraiment de quoi se tourner les pouces d'ici là. « J'te sers un truc à boire Mitsuko ? » Il vient de penser qu'il n'a pas de boisson à lui offrir provenant de sa commande alors il s'apprête à piocher directement dans le réfrigérateur, où le choix ne manque pas. « Et ça te dérange pas si je fais les poussières dans la pièce en même temps que tu manges ? C'est ma tâche du jour mais je suis tellement maladroit qu'il vaut mieux prier pour que je fasse rien tomber. » Mitsuko pensait peut-être qu'il avait de quoi s'ennuyer dans cette grande maison vide mais un jeune au pair ne s'occupe pas uniquement d'enfants, il y a aussi une part de ménage à honorer dans les limites du raisonnable et Carl a de la chance, sa famille d'accueil actuelle ne le traite pas comme une bonne à tout faire contrairement à l'une des toutes premières qu'il avait eues, en Angleterre deux ans plus tôt. Rien n'allait dans ce séjour à Brighton de toute façon, Carl n'en garde pas un seul bon souvenir en dehors des photos qu'il adorait y faire.
Les propriétaires des lieux n’avaient pas établi une liste précise des règles, chose qu’elle trouvait étonnante. Comment pouvait-il laisser un jeune homme s’occuper de leurs enfants, vivre sous leur toit sans lui avoir clairement formulé ce qu’il avait le droit ou non de faire ? Ils le connaissaient peut-être déjà avant de l’avoir embauché, même si elle en doutait fortement maintenant qu’elle connaissait une partie de son passé. Carl avait l’étiquette de Weirdo de collée sur son front, mais cela ne l’empêchait même pas de se retrouver seule avec lui à l’intérieur d’une maison. Il ne l’effrayait pas plus maintenant qu’avant, elle avait fréquenté des personnes tellement pires que lui qu’elle ne craignait quasiment plus personne, merci la prison. Le garçon au pair disait ouvertement qu’il n’était pas connu pour avoir un pléthore d’amis, information qui ne l’étonnait pas, mais qui ne l’arrangeait pas sur le moment. Elle voulait lui demander d’essayer d’être crédible, mais avant qu’il ne puisse le faire il se rabaissa en racontant que personne ne pourrait croire qu’il sortait avec elle, ce jeune homme avait au moins le mérite d’être lucide. Si Mitsuko était une gentille fille, elle essayerait sûrement de lui dire qu’il était trop dur avec lui-même, mais la livreuse n’avait pas la moindre envie de jouer l’hypocrite ce soir. « T’es un étranger non ? Ils pourraient comprendre que tu mettes du temps à te faire des amis. » L’accent de Carl ne ressemblait pas à celui d’un australien, il n’en avait pas la tête non plus, elle dirait qu’il vient du Royaume-Uni, sans être capable de pointer un pays en particulier. Elle pariait sur le fait que ses employeurs ne le connaissaient pas assez pour croire en ce genre de bobards, mais elle savait bien qu’il n’était pas si nouveau que cela dans le pays, puisque sa participation à l’émission australienne datait de quelques années. Le garçon au pair continua de dresser un portrait peu flatteur de lui, en lui répondant qu’il était à la fois un flemmard et un mauvais cuisiner. Elle espérait pour lui qu’il avait au moins le mérite de bien faire le ménage et de s’occuper des enfants correctement, sinon il ne garderait pas cette place bien longtemps. L’interlocuteur de la brune se montrait curieux, mais sa question n’étant pas trop indiscrète elle décida d’y répondre avec franchise ou presque. « Je pense plutôt que les restaurateurs m’aiment bien. »Dit-elle en battant des cils, ce qui pouvait lui donner une petite idée du numéro de charme qu’elle pouvait leur faire. Si elle donnait le fond de sa pensée, elle en profiterait pour lui dire que les clients étaient trop radins pour la féliciter de cette manière, mais cela mettrait en l’air l’histoire qu’elle lui avait servie pour expliquer qu’elle était choquée qu’il ne lui ait rien donné la première fois. Il supposait qu’elle s’en sortait très bien, mais il se mettait le doigt dans l’oeil profondément, ce qui lui déclencha un rire nerveux bien plus bruyant que celui qu’il avait pu lui faire quelques minutes plus tôt. « Ce n’est pas un job facile. » Le corrigea-t-elle assez rapidement. « Personne ne le fait de bon cœur. » Une phrase qui expliquait pourquoi elle pouvait l’exercer, puisqu’elle n’avait pas eu beaucoup de concurrence, mais son samaritain lui parlait comme s’il s’agissait d’un choix calculé, voulu quelle blague.
La maladresse de Carl, Mitsuko aurait pu la voir venir à des kilomètres, mais cela ne l’avait pas empêché de réagir au quart de tour. Il s’excusa rapidement, mais s’enfonça un peu plus en disant qu’il faisait régulièrement cette erreur. Elle ne lui avait jamais dit d’où elle venait, mais même si la question pouvait être horripilante puisque trop souvent entendue, elle aurait préféré qu’il lui demande directement ses origines plutôt que de prétendre les connaître d’office. Il lui promit de ne plus jamais refaire cette gourde. « C’est fatiguant de toujours être prise pour ce que je ne suis pas, j’espère bien. » Il était aussi épuisant d’être encore debout, elle avait bien envie de se poser au moins une bonne vingtaine de minutes, même si elle n’était pas certaine de reprendre du service par la suite. Carl lui demanda de la suivre jusqu’au salon, lui fit de la place et la laissa s’installer. Avant qu’elle ne puisse commencer à manger, il s’inquiéta de l’état dans lequel elle pourrait laisser le canapé. « Je sais manger proprement. » Elle se retenait de lui dire qu’en revanche elle ne lui promettrait pas de le faire silencieusement, mais il lui notifia qu’ils étaient complètement seuls. Mitsuko était donc libre de se nourrir comme elle le voulait. « J’ai du temps devant moi. » Répondit-elle avant de saisir ses baguettes et de prendre une première bouchée de poulet. Le garçon au pair continua de se montrer bavard, elle décida donc de le congédier en lui répondant de façon brève. « Je veux bien un soda oui et non ça ne me dérange pas. » Elle n’allait tout de même pas l’empêcher de faire son travail, il n’était pas dans son intérêt qu’il le perde puisque cela signifierait qu’il devrait déménager et donc qu’elle pourrait perdre son client. Elle engloutit les nouilles à une vitesse fulgurante et pencha sa tête en arrière, heureuse d’avoir pu se sustenter avant d’être rentrée chez elle. Carl déposa sa boisson, elle le remercia et attrapa un nem, qu’elle savoura plus lentement que le reste, pour en juger la qualité. « Je constate que tu as su repérer le bon chinois du coin. » Il devait tous les connaître à force de commander autant, à moins qu’il ne se concentre que sur une poignée de restaurants pour ne pas trop varier les saveurs, les enfants étant des êtres difficiles. Mitsuko détesterait avoir à cuisiner pour des bambins, elle se contenterait certainement de leur servir de coquillettes et des pâtes, s’imaginant qu’ils ne devaient amer que cela de toute manière. « Tu t’occupes de combien de marmots ? C’est un peu trop bien rangé, mais j’imagine que c’est toi qui dois tout faire derrière eux ? » Elle l’imaginait très mal les sermonner afin qu’ils remettent tout en ordre. « Au moins ça te change complètement de ce que tu faisais avant. » C’est-à-dire être enfermé avec un tas de personnes idiotes et superficielles, qui ne cherchaient qu’à faire le buzz. « Tu es quelqu’un de surprenant, en fin de compte. » Il s’agissait d’un compliment de sa part, car les personnes trop prévisibles finissaient par l’ennuyer tôt ou tard.
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Mitsuko ne le contredit pas mais comment le pourrait-elle ? Personne ne risque de lui donner tort lorsqu'il affirme que ses parents d'accueil ne croiront jamais qu'une fille comme elle fréquente un gars comme lui, ils ne jouent pas dans la même cour tous les deux et il suffit d'avoir des yeux pour s'en rendre compte. Carl ne manque jamais une occasion de se déprécier et certaines idées sont fermement ancrées dans sa tête comme le fait qu'il existe bien peu de demoiselles dans ce monde auxquelles il a une chance de plaire, et avec sa chance elles ne doivent de toute façon pas se trouver sur le même continent que lui. Le bonhomme ne sait rien du parcours amoureux de la jeune livreuse, il ignore même le bord auquel elle appartient, mais il suppose qu'elle a quand même un minimum d'exigences qu'il est très loin de remplir. Elle ne serait pas la première à le trouver repoussant, ce n'est pas ce qu'elle avance mais c'est bien évidemment ce que Carl se met en tête à partir du moment où elle va indirectement dans son sens en ne contestant pas ce qu'il dit. Il admet aussi sans mal que ses amis se comptent sur les doigts d'une seule main aujourd'hui, le garçon n'a jamais été très doué pour s'en faire ni pour les garder alors il doute également de pouvoir faire passer Mitsuko pour son amie devant Talia, même si ça reste plus crédible que le fait de la présenter comme la petite amie que Carl n'aura jamais. Il hausse doucement les épaules lorsqu'elle lui fait remarquer qu'en tant qu'étranger sa famille d'accueil devrait comprendre qu'il mette plus de temps à se lier aux gens d'ici, alors qu'il ne lui a pourtant jamais dit qu'il n'était pas du coin. Trahi par son accent irlandais, sans doute. « Ça fait presque deux ans que je suis ici, dans ce pays je veux dire. Les gens normaux se font des potes plus rapidement que ça, je crois. » C'est tout du moins ce qu'il présume, mais Carl ne se considère de toute façon pas comme quelqu'un de normal à partir du moment où sa façon d'être lui pose des difficultés depuis toujours, au niveau relationnel comme à bien d'autres niveaux. Il comprend qu'on puisse ne pas vouloir s'encombrer d'un garçon comme lui dans sa vie, s'il le pouvait il décernerait d'ailleurs une médaille à Wendy et à Maisie pour être capables de le supporter depuis déjà pas mal de temps car à ses yeux ça relève de l'exploit. « Et toi ça fait longtemps que t'es là ? » il l'interroge en retour, supposant de façon un peu risquée que Mitsuko n'est pas non plus née en Australie. Il ne connait rien, ou presque, de sa vie mais il remarque en tout cas que son anglais est très bon, de quoi le rendre quelque peu confus. Elle aurait un certain succès auprès des restaurateurs de cette ville et semble même en jouer, ce dont elle aurait probablement tort de ne pas profiter compte tenu des fameux petits cadeaux que certains semblent être prêts à lui faire. « C'est pas étonnant. » il commente tout naturellement, et s'il n'avait pas peur de paraitre hyper lourd il pourrait même ajouter qu'il comprend que ces restaurateurs puissent être sensibles aux charmes d'une jolie livreuse au point d'avoir ce genre de petites attentions. « En plus y'a bien plus de livreurs que de livreuses, non ? Tu dois pas avoir de mal à sortir du lot. » Ce boulot comporterait d'ailleurs bien moins d'avantages que le bonhomme l'avait cru au départ, de quoi lui confirmer qu'il n'y connait vraiment rien. Il s'était naïvement dit que les pourboires et les repas gratuits en faisaient un job intéressant mais Mitsuko lui indique bien vite le contraire, au point de sous-entendre même qu'on ne devient pas livreuse par gaité de coeur. « Alors pourquoi tu ne ferais pas autre chose ? » C'est la question qui lui vient aussitôt, peut-être un peu bêtement. Carl n'est pas en train de dire que les boulots tombent du ciel mais si Mitsuko n'est pas épanouie dans le sien c'est qu'une autre branche lui réussirait peut-être plus, lui a bien réussi à se faire embaucher avec de sacrées casseroles à son actif et zéro diplôme alors à partir de là n'importe qui est capable de rebondir à ses yeux. « T'as pas toujours livré des repas, si ? » Il est possible qu'il tente d'en apprendre un peu plus sur elle au détour de cette nouvelle question, après tout il ne doit pas être le seul à avoir eu plusieurs vies avant d'atterir ici et d'endosser à nouveau son costume d'au pair.
Il s'inquiète d'être désormais perçu comme quelqu'un réduisant les autres à leurs origines, ce qu'il a certainement fait sans le vouloir, et ce qu'il pourrait d'autant plus regretter si Mitsuko décide de lui en tenir rigueur parce qu'il pense bien évidemment au secret que celle-ci pourrait trahir. La jeune livreuse déplore d'être trop souvent prise pour ce qu'elle n'est pas, ce qui signifie que Carl n'est pas le premier à aller un peu trop vite vers la facilité. « Je pensais pas que c'était aussi fréquent, je comprends que ce soit pénible à force. » Il peut plutôt tenter de l'imaginer car le plus gros risque qu'il encourt de son côté est qu'on le prenne pour un anglais, ce qui ne serait pas basé sur son apparence comme Mitsuko même si son teint blafard aurait peut-être de quoi en tromper certains. Carl pourrait presque s'avouer soulagé de ne pas être le seul à avoir gaffé auprès de la jeune livreuse mais il n'a pas de quoi être fier ici, et préfère même se faire petit après ça. Mitsuko lui confie avoir du temps devant elle, il en déduit alors qu'elle n'a pas de livraisons prévues pour tout de suite ce qui va lui permettre de savourer tranquillement son repas – même si le vrai intérêt que Carl y trouve est d'avoir un peu de compagnie, ses journées lui paraissant parfois bien longues quand il se retrouve en tête-à-tête avec lui-même dans cette maison. Le bonhomme ne risque pas de cracher dessus mais il évite de s'en réjouir devant elle, car Mitsuko pourrait penser qu'il a préparé son coup en avance alors que son invitation à rester manger relevait bien de l'improvisation la plus totale. « Tiens, ton soda. » Il lui remet une canette bien fraiche sortie tout droit du réfrigérateur, constatant par la même occasion la vitesse à laquelle la jeune femme dévore son plat de nouilles. Carl se dit qu'elle devait vraiment être affamée et que les gargouillements de son ventre ne mentaient pas, et c'est là que Mitsuko se plait à commenter son choix de restaurant. Il aurait opté pour un très bon chinois selon elle, et c'est effectivement tout le bien que le garçon en pense lui aussi. « Oui je l'aime bien ce resto, ils ont le meilleur poulet au caramel de la ville et leurs prix sont hyper intéressants. » Il n'est pas tellement près de ses sous mais se soucie quand même de ne pas dépenser des sommes folles dans ce vaste subterfuge, quant à son avis il reste évidemment subjectif et d'autres pourraient ne pas le partager. Carl n'a pas la prétention de connaitre tous les restaurants chinois de Brisbane, il s'agit juste du meilleur qu'il ait pu tester jusque là et auquel il reste depuis fidèle. Le garçon s'affaire aux poussières comme convenu pendant que Mitsuko en profite pour le questionner sur son rôle d'au pair, et sur le nombre d'enfants à sa charge. « Ici je m'occupe seulement d'une fillette, Maya. Le couple qui m'héberge n'a pas d'autre enfant alors c'est assez tranquille, sinon je fais aussi de l'aide aux devoirs chez un papa célibataire qui a une fille adolescente. » Son rôle auprès de Moïra se limite aux devoirs mais Carl aurait du mal à ne pas la citer elle aussi, Tommy lui ayant laissé sa chance tout comme Talia l'a fait à la seule différence que celui-ci connait son passé, contrairement à la maman de Maya. « Je m'occupais de trois enfants à la fois dans l'une de mes anciennes familles d'accueil, c'était l'enfer. Leurs parents étaient tout le temps sur mon dos en plus, j'avais l'impression de plus du tout vivre en dehors de leur maison et clairement à l'époque j'aurais jamais pu avoir un job au café à côté. » Il parle, il parle, sans même savoir si sa vie a la moindre chance d'intéresser Mitsuko. Elle lui a posé une simple question et ne s'attendait probablement pas à ce qu'il s'étende autant mais c'est tout le problème du bonhomme, donnez-lui juste un peu d'attention et il s'y accrochera comme une moule à son rocher. « Co- comment ça ? » il demande en tournant subitement sa tête vers la livreuse alors que celle-ci laisse entendre que ça le change de ce qu'il faisait avant. Carl ne sait pas ce qu'il doit comprendre mais il a peur que Mitsuko soit un peu trop bien informée sur son compte, il préfère alors se dire que l'allusion ne peut pas être celle qu'il redoute. « Tu sais avant je- j'étais déjà au pair, simplement pas dans le même pays. » C'est ainsi qu'il croit s'en sortir, en faisant l'impasse sur sa parenthèse télévisuelle et en évoquant plutôt son bref passage en Angleterre où il a connu ses premières familles d'accueil – de premières expériences qui n'étaient pas de franches réussites. Mitsuko le considère comme quelqu'un de surprenant et il ne sait pas pourquoi, venant d'elle ça sonne comme quelque chose d'assez gratifiant – à moins qu'il perçoive un peu ce qui l'arrange ici. « C'est censé être une bonne chose ? En général je surprends pas vraiment les gens dans le bon sens, moi. » Et il évitera bien évidemment de lui dire pourquoi s'il y a une chance qu'elle ignore dans quoi il a pu tristement s'illustrer, les agissements du bonhomme étant de toute façon rarement à la gloire de ce dernier. « Toi t'es plus sympa que je le pensais au départ, enfin.. je crois que tu m'impressionnais en fait. » Est-ce parce qu'elle l'avait directement accusé d'être radin, ou parce que Mitsuko n'a pas l'air très accessible au premier abord, il aurait du mal à le dire mais il avait d'abord cru que le courant aurait du mal à passer entre elle et lui. C'était avant qu'ils trouvent ce petit arrangement, ce qui ne signifie pas que la jeune femme ne l'effraie pas encore un peu sous certains aspects. « Mais on doit te le dire souvent non ? » il ajoute, son plumeau toujours à la main juste avant de s'attaquer à une étagère particulièrement sensible pour la grande fragilité des bibelots figurant sur celle-ci, ce n'est donc pas le moment d'avoir un geste malheureux ou de se laisser déconcentrer.
Deux ans entendre ces deux mots ensemble lui faisaient indéniablement penser au temps qu’elle avait perdu en prison. Ce n’était qu’un chiffre, un fichu chiffre qu’elle devrait arrêter s’associer systématiquement à son emprisonnement. L’esprit de la brune divagua quelques secondes avant de se recentrer sur son interlocuteur et sa prétendue anormalité, de son point de vue il était banal, affreusement banal, sûrement parce qu’elle n’avait pas vu la fameuse émission à laquelle il avait participé. Mitsuko pensait que pour être très entourée, avoir une certaine popularité il fallait sortir du lot, une façon de penser qu’elle devait sans conteste à l’industrie musicale dans laquelle elle avait baigné de nombreuses années. « Tu ne sors peut-être pas assez ou alors tu es timide... » Supposa-t-elle, elle pouvait difficilement le croire extraverti, même s’il avait eu le courage de faire de la télé-réalité ou peut-être que cela n’avait été que d’inconscience. Et s’il n’en avait jamais regardé avant de s’y inscrire ? Ce concept existait depuis un certain nombre d’années à présent, mais peut-être qu’il n’y avait jamais assez prêté d’attention. Elle le savait naïf, puisque c’était la première fois qu’elle voyait un client donné un pourboire si facilement après une complainte. Il s’avérait aussi maladroit, à lui demander si elle était à Brisbane depuis longtemps, elle savait très bien où il voulait en venir, son accent n’était-il pas assez bon ? Elle avait pourtant appris l’anglais avec sa mère, qui avait vécu une trentaine d’années en Australie avant de s’envoler pour le Japon. Elle avait agacé plus d’un Kurosaki à parler dans cette langue qu’ils ne maîtrisaient pas du tout pour la plupart, mais elle avait toujours considéré qu’être bilingue était une richesse. « Sept ans. » Cela lui donnait presque le tournis, cela faisait déjà sept ans qu’elle n’était plus une Tokyoïte. Combien de fois était-elle retournée dans la capitale nippone depuis qu’elle l’avait quitté ? Pas énormément, le trajet entre les deux pays étant tout bonnement interminable, sans compter qu’elle avait fait une croix sur son père. Les avantages qu’elle avait en tant que livreuse lui paraissaient dérisoires, comparés à ceux dont elle pouvait jouir quand elle était une starlette, mais personne ne refuserait des repas gratuits. Carl n’était pas surpris d’apprendre que les restaurateurs l’appréciaient, il aurait sûrement fait la même chose à leur place, surtout en connaissant le pourcentage de femmes travaillant dans ce métier. « En effet, je suis un spécimen rare, tu es chanceux de m’avoir. »Si on ne comptait pas le fait qu’elle lui soutirait de l’argent, mais comme il n’avait pas l’air d’en manquer elle ne se sentait pas coupable. Il lui posa la question redoutée, celle à laquelle elle détestait répondre. « Je ne suis pas très diplômée... » Elle n’avait même pas été au bout de ce cursus de mode, qui aurait peut-être pu lui offrir un avenir plus brillant que son présent. Une seconde fâcheuse question lui tomba sur la tête, il était un peu trop curieux. « J’ai un deuxième travail, je remplis des rayons, mais ce n’est pas ça qui vend du rêve auprès des employeurs. » Elle n’était pas entièrement honnête, mais elle ne lui devait rien alors pourquoi lui dirait-elle toute la vérité ?
Il n’avait pas imaginé que les autres se trompaient souvent à son sujet, ce qu’elle pouvait comprendre en partie, après tout il ne connaissait pas ce genre de désagrément, du moins probablement pas avant d’ouvrir la bouche. « Les gens ne réfléchissent pas. » Et ils ne s’en rendaient pas compte ou s’en fichaient, au choix. Elle ne lui ferait pas tout un speech pour lui faire la morale, non seulement parce que ce n’était pas son rôle, mais aussi parce qu’il s’était déjà excusé sans y avoir été forcé, ce qui représentait déjà une bonne chose. Mitsuko était avant tout là pour manger et peut-être pour satisfaire sa curiosité, mais celle-ci pouvait bien attendre que son ventre ne soit plein. Elle le remercia pour le soda, qu’elle consomma après avoir mangé l’intégralité de ses nouilles. Il répondit au commentaire qu’elle avait fait sur le restaurant, il justifia ce choix non seulement pour la qualité, mais aussi pour ses prix. Comment pouvait-il se faire passer pour quelqu’un qui avait besoin de faire attention, avec toutes les commandes qu’il passait ? Alors qu’il avait certainement de quoi concocter de bons petits plats dans le frigo de cette maison ou même un budget pour faire les courses. Il n’était pas bon de parler d’argent alors elle préféra en savoir un peu plus sur son travail. Carl ne s’occupait que d’une enfant, ce qui lui paraissait être un bon plan, du moins si la progéniture en question était sage. Les yeux de la brune parcourent le salon à la recherche d’une quelconque photographie, mais elle semblait dans l’impossibilité de le découvrir par ce biais. Après avoir mentionné son aide aux devoirs pour une adolescente, il se lança dans un monologue où elle se découvrit un point commun avec lui : il avait également un deuxième job. « Un café ? Lequel ? » Elle aimerait bien savoir à l’avance où est-ce qu’elle pourrait tomber sur lui, même s’il y avait peu de chances qu’elle s’y rende dans l’attention de but de le voir lui. En réalité elle se demanda s’il ne pourrait pas l’épauler dans sa recherche d’un travail meilleur, jusqu’à ce qu’elle ne se rappelle qu’être serveuse serait tout aussi ingrat que ce qu’elle faisait, si ce n’était encore plus. Elle tira une légère moue avant de faire une remarque qui le désarçonna complètement. Il était perdu ou plutôt il était dans le déni, hélas il pouvait plus difficilement cacher son sombre secret qu’elle ne pouvait dissimuler le sien. « Ne fais pas semblant de ne pas savoir de quoi je parle. » Dit-elle d’emblée, son numéro ne marcherait pas avec elle. Il lui demanda si le fait qu’il était surprenant était positif ou non. « Je trouve que ceux qui sont trop prévisibles sont ennuyeux donc je dirais que c’est une bonne chose, oui. » Fréquenter monsieur et madame tout le monde ne l’avait jamais amusé, ils n’avaient jamais rien de bien croustillant à raconter. « Comment tu t’es embarqué là-dedans ? Tu n’as pas vraiment le... profil type. » Elle allait peut-être le froisser en le formulant comme ça, mais on lui avait sûrement déjà posé la question. Carl lui fit une confidence qu’elle considéra flatteuse, paraître sympathique n’ayant jamais été sa priorité. L’interrogation qu’il ajouta fut de trop, lui rappelant qu’elle n’était plus considérée impressionnante depuis un bon moment, mais elle préféra se voiler la face. « Ça m’arrive. » Elle chercha à jauger s’il restait quoique ce soit dans sa canette, puis reprit la parole. « Tu as marqué les esprits... ça n’a pas dû être simple pour toi. » Elle ne se gênait pourtant pas en mettant les pieds dans le plat, mais qu’est-ce que ça pouvait lui faire du bien de trouver quelqu’un qui pouvait la comprendre.
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Il pourrait être commode pour Carl de se cacher derrière son statut d'étranger pour justifier le fait qu'il ait encore du mal à se lier aux gens d'ici, mais après deux ans d’immersion australienne le bonhomme rechigne encore à quitter sa bulle pour s'ouvrir aux autres, animé par l'éternelle peur d'être rejeté pour ce qu'il est et que son passé finisse tôt ou tard par déteindre sur ses relations – comme si son comportement ne l'handicapait pas déjà assez parfois. Ils ne sont pas nombreux à pouvoir accepter ses travers et ses pics d'excessivité, il le sait, alors il n'est pas souvent prêt à prendre le risque de se jeter la tête la première dans un projet aussi bancal que celui d'étoffer son carnet d'amis. Cela dit Carl ne s'en sort finalement pas si mal, car en étant assez désespéré pour suivre son père n'importe où le garçon aurait pu compliquer son cas en rejoignant un pays dont il ne parlerait pas la langue – une chance, du coup, que Neil ait opté pour l'Australie même si on peut difficilement faire plus éloigné de l'Irlande. C'est une barrière en moins qui n'est pas négligeable mais qui lui retire aussi l'excuse d'éprouver des difficultés à se faire comprendre, ses freins Carl se les met donc tout seul et dans un sens Mitsuko n'a pas tellement tort en supposant qu'il ne sort pas assez. Quand le bonhomme met le nez dehors c'est surtout pour aller travailler, sa chambre reste son premier refuge et un lieu où il semble parfois prendre autant la poussière que les meubles, car l'en faire sortir n'a rien de simple lorsque le monde extérieur lui inspire une jungle vaste et hostile où il n'est pas certain d'avoir vraiment sa place. Quant à la seconde supposition de la jeune livreuse c'est étrangement celle que Carl décide de retenir, car c'est aussi celle qui l'arrange le plus. « On va dire que je suis timide, oui. » il approuve dans un hochement de tête, tout en sachant bien que la réalité est plus nuancée que ça. C'est un peu facile quand son principal problème reste son manque de confiance en lui et ses nombreuses insécurités lui mettant sans cesse en tête qu'il ne peut rien apporter aux autres, et sûrement rien en attendre non plus. Carl comprend en tout cas qu'il est un newbie comparé à Mitsuko, qui serait à Brisbane depuis maintenant sept ans. Elle connait donc bien mieux cette ville que lui et pas seulement parce qu'elle la sillonne à vélo tous les jours, cette information éveille d'ailleurs une réflexion chez le bonhomme qui ne peut pas s'empêcher de fouiller sa mémoire pour tenter de se rappeler à quoi ressemblait sa vie, sept ans plus tôt. À quinze ans Carl était un adolescent déjà perturbé mais pas encore trop rongé par ses obsessions actuelles, son principal souci à l'époque était surtout son beau-père et.. la réflexion peut certainement s'arrêter là, en fin de compte. « Donc techniquement t'es plus brisbanienne que moi.. enfin.. je sais même pas si ça se dit. » S'il existe un terme pour désigner les habitants de Brisbane, et il suppose que c'est le cas, alors Carl est à peu près sûr de ne pas détenir le bon. Brisbanaise serait-il plus correct ? C'est encore l'un de ces mots le faisant douter que le bonhomme se jure d'aller checker sur internet pour qu'au final il n'en fasse rien, car à tous les coups il aura oublié l’objet de sa recherche dans une heure. « J'avoue que je serais un peu embêté si tu laissais tomber les livraisons. » il confesse tout naturellement lorsque Mitsuko le considère chanceux de l'avoir, ce que le garçon n'ira pas contester. Il apprécie son efficacité en tant que livreuse, bien sûr, mais il doit aussi admettre qu'il tient beaucoup à la protection de son petit secret et qu'il ne serait absolument pas tranquille si Mitsuko s'évaporait un beau jour avec ce qu'elle sait sur lui dans la nature. Et encore, à ce moment-là Carl ignore à quel point la jolie brune peut être informée sur son compte. Ce n'est finalement pas dans son intérêt de supposer qu'elle peut toujours gagner sa vie autrement si ce boulot-là est trop ingrat, et il ne sait surtout pas dans quoi il s'embarque ni à quel point le sujet peut être sensible. Elle ne serait pas très diplômée et c'est un point sur lequel ils se rejoignent tous les deux. « Les diplômes de toute façon ça veut rien dire.. » Ça veut surtout dire quelque chose pour ceux qui les décrochent, mais Carl complexe beaucoup sur son propre manque de qualification qu'il ne doit à personne d'autre qu'à lui-même. Il aurait pu faire des études, il a simplement préféré travailler quand Hector lui a demandé de choisir entre se bouger les fesses ou déguerpir de la maison. Peut-être bien qu'il a manqué de courage mais il a toujours pensé que les longues études n’étaient pas pour lui, et puis il n’a jamais vraiment su non plus ce qu’il voulait faire. Sa voie il ne l’a pas trouvée, ni tellement cherchée. « T'as déjà pensé à reprendre des études ? Y'a pas d'âge pour ça il paraît, et toi t'es encore jeune. » Un argument qui serait tout aussi valable pour lui sauf que Carl ne se verrait pas du tout entreprendre un tel projet dans l'état actuel de sa vie. Ce serait se poser toujours plus de difficultés et non, même si c'est très tentant de le croire, ce n'est pas un diplôme qui le rendra un peu moins honteux aux yeux de son père. « Tu préfèrerais échanger ta place avec moi et t'occuper d'enfants ? » qu'il finit par lui demander, presque amusé par la perspective d'un échange de rôles. Lui livrant des repas à vélo avec un sens de l'orientation et de l'équilibre déplorables, et Mitsuko jouant les filles au pair alors que les enfants ne sont peut-être même pas sa tasse de thé.
Le bonhomme se sent évidemment visé par la prochaine remarque de la livreuse. Lui que l'on dit toujours si stupide ou dans la lune, bien sûr que réfléchir est un réflexe que Carl a trop peu souvent et que sortir la première chose lui passant par la tête est l'une de ses plus mauvaises habitudes. Quand il blesse ce n'est jamais volontaire, on peut au moins lui accorder ça même si Mitsuko ne semble pas entièrement prête à excuser sa maladresse. Il pourrait en prendre note et se jurer à l'avenir de ne plus jamais présumer les origines d'une personne par pure facilité mais Carl n'est pas connu pour apprendre de ses erreurs, au contraire il est même plus fréquent de le voir trébucher deux fois au même endroit. Alors le garçon se contente d'un regard baissé, signe que les mots de Mitsuko ne tombent pas dans l'oreille d'un sourd, tout du moins sur le moment. Il ne pensait pas que son travail pouvait intéresser son interlocutrice mais voilà que celle-ci le questionne, amenant Carl à dévoiler les dessous de ce rôle que les gens associent la plupart du temps à du baby-sitting sans vraiment chercher plus loin. On peut facilement s'imaginer que la frontière est mince entre les deux, mais elle ne l'est en réalité pas tant que ça. Carl est considéré et traité comme un membre de cette famille, il vit sous le même toit que l'enfant dont il s'occupe et ses missions s'étendent des devoirs, aux repas, en passant par quelques tâches ménagères comme celle qu'il effectue actuellement dans ce salon. C'est parce que son rôle ne se limite justement pas à la garde d'enfant que le bonhomme peut parfois s'offusquer de recevoir la mauvaise étiquette, le fait d'officier dans une branche exclusivement féminine laissant déjà place à beaucoup trop de confusion puisque les garçons au pair ne courent définitivement pas les rues. Mais l'information sur laquelle Mitsuko s'attarde concerne son second job, sans qu'il ne sache pourquoi elle tient à connaître le nom du café qui l'emploie. « Le Death Before Decaf. C'est à Logan City, tu connais ? » Si elle vit vraiment dans cette ville depuis sept ans il y a peut-être une chance qu'au moins ce nom lui parle, s'agissant d'un établissement en plein essor et très fréquenté. « J'y travaille depuis l'année dernière, ça me plait bien. » Il ne se destinait pas à devenir serveur plutôt qu’autre chose, Carl a juste saisi la première main qui lui a été tendue à sa sortie d'HOS et il ne pourrait pas assez remercier Matt d'avoir cru en lui quand d'autres n'hésitaient pas à lui claquer d'inombrables portes au nez. Carl pense souvent à Matt, et à ce mois de juillet 2021 qu'il maudit de toutes ses forces pour avoir arraché à cette terre un homme d'une bonté absolue. Ses pensées s'échappent le temps d’un instant vers ce douloureux souvenir mais le garçon revient brutalement dans le présent lorsque Mitsuko lui fait comprendre qu'elle sait tout. Pour son passé, et pour ce qu'il espérait précisément lui cacher. Elle lui demande même de ne pas faire semblant alors qu'il croyait jusque là s'en sortir, son petit numéro ne le sauvera donc pas sur ce coup-ci. « Comment tu.. t'as su ? » il la questionne en grimaçant, une certaine tension s'emparant de lui tandis que ses mains se mettent à trembler. Il n'aime pas en parler, le regard de Mitsuko pèse bien trop lourd d’un coup et savoir que celle qui détient déjà l'un de ses secrets en possède également d'autres n'est bon qu'à lui faire peur. Car comment pourrait-il être serein alors qu'il l'a laissée entrer chez Talia, qui ne doit surtout pas apprendre d'où il vient ? Il suffirait que sa maman d'accueil les surprenne et que Mitsuko laisse échapper tout ça par inadvertance ou par volonté de lui nuire pour entrainer ni plus ni moins sa chute. La jeune livreuse en sait beaucoup trop, et le gratifier du seul compliment qui lui sera certainement accordé aujourd'hui n'aide pas vraiment à le tranquilliser, puisque les gens prévisibles seraient ennuyeux et que lui ne l'est apparemment pas. Il n'aurait pas non plus le profil type pour atterrir dans une télé-réalité, comme si Mitsuko risquait de lui apprendre quelque chose. « T'es en train de dire que j'ai pas le physique pour faire de la télé, hein.. T'en fais pas je le sais bien, c'est un scoop pour personne. » Il hausse simplement les épaules, les choses étant ce qu'elles sont. Bien sûr qu'un gars comme Faust était bien plus taillé pour une telle aventure, à tous les niveaux, ce n'est pas pour rien que le public a souvent considéré le parcours de Carl comme une blague – et lui avec. Et ses motivations risquent de faire un peu pitié, elles aussi. « J'espérais que mon père me remarquerait de cette façon, c'est un peu débile mais j'avais pas beaucoup d'autres options. Puis j’me suis pas méfié, ça avait pas l'air si terrible et on m'avait garanti que ma vie allait changer. » On ne lui avait pas menti, il y a juste changer et changer. Ce n'était pas censé être pire, Carl a finalement réussi l'exploit de rendre son quotidien plus pesant alors qu'être lui n'était déjà pas simple, avant. « Au final mon père m'assume encore moins aujourd’hui, j'ai vraiment tout raté. » C'est d'une voix affligée qu'il conclut, préférant ne pas s'étendre sur cette honte ressentie par son père sans savoir si Mitsuko connait aussi ses déboires, et tout ce qu'on lui reproche. Si Raphael a pu s'attarder sur le candidat et contourner le garçon problématique alors il suppose que les autres le peuvent aussi, la brune ne croit en tout cas pas si bien dire en présumant qu'une telle exposition n'est pas évidente à porter. « C'était pas simple non, ça l'est encore pas et.. ça le sera sûrement jamais en fait. » Carl et son éternel optimisme, si on l'écoute ce fardeau qu'il traine le suivra toute sa vie comme s'il n'existait pas d'issue pour les gars comme lui. Un jour le public finira bien par l'oublier mais il n'en sera pas pour autant guéri, alors il ne voit pas en quoi l'avenir a quoi que ce soit de rassurant en partant de ce principe. « La télé ça t'a déjà attirée, toi ? » qu'il demande pour orienter la conversation sur elle, puisqu'après tout Carl estime la connaître encore peu. « Ou la célébrité, peut-être ? Je trouve que t'as une tête qui passe bien, j'veux dire.. t'aurais pas de mal à te démarquer je pense. » En l'observant il se dit que Mitsuko capte naturellement la lumière et sans pouvoir se l'expliquer il peut même aisément l'imaginer sur le devant d'une scène ou sous des projecteurs. Le fait de n'être soudainement plus le sujet de cette discussion est aussitôt source de distraction chez le bonhomme, Carl n'a plus à contrôler ses mots ou à redouter ceux de la livreuse alors sa maladresse ressurgit, elle aussi. Il manque de faire tomber l'un des bibelots sur lesquels se concentre encore son ménage, une catastrophe évitée de justesse. « Oups, c'était moins une. » Et il s'agirait de préserver aussi les autres, histoire de ne pas déplorer la moindre perte à la fin de cette journée.