| How am I suppose to move on ? [Lou] |
| | (#)Sam 8 Jan 2022 - 22:56 | |
| Possède-t-il encore une place auprès d’eux ? Ne ressemblera-t-il pas à une colombe au milieu de corbeaux s’il ne peut plus toucher à la poudre qu’il a vendue toute sa vie, toutes les nuits ? Se fera-t-il traiter comme un malade, sera-t-il devenu faible aux yeux de ceux qui n’ont pas sombré comme lui ? Deviendra-t-il une sorte de fardeau qu’on traîne à l’arrière de la voiture, accroché par une corde ; il ne pourra certainement plus jamais se relever si c’est le traitement qui l’attend.
Joseph la voit pour la première fois depuis plus d’un mois, la ruche sournoise cachée derrière les traits d’une salle de bowling. Les clients entrent et sortent, comme d’habitude, bien que le bar de danseuses à l’arrière ne soit pas encore ouvert à cette heure. Il se fraie un chemin entre les clients et des collègues qui pourraient ne pas le reconnaître tellement ses joues sont creusées et ses os dévoilés. Sa coupe est impeccable, sa barbe aussi, pour la première fois depuis l’éternité parce que ce n’est ni sa sœur ni lui-même qui s’en est chargé avec un rasoir à la lame détériorée. Plus que jamais, les pigments poivrés colorent sa pilosité comme s’il avait perdu la course contre l’âge. Son œil mort, d’un bleu fantomatique, est strié de veines vermillon, et quand il passe derrière le bar pour attraper une bouteille à moitié vide de vodka, c’est avec ce dernier qu’il s’identifie au barman d’abord surpris de le voir traverser la frontière séparant clients et employés. « Joseph. » Il souffle, comme s'il ne s'attendait pas à le revoir ici. Il se demande alors si Lou a informé les autres de son overdose et de la cure qu’on lui avait imposée. « Toujours pas mort. » Il répond en contournant le comptoir sans demander son reste. « J’payerai la bouteille plus tard. »
Il ne devrait certainement pas boire parce que, ce soir, il replonge dans les rouages de son travail presque légal. Il reverra les filles qui l’auront peut-être cru mort elles aussi, il supportera leurs regards confus lorsqu’elles s’échangeront des murmures déconcertés. Il ne ressemble plus à leur garde du corps. Il est aussi fin qu’une brindille. Il devrait peut-être s’armer, dorénavant, pour s'assurer de bien faire son boulot s'il ne se fait pas remplacer dans les prochains jours. Après tout, ce ne serait pas la première fois. Il y a toujours meilleur candidat que lui.
Lorsqu’il entre dans le bar, refermant soigneusement la lourde porte derrière lui, il laisse son regard dévaliser tous les recoins vides parce qu’il cherche une table déplacée ou une chaise perdue. Il veut voir si la place a changé pendant son absence. Il tire immédiatement une conclusion : la salle est la même. Seulement vide de clients, parce que l’heure n’a pas encore sonné. Le garçon tend l’oreille en se dirigeant vers l’arrière, là où les filles se préparent d’ordinaire, mais il est surpris par l’absence de commérage. D’habitude, même à cette distance, il peut entendre Jasmine critiquer l’aspect dégonflé de sa poitrine ou Tulip chanter ses louages à une nouvelle marque de rouge à lèvres qui ne déteint pas d’un grain malgré la sueur. Cette fois, c’est un silence inquiétant qui l’accueille. Les coulisses sont plongées dans le noir et le premier réflexe de Joseph est de jeter un coup d’œil à son téléphone pour vérifier l’heure. Certain de ne pas s’être pris trop d’avance, il s’apprête à ouvrir sa discussion avec Lou afin de l’interroger mais, juste avant qu’il ne clique sur son nom, il perçoit de son oreille attentive un décompte murmuré et fredonné comme une mélodie. À zéro, toutes les filles sortent de leur cachette en lui envoyant à la tête des sacs de confettis pailletés qui se logent naturellement entre tous les plis de ses vêtements, au creux de ses mèches fraîchement stylisées, et dans son œil pour mieux l’aveugler et lui arracher une plainte étonnée. « Surpriiiiiise ! » S’exclame Bluebell en lui sautant sur le dos comme s’ils étaient des amis de longue date ou même un frère et une sœur. Ses fausses mèches bleues lui fouettent les joues. Il arrive de justesse à ne pas tomber vers l’avant, encore et toujours surpris par l’absence d’ardeur dans ses muscles ramollis et malheureux. Il éclate d’un rire authentique, le genre de rire qu’il n’avait pas poussé depuis des lustres, et lorsqu’il arrive à retrouver la vision, sa pupille est brillante de reconnaissance. Il remarque immédiatement un gâteau, visiblement fait maison, à la garniture dégoulinante et au glaçage hasardeux, posé sur l’une des tables de maquillage. Il peut y lire son prénom en lettres bleues sur fond de chocolat noir. « Wow. » Il laisse s’échapper de ses lèvres en un souffle interloqué. On l’entoure, on prend immédiatement de ses nouvelles, on s’accroche à ses poignets, on joue avec ses cheveux qui sont « étonnement bien coiffés » selon Jasmine. L’une d’elle, pour se moquer gentiment, lui demande s’il s’est soudainement converti gay et, juste avant qu’il ne réponde que son coiffeur l’était certainement, il capte le regard de Lou qui était restée en retrait. « J’dois féliciter qui pour cette idée ? » Il lui demande à travers les couinements excités des filles, alors que l’une d’elles s’empresse déjà de couper une part du gâteau pour gaver le célébré qui a bien besoin de reprendre un peu de poids.
@Lou Aberline |
| | | | (#)Sam 22 Jan 2022 - 11:59 | |
| | | ► How am I supposed to move on ?
Something like a bad trip I'm feeling hot, feeling love sick I think I died, oh, no, no When you walked through the door Can't hear the music Like a drug, used to use it
|
Elle avait fermé la porte de la chambre d'hôpital avec une brique dans l’estomac, le teint livide. S’il n’était pas encore assez évident qu’elle portait le mauvais oeil, l’overdose de Joseph en était une nouvelle preuve. Lou avait sur sa conscience le poids de l’absence de ceux qui étaient partis trop tôt par sa faute, qu’elle en soit la cause directe ou indirecte. Bientôt, elle n’aurait plus de place sur ses deux mains pour les compter, et le brun avait bien failli s’ajouter à la liste. Elle avait même essuyé une larme, une fois hors de sa vue, celle qu’elle avait retenue tout le long de leur entrevue. Pas parce qu’il avait failli y passer, c’était le commun des drogués après tout, mais parce qu’elle était à blâmer pour cette overdose et elle en avait pris conscience. Elle aurait piqué sa veine elle-même qu’il n’y aurait eu aucune différence. Je comprends pas, qu’il lui avait dit, j’ai pris ta came et j’ai fait comme d’habitude, ou quelque chose du genre. La dose, le délai, le matériel n’était pas différent. Tout aurait dû se passer sans accroc, Jo était rodé après tout. Alors Aberline avait compris ce qui avait changé, ce qui avait tout fait basculer, et son coeur en était tombé par la fenêtre. Lorsqu’elle l’avait dépanné, elle était distraite, probablement encore défoncée. Elle avait pris le premier pochon sous sa main, lui avait balancé à travers le bureau ; tiens, amuse-toi, avait-elle ricané. L’abeille sur le sachet ne l’avait probablement pas perturbé tandis qu’il préparait son rail, dans l’ignorance la plus totale qu’il s’apprêtait à ingérer une poudre dix fois plus puissante que celle qu’il connaissait. Elle ne l’avait pas réalisé et n’avait pas pu le prévenir. C’était comme si les événements lui avaient glissé entre les doigts comme une poignée de sable. Elle aurait pu le tuer si ce chat de gouttière n’avait encore quelques vies à son compteur. Un mois ne fut pas suffisant pour que Lou cesse de se torturer avec cette pensée. Prise sur prise, elle ne vit pas le temps passer, à vrai dire. Elle avait du pain sur la planche et tant d’autres choses dont se sentir coupable, à essayer de réprimer dans la poudre ; à fuir, finalement, en planant plus haut que ses problèmes, en distrayant son esprit de la réalité de ses péchés. Parce qu’ils n’étaient pas qu’une dizaine à avoir trouvé ou frôlé la mort à son contact, sûrement pas. Ils étaient des centaines, des milliers, à la minute, à l’heure ; ils étaient tous ceux qui achetaient, consommaient, redemandaient de cette came trafiquée que la Ruche passait de main en main. Une abeille mourrait après avoir piqué ; si Lou devait compter toutes les piqûres dont elle était à l’origine, alors son âme avait traversé tous les cercles de l’enfer et ne pouvait plus être récupérée. Si elle mourrait un peu plus à chaque fois qu’un client consommait, alors son corps était vide, et cela pouvait au moins expliquer pourquoi elle ne s’était plus sentie heureuse depuis bien longtemps. Elle ne devait pas y penser, non, elle fuyait, encore, toujours. Sauf qu’on se fuyait difficilement soi-même.
La jeune femme se retrouvait embarquée dans cette petite sauterie et, dans l’obscurité où elle attendait le roi de la fête en silence avec les filles du Cherry, son esprit tournoyait. Elle allait devoir le regarder dans les yeux et lui sourire en ayant connaissance de tout ce qui avait réellement causé son malheur, et elle allait se taire, bien sûr, serrer les dents et feindre cette joie qui l’avait abandonnée. Déjà une bière dans le gosier, Lou décapsula la seconde et reçut un “shh !” en cœur de la part des danseuses, si bien qu’elle n’osa même plus en prendre une gorgée. C’est qu’il prenait son temps, le Keegan, et que chaque minute de calme donnait des boutons à l'australienne. Enfin elles entendirent une porte, des pas, le souffle de benêt si spécifique à Joseph. Lou sentit son coeur galoper ; pas par souci vis-à-vis de la surprise, mais au reste de la célébration. Mentir n’était difficile que la première fois ; après, le mensonge devenait une habitude, puis se fondait dans la réalité. Elle connaissait le cycle, elle y était abonnée. Enfin le clic de l’interrupteur fit pleuvoir la lumière dans la pièce, les filles sautèrent sur Joseph dans un cri commun et un tsunami de paillettes virevolta dans l’air avant de recouvrir le sol. Lou demeurait en retrait et s’accordait enfin une gorgée de bière. En détaillant la silhouette du brun, un rictus effleura le coin de ses lèvres. Elle était heureuse de le revoir, qu’il rentre à la maison. « J’dois féliciter qui pour cette idée ? » La jeune femme indiqua les danseuses estatiques d’un signe de la tête. “Elles.” Lou s’était contentée de donner le feu vert et une carte de crédit pour acheter tout le nécessaire. Elle lui aurait probablement offert un verre pour lui souhaiter un bon retour si elles n’avaient pas pris les devants, et leur intention lui avait semblé plus à la hauteur de l’événement qu’une simple bière au bar. “T’as la côte, qu’est-ce que tu veux que j’te dise.” elle ajouta en haussant les épaules. Elle n’en avait jamais douté, qu’il était parfait pour le job et que les filles allaient l’adorer. C’était la preuve de son bon jugement et elle devait s’avouer ravie. Soulagée, aussi, que Joseph souhaite reprendre le travail et rester à la Ruche malgré tout. Le son de cloche serait très différent s’il connaissait toute la vérité, ce pourquoi la jeune femme n’avait aucune intention d’admettre sa part de culpabilité. “On dirait que t’es passé sous un bus.” le taquinait-elle avec un air sérieux. La désintox avait le même effet sur tout le monde ; plutôt que d’en sortir neufs, les gens semblaient un peu plus cadavériques qu’à leur entrée. Lou n’avait pas fait exception à la règle. Cela lui avait pris quelques semaines pour se réadapter à l’extérieur, manger trois repas par jour et dormir correctement. Elle savait comment il se sentait, ce qu’il pensait, et ce qui l’attendait. Cependant Lou n’était pas un exemple de réussite du processus, en témoignaient ses yeux aux veines saillantes. “Goûte et dis-moi ce que t’en penses.” Pas le temps de niaiser, une part de gâteau se retrouva entre les mains de Joseph, puis de Lou, puis de tout le monde. Tulip ne cachait pas sa fierté. “Attention, Jo’, après tout ce qu’il t’es arrivé c’est pt’être bien le gâteau qui va te tuer.” en raillait l’une pour amuser la galerie. “Arrête, elle se donne du mal. - La dernière fois aussi, et t’as bien failli t’étouffer avec un bout de coquille.” Définitivement, dompter ces femmes demandait plus de patience que Lou n’avait à offrir, mais pour quelques heures, elle avouait que le spectacle de leurs piaillements était divertissant.
|
| | | | (#)Mer 2 Fév 2022 - 22:51 | |
| Retrouver sa vie normale, c’est tout ce que Joseph avait espéré quand il se rongeait les ongles jusqu’à la peau derrière les barreaux médicaux. La sensation du manque, il l’avait retrouvée exactement comme il l’avait rencontrée en prison. Sèche, dure, tranchante telle la lame qu’on a utilisée pour lui retirer sa barbe comme si elle était sale, comme si en l’abandonnant il deviendrait un homme nouveau. Mais, dès le moment où il avait vu son reflet blafard dans le miroir, il s’était promis de ne plus jamais dégarnir son menton. Adolescent, il avait tant espéré trouver les premiers poils en-dessous de son nez parce que ces derniers avaient été synonymes de liberté. Lorsqu’il a utilisé un rasoir pour la toute première fois, il est devenu un homme. Il n’avait plus besoin de personne, ni parents, ni professeurs, ni prêtre (surtout pas de prêtre) pour survivre. Plus aucune main ne lui claquait l’arrière du crâne ou ne se serrait autour de son cou. Plus aucune haleine fétide ne venait faire froncer son nez. Plus aucun adulte n’abusait de son innocence infantile qui lui avait fait croire trop longtemps que les grandes personnes ont le droit de faire tout ce qu’elles veulent avec lui, parce qu’elles savent, elles ont plus d’expérience, et qu'il doit les respecter pour cette raison.
La routine l’avait manqué, certes, mais en pénétrant dans le bar, Joseph observe un lieu vide et endormi. L’agréable sensation de normalité ne vient pas apaiser ses tripes ; c’est plutôt la crainte qui anime ses jambes et l’amène à pousser ses recherches plus loin. Dans les coulisses où se préparent habituellement les filles, le silence est encore plus bruyant que dans la grande salle et son ambiance obscure répand un frisson désagréable dans l’échine de Joseph. Il n’est pas laissé bien longtemps à sa solitude : très bientôt, il se fait submerger d’une vague de confettis et de vœux de bon retour. C’est le tout premier sourire qui étire ses lèvres depuis sa sortie de cure. Ce dernier lui réchauffe le visage, réanime ses traits fatigués, repeint du bleu dans le marine de ses yeux. Il n’en a rien à faire des moqueries des filles quant à son physique différent : il est heureux de se sentir aimé. Quand il aperçoit la silhouette de sa patronne, mince et translucide, le temps semble s’arrêter juste assez longtemps pour qu’il synchronise son sourire à celui de Lou, fin et discret, comme il a toujours été. S’il a l’impression que son propre corps a vieilli de plusieurs années en l’espace d’un mois, celui de Lou n’a pas été agressé par le fil du temps. Soudain, il n’a plus l’impression d’être parti trop longtemps et le sentiment l’apaise. “Elles.” Évidemment que c’était l’idée des autres filles, de fêter son retour à la ruche sous des pluies de paillettes et une couche de crémage. Lou n’aurait certainement pas cuisiné un gâteau elle-même : elle a d’autres abeilles à fouetter. “T’as la côte, qu’est-ce que tu veux que j’te dise.” Il esquisse un sourire, se tourne une seconde vers Jasmine qui n’a pas pu s’empêcher de venir défroisser le col de la chemise de son Ken préféré, puis rapporte son attention vers la jeune femme à la peau hâlée, véritable contraste à côté de sa pigmentation de flocon de neige malade. « Si tu participes aux festivités, ça veut dire qu’t’es contente toi aussi d’me revoir, pas vrai ? » Comme un enfant qui veut qu’on lui dise qu’il est important, qu’il est aimé. Des mots qu’il n’a jamais entendus dans sa vie, parce que les gens sont trop importants pour accorder un peu d’attention à un homme qui rampe. Des mots qu’il aurait aimé entendre se faire murmurer par la voix toujours calme de sa mère, qui préférait pourtant observer la beauté du ciel plutôt que la laideur de son fils et tous les malheurs qu’il a apportés avec lui. “On dirait que t’es passé sous un bus.” « Tu parles par expérience ? » Il fredonne. « L’ours, puis l’autobus… Ma vie est un véritable roman. » Il plaisante à son tour, n’ayant pas l’intention, ni l’envie d’aborder le sujet qui n’est pourtant pas tabou pour celle qui a déjà vécu la même chose que lui. « Parfois, j’me dis que j’devrais essayer d’faire fortune en vendant mon histoire. » Il le dit évidemment d’une voix ironique parce qu’il est le premier à penser qu’il ne ferait pas bon spectacle. Il a été conditionné à se voir comme un banal figurant qui ne fait que survivre entre les scènes et croiser les doigts pour faire partie de la prochaine. « Évidemment, j’mentionnerai pas la ruche, j’suis pas un traître. » Il précise, innocent comme le petit ange qu’il est. Très rapidement, on lui fourre dans les mains une part de gâteau surplombée de la lettre J. Il est bien obligé à prendre une bouchée même si l’appétit n’est plus au rendez-vous depuis des lustres. La saveur sucrée, beaucoup trop sucrée, lui roule contre le palet mais il arrive à ne pas grimacer en avalant la mixture de chocolat. Brrrr. « Il est délicieux Tulip, merci beaucoup. Tu devrais te convertir en pâtissière. » Il ment, rapidement accueilli par de nouveaux cris de joie poussés par la créatrice du dessert qui s’empresse de lever un majeur à ses copines qui ne croyaient pas en ses talents culinaires. « Vous voyez bien ! Il est parfait. » Et, bien rapidement, les petits oiseaux se remettent à chanter à l’unisson. Joseph envoie un regard amusé à Lou en attendant son verdict au sujet du gâteau, et, bien rapidement, il s’approche d’elle pour lui souffler : « J’ai besoin d’te parler avant qu’la soirée commence. » Avant que les clients du bar n’arrivent, et avant qu’il ne doive se remettre à son poste. Il guide sa patronne un peu plus loin et tous les deux se retrouvent comprimés entre des dizaines de perruques synthétiques de toutes les couleurs. Des filaments brillants s’accrochent à leurs vêtements, à leur part de gâteau aussi. Les filles ont compris qu’elles doivent rester en retrait mais ça ne les empêche pas de poursuivre les festivités.
« J’veux continuer à faire c’boulot. J’l’aime. J’aime m’occuper des filles. » Il se sent important. C’est la seule chose qui importe. « Le problème, c’est que j’peux plus compter sur mes bras. Les clients pourraient m’utiliser pour s’curer les dents. » Il marque une pause, ancre ses yeux à ceux de Lou pour essayer de lui faire comprendre où il veut en venir. Il ne veut pas prononcer le mot lui-même. Les armes à feu, il déteste ça. Il sait tirer, certes, et il sait comment charger un flingue, comment baisser le loquet de sécurité, comment viser. Mais il déteste ça. Seulement, il n’a plus l’impression d’avoir le choix. Il n’est plus menaçant et son seul travail ici, c’est d’être menaçant.
Il n’y a peut-être pas que ça. Mais inutile de tout expliquer à Lou. Elle n’a besoin que de savoir l’essentiel.
@Lou Aberline |
| | | | (#)Lun 28 Fév 2022 - 16:18 | |
| | | ► How am I supposed to move on ?
Something like a bad trip I'm feeling hot, feeling love sick I think I died, oh, no, no When you walked through the door Can't hear the music Like a drug, used to use it
|
Le cœur n’était pas à la fête, mais cela n’était pas important. Joseph était à l’honneur et il en avait tout le droit ; il était quasiment revenu d’entre les morts, après tout. Alors elle fendrait un sourire, boirait un coup ou deux, pour lui, pour elle, pour se persuader qu’elle n’est pas ce monstre qui tue tout ce qu’elle touche. « Si tu participes aux festivités, ça veut dire qu’t’es contente toi aussi d’me revoir, pas vrai ? » qu’il s’avançait, un brin trop fier de lui arracher la confidence par sa simple présence. Le meilleur moyen de lui faire faire la moue, les yeux levés au ciel, oubliant presque pourquoi il lui était agréable malgré tout, pourquoi elle avait fini par s’attacher à cette tête à claques. “Peut-être que je suis là uniquement pour le gâteau.” Cette brique brune composée de dieu savait quoi ? L’absence de crédibilité de l’excuse suffisait pour donner raison à Joseph. Elle était là pour lui, elle ne devrait pas s’en cacher, mais la sensiblerie n’avait jamais été sa tasse de thé. Elle ne savait pas dire les choses et préférait de loin agir. Lou le prouvait encore avec la douceur et la bienveillance de sa remarque sur la mine horrible de Keegan -du moins, telle était l’intention initiale lorsqu’elle relevait son allure de déterré. « Tu parles par expérience ? » Il l’agaçait déjà, à sa manière. Oui, le centre de désintox leur avait bien rendu le Joseph qu’ils connaissaient. Il n’avait pas changé en l’espace de quelques semaines. La jeune femme haussa les épaules, l’air d’un ouais qui ne voulait pas s’épancher sur la question. “Je regarde des deux côtés quand je traverse.” répondit-elle au premier degré pour contourner le sujet. Elle pouvait être aussi peste que possible, on ne l'appellerait pas Regina George quand bien même plus d’une personne en ville serait ravi de la pousser hors du trottoir. « L’ours, puis l’autobus… Ma vie est un véritable roman. Parfois, j’me dis que j’devrais essayer d’faire fortune en vendant mon histoire. » Faire fortune, rien que ça. C’est qu’il pensait en avoir des choses à raconter, le Joseph. “A peine sobre ça se prend pour Hemingway.” Et la plume qui allait avec ? D’après Lou, cela n’intéresserait personne. Sauf que Lou faisait partie de ces personnes qui n’avaient pas ouvert un livre depuis la fin de l’école primaire et qui cultivait bien trop peu d’intérêt pour les autres pour s’encombrer de l’histoire de leurs vies. « Évidemment, j’mentionnerai pas la ruche, j’suis pas un traître. » Elle n’en doutait pas. D’une part, parce qu’elle avait confiance en lui. D’autre part, parce que personne ne souhaiterait finir comme l’auteur de Gomorra. Du bouquin elle ne savait rien mais l’histoire de la mafia était le minimum d’instruction nécessaire lorsque l’on se lançait dans le business et cela faisait déjà une bonne dizaine de pages wikipédia ; apprendre du passé, leur organisation, leurs astuces, leurs erreurs. Le gars en question, après avoir vendu des milliers de copies exposant à la lumière du jour la mafia napolitaine, vivait avec une cible sur son dos, son front et son entre-jambe. Autant cesser d’appeler ça une vie. Pas le genre de dévouement à son art dont elle imaginait Joseph être capable.
On pouvait voir Lou renifler vaguement l’étrange gâteau qui lui fut servi une seconde après avoir adressé un grand sourire hypocrite à la demoiselle l’ayant fait de ses petites mains. Même si l'australienne ne savait rien faire de mieux que réchauffer des nouilles instantanées, sa courte expérience dans la pâtisserie de Blanche lui avait donné le goût des bonnes choses sucrées. Elle s’occupait du glaçage, à l’époque, et de la crème au beurre sur les cupcakes. Qui aurait cru que pocher s’ajouterait à la liste de ses talents ? « Il est délicieux Tulip, merci beaucoup. Tu devrais te convertir en pâtissière. » Pour le bien de cette ville, non, surtout pas. Autant Lou pouvait comprendre qu’il ne veuille pas froisser la danseuse, mais pousser le bouchon au point de l’encourager sur cette voie, cela n’était vraiment pas nécessaire. A moins qu’il n’aime réellement le gâteau et dans ce cas la drogue avait définitivement attaqué ses papilles gustatives. “Parfois certains talents cachés devraient le rester.” murmura Lou à qui l'entendait aux alentours après avoir difficilement gobé sa première bouchée -dont elle avait l’intention d’en faire la dernière également. Sauvée par le gong, songea-t-elle, lorsque Joseph l’attira plus loin pour discuter. « J’ai besoin d’te parler avant qu’la soirée commence. » Ca sonnait important ou au moins sérieux, et l’estomac de la jeune femme fit un triple axel sur lui-même. Les médecins ont dit que la came que j’ai prise était dangereuse. J’ai réfléchi et j me suis souvenu du sachet que tu m’as dépanné. Je sais que c’est toi qui m’a fait ça.
Voilà ce qu’elle s’attendait à entendre lorsqu’elle se retrouva entre une perruque à frange rose bonbon et une paire de bas résille dans un coin du vestiaire tandis que le reste de la troupe lançait de la musique et se resservait du champagne. « J’veux continuer à faire c’boulot, lui dit Joseph à la place, pour son plus grand soulagement. J’l’aime. J’aime m’occuper des filles. Le problème, c’est que j’peux plus compter sur mes bras. Les clients pourraient m’utiliser pour s’curer les dents. » Du haut de ses trois pommes et demi, Lou détailla Joseph sous toutes les coutures. Ses bras semblaient bien, à son avis. Il avait perdu ici et là, certes, mais il avait toujours l’air plus baraqué et moins flasque qu’une bonne partie des clients qui venaient caler leurs billets dans les soutien-gorge des danseuses. “Toi aussi tu vas me faire chier pour avoir une putain d’épée ?” Elle avait accompagné Solas au Japon pour respecter son souhait de s’offrir cet objet qui avait, visiblement, un intérêt spécial pour lui sans être séparés l’un de l’autre pour autant. Bien sûr, Joseph se fichait d’avoir une épée. Les mots avaient dépassé la pensée de la jeune femme puisque cela fut la première chose à laquelle elle songea -Sol, pour ne pas changer. “Laisse tomber, oublie ça.” Et pas de questions. Sinon elle lui enfoncerait un talon aiguille par narine de cette paire couverte de paillettes qu’elle venait de remarquer près d’eux. “On va te trouver un flingue et des balles à blanc. La moquette coûte trop cher pour buter des gens dessus de toute manière.” La moquette était officiellement devenue un argument plus valable que la décence et la valeur d’une vie humaine dans l’esprit d’Aberline. “Et un taser. Te bile pas ok ?” Une tape dans le dos et le sujet était clos, non ?
Non, alors que Lou était prête à en rester là pour que le sujet du travail ne vienne pas interférer trop longtemps dans la fête des filles pour Joseph et qu’ils s'apprêtaient à retourner auprès du groupe, la jeune femme s’arrêta. “Jo.” Ses lèvres se pinçaient. Un long souffle nerveux siffla du bout de son nez. Il n’y avait pas que cela, elle le savait parfaitement et bien qu’elle soit parfaitement capable de l’ignorer, les circonstances faisaient qu’elle ne pouvait pas détourner le regard. Sa stature, sa musculature, sa fatigue, là n’était pas le problème dans son retour au travail. Le problème, c’était la poudre, les cachetons, la fumette et tout ce qui pouvait bien circuler dans le club, le reste du bowling et de la ville lorsque l’on traînait avec des abeilles. C’était la proximité, la tentation, la facilité. C’était de le voir tous les jours, d’assister à la consommation des autres, l’odeur, le fantasme des effets. La bataille de tous les jours, en somme, et la règle numéro un que l’on vous inculquait en cure était de couper les ponts avec l’entourage à risque. La Ruche n’était pas à risque ; ils étaient le risque, tout comme le Club l’avait été pour elle par le passé. “Je sais comment tu te sens. Vulnérable. Pas que physiquement. Là-dedans aussi.” fit-elle en tapotant sa tempe, désignant l’immense volonté dont il allait devoir faire preuve pour tenir plus de deux semaines dans un endroit pareil sans craquer -une volonté qu’il doutait probablement d’avoir en lui. “Je suis pas la bonne personne pour te dire que ça va aller. Je compte plus le nombre de cures où je suis allée et tu vois où j’en suis. Même une overdose m’aura pas calmée.” Elle se souvenait encore de la sensation d’avoir du papier de verre à la place des paupières lorsqu’elle avait ouvert les yeux à l’hôpital ce jour-là. Le crissement des pneus de la voiture d’Alex qui venait de percuter une fourgonnette au croisement après qu’elle l’ait jetée dehors pour avoir essayé de la sauver. La dose de trop, quelques minutes plus tard, pour oublier qu’il avait raison, qu’elle était sur la pente descendante, pour se prouver qu’elle n’avait besoin de personne. Le rouge et bleu des sirènes de l’ambulance se mêlaient à l’odeur de brûlé, d’essence, de moteur, de gerbe et de crack. La précision des souvenirs se fanait mais pas les sensations que les événements lui avaient laissé. C’était il y a bientôt dix ans. C’était hier. C’était demain pour certains. Après tout, l’histoire était vouée à se répéter. “Je veux pas sembler négative ou pessimiste. Ce que j’essaye de dire, c’est que ça va être difficile. Et tout le monde sera derrière toi autant que possible.” Plus qu’on ne l’avait été pour elle, parce qu’elle le devait. Pas qu’elle eut l’illusion de pouvoir se racheter de quoi que ce soit, il n’y avait plus rien à sauver de ce côté-là. Mais pour être en mesure de continuer à se regarder dans le miroir par des temps où cela lui demandait un effort de plus en plus surhumain.
|
| | | | (#)Dim 13 Mar 2022 - 17:59 | |
| Non. Lou n’était pas seulement là pour le gâteau. Joseph aurait presque pu la croire si la première bouchée qu’il avait avalée ne lui avait pas laissé un goût rance et sec sur la langue. Maintenant, son regard ne fait que chercher une boisson à avaler, du jus, du lait, une bière, de l’eau même, tout pour empêcher sa gorge de se transformer en grand canyon. « Si tu l’dis, Lou. Mais moi j’serais pas v’nu seulement pour ce gâteau-là. » Il murmure, amusé, d’une voix assez basse pour que seulement les oreilles de sa patronne interceptent le message. Il pouffe d’un rire discret par la suite en s’efforçant de manger une seconde part de sable sucré. « Ça m’fait plaisir qu’tu sois là. » Il admet en opinant, honnête, reconnaissant, tandis que ses lèvres se pincent sous l’émotion bien qu’il réussisse à soutenir le regard de la jeune femme. Il ne voudrait pas être aussi sensible mais il est né comme ça. Toutes ces années à côtoyer des criminels ne l’ont pas transformé d’un poil. Le garçon est resté le même coussin moelleux dans lequel trop de gens se dégourdissent les poings. Il doit peut-être sa survie à ce trait de sa personnalité, ou alors il est terriblement chanceux, pour un poissard. Malgré tout, Lou ne peut s’empêcher de tirer un commentaire sur son apparence fatiguée mais c’était à prévoir. De toute façon, Joseph est habitué de se faire analyser de la tête au pied comme un morceau de viande à 40% de rabais, vu sa date de préemption. Il n’est pas la coupe la plus alléchante, il faut dire. “Je regarde des deux côtés quand je traverse.” Et pourtant, il sait qu’elle a déjà été frappée par un autobus, tout comme lui. Il comprend cependant son besoin de se tirer en dehors de cette discussion. Lui-même n’a pas envie de parler de cette mésaventure. Il a survécu, c’est tout. Il survit toujours, Lou aussi, c’est comme ça. Un jour, l’un des deux tombera et ils ne pourront que se blâmer eux-mêmes de ne pas avoir été assez vigilant. “A peine sobre ça se prend pour Hemingway.” Il doit plonger dans ses souvenirs derrière la taule pour remettre un visage sur ce nom. Il hésite une petite seconde puis finit par lever le petit doigt : « T’as ce genre de culture générale ? » Parce que, lui, il ne l’avait pas avant qu’on ne lui colle un bouquin dans les mains. Son éducation s’est arrêtée trop rapidement et s’il s’était promis de reprendre un jour ; il a compris qu’il n’est pas nécessairement le meilleur pour tenir ses promesses quand il a passé le cap des trente ans. Il n’est jamais trop tard, il paraît. « J’croyais que j’serais plus jamais surpris depuis que j’t’ai vue sur scène. » Il faut dire que, cette soirée-là, il avait été plus étonné de la voir vêtue de costumes loufoques et de maquillage excentrique que d’entendre un flingue détonner juste derrière ses oreilles. À chacun sa routine.
Toujours doté de sa bienveillance innée, Joseph complimente Tulip pour ses talents culinaires. Il ment rarement, Joseph, mais là il se devait de le faire pour ne pas plomber l’ambiance. Elle a fait ce gâteau pour lui et cette seule idée l’apaise. Il est apprécié. La sensation est à la fois nouvelle et familière ; un retour dix ans en arrière, quand il était entouré de sa véritable famille, pas de celle qu’on lui avait imposée à sa naissance. “Parfois certains talents cachés devraient le rester.” Il pouffe d’un rire discret en baissant la tête. Il jette ensuite un regard complice à Lou en tirant la langue pour commenter à son tour le dessert qui aurait pu être concocté par un gamin de la maternelle. Tulip avait de bonnes intentions mais elle ne savait visiblement pas doser le sucre et la farine. Reprenant son sérieux, le garçon fait part à sa patronne du désir de lui parler seul à seul. Il ne sait pas encore comment amener doucement le sujet mais une (mauvaise) idée lui trotte derrière la tête depuis son retour de désyntox. Il se sent invincible aujourd’hui parce que la mort la rejeté pour l’énième fois. Il est peut-être un ange. Malgré tout, il a perdu beaucoup de masse à force de se priver de nourriture alors il ne se sent plus aussi à l’aise qu’avant de protéger toutes ces filles qui comptent sur lui. “Toi aussi tu vas me faire chier pour avoir une putain d’épée ?” Il hausse un sourcil, visiblement perdu devant cette interrogation. Non, peut-être pas une épée, mais pourquoi une arme un peu plus discrète, qui se glisse sous la ceinture et qui ferait fuir le plus large et le plus musclé des clients agressifs. « C'pas pratique, une épée. » “Laisse tomber, oublie ça.” Il acquiesce, rangeant ses questions au fond de sa poche.“On va te trouver un flingue et des balles à blanc. La moquette coûte trop cher pour buter des gens dessus de toute manière.” Il inspire doucement sans lâcher ses yeux des siens. Un flingue qui ne peut pas causer de mal. On aurait dit une métaphore à sa propre vie. Un criminel incapable de frapper. Il n’avait de toute façon pas l’intention de réellement s’en servir, seulement de faire trembler des genoux et percer des vessies, alors il accepte sans demander son reste. « Ouais, parfait. » Il glousse nerveusement en passant sa main dans ses cheveux. Lou propose même un taser qui, lui, lui servira réellement entre les quatre murs de ce bar en cas de nécessité, contrairement à ce flingue qui ne servira que de menace. Lily va le détester, mais elle aura une bonne raison de le faire. « Merci, Lou. » Il répond enfin. Ça aura été plus facile qu’il ne l’aurait espéré.
La discussion devait se terminer là, alors. Tous les deux devaient retrouver les autres filles pour passer la dernière heure à picoler un peu avant l’ouverture des portes en soirée, mais Lou interrompt le garçon dans sa lancée. Il entend, à sa façon de l’appeler, que le prochain sujet qu’elle veut aborder n’est pas léger. Au fond de sa tête, une petite voix le prévient. Oui, elle parlera de son addiction, de la drogue qui tourne constamment ici, des difficultés qu’il rencontrera. Il sait tout ça et, justement, c’est toujours mieux quand il n’en entend pas parler. “Je sais comment tu te sens. Vulnérable. Pas que physiquement. Là-dedans aussi.” Il est inconfortable. Il déteste parler de lui, de ses maux, de ses démons. Les gens s’en fichent de tout ça habituellement et c’est plus facile ainsi. Lui contre lui-même. Personne pour ne juger ou regarder de haut. Personne pour savoir qu’il n’est peut-être pas assez fort pour lutter contre son envie de glisser l’aiguille là où ça ferait du bien. “Je suis pas la bonne personne pour te dire que ça va aller. Je compte plus le nombre de cures où je suis allée et tu vois où j’en suis. Même une overdose m’aura pas calmée.” C’est encourageant. « Ça ira. » Il marmonne rapidement en secouant la tête. “Je veux pas sembler négative ou pessimiste. Ce que j’essaye de dire, c’est que ça va être difficile. Et tout le monde sera derrière toi autant que possible.” Cette fois, c’est un rire nerveux qui fait gronder sa gorge et il baisse le regard pour fixer le sol, sourcils froncés. « Alors tout le monde verra quand je craquerai à nouveau ? » Il demande, ne se rendant pas compte du ton hautain qu’il emploie, mais il se reprend rapidement : « J’veux dire… C’est étrange. Si c’que tu dis c’est vrai, alors j’peux décevoir beaucoup d’monde, c’est bien ça ? » L’idée lui déplaît. Ce n’est pas ce genre d’attention qui le réconforte. Il a déjà déçu sa sœur à de nombreuses reprises, il n’imagine pas le poids que ce serait maintenant qu’il a plus de paires d’yeux rivées sur lui. « T’as déçu des proches quand t’as replongé ? »
@Lou Aberline |
| | | | (#)Jeu 14 Juil 2022 - 15:51 | |
| | | ► How am I supposed to move on ?
Something like a bad trip I'm feeling hot, feeling love sick I think I died, oh, no, no When you walked through the door Can't hear the music Like a drug, used to use it
|
“Ça m’fait plaisir qu’tu sois là. - Mweh.” Doucement sur la guimauve, c’est sympa cinq minutes mais ça colle aux dents. Lou serra un peu plus ses bras croisés sous sa poitrine, posture fermée, dure, comme pour renforcer ce palpitant bourré de culpabilité. Tête haute, toujours, regard ferme. Elle s’accordait une pause en se joignant à la fête, mais elle ne s’éterniserait pas, alors que Joseph ne fasse pas des caisses de sa présence. Les émotions, elle gardait ça pour Sol était, c'était déjà bien assez. A trop éparpiller de preuves de vulnérabilité, on s’en érodait la carapace, et ça elle l’avait appris à ses dépens. Quelle farce ; Joseph en avait vu bien assez de sa part pour qu’elle cesse de reboucher les trous à chaque fois qu’il faisait tomber une brique, pourtant elle s’obstinait. Elle avait un point faible pour lui et ça ne s’était pas arrangé depuis son séjour à l’hôpital. Sauf qu’elle ne connaissait que trop bien le sort de ceux pour qui elle développait de l’affection ; elle avait encore prouvé qu’elle mettait en danger, blessait et menait à leur perte ceux qui s’approchaient de trop près. Joseph vivrait pas assez longtemps pour les écrire, ses mémoires, si Lou laissait échapper un sourire de trop. « T’as ce genre de culture générale ? J’croyais que j’serais plus jamais surpris depuis que j’t’ai vue sur scène. » C’est les restes d’école privée qui ont franchi ses lèvres, la bonne éducation qu’elle avait reniée, les études avortées à force de sauter par-dessus la barrière de l’établissement pour faire la fête sur les berges du fleuve dès dix heures du matin. Elle n’avait jamais été faite pour la rigidité du monde scolaire, Lou, mais elle était loin d’être idiote. Et pour ce que l’école lui avait donné, en dehors d’une aversion maladive pour l’autorité, elle s’efforçait de ne pas tout oublier. “J’suis pleine de surprises.” elle résuma de manière cliché. Joseph n’avait pas besoin de savoir qui étaient ses parents, le milieu dans lequel elle avait grandi ; il ne ferait que s’ajouter à la longue liste des gens qui la considéraient comme une sale gosse capricieuse, pourrie en étant née avec une cuillère en or dans la bouche -et ils n’avaient pas tout à fait tort. Il comprendrait pas, comme les autres.
A l’écart, la question de la sécurité des filles et les craintes du brun de ne plus être de taille à faire son job avaient rapidement été écartées. Il y avait une solution pour tout et Lou ne souhaitait pas arracher Joseph à la place qu’elle avait choisi pour lui avec soin ; les filles l’appréciaient, les incidents étaient bien gérés, tout marchait comme sur des roulettes. Il n’avait pas besoin d’être létal, être dissuasif était généralement suffisant. Après tout, la clientèle du Cherry n’était pas comme celle du Pit ; ce n’étaient pas les loosers infidèles en quête d’une once d’adrénaline dans leur vie sans intérêt qui allaient provoquer un maximum de grabuge. En somme, la parenthèse s’était close sur un « Merci, Lou » auquel la jeune femme répondit sans plus de syllabes qu’à la précédente réplique sentimentale de Joseph.
Preuve qu’elle n’avait pas de talent dans le domaine ; la manière dont elle tenta, par la suite, de lui montrer son soutien dans ce retour risqué à la Ruche. Parler de rechute, d’overdose, de fatalité, ce n’était probablement pas ce dont il avait besoin actuellement, mais dans la catégorie des preuves d’affection, Aberline flirtait avec son maximum. « Ça ira. » qu’il se voilait la face. Non, ça n’irait pas. Il allait se battre contre lui-même tous les jours et, au bout d’un moment, cette partie de lui allait l’épuiser, peut-être le vaincre. Il allait avoir la sensation de traîner un boulet à son pied, ce poids à base de pression et de peur qui allait uniquement mettre en lumière, à tort, cette impression de perte de liberté, et rendre obsessive la pensée qu’il n’y avait qu’en replongeant qu’il serait tranquille à nouveau. « Alors tout le monde verra quand je craquerai à nouveau ? J’veux dire… C’est étrange. Si c’que tu dis c’est vrai, alors j’peux décevoir beaucoup d’monde, c’est bien ça ? » Quel bel euphémisme. “T’sais, quand les gens commencent à bien te connaître, la différence entre le toi sobre et le toi défoncé est largement plus évidente pour eux qu’on le pense.” L’ironie, c’était que les autres avaient souvent plus de facilités à pardonner et donner une nouvelle chance que soi-même. Ce n’était qu’une fois le vide fait autour de soi que l’on cessait d’espérer avoir droit à la moindre rédemption ; en attendant, c’était le regard des autres et leur tolérance qui vous portait au-delà de votre propre dégoût. « T’as déçu des proches quand t’as replongé ? » Elle les avait écœurés par sa mauvaise foi un par un, oui. Les parents, les amis, tous autant qu’ils étaient. Pourtant, plus d’une fois, elle avait cru dur comme fer qu’elle se sortirait du cercle vicieux. Aujourd’hui, Lou avait laissé ses tares ne faire qu’un avec son identité. “Encore et encore, jusqu’à plus avoir de proches à décevoir.” Finalement, c’était mieux ainsi.
“Tant que t’es avec nous, ça t'arrivera jamais à toi, ok ?” Parce qu’elle était passée par là, justement, Lou se jurait de ne pas laisser un membre de la Ruche sur le bas côté pour des erreurs qu’elle avait elle-même commises un jour. Elle ne voulait pas que l’histoire se répète pour d’autres, que l’on puisse se sentir aussi esseulé et laissé pour compte. Si elle avait pensé le gang comme un ensemble de mercenaires, à la base, comme un essaim dans lequel la reine n’a guère de souci pour chaque ouvrière, il fallait admettre qu’il était impossible d’échapper à la solidarité naturelle qui naissait des rapports humains. Pour les gens loyaux, il y avait une petite place dans son estime. “Tu peux frapper à ma porte n’importe quand, je serai là.” fit-elle avec connivence en lui donnant un léger coup dans le bras. Il lui avait sauvé la vie bien assez de fois pour mériter au moins ça. “Eh, t’as raison, t’es devenu maigrichon. Heureusement que c’est plus de ma sécurité que t’es en charge, cure-dent.” Est-ce qu’elle pouvait utiliser ses bras pour nettoyer sa bouche de la couche de guimauve supplémentaire qu’elle venait d’y jeter ?
|
| | | | (#)Mar 16 Aoû 2022 - 23:05 | |
| Il ne parle jamais de ça. Il vit dans le monde qu’il s’est créé. Cette petite bulle séparée du reste où il peut continuer à se mentir et à se dire qu’il arrivera un jour à devenir ce qu’il aurait dû devenir en naissant dans une autre famille. Là-bas, il s’occupe peut-être d’animaux malades car il a toujours réussi à parler à ces derniers et même à les comprendre plus que les humains. Il a sauvé des centaines de chats et de chiens et tous leur maîtres l’ont chaleureusement remercié. Il est quelqu’un de bien, dans cette petite bulle mais, surtout, il ne lutte pas tous les matins contre l’envie de se rendormir artificiellement. Il ne déçoit plus personne. “T’sais, quand les gens commencent à bien te connaître, la différence entre le toi sobre et le toi défoncé est largement plus évidente pour eux qu’on le pense. ” Pas le commentaire le plus rassurant. Il ne s’attendait à rien d’autre, de toute façon ; il commence à bien la connaître elle aussi. À force de la côtoyer, il apprend à l’apprivoiser mais, surtout, il apprend qu’elle n’est pas apprivoisable. Contrairement à lui, loyal cabot qui serait prêt à se couper un doigt de la main si en échange il obtient une promesse. “Encore et encore, jusqu’à plus avoir de proches à décevoir.” La jeune femme répond lorsque Joseph lui demande si ses rechutes ont fait plus de victimes que nécessaire. C’est étrange comme le propos ne le vexe pas. Il connait la chanson. Ce n’est pas une surprise pour lui d’apprendre qu’il crèvera seul. Son épitaphe est déjà écrit dans le ciel et sa tombe n’attend plus qu’il tombe à ses pieds pour le bouffer jusqu’à l’os. Il n’y a plus de Deborah, plus de Lily qui a préféré faire un pacte avec le Diable. S’il disparaissait du jour au lendemain, son nom suivrait. Plus de traces de lui nulle part ; un fantôme, une histoire à faire dresser les cheveux sur la tête des enfants, un souvenir flou, une impression de déjà-vu, un rêve oublié dès le moment où l’on ouvre les paupières.
Tant mieux si sa mort ne blesse personne. Il s’en voudrait de faire du mal une dernière fois. Pour l’instant, il peut se contenter de survivre à l’ombre des autres. “Tant que t’es avec nous, ça t'arrivera jamais à toi, ok ?” Le sourire discret qui soulève la commissure de ses lèvres est sincère. Il sait qu’elle ne saupoudre pas ses paroles de paillettes. Elle le pense réellement. Au fond, elle se soucie de lui, pas vrai ? Elle a beau faire semblant en levant les yeux au ciel et en grimaçant, Joseph sait distinguer le mensonge lorsqu’il s’extirpe de la bouche de n’importe qui. Son éternelle naïveté n’était pas si éternelle que ça. Il a appris de ses erreurs et voit enfin le mal là où pensait avoir trouvé le bien. C’est ça pour lui, de vieillir. Pas seulement les rides et les cheveux poivrés. « Ok. » Il s’agit bien d’une promesse, pas vrai ? Il s’en couperait presque un doigt. “Tu peux frapper à ma porte n’importe quand, je serai là.” Un peu plus et il se mettrait à chialer. Heureusement, il arrive à garder contenance et esquisse un ricanement de bon jeu quand elle commente sa maigreur et reprend sa comparaison avec un cure-dent. Complètement détaché de ce que symbolise son corps depuis qu’il en a perdu possession à dix ans, il hausse les épaules et conclue : « Parlant d’sécurité, j’crois bien qu’il est l’heure pour moi d’être le héros de celles qui considèrent encore que j’suis assez large pour faire le job. » Et il fronce les sourcils, faussement songeur. « Quoique… Le gâteau, c’t’ait p’t’être un message qu’elles m’envoyaient. »
@Lou Aberline Et voilà pour la conclusion |
| | | | | | | | How am I suppose to move on ? [Lou] |
|
| |