Sous la table, ma jambe ne cesse de tressauter dans un rythme frénétique. Parfaitement consciente du geste traduisant mon anxiété, je m’efforce de reposer mon pied à plat sur le parquet du salon de thé dans lequel je me trouve. Toute ma concentration se focalise sur ce simple mouvement au point de ne plus réellement entendre les anecdotes conter par mon amie. Face à moi, Megan semble rayonner depuis son retour de voyage de noces, son sourire est solaire tandis qu’elle tente de m’expliquer avec le plus de détail possible les mille choses qu’elle a pu voir aux côtés de son mari. Je connais leur parcours, j’ai déjà entendu certaines parties de l’histoire lorsqu’elle m’avait rendu visite dès son retour. Elle m’avait montré les photos et ce jour-là, j’avais su me concentrer sur elle et rien d’autre, mais aujourd’hui seul le tremblement de ma jambe droite semble m’obséder. Je me concentre sur cela plutôt que sur la raison de notre présence dans ce petit salon de thé. L’invitation était venue de ma part, j’avais choisi cet endroit dans un but précis, mais maintenant que Megan est enfin là, les mots ne semblent plus trouver la barrière de mes lèvres. Pourtant, mon discours, je l’ai répété pendant des heures et des heures. Une simple phrase, une unique demande. Il me fallait trouver le véritable courage de formuler la conclusion de toutes mes réflexions. Elle avait su planter la graine Megan, celle qui m’avait rappelé que les actions de Lawrence ne pouvaient rester indéfini impuni. Il avait eu des nuits sans sommeil, de nombreuses crises d’angoisse et toujours la même conclusion : je devais parler à la police. D’un geste peu assuré, je rajoute du thé brûlant dans le fond de ma tasse avant de recommencer à jouer avec ma serviette sans jamais trop croiser le regard de la photographe. Je me suis promis de ne pas sortir de cet endroit sans lui avoir dit tout ce qui me trotte dans la tête depuis des semaines. J’avais insisté pour que l’on se voie à l’extérieur, parce que dans l’un de nos appartements, je n’aurais jamais trouvé le courage de lui faire la demande que je m’apprête à formuler. Il fallait être proche du poste de police afin de ne plus me laisser le choix.

Elle est en train de me dire quelque chose Megan, je vois ses lèvres qui forment des bouts de phrases et par pur instinct je hoche la tête comme pour valider ses propos même si je n’ai aucune idée du sujet de la conversation. Alors qu’elle semble continuer sa phrase, je me force enfin à parler, lui coupant la parole. « Je veux aller porter plainte. » Au creux de mes oreilles, les battements de mon cœur résonnent de manière frénétique à la suite de cet aveu soudain. « Je crois. » que j’ajoute dans un murmure maladroit. À nouveau, mes doigts s’acharnent à déchiqueter ma serviette en papier traduisant toute mon hésitation et tout le courage qui m’a fallu pour prononcer une telle phrase face à elle.

@megan williams

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Megan Monroe & @Shiloh Atkins

Le cœur y est, quand je raconte ma lune de miel à Shiloh qui a déjà eu le droit à un résumé mais à qui je sers à présent tous les détails. Certes, mon mariage n’est pas un mariage d’amour. Mais je crois que je suis en train de tomber amoureuse de l’idée d’être la fille que je prétends être. Amoureuse du rôle que je suis en train de jouer, de l’idée d’être heureuse, épanouie, riche, libre et aux côtés de quelqu’un de gentil. C’est comme une drogue, je crois, je suis shootée pas à l’argent mais à toutes les possibilités que ça offre, d’être au bras de quelqu’un comme Damon. C’était merveilleux, de découvrir New York depuis un immense penthouse, Grenade dans une immense villa qui nous a été offerte en cadeau de mariage et le talon de la botte de l'italie en séjournant uniquement dans des palaces. C’était enivrant, de passer la journée seuls sur un bâteau et de manger dans les plus grands restaurants de toutes les villes où nous passions.


Pour Shiloh cependant, j’ajoute du romantisme et je me demande si, un jour, je finirai par croire à tous mes mensonges. Shiloh est friande de ce genre de choses en temps normal mais, pourtant, j’ai l’impression qu’elle est ailleurs et qu’elle ne m’écoute pas. Je fronce les sourcils, je penche la tête sur le côté et je change de sujet. Je lui parle des pingouins au pôle arctique alors que nous n’y avons évidemment pas mis les pieds mais elle ne réagit pas, confirmant ce que je soupçonnais : elle m’écoute à moitié. « Tout va bien ? » Pour peu, j’agiterais une main devant ses yeux. « T’es distraite. Qu’est ce qu’il se passe ? » Elle a l’air préoccupée, maintenant que je fais attention. Elle serre son Latte fort entre ses mains et elle mordille sa paille sans vraiment boire, et moi j’étais trop centrée sur moi même pour le remarquer jusque là. « Je veux aller porter plainte. » Mes yeux s’écarquillent et j’entrouvre les lèvres, sincèrement surprise. Bien sûr, j’ai tenté de planter cette idée dans son cerveau depuis des mois. Je lui ai dit que son ex allait recommencer avec une autre. Je lui ai dit qu’il méritait une sorte de justice - et je m’en serai bien chargée à l’époque, ma batte de baseball à la main. « Je crois. » J’avance ma main dans sa direction pour attraper la sienne. Elle a la peau gelée. « Aujourd’hui ? » Est-ce pour ça qu’elle m’a donné rendez-vous ce matin ? Je l’accompagnerai au commissariat s’il le faut, je l’accompagnerai où elle a besoin d’aller. « Tu prends la bonne décision. Je suis fière de toi. » Elle tremble comme une feuille, et je serre un peu plus ses doigts dans les miens. « Shiloh… C’est ce qu’il faut faire… » Mais son ex est médiatisé. Il ne peut pas être qualifié de star, mais c’est une ”vedette” du monde de la chanson et elle doit s’attendre à ce que tout ça soit analysé par tous les magazine people du pays : je sais de quoi je parle. « Tu es sûre que tu es prête ? » Quand ça sortira et si ça sort, des journalistes en quête d’un os à ronger viendront probablement frapper à sa porte. Et si elle est courageuse, Shiloh est fragile.

« Tout va bien ? » Nouveau hochement de tête insignifiant quand je ne saurais réellement souligner si les mots prononcés par la photographe s’apparentent à une phrase banale ou à une réelle question. Enfermée dans mes pensées, perdues dans la bataille que je me livre depuis qu’elle a accepté de me rencontrer, je ne porte plus aucune attention à tout ce qui m’entoure. Ne restent que les battements de mon cœur qui se veulent assourdissants et pourtant presque trop fébriles à l’idée d’enfin énoncer à voix haute la raison de notre rendez-vous si matinal pour un début de week-end. « T’es distraite. Qu’est-ce qu’il se passe ? » Je n’entends sa question qu’en réalisant à quel point le ton de sa voix viens de se modifier pour mieux venir matcher le regard inquiet que Megan pose sur moi. Ce ne sont que quelques mots à prononcer, un souffle à prendre pour mieux avancer. Je me jette dans le vide avant même de pleinement réaliser que ma voix vient de porter l’idée. Il n’est plus question de faire machine arrière désormais. Pas vrai ?

Elle ne s’attendait en rien à cela Megan, je le vois à son expression, à ses lèvres qui hésitent sans jamais prononcer le moindre mot. Elle attend la rétraction, mon aveu de faiblesse ou la négation, mais mon silence se prolonge à mesure que je réalise à quel point j’ai envie de cela autant que j’aimerais disparaître à nouveau dans ma cachette. Les contradictions s’emmêlent aussi rapidement que sa main vient trouver la mienne. Le contact de sa peau chaude contraste avec le malaise qui me prend, entre souffle coupé et cœur prêt à exploser. « Aujourd’hui ? » - « Le commissariat est au bout de la rue. » Je n’avais pas réellement choisi ce café parce que l’on me l’avait conseillé ou bien pour sa décoration incroyablement cosy, mais bien pour sa situation géographique. Juste assez près pour me retenir de fuir dans la direction opposée, mais encore assez loin pour tout remettre en question. « Tu prends la bonne décision. Je suis fière de toi. » Jamais je n’ai douté du soutien qu’elle allait me présenter. Megan a toujours promis qu’elle serait là, quoique je décide, qu’importe le temps que cela prendrait. Sa main, qui serre la mienne, me permet de m’ancrer dans le moment quand je cherche désespérément à me raccrocher à cela : sa présence à mes côtés. « Shiloh… C’est ce qu’il faut faire… » - « Je sais. » J’ai conscience que les actions de Lawrence ne doivent pas rester impunies, mais j’ai également conscience de tout le reste. De sa notoriété et de ceux qui voudront tout dénigrer. Ceux qui vont vouloir fouiller mon passé, ceux qui ont vu les photos et qui rappelleront qu’avec un tel comportement, je l’avais probablement bien mérité. Ce sont eux, le monde extérieur, la gent masculine emplie de toxicité, prêt à soutenir n’importe quel homme au nom d’une solidarité bidon qui me font trembler et qui m’empêche d’avancer. « Tu es sûre que tu es prête ? » Non. Je ne suis sûre de rien et le fait qu’elle questionne cela ne fait que s’accroître le sentiment qu’en réalité rien de bon ne pourra aboutir d’une plainte déposée. « Personne ne va me croire. » Il n’existe aucune preuve de tout le harcèlement dont il a été capable, des gifles qu’il a su m’administrer et de toutes les fois où il m’a humilié, forcé à faire ce que je ne voulais pas. C’est sa parole contre la mienne. Le chanteur, enfant du pays, un brin connu contre la petite blonde insignifiante qu’il a su amadouer avec son charme inégalé. « Je veux plus avoir peur de lui, Megan. » Elle sait, à quel point il a su s’insinuer dans ma vie, sous ma peau, au point de me faire sursauter pour tout et n’importe quoi, au point où je ne supporte plus que l’on me touche sans prévenir et où les cauchemars hantent désormais mes nuits. Je refuse de tout lui laisser ainsi, j’ai besoin qu’il sache que je ne pourrais plus jamais cautionner ses actes.

Mes doigts glissent sur le poignet de mon amie afin de trouver le point où pulse son rythme cardiaque. J’en ai besoin pour me calmer, pour me recentrer, alors que je m’apprête à révéler quelque chose dont je n’ai jamais parlé auparavant. « Il y a quelques jours, je suis tombé sur une émission qui parlait de… » Ma gorge se serre à mesure que ma voix se transforme en murmure. « Le thème, c’était les violences conjugales et une femme à parler de viol conjugal. » Je n’avais jamais entendu ce terme auparavant, je n’avais même pas conscience que cela pouvait exister et pourtant au fur et à mesure du témoignage, j’ai lentement réalisé que bons nombres des points évoqué correspondait à ce que j’avais pu vivre. Il était mon petit-ami, pour moi, cela voulait dire faire des concessions même les soirs où je n’avais pas envie de cela, même quand je ne supportais pas la façon qu’il avait de m’embrasser ou la domination qu’il mettait dans nos rapports. « Je n’en avais pas conscience avant de voir cette émission. » Je n’avais pas réalisé, avant, que sans mon réel consentement tout cela s’apparentait à une agression. Incapable de croiser son regard, je continue à serrer sa main, essayant de faire disparaître cette boule qui me compresse la poitrine. « Il peut pas s’en sortir comme ça encore une fois. » Il y avait eu Lucia, puis moi et il doit déjà exister une remplaçante et cette idée me rend malade bien plus que la peur qui me tord le ventre dès que l’on évoque son prénom. « Je voudrais pouvoir dire que ce n'était pas normal et qu'il m'a fait du mal, mais je pourrais pas le faire sans toi Megan, j’en serais pas capable. » J’ai besoin de son soutien autant que de cette dernière impulsion qui me manque pour enfin franchir le pas. Elle sait tout désormais, si elle avait déjà eu des récits détaillés, je viens de lui livrer mon dernier secret.

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Megan Monroe & @Shiloh Atkins

Tandis que je raconte mes souvenirs de lune de miel comme une idiote avec des yeux en forme de cœur - je joue bien mon rôle - nôtre goûter prend une toute autre tournure, une bien plus inattendue. Bien sûr, j’ai déjà eu de longues conversations avec Shiloh à ce sujet mais, en temps normal, je parle et elle se referme comme une huître dès qu’il est question de forcer son ex à répondre de ses actes. Si j’écoutais mes plus bas instincts, j’opterais pour une solution bien plus violente et moins légale mais c’est de Shiloh qu’il est question et, soyons honnête, j’aurais toutes les chances de me faire refaire le portrait si je m’en prenais à ce type. « Le commissariat est au bout de la rue. » Je hoche la tête, prenant conscience qu’il ne s’agit pas d’une pulsion, elle y a réfléchi. « Tu voulais pas pouvoir te défiler. » Ce n’est pas une question : je connaîs assez Shiloh pour savoir que je vise juste. Si elle m’a demandé de venir, si elle a choisi un endroit aussi proche, c’est pour ne pas faire marche arrière.

« Personne ne va me croire. » - « Bien sûr que les gens te croiront. » C’était peut-être vrai il y a quelques années de ça, mais aujourd’hui, les consciences ne sont-elles pas plus éveillées ? Le mouvement me too n’est-il pas supposé avoir libéré les langues et fait progresser la société sur la condamnation de ce genre d’agression et d’abus ? J’ai envie d’y croire à 100% Mais Lawrence est un golden boy, le genre petit chéri d’Australie et je sais qu’elle va morfler. Je ne peux pas l’éviter, même si je voudrais pouvoir en être capable du plus profond de mon cœur. « Je veux plus avoir peur de lui, Megan. » Je hoche la tête, gravement. Que répondre à ça ? Même si ce sera difficile, je sais qu’elle prend la bonne décision, celle sur laquelle je l’ai encouragée à réfléchir depuis des mois. « Il y a quelques jours, je suis tombé sur une émission qui parlait de… » Ses doigts tremblent dans les miens et j’appréhende ce qu’elle va m’avouer. « Le thème, c’était les violences conjugales et une femme à parle de viol conjugal. » Mon visage se décompose puisque je comprends avant qu’elle n'ait besoin de rajouter quoi que ce soit. Je savais que son ex était un salaud. Et au fond, je savais qu’il y a plus sous la surface que ce que la demoiselle m’avait avoué jusque là. Pourtant, je suis prise d’une envie de meurtre, une comme j’en ai rarement eue. « Je n’en avais pas conscience avant de voir cette émission. » Je serre ses doigts un peu plus fort dans les miens en respirant bruyamment, mes narines se gonflant et se dégonflant en témoignage de ma colère. « Je vais le tuer. » Et à cet instant, je le pense de toute mon âme. Si Lawrence était là, face à moi, il n’y a rien qui m’empêcherait de lui faire payer ce qu’il a fait à la blonde, pas même la perspective de moisir en prison. « Il peut pas s’en sortir comme ça encore une fois. » - « Je te jure que je vais le tuer. » J’imagine déjà toutes les manières dont je peux le faire. Les plus créatives font intervenir ma fidèle batte de baseball et, dans toutes, j’explose sa cervelle contre un objet contondant. « Je voudrais pouvoir dire que ce n'était pas normal et qu'il m'a fait du mal, mais je pourrais pas le faire sans toi Megan, j’en serais pas capable. » La tristesse de la blonde me frappe en plein fouet et j’en oublie ma colère pour me concentrer sur elle, uniquement pour elle puisque je souffre avec elle. « Shiloh, rien de tout ça n'était ta faute. » Et c’est lamentable que je sois obligée de le lui rappeler. « Si je te le dis, c’est parce que des gens prétendront le contraire. Des groupies, des anonymes cachés derrière leur écran d’ordinateur. » Et je les hais déjà tous. « Mais tout ça, c’est lui. Ça n'a rien à voir avec toi. C’est parce que c’est une ordure, pas à cause de quelque chose que t’aurais dit ou fait. Pas non plus parce que t’es trop ceci ou cela. » Mais les mots lui feront mal, je la connais assez pour le savoir. « Je suis désolée. Et moi je suis là à te raconter tous les détails de ma lune de miel… » Et à la prétendre plus idyllique qu’elle ne l’a été. « Bien sûr que je reste avec toi. » Je hoche la tête avec vigueur, en serrant sa main dans la mienne. « Tu as répété ce que tu allais leur dire, dans ta tête ? » Elle n'est pas du genre à improviser. Pourra-t-on demander à voir une femme, plutôt qu'un homme ? Je sais que ce genre de détail aura de l'importance pour ma fragile amie.

« Tu voulais pas pouvoir te défiler. » Le fait qu’elle affirme sans même questionner valide par mille fois ma décision d’entreprendre cette démarche avec Megan et personne d’autre. Au sein du petit cercle de gens qui m’entourent, elle reste celle qui me connaît le mieux, celle pour qui a toujours su que quelque chose clochait sans jamais pour autant insister a vouloir connaître la vérité. Je l’avais trahi comme beaucoup d’autres auparavant, mais elle avait su trouver en elle la volonté de me reprendre à ses côtés. Depuis le premier jour, elle sème les graines visant à m’insuffler le courage nécessaire, la volonté intrinsèque de dénoncer pour mieux accepter, pour enfin avancer délester du fardeau qui était devenu mien. Tout pèse encore si lourd sur mes épaules, et même si je parais déterminé, le moindre souffle de sa part, m’entraîne à penser que ce n’est peut-être pas une si brillante idée de vouloir se dresser contre un homme tel que Lawrence. « Bien sûr que les gens te croiront. » J’en doute tellement pourtant. La parole des femmes n’a de cesse que de se libérer des diktats patriarcal imposées par une société bien trop souvent misogyne enclin à croire que le sexe féminin se voudra à jamais inférieur. Il y en a des femmes courages, de celle qui dénonce haut et fort, qui reprenne pleine possession de leur corps et de leurs destins. Je les admire sans faille, m’inspire de leur discours sans n’avoir de cesse que de comparer leurs douleurs aux miennes. Tout me paraît toujours bien plus important, bien plus grave chez les autres. Ce n’était que deux gifles, ce n’était que quelques rapports forcés et des paroles déplacées. À chaque seconde, je minimise quand bien même les événements, mes proches, et même des inconnus soulignent par cent fois à quel point tout cela n’avait rien de normal et qu’en rien tout ce qu’il a pu faire ne devait se rapporter à de l’amour. Alors, j’ose à nouveau. J’inspire et balance la dernière vérité, celle que je n’avais jamais avouée, celle dont je venais tout juste de prendre conscience. Megan doit s’avoir, elle est l’unique personne à qui je souhaite véritablement tout confier quand bien même son visage se tord de colère et que la pression de sa main sur la mienne s’ancre dans une volonté de calmer la pulsion qui la gagne. « Je vais le tuer. » Toute sa haine envers lui se diffuse entre ces quelques mots. Jamais je n’avais vu Megan dans un tel état, prête à bondir, capable du pire pour me protéger. « Je te jure que je vais le tuer. » - « Non, tu ne vas pas faire ça. » J’aurais aimé que mon ton sonne aussi ferme que le sien, que ma voix l’informe de la fermeté de mes propos, mais tout se dissimule derrière quelques tremblements que je cherche à compenser en plantant mon regard dans le sien. « J’ai besoin de toi à mes côtés, pas derrière les barreaux. » Jamais je ne douterais des capacités de Megan lorsqu’il s’agit de revanche. Elle est capable de tout et probablement même du pire, cela n’a rien de quelques paroles imagées. « Il n’en vaut pas la peine. » Ce n’est pas ce que je cherche.

Sans vouloir faire de ma personne une priorité, sans désir de vouloir être égoïste, j’ai besoin d’entamer cette démarche pour moi. Pour punir mon ex petit-ami dans un sens, mais surtout pour que l’on m’en entende, pour enfin comprendre que je suis une victime dans tout cela. Rien de plus. « Shiloh, rien de tout ça n'était ta faute. » J’ai besoin de croire en cela, besoin que l’on valide mes ressentis, je ne pourrais pas avancer sans. « Si je te le dis, c’est parce que des gens prétendront le contraire. Des groupies, des anonymes cachés derrière leur écran d’ordinateur. » - « Et sa voix qui hurle sans cesse dans un coin de ma tête. » Qu’importent les mois qui défilent son influence est toujours aussi importante, chaque remarque, chaque humiliation se jouent comme un vieux refrain de manière complètement aléatoire, mais bien trop insistant et diablement entêtant. « Mais tout ça, c’est lui. Ça n'a rien à voir avec toi. C’est parce que c’est une ordure, pas à cause de quelque chose que t’aurais dit ou fait. Pas non plus parce que t’es trop ceci ou cela. » Je m’efforce de la croire, d’enregistrer le moindre de ses mots pour insuffler tout le courage qu’il me faut pour ne pas abandonner, pour ne pas m’enfuir en courant de ce café. « Je suis désolée. Et moi, je suis là à te raconter tous les détails de ma lune de miel… » Je secoue la tête en souriant. « Ne t’excuse pas, c’est moi qui aie demandé la première. » J’avais besoin de la distraction quelques minutes pour trouver mes mots, pour oser les énoncés à voix haute surtout. « Bien sûr que je reste avec toi. » Et dans le fond, c’est bien tout ce que je voulais entendre.

La main de Megan ne lâche jamais la mienne, son emprise me permet de ne pas laisser les pensées négatives m’envahir. Elle me donne toute sa force sans même s’en rendre compte. « Tu as répété ce que tu allais leur dire, dans ta tête ? » Elle me connaît si bien surtout. « Un peu. » Le mensonge est presque évident quand cela fait trois jours que je répète devant le miroir de ma salle de bain. « Mais j’ai l’impression de ne jamais trouver la bonne formulation ou de partir dans des détails insignifiants. » J’ai besoin que l’on m’entende dès la première fois quand je serais parfaitement que je n’aurais jamais le courage de recommencer une seconde fois. « J’ai mon ancien téléphone dans mon sac, il y a plein de messages. Je les ai jamais relus, mais je sais ce qu’il m’envoyait. » Des phrases humiliantes, quelques menaces à peine déguisées. « Ce n’est pas vraiment des preuves, il savait tellement faire pour être cruel que lorsque l’on était que tous les deux. » A la fin, il avait tellement refermé le cercle, qu’il ne restait plus que nous. « Des exemples, j’en ai plein, mais c’est trouver les mots… » Ma gorge se serre lentement. « Je sais dire ce qui n’allait pas, mais je m’entends toujours finir par atténuer sa faute. » Est-ce que l’on me prendra au sérieux si je me sens presque incapable de marteler mon propos. « C’est peut-être trop tôt encore… »

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Megan Monroe & @Shiloh Atkins

« Non, tu ne vas pas faire ça. » Ah pourtant, si je décidais réellement de faire regretter directement à Lawrence ses actes, ce n’est pas la douce Shiloh qui pourrait m’en empêcher. Mais pour l’instant, la menace n’est que rhétorique puisqu’au fond, tout au fond, je promets que je suis consciente que ce n’est pas la solution. « J’ai besoin de toi à mes côtés, pas derrière les barreaux. Il n’en vaut pas la peine. » - « C’est ce qu’il mériterait. » Même si, dans un sens, le faire lui assurerait un statut martyre et tout ce qui va avec, sur l’instant la haine que je ressens pour ce type que je n’ai rencontré qu’à de rares occasions me dicte le contraire.

« Et sa voix qui hurle sans cesse dans un coin de ma tête. » - « Tant que la tienne le fait pas. » Parce que je la connais Shiloh. Elle n’est jamais bien loin de se rendre responsable de fautes qu’elles n’a pas commises alors qu’aucune ne justifierait de toute façon une telle agression. Je suis contente qu’elle ait réussi à prendre conscience de ce qu’il lui a fait. Le terme de viol conjugal est fort et j’espère qu’avec cette prise de conscience, elle ne sera plus jamais tentée d’échanger les rôle et de faire de Lawrence la victime et elle la coupable. « Quand il apprendra que tu as porté plainte, il deviendra agressif et il essaiera de te faire faire marche arrière. Faut pas que tu le laisses prendre l’ascendant sur toi. Et moi, je serai toujours là pour te protéger. » Je n’habite plus avec elle, mais j’espère qu’elle a conscience que mon domicile sera toujours un refuge pour elle, quelle que soit la personne avec laquelle j’habite.

« Un peu. » Je lâche pas sa main, parce que je suis certaine qu’elle a beau avoir répété, elle paniquera au dernier moment. Elle panique peut-être même déjà. Sa main qui tremble dans la mienne me donne une confirmation dont je n’avais pas besoin. « Mais j’ai l’impression de ne jamais trouver la bonne formulation ou de partir dans des détails insignifiants. » - « Y’a aucun détail qui est insignifiant. Pas si toi tu trouves ça important. » Et parce qu’aucune insulte, aucune phrase dure ne l’est vraiment. Elles participent toutes à un ensemble destructeur, voué à réduire sa confiance en elle et toute envie de se rebeller à néant. « J’ai mon ancien téléphone dans mon sac, il y a plein de messages. Je les ai jamais relus, mais je sais ce qu’il m’envoyait. » - « T’as bien fait de les garder. T’auras qu’à leur confier ton téléphone, et t’auras jamais à les relire. » Je ne précise pas que, si le cas est porté au tribunal, elle devrait certainement écouter un avocat le faire à voix haute devant une foule de témoins. « Ce n’est pas vraiment des preuves, il savait tellement faire pour être cruel que lorsque l’on était que tous les deux. » - « Hey, Shiloh… » Je caresse ses doigts. « Y’a pas de petite agression verbale. » Et ces messages, elle a bien fait de les conserver. Si elle l’a fait, cela prouve au moins qu’au fond, elle avait conscience que rien n’était normal dans la façon dont il la traitait. « Des exemples, j’en ai plein, mais c’est trouver les mots… » Je hoche la tête, compréhensive. « Je sais dire ce qui n’allait pas, mais je m’entends toujours finir par atténuer sa faute. C’est peut-être trop tôt encore… » - « Fléchis-pas. » Je suis douce, mais ferme. « Tu m’as demandé de venir pour t’empêcher de faire marche arrière, tu te souviens ? » Ce n’est pas trop tôt, ça a même assez duré. Au delà du fait que je suis convaincue que la blonde en a besoin pour tourner la page, je pense à ces filles qu’il continue peut-être à agresser. « T’as pris une décision courageuse. T’as contacté un avocat ? Tes parents pourraient peut-être t’aider à en trouver un. » Et à financer ses services. Sinon, j’utiliserai l’argent de mon pourri de beau père à bon escient, pour une fois. « Je vais aller payer maintenant, et on va y aller avant que tu fasses marche arrière. » Je lui adresse un sourire doux, avant de lâcher sa main et de me redresser. « Tu fuis pas, ok ? »

« Quand il apprendra que tu as porté plainte, il deviendra agressif et il essaiera de te faire faire marche arrière. Faut pas que tu le laisses prendre l’ascendant sur toi. Et moi, je serai toujours là pour te protéger. » N’est-ce pas ce qui m’effraye le plus dans cet élan de courage ? Au plus profond de moi, je sais ce que je veux, vouloir faire entendre ma voix, m’assurer à ma petite échelle que tout sera fait pour qu’il ne recommence pas. J’ai tellement réfléchi à tout cela, retourner la situation dans tous les sens, que désormais je sais avec force que sans cette étape, je ne pourrais jamais aller de l’avant. Déposer plainte revient à dire stop, à prendre un souffle avant de laisser tomber les barrières pour mieux se défaire du poids qui ne cesse de me tirer vers l’arrière. J’ai besoin de le faire, pour respirer un peu mieux, pour me projeter dans l’avenir. Mais le poids est encore présent, comme si la main de Lawrence était plaquée sur l’arrière de mon crâne de manière constante, pour mieux me mettre la tête sous l’eau, pour m’asphyxier dans cette peur qu’il a su influer sur moi. Je suis terrorisé par son agressivité. « J’essaye de me détacher de lui. » Mes mots résonnent comme une promesse, seul reflet de cette guerre constante que je livre à moi-même.

J’essaye de toutes mes forces quand le temps a enfin fait son affaire et que désormais, il me paraît évident que tout cela n’avait absolument rien d’une relation saine. À chaque jour, je me rappelle à quel point il avait su m’éloigner de mes proches, combien il avait eu d’emprise sur ma personne au point d’en modifier mon apparence et ma personnalité. Dans un coin de mon esprit, il existe cette liste qui me rappelle sans cesse tous les points négatifs qui n’arriveront jamais à contrebalancer les quelques moments de bonheur qu’il avait su m’accorder au cours de notre relation. « Y’a aucun détail qui est insignifiant. Pas si toi, tu trouves ça important. » Les mots ont tous eu leur importance, ceux qu’il murmurait avec le sourire, autant que ceux qui m’étaient dit sur un ton froid et détaché. « T’as bien fait de les garder. T’auras qu’à leur confier ton téléphone, et t’auras jamais à les relire. » Elle sait à quel point, je veux me débarrasser de tout cela, laisser le poids des souvenirs sur le bureau d’un policier pour ne plus avoir à gérer cela seule. Pourtant, je continue à minimiser, à me demander si tout cela sera suffisant. Les preuves sont en réalité minimes par rapport à tout ce qu’il a su me dire pour mieux me dénigrer, jusqu’à venir implanter l’idée, dans un coin de ma tête, que je ne serais jamais assez bien pour qui que ce soit. « Y’a pas de petite agression verbale. » Pour elle, mais est-ce que ce sera également le cas pour les autorités compétentes ? Je doute de tout, à chaque seconde, mon palpitant s’emballe oscillant entre l’envie d’aller au commissariat dans la seconde et celle de fuir loin de cet endroit pour aller me réfugier dans l’appartement de Trent. Mes pensées tournent à vive allure au point de m’en donner le tournis, j’étais sûre de mon idée et voilà que notre conversation est venue réimplanter tous mes doutes, les rendant encore bien plus réels. « Fléchis-pas. » Alors retiens-moi, Megan. « Tu m’as demandé de venir pour t’empêcher de faire marche arrière, tu te souviens ? » Je hoche la tête avec vigueur. « Je saurais pas faire sans toi. » Il est indéniable que sa seule présence m’insuffle un courage totalement différent. Avec elle à mes côtés, je me sens capable. Tout simplement. « T’as pris une décision courageuse. T’as contacté un avocat ? Tes parents pourraient peut-être t’aider à en trouver un. » Je grimace à l’évocation de mes parents, le sujet est épineux. « Ils ne savent pas tout. » En réalité, ils ne savent rien, ou presque. Je n’ai pas su dire à mon père qu’un homme avait brisé sa fille, je n’ose évoquer avec ma mère les souvenirs de ce que Lawrence a pu dire ou faire. Des fois, je me dis que Nathan ou Louisa en ont forcément parlé à ma place et pourtant personne n’aborde le sujet. « Je vais en parler à Louisa, peut-être qu’elle pourra m’aider. » Il faut avouer qu’à trop ruminer dans mon coin, à trop me demander si j’allais oser le faire ou pas, je n’ai pas réellement envisagé l’après, quand il faudra que l’affaire soit portée en justice et que je vais devoir me faire épauler par un avocat. « J’ai pas tout prévu, tu vois… » Je n’avais pas la tête à cela, mais j’ose imaginer que je pourrais m’en soucier juste après, quand déjà, je me serais retrouvé en face d’un policier habilité à prendre en compte ma plainte. Une étape après l’autre.

« Je vais aller payer maintenant, et on va y aller avant que tu fasses marche arrière. » Elle me connaît par cœur, Megan. Si l’on continue à discuter, à faire perdurer le doute, je vais me dégonfler et sa présence ne pourra plus rien y changer. « Tu fuis pas, ok ? » Un hochement de tête et je la regarde s’éloigner pour se rapprocher du comptoir. Je ne compte pas fuir, mais il est hors de question que je me retrouve seule avec mes idées. J’abandonne sur la table le latte à moitié consommé, préférant me rapprocher de la blonde pour mieux sentir sa présence. Elle est là, elle me sourit fièrement et ça va aller. Chaque pas en dehors du café me semble plus lent que le précédent, l’atmosphère devient lourde autour de moi, comme si le soleil tapait plus fort qu’à son habitude ou que la foule se voulait bien plus compacte dans la rue pourtant toujours animée. À la recherche de soutien, ma main vient trouver celle de Megan, je serre mes doigts autour des siens, priant pour que jamais elle ne lâche mon étreinte.

Mon choix s’était voulu stratégique quand il nous faut que quelques minutes pour rejoindre le parvis du poste de police. Et mon souffle se coupe, mes mains deviennent moites à réaliser l’épreuve qui m’attend. Mon ventre se tord à en faire des nœuds, à hurler à tout mon corps de fuir dans la direction opposée. « Juste une minute. » Une petite minute pour souffler, pour me dire que ça va aller. « Tu crois que je peux demander à parler à une femme ? » Ce serait tellement plus simple… « Faut que tu restes avec moi. » Même si je ne me fais aucune illusion et qu’ils vont probablement me refuser la compagnie de Megan.

a drop in the ocean
Megan Monroe & @Shiloh Atkins

« J’essaye de me détacher de lui. » Oh qu’elle fait mal au coeur cette phrase. Elle fait mal au coeur parce qu’elle essaye, alors que leur rupture date d’il y a plus d’un an et qu’il s’est conduit avec elle comme le pire connard qui existe sur terre. Elle fait mal au coeur parce qu’elle sous-entend qu’elle y est encore clairement attachée et si je n’adresse aucun reproche ou aucune critique à la blonde, je hais son ex encore plus - si c’était encore possible - puisqu’il a gardé une telle emprise sur elle depuis tout ce temps, et qu’il ne le mérite pas.

« Je saurais pas faire sans toi. »
« T’auras pas à faire sans moi. »

Parce que j’ai prévu d’aller nul part. Parce que j’ai pas l’intention de la laisser et que, si on me refuse l’accès au bureau de l’inspecteur qui prendra sa plainte, j’attendrais six heures dans la salle d’attente s’il le faut. Malgré tout, je ne suis peut-être pas la personne dont elle a besoin à ses côtés puisque, rapidement il faudra quelqu’un qui a de l’expérience et qui sait gérer ce genre de situation. Il lui faudra un avocat qui n’a pas peur de la défendre elle, l’inconnue, face au petit chéri d’Australie. « Ils ne savent pas tout. » Je grimace, et je caresse doucement ses doigts du bout des miens. « Tu leur a toujours rien dit ? Ils savent quoi, exactement ? » Je ne connaîs pas bien les parents de Shiloh. Ce que je sais en revanche, c’est qu’ils ont toujours été très gentils avec moi, et n’ont jamais posé la moindre question lorsque je passais des week-end entier chez eux alors que je n’étais encore qu’une adolescente. Ils n’ont jamais demandé si mes parents étaient d’accord ou pourquoi j’avais parfois si faim. Peut-être savaient-il dans quel genre de d’endroit je vivais, peut-être ont-ils simplement décidé de faire confiance à leur fille et de m’accueillir les yeux fermés. « Je vais en parler à Louisa, peut-être qu’elle pourra m’aider. » Je hoche la tête doucement. « J’ai pas tout prévu, tu vois… » - « Je peux t’aider tu sais. » Pour l’avocat, en plus du reste. « Je peux demander à mon beau-père. Je suis certaine qu’il a des contacts et qu’il saura me conseiller quelqu’un. » Un requin, sans nul doute. Des gens qui lui doivent des faveurs, il en a certainement des tas. « Et je peux te prêter l’argent, si tu veux pas en parler à tes parents.» Parce qu’un bon avocat c’est cher, très cher, mais qu’aujourd’hui je suis définitivement à l’abri du besoin. « Refuse pas. Je veux t’aider, je peux le faire maintenant. » Pour toutes ces années où c’est elle qui m’a tendu la main.

Les cafés que nous venons d’avaler sont vite payés et, lorsque nous prenons la direction du comissariat, Shiloh attrape ma main. Je serre ses doigts de toutes mes forces pour lui donner un peu de courage, avant de lui adresser un sourire silencieux. Sur le parvis de l’institution de loi, elle s’arrête, et je ne suis pas surprise. « Juste une minute. » - « Respire. Tu vas y arriver. Tu explique calmement, puis tu te laisse guider par les questions. T’es là pour déposer une plainte, c’est pas un procès. » Le rôle des inspecteurs de police aujourd’hui, c’est simplement de l’écouter, de poser des questions pour éclaircir mais aucunement de remettre sa parole en doute. J’espère que personne n’osera le faire… « Tu crois que je peux demander à parler à une femme ? » Je hoche la tête doucement. « Faut que tu restes avec moi. » - « On verra si je peux. Sinon je t’attendrai le temps qu’il faut. » Je pousse doucement la porte en entraînant la blonde avec moi. Les quelques personnes qui attendent devant nous passent en quelques minutes et, à plusieurs reprises, je sens la volonté de mon amie vaciller. A chaque fois, je serre sa main un peu plus fort. Lorsque c’est à nous, je vois la blonde blanchir, et je prends les devants. « Bonjour. Mon amie aimerait déposer une plainte pour violences et abus. » Heureusement, l’officier qui me fait face est une femme. J’espère que c’est elle qui nous recevra. D’un regard, j’encourage Shiloh à approcher. « Et vous mademoiselle ? Vous êtes ? » - « Comme sa soeur. Je reste avec elle, si c’est possible. » L’officier m’observe quelques secondes, avant de hocher la tête, et de nous donner un dossier à remplir dans la salle d’attente. Shiloh m’y suit en silence et, alors que je m’assieds sur une chaise parfaitement inconfortable, mon amie sur les talons, je réalise qu’elle semble à peine respirer. « Tu vas y arriver. Je le sais. »

« Tu leur a toujours rien dit ? Ils savent quoi, exactement ? » La grimace qui vient troubler ses traits trahit son inquiétude. Je devrais en parler à mes parents, je devrais leur expliquer les véritables raisons de mon changement de comportement. Oh, j’ai essayé. Plusieurs fois, de manière bien différentes, mais c’est toujours la même chose, je me dégonfle une fois arriver chez eux. Je redoute tellement la réaction de mon père qui se voudrait, probablement, bien plus violente de celle que Megan vient tout juste d’avoir. Je pense savoir la raisonner elle, mais mon père… Personne ne pourra lui faire entendre raison lorsqu’il aura compris tout ce qui a bien pu se dérouler à Sydney. « Ils savent que j’avais un copain, que l’histoire ne s’est pas vraiment bien terminée. » Ils doivent probablement penser qu’il avait fini par me tromper, mais guère plus. « Je leur ai dit que je n’arrivais pas à m’épanouir là-bas, que je m’étais trompée et que j’ai besoin d’être avec vous tous. » Cela leur avait suffi visiblement, le mensonge n’était qu’à moitié faux, je m’étais sentie cruellement abandonné dans cette ville immense et loin de mes repères. Alors, mes parents savent le minimum, ce qui leur permet de croire à mon retour sans questionner mon manque d’enthousiasme et mes absences répétées au classique repas dominical. Je crois, surtout, que Louisa joue un rôle important dans tout cela. Je sais que je peux me tourner vers elle, que malgré notre communication parfois un peu bancale, elle sera là pour me soutenir dans ma décision. « Je peux t’aider tu sais. » Mes sourcils se froncent tandis que je relève enfin mon visage pour mieux lire les traits de mon amie. « Je peux demander à mon beau-père. Je suis certaine qu’il a des contacts et qu’il saura me conseiller quelqu’un. » Elle est en train de réfléchir à toute allure Megan, pour m’offrir un véritable éventail de solutions qui viendront valider mon envie d’aller de l’avant. « Il doit connaître que des avocats hors de prix. » Son beau-père est quelqu’un d’important, quelqu’un qui a de l’argent et une réputation dans un milieu intransigeant. « Et je peux te prêter l’argent, si tu veux pas en parler à tes parents. » Elle n’a pas le temps de finir sa phrase que mes joues sont déjà en train de se teindre d’une variation de rouge tandis que mes lèvres cherchent à formuler toutes les négations possibles. « Refuse pas. Je veux t’aider, je peux le faire maintenant. » Je l’entends déjà avancer l’argument des années passées, de l’importance de notre amitié. « C’est vraiment gentil Megan, mais… » Mais se serait si mal venu de rejeter son aide quand elle n’a de cesse de l’offrir depuis mon retour faisant passer aux oubliettes mon absence prolongé à ses côtés. « On en reparlera plus tard ? » que j’offre alors sur un ton quelque peu hésitant. « Je ne sais même pas vraiment comment tout cela fonctionne. » Je n’ai mis les pieds dans un commissariat qu’une seule fois dans ma vie et c’était pour ramener un portefeuille que j’avais trouvé par hasard dans la rue. Je n’ai jamais eu à faire avec la justice et c’est un tout nouveau, et effrayant, monde qui semble m’attendre après la plainte.

L’intention ne faiblit pas, je suis déterminée à porter plainte aujourd’hui, qu’importe le temps que cela pourrait bien prendre pour gravir les marches du parvis ou bien pour m’avancer jusqu’à l’accueil. L’éternelle pression des doigts de Megan entre les miens m’ancre à l’instant présent, ne laissant jamais la chance à mes sueurs froides de gagner trop de terrain. « Respire. Tu vas y arriver. Tu expliques calmement, puis tu te laisses guider par les questions. T’es là pour déposer une plainte, c’est pas un procès. » Je viens pour raconter, n’exposer que les faits, je n’ai pas à me justifier, je ne dois pas diminuer ses actions. Les mots se répètent tel un mantra un peu fou, les intentions se mélangent parfois, mais je me refuse à faire demi-tour. « On verra si je peux. Sinon je t’attendrai le temps qu’il faut. » - « Okay. » C’est la promesse qu’elle sera toujours là et cette détermination dans son regard qui me pousse à tirer légèrement sur sa main pour l’amener avec moi vers l’entrée.

Au final, c’est l’attente qui vient sournoisement grignoter ma détermination. À me balancer sur mes pieds, je manque de perdre l’équilibre à plusieurs reprises, telle une enfant instable sur ses appuis. Il ne reste qu’un homme avant nous et tout ce que je souhaite, c’est de partir, j’ai chaud au point d’en transpirer de manière excessive. Les nœuds dans mon estomac ne cessent de se faire et de se défaire, mais jamais Megan ne flanche. Pour moi, elle devient un phare dans la tempête et je me promets mille fois de lui rendre la pareille au centuple. « Bonjour. Mon amie aimerait déposer une plainte pour violences et abus. » Le reste de la conversation se veut inaudible tant, les pensées m’assaillent. La gardienne de la paix connaît désormais la raison de notre présence, les mots se posent lentement, quelqu’un extérieur à mon entourage va entendre mon histoire. Mon rythme cardiaque s’approche de la tachycardie à mesure que l’on s’approche de la salle d’attente. Je vais probablement mourir, juste ici, installer sur une chaise inconfortable et bouffer par les regrets. « Tu vas y arriver. Je le sais. » Mon hochement de tête se veut instinctif quand je suis à peine persuadée d’avoir réellement saisi les mots prononcés par la photographe. Entre mes mains, se trouve le papier à remplir et après quelques tentatives, je finis par réussir à tenir le stylo entre mes doigts sans trop trembler. J’inscris les premières informations, mais la moindre réflexion semble me demander un effort surhumain. Je me retrouve épuisée au bout de trois lignes, prête à fondre en larmes pour un détail tout ce qu’il y a de plus insignifiant. « C’est quoi mon numéro de téléphone déjà ? » Ainsi, Megan m’aide à inscrire toutes les informations sur le formulaire.

L’attente me semble durer une éternité. À plusieurs reprises, j’ouvre la bouche pour demander à Megan de me ramener à la maison, mais à chaque hésitation et comme si elle lisait dans mes pensées, la blonde viens poser sa main sur ma cuisse. Alors lorsqu’une agente se présente à nous, je me lève pour ne plus jamais reculer, mon amie de toujours suivant mes pas à la trace.

***

Il m’a fallu de longues minutes pour trouver la manière la plus cohérente de conter mon histoire. Je me suis perdue dans les détails, j’ai rencontré bon nombre de moments insignifiants pour gagner un peu de temps avant que la femme qui nous recevait prenne conscience de l’ampleur de la situation. J’étais terrorisée à l’idée de raconter cela à quelqu’un, mais l’agent de police Walsh m’a laissé dire les choses à ma façon, ne posant des questions que de temps à autre, laissant parfois Megan me glisser quelques mots pour mieux diriger ma pensée. Je lui ai confié mon ancien téléphone ainsi que mes identifiants pour certaines plateformes de réseau. Avec difficulté, j’ai avoué la violence verbale, les manipulations psychologiques et les coups. Dans ce minuscule bureau, j’ai couché plus d’un an de ma vie, tout ce qu’il a fait et entrepris pour mieux me détruire. Les minutes sont devenues une heure puis deux, avant que je ne sois trop épuisée pour continuer. L’essentiel a été dit et si mes mains tremblent encore, j’ai la sensation d’avoir accompli une étape importante. « Je vais vous demander une signature en bas de la page mademoiselle Atkins. » Pour la toute première fois, je n’hésite pas lorsqu’elle me tend son stylo. Je viens parapher toutes les pages avant de lui rendre ce papier devenu désormais si important. La femme me prodigue quelques derniers conseils, trouver un avocat, ne jamais le laisser reprendre contact avec moi. « Vous pouvez être fière de vous. Maintenant, je m’occupe de faire tout le nécessaire. » Ses mots sonnent telle une victoire, minime mais qui représente déjà tellement. « Merci. »

Lorsque l’on se retrouve à nouveau à l’extérieur, j’ai la sensation de pouvoir mieux respirer et dans la seconde qui suit, je tombe dans les bras de Megan. Je l’étreins avec force cherchant à lui transmettre toute ma gratitude autrement qu’au travers d’un millier de merci. C’est pourtant plus fort que moi et je viens lentement murmurer à son oreille. « Merci d’avoir été là. » Merci pour tout, cent fois encore. « Est-ce que je peux rester avec toi ce soir ? » Je n’aurais pas le courage de me retrouver seule à l’appartement après la journée qui vient de s’écouler. Je me sens vidée, mais avec la sensation d’avoir enfin accompli ce qui me manquait pour entamer un tout nouveau chapitre.