Peut-être que Scarlett reviendra. Peut-être que non. A vrai dire, Lily n’en sait trop rien mais malgré le peu d’amitié qu’elle porte naturellement à la jeune femme brune, elle ne peut s’empêcher d’espérer que cette dernière finira bel et bien par retourner dans les rangs du café. Après tout, elle y travaille depuis toujours et les choses sont différentes en son absence, même Lily s’en rend compte alors qu’elle est loin de travailler quotidiennement dans les locaux. La jeune femme vient aussi souvent qu’elle le peut mais l’endroit a tendance à l’étouffer à ainsi trop lui rappeler la mort d’un mari qu’elle a sincèrement aimé, malgré ce que ses agissements récents - et toujours d’actualité - pourraient laisser penser. Au moins, elle est toujours rassurée à l’idée de retrouver les mêmes figures, même si encore une fois elle n’est pas une fan de la première heure de Deklan ; et lui l’est tout aussi peu d’elle. Ils ont appris à s’apprivoiser et à se côtoyer pour le bien de Matt et c’est aujourd’hui le deuil commun qui les unit, lui pleurant la mort de son ami le plus fidèle et elle de son mari aimant.

Pour autant, il reste son employé. Manager ou non, il n’est pas celui qui dirige ce bar et encore moins celui qui a le plein pouvoir dessus. Si Lily n’abuse pas de son statut, elle le prend cependant très à cœur, raison pour laquelle elle garde éternellement un œil sur ce qu’il se passe au DBD. Elle sait que les employés font bien leur travail mais quelques mises au point de temps à autres n’ont jusque-là tué personne, raison pour laquelle elle ne se fait pas prier pour partager à autrui ce qui lui déplaît dès lors qu’elle l’observe. Pas tyrannique pour un sou, c’est toujours de ses grands yeux clairs et de son sourire de Miss qu’elle partage son point de vue, parvenant ainsi à mieux faire accepter le moindre reproche, surtout alors que la majorité des employés sont des hommes - comprenez ce que vous voulez.

Pour l’heure, c’est à Deklan seul qu’elle dédie son sourire, et il est pour une fois sincère. Ils ont des caractères bien trop différents pour devenir de réels amis mais ils ont su trouver un juste milieu au cours des derniers mois écoulés, faisant d’eux de véritables collègues à défaut qu’ils puissent totalement être qualifiés d’amis. “Tu vas bien ? La journée s’est bien passée ?” Une question pour lui, une autre au sujet du bar. La journée se termine à peine, ils avaient donc prévu de se retrouver pour faire le point. Rares sont les moments où ils arrivent à se croiser, plus encore sont ceux où ils ont réellement le temps de discuter. Alors ils jouent donc aux adultes à ainsi se donner des rendez-vous et Lily de venir avec son stock de papiers en tout genre, largement composé de factures de fournisseurs. “Tu as de quoi noter ? Pour ma nouvelle adresse. J’ai déménagé, si tu as besoin de m’envoyer des papiers ou quoi que ce soit.” Elle a déménagé dans le mois ayant suivi la mort de Matt, en réalité, mais a jugé nécessaire de temporiser l’annonce, surtout alors qu’elle vit désormais avec un homme qui a un jour été son premier amour - mais puisqu’elle n’était qu’une gamine et que ce n’était pas réciproque, cela devrait pouvoir tout excuser. Ce sont sûrement des détails qui n’importent pas Deklan, de toute façon. “J’ai réussi à avoir au téléphone le fournisseur brésilien, on aura le café que Matt voulait.” elle annonce finalement, d’un ton bien différent et éternellement emprunt d’émotion dès qu’il est question du brun disparu.

@deklan lewis

« Tout roule, comme d’hab. »

Alors si tout roule, comme d’hab. Ce n’est pas un vocabulaire familier de Lily, pour ne pas dire qu’elle l’associe à son frère et donc à la représentation même de la décadence (les jours pairs seulement, Alfie a les jours impairs sinon), elle fait pourtant l’effort de ne pas souligner la chose et se contente de penser directement à autre chose. Ce ne sont là que quelques mots pour s’assurer qu’il n’est pas en train de cacher une dépression ou quoi que ce soit dans la même veine, de toute façon: Lily ne le porte pas dans son coeur, mais ce n’est pas non plus ce qu’elle lui souhaite. C’est en mémoire de son défunt mari qu’elle tient à garder l’entente aussi cordiale que possible avec un Deklan à qui elle a donné une partie des rennes du bar. Une partie, seulement. « Et toi ? Comment ça va ? » De ses grands yeux bleus, la jeune femme l’observe revenir auprès de lui, les tasses fumantes en main. Une part d’elle voudrait pouvoir être transparente avec lui et partager tout ce qu’elle ressent mais l’autre se souvient du véritable aspect de l’âme humaine et de la capacité d’autrui à s’immiscer dans des failles aussi béantes. Il n’y a sans doute qu’avec Alfie qu’elle peut encore et toujours reproduire cette même erreur, personne d’autre. “Je suis occupée, c’est une bonne chose.” N’évitant qu’à moitié la question, elle se permet ainsi de lui faire comprendre qu’elle préfère ne pas avoir à se retrouver seule et sans rien à faire pour se remémorer les derniers mois de sa vie - et littéralement ceux de celle de Matt. Il lui manque atrocement, c’est une vérité qu’elle ne saurait camoufler derrière le plus beau des mirages.

Bien décidée à ne pas s’appesantir sur l’éternel même sujet de discussion, la jeune femme rapproche la tasse de thé près d’elle pour informer Deklan de sa nouvelle adresse, lui dictant chiffres et numéro de rue alors qu’il note le tout sur son téléphone. Pour le reste, il n’a pas besoin d’en savoir plus et, le connaissant, il ne penserait sûrement pas à poser plus de questions que nécessaire. Ce n’est pas comme s’ils étaient de véritables amis et qu’il allait s’intéresser à sa vie - elle en ferait tout aussi peu. Il n’y a rien d’étrange dans le fait de déménager pour une femme nouvellement veuve. Sans plus de transition, la jeune femme se permet ausi de lui annoncer qu’ils pourront enfin obtenir les grains de café brésilien que Matt avait tant cherché à obtenir durant les derniers mois de sa vie. « Cool. C’est une bonne nouvelle ça. » Et le sujet fut clos à la seconde même où il avait été ouvert. C’est cool.

« Nous avons commencé l’idée d’une semaine, un cocktail à l’honneur et c’est plutôt prometteur. » Cool se garde-t-elle de répondre avec une ironie amère, quand bien même elle se veut sincèrement intéressée par ce qu’il a à dire et lui apprendre au sujet du bar et de la façon dont il fonctionne dernièrement. Le DBD n’a jamais eu de problème d’affluence mais il ne faudrait pas que les choses changent. “Tant mieux. C’était une bonne idée.” Normal, elle venait de son mari. “Tu as des nouvelles de Scar ?” Scarlett partie dès la mort de Matt, Scarlett qui avait besoin de prendre l’air, Scarlett à qui Lily n’en veut pas le moins du monde mais au sujet de qui elle commence à s’inquiéter au fur et à mesure que les mois s’écoulent. “Je m’inquiète pour elle. Sa place est ici.” Elle confesse sans le moindre mal, ayant au préalable jugé le pour et le contre de ces mots et de la faille qu’elle laisse Deklan entrapercevoir. Le jeu en vaut la chandelle ; elle est sincère.

« Aucune. » Aucune nouvelle de Scarlett Warren, alors. Lily s’attendait à une réponse de la sorte mais elle espérait avoir tort, pour une fois. Elle espérait que leur amitié avait survécu au deuil et qu’ils en étaient ressortis plus soudés que jamais: de toute évidence, il n’y a rien de tout ça. Ils étaient son dernier espoir, lequel elle accuse de voler en éclats à l’instant même, quand bien même Lily pouvait déjà largement se douter que les deux anciens collègues du bar n’étaient plus réellement en contact. Ils continuaient à représenter un certain espoir et, dernièrement, c’est sûrement tout ce à quoi elle pouvait se rapprocher. Lily serre les dents, affichant une mine triste n’ayant rien de surjouée. Elle ne les porte pas nécessairement dans son cœur mais c’était le cas de Matt, alors elle aurait aimé pouvoir apprendre qu’ils étaient toujours heureux et soudés. L’inquiétude de la brune ne semble pourtant pas être partagée par Deklan à en juger par son attitude, l’homme se renfonçant rapidement au fond de la banquette. A ses bras croisés elle oppose l’ouverture des siens, prenant le temps de boire une gorgée de son thé encore brûlant avant qu’il n’ajoute des paroles qui lui déplairont sûrement. « Elle a toujours été la bienvenue. Et elle le sera toujours. Je ne peux pas la forcer à quoique ce soit. » Ce sont des faits, mais elle n’est pas certaine qu’ils soient aujourd’hui suffisants pour qu’elle se sente à l’aise à l’idée de revenir en ces lieux. “Personne ne lui a dit de vive voix.” Pas même elle, lors de la dernière soirée passée avec tous les employés pour célébrer la mort de Matt, puisqu’il n’aurait jamais voulu que tout le monde soit triste dans son entourage. “Elle a besoin de temps pour passer à autre chose, j’imagine.” Mais aux yeux de Lily, le délai est passé. Si elle est allée de l’avant, alors Scarlett devrait en faire de même, parce qu’elle n’était que son amie et non sa femme. Elle doit apprendre à faire le deuil de ses proches, tout le monde meurt un jour, et surtout lorsqu’ils se retrouvent dans l’entourage de Lily Keegan.

Lily se retient d’avancer tous reproches, sachant pertinemment que le lieu est aussi mal choisi que le moment. « Tu as un plan en tête ? » Elle prend de nouveau une gorgée de thé, se donnant quelques secondes de réflexion par la même occasion. “On a jamais vraiment été proches, tu sais. Je ne me vois pas revenir vers elle.” Parce que leurs relations sont on ne peut plus conflictuelles, notamment, et qu’elles ont bien plus de points de friction que d’atomes crochus. Elles étaient liées par Matt et son absence se fait largement ressentir aujourd’hui, tel un trou béant dans leurs poitrines. “Mais si jamais elle revient au DBD, je lui dirai qu’elle a toujours une place ici. Ça te conviendrait ?” Elle ne lui proposera pas le poste de gérant, évidemment déjà occupé par Deklan, mais Scarlett serait une seconde digne de ce nom. Matt lui faisait confiance, comme à beaucoup de monde, mais Lily accepte de faire des efforts en ce qui concerne la brune - à défaut d’en faire autant avec le reste du monde.

« De temps ouais, ça doit être ça. » Elle ne reconnaît pas Deklan dans une telle attitude, si froid et distant envers une personne qu’il apprécie pourtant sincèrement. Lily les voit évoluer ensemble depuis le premier, Deklan et Scarlett, avec Matt aussi à l’époque. Elle les pensait inébranlables, incapables de s’éloigner même dans le deuil. Pourtant, c’est une illusion de plus qu’il fait désormais voler en éclat, n’accordant que peu d’attention à son ancienne amie, ne semblant pas même se préoccuper de son sort. Lily ne dit rien, se contentant pour une fois d’être spectatrice d’une scène qui ne la regarde en rien. Tout ce qui l’importe, c’est que le bar continue d’exister et, avec lui, la mémoire de Matt. Ainsi, elle n’a pas à la porter sur ses épaules, encore moins dans son sillage. C’est la meilleure façon pour Lily d’aller de l’avant et de pouvoir continuer à construire la vie qu’elle désire.

Du bout des lèvres, la brune pose le constat suivant: elle n’a jamais été proche de Scarlett, et cela a beaucoup à voir avec le fait que ni l’une ni l’autre n’aient fait d’efforts en ce sens. Cela a aussi beaucoup à voir avec le fait que Lily est ultra conformiste et que Scarlett aime transgresser les règles pour se sentir vivre. Oh, et cela aussi peut-être un petit quelque chose à voir avec le fait qu’elle ait trompé son mari avec l’ancien meilleur ami de ce dernier, chose qui a été pardonnée par Matt mais pas par aucun de ses amis. Sur ce dernier point, Lily a tôt fait de passer l’éponge et d’agir comme si de rien n’était, le niant volontiers. « Bien sûr. Sa place est ici. » Pourtant, elle le dit elle-même: si elle veut revenir, elle lui ouvrira toujours les portes du bar. Fort heureusement, cela ne sera pas un sujet de dispute entre eux puisque Deklan se montre du même avis, enlevant ainsi un certain poids sur le cœur de l’ancienne infirmière. « Je la connais assez pour savoir que si elle n’est pas encore venue, c’est juste qu’elle n’en a pas envie, ou pas la force. » Pas la force ; telle est l’hypothèse que préfère entendre Lily, telle est celle qu’elle choisira de se répéter par la même occasion. C’est en répétant les choses qu’on finit toujours par les accepter. « Mais la vie continue non ? On ne peut pas tous être faits de pierre. » La jeune femme souffle sans chercher à se cacher, n’ayant aucun mal à comprendre à qui il pouvait bien faire référence avec une telle phrase. “La vie est trop courte pour la passer à se lamenter sur son sort et la mort de Matt nous l’a bien fait comprendre.” Elle a un empire à bâtir, Lily, et ce ne sont pas des accidents de parcours tel la mort de son mari qui pourraient l’en empêcher. Ses ambitions vont bien au-delà du concept de l’amour et si elle a longtemps adapté son rythme au sien, il n’en est désormais plus rien. Elle avance seule, plus fébrile que jamais mais aussi plus rapide. “Comme je l’ai dit, chacun gère la deuil à sa façon, mais tu ne devrais pas te donner le droit de juger qui que ce soit.” Ni elle, ni Scarlett. Appelez ça solidarité féminine si cela vous chante, Joseph et Alfie auraient plutôt eu tendance à s’accorder sur le terme ‘esprit de contradiction’. Peu importe, Lily n’y retrouve là que la fermeté du timbre de voix qu’elle lui impose. “Cela ne le fera pas revenir, de toute façon.” Raison pour laquelle elle a rapidement dû trouver un autre homme avec lequel envisager de fonder une famille.

Sans doute Lily a-t-elle manqué une occasion de se taire en parlant ainsi de Scarlett, elle se serait évitée bien des ennuis et, surtout, beaucoup d’exaspération face à un Deklan bien trop différent d’elle pour qu’elle puisse le comprendre. Ils ne sont plus liés que par la mémoire de Matt et le jour où celle-ci ne sera plus assez importante pour préserver un statu quo, alors elle aura tôt fait de couper les ponts de façon définitive avec lui, art dans lequel elle se trouve être plutôt douée: il n’y a qu’à demander à Joseph. « Je ne juge personne. » Tout le monde juge constamment autrui, la plupart des gens se contentent simplement de garder leurs remarques pour eux. Deklan a fait l’erreur de ne pas le faire alors que Lily, de son côté, n’est en rien douée pour laisser passer les choses et se montrer délicate. La jeune femme a toujours été intransigeante et elle l’est d’autant plus dès lors que le sujet touche de près ou de loin à son mari. Ce n’est pas parce qu’elle n’en porte plus le nom qu’il n’a plus d’importance pour elle, comme beaucoup pourraient le penser.

Il croise les bras, elle se dit déjà que parler papiers avec lui n’est finalement plus si important. Elle n’aurait pas dû venir, ça avait tout d’une mauvaise idée et elle le savait dès le départ: dès lors qu’il n’y a plus Matt pour tempérer leurs échanges, ces derniers sont voués à tourner court. « Tu sais quoi ? Si tu le prends mal, c’est ton problème. Je disais juste qu’on ne pouvait pas tous être comme nous, oui – nous. » - “Ne nous mets pas dans le même panier, Deklan.” Elle menace presque, Lily, de son dos droit et de son attitude de grande dame qui ne semble faiblir devant rien ni personne. Il l’a vu pleurer, il l’a vu triste, et aujourd’hui elle regrette plus que jamais avoir osé lui montrer de tels sentiments, pourtant si souvent enfouis au fond d’elle. « On est du genre à foncer tête baissée, à s’adonner à notre travail pour s’occuper l’esprit et avancer. » Cette fois-ci, Lily ne parlera pas de son désaccord à voix haute. Pour autant, le léger sifflement prenant la forme d’un rire bref suffit à résumer le fond de ses pensées. Il est du genre à foncer tête baissée ; elle ne l’est pas. Chaque action a ses conséquences et elle prend toujours grand soin de les anticiper avant de s’avancer dans une entreprise ou une autre, et il en est de même pour les mots. Deklan est trop émotif, trop sanguin, il agit et se contente d’observer les conséquences ensuite. La seule chose qu’ils pourraient possiblement avoir en commun reste leur dévotion à leur travail, certes, mais ce n’est qu’une question de temps avant que Lily puisse fonder la famille qu’elle a toujours rêvé d’avoir et ainsi s’échappe de cette vision en noir et blanc de sa vie: bientôt, son enfant apportera des nuances de gris dont elle a tant besoin. « Scarlett n’est juste pas comme ça, qu’elle prenne le temps qu’il lui faut, je ne lui en voudrai pas de toute façon, elle sera toujours la bienvenue ici. » Sans doute que les gens normaux se seraient contentés de s’excuser après s’être ainsi emportés mais Lily ne sait pas rentrer les griffes. “Si tu n’as rien à me faire part en retour, tu devrais retourner travailler. Les équipes ont sûrement besoin de toi.” De son côté, elle pourra très bien s’occuper de l’administratif toute seule: elle n’a jamais eu besoin de personne pour s’en sortir et ce n’est certainement pas Deklan qui fera exception à la règle.