Les mains tremblantes et tâchées de sang, tu essayes de comprendre ce qui vient de se passer. Tu n’y arrives pas. C’est à peine si tu sembles garder le moindre souvenir de ce qui vient pourtant tout juste de se produire. Tu n’aurais pas dû être là, et pourtant, tu refuses de penser à ce qui aurait pu se passer si tu n’avais pas été là, justement. Ça se bouscule d’un côté comme de l’autre dans ton esprit, des pièces détachées ici et là, mais tu n’arrives pas à reconstruire le casse-tête. Il faut que tu prennes ça un morceau à la fois. Kieran. Kieran et du sang. Kieran, du sang et un appel au 000. Kieran, du sang, une ambulance et les plus longues minutes de toute ta vie alors que la route entre l’endroit où tu l’avais trouvé et l’hôpital St. Vincent semblait interminable, d’une durée éternelle alors qu’à tes yeux, sans avoir la moindre idée de l’étendu des dégâts, Kieran se trouvait dans un état critique. C’est le sang, tout le sang perdu, celui qui continue de couler sur tes mains qui donne cette impression. C’est à peine si tu as le temps de cligner des yeux que la scène vient de changer complètement. Kieran n’est plus là, mais tes mains sont toujours tâchées de sang. Quelqu’un en uniforme te parle, un infirmier sans doute, c’est à peine si tu entends sa voix, encore moins les mots qu’il te dit. C’est seulement quand il pose sa main sur ton épaule que tu sembles revenir moindrement à toi-même. Attendre ici. Ami pris en charge. Kieran, il parle de Kieran. Concentres toi Autumn, bordel. Tu hoches la tête. Tu ne vas nulle part. Tu ne veux aller nulle part non plus. Pas tant que tu ne sais pas de quoi il en retourne. Pas tant que tu n’auras pas reposer les yeux sur le Halstead pour t’assurer qu’il va bien, qu’il va vraiment s’en sortir, peu importe ce que tu as pu lui murmurer et lui promettre dans le moment. Tu suis du regard l’infirmier qui repart, te laissant derrière avec ton choc et les dizaines de questions que tu n’as pas pensé poser sur le moment. Tu viens pour t’asseoir lorsque tu sens ton téléphone vibrer dans la poche arrière de ton pantalon. Tu vois le nom de ton frère et si tu hésites à prendre l’appel, tu décides plutôt de le refuser et d’ouvrir l’onglet contenant tous tes contacts. T’es une nostalgique Autumn, tu ne supprimes jamais personne de ton carnet d’adresses et pour une fois, ça va t’être drôlement utile.

Numéro Inconnu
Kieran est blessé. Il est à l'urgence. Je suis avec lui.

Numéro Inconnu
C'est Autumn.

Tu hésites quelques instants avant d’envoyer les messages, mais tu sais que même si elle ne veut sûrement pas voir ton nom apparaître sur son écran, elle va vouloir lire cette nouvelle-là. Tes doigts laissent des traces de sang sur ton écran et une fois que tu as appuyé sur envoyer, tu vas faire un tour à la salle de bain pour te débarbouiller, évitant soigneusement de croiser ton regard dans le miroir devant toi. Tu préfères ne pas savoir de quoi tu as l’air, éviter de lire toute la panique sur ton visage et dans le fond de tes yeux. Tu te concentres plutôt sur tes mains que tu frottes encore et encore, pendant une minute, deux ou plus, tu as perdu le fil. Tu frottes si fort que ça te fait mal au bout d’un moment. Tes mains sont rouges, mais au moins, ce n’est plus à cause du sang. Tu retournes dans la salle d’attente, mais tu es incapable de t’asseoir sur l’une des chaises. Tu tournes en rond. Tu énerves les gens autour, tu les sens, leurs regards pleins de jugements sur toi (ou tu les hallucines, Autumn?) mais ça ne t’arrête pas, même si tu t’énerves toi-même, tout compte fait. Quand la silhouette de Sawyer apparaît enfin, tu n’oses pas trop t’approcher. Vos discussions ne sont jamais très cordiales après tout. Ça fait plusieurs mois depuis votre dernier tête-à-tête, mais il n’y a rien qui a changé. Sauf la panique qui se lit sur son visage. Celle qu’elle peut sûrement lire sur le tien. Elle s’approche de toi et tu la rencontres à mi-chemin, quelque part au milieu de cette salle d’attente bondée de gens qui attendent des nouvelles de leurs proches, eux aussi. « Je sais pas ce qui s’est passé. Je sais pas ce qu’il a. Il a été pris en charge, j’ai pas eu d’autres nouvelles. » Ce n’est pas très clair tout ça, tu ne lui donnes aucun contexte, aucune précision même si t’en sais un peu plus que ce que tu laisses entendre. C’est le choc qui te rattrape et elles tremblent encore, tes foutues mains alors que tu viens les enfoncer maladroitement dans tes poches.

Sawyer travaillait encore quand elle avait reçu le SMS. Une pile de dossiers dans la main gauche, son téléphone dans la main droite, ses yeux s’étaient figés sur l’écran de son téléphone durant de longues secondes avant que l’information ne daigne percuter son cerveau. Avait-elle envisagé la possibilité qu’Autumn soit en train de lui jouer une très mauvaise blague ? Oui. L’espace d’une demi-seconde. Il ne lui en avait pas fallu plus avant de se persuader que la jeune femme savait qu’elle l’aurait démolie (plus ou moins littéralement) si elle s’était risquée à une telle plaisanterie. Tout comme il ne lui avait pas fallu non plus davantage de temps pour savoir qu’elle ne lui aurait jamais écrit un message à moins qu’une catastrophe soit arrivée. Et la catastrophe en question était écrite en toutes lettres dans ce SMS. Sawyer avait précipitamment reposé ses dossiers sur son bureau avant d’attraper sa veste et son sac et de sortir sans un mot ni une explication, une expression complètement paniquée sur le visage. Elle avait hélé un taxi et sa voix tremblante lui avait demandé de se rendre à l’hôpital. Elle avait commencé mille et un messages à l’attention d’Autumn pour lui demander plus d’informations sur ce qui s’était passé, sur l’état dans lequel était son frère et sur sa prise en charge. Elle les avait écrits, effacés, réécrits, réeffacés. Elle ne voulait pas les réponses à ces questions. Elle avait l’impression d’être passée dans une autre dimension et elle était à deux doigts de se convaincre qu’elle était simplement bloquée dans un pure cauchemar dont elle ne tarderait pas à se réveiller. Si elle envoyait ses questions à Autumn et que cette dernière lui répondait, alors la situation ne s’en trouverait qu’un peu plus concrète et dramatique encore. Pour l’instant, elle pouvait simplement faire le constat que son frère n’était pas mort. Pour le reste, elle pouvait continuer de vivre dans le déni quant à la gravité de ce qui lui était arrivé, bien que son cerveau lui hurlait qu’il ne pouvait pas s’être simplement écorché le doigt en épluchant une carotte pour que la jeune femme daigne lui envoyer un message qui ressemblait beaucoup trop à un appel au secours. Alors elle avait simplement basculé sa tête contre le dossier du siège et fermé les yeux en essayant de se calmer, non sans demander au préalable au chauffeur de se dépêcher, invoquant son poste au sein de la police pour justifier du fait qu’il ne lui arriverait rien s’il faisait des excès de vitesse.
Arrivée sur place, Sawyer avait marqué quelques secondes de pause devant les portes automatiques de l’hôpital avant d’oser les passer, rendant d’un coup tout cela beaucoup trop réel. Elle n’avait aucune idée de ce qui l’attendait mais la peur la rongeait déjà de l’intérieur. Elle se pressa vers la salle d’attente. Ses yeux se posèrent rapidement sur Autumn et elle se dirigea dans sa direction sans l’ombre d’une hésitation. Ses traits étaient sévères et tirés ; pourtant ça n’était pas la colère qu’on lisait sur son visage contrairement à la dernière fois où elles s’étaient croisées, mais bel et bien une profonde détresse. Sa gorge était nouée, elle n’était pas capable d’aligner un seul mot en attendant le verdict de la jeune femme. Les réponses à toutes les questions qu’elle n’avait pas osé lui poser. « Je sais pas ce qui s’est passé. Je sais pas ce qu’il a. Il a été pris en charge, j’ai pas eu d’autres nouvelles. » Aucune information en mesure de la rassurer. Le visage de Sawyer se referma un peu plus alors que ses yeux glissèrent le long des bras d’Autumn et qu’elle constata que du sang était venu tâcher ses vêtements. Elle se sentit prise immédiatement de nausées. Elle avait besoin d’air. Son frère n’allait pas bien. Elle n’avait aucune idée de ce qui s’était passé, ni de ce qui était en train de lui arriver. Elle n’avait qu’une envie : hurler. « Dans quel état il était quand tu l’as retrouvé Autumn ? Est-ce qu’il était conscient ? » Son regard s’accrochait désespérément au sien, la suppliant de lui donner la moindre nouvelle rassurante. Sa main vint spontanément s’agripper au bras d’une bouse blanche qui passait à côté d’elles, la forçant à s’arrêter dans sa course. Ses doigts se crispèrent dangereusement autour du bras de l’inconnu qui lui lança un regard à la fois contrarié et interrogatif. « Kieran Halstead. Est-ce que vous avez des informations sur son état ? » Pas de bonjour, pas de formules de politesse. Sawyer n’avait pas le temps pour ça mais sa détresse s’entendait dans sa voix, excusant probablement à moitié son comportement. L’homme secoua simplement la tête avant de s’excuser et de se défaire de sa prise. La brune déglutit difficilement, sentant la panique la gagner alors même qu’elle aurait dû tenter de garder son calme pour rester rationnelle. Mais il n’était plus question de rationalité quand la vie de son frère pesait dans la balance. « Putain. » Une injure qui ne s’adressait à personne en particulier, si ce n’était au sentiment d’impuissance qui s’emparait d’elle.

Tu tournes en rond. Tu comptes le nombre de pas que tu dois faire pour compléter le cercle que tu ne cesses de répéter depuis ce qui te semble être deux éternités et demie. 182 pas. À peu près. Il y a une petite marge d’erreur, quand tu vas plus vite ou que tu vas plus lentement, quand tu dois contourner quelqu’un qui se dirige vers l’accueil ou que tu manques de t’enfarger dans les craques du plancher.  182 pas. Il est assez grand ton cercle, quand même. C’est pratiquement d’un bout à l’autre de la salle d’attente. Tu es presque certaine que tous les gens qui sont assis ici et là dans la salle te lancent des regards noirs, qu’ils voudraient tous que tu arrêtes de tourner en rond comme ça en marmonnant des chiffres et en recommençant chaque fois que tu perds le compte, mais personne ne te dit quoique ce soit. Tout le monde a une raison bien particulière, bien différente et pourtant si similaire d’être assis dans cette salle et personne n’ose faire chier son prochain, même si les regards se veulent plus éloquents que les mots. Tous les regards noirs du monde ne sauraient t’arrêter toutefois quand compter tes pas est la seule chose qui te permet de tenir encore debout après ce qui vient de se passer. La seule chose qui t’occupe assez pour chasser temporairement toutes les images du Kieran ensanglanté que tu as retrouvé à semi-conscient sur le sol de cette demeure où il a grandi. Mais rapidement, ça ne suffit plus et tu te demandes ce qu’elle fait Sawyer, pourquoi elle met tant de temps à arriver, est-ce qu’elle a seulement lu ton message? Après chaque nouveau cercle, tu t’arrêtes pour regarder ton téléphone et soupirer de voir qu’il n’y a aucun nouveau message. Tu es tentée de rappeler ton frère et de lui dire ce qui s’est passé, même s’il est à Toowoomba et qu’il ne pourrait rien faire dans l’immédiat, ça te ferait quand même du bien de partager ça avec quelqu’un. Sauf qu’Owen n’aime pas Kieran et tu n’as pas besoin d’entendre un discours désapprobateur de sa part alors que tu tiens à peine sur tes jambes. Non, il faut que Sawyer arrive. C’est la seule à pouvoir comprendre l’état d’inquiétude qui t’habite, même si normalement, c’est bien impossible pour elle et toi d’être sur la même longueur d’ondes.

Quand elle arrive enfin, tu dois prendre sur toi pour ne pas tout simplement tomber à ses genoux. Les informations filent de ta bouche sans réellement faire de sens et tes lèvres tremblent alors que tu retiens des larmes que tu n’avais même pas réaliser étaient venues se loger dans le coin de tes yeux. « Dans quel état il était quand tu l’as retrouvé Autumn? Est-ce qu’il était conscient? » Tu hoches doucement la tête de haut en bas parce que oui, il était conscient. Tu te souviens qu’il s’est accroché à toi quand tu l’as trouvé, qu’il murmurait des mots que tu peinais à entendre et comprendre alors que tu passais l’appel aux urgences. Mais son état, oh ça, ce n’était rien de bien encourageant et ils étaient difficiles à dire, les mots pour expliquer ce que tu avais vu un peu plus tôt. « Il était conscient, mais il y avait beaucoup de sang. » Beaucoup de sang au sol et beaucoup de sang sur lui. Du sang partout et tu dois fermer les yeux avec violence pour tenter de chasser l’image de ton esprit. Tu n’as pas le temps d’en dire plus que Sawyer accroche un médecin pour demander s’il avait des nouvelles de son frère, ce à quoi elle ne reçu qu’une réponse négative, rien pour la rassurer ni elle, ni toi. « Putain. » qu’elle lâche ensuite alors que le médecin s’éloigne et que vous vous retrouvez seulement toutes les deux à nouveau, quand bien même certaines têtes se sont tournées vers vous dans la salle d’attente. « Viens t’asseoir. » que tu lui proposes, allant même jusqu’à poser une main sur son bras pour la guider vers deux sièges libres. Tu peines toi-même à rester immobile, ta jambe sautille alors que le silence s’installe de la plus cruelle des façons entre vous deux. « Il était chez les Cornwells. » que tu ajoutes comme ça, sans préambule quelconque. « Je pense qu’il a été poignardé. » C’est le sang, tout le sang qui te fait croire ça, sur son flanc. T’as essayé de faire une pression quand t’as remarqué d’où ça venait, mais tu comprends pas. Tu comprends pas comment ça pu arriver à Kieran. « Il était tout seul quand je suis arrivée. » Tu n’as vu personne sortir, tu n’as rien vu. Tu ne pourrais même pas expliquer la pulsion qui t’a prise d’ouvrir la porte devant le manque de réponse de la part de Kieran, mais jamais tu ne regretterais de l’avoir fait. Jamais.

Le hochement de tête d’Autumn qui venait lui confirmer que Kieran était conscient quand elle l’avait retrouvé était la seule information à laquelle elle avait l’impression de pouvoir se raccrocher. Il était conscient. Il était vivant. Elle avait besoin de voir le positif dans le cauchemar qu’elle était en train de vivre. Et pourtant le positif se retrouvait bien vite balayé par l’expression de la jeune femme en face d’elle. Autumn était aussi terrifiée qu’elle, et clairement en état de choc suite à ce qu’elle avait vu. « Il était conscient, mais il y avait beaucoup de sang. » D’accord. Il y avait beaucoup de sang. Mais il était conscient. Bon dieu, quelle était la gravité de la situation de son frère ?! Sawyer se retrouvait une nouvelle fois dans la plus complète ignorance et si Autumn était cette fois-ci encline à partager des détails avec elle, personne dans cet hôpital n’était vraisemblablement en mesure de lui dire ce qu’avait concrètement Kieran et dans quel état il se trouvait présentement. La policière avait toujours été en mesure de comprendre que les médecins comme les infirmiers ne pouvaient pas être sur tous les fronts et qu’ils ne pouvaient pas détenir toutes les informations relatives à chaque patient de l’hôpital en temps réel. Oui, elle comprenait tout cela parfaitement bien en temps normal. Quand cela ne concernait pas son frère. Sa famille. Là, elle n’avait qu’une envie : secouer chaque personne passant à proximité d’elle pour tenter d’avoir davantage d’informations. « Viens t’asseoir. » Elle se laissa entrainer vers les sièges libres sans un mot, réfléchissant à toutes les possibilités qui s’offraient à elle. Aucune n’était réaliste. Elle ne pouvait qu’attendre. Regardant ses pieds d’un air vitreux, elle se mit à faire craquer les articulations de ses doigts pour ne pas rester les bras ballants.  « Je supporte pas d’être si impuissante face à la situation. » Cette affirmation aurait pu s’appliquer à sa vie de manière générale. Autumn s’en doutait d’ailleurs probablement étant donné leur dernière confrontation. Mais c’était encore plus vrai quand la situation en question concernait en plus Kieran. « Il était chez les Cornwells. » Sawyer releva la tête pour poser son regard dans le sien. L’incompréhension venait à présent se mêler à son impatience, son stress et sa peur. Comment quelque chose avait-il pu lui arriver alors qu’il était là-bas ? Cette histoire n’avait strictement aucun sens. Aucune des pièces du puzzle ne s’emboîtait. « Je pense qu’il a été poignardé. » Oh, l’envie de vomir se manifesta une nouvelle fois rapidement alors que son visage blêmissait à vue d’œil. Elle venait aussi de se le prendre violemment ce coup de poignard. « Quoi ?? Où ça ? » En quoi est-ce que cette question lui permettrait de jauger quelle quantité de sang Kieran avait pu perdre ou si son pronostic vital était engagé ? Elle n’en savait rien. Elle n’était pas médecin. Mais elle avait besoin d’informations pour comprendre la situation, quand bien même les informations qu’on lui donnait ne faisaient aucun sens à ses yeux. Autumn anticipa sa question suivante : « Il était tout seul quand je suis arrivée. » Elle hocha distraitement la tête, jugeant que cela lui avait au moins permis de ne pas la mettre en danger, lui laissant le temps d’appeler les secours dans la foulée. « Tu n’as rien vu de particulier autour de vous dans la maison ? Rien d’anormal ? » Avait-elle seulement eu l’esprit de faire ce genre de constatations étant donné le choc qu’elle avait dû ressentir en découvrant cette scène ? Sawyer imaginait sans mal qu’elle avait dû se mettre en pilote automatique, lui permettant de garder la tête suffisamment froide pour appeler les secours et faire en sorte que Kieran soit pris en charge rapidement. Et si elle n’était pas encore en mesure de lui exprimer sa reconnaissance pour ça, elle n’en pensait pas moins. Quant à son propre pilote automatique qui lui aurait permis de garder la tête froide, elle le cherchait encore. Sawyer paniquait. Elle se sentait comme un lion en cage, prête à exploser à tout moment. « J’ai l’impression d’avoir loupé quelque chose. De ne pas avoir été là quand il en avait besoin. » Encore une fois. Elle se sentait fautive. A tort. Une infime partie de son cerveau en avait bien conscience, mais celle-ci était réduite au silence par son angoisse et le poids gigantesque de sa culpabilité qui savait toujours mieux s’exprimer et plus fort que n’importe quel autre sentiment.

Tu n’aurais jamais cru un jour te retrouver dans une telle situation. Celle qui veut que Sawyer et toi soyez assises l’une à côté de l’autre dans une salle d’attente d’hôpital, en attendant d’avoir des nouvelles de Kieran. Personne n’avait haussé la voix jusqu’à maintenant, aucune insulte n’avait été échangé, il n’y avait même pas eu de regard noir tant l’inquiétude qui régnait était la seule chose sur laquelle vous étiez en mesure de vous concentrer, autant l’une que l’autre. Tu combattais des images horrifiantes et ensanglantées, des images qu’elle voudrait sans doute que tu lui partages, même si tu t’en sentais tout simplement incapable. Tu ne voulais pas lui faire des cachettes, tu ne voulais pas non plus la faire culpabiliser de quoique ce soit. Tout était arrivé si vite, tu ne comprenais pas toi-même dans quelle situation Kieran avait pu se mettre pour que tout dérape de la sorte. Tu voulais soutenir Sawyer, pour une fois, tout comme tu avais besoin qu’elle te soutienne en retour. C’était étrange, à des années lumières de ce que saviez faire l’une pour l’autre, mais cette nuit, tout était différent. Les rancœurs du passé n’avaient pas lieu d’être quand c’est la vie d’un homme que vous aimiez toutes les deux, à votre façon bien distincte, qui se trouvait dans la balance. « Je supporte pas d’être si impuissante face à la situation. » Tu hoches doucement la tête. Tu comprends parfaitement comment elle se sent. Toi non plus, tu ne supportes pas de ne rien pouvoir faire. De ne pas savoir ce qui en est. Tu ne supportes pas la simple idée que Kieran puisse être en danger de mort alors que vous êtes là sans avoir la moindre idée de ce qui se passe derrière les grandes portes menant aux urgences. Si c’était n’importe qui d’autre à tes côtés, tu aurais placé ta main sur la sienne dans un geste se voulant réconfortant. Si c’était n’importe qui, oui, mais pas Sawyer. Tu croises plutôt son regard, à la recherche de mots rassurants, de ceux qui n’existent malheureusement pas dans une telle situation. « Ça va aller. » Tu n’es pas convaincante, parce que tu n’y crois même pas toi-même. Mais c’est ce qu’on doit dire, non?

Tu procèdes à partager quelques informations plus factuelles. L’endroit où tu l’as trouvé. Ce que tu penses avoir remarqué. Il a été battu, tu aurais aussi pu mentionner ce détail-là, mais c’est la plaie au couteau qui t’a le plus marqué. Tu n’as pas de preuve, si ce n’est l’allure de la blessure, tout le sang qui en coulait et cette tentative maladroite de panser la plaie. « Quoi?? Où ça? » « Le flanc. Ça saignait beaucoup, j’ai essayé d’arrêter l’hémorragie, en attendant les secours. » Tu relates les faits sans émotion dans la vie. Comme si tu tentais de t’éloigner autant que possible d’une scène où tu tenais pourtant l’un des deux rôles principaux. « Je pense… je pense que j’ai réussi. » Temporairement du moins. Le liquide chaud avait cessé de se faire un chemin jusqu’à ton épiderme, même si ce dernier en avait été tâché. En était toujours tâché d’ailleurs, malgré le fait que tu avais tenté de nettoyer avant l’arrivée de la Harding. « Tu n’as rien vu de particulier autour de vous dans la maison? Rien d’anormal? » Tu secoues doucement la tête de gauche à droite. Il faisait noir. Tu n’avais rien vu, si ce n’était un peu de lumière à l’entrée de la maison alors que l’absence de la voiture des Cornwells portait à croire qu’ils n’étaient pas là. Tu n’aurais pas dû savoir que Kieran était là non plus, est-ce que tu te risques à lui inventer une histoire? Non, tu ne peux pas prendre ce risque-là. Kieran risquerait de lui dire qu’il ne t’avait jamais donné rendez-vous. Pire encore, que vous ne vous étiez même pas parlé depuis des semaines. Éviter le sujet complètement, c’est le mieux que tu puisses faire. « Il faisait noir quand je suis arrivée, et il était déjà au sol quand je suis rentrée. » que tu expliques parce que ça au moins, c’est la vérité. Une partie de, du moins. « Je sais pas depuis combien de temps il était là, comme ça… » Et c’est ça qui te fait le plus peur sûrement. Et si ça faisait trop longtemps qu’il baignait dans son sang? Et si tu étais arrivée trop tard? Il était encore conscient, c’est bon signe. Concentre-toi sur ça, Autumn. « J’ai l’impression d’avoir loupé quelque chose. De ne pas avoir été là quand il en avait besoin. » Tu secoues la tête une nouvelle fois. « Tu pouvais pas savoir. » Personne n’aurait pu savoir. Ça ne faisait pas de sens, tout ça. « Je comprends pas qui aurait pu lui faire ça. » Et ça te tourne encore et encore dans la tête, incapable de t’expliquer pourquoi lui.

« Ça va aller. » Elle l’observa, un air absent sur le visage. Elle avait plus que jamais envie de la croire et de puiser de l’espoir là où elle le pouvait, mais c’était pourtant bien des images plus horribles et sanguinolentes les unes que les autres qui s’imposaient à son esprit depuis qu’elle avait passé les portes de l’hôpital. Elle voulait savoir dans quel état il était quand Autumn l’avait découvert, mais elle voulait aussi obtenir des réponses qui lui permettraient de rester optimiste…et ces deux options ne semblaient absolument pas pouvoir cohabiter dans la même réalité. « Le flanc. Ça saignait beaucoup, j’ai essayé d’arrêter l’hémorragie, en attendant les secours. » Son visage blêmit un peu plus encore. Elle allait vraiment finir par vomir. « Je pense… je pense que j’ai réussi. » Un long soupir lui échappa alors qu’elle réalisait par la même occasion qu’elle avait bloqué sa respiration en attendant la deuxième partie de la phrase de la jeune femme. « Heureusement que t’étais là. Je n’ose imaginer…» Prise par l’émotion, sa voix avait fini par s’éteindre, incapable de finir sa phrase. Que se serait-il passé si Kieran était resté seul quelques minutes supplémentaires ? Le pire aurait pu se produire. Même si, aux yeux de Sawyer, le pire était bel et bien en train de se produire à ce moment précis. Elle se râcla la gorge avant de reprendre et de s’enquérir au sujet de la scène de crime (car c’en était une, n’est-ce pas ?). Autumn serait contrainte de redonner tous ces détails au poste et Sawyer savait pertinemment qu’elle ne pourrait rien faire seule dans son coin des informations qu’elle allait lui fournir. Mais elle avait besoin de se sentir utile d’une manière ou d’une autre. Elle avait besoin de trouver un sens à toute cette histoire, un semblant de piste quant à la personne qui avait pu s’en prendre à son frère. « Il faisait noir quand je suis arrivée, et il était déjà au sol quand je suis rentrée. » Pourquoi ne lui avait-elle pas appris à se défendre ? A rendre les coups ? A s’en protéger ? Pourquoi n’avait-elle pas laissé une batte de baseball traîner dans la maison ? Pourquoi se posait-elle des questions qui, en plus d’être parfaitement insensées, n’amélioreraient en rien la situation actuelle ? « Tu pouvais pas savoir. » Un fin sourire étira tristement le coin de ses lèvres alors qu’elle lui jeta un rapide coup d’œil avant de reposer son regard vers le sol, posant ses coudes sur ses genoux et venant enfouir son visage dans les paumes de ses mains. Elle lui était reconnaissante pour ses mots. « Je le sais bien et pourtant je peux pas m’empêcher de me sentir coupable. » Ses mots étaient à moitié étouffés contre ses mains, difficilement compréhensibles, alors qu’elle essayait au choix de ne pas éclater en sanglots ou de ne pas se lever et de partir en hurlant. Elle se frotta le visage comme pour se réveiller de ce cauchemar avant de se redresser sur sa chaise. « Je comprends pas qui aurait pu lui faire ça. » « Moi non plus. » Elle avait beau tourner le problème dans tous les sens, elle n’avait pas la moindre idée de qui pouvait en vouloir à son frère. Et cela n’arrangeait en rien le sentiment de culpabilité qui s’accrochait lourdement à sa poitrine. « S’il me faisait confiance, il m’aurait mise au courant d’un quelconque ennemi, d’une potentielle menace. Mais apparemment il a encore une fois préféré garder le silence plutôt que de me… » Evidemment qu’elle faisait référence au fait qu’il avait disparu de la surface de la terre lorsqu’il était en couple avec Autumn. Evidemment qu’elle parlait très précisément de cette période au cours de laquelle il avait préféré ne plus répondre à ses coups de fil, à ses messages, à ce moment où il avait choisi de ne plus lui donner signe de vie. Mais elle s’était stoppée en réalisant les reproches qui auraient pu se lire entre ses mots. Le but de Sawyer n’était cette fois-ci aucunement de reprocher quoique ce soit à la jeune femme. Elle se demandait simplement et douloureusement ce qui faisait que son frère n’osait pas lui parler. « …Excuse-moi, c’était maladroit. » Elle avait tourné la tête vers elle, affichant une expression sincèrement désolée. « T’es sûre qu’il ne t’a rien dit ? Rien qui puisse nous permettre de comprendre qui pouvait lui en vouloir ? » Il n’était pas impossible qu’il ait choisi de se confier à elle plutôt qu’à sa sœur au final. Le cœur de Sawyer se serrait rien qu’à cette pensée, mais elle était prête à accepter n’importe quelle désagréable vérité pour tenter d’en découvrir davantage en attendant que quelqu’un daigne leur donner des nouvelles de Kieran et les autoriser à le voir.

Tu ne cherchais pas à faire du mal à Sawyer en lui offrant les quelques détails que tu savais au sujet de ce qui s’était passé. Tu ne voulais que lui offrir la vérité, même si cette dernière était effrayante, autant pour elle que pour toi. La scène à laquelle tu avais assisté un peu plus tôt se jouait encore continuellement dans ton esprit dès que tu fermais les yeux et tu craignais ne jamais être en mesure de te départir de ses images pleines de sang. « Heureusement que t’étais là. Je n’ose imaginer… » Elle ne termine pas sa phrase, la blonde, et c’est mieux ainsi. Tu préfères ne pas penser à ce qui aurait pu se passer si tu n’avais pas été là. La simple idée qu’il aurait pu ne pas survivre suffit à te faire trembler, à te donner des nausées que tu parviens difficilement à contrôler. Tu ne veux pas avoir à te relever, pas plus que tu ne veux laisser Sawyer seule présentement, elle qui se pose tout un tas de questions sur ce qui a bien pu se produire. Malheureusement, tu n’es pas certaine d’avoir beaucoup de réponses à lui donner tant tu ne fais que te poser les mêmes questions qu’elle. « Je le sais bien et pourtant je peux pas m’empêcher de me sentir coupable. » « Ça sert à rien. Ça changera pas la situation. » Surtout que pour le coup, la Harding n’avait absolument rien à se reprocher. Personne n’aurait pu prévoir ce qui allait arriver. Pas même toi, surtout pas toi alors que jamais tu n’aurais dû te retrouver sur place un peu plus tôt. Peut-être que c’est l’univers qui voulait que tu sois là, pour pouvoir le sauver. De ça, tu finirais par te convaincre, volontairement ou non.

« Moi non plus. » Tu secoues la tête. Kieran n’était pas le genre à avoir des ennemis, de ça tu demeurais persuadée même si en vérité, tu ne connaissais plus grand-chose de sa vie actuelle. Tu savais la base, ce que tu avais été en mesure d’accumuler des réseaux sociaux et cette petite tendance que tu avais de le suivre un peu trop souvent, mais rien qui ne pouvait t’assurer hors de tout doute que Kieran n’avait pas des fréquentations douteuses depuis votre rupture. Sawyer aurait dû le savoir, elle, et pourtant, elle semblait tout aussi estomaquée que toi ce qui te portait à croire que ce qui était arrivé n’était qu’un pur coup de malchance. « S’il me faisait confiance, il m’aurait mise au courant d’un quelconque ennemi, d’une potentielle menace. Mais apparemment, il a encore une fois préféré garder le silence plutôt que de me… » Tu pinces les lèvres et détournes légèrement le regard. Les accusations de Sawyer sont puissantes et bruyantes, impossible de prétendre que tu n’as pas exactement compris ce à quoi elle fait référence. Toi qui pensais qu’elle ne savait pas parce qu’il n’y avait aucun risque, tu es surprise d’apprendre que la relation entre le frère et la sœur ne semble pas avoir tant changé même depuis ta sortie de la vie du Halstead. « Tu vois bien que j’ai aucun contrôle sur lui. » Tu n’avais pas su retenir le commentaire, elle qui avait toujours mis tout le blâme sur toi quant à la distance que Kieran avait mise entre lui et sa famille quand vous étiez ensemble, comme si tu étais celle qui le forçait à agir comme il le faisait. Oui, peut-être que tu influençais un peu ses choix, mais de toute évidence, ça venait de lui aussi et de ça, tu n’étais pas prête à démordre même si ce n’est clairement pas le lieu ni le moment de débattre de vieilles rancœurs. « … Excuse-moi, c’était maladroit. » « Oublie ça. » Il valait mieux pour vous deux que vous n’alliez pas plus loin sur ce chemin miné. Kieran était mal en point. Rien d’autre ne devrait avoir la moindre importance présentement. « T’es sûre qu’il ne t’a rien dit? Rien qui puisse nous permettre de comprendre qui lui en voudrait? » Tu secoues une nouvelle fois la tête à la négative. « Il disait juste mon prénom et me suppliait de rester. C’est tout… » Pas le moindre mot sur son assaillant, sur ce qui s’était passé. Juste son regard complètement effrayé, la douleur dans tout son être et des supplications auxquelles tu avais abdiqué. « Est-ce que ça te dérange, si j’attends de ses nouvelles avec toi? » Elle ne voulait sans doute pas faire perdurer le moment entre vous, la policière et pourtant, la simple idée de partir sans savoir qu’il allait être ok t’était tout simplement impossible. « J’ai besoin de savoir qu’il va être correct. » Et aussi, tu as besoin de ne pas rester seule en ce moment et tu penses qu’elle aussi, a peut-être besoin que quelqu’un soit présente. « Je peux aller attendre plus loin, si tu préfères. »

Mais s’il-te-plaît Sawyer, ne me demande pas de partir.

« Ça sert à rien. Ça changera pas la situation. » Autumn avait raison, évidemment. Mais Sawyer adorait se flageller quand elle se sentait impuissante. Surtout quand le problème concernait son frère…et alors même qu’elle était la première à lui reprocher de s’en vouloir en permanence pour des choses auxquelles il ne pouvait strictement rien faire. Belle ironie. Elle hocha simplement la tête en guise de réponse, toujours aussi énervée contre elle-même mais malgré tout  bien consciente et prête à reconnaître qu’Autumn avait raison. « Tu vois bien que j’ai aucun contrôle sur lui. » Ses sourcils se froncèrent légèrement. Cette fois-ci elle aurait bien volontiers nuancé ses propos, mais elles n’allaient clairement pas refaire le débat, ça n’était ni le lieu ni le moment. Kieran était leur principale préoccupation et le seul qui comptait présentement. Et ça, elles étaient toutes les deux d’accord pour l’admettre. « Il disait juste mon prénom et me suppliait de rester. C’est tout… » Son cœur se brisait et son estomac se tordait un peu plus à chaque nouveau détail qu’Autumn lui donnait et qui lui permettait de visualiser le piteux état dans lequel elle l’avait retrouvé. L’état de détresse dans lequel il devait être, l’angoisse qui l’habitait de se retrouver seul face à un assaillant qui aurait pu encore être dans les parages…elle était définitivement reconnaissance envers la jeune femme. Elle ne savait pas ce qui l’avait amenée chez son frère, et si dans d’autres circonstances cette information l’aurait mise hors d’elle, là elle s’en fichait complètement. « Tu lui as certainement sauvé la vie Autumn. » Si tant est qu’il soit toujours en vie. Pourquoi son cerveau continuait-il de lui communiquer ce genre d’idées alors qu’elle avait surtout besoin d’une grosse dose d’espoir pour tenir le choc ? Ce qui était certain, c’était que la personne suivante qui aurait pu découvrir Kieran plus tard dans la maison serait certainement arrivée trop tard étant donné l’état dans lequel elle le décrivait. « Est-ce que ça te dérange, si j’attends de ses nouvelles avec toi? » Sawyer tourna son visage vers elle, surprise par sa question. Surprise parce qu’elle ne s’attendait pas à ce qu’elle lui fasse cette requête, mais aussi surprise parce qu’elle ne pensait pas qu’elle pouvait s’imaginer que sa présence la dérange en de pareilles circonstances. Cela en disait long sur les relations et les interactions qu’elles avaient eues jusqu’à présent. « J’ai besoin de savoir qu’il va être correct. Je peux aller attendre plus loin, si tu préfères. » Elle secoua vivement la tête avant qu’elle n’interprète mal son silence face à sa demande. « Non, ça ne me dérange pas du tout. Je pense qu’on ne sera pas trop de deux pour affronter tout ça. » Elles étaient toutes deux dans le même état de profonde détresse émotionnelle et pouvoir parler à quelqu’un lui permettait de ne pas perdre la tête et risquer de se mettre à hurler dans tout l’hôpital. « Je suis contente que tu sois… » « Kieran Halstead ? » Le visage de Sawyer se tourna immédiatement en direction du médecin qui venait de lancer le nom de son frère en balayant la salle d’attente du regard. Autumn et elle se levèrent instantanément dans un même élan pour le rejoindre. « Oui. Je suis…On est… » Elles étaient quoi exactement ? « …de la famille. » Allons au plus court. Leurs visages désespérés en disaient assez long pour que le médecin les croit sur parole. « Il vient de sortir du bloc. Il est encore inconscient pour l’instant et il faudra attendre son réveil pour vérifier que la procédure s’est bien déroulée. Mais ça peut prendre du temps…Vous pouvez aller le voir si vous le souhaitez. » La gorge nouée, incapable d’aligner un seul mot, Sawyer acquiesça vivement. Il était en vie, c'est tout ce qu'elle retenait pour le moment. Elle lança un coup d’œil inquiet en direction d’Autumn avant de suivre le médecin dans la chambre dans laquelle son frère avait été placé. Son cœur manqua un battement en le découvrant immobile dans son lit, l’air endormi mais bardé de bandages, des contusions sur le visage et des machines reliées à lui bipant dans tous les sens. Sawyer se stoppa net, incapable d’aller plus loin. Ses yeux étaient en train de s’embuer alors que son regard paniqué passait d’une machine à l’autre sans comprendre ce qui se passait. Refusant catégoriquement de comprendre ce qui se passait.

Ce n’est pas le moment de créer une scène et si tu n’as pas su retenir un commentaire désobligeant, tu es reconnaissante que Sawyer n’y ait pas vu l’occasion parfaite pour repartir sur vos vieilles rancœurs à jamais non-résolues. La priorité est et se doit de rester Kieran. Kieran dont vous ne connaissez toujours pas le statut. Kieran qui est quelque part dans cet hôpital, potentiellement inconscient, possiblement ouvert sur une table d’opération, quelque part s’accrochant entre la vie et la mort. Il y a ton univers en entier qui est secoué à la simple idée que ce dernier échange, ces derniers mots échangés entre l’appel aux urgences et ces supplications soit votre dernière conversation. Ça ne peut pas être la fin, tu refuses de laisser ton esprit se perdre dans ces hypothèses bien trop sombres alors que tu sais pourtant que ce n’est pas impossible, vu l’état déplorable dans lequel tu l’avais trouvé. « Tu lui as certainement sauvé la vie Autumn. » Tu espères. Étais-tu arrivée trop tard? Tu avais regardé assez de drama médicaux pour savoir que chaque seconde comptait, dans de telles situations d’urgence. Et si tu avais merdé, en attendant aussi longtemps dans l’ombre avant de te rendre jusqu’à lui? Et si tu aurais pu lui éviter tout ça, si tu étais arrivée une heure plus tôt, si tu n’avais pas autant hésité? Oh, tu ne cesses de te torturer, à coup de scénarios tous moins probables les uns des autres, mais c’est bien tout ce que tu peux faire dans l’immédiat, alors que l’inconnu est en train de vous rendre folle, Sawyer et toi, avec chaque minute qui passe sans la moindre nouvelle sur le Halstead.

Sawyer reste silencieuse lorsque tu lui demandes si tu peux rester avec elle pour attendre des nouvelles de son frère, et tu redoutes encore plus qu’elle décide de te chasser, maintenant qu’elle n’a techniquement plus besoin de toi. « Non, ça ne me dérange pas du tout. Je pense qu’on ne sera pas trop de deux pour affronter tout ça. » Tu lui offres un léger sourire, souffles un « Merci » à peine audible alors que tu t’enfonces un peu plus dans ta chaise inconfortable, détestant l’attente mais tout de même soulagée de ne pas avoir à y faire face toute seule. « Je suis contente que tu sois… » Sawyer n’a pas le temps de finir sa phrase, dont tu devines pourtant les derniers mots alors que le prénom de ton ex-fiancé est prononcé, créant une réaction simultanée de ta part et de celle de la blonde à tes côtés. Vous vous levez dans un mouvement complètement synchronisé et Sawyer prend les devants. « Oui. Je suis… On est… de la famille. » Tu es incapable de réprimer un sourire à l’entendre. Tu sais que les circonstances sont exceptionnelles et que ce n’est pas tout à fait la vérité qui sort des lèvres de la Harding, mais tu t’y accroches. À ce rôle que tu n’as pourtant plus dans la vie de Kieran, mais que tu cherches malgré tout à regagner, de toutes les manières possibles. Tu n’avais simplement prévu que ça prendrait quelque chose d’aussi drastique pour aider ta cause. « Il vient de sortir du bloc. Il est encore inconscient pour l’instant et il faudra attendre son réveil pour vérifier que la procédure s’est bien déroulée. Mais ça peut prendre du temps… Vous pouvez aller le voir si vous le souhaitez. » « Mais… il est tiré d’affaire? Je veux dire, vous ne craignez plus pour sa vie? » Le médecin secoue légèrement la tête. « Pour le moment, il est stable et avec un peu de chance et beaucoup d’observations, il le restera. » Tu sens un énorme poids qui est retiré de tes épaules alors que tu tends une main vers le docteur. « Merci, merci beaucoup. » Il y a de nouvelles larmes qui viennent se loger dans tes yeux alors que Sawyer reste complètement silencieuse, sans doute sous le choc de la nouvelle. Le médecin vous indique où se trouve la chambre de Kieran et tu le remercies une nouvelle fois alors qu’il quitte dans la direction inverse, la Harding soudainement figée sur place. Doucement, ta main vient retrouver celle de Sawyer. Elle avait accepté que tu restes et tu sentais qu’elle avait besoin de toi pour franchir les derniers pas qui la séparaient d’une réalité qu’elle n’avait pas encore pleinement assimilée. « Il va bien. Il va s’en sortir. » que tu murmures d’une voix qui se veut aussi rassurante que possible. « Je suis certaine qu’il voudrait sentir ta présence. Entendre ta voix. Savoir que tu es là. » Tu lèves la tête vers la blonde, des larmes coulent sur tes joues, et sur les siennes aussi. Tu n’aurais jamais cru que tu vivrais quelque chose d’aussi intense et d’aussi difficile avec elle, mais tu savais que tu ne tiendrais pas debout à l’heure actuelle si ce n’était d’elle.

« Mais… il est tiré d’affaire? Je veux dire, vous ne craignez plus pour sa vie? » Elle était encore plus reconnaissante à Autumn d’être à ses côtés pour toutes les bonnes questions qu’elle avait encore la force de poser quand elle-même n’était plus à même d’émettre un seul son et qu’elle luttait de toutes ses forces pour se concentrer sur la réponse que le médecin venait de leur apporter. Elle n’en aurait pas mis sa main à couper car elle aurait été bien incapable de répéter ce qu’il venait de dire si on le lui avait demandé, mais il lui semblait qu’elles étaient à nouveau en droit d’espérer. Elle avait suivi Autumn d’un pas robotique. Mécanique. Elle n’avançait que parce qu’elle avait eu la présence d’esprit de la prendre par la main pour l’inviter à la suivre et lui permettre de retrouver son frère. Elle était à la fois soulagée qu’on leur ait enfin donné la permission de le voir, mais aussi complètement tétanisée à l’idée de l’état dans lequel elles allaient le découvrir. Et si la policière pouvait à présent bel et bien constater qu’il était vivant, la surprise avait malgré tout été à la hauteur des pires scénarios qu’elle avait imaginés. « Il va bien. Il va s’en sortir. » « A quel prix ? » Elle restait bloquée au niveau de l’encadrement de la porte de sa chambre, à l’observer de loin, ne parvenant pas à se résoudre à faire un pas supplémentaire dans sa direction. « Tu sais comment il est… » Sa voix s’était brisée. Elle avait envie d’expliquer davantage ses propos mais elle en était parfaitement incapable. Sa gorge était nouée et elle avait beau déglutir, les mots refusaient de s’échapper de ses lèvres. Mais elles ne savaient en effet que trop bien comment était Kieran. S’il était probablement capable de se remettre physiquement de ce traumatisme, elle n’était pas en mesure de se montrer optimiste quant à son psychique. Parce que Kieran doutait déjà de lui et de tout ce qu’il faisait en temps normal. Parce qu’il avait tendance à se considérer comme à l’origine de tous les maux de ses proches même quand il allait bien. Parce que derrière les plaisanteries qu’ils échangeaient en permanence, elle connaissait parfaitement la fragilité dont il pouvait faire preuve. « Je suis certaine qu’il voudrait sentir ta présence. Entendre ta voix. Savoir que tu es là. » Elle secoua lentement la tête de gauche à droite avant de faire basculer son regard de son frère vers le visage d’Autumn. Elle fut surprise de voir les larmes couler sur ses joues, mais encore plus de constater que les siennes étaient tout aussi humides alors qu’elle ne s’était pas rendue compte qu’elle s’était mise à pleurer. Elle récupéra sa main encore dans celle de la jeune femme pour venir essuyer son visage. Comme si elle ne s’autorisait pas à pleurer. Comme si elle avait perdu le droit de pleurer au moment où elle avait laissé tout ça arriver à son frère. « Je… » Elle se racla la gorge. Elle était déstabilisée et son regard exprimait une profonde tristesse tout en oscillant entre le lit d’hôpital de Kieran et le visage d’Autumn. « Je sais pas. Je sais pas si je suis la personne qu’il choisirait d’avoir auprès de lui s’il était conscient. » Bon dieu, elle était sa sœur ! Bien sûr qu’il aurait voulu l’avoir auprès de lui dans un moment pareil. Bien évidemment qu’en temps normal elle ne se serait même pas posée la question. Elle aurait forcé le passage et se serait imposée dans la pièce même si son frère n’avait pas voulu d’elle. Mais le voir aussi mal en point la rendait elle-même incroyablement fébrile et empreinte de doutes. Et si Kieran avait tenté de la tenir à nouveau à distance sans qu’elle ne s’en rende compte ? Et si le forcing permanent qu’elle faisait était en fait la raison principale pour laquelle il s’était éloigné d’elle sans donner de nouvelles ? Et si, alors qu’elle avait toujours voulu se montrer présente pour lui, elle avait fini par se montrer protectrice à l’excès au point d’en devenir toxique ? Mille et une pensées négatives étaient en train de l’assaillir. Elle avait replié ses bras sur sa poitrine pour cacher les tremblements qu’elle avait sentis au bout de ses doigts. « C’est pas sa place. Il devrait pas être ici, dans cet état. Et moi non plus… » A ses yeux elle n’avait précisément pas le droit d’être dans cette chambre parce qu’elle avait d’une manière ou d’une autre laissé Kieran y atterrir. Elle l’avait abandonné.

« À quel prix? » La question est à double tranchant. Tu sais parfaitement que Sawyer ne parle plus seulement des blessures physiques qui ont marqué le corps de Kieran, ni d’une quelconque rééducation qu’il pourrait être emmené à faire pour retrouver toutes ses facultés. Non, ce à quoi elle fait référence, c’est un mal qui est invisible à l’œil nu. C’est ce qui se passe dans sa tête, ou plutôt ce qui va se passer maintenant, suite à cette agression, lui qui a toujours été fragile, lui qui a toujours été sensible, lui qui a déjà bien assez écopé par la vie jusqu’ici. Tu ne sais pas quoi lui répondre cette fois, tu n’as rien à dire pour la rassurer parce que tu as une trop bonne idée de l’impact monstrueux que cela pourrait avoir sur le Halstead. Même si tu n’as jamais été capable de lire dans ses pensées aussi bien que tu l’aurais voulu par le passé, tu sais à peu près comment il pense, comment il fonctionne, et cette attaque, cette agression aux conséquences multiples, elle ferait des dégâts irréparables, tu le craignais autant que Sawyer. « Tu sais comment il est… » « Il est pas seul. » Tu es là, aussi longtemps qu’il voudra de toi. Mais surtout, elle est là. Ce soir et puis les prochains aussi. Tu la connais, elle ne le laissera pas tomber, qu’importe si en ce moment elle se croit incapable de faire face à Kieran, qu’importe s’il faut que tu la convainques de rester et que tu lui rappelles ce rôle pourtant ô combien agaçant qu’elle joue depuis si longtemps dans la vie de Kieran. Tu lui rappelles qu’il voudrait la savoir près, entendre sa voix, savoir qu’elle est là, qu’elle ne le lâche pas dans ce moment si critique, mais elle ne fait que secouer la tête Sawyer, affichant une mine que tu ne lui avais jamais vu par le passé. « Je… » Ton regard se fait insistant sur elle, alors qu’elle perd ses mots, alors qu’elle hésite d’une façon qui semble bien hors de caractère pour la Harding. Tu voudrais la secouer, lui rappeler qui elle est, à quel point cela t’a enragé par le passé, mais tu es silencieuse, ne sachant soudainement pas comment agir devant cette vulnérabilité nouvelle dont la blonde faisait preuve. « Je sais pas. Je sais pas si je suis la personne qu’il choisirait d’avoir auprès de lui s’il était conscient. » Ton regard se veut soudainement éloquent. Elle allait vraiment te forcer à le dire? Elle avait besoin d’être rassurée, maintenant? Tu le voyais pourtant dans le fond de son regard, qu’elle se perdait dans un tourbillon trop grand et trop fort pour elle, et toi, tu avais encore besoin d’elle. Mais surtout, surtout, Kieran avait besoin d’elle, qu’elle soit en mesure de le réaliser ou non. « Ça me coûte de le dire, mais tu sais à quel point il tient à toi, et combien il a besoin de toi. » Ce n’était pas sans raison que tu avais tant tenté de mettre de l’espace entre eux, il y a quelques années de ça, quand tu ne voulais être rien d’autre que le centre de l’univers du Halstead. Elle croise les bras Sawyer, refermée plus que jamais alors que tu tentes de la pousser à faire les quelques pas qui la mèneront enfin à son frère. « C’est pas sa place. Il devrait pas être ici, dans cet état. Et moi non plus… » « Je sais que c’est pas juste, que ça fait pas de sens, mais il est là et on peut pas le laisser tout seul. » Ton souffle est court, tu commences à t’énerver. Tu ne sais plus quoi dire, ni quoi faire pour la retenir, pour la convaincre, alors qu’il persiste cette petite voix dans ta tête qui cri que tu peux t’occuper de lui toute seule, qu’il n’a besoin que de toi. « Tu peux pas l’abandonner. » que tu clames finalement, coupant court cette autre voix qui te dictait un tout autre discours, ton regard persistant dans celui de la blonde.

Sawyer ne savait plus où poser son regard. Elle n’osait ni lever les yeux vers son frère inconscient, ni vers Autumn bel et bien consciente de la lâcheté dont elle était en train de faire preuve. « Il est pas seul. » Alors Sawyer avait choisi la facilité : regarder ses pieds ; son index et son pouce occupés à masser ses tempes comme si ce geste était capable de lui apporter tout le courage qui lui manquait pour affronter cette situation. Non il n’était pas seul maintenant. Elles étaient là. Mais il avait été seul au moment de l’agression, et Sawyer ne pouvait s’empêcher de se dire qu’il l’avait probablement été à d’autres moments. Qu’elle avait loupé quelque chose. Qu’elle avait d’une manière ou d’une autre sa part de responsabilité à prendre. Alors pourquoi aurait-il voulu d’elle à ses côtés à cet instant précis si elle n’avait pas été capable de l’être quand il en avait véritablement eu besoin ? Quelle ironie de constater qu’elle était la première à s’énerver quand son frère n’avait pas suffisamment confiance en lui. La première à lui mettre des coups de pieds aux fesses pour le rebooster. Et vraisemblablement également la première pour se dévaloriser et s’accabler elle-même de maux qui n’avaient pas lieu d’être. « Ça me coûte de le dire, mais tu sais à quel point il tient à toi, et combien il a besoin de toi. » Elle laissa tomber son bras le long de son flanc et osa enfin relever la tête pour plonger son regard dans celui d’Autumn et la sonder. Etait-elle sérieuse ? Elle était la dernière personne qu’elle aurait imaginé dire ça, mais elle avait pourtant bel et bien l’air sincère. Elle ne se contentait d’ailleurs pas d’avoir simplement l’air sincère : tout dans son langage non verbal allait dans le sens de ses paroles et de son clair agacement face à l’attitude la policière. « Je sais que c’est pas juste, que ça fait pas de sens, mais il est là et on peut pas le laisser tout seul. » « Je le sais… » mais ? Evidemment qu’elle comprenait l’énervement de la jeune femme et qu’elle était bien incapable de la contredire. Elle savait qu’elle avait raison de la forcer à rester et à aller vers son frère. Et pourtant elle ne pouvait pas s’y résoudre. En plus de se sentir impuissante et démunie, elle avait l’impression qu’une force invisible la clouait au sol et l’empêcher d’amorcer le moindre pas en direction de Kieran. Après les différentes épreuves qu’elle avait du affronter, Sawyer considérait qu’elle avait un mental d’acier. Elle se croyait naïvement capable de surmonter beaucoup de situations. La mort de ses parents était probablement la plus grave d’entre elles, mais ça n’était de loin pas la seule qu’elle avait dû vaincre. Et pourtant, aujourd’hui, la simple idée de l’état dans lequel se trouvait Kieran suffisait à lui donner envie de s’effondrer. « Tu peux pas l’abandonner. » Ses sourcils se froncèrent, son cœur se serra, elle avait l’impression de manquer d’air. Autumn avait tapé fort. Et bas. Oh, elle ne cherchait pas à lui faire du mal cette fois-ci, mais elle avait trouvé les mots juste pour l’empêcher de passer les portes de l’hôpital et de partir. Elle venait de retourner la situation en lui renvoyant au visage ses pires craintes et en lui signifiant que ça n’était clairement pas en quittant cette chambre qu’elle allait rendre service à son frère, bien au contraire. Sawyer avait eu besoin de quelques secondes afin de pouvoir se remettre du terme d’abandon qu’elle avait décidé d’employer. Parce que c’était la dernière chose qu’elle voulait faire subir à Kieran, mais aussi celle qu’elle craignait régulièrement de voir s’imposer dans leur relation. Malgré elle. Ou très précisément à cause d’elle. Alors elle avait fini par simplement acquiescer, déglutissant difficilement avant qu’un faible « Non, ça jamais. » ne s’échappe de ses lèvres. Elle n’avait rien ajouté de plus, elle avait simplement lancé un regard empreint de gratitude à l’attention d’Autumn, incapable qu’elle était d’articuler un merci. Les larmes coulaient à nouveau à flots sur ses joues. Ses muscles n’étaient pas moins crispés. Son cœur n’était pas moins serré. Son esprit n’était pas plus apaisé. Mais la jeune femme était parvenue à la faire trouver suffisamment de courage en elle pour la faire avancer jusqu’au lit de son frère. Elle s’était assise à ses côté avant de prendre sa main dans la sienne. « Je suis là Kieran. » Elle avait laissé un sanglot lui échapper avant de se reprendre : « On est là. »