@"ALEISHA HOLT" & KIERAN HALSTEAD ⊹⊹⊹ Where we are, I don't know where we are, but it will be okay, Where we are, I don't know where we are, but it will be okay.

(TOOWONG, ST ANTHONY'S SCHOOL). D’aussi loin qu’il se souvienne, les vacances scolaires ont toujours représenté une parenthèse bienvenue et particulièrement attendue. Pas forcément pour les bonnes raisons, inutile de mentir Kieran ; lorsqu’il était plus jeune, notre protagoniste s’impatientait surtout de ne plus côtoyer pendant plusieurs semaines ceux qui faisaient de sa scolarité un enfer. Devenu adulte, cette impatience était due à son sentiment d’illégitime en tant que professeur qui lui permettait de cesser de se flageller pendant quelques semaines, tout en essayant de trouver des solutions afin d’être plus accepté par ses collègues et plus entendu par ses élèves (on en est encore loin de cette vision idéale). Cette année, pourtant, la donne a changé et c’est avec une véritable appréhension que le dessinateur accueille ces vacances d’été et la période de Noël. Il essaie de se persuader du contraire, mais le silence dont il fait preuve auprès de sa famille d’accueil à l’idée de passer la fin d’année avec eux témoigne de son incapacité à remettre les pieds dans cette maison où, le mois passé, il a fait une rencontre qu’il n’aurait jamais dû faire. Les stigmates sur sa peau sont encore présents, autant sur son visage que sur le plâtre qui immobilise certains de ses doigts ; et il ne parle même pas de cette lacération sur son abdomen sur laquelle il refuse de poser les yeux. Il n’a pas plus le courage d’affronter les regards de sa sœur et de son colocataire, aux petits soins depuis qu’il est sorti de l’hôpital, qui s’apparentent à une pitié qu’il ne supporte pas. Et alors qu’il espérait trouver en ce travail une échappatoire, le jeune homme a dû s’avouer vaincu au moment où la direction lui a imposé un congé forcé, au-delà de ce que les médecins préconisaient. De durée « indéterminée » afin de l’aider à mettre de l’ordre dans ses pensées et, évidemment, de se remettre d’un tel événement. Il allait bien, Kieran, pourtant. Si on fait abstraction de son incapacité à créer quoi que ce soit, les seules images qui lui viennent à l’esprit étant le visage de son bourreau et son sourire carnassier au moment de le planter avec ce couteau. Il faut aussi passer sous silence son incapacité à rester seul dans son appartement et la nécessité d’être occupé, constamment, pour ne pas laisser les pensées divaguer. Ou de ces rendez-vous chez le psychologue qu’il ne manquait pas, mais dont il ne tirait aucune satisfaction : il s’enlise dans la situation et au-delà de le concerner lui (puisqu’il s’oublie dans le processus), c’est surtout certains de ses objectifs personnels qui sont mis à mal. Le travail aurait pu l’aider à en poursuivre certain, de manière à être utile autant qu’à s’aider lui-même. Mais, forcé de déclarer forfait, il est également dans l’incapacité de prendre la mesure de ce qu’il se passe en son absence. Personne ne communique, ses messages restent sans réponses et ses quelques déplacements ici ne l’ont pas aidé à obtenir plus d’informations sur le sort de certains élèves de sa classe ; et un tout particulièrement. Au-delà de son bourreau, il y a le visage de l’enfant qui s’affiche dans son esprit, lorsqu’il s’interroge sur la manière dont il vit cette fin d’année. Si les choses se sont calmées, s’il voit les vacances comme une pause bienvenue ou s’il appréhende déjà la rentrée. Il aurait pu s’informer à la source, mais il n’est pas certain que se présenter à son domicile ou contacter Aleisha après avoir soutiré son numéro dans le système informatique de l’école soit quelque chose de particulièrement bien vu ; aussi s’est-il résigné à rester, pour l’instant, sans réponses, sans pour autant oublier sa volonté d’en obtenir auprès de l’établissement et de ses collègues.

C’était encore une fois l’idée aujourd’hui et malgré son habituelle réserve, Kieran se trouve un courage dont il ignorait l’existence lorsqu’il s’agit de mettre les pieds dans le plat auprès de ses supérieurs. Le directeur ne l’a pas à la bonne, c’est une certitude, sans quoi il n’aurait pas été invité à rester en arrêt jusqu’à la rentrée. Mais tant qu’à être sur les lieux sous couvert de récupérer des affaires, il comptait bien en profiter pour interroger les quelques âmes n’ayant pas encore totalement abandonné le navire pour prendre le premier avion et s’éloigner de cet endroit. Ce qu’il n’avait pas anticipé, par contre, c’est que les réponses puissent venir d’elles-mêmes à lui, sous la forme d’Aleisha, la mère du principal concerné dont l’irruption dans sa classe eut le don de le faire sursauter. « J’pensais que la technique du ghost était réservée pour les adultes de … » Se retournant rapidement comme pris sur le fait (de quoi, exactement, il ne sait pas vraiment), il lui faut quelques instants pour comprendre sa réaction lorsque son regard se pose sur ses doigts immobilisés – son visage ne doit pas être beaucoup plus épargné, c’est vrai. « Woh ! Vous vous êtes pas raté … » Pinçant les lèvres, gêné d’être ainsi vu et surtout de l’interprétation qu’elle pourrait s’en faire, Kieran cherche une réponse à lui donner pour justifier son état. « On m’a pas raté. » La précision lui semblait importante pour souligner que ce n’est pas de sa volonté qu’il se retrouve ainsi, des fois qu’elle serait tentée de l’imaginer du genre à s’en prendre au premier venu une fois un verre dans le nez. Mais conscient aussi qu’il peut donner l’impression d’avoir provoqué sa chance, il essaie de se rattraper. « Enfin pas que... j'ai pas grand-chose à voir avec ça. » Un peu, quand même, puisque c’est bien de sa gueule cassée dont il est question. Pourquoi est-ce si difficile de ne pas toujours passer pour un con, hm ? « Euh, bref, j’étais au mauvais endroit, au mauvais moment, c’est... c’est une longue histoire. » Dont elle se fiche probablement des développements, puisqu’il a bien conscience que si elle est là, ce n’est pas pour lui, ni pour elle, mais bien pour l’élément qu’ils ont en commun. « Désolé, je ne voulais pas vous... ghoster. » Il est légèrement mal à l’aise d’employer ce terme dans ces conditions, mais il se reprend rapidement. « Je pensais pouvoir revenir avant les vacances, mais... » On m’a pas vraiment laissé le choix. Il se retient de souligner sa rancœur envers l’établissement et son incompréhension (sans parler de l’impression que cette situation les arrange bien pour mettre à distance un élément qui dérange), il finit par relever les yeux vers elle. « Comment va Tom ? » C’est le plus important, après tout. Et n’ayant pas le désir d’être impoli autant qu’étant véritablement intéressé, il poursuit : « Et vous ? »

Comme souvent quand il est nerveux, il parle, Kieran, sans parvenir à s’arrêter et c’est la raison pour laquelle les détails qui s’échappent d’entre ses lèvres sont ainsi dévoilés alors qu’il a conscience qu’ils n’intéressent pas la jeune femme devant lui. Il aurait pu simplement justifier son absence par un arrêt maladie imposé ; mais comme toujours, il imagine des interprétations qu’il est en réalité le seul à faire. Un arrêt maladie peut cacher un simple rhume et en ce sens, il lui donnerait l’occasion de déverser sa colère puisque son silence ne serait pas justifié. Il ne veut pas non plus entrer dans les détails, n’ayant aucune envie de songer encore une fois à cet événement qui a laissé bien plus de marques que celles qui sont désormais inscrites sur son corps, mais il ne veut pas qu’elle minimise son intérêt et son implication par rapport à la situation de Tom. Alors Kieran perd ses moyens et, en voulant faire comprendre à Aleisha qu’il n’est pas totalement responsable de cette mise à l’écart il s’enfonce au milieu de détails insignifiants et sans intérêt. Elle ne répond pas et ça le rassure autant que ça l’angoisse. Ça le rassure de ne pas avoir à en dire plus, ça l’angoisse de voir ce regard qu’elle porte sur lui et pendant un instant, il imagine que reporter l’intérêt sur elle saura rendre la conversation moins gênante pour lui ; il aurait dû s’y prendre d’une meilleure façon puisqu’avec le recul, il a conscience que sa question est déplacée. Tom ne va pas bien, t’en as d’autres des comme ça, Halstead ? Il a l’impression de s’être ouvertement moqué d’elle, alors que je sais pourtant à quel point la situation de Tom lui tient à cœur et qu’il fait de son mieux avec ce qu’on lui donne (c’est-à-dire, pas grand-chose). Le soupir narquois qu’elle ne dissimule même pas l’oblige à baisser le regard un instant, anticipant les mots qui suivront l’attitude : « A votre avis ? » Outch. J’aimerais lui dire qu’il savait à quoi s’attendre avec une telle question, mais je sais aussi qu’il ne pensait pas à mal. Ce n’est pas pour autant que je condamne cette Aleisha, car je garde en mémoire (et Kieran aussi) qu’elle en souffre probablement autant que Tom. Si lui-même se sent impuissant face à tout ça alors qu’il n’est « que » le professeur de l’enfant, il n’ose même pas se mettre à la place de cette femme. Il voudrait s’excuser ; je le retiens, il en a bien assez fait et je ne suis pas certain que des excuses soient ce qu’elle a envie d’entendre maintenant, d’autant plus qu’elle semble prête à reprendre la parole. « Rien ne va. Il ne s’est absolument rien passé. Je n’ai aucune nouvelle. Mon fils a toujours la trouille et ne me dit rien. Il ne veut rien me dire alors je sais que cela signifie que rien a changé. Oh si ! Vous savez quoi ? Il m’a dit que vous étiez absent - je pensais que vous veilleriez sur lui. » Et si d’ordinaire je m’oppose à toutes les personnes qui se permettent de passer leurs nerfs sur Kieran parce que mon rôle est de le préserver – dans ce contexte-là, les choses sont différentes. Car la personne qui doit être préservée, c’est Tom et Kieran le sait très bien. Le regard qu’elle lui adresse a le don de le mettre mal à l’aise en considérant toute la colère mêlée à la tristesse qu’il peut y voir. Ce n’est pas seulement Tom qu’il voudrait aider, c’est elle aussi, mais il a l’impression qu’il n’arrivera jamais à rien dans un cas comme dans l’autre. « Je laisse mon fils chaque jour dans cette école. Je vous le confie et — » Il voudrait lui proposer de se calmer, mais encore une fois je lui souligne que c’est sûrement une mauvaise idée et qu’il vaut mieux s’assurer qu’elle ait fini de parler, autant qu’il prenne le temps de réfléchir à ses mots. « Je ne sais pas comment je peux l’aider … le changer d’école, lui donner des cours à domicile, … Tout le monde s'en fout ... » Elle cache son visage un instant et il en profite pour reprendre contenance de son côté aussi, avant de croiser son regard et d’esquisser un sourire qui se veut bienveillant. « Moi, je m’en fous pas. » C’est la première précision, celle qui lui paraît la plus importante aussi. « Et, malheureusement, je n’ai pas beaucoup plus de nouvelles que vous. » Il admet, un peu fataliste, se reprenant rapidement pour ne pas la laisser sur une note aussi désastreuse (bien que la suite ne soit pas beaucoup plus réjouissante). « J’ai essayé d’en avoir quand j’étais en arrêt, j’ai appelé des collègues, je suis passé ici, j’ai laissé des messages et j’ai l’impression qu’ils jouent tous au roi du silence. » Le soupir qu’il laisse échapper à son tour traduit de son agacement face à cette mentalité qu’il juge dangereuse, en plus d’être à l’encontre de ce que l’école est supposée transmettre comme valeurs. « Je suis désolé de ne pas avoir été là pour Tom. Je n’ai pas eu le choix d’être absent, mais croyez-moi quand je vous dis que j’aurais préféré que ce ne soit pas le cas et que si j’avais pu faire quelque chose de là où j’étais, je l’aurais fait. » En d’autres termes, il aurait préféré être là, à garder un œil sur l’adolescent plutôt qu’enfermé entre les murs de son appartement, où son impuissance était encore plus grande. Il ne sait pas exactement ce qu’il aurait pu faire de plus, en réalité, puisque tout semble être voué à l’échec, mais il n’a pas envie d’avoir un discours aussi définitif que celui de la jeune femme. « Vous êtes la seule décisionnaire, en fin de compte. » Il souligne par la suite, ne voulant pas lui donner l’impression de juger les options qu’elle présente ou de donner une opinion qui n’est pas la bienvenue. « Je veux dire, vous êtes sa mère et vous savez ce qui est le mieux pour lui. » Elle le connait mieux que tous ceux de cette foutue école et est tristement une des seules à s’inquiéter pour lui. « Et, hm, de mon côté, je voulais me renseigner par rapport à la composition des classes à la rentrée. » L’idée n’est pas encore très arrêtée dans sa tête car il ne sait pas vraiment comment s’y prendre, mais c’est ce qu’il peut faire à son échelle. « Je veux dire, je voulais profiter des discussions qu’il y a pendant les vacances sur de potentiels aménagements pour essayer de séparer Tom de ceux qui posent problème. » Les emmerdeurs, en gros, bien qu’il ne s’autorise pas l’usage de ce terme – mais il le pense très fort. « Je sais que les choses se passent bien avec certains élèves, ou que c’est relativement neutre avec d’autres et je me suis dit que ça pouvait déjà être une option. » Ce n’est pas grand-chose et il est déjà persuadé que ce sera un échec à cause de ses collègues qui ne voudront pas machin ou bidule dans leur classe, sans parler du fait qu’ils n’ont pas de conseils à recevoir du prof de dessin, mais il peut toujours soumettre l’idée dans un premier temps. « Euh, avec... avec votre accord, bien sûr. » Qu’il se reprend en réalisant qu’il est peut-être trop ancré dans ses propres positions pour considérer celle d’Aleisha qui, dans tout ça, a bien plus que lui son mot à dire.

@Aleisha Holt

Il n’a pas pour habitude d’affirmer ses opinions, Kieran et à chaque fois qu’il s’y ose, cela relève autant du miracle que ça ne lui demande un effort considérable et beaucoup d’hésitation avant de formuler quelques mots avec une assurance qui ne lui ressemble pas. Mais dans ce cas précis, face à la jeune femme, il n’a pas besoin de peser ses mots et de réfléchir à ceux-ci pendant de longs instants tant ils lui semblent être l’évidence : il ne s’en fout pas. Son masque de certitude ne dure pourtant qu’un instant, alors qu’il s’imagine déjà lui avoir donné l’impression opposée, de par son absence comme elle l’a mentionné, et par sa passivité caractéristique contre laquelle il se bat pourtant bien plus qu’elle ne pourrait l’imaginer. Ce n’est pas dans ses habitudes de réagir, encore moins d’ouvrir la bouche pour affirmer une opinion ou essayer de défendre une cause qui lui tient à cœur. Le plus souvent, il se contente d’encaisser les coups et de se flageller pour son manque de réaction ; à la différence que cette fois-ci ça ne le concerne pas lui et fermer les yeux ainsi ferait inévitablement de lui un complice, un monstre, en plus d’ajouter une bonne couche de culpabilité et de regrets avec lesquels il n’a pas envie de composer. Et bien qu’il ne s’en fiche pas, ce n’est pas pour autant que la situation s’avère plus facile : il sait qu’il n’est pas un allié de poids dans le combat qu’elle mène, sans quoi il aurait été en mesure de lui fournir les informations qu’elle recherche et que lui-même n’a pas réussi à obtenir. Ce n’est pas faute d’avoir essayé, pourtant et pour une fois je ne peux pas m’agacer contre Kieran ; parce que je sais qu’il a réellement essayé. Dès qu’il a pu sortir de cette foutue chambre d’hôpital, il s’est tout de suite empressé de contacter l’école, ses collègues et quiconque susceptible de l’aider à prendre connaissance de ce qu’il s’est passé durant son absence. Mais c’est comme si celle-ci avait été attendue, espérée et que son agression avait bien arrangé l’administration pour s’assurer qu’il soit ainsi tenu à distance. Il s’est alors déplacé ; sans plus de succès. Il a multiplié les appels et les messages – et à chaque fois, la même histoire : on lui servait des idioties en le pensant pas suffisamment malin pour comprendre qu’on lui cachait le problème en répondant à côté de celui-ci. Et si, malheureusement, Kieran n’a pas le courage d’aller taper du poing autant que de hausser la voix, son agacement commence à grandir – et là-aussi, c’est suffisamment rare pour être souligné. Peut-être qu’on arrivera à quelque chose, finalement, mais ce serait préférable que cela se fasse avant que la situation soit réellement sans issue pour Tom.

Le soupir qu’elle laisse échapper n’est pas pour le rassurer ; attendant le moment où elle s’attaquera encore à lui. Il peut comprendre, il peut l’excuser aussi. Et s’il y a une part de moi qui déteste cette manière qu’il a d’accepter toutes les flagellations ; le fait est qu’il représente, en un sens, une autorité qui ne fait pas son travail et qui n’arrive pas à protéger Tom comme elle le devrait. Peu importe s’il essaie de faire de son mieux, ce n’est pas assez et cette litanie se répète en boucle, dès qu’il essuie le silence et les méprises de ses collègues ou, pire encore, d’une direction qui pense à sa réputation avant le bien-être de ses élèves. Ce serait mentir que d’assumer que le métier de professeur plaît et motive Kieran à se lever tous les matins. Mais il sait pourquoi il le fait ; et ce n’est pas pour se sentir aussi impuissant. « Si cela ne tenait qu’à moi … il aurait déjà changé d’école, vous savez. » Il peut comprendre. Il n’a pas la prétention de savoir ce qu’il ferait à sa place, ni même l’expérience d’être un parent, mais il a été à la place de Tom et il se souvient à quel point il souhaitait qu’on le change d’école. Finalement, il a vite réalisé que ça ne changeait pas grand-chose ; quand vous avez une prédisposition à être la victime des autres, c’est inscrit dans votre code génétique. Un constat qu’il se garde de faire alors qu’il la laisse poursuivre. « Son père lui a mis dans la tête qu’il s’agirait d’une fuite, que l’on ne doit pas fuir, que l’on doit affronter les problèmes en face. » Cette fois-ci, Kieran ne parvient pas à rester neutre alors que ses sourcils se froncent face à cette information. « Alors évidemment, il fait comme si tout va pour le mieux. Alors évidemment, il refuse de changer d’école pour ne pas être lâche. » Et, cette fois-ci, c’est un soupir qui s’échappe d’entre ses lèvres, par automatisme alors qu’il se reprend rapidement. « Désolé. C’est juste que... » Je trouve que c’est complètement con et dangereux comme discours. « Je ne partage pas l’avis de son père. » Et il ne devrait pas le dire, Kieran, qu’il songe alors qu’il baisse la tête, honteux d’avoir donné un avis tranché qu’elle n’a pas demandé. « Vous pensez que ce serait possible … pour les classes, veiller à ce qu’il ne se retrouve pas avec eux l’année prochaine. » Hochant la tête pour confirmer, il reste néanmoins silencieux. « Comment est-ce-qu’on doit s’y prendre ? J’crois que je ne suis plus vraiment la bienvenue dans le bureau de votre direction … pour demander une faveur ou un service. » Un rire nerveux s’échappe d’entre ses lèvres alors qu’il affiche un léger sourire, néanmoins vite remplacé par une moue gênée. « Je ne suis pas certain d’avoir plus de succès que vous. » Il admet, pesant ses mots pour ne pas dire explicitement qu’il a cette même direction en horreur. Et pourtant, Halstead, ce n’est que le début. « Mais je vais continuer de leur en parler au cours des prochaines réunions. J’ai commencé à faire des listes de classes à leur proposer, aussi. » Et si seulement c’était aussi facile qu’une simple proposition acceptée à l’unanimité. « Le souci c’est que je ne suis ‘’que’’ le prof de dessin et... enfin, autant être franc avec vous, j’ai pas particulièrement d’impact ou quoi que ce soit... » Il ne le veut pas en temps normal, Kieran, ravi d’être invisible aux yeux des gens la plupart du temps. Mais pour une fois, il voudrait qu’on l’écoute. Il faudrait qu’on l’écoute. « Vous pouvez écrire une lettre de votre côté, un genre de... plaidoyer, vous voyez le genre. Quelque chose qui pourrait être remonté au-delà du seul directeur de cette école et, puis, ça reste une preuve écrite au cas... » Où la situation ne s’améliorerait pas. Mais il s’interdit de poursuivre, conscient qu’il ne ferait qu’enfoncer le couteau dans une plaie déjà douloureuse. « Vous pensez que Tom serait prêt à en parler ? » Dans le fond, à chaque fois que Kieran a essayé de lui tirer les vers du nez, l’adolescent est toujours resté silencieux. Est-ce qu’il en va de même à la maison ? Est-ce qu’à deux ils ne pourraient pas l’aider à se confier ? « Et je sais que c’est sûrement terriblement déplacé de ma part, mais... enfin, si son père pouvait éviter ce genre de discours... » Il s'ose à souligner, pinçant la lèvre, mal à l'aise d'une telle demande - mais il pense à Tom avant tout, et lui faire croire qu'il est lâche n'arrangera pas sa situation, au contraire.

@Aleisha Holt

Elle soutient son regard et il se fait violence pour ne pas en être déstabilisé, lui qui d’ordinaire baisse les yeux à la moindre occasion, incapable de soutenir les prunelles des autres sur lui. Mais, convaincu qu’il ne lui fait pas la meilleure des impressions avec ses hésitations et ses bégaiements, il essaie de ne pas aggraver son dossier, alors même qu’il semble porter un coup fatal en donnant ce qui se rapproche le plus d’une opinion de sa part. Il n’a jamais rencontré le père de Tom – au point où il s’est sérieusement demandé si celui-ci faisait partie du tableau, mais le discours rapporté par la jeune femme lui suffit à ne pas vraiment vouloir que leurs chemins se croisent. Il parle peu, Kieran, mais, trop souvent, son regard parle pour lui et ça lui suffit pour se mettre dans des situations délicates desquelles il peine souvent à se sortir. Il ne partage pas l’avis de son père, mais puisqu’il s’est excusé au préalable, elle ne lui en tiendra pas rigueur, n’est-ce pas ? Ou, si vraiment, elle saura le recadrer gentiment, sans lui faire comprendre qu’il fait partie des cons de cette école (il faut dire qu’il n’a pas vraiment besoin d’elle pour en être convaincu, malheureusement). Dans l’attente de son verdict, il sent son malaise s’accentuer avant qu’un sourire n’étire ses lèvres et qu’il soit brièvement soulagé autant qu’il est curieux. « Merci. » Ce n’est certainement pas ce à quoi il s’attendait, mais désormais conscient qu’elle ne s’acharnera pas sur lui quant à son avis qui n’était pas demandé, il se permet de répondre à son tour par un fin sourire.

Pour autant, son aisance ne dure qu’un instant, alors que vient le temps d’admettre qu’il n’aura probablement pas beaucoup plus de succès qu’elle quant à la perspective de parler avec la direction de cette école. Ce n’est pas qu’un cliché, que certaines ont des œillères, celle-ci en fait partie et ce n’est pas faute d’avoir essayé d’alerter sur la situation. Peut-être devrait-il être plus sûr de lui (c’est une certitude même), plus convaincant, aussi, s’il savait discourir et plaider sa cause comme d’autres le font. Kieran, lui, n’est pas à l’aise avec l’exercice, ni avec tous ceux qui impliquent d’avoir à faire entendre sa voix ou simplement à affronter les autres – autant dire que tout ceci relève d’une véritable épreuve pour lui. « Oh ! » Il sait pertinemment que ce n’est pas ce qu’elle souhaitait entendre ; tout comme c’est ce qu’il n’aurait jamais souhaité avoir à dire. Mais ce n’est pas parce qu’il est le meilleur défenseur qu’il ne mettra pas du sien. Si on peut lui reprocher d’être mou, d’être trop réservé, il y a quelque chose qu’on ne peut pas lui enlever : sa patience. Mais Tom n’a pas le temps de continuer à subir la situation, ce qui implique que Kieran devra, tôt ou tard, oser taper du poing sur la table et pas seulement se racler la gorge et faire usage de belles politesses avant de s’exprimer. « Oh ! » Cette fois-ci, il pince les lèvres, Kieran, toujours plus mal à l’aise alors qu’il a l’impression d’enfoncer le clou plus que de lui tendre la main. Dans tous les cas, il ne peut pas changer les choses tout seul, le brun et il aura bien besoin de son aide. S’il connait l’institution et certains moyens de leur parler, elle a le mérite d’avoir le caractère qui lui manque, ils devraient bien arriver à quelque chose, toutes les deux.

Il ne manque plus que le troisième protagoniste et ils seront invincibles – c’est ce qu’il aime croire, du moins. « En parler ? A qui ? » Elle croise à nouveau son regard et cette fois-ci il n’arrive à le soutenir que quelques instants avant qu’il ne baisse légèrement la tête un instant tandis qu’elle poursuit. « Je n’ai pas vraiment envie de le jeter dans la gueule du loup … ou de le mettre à la merci de ces bureaucrates qui le jugeront … non pas que je n’ai aucune confiance en vos supérieurs mais disons que … » Il hoche doucement la tête. Il y a une part de lui qui lui interdit d’exprimer son opinion, comme si des micros pouvaient être cachés dans cette pièce et que ses paroles seraient retournées contre lui, mais le léger haussement de sourcils ainsi que le sourire pincé qu’il lui offre ne font que confirmer qu’il est d’accord avec elle. « Je comprends, oui. Mais je me demandais si... s’il était plus causant avec vous, par exemple. Ne serait-ce que pour savoir ce qu’il se passe exactement. » Car, de son côté, il se base beaucoup plus sur des suspicions que de véritables faits – même s’il ne doute pas de l’existence de ceux-ci. « Et je me doute bien qu’il a pas vraiment envie de parler de ses problèmes avec son prof, mais... enfin, je lui ai déjà dit qu’il pouvait me faire confiance et que j’étais là. Mais, si tout à coup il a besoin de l’entendre de quelqu’un d’autre, vous voyez... » Il ne sait pas si Tom accordera plus de crédit à sa mère, mais, de son côté, il essaie de ne pas non plus être constamment sur son dos à assurer sa bienveillance. Peut-être que si un jour il décide d’exprimer ce qu’il se passe pour lui, Aleisha pourra lui assurer une fois encore qu’il a un soutien entre les murs de cette école, contrairement à ce qu’il a l’air de croire.

Et s’ils commencent à voir quelques solutions pour aider son fils, il faudrait néanmoins que le père de Tom y mette aussi du sien ; en évitant les discours tels qu’ils ont été rapporté plus tôt. « … ca nous faciliterait tous la vie ? Ouais, je sais. C’pas la première fois qu’il me donne une raison de l’égorger, vous savez. » Il s’autorise un léger rire à son tour, qu’il réprime bien vite en craignant que ce soit déplacé. Il serait presque curieux et souhaiterait l’interroger, mais là-aussi, il se retient : ce n’est pas son rôle. « Est-ce-que … euh … je suis désolée de vous demander ça, mais est-ce-que je peux me permettre de demander un petit coup de main pour cette lettre … je ne suis pas vraiment douée pour la diplomatie. » Il affiche une mine surprise, bien peu à l’aise dans ce rôle qu’elle souhaite lui donner. « Vous ? » Et si un instant Kieran envisage de souligner que ce n’est pas le domaine où il excelle le plus (plus pour des questions de réserve que de fierté), lorsqu’il prend conscience qu’elle désigne les marques encore bien présentes sur son visage et qu’il baisse la tête un instant. « Oh, ça, c’est, hm, j’ai surpris un cambrioleur et, disons qu’il était pas vraiment ravi. » Il expulse un léger rire nerveux, tentant une fois encore de dédramatiser une situation qui occupe toutes ses pensées. « Rien à voir avec la diplomatie, donc, et pour être honnête, c’est pas mon domaine de prédilection, j’ai tendance à trop arrondir les angles, justement. » Et en soit, elle pourrait croire que ça fait de lui quelqu’un de diplomate, mais, en réalité, il s’écrase surtout face aux autres et il préfère être honnête. « Mais j’imagine qu’à nous deux on peut arriver à un compromis. » Il ajoute avec un léger sourire, entre son supposé manque de délicatesse et celui de Kieran qui est bien trop accentué, ils arriveront à formuler quelque chose – il a envie d’y croire. « On peut s’y mettre maintenant, mais je voudrais pas abuser de votre temps. Ou vous pouvez me dire quand vous avez un moment, je peux m’adapter. » Ce n’est plus comme si ses journées étaient chargées, de toute évidence.

@Aleisha Holt

« Il a juste évoqué deux, trois anecdotes ; mais je crois que vu ma tête, —- j’ai paniqué et il a tout de suite arrêté. Je pense qu’il est maintenant du genre à réduire l’importance des faits. » Et il ne peut pas blâmer Tom pour ça, parce que l’expérience résonne beaucoup trop en lui pour juger de la bonne manière (ou non) qu’à Tom de procéder. Lui aussi il minimisait les actions de ceux qui se moquaient de lui, quand il était plus jeune. Et il a compris, quelques semaines plus tôt en retrouvant une ancienne camarade de classe, que le silence ne l’avait pas aidé – bien au contraire. La rancœur et la tristesse sont toujours les mêmes, et sont même plus handicapants une fois adulte. Parce qu’il est supposé être passé à autre chose, parce qu’il ne devrait pas laisser ronger par des blessures passées. « Je vous jure que si ce n’était pas des mioches, c’est moi qui m’occuperait personnellement de leur sort. » La réflexion le surprend tellement qu’elle lui arrache un rire étouffé qu’il essaie tant bien que mal de réprimer. T’es professeur, Kieran, tu dois pas encourager ce genre de pensées, encore moins à l’égard de gamins. « Pardon. » Il se reprend en ravalant le sourire qui était prêt à se dessiner sur ses lèvres, soulignant néanmoins que : « C’est juste que... si vous voyiez certains parents. » Il se permet, un peu hésitant, comme une vaine tentative pour lui souligner que le problème ne vient définitivement pas de Tom et encore moins d’elle. Le problème réside chez ces parents-là, et il aurait bien précisé que c’est souvent le cas, mais il craint d’en faire une généralité qu’elle pourrait appliquer à son propre cas alors qu’il ne pense pas un seul instant qu’elle soit responsable de quoi que ce soit concernant la situation de son fils. « S’il vous dit quelque chose, est-ce que vous pourriez... pas forcément me répéter ce qu’il vous a confié, mais juste, enfin, me tenir au courant ? » Il demande avec tout autant d’hésitation, se maudissant intérieurement de bafouiller autant quand le sujet a autant d’importance. Mais il n’est pas sûr de lui, Kieran et encore moins dans une situation comme celle-ci, où il a l’impression de mettre la loyauté d’Aleisha à l’épreuve. C’est bien pour cette raison qu’il précise sa volonté de ne pas avoir le compte-rendu des mots de Tom (bien que ça lui serait utile), seulement d’être tenu au courant, ne serait-ce que pour réaliser qu’une brèche s’est ouverte. Il ne saurait pas forcément quoi en faire, ni comment l’utiliser, mais il pousserait d’autant plus la réflexion afin de continuer à proposer des solutions jusqu’à ce que l’une d’entre elle veuille bien fonctionner, enfin.

Le sujet de ses blessures rapidement passées sous silence – personne ne veut savoir ce qu’il s’est réellement passé, pas même lui, il préfère lui assurer qu’elles n’ont rien à voir avec un potentiel manque de diplomatie. Non, si elle le connaissait mieux, elle saurait qu’il est catégorisé parmi les paillassons, ceux qui encaissent sans jamais savoir quoi dire, qui acceptent d’être frappé et humilié parce qu’ils n’ont jamais appris à réagir. La crainte d’avoir été trop honnête, au point de lui faire reconsidérer cette alliance qui s’installe, est balayée par le rapide éclat de rire de la jeune femme ; il peut toujours compter sur elle, tout comme la réciproque s’applique. « Vous voulez dire que mon côté brute de décoffrage va compenser et pimenter votre calme olympien ? Possible qu’on arrive à un compromis … c’est vrai. » Cette fois-ci, ce sont les traits de Kieran qui se détendent, alors qu’elle résume parfaitement la situation et qu’il se permet même de préciser : « j’aurais dit persévérante, pour le politiquement correct. » Parce qu’on ne parle certainement pas d’une mère d’élève comme étant « brute de décoffrage ». Ou en tout cas pas devant elle, puisqu’Aleisha a eu le droit à bien d’autres qualificatifs de la part d’une direction excédée, qui lui avait presque fait craindre cette entrevue ; force est de constater qu’ils sont dans le tort jusqu’au bout. Dans tous les cas, il est sincère, Kieran. Elle est persévérante, c’est quelque chose qu’il ne peut pas lui enlever et c’est surtout un aspect qui pourrait les aider dans leur combat. Encore une fois, il n’est pas certain d’être d’une grande aide, ses capacités avec les mots étant ce qu’elles sont pour formuler les choses, mais il a l’avantage de connaître le vocabulaire à proscrire pour ne pas risquer que la lettre finisse abandonnée dans une corbeille. « Maintenant ? Woh ! Euh —» Kieran hésite à lui préciser une nouvelle fois qu’il peut s’adapter à son horaire, ne voulant pas qu’elle se sente prise au piège pour la prochaine heure. « Volontiers. Oui. Bien sûr. Tom est chez son père donc …» Il fronce les sourcils un instant, rapport au fait que le père en question ne lui a pas fait une bonne impression par le biais des propos de la jeune femme – mais eh, il n’est pas là pour juger. « Ok. Allons-y! » Bon, il s’en veut de l’avoir proposé parce que maintenant que c’est effectif, il est encore moins sûr qu’avant ; décaler le rendez-vous lui aurait au moins permis de se préparer. « Par contre, je ne serais pas contre l’idée de faire ça ailleurs.» Ce qu’il peut comprendre sans même lire la moue sur le visage de la jeune femme. « Y’a un café pas mal à quelques rues d’ici. » Lui adressant un regard pendant qu’il rassemble ses affaires à la hâte dans son sac à dos, il acquiesce à la proposition. « Pour tout vous dire, ça m’arrange aussi. » Parce qu’il n’apprécie pas particulièrement les lieux, qu’il a déjà eu suffisamment de peine à s’intégrer (il ne l’est toujours pas) pour s’abstenir des regards curieux qui, s’ils le surprennent avec la tornade Holt, ne manqueront pas de l’interroger. Et il préfère ne pas prendre le risque que l’on se mêle de leurs histoires, en vue de la manière dont l’établissement est déjà investi.

Le chemin lui paraît interminable, la faute à cette blessure au flanc pas encore totalement cicatrisée, et s’il essaie de garder le rythme, ses pas se veulent plus lents que ceux de la jeune femme et il n’est pas mécontent quand ils arrivent enfin au café en question. Leur commande passée, Kieran est vite à nouveau enseveli par une certaine gêne, bien peu habitué à côtoyer les parents d’élève de la sorte et ayant l’impression d’être hors des règles imposées par sa direction – mais quand on voit comment ils en appliquent certaines, on peut douter de leur crédibilité. « Je vous aide avec plaisir et je vais faire de mon mieux, mais vous savez que... enfin, je peux rien vous promettre, n’est-ce pas ? » Il s’ose finalement après quelques instants, bien peu assuré, mais devant commencer par-là. Parce qu’il ne voudrait pas briser les espoirs de la jeune femme alors que lui-même ne sait pas ce que tout ça va donner, et que, tristement, il en a même déjà une petite idée.

@Aleisha Holt

« Les parents, ça peut être aussi une bonne idée. » Kieran écarquille un instant les yeux, s’apprêtant à préciser que ce n’est pas là où il voulait en venir dans son habituel incompréhension du second degré avant d’avoir un éclair de lucidité et de considérer sa réflexion comme telle... n’est-ce pas ? Elle n’est pas sérieuse, hein ? Ce n’est pas qu’il lui prête de mauvaises intentions, seulement qu’il a pu constater la ferveur avec laquelle elle défend la cause de son fils (à juste titre, qu’on se le dise) et qu’il ne serait qu’à moitié étonné d’apprendre qu’elle a décidé de s’en prendre aux parents des élèves concernés. Encore une fois, à juste titre, puisque ce serait mentir que dire qu’il n’en a pas lui-même eu l’envie, parfois. Sauf qu’il a bien moins de caractère et que ses belles ambitions se heurtent à sa passivité et son désir de ne faire aucune vague, l’empêchant ainsi de remettre à leur place certains parents qui, pourtant, le mériteraient. Que ce soit concernant la situation de Tom ou simplement de manière générale, mais il imagine, dans ce cas-là, qu’il est biaisé par le fait de ne pas avoir d’enfants, bon. Il espère que le jour où ce sera le cas, il ne sera pas aussi... chiant, autant dire les choses, que certains d’entre eux qui débarquent dans son bureau dès que la note donnée à leur chérubin ne correspond pas à leurs attentes – et non, ça n’arrive pas que dans les films, malheureusement pour lui. Kieran s’ose finalement à lui demander de lui transmettre les informations qui pourraient lui être utiles, celles qui pourraient également le rassurer quant au fait que Tom a réussi à en parler autrement qu’au détour d’une conversation en minimisant ce qu’il subit, alors qu’ils ont conscience de la réalité de sa situation. « La situation est selon moi suffisamment grave pour que je me comporte en « balance », s’il le faut » L’usage de ce terme le fait légèrement sourire, même si ce n’est pas une posture qu’il veut lui imposer – mais elle connait son fils mieux que lui et elle est à même de déterminer ce qu’elle peut se permettre ou non. « Je vous tiendrais naturellement au courant. » Ses lèvres s’étirent un peu plus en un sourire sincère, alors qu’il précise : « Merci. Oh, et il en va de même de mon côté. » Il n’imagine pas Tom préférer son oreille à celle de sa propre mère, mais si cela venait à être le cas, il se comportera lui-aussi en « balance ». Après tout, elle a raison, la situation est suffisamment grave pour justifier de tels moyens.

Et s’il n’aurait pas utilisé le terme « brut de décoffrage » pour la qualifier, dans le fond elle n’a pas tort. Pas que ça le dérange, au contraire, si Kieran possède l’avantage de connaître la manière dont fonctionne l’établissement (à son plus grand regret, puisqu’il n’apprécie pas leur manière de faire), on ne peut pas dire qu’il arrive encore à en faire une force. Il a bien conscience du combat que cela est de leur faire entendre raison, même de nos jours où la loi du silence n’est plus supposée être une excuse en vue de tout ce qu’il se passe dans des établissements comme celui-ci. Et si même Aleisha, au caractère qu’il perçoit comme bien trempé, n’arrive pas à obtenir quoi que ce soit d’eux, inutile de dire qu’il leur reste beaucoup de chemin. Mais entre son calme et la persévérance de la jeune femme, ils pourront sûrement avancer. « cette lettre va être parfaite. » Il affiche une moue peu convaincue pendant un instant, parce qu’il ne faudrait pas qu’elle se fasse trop d’attentes ; elle découvrira bien assez vite qu’il est plutôt du genre à arrondir les angles jusqu’à les faire disparaître et ce n’est pas certain que son discours sera toujours aussi enjoué à ce moment-là, mais pour l’heure, autant prétendre qu’il est un allié indispensable, hm.

Installés au café qu’elle a indiqué, l’aisance de Kieran ne dure pas longtemps alors qu’il n’attend finalement pas qu’elle le découvre par elle-même pour lui souligner qu’il n’est pas particulièrement confiant concernant cette démarche. Déjà qu’il ne l’est pas en temps normal, si en plus on lui rajoute une certaine nécessité d’y arriver, c’est l’effet contraire qui se produit. Bien sûr, Kieran compte faire de son mieux et de ce côté-là, il ne ment pas, mais il ne voudrait pas non plus qu’elle fonde trop d’espoirs en lui alors qu’il ne sait pas ce qu’il va vraiment advenir de tout ça. La déconvenue serait encore plus grande que celle qu’elle subit déjà au quotidien et il s’en voudrait de lui avoir donné un espoir aussitôt anéantir par la direction. « Je sais. Je sais que vous faites déjà bien plus que ce qu’est sensé faire un professeur, encore une fois merci pour ça … je sais que vous ne pouvez rien me promettre et que sans doute, ils ne la liront pas jusqu’au bout. Je sais que je me bats peut-être dans le vide mais je veux juste être certaine d’avoir fait et mis en place tout ce qui est en mon pouvoir pour aider Tom. » Elle a l’air sincère, Aleisha, alors que son visage reste souriant malgré la situation et il essaie d’en faire de même malgré son évident manque d’assurance. « Ne doutez jamais de ça. » Il souligne, plus convaincu, car même s’il n’a pas forcément eu vent de tout ce qu’elle a mis en place pour aider son fils, sa détermination depuis qu’ils se côtoient suffit à lui prouver qu’elle a fait tout ce qu’elle pouvait. Le problème ne vient pas d’elle, mais bien de cette direction qui minimise le malaise de Tom – et probablement d’autres aussi. « Et je m’assurerai qu’ils la lisent jusqu’au bout. » Comment, il ne sait pas, et peut-être qu’il ne devrait pas faire cette promesse, mais elle est l’une des rares qu’il se sent capable de tenir. Après tout, il a déjà la réputation du prof trop insistant et trop pénible, il n’est plus à ça près.  « Par contre, en tant que complice, on pourrait commencer par se tutoyer. » Relevant les yeux vers elle, il pince légèrement les lèvres. « ça rendrait la chose moins stressante. » Ce n’est pas dans ses habitudes et probablement qu’elle devra le reprendre à plusieurs reprises quand il oubliera ce détail, mais il consent à s’y essayer. « Euh, oui, bien sûr, oui, vous avez raison. » Première erreur. « Tu as raison. »  Qu’il se reprend rapidement, oubliant rapidement sa gêne dès que l’intérêt est à nouveau orienté vers leur but commun et la rédaction de cette lettre qui, après plusieurs ratures et tout autant de négociations, apparaît comme parfaite. À leurs yeux, du moins, Kieran étant conscient qu’il n’en sera, malheureusement, pas de même pour la direction. Mais il n’a pas menti ; et il fera de son mieux pour qu’ils lisent cette lettre et, mieux encore, pour qu’ils la prennent en considération comme ils auraient dû le faire depuis longtemps.

@Aleisha Holt