Le visage coloré du reflet de l'enseigne, Jackson observe les lettres '' At Nate's '' d'un air distrait, les mains plongées dans les poches de sa veste et le cou rentré dans les épaules. Sous le tissu imperméable de sa surcouche, la capuche de son hoodie recouvre son crâne pour le protéger de la pluie. Après le froid sibérien expérimenté en Norvège, les averses estivales de Brisbane lui semblent insignifiantes. Son esprit est ailleurs, loin de l'humidité ambiante, tourné vers ce qu'il est venu chercher dans ce club et ce qu'il fera s'il en sort bredouille.
Contrairement à ce qu'il avait espéré, Zehri n'était ni chez lui, ni à la marina en cette soirée pluvieuse. Connaissant l'oiseau, Jax avait décidé de faire un crochet par le club de Jazz sur le chemin du retour. Sait-on jamais. Il espérait s'entretenir avec l'inspecteur, mettre les choses au clair et s'assurer que rien de ce qui s'était passé en son absence n'était le résultat du conflit malheureux sur lequel ils étaient restés lors de leur séparation, quelques mois auparavant.
Au moment de pénétrer dans le club, Mills sent sa masse musculaire se détendre instantanément. L'ambiance y est chaude et douce, la musique caressante comme les mains d'une femme bien intentionnée. Laissant couler la gravité de son humeur et la lourdeur des enjeux qu'il traîne dans son sillage, Jax retire sa veste, secoue la tête afin de se débarrasser de la fine pellicule de flotte accrochée à son visage puis se met à la recherche d'Anwar. Il ne tarde pas à repérer la silhouette de l'homme lui tournant le dos. Assis à une banquette solitaire, le policier semble écouter la mélodie fredonnée par une chanteuse aux courbes appréciables et au timbre si langoureux que Jackson ne peut que percevoir en quoi ce spectacle a quelque chose d'hypnotisant. Calmement, l'agent s'approche. Il a prit soin de commander deux bières au bar, histoire d'arriver avec un drapeau blanc.
Lorsqu'il s'assied aux côtés d'Anwar, Mills ne pipe mot. Il accompagne son ex complice dans la contemplation silencieuse de la chanteuse jusqu'à ce que cette dernière ne rompe le charme en éteignant sa dernière note. Jax prend part aux applaudissements discrets que les clients réservent au band. Il apprécie spécifiquement la vibe de l'endroit et ce mélange de participation du public couplée à une tranquillité propice aux confidences et aux échanges privés que la musique ni trop forte ni trop basse camoufle d'anonymat particulièrement bienvenu en ces circonstances. '' Maintenant je comprends pourquoi tu traînes souvent ici. '' Commence-t-il en poussant en direction d'Anwar la bière lui étant destinée.
S'il n'a plus aucune trace du coquard laissé par le poing de Zehri sur sa gueule d'amnésique incapable de répliquer au moment de leur accrochage, Mills n'en oublie pour autant pas les séquelles laissées par ce tomber de rideau raté. Du jour au lendemain, plus aucune nouvelle. Pis, une disparition en règle, sous couvert de congés dit sabbatique, et l'inquiétude grandissante de Widow avec laquelle il avait fallu composer alors que, de son côté, Jax se faisait gentiment pousser dans l'avion pour la Norvège, invité - pour ne pas dire ordonné - à prendre des vacances avant que le procès ne commence. La distance qui s'était creusée entre les deux hommes n'avait d'égale que la proximité avec laquelle ils s'étaient battus pour faire tomber Hoover et le fait de se retrouver là, assis l'un à côté de l'autre comme deux inconnus, donnait à l'agent fédéral la désagréable impression d'avoir perdu plus qu'un collègue dans cette histoire. Peut-être pas un ami, mais résolument un frère d'arme et quelqu'un que Jackson estimait trop pour ne pas se donner la peine de tenter d'enterrer la hache de guerre.
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L'ambiance feutrée du Jazz Club parvenait à apaiser presque tous les maux d'Anwar. L'endroit n'avait pas connu que de beaux jours, l'inspecteur en avait observé le déclin avec tristesse, puis la renaissance avec enthousiasme et même un brin de tendresse lorsque Weaver en avait repris les rênes, déterminé à redonner au lieu son éclat d'antan. Frank et lui y avaient eu leurs habitudes, fut un temps, et son ami désormais disparu ce bar était l'un des rares lieux où Anwar parvenait à revenir sans que le poids du deuil ne lui écrase automatiquement les épaules. Il avait eu besoin de cela, ce soir-là, tandis que le silence de son appartement l'assourdissait et que l'absence de Maze et d'Alma coupait court à toute tentative pour éviter les pensées qui parasitaient son esprit. Il avait bien tenté de s'occuper, avait consulté à plusieurs reprises l'application de son smartphone renseignant les conditions de navigation sans aucun signe d'une amélioration, et l'inox de son évier n'avait jamais autant brillé qu'après le temps passé à l'astiquer. Il n'aurait jamais cru dire cela un jour, Anwar, mais il avait définitivement basculé dans le camp de ces personnes qui évacuaient leur frustration dans les tâches ménagères – exception faite du repassage, il détestait le repassage. Il pouvait rattraper une journée décevante au fait de contempler sa cuisine briquée du sol au plafond, et si Maze le trouvait éponge à la main en rentrant le soir elle savait que lui demander comment s'était passée sa journée n'était pas une idée judicieuse. Si une tâche de calcaire ou de café subsistait quelque part, il en faisait son cheval de bataille et frottait jusqu'à ce que la surface ait de nouveau l'air comme neuve, et n'importe quel psy de comptoir qui serait passé par là vous aurez affirmé avec aplomb qu'il faisait disparaître les tâches à défaut de pouvoir faire disparaître les autres contrariétés qui minaient son quotidien.
Mais ce soir-là jouer les Monsieur Propre n'avait pas été suffisant, et confronté au silence solitaire que les élucubrations de son perroquet ne parvenait pas à combler, Anwar était allé trouver refuge au Jazz Club comme on réclamait l'asile par une longue nuit d'hiver. Installé confortablement sur l'une des banquettes Chesterfield, le verre vide abandonné devant lui et l'attention toute tournée vers le clone de Jessica Rabbit qui performait au micro, l'inspecteur profitait de la pénombre et de sa tranquillité pour octroyer à son esprit le brin de repos dont il avait besoin. Ou le croyait-il, jusqu'à ce qu'une ombre ne se fraye un chemin jusqu'à lui et ne prenne possession de la place restée vacante à sa droite. Le verre de bière poussé comme on tendait le calumet de la paix, Jackson avait au moins eu la tenue de patienter jusqu'à la fin du tour de chant pour faire entendre sa propre voix, et leurs mains gratifiant d'applaudissements mesurés la sortie de scène du jazz bande, l'agent fédéral était sorti de son silence aussitôt après. « Maintenant je comprends pourquoi tu traînes souvent ici. » Du regard, l'inspecteur avait suivi la chanteuse jusqu'au comptoir où elle était allée se pencher pour échanger quelques mots à l'oreille de Weaver. Cette vieille canaille. « La musique y est bonne, et l'atmosphère y est confortable. Du moins la plupart du temps. » À peine voilée, la pique n'avait pas tant vocation à chasser Jackson qu'à lui faire comprendre – pensait-il – qu'il n'était pas plus d'humeur à causer des exigences de son unité avec lui qu'il ne l'avait été avec sa prédécesseure quelques temps plus tôt.
Devant lui, le verre de bière n'attendait que d'être saisi pour empêcher à l'eau de la condensation de tracer une auréole sur la table. Pourtant, pas encore décidé sur la conduite à adopter envers son collègue ni sur la patience qu'il aurait à lui consacrer avant de décider que c'était assez, Anwar ne s'en était pas saisi et avait laissé au silence quelques secondes d'avance avant de demander « Qu'est-ce que tu fous là, Mills ? » avec un brin de lassitude. Pas Jax, pas Jackson, Mills – et en attendant de décider dans quel camp il était, il n'aurait pas droit à mieux. « La reine des glaces n'a pas digéré mon manque de docilité, alors elle envoie son gros bras pour m'admonester ? » Ou bien espérait-elle à l'inverse que le pseudo début d'amitié entre les deux hommes soit plus efficace que les menaces pour arriver à leurs fins ? Elle n'avait pourtant pas échappé au dernier chapitre de l'association Mills-Zehri, et même Anwar la soupçonnait de s'être frottée les mains tandis que lui réalisait n'avoir été qu'un pion, utilisé pour de salir les mains. « Ou bien t'es là pour menacer ma femme, toi aussi ? » C'était le dernier rebondissement en date, la dernière pierre à l'édifice du plan foireux dans lequel l'inspecteur avait été entraîné contre son gré … Et c'était de loin celui qui le mettait le plus hors de lui. Qu'on s'en prenne à lui, qu'on l'utilise, qu'on le menace, il pouvait encaisser. Mais qu'on s'attaque à l'un de ses proches, à sa famille, cela le mettait dans une rage sourde. Et peu importe que ses relations avec Riley ne soient pas au beau fixe, peu importe qu'ils aient eu leur lot de drames à affronter du temps où ils formaient un couple (ou du moins essayaient) : aux yeux du monde et jusqu'à ce qu'un papier ne stipule le contraire, Riley restait son épouse et s'en prendre à elle, c'était s'en prendre à lui.
La plupart du temps. Bouche entre ouverte, Jackson se passe la langue sur le devant des dents. Pas besoin d'être mentaliste pour saisir le message, même pour un chien fou tel que lui. Impulsif et téméraire, peut-être, con et à côté de la plaque, certainement pas. Plus pour s'occuper les mains qu'autre chose, il se met à jouer avec son sous-verre, conscientisant sans mal que la discussion qui s'en vient requerra de lui qu'il gère ses émotions plus efficacement que lors de leur dernière mission.
« Qu'est-ce que tu fous là, Mills ? » Cette question, il s'y était attendu tout en refusant d'y préparer une réponse anticipée qui aurait eu le mérite d'être structurée en plus d'être rationnelle mais aussi de puer le discours prémâché qu'un gars comme Zehri - ayant évolué à ses côtés, connaissant son appartenance à une cellule ministérielle classée secret défense et ayant tâté de son caractère cabossé - aurait tôt fait de rejeter en bloc. Au lieu de quoi, l'agent garde le silence. Il prend la question pour ce qu'elle est : une invitation à sérieusement réfléchir aux raisons de sa présence ici. Son regard accompagne la discussion sans sous-titres entre la chanteuse et le propriétaire des lieux tandis que son esprit trie les informations pour en faire des tas distincts. D'un côté le perso : estime, complicité, déception, confrontation, rancœurs. De l'autre le pro : coopération, enjeux communs, contraintes hiérarchiques, close de confidentialité. Le sac de nœuds est complexe, long et pénible à démêler, tant et si bien qu'Anwar a le temps de sortir cette phrase qui l'interpelle et fait dévier le regard de Mills sur son voisin : « La reine des glaces n'a pas digéré mon manque de docilité, alors elle envoie son gros bras pour m'admonester ? » Orgueilleux, Jax s'imagine lui répondre qu'il lui est redevable d'un poing en pleine gueule mais la suite le fait tiquer. « Ou bien t'es là pour menacer ma femme, toi aussi ? » Ses sourcils se froncent en signe d'incompréhension. A quoi Zehri fait-il allusion ?
Aux dernières nouvelles, Sparrow avait été choisie pour être celle qui proposerait à l'inspecteur d'intégrer le PSI et le fait qu'elle soit revenue avec un refus n'avait donné suite qu'à un ordre de mission plus poussé consistant à trouver les bons leviers pour le convaincre. Il était impensable d'imaginer l'atout charme de leur équipe utiliser ou recommander l'utilisation de menaces dans un cas aussi spécifique que celui qu'incarnait Anwar, tout du moins aux yeux de Jackson qui continuait de le voir comme un allié plutôt que comme un problème. Se méprenait-il sur la nature des relations que son unité entretenait désormais avec l'inspecteur ou avait-il raté un chapitre, trop occupé qu'il était à gravir des montagnes, chasser des aurores boréales et tenter de trouver son équilibre sur des patins à glaces, à l'autre bout du monde ?
Suspicieux, Jax sent la vase remuer dans le fond de son étang psychique. Si la Norvège lui a clairement permis de s'apaiser et de calmer les démons de sa colère, sa paranoïa, elle, se contente de peu pour refaire surface. Lui cache-t-on quelque chose ou Zehri serait-il en train d'essayer de le manipuler ? Il doit en avoir le cœur net, leur conversation ne peut décemment pas commencer sur un malentendu : « C'est bon, je t'ai dis que c'était du bleuf cette histoire de menaces. De quoi tu me parles ? » Répond-il en référence aux accusations d'Anwar après leur entrevue avec Hoover. Naïvement peut-être, en tout cas persuadé de ne pas pouvoir être pris pour un menteur alors qu'il n'avait pas une seule seconde imaginé en arriver à mettre ses menaces concernant les filles du colonel à exécution, Jax s'était attendu à ce que le temps permette à son collègue de digérer l'information. Aussi, l'entendre relancer la machine à reproches l'exaspère. La désagréable impression que Zehri attend de lui des excuses pour quelque chose qu'il se devait de faire lui chatouille l'arrière gorge. Mills sait que ses méthodes ne sont pas celles d'un enfant de cœur. On ne combat pas la pègre avec des frites en mousse.
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Il n'avait jamais aimé le silence, Anwar. Ça ne datait pas d'hier, ce n'était ni le résultat de souvenirs douloureux ni l'expression de peurs qu'il n'assumait pas – cela faisait partie de lui. Même son oncle et sa tante s'en souvenaient avec un brin de tendresse désormais : les premières semaines de son arrivée à Brisbane le petit garçon qu'il était n'avait pas dit un mot, muré dans un mélange de timidité et de crainte d'être renvoyé par le premier avion là où l'on ne voulait déjà plus de lui, mais il n'avait jamais été silencieux. Par son espièglerie de bambin Talia parvenait à lui arracher un rire, et comme une prédiction du goût qu’il développerait plus tard pour la batterie la paume de sa main et le bout de ses doigts battaient en rythme telle la queue du singe la mesure de mélodies qui lui tournaient dans la tête. Le piano familial avait encore ses faveurs, lui aussi, et bien avant d’être leur premier sujet de discorde, l’instrument avait été leur premier moyen de briser la glace. Alors le silence de son appartement, celui de l’absence de Maze, de l’absence de ses enfants, Anwar l’avait fui comme on tentait d’échapper aux rats qui portaient la peste pour venir se réfugier dans la pénombre feutrée du Jazz Club ayant déjà si souvent accueilli sa mélancolie. Il n’était pas venu là pour discuter, même Weaver n’avait pas insisté longtemps et s’était contenté de lui offrir un verre “de la part de la maison”, que le policier à l’arrêt avait vidé voilà déjà un moment sans en commander de second. Peut-être pour se prouver qu’il n’en avait pas besoin, que ce n’était pas une obligation.
Et voilà que Mills mettait fin aux deux – le verre vide et l’absence d’humeur pour la conversation. Il fallait bien leur reconnaître quelque chose, à l’unité dont faisait partie l’agent fédéral : lorsqu’ils avaient une idée en tête, ils s’y accrochaient comme une tique à un chien. Leur faisait-il peur à ce point, le petit inspecteur Zehri et ses principes d’intégrité plus développés que les leurs ? Et surtout avait-il donné l’air d’en avoir quoi que ce soit à foutre de leurs magouilles, durant ces dernières semaines ? Pour des gars qui prétendaient avoir la conscience tranquille, ils brassaient tout de même beaucoup d’air. « C'est bon, je t'ai dis que c'était du bluff cette histoire de menaces. » Difficile de décider si c’était plutôt de l’impatience ou de l’agacement qu’Anwar sentait transparaître dans la voix de Jackson, mais pas d’humeur, quant à lui, à tourner autour du pot ce dernier avait aussitôt ajouté « De quoi tu me parles ? » Tout bien réfléchi, Anwar préférait Jackson lorsque ses mots dépassaient sa pensée plutôt que lorsqu’il maniait l’art de la langue de bois. « De feindre l’ignorance par-devers moi est ta stratégie, donc. » Le ton était amer, à l’image du sentiment s’étant emparé du brun après la visite aussi inopinée que désagréable de la supérieure de Mills. Il avait eu beau montrer les crocs, se donner l’air fier comme un coq de basse-cour pour garder la face, Anwar ne digérait pas ce qu’il estimait être le dépassement d’une ligne rouge à ne pas franchir – elle se situait à la famille, la limite, et en menaçant la mère de son fils le PSI avait prouvé une bonne fois pour toutes ne pas valoir mieux que le mal qu’ils prétendaient vouloir combattre.
Le verre de bière était resté intact sur la table, mais consentant enfin à pivoter sur la banquette pour planter son regard dans celui de Jackson, Anwar n’avait pas cherché à cacher ni la tension dans sa mâchoire ni le reproche dans sa voix au moment de reprendre la parole : « Une chic fille, Widow. » Ou peu importe quel était son véritable nom, d’ailleurs. On avait été bien content d’utiliser l’inspecteur Zehri pour se salir les mains, mais on s’était bien gardé de lui présenter proprement à qui il avait affaire – et là, peut-être aurait-il déjà dû se rendre compte que le rapport de force était à son désavantage. « Dans vos magouilles, d’avoir été pris pour un imbécile je me moque. » Son ego un peu moins, bien sûr, mais comme à chaque fois qu’il était égratigné le brun savait qu’il s’en remettrait ; Il avait survécu aux infidélités de sa femme, il avait survécu à ceux qui le croyaient incapable d’élever correctement un enfant alors qu’il en était encore un lui aussi. Il pouvait survivre à tout le reste. « Mais d’utiliser ma famille, ma femme, pour me faire rentrer dans le rang, au-delà de ce dont je vous imaginais capable c’est assurément. » Des voyous aux méthodes de voyous, voilà ce qu’étaient les fédéraux. Ce secret de polichinelle se passait de service en service depuis des générations de policiers avant lui, et Anwar à son tour en faisait à présent l’amère expérience. « Du sort d’Hoover je me moque éperdument, et crever en enfer il peut bien. Ni d’un poste dans votre équipe de voyous ni de menaces sur ma femme je n’ai besoin pour ne plus m’en mêler. » Satisfait, Mills ? C’est bien de ça que tu étais venu t’assurer en m’offrant un verre pour essayer de mieux faire passer la pilule ?
L'ignorance, le mot était lancé. Sournoise, insidieuse, l'idée se répand dans l'esprit de Mills à ses dépends, nourrie du terreau fertile de sa paranoïa et de ses traumatismes de mec laissé pour mort sur un trottoir après qu'on lui ait tellement menti qu'il se trouve encore aujourd'hui bien incapable de discerner le vrai du faux. Qu'Anwar la prétende feinte vient enfoncer le clou. S'il n'avait jusque là que des suspicions, Jackson est désormais certain qu'il lui manque une pièce du puzzle et cette situation ne lui plait pas. La dernière fois qu'il a joué sans connaître toutes les cartes, la partie s'est soldée par un échec pas loin du game over. Chat échaudé craignant l'eau froide, il se renfrogne, plus ténébreux que l'obscurité entourant leur duo.
« Une chic fille, Widow. » Jax soutient le regard de l'inspecteur, habité de cette ferveur propre aux groupuscules avançant sous couvert d'anonymat lorsqu'il s'agit d'assurer les arrières de ses co-équipiers. Sans Widow, l'ambulance ne serait jamais arrivée à temps. Jax lui doit la vie autant qu'il lui doit de s'être retrouvé en situation de la perdre. Sa cheffe fait ce qu'elle a à faire, comme chacun des membres du PSI, et tous connaissent aussi bien les risques que les contraintes de leur rôle respectif mais découvrir que des menaces ont été formulées à l'encontre de la femme de Zehri déstabilise Jackson dans ses convictions. Muet, il écoute son complice cracher sa contrariété en mots méprisants et en rappels de désintérêt. Si lui ne peut décemment pas affirmer qu'il se moque du sort de Hoover, l'agent n'en reste pas moins conscient d'être passé à " ça " de finir sous les verrous pour cause de bavure policière. Il sent encore la poigne de Zehri sur sa manche au moment de leur interrogatoire musclé et n'ose imaginer l'enfer carcéral depuis lequel il aurait assisté à l'éclatement du PSI si l'inspecteur n'avait pas été là pour jouer le rôle de cran de sûreté à ses poings vindicatifs.
Des concepts manichéens se percutent allégrement derrière la façade de son visage renfrogné. Jax se demande s'il doit prétendre être au courant des agissements sous-marins de Widow pour sauver l'image d'unité de son équipe ou s'il ferrait mieux d'admettre s'être fait damer le pion comme celui sous le nez duquel il est venu agiter son drapeau blanc. Indécis, il finit par pousser un soupire lourd de fatigue qui le fait se casser cou lorsqu'il bascule la tête en arrière. Le regard rivé au plafond, Jackson Mills commence à saturer de vivre dans un monde où l'information se monnaye en vies humaines et en destins brisés.
« - Tu sais quoi ? » Répond-il, la voix lasse et la main en attente autour de sa bière. « J'en ai plein le cul de cette affaire. » Le verbaliser ne fera pas avancer le schmilblick, mais cela l'aide à se redresser pour faire à nouveau face à son voisin. « Pendant que tu prenais ton congé sabbatique, je soignais ma colère au pôle nord. » Continue-t-il, exagérant à peine les températures glacières auxquelles il s'est exposé durant ses vacances avec Louisa et dévoilant à demi-mot que ce qui s'est passé depuis son départ n'inclut aucune complicité de sa part. « Le procès commence en avril. Ça tombe entre les mains de la Justice maintenant, j'ai plus mon mot à dire ... » Ce qui lui arrache la gueule, évidemment, même si sa raison admet que cela vaut mieux pour tout le monde et surtout pour eux, les deux pions à avoir tenu la ligne sur l'échiquier des manœuvres gouvernementales.
Il y a un silence durant lequel Jax tente de faire le deuil de ses actes manqués. Après une gorgée de bière sensée hydrater sa gorge sèche de rancœurs, il plante son regard dans celui d'Anwar. Ce type, s'il n'est pas son ami, reste néanmoins son collègue de terrain et la merde qu'ils sont allés retourner pour sortir les preuves de l'ombre les unit aussi certainement que le fil relie le bâton à la carotte pour faire avancer l'âne. « Merci de m'avoir retenu. » Voilà, c'est ça, la raison de sa présence au Jazz Club.
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Il y aurait bien des choses à dire sur le fait qu’Anwar réaffirmait sans sourciller sa position d’époux à la seconde où l’on menaçait l’intégrité de Riley, tout en étant absolument incapable de passer plus de quelques heures en sa compagnie sans se rappeler pour quelles raisons ils s'étaient séparés. Le brun ne s'en justifiait plus, leur entourage avait cessé de questionner, et la problématique du divorce avait été reléguée si loin qu'on la croyait morte et enterrée. Pour l'heure elle restait sa femme, la mère de son fils, et toute menace faite à son encontre l'était par ricochet envers leur famille – envoyer Mills dans l'espoir d'obtenir plus (ou mieux) qu'avec celle dont il prenait ses ordres était inutile, en plus d'être un brin déloyal. Mais n’était-ce pas tout à fait à l’image de l’organisation qui l’avait attiré dans un traquenard des semaines plus tôt, après tout ? « Tu sais quoi ? » Hm ? « J'en ai plein le cul de cette affaire. » Tiens donc. Un peu facile à dire, maintenant que le bougre attendait son procès, et que ce n’était plus sa famille à lui, Mills, que l’on venait menacer dans l’espoir d’obtenir Dieu savait quoi de sa part. « Pendant que tu prenais ton congé sabbatique, je soignais ma colère au pôle nord. Le procès commence en avril. Ça tombe entre les mains de la Justice maintenant, j'ai plus mon mot à dire ... » Elle était donc là, la raison pour laquelle la tête de serpent du PSI s’était déplacée en personne plutôt que d’envoyer son habituel sbire ? Parce qu’il prenait des vacances ? « Ravi de savoir que dans ton cas la bonne foi est une garantie suffisante. » Un peu ironique cela dit, quand on savait qu’au moment de se salire les mains ce n’était pas la pièce rapportée du comando mais bien le petit protégé de Widow qui avait manqué perdre les pédales. « J’veux plus entendre parler de cette histoire. J’ai aucun intérêt à ce que ce procès capote ou n’aille pas à son terme, alors j’ai pas besoin que ta boss vienne tenter de m’amadouer en me proposant monts et merveilles, et passe aux menaces sous prétexte que ses magouilles ne m’intéressent pas. » T’auras qu’à lui transmettre à nouveau l’information, Mills, si dans ta bouche c’est un argument de fiabilité. « J’suis qu’un petit flic du Queensland, si elle me voit comme une menace le problème vient probablement pas de mon côté de la barrière. » L’effet inattendu de cette conversation venait néanmoins de le frapper : c’était la première fois depuis des semaines qu’il parlait de son métier sans immédiatement y accoler la précision qu’il ne l’était plus jusqu’à nouvel ordre. Comme si la certitude qu’il reprendrait un jour ou l’autre le chemin du commissariat était subitement venue le frapper.
Renouant momentanément avec le silence, Jackson n’avait pourtant pas montré le moindre signe de départ imminent et s’était contenté de siroter un peu de sa bière, comme s’il n’avait pas encore terminé d’étaler toutes ses cartes sur la table. Et Anwar de prier silencieusement qu’il n’était pas en train de préparer un nouvel argument, une nouvelle proposition, une énième menace, parce qu’il n’avait pas envie de perdre ce qu’il lui restait de respect pour l’homme derrière l’agent fédéral. « Merci de m'avoir retenu. » Le regard glissant à nouveau vers son voisin, l'inspecteur l'avait détaillé silencieusement quelques secondes avant de répondre « Me refais jamais ça. » d'un ton égal, puis de se saisir de la bière à laquelle il n'avait jusque-là pas touché. Il n'avait pas besoin d'être remercié, il n'aurait pas accepté de venir s'il n'avait pas été prêt dès le départ à couvrir les arrière de Jax … Il regrettait simplement que l'honnêteté n'ait pas été totale. « Je refuse jamais de filer un coup de main à un ami, mais c'est la dernière fois que tu m'entraînes dans ce genre de merdier sans m'avoir donné toutes les cartes avant. » Le blâme n'était pas entièrement à mettre sur le dos de Jackson, cela dit : Anwar aurait dû se méfier un peu plus, il aurait dû se poser plus de questions et ne pas foncer tête baissée uniquement par loyauté. « Et c'est la dernière fois que je participe à un truc qui implique de menacer des mômes. Même pour bluffer. » Ça lui coûtait même de devoir ne serait-ce que le préciser, tant cela lui semblait couler de source. Était-ce parce qu'il était père lui-même ? Il refusait de croire qu'il faille avoir soi-même des enfants pour être révolté par de telles méthodes. Venant de personnes comme Strange il ne s'en étonnait pas, les criminels vivaient sur le fait de n'avoir aucun principe – mais de personnes supposées représenter la loi ? Supposées oeuvrer pour elle ? « Est-ce que ça t'a aidé ? De lui mettre la main dessus. » Dormait-il mieux la nuit, regardait-il moins constamment derrière son épaule, était-il moins en colère contre la terre entière ? Allait-il mieux, en somme, ou tout cela avait-il été vain ?
« Ravi de savoir que dans ton cas la bonne foi est une garantie suffisante. » Un claquement de langue contre son palais accompagne la lassitude de son hochement de tête. Jackson s'indigne mais ne renvoie pas le sarcasme. Peut-être parce qu'il réalise que ses collègues, tous aussi solidaires qu'ils puissent être à leur cause commune, ont chacun leur vision des places que la reconnaissance et le respect de la vie privée ont à tenir dans les rapports entre les individus d'un même camp. Car c'est bien dans le même camp qu'Anwar et lui se trouvent, en dépit de leurs différents, pas vrai ? Mills l'entendrait presque comme si elle était avec eux, assise de l'autre côté de la table, partageant leur bière : Widow répondrait que s'encombrer de scrupules c'est faire perdre son équipe avant même d'entrer dans l'arène. Et aurait-elle foncièrement tort ?
« J’veux plus entendre parler de cette histoire (...) si elle me voit comme une menace le problème vient probablement pas de mon côté de la barrière. » « Je passerai le message. » Ferme, l’affirmation de Jackson s’accompagne d’un hochement de tête un peu raide. Il ne le fera clairement pas de gaité de cœur et encore moins sans se sentir manipulé par les deux parties qu'il représente malgré lui ce soir, mais c’est, pense-t-il, le prix à payer de vouloir jouer la Suisse dans cette affaire. Une chose est désormais certaine, sa conversation avec Zehri l’invite à repenser sa vision du PSI. Trop souvent, Mills ne s’est nourrit que du point de vue purement militaire de leur mission. Rapide, efficace, anonyme : tels ont toujours été ses focus dans l’action et la prise de décisions au sein de la cellule anti-corruption. Constater les dommages collatéraux l’oblige à ouvrir les yeux sur certains aspects, d’autant plus que son voisin et lui partagent la même caractéristique sur l’échiquier des manœuvres gouvernementales : celle de n’être que des quantités négligeables. Plus il y pense, plus il nourrit ce sentiment de reconnaissance envers le flic qui se tient à ses côtés.
« Me refais jamais ça. » Le regard de l’agent se plante dans celui de son acolyte. Jax entend les revendications d’Anwar. Pis, il les comprend et culpabilise de l’avoir laissé avancer à l’aveugle à ses côtés, quand bien même il aurait été présent pour couvrir ses arrières d’inspecteur si la situation avait mal tournée. L’agent sait que ses méthodes ne convaincront jamais ce père de famille que tous les angles d’attaque sont bons pour faire pression sur les pourris. Tous deux se retrouvent confrontés aux mêmes culs de sac opposant Jackson à Gabrielle. Strange défend la Loi. Jackson défend la Justice. Il n’y a que la logique innocente et naïve pour croire que la deuxième obéit nécessairement à la première. Quand les lois sont injustes … Mais, ça, se fait-il la réflexion, c’est une autre histoire. Jax rapproche sa bière de celle d’Anwar. L’entrechoquement de leurs verres signe sa promesse silencieuse de ne plus mettre son complice dans ce genre de plans risqués pour l’éthique. « Est-ce que ça t’a aidé ? De lui mettre la main dessus. » Pour toute réponse : un soupire indécis. Si, dans l’absolu, le fait d’avoir découvert l’identité du coupable est une bonne chose pour l’avancée de leur enquête, ne pas être en mesure de savoir s’il sera puni pour ses méfaits de par le nombre de médailles épinglées sur son uniforme rend la problématique quasi métaphysique pour Jackson. A peine rentré de vacances, le voilà déjà en train de prendre l’eau, barque à la mémoire trouée se faisant submerger par les vagues de doutes et de rancœurs. « J’en sais rien. » Avoue-t-il, faisant tourner entre ses doigts la pinte à moitié vide. « J’espère ne pas regretter de l’avoir laissé filer … Et toi, le congé sabbatique ? » Les raisons mystérieuses de ce dernier étant à l’origine de la montée en pression de Widow, Jax espère au moins qu’il a eu pour effet d’apporter à Anwar ce que ce dernier en attendait en le prenant.
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Dernière édition par Jackson Mills le Jeu 18 Aoû 2022 - 22:40, édité 1 fois
Anwar se considérait comme quelqu’un d’intègre. Pas uniquement en tant que policier, mais également en tant que personne, et si le sentiment qui l’avait traversé le premier après son face à face avec Widow était la colère à l’idée qu’elle ou qui que ce soit d’autre choisisse d’utiliser sa femme pour tenter de l’intimider, le second avait été la vexation. Qu’on l’imagine du genre à ne pas tenir sa parole, à retourner sa veste à la première contrariété ; Mais qui ne l’aurait pas fait en réalité ? Il courait après ses propres fantômes, et il venait du poste 67. Le fameux poste 67, celui qui huit ans auparavant avait jeté l'opprobre sur tout le corps policier de la ville, lorsque les malversations et pots de vin cumulés par certains représentants de l’ordre avaient brouillé la frontière entre le bien et le mal, et fait vaciller la confiance déjà timide des administrés envers le corps de la police. Longtemps il – et Frank, lorsqu’il était encore là – avait craint que cette tâche d’huile sur son CV ne le suive pour le reste de sa carrière, que malgré le ménage fait dans les rangs de son ancien service et le fait que les “survivants” aient été blanchis de toute accusation, les soupçons continuent de peser sur eux, et non sans un brin de paranoïa il ne pouvait s’empêcher de se demander à quel point cette histoire avait pu peser dans la balance pour qu’il se retrouve ainsi à jouer les relais lors de la couverture de Jackson, et tout ce qui en avait découlé jusqu’à cette soirée au casino. « Je passerai le message. » s’était en tout cas contenté de signaler l’agent fédéral, et qu’il s’en contente ou qu’il ne souhaite simplement pas s'appesantir plus longuement sur la question, Anwar n’avait pas rebondi sur le sujet.
Aux yeux de certains le brun avait la rancune tenace, à d’autres il leur semblait à l’inverse que sous ses airs souvent grognons se cachait une tendance à pardonner ceux qui, parfois, ne le méritaient pas totalement. Ceux-là avaient pour certains déjà rencontré Riley, mais au cas particulier de sa non-ex-femme mis à part, ils n’avaient malgré tout pas entièrement tort. Aussi sûrement qu’il avait accueilli l’arrivée de Jackson en grognant, il y avait (presque) la même conviction dans sa décision de finalement se saisir de la bière amenée en guise de drapeau blanc, et partageant à l’évidence la volonté de laisser tout cela derrière eux l’agent fédéral l’avait laissé mettre ses limites à toute éventuelle “prochaine fois” sans y trouver à redire. Ne restait alors plus à Anwar qu’à savoir si tout cela avait au moins servi à quelque chose, et à ce sujet Jax avait semblé peser le pour et le contre quelques instants avant de donner une réponse tout sauf tranchée : « J’en sais rien. » Est-ce qu’Anwar en était sincèrement désolé ? Oui. Est-ce que ce n’était malgré tout pas à prévoir ? Oui, aussi. « J’espère ne pas regretter de l’avoir laissé filer … » avait finalement ajouté le concerné, et sans laisser à son acolyte le loisir de commenter, il avait aussitôt embrayé. « Et toi, le congé sabbatique ? » L’information avait-elle transité jusqu’à lui par le biais du commissariat ou de son propre service ? A cela comme à la question l’inspecteur avait répondu par un haussement d’épaules, et avalé une gorgée de bière. « J’en sais rien. » L’écho à la réponse faite par Jackson quelques secondes en arrière n’était même pas volontaire – tout comme lui il ne savait simplement pas trop quoi penser des réponses que ces dernières semaines loin du commissariat étaient en train de lui apporter. « J’avais besoin de voir si ça me manquerait. J’étais pas sûr que ce serait le cas. » Et c’était bien ce qui l’avait alerté, d’abord – en dix-huit années de service c’était bien la première fois qu’il se posait sincèrement la question.
Une remarque précédemment faite par son ami avait néanmoins fini par le faire tiquer, et fronçant vaguement les sourcils Anwar avait reposé les yeux sur lui pour demander « Tu t’es vraiment barré au Pôle Nord ? » Était-ce la raison au fait que plus d’une saison était passée depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus ? Au fait qu’au lieu de l’envoyer lui au casse-pipe Widow se soit déplacée elle-même pour tenter de l’amadouer, d’abord, puis de le menacer, ensuite ? « Et moi qui craignais d’avoir l’air dramatique. » n’avait-il alors pas pu s’empêcher de commenter avec un brin de moquerie, et le sourire s’étirant un peu tandis que ses épaules se détendaient enfin et cessaient de lui donner cette allure crispée. Laissant au silence le soin de se réinstaller quelques instants, l’inspecteur avait tout de même fini par reprendre son air sérieux, et reposé sur la table son verre aux deux-tiers vide. « Tu l’as pas laissé filer. » A la façon dont il avait embrayé aussitôt sur autre chose, on devinait que pour ses propres raisons, Jackson n’avait lui non plus pas totalement fait la paix avec la manière dont s’était terminée leur expédition à l’Octopus, et ce qui en avait découlé. « Il va devoir rendre des comptes, s’expliquer. Et il va payer. » Peut-être pas de façon aussi littérale que l’aurait souhaité Jackson – Anwar ne jugeait pas, il avait ses raisons – mais le militaire ne l’emporterait pas au paradis. Quant à sa réputation, elle ne s’en relèverait jamais totalement, et pour les types dans son genre c’était probablement le châtiment le plus difficile à avaler. « La vengeance c’est pour ceux qui ne croient pas en la justice. » Et pour faire le métier qu’ils faisaient, il fallait bien que Jax et Anwar y croient, au moins un peu. Et l’inspecteur Zehri de se le répéter religieusement, comme pour être certain de ne pas l’oublier le jour où il retrouverait l’assassin de Frank.
« J’avais besoin de voir si ça me manquerait. J’étais pas sûr que ce serait le cas. » Jackson opine silencieusement du chef, compréhensif, relevant au passage ce point commun inattendu que tous deux semblent partager vis à vis de l'incertitude et de la façon dont lui faire face. Le Savoir par l'Action : Mills ne peut que cerner le concept, lui qui donnerait sa main aux flammes pour avoir la confirmation que le feu brûle s'il n'en avait pas déjà fait l'expérience contre le plat du fer à repassé étant gamin. Y'a qu'en tentant qu'on apprend. Était-ce cependant le moment de creuser et de demander à Anwar les conclusions qu'il avait tiré de sa mise en situation ? Jax hésite. Suffisamment longuement pour laisser à Zheri l'occasion de revenir sur son extrapolation géographique. « En Norvège. Mec, j'ai jamais senti mes boules remonter à ce point. » Imagée et soucieuse du détail, le genre de répliques systématiquement gommées par Bond lors des relectures de ses rapports de mission. Heureusement pour eux, l'ambiance du club est bien plus chaleureuse que celle du cercle polaire. Ici, Jax peut jouer avec ce qu'il lui reste de bière tout en se rinçant l'œil, profiter du court silence pour imaginer ce que le propriétaire du bar peut bien raconter de si drôle qui fait glousser la chanteuse aux jolies formes ...
« Tu l’as pas laissé filer. » L'attention de Mills revient instantanément sur Anwar. « Il va devoir rendre des comptes, s’expliquer. Et il va payer. » Imperceptiblement, la poigne de l'agent affirme sa prise autour de sa pinte. Son regard se perd dans le vide tandis qu'il se remémore la sensation du poil de barbe coupé court sous ses doigts agressifs, alors qu'ils tenaient Hoover en respect à même le mur. Jax veut y croire et se persuader que le procès aura bel et bien lieu, que ce connard ne reverra plus la lumière du jour autrement qu'entravée par l'ombre de barreaux solides, mais serait-ce suffisant ? Y trouverait-il la paix ? C'est dans la courbe sinueuse de ce point d'interrogation que les regrets fleurissent, encerclant de leur racines insidieuses les chevilles de sa bonne volonté. Mills la sent, invisible et sous-jacente, la menace de perdre pied et de faire une connerie ... « La vengeance c’est pour ceux qui ne croient pas en la justice. » A nouveau, le regard de l'agent fait le point sur le visage de son voisin. L'inspecteur a-t-il lu sur ses traits tout ce que Mills ne dit pas, ni à lui, ni à ses collègues, ni à la psy qui pourtant se donne un mal de chien pour percer la couche épaisse de son crâne de bourrique ?
Un silence lourd de désillusions rend l'air momentanément plus compact, plus difficile à respirer. Jax ferme sa gueule parce que ce qu'il pourrait dire n'apporterait rien de bon à la conversation. Il a beau comprendre le pourquoi du comment des lois et de leur application ou des sanctions que leur violation implique, impossible pour lui de ne pas s'indigner face aux failles du système dans lesquels les rats les plus intelligents ou les mieux protégés - les rats comme Hoover - s'immiscent pour s'en sortir. Manipuler les nombreux rouages de la machine est un art dans lequel certains coupables excellent, n'en déplaise aux gardiens impuissants et aux rédacteurs de codes juridiques. Abattre c'est plus rapide, ça coûte moins cher et ça dissuade les autres de faire pareil. Mills en sait quelque chose, la cicatrice qu'il se traîne le lui rappelle tous les jours, face au miroir. « J'sais pas si la Justice nous mérite ... » Commence-t-il, capable d'apprécier l'intégrité de l'inspecteur à sa juste valeur malgré l'aigreur de ses réflexions internes. « Donc, si j'comprends bien, t'y retournes ? » Au travail. A l'amertume succède l'envie. Quoiqu'il en dise, Jax pairait cher pour retrouver sa plaque, son arme de service et son gilet pare-balle. L'agent se demande ce qui a bien pu pousser Zehri à douter que le terrain pourrait lui manquer. Sûrement que la brigade des homicides a son lot de disfonctionnements et de casseroles, comme tous les services, au final.
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Dernière édition par Jackson Mills le Lun 10 Oct 2022 - 17:57, édité 1 fois
C'était l'un des – si ce n'était LE – regrets d'Anwar concernant cette parentalité précoce ayant fait de lui père de Tarek : voir du pays. Il aimait ses enfants plus que n'importe quoi d'autre au monde, qu'on ne s'y trompe pas, mais il aurait fallu être bien naïf pour imaginer qu'à dix-sept ou dix-huit ans, son ambition profonde ait été à changer des couches et chanter des berceuses, et non à profiter de cette jeunesse dont les plus âgés ne cessaient de vous seriner qu'elle filait bien trop vite. Et si la mère de Tarek avait toujours eu une idée très précise de ce qu'elle souhaitait faire de sa vie, Anwar quant à lui avait subi de ne pas pouvoir en dire autant : les ambitions de Riley étaient dès lors toujours passées d'abord, et lui n'était devenu bon qu'à jouer le rôle de deux parents pour le prix d'un. À défaut de savoir quoi faire de sa vie, ayant envie de tout et rien à la fois, il aurait rêvé de voir le monde – de connaître autre chose que le caillou australien, autre chose que le Queensland qu'il n'avait même jamais quitté depuis son départ de ce Pakistan dont il avait si peu de souvenirs. Vingt ans plus tard, son fils adulte et son job en suspens, il aurait enfin pu se le permettre … Mais il y avait Alma. Même problème, même punition – et il l'aimait autant qu'il aimait Tarek, pourtant. Pas de Norvège pour Anwar, pas d'autre continent quel qu'il soit d'ailleurs, et même son voilier n'avait jamais été mouiller plus loin que Moreton Island depuis qu’il en était le propriétaire. Il s'était déjà promis de passer un peu plus loin, un jour : la mer de Corail, peut-être même celle d' Arafura, qui sait … Pas si loin, diraient certains, mais déjà bien plus que tout ce qu'Anwar connaissait.
Tout l'inverse de l'ambiance feutrée et familière du Jazz Club, dont il avait tout d'abord soupçonné à tort que Jackson soit venu pour y jouer les troubles-fête. Et si le brun n'était déjà pas d'humeur à la confrontation, il l'était d'autant moins dans ce lieu que Weaver avait pensé pour être un havre de paix où ne comptait rien d'autre que l'amour de la (bonne) musique. Il était rare que le brun s'en serve de décor pour parler boulot, même du temps où il fréquentait le club avec Frank, ce n'était pas tant leur travail que le reste qui occupait la conversation – les enfants, le mariage, la musique, le sport, du plus futile au plus sérieux les sujets ne manquaient pas pour les deux collègues devenus amis. Jax lui n'était pas là pour enfiler des perles, et parce que les circonstances les avaient tenus éloignés un long moment Anwar n'avait pas coupé court : Il était (encore un peu) fâché mais il n'était pas aveugle, et sur la conscience de son ami pesait l'incertitude d'avoir eu sa vengeance et de pouvoir vivre avec le léger goût d'inachevé qu'elle lui laissait sur la langue. « J'sais pas si la Justice nous mérite ... » Peut-être pas … Mais de le penser faisait probablement d'eux des hommes trop présomptueux. « J'ai déjà ma dose de sale boulot, je laisse la sienne à la justice. » Il s'estimait même chanceux, dans un sens. Il se contentait "d'arrêter les méchants" comme le disait si candidement sa nièce, mais la responsabilité de quoi faire ensuite des méchants en question ne reposait pas sur ses épaules ; Il en était frustré parfois, mais en réalité c'était un fardeau dont il se passait volontiers.
Peut-être était-ce d'en parler au présent, ou bien était-ce de sembler trop peu détaché pour quelqu'un qui aurait dû prétendre n'en avoir plus rien à faire, reste que n'ayant pas besoin de plus pour relier les points Jackson avait fini par demander avec un brin de curiosité « Donc, si j'comprends bien, t'y retournes ? » Quelqu'un en avait-il seulement douté, hormis Anwar lui-même ? Il était reconnaissant à ses plus proches de n'avoir jamais rien brusqué à ce sujet, mais n'aurait pas été surpris d'apprendre qu'une partie d'entre eux mettaient cela sur le compte d'une accumulation de fatigue sur fond de crise de la quarantaine. Rien de méchant ni de définitif, en somme. « Marin c'est un super plan pour matcher sur Tinder, mais ça manque de frisson quand on connaît chaque recoin de la baie par cœur. » Et lui avait besoin d'un peu de cela, le frisson – Jax comprenait à coup sûr ce dont il parlait. Étirant ses jambes devant lui avec un soupir, ses lèvres s'étaient pincées un instant avant qu'il n'ajoute d'un ton pensif « Mon ancien équipier disait souvent qu'un bon flic est un flic qui saurait pas comment être autre chose. J'crois que j'avais besoin de vérifier si sa théorie s'appliquait dans mon cas. » Preuve que même plus de cinq ans après sa disparition, les conseils avisés de Frank continuaient à lui être utiles. « Mais j'me laisse encore jusqu'à la fin de la saison avant de rentrer le voilier au hangar – à cette période les touristes sont bien plus généreux que le trésor public, qui l'eut cru, uh ? » Tout le monde – absolument tout le monde. Une chance qu'aucun d'entre eux n'aient choisi la police en espérant devenir Crésus. « Et toi ? Est ce qu'au moins le fait de mettre ce fumier en taule va permettre de te réintégrer ? » Que cela leur ait au moins servi à quelque chose à eux aussi, le bien commun c'était sympa deux minutes. « J'risque de regretter l'époque où tu squattais le poste … T'étais le seul à pas te plaindre de ma conduite. » avait-il fini par en plaisanter, néanmoins conscient que l'ambition de Jackson se situait à mille lieues de là. Ce qui était le quotidien d'Anwar n'était pour l'agent fédéral qu'une parenthèse ayant déjà trop duré.
« Marin c'est un super plan pour matcher sur Tinder, mais ça manque de frisson quand on connaît chaque recoin de la baie par cœur. » Inattendue, la réplique fissure le masque de morosité de l'agent. Partant d'un éclat de rire, Jax secoue la tête. Il n'a pas besoin de commenter pour adhérer aux propos de Zehri. Les frissons dont parle l'inspecteur sont à ses yeux la part la plus importante du salaire qu'on les paye pour risquer leurs fesses sur le terrain. Depuis qu'il en est privé, Mills a l'impression de bander mou. Tu parles d'une frustration ! « Pertinent ton bro' ... » Frère, équipier, deux termes faisant partie du même champ lexical dans le vocabulaire de Jackson. Dès lors qu'il est question d'avancer coude à coude ou dos à dos face au danger, la limite devient rapidement obsolète. Raison pour laquelle il garde au creux de son estomac la pointe de culpabilité bien mérité à laquelle les reproches d'Anwar ont donné naissance. C'est vrai : il aurait dû l'informer plutôt que de le mettre face au fait accompli. Sa rancœur l'a aveuglé. Sûrement que ce Franck, dont Jackson n'a que vaguement entendu parler au travers des briefings de Widow pré-infiltration dans la police de Brisbane, était un bien meilleur partenaire pour Zehri. On apprend avec le temps passé ensemble ... « À défaut de voir du pays tu vois de la faune et de la devise étrangères. » Jax se l'imagine parfaitement, affublé d'un polo à rayures des plus clichés qui soient, le nez au vent, promenant les touristes dans la baie tranquille au profit de son compte en banque. L'image le fait sourire par-dessus sa pinte qu'il termine puis repousse sur la table en signe de reddition. Ses vacances en Norvège, en plus de manquer de le stériliser pour de bon, ont largement repoussé les limites de ce que son foie peut accepter. Il en est rarement autrement lorsque Louisa l'accompagne dans ses aventures. La bière, ils la sirotent comme de l'eau et vœux pieux de sobriété éternelle qu'amènent leurs lendemains de cuite ne durent hélas jamais longtemps.
« Et toi ? Est ce qu'au moins le fait de mettre ce fumier en taule va permettre de te réintégrer ? » La question qu'ils se posent tous, Widow, Sparrow, Bond, Neo et surtout lui. Jackson l'espère, évidemment ; il est d'ailleurs prêt à se battre pour cela mais ses collègues, plus réfléchis et moins bravaches, ont tôt fait de souligner que le chemin à parcourir sera semé d'embuches. L'AFP, tout aussi sacro-sainte que la présentent les médias et la culture de la nation, n'en reste pas moins une institution comme une autre, dirigée et coordonnée par des hommes aux intérêts divers et variés, parfois même contradictoires et bien souvent égoïstes. Faire tomber Hoover mettra en lumière le laxisme et la complaisance de leur hiérarchie dans toute cette histoire. Or c'est de cette même hiérarchie que dépendra en partie l'évaluation de Mills lorsque le moment sera venu pour lui de prouver qu'il est prêt, qu'il est guéri, que l'agent retrouvé à moitié mort dans le caniveau n'est plus et que le phœnix ressuscité est prêt à reprendre du service. « J'vais tout faire pour. » Affirme-t-il avec la détermination qu'ont ces types sur ce ring quand, le nez cassé et l'arcade défoncée, le chant de la cloche les invite au prochain round.
Un prochain round qui effectivement se déroulera loin du poste de police au sein duquel Anwar et lui se sont rencontrés. Nostalgique des dérapages et des coups de frein bien tassés de l'inspecteur, Mills lui décoche un petit coup de coude. « T'as jamais voulu tenter le concours ? » De police fédérale. « J't'ai vu, ça t'va bien le costume. » Un peu moins le nœud papillon, mais ce détail là ne fait pas partie des exigences vestimentaires concernant la tenue des agents. La vérité, c'est qu'indépendamment des tentatives de séduction mises en place par Sparrow et Widow pour le convaincre d'intégrer le PSI, Anwar ferait aux yeux de Jackson un excellent agent fédéral, peu importe le service qu'il choisirait. Son intégrité, démontrée à plusieurs reprises, est un bien précieux, une qualité rare. « C'est pas le frisson qui manque au MOSC ... » Parce que tout bon agent se doit de faire un tour au sein du programme de perfectionnement, Mills ne dirait pas non à continuer sa collaboration avec Zheri. Peut-être même que son insigne de formateur lui permettrait de rendre à cet audacieux la patate qu'il lui a collé et dont il est désormais apte à plaisanter, en témoigne le rire silencieux qu'il étouffe en s'imaginant se battre comme des chiffonniers sous prétexte de s'apprendre des techniques de combat et de neutralisation.
Anwar regrettait la forme, et le fait d’avoir été manipulé dans le but de lui faire dépasser des limites qu’il s’était toujours juré de ne pas transgresser. Mais il ne regrettait pas que l’épilogue de cette mésaventure ait été celui après lequel courait Jackson depuis des mois. L’inspecteur n’était pas étranger à cette notion de vendetta obsédante, celle qui vous tenait éveillé la nuit, vous faisait regarder sans cesse par-dessus votre épaule la journée, et vous persuadait que vous ne trouveriez pas le repos tant qu’elle n’aurait pas trouvé sa résolution. A ce jeu-là, celle d’Anwar s’enlisait, mais que son ami soit parvenu à transformer l’essai lui redonnait un peu d’espoir, à la fois pour Jax et pour lui-même. « J'vais tout faire pour. » avait par ailleurs assuré ce dernier, lorsque s’était posée la question de sa réintégration à l’unité à laquelle il appartenait. Mills n’avait toujours été que de passage au commissariat, les circonstances voulaient que nombre de ses membres l’ignoraient, mais Anwar lui l’avait toujours su – et malgré tout il avait fini par s’habituer à considérer le bonhomme comme un collègue à part entière. « T'as jamais voulu tenter le concours ? J't'ai vu, ça t'va bien le costume. » Laissant échapper un bref rire, pas le moins du monde convaincu par ce dernier point mais au demeurant assez peu désolé qu’il en soit ainsi, il avait secoué la tête et prétendu « Mon truc à moi c’est plutôt les casquettes et les jeans. » comme s’il s’agissait là de la seule excuse. Comme beaucoup de policiers le bleu qu’il avait un jour été avait été éduqué à voir les fédéraux comme des empêcheurs de tourner en rond, des cols blancs dont l’absence de scrupules n’avait d’égale que la taille de leur ego, et si sa rencontre avec Jackson lui avait permis de mettre un peu d’eau dans son vin à ce sujet, il était encore pétri de la certitude que le bonhomme faisait plutôt figure d’exception à la règle. « C'est pas le frisson qui manque au MOSC ... » avait néanmoins ajouté ce dernier pour tenter de faire pencher la balance, et le dos allant s’enfoncer contre le dossier de la banquette dans un soupir, Anwar avait secoué la tête « J’en doute pas. Mais le frisson quotidien que ta boss foute du cyanure dans mon café si j’dis un mot de travers, c’est pas vraiment ce que j’avais en tête. » Oh, il exagérait à peine. Reprenant néanmoins un semblant de sérieux, le brun avait pincé ses lèvres avec l’air de chercher ses mots avant d’ajouter « C’est gentil. Mais si j’me fie à la façon dont s’est déroulée notre dernière épopée, je pense qu’on sait tous les deux que votre façon de bosser et la mienne ne sont pas compatibles … Et y’a certains principes auxquels je refuse de déroger. » Si d’autres se sentaient de taille à pouvoir s’y coller et savoir encore se regarder dans la glace, alors tant mieux – il en fallait. Anwar n’était simplement pas fait du même bois, et il n’avait pas la sensation d’y perdre réellement quelque chose. « My loss, j’suis sûr que vos véhicules de service en ont bien plus sous le capot que les vieux tacots du comico. » Pas sûr que les fédéraux ne soient plus autorisés qu’eux à prendre le trafic urbain pour une piste de grand prix automobile, ceci dit – mais Anwar savait parfaitement faire la sourde oreille dès lors que l’on tentait de le raisonner à ce sujet. « Mais si à l’occasion t’as besoin de ce bon vieux inspecteur Zehri … Bah, tu sais où me trouver. Mais plus de mensonge. » Pas quand la vérité avait plus de chances de lui obtenir l’approbation du concerné, qui au demeurant refusait rarement d’aider un collègue. Et encore moins un ami. « J’te paie un dernier verre ? Weaver garde une bouteille sous le comptoir pour les grandes occasions. » Et toutes les occasions pouvaient être grandes, si l’on décidait de les considérer comme telles.