saturday horse trekking

(chilling with the kids)

Samedi 22 Janvier 2022.

On a vraiment bien choisi notre date, je songe en sortant du club-house après un déjeuner sur le pouce dans mon bureau. Il fait un temps magnifique : le soleil se tient haut dans un ciel sans nuages, et la température est parfaite pour une petite baignade. Tant mieux, car aujourd'hui, c'est le grand jour. Celui où je fais tester ma nouvelle randonnée aux jeunes de Casey avant de l'ajouter aux prestations du centre équestre. J'ai passé la matinée à remplir de la paperasse, et sortir au grand air me fera donc le plus grand bien. Il est prévu que l'on parte à quatorze heures afin d'être certains de rentrer à dix-huit heures, dix-huit heures trente maximum. La promenade inclut bien sûr l'aller-retour ainsi qu'un arrêt au bord de la rivière où tout le monde sera en mesure de se poser, de prendre un goûter, de nager un peu. Le chemin sera un tantinet escarpé : le petit coin de Paradis qu'ils s'apprêtent à découvrir se mérite, mais je ne doute pas qu'une fois sur place, ils ne regretteront pas leurs efforts.

Je slalome parmi les cavaliers en tenue qui vont et viennent au domaine, parfois seuls, parfois accompagnés de leurs équidés. Après quelques signes de la main et rapides salutations je retrouve Sarah, la douce palefrenière embauchée dans le but de couvrir la saison d'été, près du point de rendez-vous réservé aux départs en balade. Elle a déjà sorti les sept montures soigneusement sélectionnées par mes soins en fonction du niveau de chacun. Casey m'a donné la liste des six participants hier - à laquelle il faut l'ajouter lui. Et s'il s'agit d'une première pour deux d'entre eux qui n'ont encore jamais posé leur postérieur sur une selle, les autres ont déjà de bonnes notions en équitation, et sont par ailleurs déjà venus ici. C'est une excellente chose. Les 'confirmés' ne manqueront pas de donner des conseils aux néophytes, et l'entraide est un excellent moyen de créer ou resserrer des liens…

Sarah et moi continuons de brosser et harnacher les chevaux ensemble. Je profite de ce moment en tête-à-tête avec elle pour lui demander si tout se passe toujours bien à Riverside, si elle est contente de son poste, de son planning, de ses collègues… Comme le prouve son sourire rayonnant, elle semble sincèrement épanouie ici, ce qui me fait chaud au cœur. Puis, à vingt minutes du top départ, je l'abandonne un instant. Il manque un dernier membre à ce petit groupe, et pas des moindres : Black. Je trottine jusqu'à son écurie, le prépare en un tour de main, et l'emmène près des autres. À la seconde où je l'attache, Casey et ses six protégés remontent l'allée principale des lieux.

« Salut tout le monde ! » Je les accueille avec enthousiasme lorsqu'ils arrivent à ma hauteur, enlaçant brièvement mon meilleur ami. Bien que je devine des cernes discrets sous ses yeux, il semble ne pas aller trop mal. J'espère que cette après-midi lui permettra de se détendre un peu, de profiter en mettant de côté la menace que ses parents font peser sur son association depuis deux mois. « J'espère que vous avez bien pensé aux maillots de bain ! » Je leur rappelle sans me départir de mon énergie positive. Quant à la nourriture et aux boissons, c'est Riverside qui fournit. Black est déjà paré de sacoches doubles remplies de victuailles.

Dans les minutes qui suivent, je souhaite la bienvenue aux participants que je ne connais pas, fais part à chacun des consignes générales, et distribue les bombes ramenées par Sarah. On ne lésine pas sur la protection. En revanche, chez nous, pas de cravache. Rien ne vaut le travail aux sons et à la voix. Bientôt, mes sept comparses sont positionnés à côté de leurs montures respectives. « OK, vous êtes prêts ? Alors en selle ! » Je demande aux jeunes habitués d'aider les deux débutants à s'installer : la solidarité commence dès maintenant. « On se tient côte à côte, deux par deux. Jack, Emily. » J'interpelle le duo le plus expérimenté en équitation. Ils sont venus plusieurs fois, j'ai donc toute confiance en eux. « Vous ouvrez la marche. Voilà la carte. » Ils ont l'air ravis de la nouvelle. Je leur tends un morceau de papier détaillant l'itinéraire : ils ont la responsabilité de nous mener à bon port pendant que Casey et moi serons en bout de file. J'ai besoin de garder un œil sur la joyeuse bande au complet - question de sécurité.


@Casey Hanson

Je me demande lesquels sont les plus excités : les débutants ou les expérimentés. Les deux, sans doute, et ce tableau rempli de sourires heureux fait plaisir à voir. Casey me remercie de cette nouvelle occasion offerte à ses jeunes de se détendre, de mettre leurs soucis de côté au moins pendant quelques heures. Je balaie ses mots d'un geste de la main. C'est le moins que je puisse faire. Il sait que Riverside est - et restera toujours - à sa disposition. Sans lui, je ne suis pas certaine que j'aurais trouvé la force et le courage de racheter puis de reconstruire cet endroit. Alors au-delà du fait que sa cause me tient à cœur également, je n'ai pas du tout l'impression de lui rendre service, mais plutôt de lui renvoyer l'ascenseur. Casey a su me soutenir à une époque où j'en ai eu besoin. À mon tour de le faire, maintenant que les rôles sont inversés. « J'espère que ça leur plaira. Qu'ils passeront un bon moment. » C'est tout ce que je demande, tout ce que je souhaite. Qu'une fois le soir venu, ils se souviennent de cette après-midi comme d'une belle parenthèse.

Casey m'interroge au sujet d'Elie, proposant de réorganiser un repas à quatre, chez eux cette fois. J'admets que le déjeuner à la maison s'est vraiment bien passé. J'ai pu me rassurer à propos de Chad. Je n'avais pas de doute sur ses sentiments pour Casey. Ce qui me faisait peur, par contre, c'était sa capacité à enfin assumer publiquement cet amour. Face à ses proches et face aux étrangers, peu importe leurs regards. Je n'aurais pas accepté qu'il recule encore, et qu'il piétine le coeur de mon meilleur ami une seconde fois par pure lâcheté. À l'époque, ils étaient jeunes. Maintenant, proche de la quarantaine, Chad n'aurait plus eu cette excuse. « Ce serait super. Le courant est bien passé entre nos deux moitiés, en plus. Ils seraient contents de se revoir. » En définitive, ce repas avait été une réussite à tous les points de vue, Chad ayant même obtenu ma confiance, me convainquant d'abandonner mes dernières bribes d'inquiétude.

Le sourire de Casey n'a pourtant rien de normal. Je sais qu'il est sincère dans son idée de nous accueillir à son tour. Ce n'est pas ça, le problème. Ce n'est pas ça, qui le tient éveillé la nuit ni qui barre son front d'inquiétude. « On a le temps, » je précise en lui accordant un regard entendu, à défaut de pouvoir lui dire à haute voix : on a le temps, rien ne presse, tu as des choses bien plus importantes à gérer actuellement. Car les jeunes qui nous accompagnent ne savent rien de la menace pesant sur le foyer et sur l'association, et je ne tiens pas à leur mettre la puce à l'oreille. Cette discussion ne regarde que Casey et moi. « Elie va bien. Je le vois peu, » j'admets, une légère grimace étirant mes traits. « Il bosse pas mal ces dernières semaines. Il a décroché un certain nombre de gros contrats. » Je suis loin de lui en vouloir. Après tout, je suis bien placée pour comprendre les horaires et autres grandes responsabilités qui vont de pair avec la gestion d'une entreprise. Secrètement, ça m'arrange. Ma culpabilité se fait (juste un peu) moins étouffante quand on est séparés. Et ça m'évite de devoir lui mentir sur le lieu où je me trouve lorsque je suis à l'appartement de Cade.

Je m'empresse de chasser ces pensées négatives. Cette randonnée à cheval ne concerne que Casey et ses protégés, pas moi. Mon unique rôle est donc de m'assurer qu'ils en profitent un maximum, point. Le reste ne compte pas. Le trajet aller se passe à merveille : une heure trente d'alternance entre pas et trot, à écouter les jeunes papoter et rire entre eux ainsi qu'avec nous. Finalement, au détour d'un haut bosquet, on arrive à l'endroit de notre pause. La rivière se révèle, douce, limpide. On s'organise pour attacher les chevaux là où ils pourront brouter. On définit un endroit dissimulé où les ados peuvent se changer en maillot de bain. Pendant qu'ils s'immergent, s'aspergeant d'eau les uns les autres en une bataille amicale mais sans pitié, Casey et moi choisissons de rester en duo, assis sur la berge. C'est l'instant parfait, et je le saisis sans plus attendre.

« T'as l'air exténué. » Une constatation qu'il aurait bien du mal à nier même s'il le voulait. Mais il n'essaiera pas. On se connaît beaucoup trop pour ça. Pour faire croire à l'autre qu'on se sent en pleine forme alors qu'on croule sous le stress et les problèmes. « Comment ça se passe avec ton avocat ? » Celui recommandé par mon ami à la Mairie, et qui a accepté de le défendre. Je ne le connais pas personnellement mais si Blake m'a remis sa carte, c'est qu'il fait partie des plus compétents de la ville. « Est-ce qu'il a réussi à avancer un peu sur le dossier ? » En somme, à dénicher des éléments qui desserviront les parents Hanson au tribunal. Des éléments qui les renverront chez eux après leur avoir faire mordre la poussière. Pour de bon.


@Casey Hanson

La perspective de ce nouveau repas me réjouit au plus haut point. Je suis impatiente de pouvoir partager un autre bon moment ensemble, tous les quatre. Car le premier a été une réussite et les suivants ne pourront que suivre cette même voie. Chad et moi avons enfin pu repartir sur de nouvelles bases - des bases plus saines, dénuées de rancœur, et j'ai pu constater de mes propres yeux le bonheur de mon meilleur ami. De plus, Chad s'est également très bien entendu avec Elie. Je n'ai donc aucun doute sur notre avenir à tous : il sera fait de nombreux apéros, déjeuners et dîners chez les uns ou les autres, placés sur le signe de la détente, du rire et de l'amitié. J'en suis aux anges. Casey compte tant à mes yeux. Alors, que l'entente soit au rendez-vous avec nos conjoints est d'une importance capitale. Je n'aurais pas accepté que des différends quelconques liés à nos moitiés nous éloignent.

Casey me confie que l'organisation de ce genre d'événement le fait se sentir plus adulte. « T'as tellement raison, » je rétorque dans un rire. En tout état de cause, le temps où se contentait de fouiller nos frigos à la recherche de restes à dévorer sur le pouce est bien loin, maintenant. Tous les deux avons grandi, mûri, et acquis des responsabilités qui vont de pair avec notre âge : régler nos factures, mais aussi s'assurer de toujours avoir de la place dans nos plannings de ministres pour profiter de nos proches. N'est-ce pas le plus important, dans une vie ?

On continue d'échanger en s'aventurant plus loin dans la nature, guidés par nos deux jeunes qui prennent leur tâche très au sérieux. Bientôt, notre destination est à portée de sabot : la rivière s'élargit, offrant une belle possibilité de baignade. Les arbres continuent de nous protéger des rayons du soleil et il y a largement de quoi se poser, sur l'herbe ou sur les rochers environnants. Un spot parfait, qui reçoit l'unanimité du groupe. Chacun s'organise et très vite, Casey et moi nous retrouvons installés côte à côte, à une distance à la fois correcte histoire de garder un œil sur nos protégés et assez isolée pour discuter sans être entendus.

J'en profite, évoquant son état de fatigue manifeste et demandant des nouvelles du dossier contre ses parents. L'avocat conseillé par Blake fait, selon lui, partie des meilleurs. J'espère donc une bonne nouvelle de ce côté-là. Seulement ce n'est pas aussi simple, et à lui seul contre l'armée embauchée par les Hanson, il a du mal à garder la tête hors de l'eau. Casey commence, à juste titre, à douter de sa capacité à sauver l'association. Conscient des difficultés qui se dressent devant lui, l'avocat a d'ailleurs conseillé à son client de médiatiser l'affaire, ce qui signifierait, pour Casey, une guerre ouverte et sans possibilité de retour en arrière avec ses parents. Et ça le terrifie.

Je soupire, mon regard balayant les alentours. Je refuse de desserrer les lèvres trop tôt, sans avoir pris le temps de réfléchir. La dernière chose dont il a besoin est de recevoir de mauvais conseils. Je me demande si je suis la mieux placée pour le guider. Beaucoup de choses nous rapprochent, Casey et moi. Mais nos contextes familiaux respectifs sont certainement ce qui nous sépare le plus. J'ai grandi avec des parents et un jumeau aimants, attentionnés, qui m'ont toujours poussée à être moi-même sans compromis. Lui, est fils unique, bridé par des géniteurs qui l'ont mis dehors en apprenant qui il était, comme s'il s'agissait d'un choix. Comme si c'était mal. Et non contents de s'en être débarrassés dans le but de conserver leur image, ils essaient aujourd'hui de le détruire.

Ils n'ont rien de parents. Pourtant, ils restent son sang. Ils restent ceux qui l'ont élevé les premières années de son existence. Je peux comprendre son hésitation. Et j'ai beau me dire que je sais ce que je ferais à sa place, en réalité, je n'en ai pas la moindre idée. On ne peut jamais juger de nos actes face à une situation précise tant qu'on n'est pas directement confrontés à celle-ci.

Je me tourne à nouveau vers Casey. Je n'entrevois que deux options, si l'on considère que son avocat ne fera pas le poids : il doit tirer un trait sur les Hanson, ou tirer un trait sur le foyer. À moins qu'il ne soit possible de trouver un compromis ? Quelque chose qui serait en mesure d'apaiser les tensions ? « Tu penses que tes parents accepteraient une rencontre ? Peut-être qu'en vous revoyant, juste toi et eux, dans un cadre neutre, ils pourraient changer d'avis ou… vous pourriez réfléchir à une solution qui conviendrait à tout le monde et vous permette d'éviter le tribunal ? » Est-ce encore envisageable ou sont-ils déjà au-delà de ça ? Cela ne vaut-il pas le coup de s'en assurer, puisque Casey n'est pas convaincu de devoir rendre son combat public ? Une sorte de dernière chance de s'entendre à l'amiable, avant de lancer les vraies hostilités. « Si tu… hésites à les voir seul, n'oublie pas que je suis là. Je peux t'accompagner. » Je me doute que Casey se tournerait d'abord vers Chad, sauf que compte tenu du problème et considérant la nature de leur relation, les Hanson verraient en sa présence une attaque silencieuse de la part de leur fils. Alors qu'avec moi, ils n'auraient rien à lui reprocher.


@Casey Hanson

Je me demande si cette solution peut fonctionner, si elle peut aboutir à une entente. Les Hanson accepteront-ils de voir leur fils sans aucun avocat avec eux ? Accepteront-ils de l'écouter, essaieront-ils de le comprendre ? Je ne sais pas. Ils se sont montrés si virulents à son égard. Pourquoi changeraient-ils maintenant ? Pourquoi faire un effort alors qu'ils semblent aussi déterminés, aussi impatients de mettre un terme à tout ce que Casey a construit ? Ainsi, à peine formulée à voix haute, mon idée me fait secouer la tête de dépit. Ma tendance à vouloir voir le meilleur chez les autres, à vouloir leur offrir une seconde chance, n'est pas nécessairement une bonne chose. Dans ce cas précis, je sais que les Hanson ne la méritent pas. Pourtant, la peur, l'appréhension dans le regard de mon meilleur ami quand il imagine emmener ses géniteurs au tribunal, quand il voit le point de non-retour se rapprocher, me fait mal. Davantage encore que le reste. Peut-être que cette entrevue ne servira à rien. Au moins, Casey ne pourra se faire aucun reproche : il aura tenté le maximum avant d'en arriver aux extrêmes.

« Je ne sais pas, pour être honnête je n'ai pas envie de les voir. » J'acquiesce face à ses mots. Évidemment qu'il ne veut pas les voir. Il s'est accommodé de leur absence durant de si longues années. Il avait tiré un trait sur eux, jusqu'à ce qu'ils reviennent à la charge, ne lui laissant pas le choix. Le silence s'installe entre nous. Je le laisser songer à cette éventualité, peser le pour et le contre comparé à la médiatisation de son combat. Comparé à un juge. « Mais je sais que ce sera peut-être nécessaire. Pour éviter une escalade des deux côtés. » À nouveau, je hoche la tête, doucement. « Malheureusement... je ne pense pas qu'ils vont changer d'avis. Ils ont toujours été homophobes, et je ne vois pas comment changer leur point de vue maintenant. » Il a raison. L'éventuel arrangement que j'espère entre eux n'a jamais impliqué qu'ils acceptent Casey. C'est beaucoup trop tard pour ça. « Ils ne changeront pas. Mais… s'ils peuvent au moins te laisser tranquille, que tu puisses vivre ta vie et gérer tes projets comme tu l'entends… ce sera déjà ça. » Qu'ils retournent chez eux et ignorent leur fils, comme ils le faisaient si bien jusqu'à ce jour. Rien d'autre. Rien de plus.

Je propose à Casey de l'accompagner s'il décide de sauter le pas, songeant que la présence de Chad serait sûrement mal vue. Mais selon lui, ce serait au contraire une occasion de prouver aux Hanson que leur couple est normal et qu'il est heureux. Moi, je suis terrifiée à l'idée que, bien au contraire, la participation de Chad passe pour une provocation, et que cela attise leur volonté de détruire le foyer et l'association. De détruire leur dégénéré de fils. J'ai les larmes aux yeux quand Casey serre ma main dans la sienne. Je ne comprends pas qu'on puisse faire preuve d'une telle violence, d'une telle haine envers son propre sang, envers la chair de sa chair, surtout pour une raison qui n'existe pas. Qui ne devrait pas en être une. Je sens la rage monter en moi. « Tu as raison. Si cette rencontre se fait, emmène Chad. Il a sa place à tes côtés, peu importe ce que tes parents en pensent. » J'ai été stupide. Pourquoi Casey se cacherait-il ? Il n'y a pas de compromis à faire. Et tant pis si les deux monstres qui lui servent de parents le prennent mal. Tant pis s'ils se sentent agressés parce que Chad est là. Au moins, ça prouvera à leur fils qu'il ne doit pas se sentir coupable d'aller jusqu'au procès. De dépasser ce fameux point de non-retour. De leur faire mordre la poussière.

Mon regard humide croise le sien, qui n'est pas en meilleur forme, ce qui arrive à me faire sourire malgré la situation. On a l'air malins, tous les deux, rongés par l'inquiétude. Je lui donne un léger coup d'épaule histoire de nous reprendre, de nous remonter le moral. Les jeunes sont à quelques mètres seulement. Même s'ils ont l'air occupés dans leur coin, il ne faudrait pas qu'ils nous surprennent, qu'ils se doutent de quoi que ce soit. « Quoi qu'il arrive, je suis là. Et tu me tiens au courant. Si tu dois en arriver aux médias, tu peux compter sur moi. » Et je ne serais pas la seule. Finalement, son avocat a vu juste. Puisque les Hanson sont si puissants, il faut les mener sur un terrain qui ne leur sera pas favorable. C'est une certitude à mes yeux : l'opinion publique saura réduire leur attaque à néant. La question est de savoir si Casey est prêt à en supporter les conséquences. Peu importe son choix : il sait que je le suivrais au bout du monde s'il le fallait.

« Hey ! Vous faîtes quoi ? Vous venez vous baigner ? » Une voix nous interpelle. Emily, à moitié immergée, nous fait de grands signes. Je me tourne vers mon meilleur ami, un rictus amusé aux lèvres. « T'as pris ton maillot de bain ? » Je l'interroge, un sourcil rehaussé. Mais ce n'est qu'une question rhétorique. Il aime trop passer du temps avec ses protégés pour laisser filer cette belle occasion. « On arrive ! » Je lance à la cantonade tout en me remettant sur mes deux jambes. Casey et moi nous changeons, chacun dissimulé derrière son arbre, et ressortons au même moment. Cette fois, j'affiche un air des plus espiègles en lui jetant un coup d’œil. Je n'ai rien besoin de dire. Il a vu l'étincelle, celle qui brille lorsque mon esprit de compétition prend le dessus. On s'élance l'un et l'autre, riant et courant sur l'herbe, avec une seule idée en tête : finir en premier dans l'eau. Gagner.


@Casey Hanson

Je me dis que cet entretien entre Casey et ses géniteurs, à défaut de renouer des liens familiaux brisés depuis longtemps, permettra peut-être de lever la menace pesant sur l'association. Une rencontre sans avocat, cartes sur tables, pourrait offrir une porte de sortie, un moyen de ne pas mener cette affaire au tribunal. Une chose est sûre : je suis encore pleine d'espoir. En tout état de cause, il m'est difficile de croire que des parents peuvent se montrer aussi virulents envers leur propre enfant. Qu'ils cherchent à le détruire par tous les moyens, alors qu'au contraire, ils devraient être emplis de fierté face à ce qu'il a accompli. Je ne dis pas que je doute de leurs mauvaises intentions. Je suis bien au-delà de cette étape, après vingt ans passés aux côtés de Casey, à l'entendre me parler d'eux, de ce qu'ils ont osé lui dire et lui faire, à cause de qui il est. Mais une part de moi continue de croire qu'entre un père et une mère d'un côté, et un fils de l'autre, il n'est jamais trop tard pour améliorer une relation écorchée.

Je secoue la tête, indécise. Peut-être que ce fameux espoir n'est qu'un leurre, et que je suis trop naïve. Casey, lui, garde les pieds sur terre : il n'attend rien de ce rendez-vous de la dernière chance, conscient que ses parents en profiteront sans doute afin de l'obliger à accepter des conditions qui le feront grincer des dents. « Dans ce cas, tu leur diras non. Il est hors de question que tu fasses des compromis. » Au final, ce sera son choix, bien qu'il ait désormais mon avis à ce sujet. J'ai beau ne pas le connaître très bien, je suis persuadée que celui de Chad ne serait pas différent. Casey a lutté, longtemps, dans le but de construire le foyer et l'asso, d'en arriver là où il est aujourd'hui. Ni lui, ni les jeunes qu'il accueille, n'ont à accepter des sacrifices simplement pour avoir le droit de continuer à exister. J'y veillerai, et je ne serai pas la seule. Casey Hanson est un homme remarquable, attentionné, dévoué et profondément altruiste. Beaucoup de gens l'ont en haute estime. Quoi qu'il décide de faire, il sera accompagné dans ses démarches. Il sera soutenu.

Je serai la première de ce cortège d'alliés, comme je le lui rappelle, mes yeux embués plongés dans les siens. J'accueille son étreinte avec une boule dans la gorge, parce que ça me fait mal de le voir aussi éreinté, aussi inquiet vis-à-vis de l'avenir du foyer. Ce à quoi il tient le plus. Encore collés l'un contre l'autre, je conclus. « On s'en sortira. » L'émotion me submerge, pourtant, ma voix est claire, affirmée. Qu'il se rassure : on se battra, lui, moi et le restant de la vraie famille qu'il s'est créée au fil du temps. Jusqu'au bout. Jusqu'à ce que les Hanson rentrent chez eux, bredouilles, emplis de honte et leur réputation définitivement ternie.

Cela fait déjà une poignée de secondes qu'on s'est séparés, murés dans un doux silence, chacun essayant de reprendre ses esprits. Puis, une voix nous interpelle : les jeunes attendent notre participation à la bataille d'eau collective. Rassérénés, Casey et moi enfilons nos maillots de bains, prêts à faire la course jusqu'à la rivière. J'arrive la première, mon meilleur ami perdant l'équilibre au dernier moment, ce qui déclenche l'hilarité des protégés témoins de la scène. « Je t'accorde la victoire, si tu ne te moques pas de moi. » Je hausse un sourcil et n'hésite pas à lui lancer une gerbe d'eau, l'esprit joueur. « Trop tard. Mais je prends la victoire quand même, je l'ai méritée, je crois. Pas vrai, les jeunes ? » Je lance à la cantonade. Certains approuvent, d'autres compatissent avec Casey, et bientôt, on se poursuit, on se coule, on se lance des défis de nage, le tout dans une ambiance pleine de rires et de joie de vivre. Je jette des regards à Casey à la dérobée, et le voir aussi heureux, oubliant l'épée de Damoclès au-dessus de lui l'espace d'un instant, me gonfle le cœur de gratitude. Il mérite tellement cette bulle de détente, cette accalmie dans la tempête.

Éreinté par ces efforts aquatiques, le groupe émerge, se sèche et se rhabille. Casey et moi emboitons le pas des jeunes avant de distribuer les boissons et les en-cas. On partage ce goûter improvisé assis en rond dans l'herbe, au milieu des chevaux, profitant de la météo clémente, du calme et de la beauté de la nature. Une vraie parenthèse dans des vies autrement mouvementées. « Prêts à vous remettre en selle ? » Je m'exclame un peu plus tard, enjouée, en me relevant. Jack prend l'initiative de rassembler nos déchets et de les mettre dans un sac, qu'il range dans l'une des sacoches de Black. Je ne manque pas de le remercier, attendant que tous soient de nouveau sur leurs montures avant d'en faire de même. Nos deux éclaireurs confirmés reprennent la tête de la file, Casey et moi fermant toujours la marche.

« Au fait, tu crois que tu pourrais passer à Riverside un de ces quatre, quand tu auras quelques heures de libre ? » Je demande à mon meilleur ami alors qu'on est presque à la moitié du chemin du retour, l'épaisse frondaison des arbres nous permettant de progresser à l'ombre. « L'une de mes clientes recherche un photographe professionnel pour faire des portraits de son cheval et je lui ai parlé de toi. » Je m'empresse de lui fournir davantage de précisions : je ne veux pas qu'il se sente sous pression. « Je sais que tu as beaucoup à faire en ce moment, mais elle n'est pas pressée. J'aurais juste à la contacter quand tu seras disponible, elle est en retraite et s'adaptera à ton emploi du temps. » Un sourire empli de malice étire mes lèvres. « Je lui ai montré des clichés que tu as pris de Black, l'année dernière. Elle est sous le charme. Elle n'a même pas demandé à connaître tes tarifs. » Quels qu'ils soient, elle signera. Elle a trop aimé ce qu'elle a vu pour changer d'avis, et je la comprends. Casey a bien choisi son métier : son don pour la photographie est indiscutable.


@Casey Hanson