Fonder une famille avec une personne qui ne veut rien avoir affaire avec soi a des avantages. Rudy s’en rend compte, ce soir : il est plus libre qu’il ne l’aurait imaginé. Son fils ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir été présent puisque non, Erika et lui n’ont pas décidé de vivre ensemble malgré sa naissance. Pour l’instant, elle ne lui laisse pas le droit de le prendre chez lui et de le garder toute une nuit. Il peut l’avoir quelques heures durant la journée et est obligé de s’en séparer lorsque le soleil va se coucher. Depuis le dix-sept janvier, il profite de l’obligation de cette séparation pour prendre le temps de réfléchir à ce qu’il désire réellement. En sortant de prison en décembre, il pensait que son temps en dehors de sa cellule était compté, qu’il n’avait que quelques semaines devant lui pour retrouver ses proches et s’excuser d’avoir été minable. Petit à petit, il se rend compte qu’il ne retournera pas là-bas et qu’il a toute la vie devant lui. De la perpétuité à une vie épanouie, il n’y a finalement qu’un pas. Le jeune homme s’est trouvé un travail et fait de son mieux pour respecter les volontés d’Owen. Il n’a plus droit à l’alcool, évidemment il ne touche plus aux drogues et le tabac n’est que passager dans son quotidien. Il se transforme en quelqu’un qu’il n’a jamais cru être capable d’être et, bizarrement, ça ne le dérange pas plus que ça. Il ne s’est dit qu’une chose, ce soir, dans sa chambre : il ne veut pas sacrifier sa vie pour son enfant. Jaime est avec Erika, ce soir ; il n’a donc pas à culpabiliser de ne pas être auprès de lui. Il a toute la place et le temps nécessaire pour faire ce qu’il souhaite sans se dire qu’il trahit qui que ce soit puisque non, ce n’est pas le cas. C’est pour ça qu’il se décide à sortir. Il se fait la promesse à lui-même que même s’il entre dans un bar, il n’ira pas commander une boisson alcoolisée. Il restera avec un jus – triste – et s’amusera d’une autre manière. Il n’a que vingt-neuf ans et la vie devant lui : il peut encore rencontrer du monde, peut-être se faire de nouveaux amis. Et, nouvelle étonnante : il a même le droit de tomber amoureux. Il est libre de faire tout ce qu’il veut tant que ça ne compromet pas la vie et le futur épanouissement de son enfant. C’est en gardant bien ça à l’esprit qu’il a décidé de se rendre au Canvas. C’est un bar qu’il fréquentait énormément il y a quelques années. Il y passait ses soirées entières, il partait en after après avoir beaucoup trop consommé et, généralement, il ne payait même pas une tournée. Il était le roi de la nuit, le roi du monde – la poudre blanche lui donnait cette impression. Ce soir, il n’est qu’un client de plus. Aucun groupe ne l’attend, aucune femme ne va lui sourire bêtement et le barman ne connaît pas sa boisson préférée. Il ne peut pas dire que ça lui convient parfaitement mais il fait avec. Changer – évoluer – c’est aussi accepter de mettre de côté quelques habitudes pour en créer de nouvelles. A peine entré dans le bar, ses yeux s’arrêtent sur une femme qu’il reconnaît immédiatement. Adriana. Il s’approche d’elle avec un sourire satisfait sur les lèvres. « Salut. » Il dit, l’aborde sans détour. « J’trouve que ça t’va mieux quand tu portes pas l’uniforme. » Elle était dans la patrouille qui l’a arrêté, en juin dernier, et qui l’a renvoyé derrière les barreaux. Il s’était dit qu’elle était peut-être un peu trop belle pour être flic. Ce soir, il a bien envie d’inverser les rôles et d’être celui qui la traque. Autant commencer un petit jeu avec elle, après tout, il est libre. « J’te paie un verre. » Ce n’est pas une question, non.
Adriana rejoint un groupe d’amis directement après le travail, dans un bar. Il est tard, comme d’habitude, car elle a encore fait des heures supplémentaires. Ca lui arrive de plus en plus en souvent, depuis qu’elle est affectée temporairement à la brigade criminelle pour découvrir de nouveaux services. Ca lui change des patrouilles, ça lui plait, même si c’est dur de voir le pire de l’être humain au quotidien. Finalement, être appelés par une mamie qui s’est fait voler son sac, c’est pas si mal, parfois. La brunette salue ses amis, boit un verre puis rejoint la piste de danse. Ce soir, Mel, son meilleur ami, n’est pas là, occupé à répéter avec son groupe. Max non plus n’est pas là, et ce n’est pas plus mal. Depuis le 1er janvier, Max et Ade se voient plus ou moins. En réalité, ils se voyaient de plus en plus, dînant ensemble, passant la nuit chez l’un ou chez l’autre, plusieurs fois par semaine. Il lui plait, beaucoup. Mais le 9 février, alors qu’une fête surprise a été organisée chez Max pour l’anniversaire de ce dernier, la brunette s’est sentie piégée. Les questions sur leur « relation », qui n’en est pas une, ont fusé, et Adriana a paniqué. Depuis, ils se voient plutôt … moins. Parce qu’Ade n’est pas prête à entamer une relation de couple, pas après avoir été trahie par Mel, son meilleur ami et son petit-ami. Elle craint de s’engager à nouveau et d’ouvrir son cœur, de peur qu’on le lui piétine encore. Alors, depuis quelques jours, elle évite Max. Et Max semble l’éviter aussi. Il ne reste donc à la brunette qu’à profiter de la soirée. Elle se déhanche sur la piste de danse, à l’aise, sûre d’elle. La brunette n’a jamais craint le regard des autres. En soirée, elle est celle qui attire l’attention, raconte des blagues et fait rire toute l’assistance. Alors elle se laisse aller, au rythme de la musique, et les chansons s’enchainent. La soif la ramène à la réalité, et elle se dirige vers le bar pour passer une nouvelle commande. On l’interpelle cependant sur le chemin, et elle tourne la tête pour apercevoir le sourire satisfait de Rudy.
« Salut. »
Elle hausse un sourcil, surprise, et fait rapidement un calcul mental. Il est déjà dehors ? C’est donc tout ce qu’on écope quand on commet des infractions ? La brunette se rappelle parfaitement de lui, parce qu’elle n’oublie jamais un visage. Si elle n’avait pas participé à l’enquête concernant Rudy, elle avait été de patrouille le jour de son interpellation et avait prêté main forte à la brigade spécialisée en charge de l’affaire. Une arrestation propre, facile, mais avec un Rudy qui avait l’air de ne pas en mener bien large. Ici, il semble tout de suite plus dans son élément, comme le montre son sourire de requin.
« J’trouve que ça t’va mieux quand tu portes pas l’uniforme. »
Elle hausse un sourcil, surprise : encore heureux qu’elle a l’air mieux sans uniforme. Le contraire aurait été insultant.
« Moi qui pensais que t’avais bien kiffé quand je t’avais passé les menottes. »
Maintenant, c’est le visage d’Adriana qui s’illumine d’un sourire satisfait, alors qu’elle espère avoir mis fin à cette conversation gênante : ils se sont croisés par hasard, mais n’ont rien à se dire. Pourtant, Rudy l’accompagne jusqu’au bar et enchaine d’un ton affirmatif.
« J’te paie un verre. »
La brunette fronce les sourcils, perdue, dévisageant un instant Rudy.
« Non. »
Ca aussi, c’est affirmatif. Parce qu’il est hors de question qu’elle boive un verre avec un type qu’elle a coffré quelques mois plus tôt. Quel est son but ? Se venger de la petite fliquette qui a participé à son interpellation ? La saouler et publier des horreurs sur elle sur les réseaux sociaux ? La sauter ? Non, vraiment très peu pour elle. Elle appelle le serveur.
« Une vodka. »
Adriana se tourne ensuite vers Rudy, plongeant ses yeux noisette dans ceux du jeune homme.
Adriana représente un défi, pour Rudy. Et le mexicain a la particularité de ne jamais reculer devant eux. Même si les barrières lui semblent infranchissables au loin, il continuera de s’en rapprocher pour trouver une manière de les escalader. Il est comme ça depuis toujours, ce n’est pas ses deux séjours derrière les barreaux ou sa récente paternité qui y changeront quoi que ce soit. C’est pour ça, et rien que pour ça, qu’il décide de l’aborder en se foutant totalement que ça ne se fasse pas. Elle ne porte pas l’uniforme, elle n’a pas sa plaque et il n’y a pas d’arme rangée dans sa ceinture : elle ne peut rien lui dire en tant que policière, ce soir. C’est en tout cas ce qu’il pense, alors qu’il l’aborde en la saluant comme il le fait à son habitude. Elle vient de rejoindre le bar, sûrement pour se désaltérer un coup. Avant de lui proposer une boisson, il se permet un compliment sur la tenue qu’elle porte ce soir : ça lui va mieux d’être en civil, à la brune. « Moi qui pensais que t’avais bien kiffé quand je t’avais passé les menottes. » La phrase a l’air de ne pas attendre une suite. Elle ne connaît pas Rudy et ça se voit : la provocation est trop grande pour qu’il ne réagisse pas. Elle vient de lancer un petit jeu entre eux qu’il est prêt à maîtriser, dont il va inventer les règles petit à petit. « Oh, j’aime bien les menottes. Ça peut ajouter un peu d’piment. » Et là, évidemment, il ne parle pas des menottes que les policiers utilisent contre les types comme lui. Il parle d’un lieu et d’une manière de les utiliser bien plus intime. Le clin d’œil qui lui fait à la suite de ça en dit long. Il lui dit que le prochain verre est pour lui, sans que ce soit réellement une question. « Non. » Et sa réponse est sans équivoque, elle aussi. Rudy est un homme insistant, qui ne sait pas prendre un non pour une réponse définitive. Faire changer les autres d’avis est une passion chez lui, qui va très certainement ressortir avec Adriana. « Une vodka. » Elle s’adresse au barman, pas à Rudy. « Deux. » Il s’adresse au barman, pas à Adriana. Et le billet qu’il sort de sa poche et qu’il glisse sur le comptoir est suffisamment gros pour pouvoir payer les deux verres à la fois : elle n’a donc pas le choix. « Tourne la page, et profite de ta soirée. » Il secoue son visage de gauche à droite alors que le barman lui rend la monnaie après avoir fait glisser les deux verres en leur direction. « Tourner la page d’quoi ? » Il demande, comme s’il ne comprenait pas. « J’viens pas te voir pour mon arrestation, j’viens te voir pour te dire que t’es mieux sans l’uniforme. » Il insiste là-dessus, alors qu’il attrape son verre. Il le porte à ses lèvres et, avant que le liquide ne les touche, le repose sur le comptoir. « Fais chier. » Il vient de commander un verre d’alcool par réflexe, en ayant oublié qu’il a fait vœu de sobriété – non pas par désir mais par obligation – et qu’il ne peut donc pas consommer. Il refait un signe au barman qui s’approche de nouveau. « Tu m’sers un cocktail sans alcool, celui qu’tu veux. » Il regarde Adriana et hausse les épaules. « J’viens pas t’voir pour m’venger de quoi que ce soit. Regarde, j’me suis réintégré à la société et j’suis sage au niveau d’l’alcool. Accepte un verre, parle avec moi, profite d’une soirée à mes côtés. » C’est une opportunité qui n’arrivera qu’une fois à Adriana : Rudy pense qu’elle ne peut pas passer à côté. En réalité, ce doit être un choix très simple pour une policière. Rester avec ses amis ou passer la soirée avec un caïd que l’on a arrêté quelques mois plus tôt ? Quel dilemme.
Adriana profite de sa soirée, tranquillement, laisse la musique dicter le rythme de ses pas, laisse les basses dicter la vitesse des pulsations de son cœur. Tout est parfait, juste ce qu’il lui fallait pour oublier les événements des derniers temps. Et pourtant, un jeune homme lui adresse la parole, le genre de jeune homme qu’on n’oublie pas : Rudy, un suspect qu’elle avait interpelé il y a plusieurs mois et qui depuis avait fait un petit séjour en prison. Elle n’a pas d’arme, à part un petit couteau glissé dans sa botte, au cas où. Mais pourtant, elle n’a pas peur. Elle n’a pas connu Rudy pour des faits de violence, et ne craint pas des représailles. En tout cas, pas dans un bar noir de monde. Alors elle entre dans son jeu le temps d’une réplique, puis s’éloigne.
« Oh, j’aime bien les menottes. Ca peut ajouter un peu de d’piment. »
Mais Rudy est obstiné, et n’a visiblement pas envie de la laisser filer. Elle rit, s’approche à nouveau du jeune homme et lui murmure à l’oreille.
« Dommage que tu ne puisses pas jouer avec celles que je garde dans ma table de nuit, je suis certaine que tu aurais adoré. »
Elle s’éloigne juste assez pour qu’il voit son sourire coquin, puis rejoint le bar. Pour elle, c’est la fin du jeu. Ils ont échangé quelques mots, ont ri, fin de l’histoire. Elle n’a rien à lui dire, et ne veut rien entendre. Pourtant il la suit, et paie pour le verre qu’elle se commande, malgré son refus initial.
« Tourner la page d’quoi ? »
Elle penche la tête sur le côté en observant le brun, l’air de dire « sérieusement ?! ». Elle laisse échapper un soupire puis trempe ses lèvres dans son verre de vodka.
« Ecoute, je n’ai pas participé à l’enquête contre toi, et ce n’est pas non plus moi qui t’aie infligé la sanction. J’étais juste là en renfort pour l’interpellation, rien de plus. »
Mais il poursuit.
« J’viens pas te voir pour mon arrestation, j’viens te voir pour te dire que t’es mieux sans l’uniforme. »
Nouveau soupire exaspéré de la brunette : décidément, il est obstiné, et en plus, il a l’air d’aimer se répéter.
« Voilà, tu l’as fait. Bonne soirée. »
Elle récupère son verre et s’éloigne de quelques pas, s’accoudant au bar pour avoir une vue plongeante sur la piste de danse. Quand elle aura fini son verre, elle rejoindra ses amis pour aller se déhancher au rythme de la musique. Déjà, son pied s’agite, révélant clairement son envie d’aller danser.
« J’viens pas t’voir pour m’venger de quoi que soit. Regarde, j’me suis réintégré à la société et j’suis sage au niveau d’l’alcool. Accepte un verre, parle avec moi, profite d’une soirée à mes côtés. »
La brunette laisse échapper un rire.
« Ha ouais ? Réintégré à la société ? Tu as un job ? Ou tu considères que sortir en soirée suffit à se « réintégrer » ? »
Pourtant, ensuite, on peut lire l’hésitation sur son visage. Elle pince les lèvres et laisse son regard noisette errer sur les différents visages dans la salle. Elle est soulagée de n’y voir aucun flic. Elle aurait tout à perdre à être vue avec Rudy, rien à y gagner. Elle a déjà du mal à être acceptée par ses collègues parce qu’elle est une femme. Si en plus, on venait à l’accuser de fricoter avec des mis en cause … Le silence dure quelques secondes. Finalement, Adriana attrape le verre de vodka auquel Rudy n’a pas touché et le descend d’une traite.
« Voilà, tu m’as offert un verre. Deux, même. De quoi veux-tu parler ? »
Elle s’installe à une table, pas trop loin du bar, prenant place sur un tabouret, et plonge son regard dans celui de Rudy.
« Que l’on soit bien clair : je ne rentrerai pas avec toi, ni ce soir, ni un autre soir. D’ailleurs, il n’y aura pas d’autre soir. Et si un collègue nous voit ensemble, tu me laisses te casser le poignet pour préserver ma réputation. Deal ? »
Un grand sourire illumine le visage de la brunette alors qu’elle boit une nouvelle gorgée de vodka.
Et s’il se transformait en quelqu’un qu’il n’était pas ? Et s’il se faisait passer pour la meilleure personne qui puisse être histoire d’arriver à ses fins ? Oh, wait. C’est exactement ce qu’il a fait avec Erika, ce qui l’a mené droit derrière les barreaux. Personne ne peut être stupide au point de reproduire deux fois la même erreur, n’est-ce pas ? Hé bien, si vous avez répondu que oui, vous pourrez désormais admirer Rudy et sa bêtise : il a bien l’intention de reproduire ce schéma avec Adriana. Il n’a pas l’intention de l’arnaquer et n’a aucune pensée négative dans le crâne. Il veut simplement essayer de faire ressortir ses meilleurs côtés pour passer une soirée inoubliable. Et s’il peut attirer dans ses filets la policière qui lui a passé les menottes il y a quelques mois, alors il pourra dire que la boucle est bouclée. « Dommage que tu ne puisses pas jouer avec celles que je garde dans ma table de nuit, je suis certaine que tu aurais adoré. » Le petit sourire qui accompagne cette phrase est bien trop provocateur pour que Rudy ne rentre pas dans le jeu. Elle cherche, elle trouve. Les refus ne comptent jamais, avec Rudy, et peu importe pour la morale. Il n’en a aucune. Elle lui demande de tourner la page, il lui demande où elle veut en venir. « Écoute, je n’ai pas participé à l’enquête contre toi, et ce n’est pas non plus moi qui t’aie infligé la sanction. J’étais juste là en renfort pour l’interpellation, rien de plus. » Quand elle lui explique qu’elle n’était pas là pour l’envoyer derrière les barreaux spécialement, il lui répond en retour qu’il n’est pas venu l’aborder à ce sujet-là. Oui, c’est parce qu’il la connaît de là qu’il a décidé de l’aborder elle, spécifiquement. Mais non, ce n’est pas pour se venger de quoi que ce soit. Il lui répète seulement qu’elle est mieux sans uniforme – et le répétera toute la soirée, s’il le faut. « Voilà, tu l’as fait. Bonne soirée. » Elle lui tourne le dos et s’éloigne de nouveau. Il la regarde aller à l’opposé et hausse ses épaules avant de la suivre. Il a l’intention d’insister – ça, c’est dans son tempérament habituel. Mais s’il veut la jouer différemment et faire le mec parfait, il faut qu’il vante ses mérites : il lui dit avoir réintégré la société, être sage au niveau de l’alcool. Il ne veut pas de problème, simplement passer une bonne soirée. Ça ne ressemble pas au Rudy que tout le monde connaît – une chose pour lui qu’elle ne le connaisse pas, donc. « Ha ouais ? Réintégré à la société ? Tu as un job ? Ou tu considères que sortir en soirée suffit à se réintégrer ? » Il a effectivement trouvé un travail il y a peu de temps. Il ne sait pas encore ce que ça va donner mais il espère plaire à sa patronne et ne pas se faire renvoyer après la période d’essai. « J’ai un travail, un logement, j’ai même un gosse. Tu veux que j’fasse quoi de plus ? » Il se dépeint comme quelqu’un de parfait, là, alors qu’il n’est rien de tout cela. Il a un travail car il doit nourrir ce fils né accidentellement. La mère de cet enfant est la femme qu’il a tenté d’escroquer. Il vit chez sa première proie qui n’a aucune idée de ce qu’elle était pour lui, à la base. Non, Rudy ne s’est pas réintégré, il fait juste des efforts pour éviter de mettre ses conneries en avant. « Voilà, tu m’as offert un verre. Deux, même. De quoi veux-tu parler ? » Elle boit un verre d’une traite avant de lui balancer ces quelques mots. Il sourit : il aime bien voir les femmes montrer leur caractère aussi franchement. C’est ce qui lui a plu chez Erika, ce qu’il a essayé de faire ressortir durant des années chez Lena. « Que l’on soit bien clair : je ne rentrerai pas avec toi, ni ce soir, ni un autre soir. D’ailleurs, il n’y aura pas d’autre soir. Et si un collègue nous voit ensemble, tu me laisses te casser le poignet pour préserver ma réputation. Deal ? » S’il n’essayait pas de se faire bien voir, il répondrait que ce soir est déjà le bon soir et qu’il y en aura évidemment d’autres. « Tu me casses le poignet et j’ai le droit à rien en échange ? » Il ne trouve pas ça très juste. « D’accord. Deal. » Il hausse ses épaules et prend le verre des mains d’Adriana pour le poser sur la table, avant de lui tendre sa main. « Je ne vois pas de collègues, là. Danse avec moi. » Peut-être que la danse lui donnera envie d’autre chose, après. Des types ont bien réussi à conclure avec un slow, il peut bien tenter l’expérience à son tour avec quelque chose d’un peu plus mouvementé. Les gens se déhanchent sur la piste, ils n’ont qu’à les rejoindre. Rudy ne danse pas, normalement – encore un mauvais tour de plus, mais est-ce qu’il arrivera au bout de son plan ?
Elle le taquine, Rudy, parce qu’elle pense qu’elle le peut, parce qu’il lui tend des perches qu’elle ne peut refuser. Pourtant, ce n’est pas une invitation à jouer, ce n’est qu’une boutade qui ne devrait déboucher sur rien. C’est ce qu’Adriana pense, mais Rudy est obstiné, et il semble avoir pour mission de ne pas laisser tranquille, ce soir. Et le voilà qui vante ses propres mérites, affirmant être réinséré dans la société.
« J’ai un travail, un logement, j’ai même un gosse. Tu veux que j’fasse quoi ce plus ? »
La brunette penche la tête sur le côté, ne pouvant masquer sa surprise, et détaille un instant Rudy : elle est surprise, ne s’attendait pas à ça. Elle ne pensait pas qu’il aurait trouvé un travail si rapidement, et encore moins qu’il serait père. Un petit sourire se dessine sur son visage.
« Eh bien, les visites conjugales au parloir, c’est plus ce que c’était. »
Elle le taquine à nouveau, n’en a que faire d’où sort ce gosse, et sait très bien ce qui se passe dans les parloirs d’une prison, pour le plus grand malheur des enfants qui s’y trouvent pour rendre visite à leurs proches. Elle hésite, mais hésiter, c’est déjà trop tard. Alors elle finit par boire le verre offert par Rudy et par s’installer face à lui, acceptant de discuter avec lui, mais posant des conditions.
« Tu me casses le poignet et j’ai le droit à rien en échange ? »
La brunette rit.
« Le plaisir de ma compagnie, voyons ! »
Et elle bat des cils outrageusement, d’un air charmeur et innocent. Pourtant, elle ne rit qu’à moitié : si un collègue à elle débarque, elle deviendra froide avec Rudy, et l’enverra bouler.
« D’accord. Deal. »
Il accepte si facilement, qu’elle fronce les sourcils. Qu’est-ce qu’il lui veut, bon sang ? Il la surprend en lui prenant son verre des mains puis en lui tendant la sienne.
« Je ne vois pas de collègues, là. Danse avec moi. »
Adriana fixe la main de Rudy, hésitante. Ses yeux noisette trahissent toute sa confusion, alors qu’elle plonge son regard dans celui, couleur océan, de l’ancien détenu, espérant y lire ce qu’il y cache. Pourtant, son pied qui frappe le sol au rythme de la musique traduit son envie de retourner sur la piste de danse. Finalement, elle laisse échapper un sourire et se lève, ignorant royalement la main tendue par Rudy mais rejoignant la piste de danse. Elle se retourne pour l’interpeler, le sourire aux lèvres.
« Alors, tu viens ? »
Et la voilà sur le parquet, à se déhancher au rythme de musiques caliente. Elle accepte de danser avec Rudy, principalement parce qu’elle a envie de danser. Mais elle ne tolérera pas un contact trop rapproché. Il y a des limites à ne pas franchir, et elle est bien décidée à ne pas les franchir avec lui.
Je me faisais passablement chier ces derniers temps. Ma vie n’était que boulot, boulot et boulot. Je ponctuait cet excès de professionnalisme par quelques soirées de débauches, certes, mais elle se faisait rare en ce moment. Quand je n’étais pas au boulot, je me retrouvais la plupart du temps, seule chez moi avec mes bouquins ou ma télé pour seule compagnie. Quelle tristesse que la solitude à trente ans à peine. J’avais donc passé un peu de temps sur cette application de rencontre, Tinder, et j’avais swipé à droite et à gauche, au rythme des visages qui défilaient sous mon écran. J’avais mathcé en peu de temps avec ce type. Un petit brun, plutôt trapu et assez sportif. Il avait engagé la discussion et il semblait assez sympa. Du moins, beaucoup plus sympa que les quatre murs de mon appartement, aussi cosy soit-il. Rapidement, le brun m’avait proposé de passer du virtuel au réel. Pourquoi pas, après tout, je n’avais rien de mieux à faire ce soir. Ethan, c’était son prénom, m’avait donné rendez-vous dans un bar un peu loin de chez moi. Tant pis, j’étais prête à tout accepter pour ne pas passer ma soirée comme une vieille fille. En moins de temps qu’il ne fallut pour le dire, je me retrouvais au Canvas, un bar que je ne connaissais pas et qui était plutôt bien rempli ce soir. Le bar n’était pas des plus chic mais ils avaient une carte des vins assez sympas. Pas étonnant que Mr Muscle m’ait donné rendez vous ici. Il avait beau être mignon et assez drôle, je me faisais, encore, royalement chier. Il faisait régulièrement des pauses dans ses phrases pour jeter un coup d'œil à son téléphone - apparemment il devait suivre les résultats d’un match - ce qui m’insupportait au plus haut point, et quand c’est moi qui parlait, il semblait plus intéressé par le fond de son verre. Je le laissais donc parler tout seul, n’écoutant que d’une oreille son discours sur l’importance du sport et d’une bonne hygiène de vie. Je laissais mon regard parcourir l’assemblée, et je reconnus Rudy, avec une brune que je ne connaissais pas. Si ces derniers ne semblaient pas avoir une discussion plus ou moins sérieuse, je me serais probablement incrustée. Toutefois, je pense que Rudy n’aurait pas apprécié que je m’immisce dans leur conversation. Absorbée par mes pensées, je n’écoutais plus Mr Muscle. Ce dernier sembla se souvenir que j’existais et attira mon attention. Il me demandait si je l’écoutais et si j’étais, oui ou non, d’accord avec lui. Je clignais des yeux et terminai mon verre de vin blanc. — Euh… En fait, non, je lui dis en reposant bruyamment mon verre contre la table. Je n’en ai rien à foutre du sport et des protéines, à vrai dire. Je ne fais pas de sport, je n’aime pas ça. Mais c’était sympa d’en apprendre plus sur le dopage et les bouffeurs de blanc de poulet, je te remercie ! Sans un autre mot, je me levai de ma chaise pour fuir ce rendez-vous foireux. Avant d’atteindre la sortie, je jetai un dernier regard vers Rudy, qui était maintenant sur la piste de danse, et lui adressai un signe de la main, sans être sûre qu’il m'ait vue. Il ne pouvait pas savoir qu’ils avaient fait passer cette soirée - enfin, ce verre de vin - beaucoup plus vite pour moi. Et, un peu éméchée d’avoir bu d’une traite, je me sentais obligée de les remercier. Une fois dehors, je commandai un taxi et m'empressai de retrouver les quatres murs de mon appartement, chiant, certes, mais pas autant que Mr Muscle.
« Eh bien, les visites conjugales au parloir, c’est plus ce que c’était. » Cette remarque fait marrer le mexicain. S’il avait eu son enfant comme ça, il aurait été bien moins étonné. Là, ça lui est tombé dessus d’un seul coup. Adriana semble vouloir discuter avec lui d’un côté et, de l’autre, continue de le mettre en garde constamment. Si un collègue vient, il n’aura pas droit au moindre traitement de faveur. Au contraire, elle devra se montrer ferme. Elle menace son poignet et, finalement, il accepte. Il s’en fout. Qu’elle fasse ce qu’elle veut. Lui, il a envie de s’amuser. Et tomber sur elle était un peu trop beau, autant en profiter, non ? Erika ne veut pas de lui, Lena non plus. Il ne doit rien à personne, il peut faire ce qu’il veut et avec qui il le veut. Ayant tendance à aimer le défi, évidemment qu’il va jeter son dévolu sur une femme qui ne veut pas sortir avec un type comme lui. Ce serait trop facile de mettre le grapin sur une nana de son monde, ce sont les autres qui l’intéressent. Avec Erika, c’était la différence de milieu et d’âge qui compliquaient les choses. Lena était presque une sainte. Adriana est policière. Les trois étaient difficiles, il en a déjà eu deux. La troisième ne devrait pas tarder à suivre, donc. Il lui tend la main et elle l’ignore royalement en allant vers la piste. « Alors, tu viens ? » Le sourire du brun ne tarde pas à s’afficher sur son visage. Il avance vers la brune et commence à danser avec elle. Loin, d’abord, puis en se rapprochant de plus en plus. Jusqu’à frôler son dos avec son torse. Elle n’est qu’à quelques millimètres de lui. Il peut sentir l’odeur de son shampoing et, elle, elle peut respirer son odeur. Il n’a aucune idée d’à quel point cette position peut être dangereuse, avec elle. Il l’apprendra à ses dépens plus tard. Pour l’instant, il ne fait que de s’amuser et se risque même à poser ses mains sur les hanches d’Adriana. Il sait pertinemment qu’elle les retirera dans la foulée mais il en a envie, alors il le fait. Déjà qu’il ne peut pas boire – ou autre – autant trouver du plaisir ailleurs. Et là, ici, c’est avec elle. Pas besoin de parler, pas besoin de continuer à la taquiner, les gestes et les regards se suffisent à eux-mêmes. Il s’est toujours attribué un côté irrésistible et les filles n’ont fait que de lui confirmer au fil des années, alors bon, ça peut aussi marcher sur une femme qui fait carrière dans tout ce qui le repousse.
Adriana accepte de discuter avec Rudy autour d’un verre, et même si elle y met des conditions, il est déjà trop tard. Laisser la porte entrebâillée, même de quelques centimètres, c’est lui permettre d’entrer. Elle a pourtant l’impression de toujours maîtriser ce jeu, de pouvoir y mettre un terme à tout moment. Alors, lorsqu’il l’invite à danser, même si elle hésite, elle finit par céder. Pas pour Rudy, pas pour lui faire plaisir, mais pour s’amuser, elle. La brunette a toujours eu le rythme dans la peau, mais pendant les premières minutes, elle n’arrive pas à se lâcher totalement, à faire le vide et à se laisser porter par la musique. Elle voit Rudy face à elle, lance de temps à autre des regards furtifs vers l’entrée du bar, craignant de voir arriver un collègue. Finalement, les pulsations des basses font leur effet, et la musique dicte enfin à son corps le rythme à suivre, pendant que son cerveau semble se mettre doucement sur pause. En confiance, elle finit même par fermer les yeux un instant, oubliant où elle est, profitant simplement des chansons qui défilent. Lorsqu’elle les rouvre, Rudy n’est plus en face d’elle, mais elle sait pertinemment où il est. Elle le sent, derrière elle, de plus en plus proche, et elle ne sait si c’est le rythme de la musique qui fait s’accélérer les battements de son cœur ou bien la proximité de l’ex-détenu. Il est beau, sexy, et représente l’interdit : un cocktail particulièrement excitant. Pourtant, lorsqu’il pose ses mains sur les hanches d’Adriana, semblant dépasser une barrière invisible, violer un accord tacite, la brunette le repousse immédiatement. Le contact des mains de Rudy sur sa peau n’était pas désagréable, bien au contraire. Ses mains étaient chaudes, fermes, sûres. Et c’est le fait d’apprécier cette intimité qui fait résonner un avertissement dans la tête de la brunette : elle le laisse aller trop loin. Finalement, elle se retourne pour faire face au mexicain, un petit sourire aux lèvres. Elle s’approche pour lui murmurer à l’oreille.
« Tu n’es pas mon genre, et je ne devrais pas être le tien. »
Elle se recule et hausse les épaules en faisant la moue, avant d’esquisser un sourire triste.
« Merci pour le verre. »
Et la voilà qui récupère rapidement ses affaires avant de quitter le bar, sans un seul regard en arrière.