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Elle venait de faire une connerie. Une énorme connerie. Elle l’avait su dès la seconde où elle avait entendu le bip strident retentir dans les urgences et que le personnel médical s’était agité à proximité, que le médecin en charge avait réclamé le plateau de réanimation avec le défibrillateur. Il avait fallu s’y reprendre à deux fois pour que le choc électrique ramène le patient, que son rythme revienne, toujours bien trop affolé. Les médicaments avaient fait le reste pour le stabiliser. Mais immédiatement, les questions avaient commencé à fuser. L’homme s’était présenté aux urgences pour une forte suspicion d’embolie pulmonaire. Ils étaient dans l’attente des derniers résultats d’examen pour l’admettre. Il n’aurait jamais dû faire un arrêt cardiaque, il aurait même déjà dû aller mieux avec les anticoagulants injectés dans sa perfusion. Si toutefois l’infirmière en charge ne s’était pas plantée sur le nom du flacon. Un flacon qui ne serait pas retrouvé, puisqu’Albane avait paniqué, glissé la preuve de son erreur dans la poche en quittant précipitamment les urgences pour venir claquer la porte de la salle de la réserve. Elle ne se sentait pas bien, pas bien du tout. Le cœur qui battait trop fort au point de lui faire mal, le corps tremblant, la nausée si violente qu’elle se jeta immédiatement sur la poubelle pour rendre son petit-déjeuner, et ce jusqu’à cracher de la bile. Ça aurait dû la soulager un peu, mais elle était toujours aussi fébrile.
Elle éventra un paquet de sopalin pour avoir de quoi s’essuyer la bouche, s’efforça de respirer et de ne pas laisser ses émotions la dépasser. Elle avait failli tuer un homme parce qu’elle était à côté de ses pompes. Pas depuis la veille, pas depuis l’avant-veille. C’était comme vivre une paralysie du sommeil, voir les horreurs défiler autour d’elle mais ne pas parvenir à bouger. Elle avait bien tenté de rationnaliser, de se dire qu’elle était probablement trop dramatique. Que ce n’était qu’un divorce de parents, un décès dans la famille, le mensonge d’une vie sur l’identité de son père. Rien qu’elle ne puisse pas gérer. Ce n’était pas comme s’il y avait la Ruche à côté. Ou comme si ses tremblements actuels étaient liés à l’état de manque. Ah, cet état. Elle ne le connaissait que trop bien depuis quelques temps. Elle en avait besoin pour tenir bon, assumer les journées, réussir à dormir. Ne pas se sentir aussi misérable en permanence. Comme pour en rajouter une couche à sa galère, elle était bientôt à court. Il lui restait trois cachetons, et ensuite elle serait à sec. Il fallait qu’elle réussisse à en voler un tube ou deux avant de rentrer, ce soir. Qu’elle se ressaisisse, aussi. Si quelqu’un posait la question, il fallait qu’elle soit capable de regarder son interlocuteur droit dans les yeux quand elle affirmerait avoir tout fait correctement. Autrement, ce serait un coup à perdre son boulot, sa licence, à même avoir des soucis avec la loi. Elle ne pouvait pas se le permettre.
Yeux fermés, elle s’appuya contre l’une des étagères métalliques, tenta de reprendre le contrôle de ses émotions. Elle n’avait pas dormi depuis presque quarante-huit heures désormais, ne se souvenait désormais plus de son dernier repas, tenait uniquement grâce à la caféine qui courait ses veines. Il fallait qu’elle se débarrasse du flacon. Juste au cas où. Nerveusement, elle sortit la boîte orange de la poche de son pantalon, la déboucha pour prendre une pilule qu’elle croqua. Le pire moment possible pour que la porte s’ouvre. Elle en sursauta, rangeant immédiatement le flacon pour se retourner brutalement. « Jake ! » Ce n’était que lui. « Tu m’as fait peur. Dis, tu saurais pas où sont les kits de suture ? Je sais qu’on en a reçu et on est à court là-bas. » Elle fit mine de se reconcentrer sur les stocks. Ce n’était que lui, oui. Mais il était la dernière personne à qui elle se sentait de parler, là tout de suite. Elle n’avait plus que quatre heures à tenir.
Les urgences ne sont pas calmes mais ne sont pas bondées pour autant. Le flux est parfaitement maîtrisé par les médecins et infirmiers présents. Jake vient de terminer avec un jeune homme venu pour une large entaille au bras, faite bêtement par on ne sait quel matériel de jardinage. Il a expliqué qu’il essayait de tailler une haie et que l’outil lui a glissé des mains. Jake aime bien entendre les histoires qui mènent les plus maladroits des Brisbanais entre ses mains. Il salue une dernière fois son patient qui ne va pas tarder à s’en aller – encore quelques formalités à remplir à l’accueil et tout sera bon pour lui. Ils lui ont recousu le bras et fait un bandage, il n’aura qu’à revenir dans quelques jours pour retirer les points de suture. En relisant l’ordonnance médicamenteuse laissée par le médecin, Jake lui a également ‘prescrit’ d’engager un jardinier compétent. Il lâche enfin son patient des yeux pour observer les urgences et voit Albane, au loin, qui semble fuir quelqu’un – ou quelque chose. À la vitesse où elle va, il ne peut pas croire qu’elle s’en va juste prendre sa pause. L’infirmier repose le dossier qu’il a entre les mains et ne prend pas le temps de se poser la moindre question : il la suit, de loin. Il sait qu’elle n’est plus sous sa responsabilité et qu’il n’a plus à surveiller ses faits et gestes, mais il ne peut pas s’en empêcher. Surtout depuis quelques jours ; elle semble fatiguée en permanence, souvent dans ses pensées, facilement perturbable. Il ne sait pas ce qu’il se passe et leurs collègues, eux, n’ont pas l’air d’avoir remarqué quoi que ce soit. Tout le monde peut vivre des phases plus ou moins compliquées dans sa vie personnelle mais ça ne doit pas se ressentir sur le travail – encore moins lorsqu’on en fait un comme celui-ci. Mais étrangement, il n’a pas envie de mettre ses légers écarts sur quelque chose dans le genre. Il se pense réellement proche d’elle, au point de croire qu’elle lui en aurait parlé s’il y avait réellement du mouvement dans sa vie. Elle n’a rien dit, il doit donc se faire des films. L’ami a envie de le croire, le professionnel a besoin de certitudes. C’est pour ça qu’il pousse la porte de la réserve, très peu de temps après elle, pour y entrer à son tour et refermer la porte derrière lui. « Jake ! Tu m’as fait peur. Dis, tu saurais où sont les kits de suture ? Je sais qu’on en a reçu et on en est à court là-bas. » Il fronce les sourcils en la regardant se mettre à fouiller sur les étagères. « Pas là. » Il dit, en faisant un signe de tête pour lui montrer la direction de ceux-ci. « Là. Ils sont toujours au même endroit. » Il est obligé de faire cette réflexion : ils n’ont jamais été changés de place depuis qu’elle est ici, il ne comprend donc pas le fait qu’elle n’arrive pas à les trouver. « Tout va bien ? » Il demande, en restant droit comme un piquet, dos à la porte – et bloquant l’accès à celle-ci, si jamais elle essaie de fuir de nouveau. « Je t’ai vue partir juste avant… Tu m’avais l’air bien pâle. Et apeurée, peut-être. » Il hausse ses épaules, incapable de mettre des mots sur ce qu’il a cru voir passer sur son visage pendant ces quelques secondes où il l’a vue quitter les urgences. « Et ça fait plusieurs jours que tu es là sans l’être. Tu as encore du mal à dormir ? » Tout ne peut pas être mis sur le dos des problèmes de sommeil, mais il sait que c’est quelque chose de régulier chez elle. « On peut voir pour te donner quelques jours de congé, si c’est nécessaire. » Il essaie de l’alarmer sans le dire clairement, ce ‘on’ n’implique pas que Jake ; il y a également la direction, qui devra être mise au courant si elle semble encore à ce point dissipée dans les jours à venir. C’est une légère mise en garde, il espère ne pas avoir à le faire. « Tu sais que tu peux tout me dire. » Il lui a prouvé plus d’une fois qu’il était de bon conseil, il aimerait qu’elle s’en souvienne pour qu’elle se confie une énième fois.
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D’une manière ou d’une autre, il fallait qu’elle trouve le moyen de se ressaisir, de retrouver son sempiternel sourire et son visage serein. Elle avait pourtant toujours été la première à dire que c’était le devoir du personnel médical de laisser les problèmes personnels en dehors de l’hôpital. Mais elle avait surtout fini par réaliser qu’elle disait beaucoup de choses, donnait beaucoup de conseils quand elle-même était à peine capable de mener la barque dans sa propre vie. Elle aurait aimé avoir quelques minutes de répit pour reprendre ses esprits, ici. Et si la française avait cru pendant un instant qu’elle avait de la chance que ce soit Jake qui ait débarqué dans la réserve, elle n’était plus si sûre. Elle aurait pu vendre n’importe quel mensonge à un quasi inconnu. Pas à un ami qu’elle estimait plutôt proche. Ce n’était pas pour rien qu’elle lui tournait le dos, grapillait quelques précieuses secondes. Bien évidemment que ces foutus kits n’étaient pas là. Elle n’était même pas certaine de savoir ce qu’elle était en train de regarder tant elle était à côté de ses baskets. « Ah oui. Merci. » Tête baissée, elle se dirigea lentement vers la boîte des kits de suture, en attrapant une poignée. Si tout allait bien ? Non. C’était même loin d’aller. Tout partait en vrille. Cela devait se lire sur son visage. Les mains désormais pleines, Albane voulut tenter de battre en retraite, mais Jake la coinçait dans cette pièce. « Oui, ça va. Je devais juste… j’ai pas digéré mon petit-déjeuner. » Et autant ils étaient habitués aux urgences à devoir gérer les fluides en tout genre de la part des patients. Autant ici, l’odeur qui émanait légèrement de la poubelle avait de quoi être gênante. Ce n’était qu’un vomi matinal, elle invoquerait toutes les raisons possibles et imaginables pour avoir la paix, de l’indigestion à la grossesse en passant par la gastro. Le problème ici, c’était que l’infirmier en face d’elle était l’ami le plus loyal, le plus attentif et le plus bienveillant qu’elle avait rencontré depuis bien longtemps. Elle pouvait entendre dans sa voix qu’il s’inquiétait, et plutôt que de s’adoucir, la blonde se sentit lentement se braquer. Elle n’aimait pas être observée, surtout pas en ce moment. Elle ne voulait pas de cette sympathie, juste d’un peu d’espace. Qu’on lui fasse confiance, vu qu’elle-même en était incapable. « Je sais pas ce que tu racontes. Je suis là, t’as juste bien vu que les derniers jours ont été occupés. » Une excuse mise sur le dos de l’activité de l’hôpital quand en réalité, Bane avait fait son possible pour mettre ses distances avec même ses collègues préférés. « J’aurais fini devant ta porte si ça n’allait pas. » lâcha-t-elle en haussant les épaules, s’enfonçant encore davantage dans sa mauvaise foi. Il fallait croire que fréquenter Winston lui avait au moins appris ça. Mais plutôt que de lui accorder le bénéfice du doute, il mentionna les jours de congés. Une idée qui, aussi bien intentionnée soit-elle, provoqua un silence crispé chez Bane. Parce qu’il ne glissait pas la suggestion, ici. Il laissait entendre que c’était nécessaire. Elle l’entendait à la manière qu’il avait d’utiliser ce ‘on’, comme si cela allait impliquer quelqu’un d’autre. « Je sais comment poser des jours de congé, Jake. Merci. » Sa voix était plus agressive qu’elle ne l’aurait voulu, ce qui l’aurait mortifiée en temps normal. Pas cette fois, pas alors qu’elle voulait juste être laissée tranquille. Pas questionnée dans le fond de la réserve. « Tu sais quoi ? On n’aura qu’à aller manger un bout en ville la prochaine fois qu’on est en repos. Mais là, je n’ai rien à te dire et on a des patients qui attendent. Tu peux te pousser de la porte, s’il te plaît ? » Car la jeune femme ne comptait pas rester ici à se faire scruter comme s’il cherchait à savoir si elle était instable ou non.
ÂGE : 34 ans (13.05.90) SURNOM : Isy STATUT : Penny est le soleil et l'amour de sa vie, l'évidence avec laquelle il écrit sa plus belle histoire et s'autorise à réaliser des rêves de bonheur (06.07.2021) MÉTIER : Infirmier au service des urgences, président de l'association Run for Judy, infirmier bénévole à la Croix Rouge et aux Flying Doctors, sapeur-pompier volontaire et surtout : papa comblé de Jude (13.09.2018), Maia (14.06.2022), Jack et Mila (01.08.2023) LOGEMENT : Penny et lui ont quitté Toowong en 2024 pour s'installer avec leurs enfants à Bayside et y créer leur cocon à l'image entière de leur amour POSTS : 28708 POINTS : 0
TW IN RP : dépression, anxiété, automutilation, idées suicidaires, tentative de suicide, mentions d'abandon d'enfant PETIT PLUS : Emménage à Brisbane en 2003 ∆ il exerce en qualité d'infirmier au st vincent's depuis 2006 puis est affecté aux urgences en 2013 ∆ une suite de blessures anéantit sa carrière de joueur de football australien en 2010 ∆ il attente à ses jours en mars 2018 et reprend le travail en septembre 2018 ∆ finaliste de ROA en 2020 ∆ il se soigne contre son anxio-dépression, après avoir longtemps refusé son diagnosticCODE COULEUR : Isy s'exprime en #9966ff ou slateblue RPs EN COURS :
Je baille à intervalle régulier, mon service se fait affreusement long. Je suis intimement convaincu que si j'avais le malheur de m'asseoir quelque part plus d'une minute, je m'endormirais profondément. Néanmoins, il me reste encore plusieurs heures de garde avant que je puisse prendre la route - musique à tout tête dans l'habitacle de ma voiture - pour rejoindre mon domicile et m'écrouler soit sur mon divan, soit dans mon lit, selon ma vaillance du moment. Je frottais mes yeux une énième fois, calculais quatre fois la dose que je devais administrer au patient avant de m'appliquer à l'insérer à sa perfusion, pour revenir dans le box dix minutes plus tard afin de m'assurer que celui-ci s'écoulait au bon rythme du goutte-à-goutte. Heureusement, mon expérience voulait que certaines choses étaient devenues de purs réflexes, mais dans cet état de fatigue avancée, je redoutais toujours un oubli, un impair. Il y avait peu de choses de plus terrifiant que de commettre une erreur médicamenteuse.
Le flux constant des patients me stimulait et lorsqu'une accalmie s'annonçait, je m'enquérais à vérifier les stocks de manière à ne pas rester immobile trop longtemps. Profiter du calme dans le service pour prendre une pause à l'extérieur n'était pas judicieux, je succomberais à la tentation d'une cigarette qui m'ajouterait un nouveau coup de barre, j'en suis persuadé. Alors, je calcule ce qui risque de manquer à portée de main si une urgence vitale arrive en trombe. Je mémorise le tout et m'oriente vers la réserve. Je pousse spontanément la porte et sursaute en reconnaissant la silhouette de Jake, ne m'attendant pas à ce qu'il y ait quelqu'un en ce lieu. Mon intrigue s'accentue en remarquant également la présence d'Albane. Je fronce discrètement les sourcils, mes yeux passent d'une silhouette à une autre au papier de sopalin éventré. Je ne préfère pas poser de questions, je ne veux même pas savoir : plutôt, je pose ma main sur l'épaule de l'infirmier pour l'inviter à me laisser entrer. « Désolé, j'attrape juste des kits d'intubation et je vous laisse. » J'en profite pour saisir quelques compresses et équipements à usage unique puis reviens sur mes pas, prenant soin de refermer la porte derrière moi.
« Ah oui. Merci. » Elle se tourne pour attraper les fameux kits de suture qui, d’après Jake, ne lui serviront strictement à rien. Il n’est pas devin, il n’est pas capable de dire ce qu’il se passe dans la tête d’Albane à ce moment-là. Il est pourtant sûr que quelque chose cloche, ne se basant pas que sur aujourd’hui mais sur plusieurs jours. Elle est distante, ailleurs, et ça ne lui plaît vraiment pas. « Oui, ça va. Je devais juste… j’ai pas digéré mon petit-déjeuner. » L’odeur qui s’installe peu à peu dans la pièce témoigne en sa faveur. Ce serait plus facile de la croire s’il n’avait pas eu des doutes auparavant. Là, il a juste l’impression qu’elle lui sert la première excuse venue. « Si c’est toi qui l’as cuisiné… » Il ne peut pas passer à côté d’une énième blague sur sa cuisine, même sur le ton humoristique ne reste qu’une seconde. Celle d’après, il souligne le fait qu’elle lui semble absente en ce moment. « Je sais pas ce que tu racontes. Je suis là, t’as juste bien vu que les derniers jours ont été occupés. J’aurais fini devant ta porte si ça n’allait pas. » Cette dernière phrase le fait lever les yeux au ciel. Cette réflexion est bien trop facile. Oui, elle vient chez lui sans le prévenir dès que quelque chose ne va pas. Mais non, ce n’est absolument pas son premier recours – et sûrement pas le dernier non plus. Elle le fait quand elle en a envie, pas quand elle en a besoin. « Ma porte est toujours ouverte. » Il le confirme malgré tout. Même si, au fond, il aimerait être capable de lui dire le contraire. Il n’aime pas que ce soit presque utilisé contre lui à ce moment-là. Et c’est pour ça qu’il mentionne les jours de congé, la capacité qu’il a – et que d’autres ont – à lui donner quelques jours pour qu’elle se reprenne en main. « Je sais comment poser des jours de congé, Jake. Merci. Tu sais quoi ? On n’aura qu’à aller manger un bout en ville la prochaine fois qu’on est en repos. Mais là, je n’ai rien à te dire et on a des patients qui attendent. Tu peux te pousser de la porte, s’il te plaît ? » Le ton est différent et n’avait jamais été employé entre eux auparavant. Il entend la porte s’ouvrir derrière lui et tourne son visage pour voir de qui il s’agit, en espérant que la personne s’en aille rapidement. « Désolé, j’attrape juste des kits d’intubation et je vous laisse. » C’est Isaac, un autre infirmier du service, qui lui vient ici pour une vraie raison. Il pose sa main sur l’épaule de Jake, qui se décale d’un pas. Pendant tout le temps où Isaac fouille et récupère ce dont il a besoin, Jake ne lâche pas Albane des yeux. Et il se remet devant la porte à la seconde où le Jenkins la referme derrière lui, pour continuer d’empêcher la française de passer. « Non. » Il répond enfin. S’il avait voulu la laisser passer, il l’aurait fait pendant qu’Isaac était en train de chercher ses kits. « Tu te souviens cette discussion sur les infirmiers et médecins incapables ? » Il se pince les lèvres. Il sait déjà lui-même qu’il ne va pas aimer ce qu’il va dire, ni la tournure que cette discussion risque de prendre. Il voulait juste s’assurer que ça va, en entrant ici. Il s’est assuré du contraire et ne peut pas passer au-dessus, même s’il l’aimerait. « On disait qu’il était imprudent de mettre les patients entre leurs mains, que ce soit à cause de la fatigue, d’un manque de professionnalisme ou juste parce qu’ils sont nuls de base. » Elle n’est pas nulle, elle, elle a au moins ça pour elle. Il a arrêté d’être parfaitement honnête depuis de longues années, Jake, parce qu’il l’était un peu trop et finissait toujours par être blessant. Il a appris à camoufler la vérité, à la sublimer, à passer au-dessus de ce qui ne lui convient pas. S’il le fait dans sa vie privée, il se sent incapable de le faire ici. « Je te range dans cette catégorie, aujourd’hui. Prends le reste de ta journée de toi-même, ne me force pas à le faire pour toi. » Il recule d’un pas pour que son dos vienne toucher la porte, histoire d’être sûr que personne ne vienne l’ouvrir une seconde fois. « Je veux pas aller manger un morceau quand on sera en repos, je veux comprendre ce qu’il se passe. Et ne me dis pas que je me fais des films ou que tu as mal digéré ton petit déjeuner, ça fait des jours que tu traînes ça… Même plus. » Des années, en réalité : une personne qui va bien ne termine pas chez son collègue plusieurs soirs par semaine juste par besoin de ne pas être seule. Et s’il ne lui a jamais reproché jusqu’ici, s’il l’a toujours accueillie à bras ouverts, il est maintenant obligé de le mettre sur le tapis comme quelque chose d’anormal.
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Albane appréciait de moins en moins la tournure des événements. Plus les secondes passaient, plus la française avait envie de quitter la réserve, de mettre de la distance entre son ami et lui. Il avait réussi à lui arracher un sourire le temps d’une seconde, mais même si elle était à l’ouest, elle ne l’était pas assez pour ne pas voir qu’il ne la croyait pas du tout. Il la dévisageait sans bouger d’un pouce, comme dans l’attente qu’elle parle. Et parler, Albane n’en avait pas envie. Ce serait la réaction saine et mature à avoir, certainement. Mais il y avait trop à dire, à redire, trop à accuser, trop pour qu’elle ne parvienne à le formuler. Elle n’avait pas envie de discuter de ses problèmes ; juste de les enterrer dans un coin de son esprit et d’user de tous les recours possibles pour ne pas y penser. Certains moins bons pour la santé que d’autres, certainement. Ce qui était clair ici était qu’elle ne cracherait pas le morceau. Elle savait que le brun était là pour elle, quoiqu’il advienne, et elle appréciait sincèrement sa bienveillance. Elle n’était juste pas capable d’attraper la moindre main tendue ici, ne voulait pas être contrainte à quoique ce soit. La soudaine apparition d’Isaac fut la diversion parfaite, un rappel à la vie réelle. La brune crut capter un regard dubitatif de sa part, mais il ne fit aucun commentaire, se contentant juste de faire ce pour quoi il était venu. Elle lui adressa un léger sourire lorsqu’il repassa devant elle, comme pour lui assurer que tout allait bien. En toute lâcheté, Bane tenta même de le suivre lorsqu’il quitta la pièce, mais Jake fut plus rapide. Une barrière humaine qui la fit soupirer bruyamment, se pincer l’arête du nez et relever un regard mécontent.
Elle était prête à taper du pied, à hausser un peu la voix s’il le fallait. Elle pensait pouvoir retrouver le contrôle de la situation, persuadée qu’il ne pourrait la forcer à rien. Mais les paroles de Jake furent comme un uppercut dans l’estomac. Un coup tellement violent qu’elle se figea sur place, le regard hagard et le cœur serré. Il la prenait pour une mauvaise infirmière. A juste titre, si elle se devait d’être honnête. Il ne lui faisait pas assez confiance pour la laisser gérer, serait prêt à s’en mêler. Et avoir l’attention du conseil administratif de l’hôpital était de loin ce qu’elle redoutait le plus au monde. La française avait beau avoir pris le soin de cacher ses traces, elle connaissait par cœur la liste de ses méfaits. Pratique de la médecine sous l’emprise de médicaments stupéfiants, vol de médicaments et de matériel, trafic d’ordonnances. Ce n’était pas seulement sa carrière qui s’achèverait mais aussi sa liberté, probablement. Elle savait depuis le premier jour que ces choix pouvaient avoir des conséquences dramatiques, mais c’était bien la première voir qu’elle avait réellement peur de se faire choper. Bane pouvait sentir ses oreilles bourdonner à forcer de réfléchir dans le vide. Jake avait raison, elle devait rentrer. Elle ne pouvait juste pas, pas avant d’avoir récupérer un flacon d’opioïdes. Elle ne tiendrait pas le coup, sinon. Plusieurs longues secondes s’étaient écoulées désormais avant qu’elle ne brise le silence. « Tu penses qu’après ce que tu viens de me dire, et en me coinçant dans cette pièce contre mon gré, je vais avoir envie de partager quoique ce soit sur ce qu’il se passe dans ma vie en ce moment ? » Il avait réussi à la blesser considérablement. Ce n’était pas vraiment de sa faute ; la vérité avait tendance à faire mal. « Donc si je ne t’obéis pas, si je décide de finir mon shift, tu iras me reporter comme infirmière incapable. Parce que tu as décidé que c’est ce que j’étais. » Elle a un rire nerveux, celui qu’on a avant de vraiment péter les plombs. Les bras croisés sur la poitrine, elle se gratte distraitement l’avant-bras. « Tu as conscience de ce que ça représente comme menace ? Tu sais combien ce genre d’investigation peut ruiner la réputation de quelqu’un ? » Même si les résultats ne trouvaient rien à signaler. « J’ai de l’administratif à faire avant de partir. Je ne vais pas quitter l’hôpital en laissant tout en vrac. D’ici une heure maximum je suis partie, et ne t’en fais pas, je ne m’approche plus des patients. » Clôturer les dossiers des urgences, les rapports, trafiquer une ordonnance pour avoir ses cachetons avant de partir. « Et ce n’est pas parce que je pense que c’est nécessaire. En fait, je préférerais que tu restes loin de moi pendant un temps. Maintenant, laisse-moi sortir. » Elle ne le voulait pas sur son dos, ne voulait plus le voir du tout. Le temps d’accuser le coup.
« Tu penses qu’avec ce que tu viens de me dire, et en me coinçant dans cette pièce contre mon gré, je vais avoir envie de partager quoique ce soit sur ce qu’il se passe dans ma vie en ce moment ? » Jake sait bien que non. Inutile de mettre ça sur le compte de ce qu’il vient de dire ou de sa manière de la bloquer ; elle ne comptait pas le faire dans tous les cas. « Donc si je ne t’obéis pas, si je décide de finir mon shift, tu iras me reporter comme infirmière incapable. Parce que tu as décidé que c’est ce que j’étais. » Le rire qui suit cette phrase n’a rien de bon. Une des raisons pour lesquelles il a arrêté de dire réellement ce qu’il pense lorsqu’il le pense, c’est à cause de ça. Cette manière qu’ont les uns et les autres de ne pas accepter les faits. Ils préfèrent un mensonge qui fait du bien qu’une vérité qui chamboule tout. « Tu as conscience de ce que ça représente comme menace ? Tu sais combien ce genre d’investigation peut ruiner la réputation de quelqu’un ? » Il ne le fait pas dans le vent. Il est bien conscient de tout ce que ça peut engendrer. Et qu’elle ne se fasse pas de soucis : ça lui fait déjà plus de mal à lui qu’à elle de devoir la mettre dans cette position. Il aurait préféré continuer de fermer les yeux, son professionnalisme l’en empêche. « J’ai de l’administratif à faire avant de partir. Je ne vais pas quitter l’hôpital en laissant tout en vrac. D’ici une heure maximum je suis partie, et ne t’en fais pas, je ne m’approche plus des patients. » C’est déjà une victoire en soi, mais ce n’est pas assez au goût de l’infirmier. Il ne peut plus reculer et lui accepter cette volonté, la menace est lancée et ce n’est pas en l’air : soit elle part maintenant, soit il fait appel à la hiérarchie. « Et ce n’est pas parce que je pense que c’est nécessaire. En fait, je préfèrerais que tu restes loin de moi pendant un temps. Maintenant, laisse-moi sortir. » Il encaisse ces derniers mots en hochant sa tête de haut en bas. C’était le plus gros risque, il le savait avant de la rejoindre dans cette pièce. « Si c’est ce que tu veux. » Il parle du fait de la laisser tranquille. Jake n’est pas le genre d’ami constamment sur le dos des uns et des autres. Il laisse le temps au temps, comme on dit, et qui a besoin de lui l’appellera. Il considère autant une amitié avec quelqu’un à qui il téléphone tous les deux jours qu’avec quelqu’un qu’il ne voit qu’une fois tous les deux ans. Et si Albane décide qu’ils ne doivent plus se voir, si elle veut remettre leur lien en question durant un moment, grand bien lui fasse. Il n’arrêtera pas de la considérer pour autant. « Je suis sérieux. » Il se décale très légèrement de la porte, pose sa main dessus. « J’ai toujours senti qu’il y avait quelque chose de différent chez toi, depuis le jour où on s’est rencontré. » Il ne la lâche pas du regard. « Je sais de toi que ce que tu veux bien me dire, et ça me va. Je serai toujours là le jour où tu voudras me conter le reste. Mais quelqu’un qui n’arrive pas à dormir par peur de la solitude – ou d’autre chose – n’est pas quelqu’un qui va bien. Quelqu’un qui appelle à l’aide plusieurs soirs par semaine en se pointant au milieu de la nuit n’est pas quelqu’un qui va bien. Quelqu’un qui agit comme tu le fais sur son lieu de travail n’est pas quelqu’un qui va bien. » Il l’a sous-entendu, il le dit clairement maintenant. « Je n’ai rien dit parce que ça n’arrivait jamais jusqu’à l’hôpital. Mais là… Je vais m’occuper de l’administratif, tu rentres maintenant. » Il appuie sur la poignée, ouvre la porte. « Tu n’es pas une gamine, je ne vais pas te tenir par le bras. Mais je t’accompagne jusqu’au vestiaire et jusqu’à la sortie, au cas où. » Il regarde dans le couloir, maintenant, évite tout contact visuel avec elle. Ça lui déplaît fortement de devoir agir de la sorte. « Tu auras tout le temps du monde pour comprendre que je fais ça pour toi. Je vais leur dire que tu es malade et que tu reviendras dans deux ou trois jours. » Et ce n’est pas négociable, ça non plus. Il aurait pu dire une semaine ou deux – c’est une manière de lui montrer qu’il la pense malgré tout capable de rapidement se relever.
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Albane en avait les oreilles qui bourdonnaient. C’était trop d’informations à la fois, trop d’émotions qui contrastaient entre elles. Elle se sentait poussée jusque dans ses retranchements, incapable de trouver comment s’en sortir. Jake était à deux doigts de mettre le doigt sur ce qui déconnait vraiment chez elle, et elle le savait. S’il la reportait à l’administration et qu’ils poussaient l’enquête, ils n’auraient pas grand-chose à faire pour réaliser qu’elle n’était pas apte à bosser ici. Il suffirait d’une prise de sang pour comprendre qu’elle consommait des opioïdes, d’un suivi des stocks à la pharmacie pour voir qu’elle avait retiré un sacré nombre de boîtes sous prétexte de répondre aux ordonnances des patients. Un simple coup d’œil aux dites ordonnances, et ils découvriraient qu’elles étaient fausses. Jake lui faisait risquer extrêmement gros, au point qu’elle en oubliait définitivement qu’ils étaient amis avant tout. Elle savait que sa réaction était disproportionnée, qu’elle était en tort et que le brun agissait dans le meilleur intérêt des patients. Mais elle se sentait menacée ici et ne pouvait juste pas encaisser ce genre de trahison. Car c’était exactement ce de quoi il s’agissait, à ses yeux. Jusqu’ici, elle avait toujours réussi à s’en tirer avec ses excuses et ses grands yeux innocents. C’était bien la première fois qu’elle se retrouvait face à un tel mur, démunie. Elle n’avait même pas la force de faire autrement, l’épuisement et les cachetons prenant le dessus sur sa capacité à raisonner. Il fallait juste que cela cesse, qu’il la laisse partir. Pas qu’il la bloque ici, lui laissant le temps de doucement céder à la panique. Et si elle pensait qu’il avait déjà donné le coup de grâce, elle se trompait copieusement. Elle avala sa salive, serra les poings tandis qu’elle lui tenait fièrement tête. Il pouvait voir combien il était en train de la blesser, ainsi. C’était tout ce qu’elle était depuis le début, donc ? Quelqu’un qui ne va pas bien, qui doit être surveillé ? Albane avait toujours eu peur de déranger chaque fois qu’elle se pointait chez Jake durant la nuit, et à chaque fois il lui avait affirmé que ce n’était pas le cas, qu’elle pouvait se le permettre. Elle avait profité de leur amitié parce qu’il l’avait laissée faire. Elle était ravie d’apprendre que ces paroles étaient comme à son image ; polies pour ne pas blesser. Ce n’était pas un cirque qui pouvait durer éternellement. « Tu me confortes dans mon choix de ne pas t’en avoir dit plus. Ne t’inquiète pas, tu ne seras plus dérangé. » Elle n’avait pas besoin de lui. Elle n’était pas assez brisée pour cela. Du moins, c’était ce qu’elle disait en s’avançant vers la porte dont la poignée venait d’être baissée. Mais elle se figea net quand il laissa entendre qu’il ne lui ficherait pas la paix. Qu’il ne lui fasse pas confiance, c’était une chose. Qu’il l’escorte jusqu’à la sortie ? Non. C’était impossible. Elle devait passer à la pharmacie pour trouver ses cachetons. Elle ne tiendrait pas jusqu’au soir, sinon. Encore moins sur les deux ou trois jours à venir. Objectivement, cela ne lui ferait pas de mal. En pratique, elle avait bien trop peur de ce qu’elle devenait quand elle n’avait plus l’hôpital pour occuper son esprit. Sauf qu’ici, plus elle ferait de vagues, plus Jake deviendrait suspicieux. Elle en avait du mal à respirer correctement tant la colère menaçait de prendre le dessus. Un sentiment tellement peu familier. « Et tu auras tout le temps de comprendre que tu viens d’enterrer notre amitié. Mais je t’en prie, accompagne-moi. Vu que visiblement je ne peux pas me débrouiller seule. » Elle se refusait même à le regarder en pressant le pas jusqu’aux vestiaires, l’ignorant de toute sa superbe. Elle claqua la porte de la pièce à son nez pour entrer se changer, cachant ce qu’il lui restait de morphine au fond de son sac. Elle réfléchissait, vite. Elle connaissait une autre manière de se procurer des opioïdes, à même l’autre endroit qu’elle fréquentait plus souvent qu’elle ne le voudrait. La Ruche. Ils sauraient lui trouver ça. Lou lui devrait bien ce service, si elle voulait continuer de l’avoir un tant soit peu opérationnelle. Le fait est que quand Albane ressortit des vestiaires, elle offrit un regard méprisant à Jake avant de prendre la direction de la sortie principale, pressée de mettre de la distance entre eux. Jusqu’à ce qu’elle atteigne les portes automatiques. Là, elle se figea, se mordit la langue pour essayer de retenir le flot de paroles. Mais elle ne put s’en empêcher et se retourna finalement vers le brun. « Fais ce que tu veux. J’espère juste que ça en vaudra le coup à tes yeux. » Qu’ils enquêtent s’ils le veulent. Qu’elle se fasse coincer. Il n’en ferait qu’à sa tête, de toute manière. Ce ne serait que dans la continuité des claques qu’elle se prenait dans la tronche en permanence, ces derniers temps. Et alors qu’elle passait les portes de l’hôpital, elle n’eut qu’une seule pensée. Peut-être que la Ruche aurait quelque chose de plus fort que la morphine pour elle, puisqu’elle avait quelques jours à tuer.