Maddy est enceinte de Sergio. Putain, Maddy est enceinte de Sergio.. J’en reviens pas. Je suis passé par une montagne russe d’émotions et là je ne saurais pas dire comment je me sens. Enfin si, je suis furieux, je suis triste, je ne comprends pas tout ce merdier et je me sens profondément trahi. Je n’attendais rien de la part de Sergio, je le savais sournois et mauvais mais c’est Maddy que je ne comprends pas. J’étais persuadée que si elle était enceinte c’est parce que Sergio avait abusé d’elle, c’était la seule explication pour moi. Elle l’a toujours détesté, je me souviens de très longues discussions que j’avais pu avoir avec elle où elle me racontait tout le mal qu’il lui faisait et ça me rendait fou de savoir qu’il essayait de la manipuler comme ça. Alors non je ne comprends pas comment ça a pu arriver. Je crois que je ne veux pas savoir. D’un côté je suis rassuré que mon père soit un connard absolu mais pas un violeur mais de l’autre je me sens trahi. Quand j’ai compris que ce qui s’était passé était consenti je suis parti, j’ai claqué la porte et je me suis barré, je ne pouvais pas supporter de voir ce spectacle plus longtemps. Il peut s’estimer heureux que je n’ai pas crevé sa BM, que je ne l’ai pas fait saigner comme il m’a blessé, s’il savait comment j’ai la haine. J’en veux énormément à Sergio d’avoir séduit une des amies comme ça et encore pire qu’elle soit enceinte. Aucun gamin ne mérite d’avoir un père comme lui alors je suis furieux. J’ai pris mon vélo et je suis rentré à la maison. Aveuglé par la colère j’ai roulé comme un fou, j’ai ignoré les coups de klaxon et j’ai slalomé entre les voitures pour vite rentrer chez moi. Enfin mon nouveau chez-moi puisque nous avons déménagé il y a peu. Je balance mon vélo devant la porte de la maison et je m’arrête quelques secondes pour contempler la maison. Son cadeau. Cette maison c’est Sergio qui nous l’a offerte à noël, puisqu’il pense qu’il peut se rattraper en nous achetant. C’est son putain de cadeau et ça me rend fou de voir Sergio partout. J’ai très peu d’amies et quand je vais chez Maddy il est là, il la met enceinte, je rentre et je le vois dans la maison, je le vois sur les réseaux avec ses commentaires humiliants. J’en peux plus et si ça s’arrête pas je vais véritablement devenir fou.

J’entre dans le salon, le poing serré et je suis à une étincelle d’exploser. Je me dirige vers l’étagère où sont posées les photos de famille et là je vois rouge quand mon regard se pose sur une photo de noël dernier où tout le monde -sauf Diego- est sur la photo. J’attrape le cadre et ça me fait péter les plombs de voir Sergio sur la photo, comme si tout allait bien et qu’il n’était jamais parti, comme un père modèle. Je lève le cadre en l’air et je le balance de toutes mes forces par terre. Le cadre explose en des centaines de petits morceaux et avec un boucan pas possible. J’ai besoin de passer mes nerfs sur quelque chose parce que ça me fait du bien de casser des choses comme ça. J’ai l’impression que c’est le seul moyen d’évacuer toute cette rage alors je me dirige vers la cuisine et j’ouvre les placards. Je me fous des conséquences ou de ce que Maman dira, j’ai envie de tout envoyer balader. Je prends une pile d’assiettes et je commence à les casser, une par une, en y mettant à chaque fois un peu plus de force. Je dois être aussi bruyant qu’un éléphant dans un magasin de porcelaine mais j’en ai rien à faire. Je veux juste être tranquille et finir ce que j’ai commencé. Je ne m’arrêterais pas avant d’avoir détruit toutes les merdes qu’il nous a offertes avec cette maison et je ne veux pas être dérangé. J’entends que quelqu’un se dirige dans la cuisine en courant, sûrement alerté par le vacarme qu’il y règne. Il ne manquait plus qu’elle pour me mettre en rogne. Je suis persuadé qu'il s'agit de Sara et j’ai envie qu’elle dégage vite, qu’elle me laisse tranquille pour une fois parce que j’ai envie d’être seul. « Barre-toi. » Je lui lance sans regarder. Je ne l'entends pas bouger alors j’hausse le ton et je répète mon ordre. « J’ai dit BARRE-TOI putain Sa-. » Je me retourne et ma phrase reste en suspend : ce n'est pas Sara mais Rudy qui me fait face. Et merde.

Offrir une maison. Quelle putain d’idée, ça encore. Rudy ne se sent pas concerné : il n’habite plus avec les Gutiérrez depuis de longues années. Une part de lui est reconnaissante, il faut bien l’avouer ; leur mère n’aurait jamais eu les moyens de les faire déménager, et Maria avait besoin d’un endroit plus paisible pour se reposer que leur vieil appartement. C’est là-bas qu’ils ont tous été élevés, c’est là-bas qu’il y a toutes les traces de leur passage, mais cet endroit n’est plus, désormais. La maison offerte par Sergio est la leur, maintenant, et Rudy a été un des premiers à accepter d’aller la visiter. Il a vu de la joie dans les yeux de leur mère et, au fil des minutes, il s’est dit que ce n’était pas si grave. Un jour, il aura lui aussi les moyens de faire déménager sa mère et de lui offrir quelque chose d’aussi grand, d’aussi beau. En attendant, il veut bien qu’elle se repose sur la fortune de leur père, au moins pour ça : il le leur doit bien, après tout. Maritza a longuement hésité avant de donner un double des clés à son fils aîné. Elle lui a dit qu’il ne vivait plus avec eux et que s’il voulait leur rendre visite, il devrait toquer et attendre qu’on lui ouvre la porte, comme n’importe qui. Ce sont ces derniers mots qui ont fait qu’elle a cédé ; immédiatement, elle s’en est voulu de mettre son fils dans cette case, comme s’il n’était plus de la famille. Rudy a promis qu’il ne viendrait pas vider le réfrigérateur et qu’il préviendrait avant chacun de ses passages – quand ils seront tardifs, du moins. Ces deux dernières semaines, en réalité, il n’a fait que de venir dès qu’il avait un peu de temps. A chaque fois qu’il avait Jaime. Pour que son fils passe du temps avec sa grand-mère et pour que Rudy passe du temps avec sa petite sœur. Après six mois loin d’elle, il essaie de passer le plus de temps possible en sa compagnie. Il sait qu’il ne rattrapera jamais ces semaines perdues, mais il fait de son mieux pour les effacer et lui rappeler qu’il sera toujours avec elle. Les sourires de Maria et la tendresse qu’elle lui apporte ne suffiront jamais à effacer la colère qu’il ressent quand il pense à Erika et à ce qu’elle a fait. Alors quand il ressent un peu trop de culpabilité et un peu trop de rage, il retourne voir le visage de son fils et se rappelle que non, il ne peut pas se venger de la mère de celui-ci. En cette fin de mois de janvier, la vie de Rudy tourne autour de sa famille et exclusivement elle. Aujourd’hui, en revanche, il n’est pas venu avec son fils. Il a dit à sa mère qu’il préparerait le dîner du soir pour qu’elle puisse se reposer en rentrant, en apprenant qu’elle avait une journée chargée et qu’elle était fatiguée. Ne travaillant pas – encore – c’est tout naturellement qu’il a fait cette proposition. Il pousse la porte d’entrée après l’avoir déverrouillée et, immédiatement, il est reçu par un bruit perçant. Cassant, pour être plus précis : quelque chose vient d’être explosé par terre. Il fronce les sourcils et se dépêche d’aller vers le lieu du crime, en imaginant que quelqu’un est en train de cambrioler la maison, ou pire. « Barre-toi. » C’est Cesar. « J’ai dit BARRE-TOI putain Sa… » Il se tourne vers lui et se coupe net. Dans l’incompréhension totale, Rudy ouvre la bouche mais aucun son ne sort. Il regarde les assiettes explosées par terre et la pile encore intacte, prête à être balancée elle aussi. « Putain j’te savais con mais alors pas à c’point. » Il dit, d’un ton calme, en s’approchant de son petit frère. « Tu m’poses ça. » Il parle de l’assiette qu’il a encore entre les mains. « Et tu vas m’expliquer à quel moment t’as foutu ton cerveau dans un mixeur parce que là j’capte pas ton délire. » Pourquoi saccager sa propre maison ? Si jamais il veut toucher une assurance, non, ça ne fonctionne pas comme ça.

@Cesar Gutiérrez

L’assiette dans les mains que je m’apprêtais à exploser sur le sol je me retrouve face à Rudy et non pas face à Sara. Je m’arrête net dans mon élan parce que je ne m’attendais pas à le voir là. Que Sara soit venue ou pas j’aurais quand même cassé cette assiette mais avec Rudy en face mon geste reste en suspend. « Putain j’te savais con mais alors pas à c’point. » Rudy a cette fâcheuse tendance de venir à l’improviste, toujours sans toquer, une vraie surprise à chaque fois. “Qu’est-ce que tu fous là ?” C’est la seule chose que je trouve à dire face à cette -mauvaise- surprise. Je crois que la surprise est partagée, je n’avais jamais vu Rudy aussi surpris. Il a l’air pris de court et son silence traduit le fait qu’il ne s’attendait pas à me voir comme ça un jour. Qui aurait pu imaginer que je pète un plomb à ce point là en même temps ? « Tu m’poses ça. » Je le défie du regard mais je sais qu’à ce jeu là je ne gagnerais pas. Il est plus fort, plus rapide que moi, il me l’a montré la dernière fois et je n’ai pas envie de me prendre à nouveau son poing dans la figure. Alors ça me fait chier de devoir lui obéir mais je sais que je ne fais pas le poids. Alors je balance l’assiette sur le plan de travail, elle ne se casse pas qui fait à nouveau du bruit. « Et tu vas m’expliquer à quel moment t’as foutu ton cerveau dans un mixeur parce que là j’capte pas ton délire. » Discuter avec lui c’est bien la dernière chose dont j’ai envie. J’ai envie qu’on me laisse tranquille, de rester tout seul et d’évacuer la colère comme je peux. Je n’ai envie de discuter avec personne mais encore moins avec Rudy qui va encore me traiter de petit con ou m’en mettre une, comme s’il était un exemple de sagesse et de bons comportements. “J’ai pas envie d’en parler. T’as qu’à appeler Sergio si tu veux savoir, il a plein de choses à raconter.” Je me demande quand est-ce que Sergio comptait nous annoncer qu’il allait encore avoir un enfant et je me demande ce que les autres en penseront. Je me doute que Rudy s’en fiche un peu puisque c’est Maddy est pas Maman qui est enceinte mais c’est une nouvelle qui me révolte alors je suis furieux, c’est la goutte qui fait déborder le vase. “J’ai juste envie qu’on me foute la paix pour aujourd’hui. Alors laisse moi tranquille s’il te plait.” J’essaie de ne pas trop hausser le ton mais je suis franchement à bout de nerfs et je n’arrive pas à calmer le jeu.

« Qu’est-ce que tu fous là ? » Il a bien envie de lui rappeler qu’il était chez lui bien avant que Cesar ne vienne au monde, chez les Gutiérrez. Mais cette nouvelle maison change la donne. Rudy n’a pas eu sa chambre et son enfance avant son frangin, il n’a pas le moindre souvenir ici et personne ne s’attend à ce qu’il vienne poser ses valises. Mais il a le droit de venir, malgré tout. Sa mère le lui a dit, tous les autres doivent l’accepter : il sera toujours le bienvenu, quoi qu'il arrive. Rudy essaie de comprendre ce qu’il se passe, ce qui a pu mettre son frère dans cet état. Cesar est colérique et s’emporte souvent pour pas grand-chose, c’est vrai. Mais il ne l’a jamais vu dans cet état-là, au point de tout casser sans penser aux conséquences. « J’ai pas envie d’en parler. T’as qu’à appeler Sergio si tu veux savoir, il a plein de choses à raconter. » Il fronce les sourcils en entendant le prénom de son père. Il sait que la situation entre les deux hommes est tendue : Cesar est l’un de ceux qui a le plus à reprocher à Sergio. Sa naissance a causé son départ définitif, c’est quelque chose qu’il ne pourra jamais oublier. Ni lui, ni aucun autre membre de cette fratrie. Les aînés ont accueilli un nouveau-né et ont perdu un père, simultanément. Et ce serait mentir que de dire que Rudy n’en a pas voulu à Cesar d’exister, à certains moments, quand il avait encore un peu d’amour pour son géniteur. « J’ai juste envie qu’on me foute la paix pour aujourd’hui. Alors laisse moi tranquille s’il te plaît. » Il secoue son visage de gauche à droite. « Bah non. » Il soupire et s’approche de lui, en levant les mains, pour lui montrer qu’il n’a pas l’intention d’être violent envers lui. « Sors d’la cuisine. » Déjà, pour commencer. C’est un vrai chantier ici, avec les assiettes cassées par terre, et Rudy n’a pas envie d’avoir une blessure à gérer en plus des états d’âmes de son petit frère. « Et tu vas m’explique c’qu’il se passe avec le vieux. » Parce que s’il a bien compris, toute cette colère est liée à leur père. « C’est à cause d’la maison ? J’suis d’accord que c’est déplacé, et bizarre. Et… Ouais. Mais faut l’prendre positivement pour maman. Et Maria, aussi, qui a beaucoup plus d’espace. » Il marque une légère pause, assez perturbé par ce qu’il vient de dire. Il se rend compte qu’il argumente pour une cause sans y avoir réfléchi avant. Et ainsi, il arrive à se convaincre lui-même que cette maison était peut-être une bonne idée, au final. « Ou il y a autre chose ? » Et si c’est le cas, Rudy n’est pas au courant. Il regarde derrière lui une seconde puis reporte son attention sur Cesar. « Dis-moi, et j’nettoie tout après s’tu veux. Mais dépêche, avant qu’maman rentre et se rende compte. » Il y a encore suffisamment d’assiettes intactes pour qu’elle ne le remarque pas. Enfin, à la condition qu’ils fassent la vaisselle et rerangent tout rapidement à chaque fois.

@Cesar Gutiérrez

Rudy est là, dans la cuisine et ça m’emmerde au plus au point. J’ai passé une journée plus que pourrie et j’avais envie d’être seul. Alors voir Rudy à la maison c’est la dernière chose que je souhaitais. C’est trop compliqué d’être tranquille dans cette maison. J’aimerais lui hurler de se barrer et de me foutre la paix, comme je le fais d’habitude avec Sara mais c’est impossible. Je sais que je suis en tort et que le rapport de forces entre nous est inégal. Si je lui réponds de manière trop agressive je ne suis pas à l’abri de me prendre une nouvelle claque et je n’ai pas envie qu’on recommence à se battre. Je rassemble le peu de sang froid qu’il me reste et je lui explique que j’ai envie d’être seul, en espérant que ça soit suffisant pour m’éviter une énième leçon de morale. « Bah non. » Je le vois soupirer et s’approcher de moi. A ce moment là je me dis que c’était sûr, je savais qu’il ne me laisserais pas tranquille. Il s’approche et j’ai un léger mouvement de recul. Il lève les bras en l’air pour me montrer qu’il n’a pas l’intention de me frapper -ouf-. « Sors d’la cuisine. » Je m’exécute, parce que je sais que je n’ai pas trop le choix. J’aurais pu envoyer Sara bouler et continuer à exploser toute la pile d’assiette que j’avais sorties mais avec Rudy je sais que je ne gagnerais pas à ce jeu là. Je sais que si je veux jouer au plus con, à la plus grande tête de mule avec lui je suis certain de perdre. Je repose l’assiette que je tenais un peu brusquement et je le suis. « Et tu vas m’explique c’qu’il se passe avec le vieux. » “D’accord.” Je n’ai pas envie de lui dire, parce que je sais très bien ce qu’il va me répondre. J’entends déjà sa future leçon de morale et je me retiens de soupirer en y pensant. « C’est à cause d’la maison ? J’suis d’accord que c’est déplacé, et bizarre. Et… Ouais. Mais faut l’prendre positivement pour maman. Et Maria, aussi, qui a beaucoup plus d’espace. » Je fuis son regard et j’écoute ce qu’il me dit en secouant légèrement la tête de gauche à droite. La maison c’est une bonne chose pour nous. J’ai beau détester Sergio de tout mon être, je ne peux pas être contre cette maison. Bien sûr que c’est déplacé, que c’est clairement une tentative pour acheter notre amour mais on avait besoin d’un endroit comme ça. Les petits et Maman méritent de vivre dans un endroit décent et d’avoir chacun leur chambre. « Ou il y a autre chose ? » “Non c’est pas ça.” Je le vois regarder derrière moi, j’ai fait pas mal de dégâts, ça prendra du temps de tout nettoyer mais je m’en fous un peu, on verra ça plus tard.« Dis-moi, et j’nettoie tout après s’tu veux. Mais dépêche, avant qu’maman rentre et se rende compte. » Il a raison, elle sera bientôt là et je suis pas sûr qu’elle apprécie de voir tout le bazar que j’ai mis. Je suis assez surpris qu’il propose de m’aider plutôt que de m’engueuler -ce qu’il pourrait faire au vu de la connerie que j’ai faite-. Je soupire un coup avant de me décider à lui raconter ce qui se passe. “La maison je trouve ça déplacé aussi mais je crache pas dessus, on est mieux ici.  Le problème c’est pas ça.” Je n’ai pas envie de lui dire parce que je sais qu’il ne comprendra pas ma réaction. “Je sais plus si je t’ai parlé de Maddy, c’est une très bonne amie à moi, je vais souvent chez elle pour peindre, on est assez proches.” Je fais une petite pause pour lui laisser le temps de se rappeler d’elle avant d’ajouter. “Et elle est enceinte, de Sergio.” Mon poing se serre en prononçant cette phrase qui me paraît surréaliste. C’est une situation à laquelle je ne m'étais pas du tout préparé et d’être pris au dépourvu comme ça et de l’apprendre par Sergio c’était trop à encaisser. “Mais tu te rends compte ? Il fait vraiment tout pour me pourrir la vie, il pouvait pas se taper avec quelqu’un d’autre plutôt ? Maddy mérite pas d’avoir un gamin avec un père comme lui.” Je recommence à m’emballer et je me rends vite compte qu’il faut que je me calme avant que ça commence à agacer Rudy. J’essaie de me reprendre pour lui faire un résumé de la situation. “Alors ça m’a rendu dingue de savoir ça, surtout qu’il me l’a annoncé en se foutant de ma gueule et en me provoquant. Et de rentrer ici ça m’a encore plus énervé, de voir qu’il essaie de nous acheter tout en nous pourrissant la vie par derrière.”

C’est sûrement la paternité nouvelle de Rudy qui l’empêche de sauter à la gorge de son frère pour les dégâts causés. A la place, il préfère agir en adulte et lui ordonner de quitter la cuisine. Il veut comprendre ce qu’il s’est passé dans la tête de Cesar pour s’emporter de la sorte avant de s’en prendre à lui. Peut-être qu’il a une bonne raison, qui sait ? « D’accord. » Il accepte et Rudy soupire de soulagement. Il craignait de devoir le forcer à sortir de là ; il n’aurait jamais réussi à obtenir des aveux de sa part s’il avait dû le faire. « Non c’est pas ça. » Le mexicain tente la piste de la maison. Lui-même trouve que ce cadeau est extrêmement déplacé et peut largement comprendre que les plus grands qui habitent encore ici peuvent s’emporter. C’est abusé d’essayer d’acheter leur amour ainsi parce que c’est trop facile. Evidemment qu’ils ne pouvaient pas refuser ce don. La maison est bien trop importante pour Maritza, s’y opposer ce serait briser le cœur de leur mère – autant que Sergio l’a fait il y a des années, finalement. En dehors de la cuisine, debout au milieu de rien, Cesar s’ouvre enfin à son grand frère. « La maison je trouve ça déplacé aussi mais je crache pas dessus, on est mieux ici. Le problème c’est pas ça. Je sais plus si je t’ai parlé de Maddy, c’est une très bonne amie à moi, je vais souvent chez elle pour peindre, on est assez proches. » Rudy cherche au fond de sa mémoire pour essayer de se rappeler d’une Maddy. Il ne l’a jamais rencontrée mais oui, il a déjà entendu parler d’elle une ou deux fois. Hé ben quoi ? « Elle est enceinte, de Sergio. » Les yeux du mexicain s’écarquillent. Il ne s’attendait pas à une telle confession. Leur père va avoir un huitième enfant. Est-ce vraiment le huitième, d’ailleurs ? Rudy se rend compte, à ce moment-là, qu’il ne sait vraiment rien de la vie de Sergio. « Mais tu te rends compte ? Il fait vraiment tout pour me pourrir la vie, il pouvait pas se taper quelqu’un d’autre plutôt ? Maddy mérite pas d’avoir un gamin avec un père comme lui. » Rudy est d’accord avec ça. Si leur père n’a pas su les assumer et les accepter il y a trente ans, pourquoi réussirait-il à le faire aujourd’hui ? Il essaie de se rattraper depuis plusieurs mois, certes, mais est-ce qu’il assumera de remettre le nez dans les couches et les biberons ? « Alors ça m’a rendu dingue de savoir ça, surtout qu’il me l’a annoncé en se foutant de ma gueule et en me provoquant. Et de rentrer ici ça m’a encore plus énervé, de voir qu’il essaie de nous acheter tout en nous pourrissant la vie par derrière. » Rudy se rend compte qu’il n’a pas prononcé un seul mot depuis l’annonce. Il regarde son frère mais ne sait pas tellement ce qu’il est supposé dire. « Bah… Au moins il a pas remis maman enceinte. » Et c’est le plus important aux yeux du mexicain. Leur mère ne peut plus porter la vie depuis quelques années maintenant, mais il préfère le souligner. La vie de Sergio ne le concerne pas tellement. Il essaie de se mettre à la place de Cesar et d’imaginer comment il aurait réagi s’il avait mis une de ses amies enceinte, mais il ne sait vraiment pas ce qu’il aurait dit. « J’pense pas qu’il se soit tapé ta pote pour t’faire chier. » Rudy ignore encore que leur père est prêt à faire ces choses-là, si. Il l’a bien fait avec Lena – heureusement, il l’ignore encore. « Et j’pense qu’elle est maîtresse de ses décisions. » Si elle veut garder cet enfant avec un homme qui en a abandonné sept autres, en connaissance de cause, grand bien lui fasse. Qu’elle ne vienne pas pleurer chez les autres Gutiérrez le jour où il décidera de l’abandonner, elle aussi. « J’comprends ta colère. » Il dit, quand même, pour rassurer son frère. « Mais tu peux pas y faire grand-chose, quoi. Elle a quel âge ? » Sachant que leur père a cinquante ans, il espère que Maddy n’a pas l’âge de Cesar. Ce serait quand même vachement déplacé de sa part de s’attaquer à une nana à peine sortie de l’adolescence. Il soupire en se déplaçant dans la pièce pour attraper un balai, prêt à nettoyer les conneries de son frangin. « J’veux pas l’défendre parce qu’il reste l’type qui nous a tous abandonnés, mais j’pense pas qu’il ait fait un enfant à une nana juste pour t’emmerder, vraiment. Et… Enfin, j’ai eu un gosse accidentellement aussi donc j’peux vraiment pas lui jeter la pierre. » Il aurait aimé le critiquer fortement mais lui aussi a eu un dérapage, lui aussi a mis une femme enceinte, lui aussi n’a pas eu son mot à dire sur cette grossesse. Peut-être que ce n’était qu’un accident et qu’ils ne pensaient pas que ça ferait germer la vie. Peut-être que ça finira par devenir une bonne nouvelle. Rudy a beau être colérique et impulsif, là, il ne peut s’empêcher de raisonner correctement. Pointer du doigt son père serait se critiquer lui-même, critiquer tout ce qui fait de lui l’homme qu’il est actuellement. Jaime n’est pas un regret et ce gosse, peu importe comment et pourquoi il a été conçu, fera la fierté d’une femme – et peut-être d’une fratrie entière, s’ils décident de le reconnaître comme demi-frère ou demi-sœur.

@Cesar Gutiérrez

J’essaie de trouver les mots pour expliquer à Rudy qu’elle mouche m’a piqué pour vouloir fracasser toute la vaisselle de la maison. Ce n’est pas évident, la blessure est encore fraiche mais j’essaie de lui parler calmement. Je n’ai pas envie qu’il se mette à me gueuler dessus parce que j’ai pris un ton trop agressif et puis pour une fois il n’y est pour rien. Je suis d’ailleurs assez surpris de voir qu’il réagit aussi calmement en voyant l’état de la cuisine, la paternité ça change un homme on dirait. Je lui explique que Sergio a mis Maddy enceinte et que c’est insupportable pour moi. « Bah… Au moins il a pas remis maman enceinte. » Il n’a pas tort. L’histoire ne se répète pas pour une fois. S’il avait mis maman enceinte Rudy n’aurait jamais réagi aussi calmement et je ne préfère pas imaginer ce qu’il aurait pu dire ou faire à Sergio. “Pour une fois.” Même si ce n’est pas maman qui est enceinte je ne décolère pas, j’ai l’impression qu’il prend un malin plaisir à me faire du mal et à me pousser à bout. « J’pense pas qu’il se soit tapé ta pote pour t’faire chier. » Je ne dis rien mais je fais une moue qui veut dire “mouais”, je ne suis pas franchement convaincu. En fait je n’en sais rien. C’est un connard, ça c’est certain mais je ne sais pas à quel point et ce dont il est capable. Mais de la part d’un homme qui a eu sept enfants qu’il a abandonnés je pense qu’on peut s’attendre à tout. « Et j’pense qu’elle est maîtresse de ses décisions. » Peut-être mais je ne la comprends pas. Elle m’a répété pendant des mois à quel point elle le détestait et j’ai bien vu les sales coups qu’il lui faisait. Je n’ai pas oublié cette histoire de contrat et de clause de confidentialité où Maddy était si en colère. Donc elle est peut-être maîtresse de ses décisions mais il n’y a aucune putain de logique dans tout ça. « J’comprends ta colère. » C’est aussi quelque chose qui me surprend parce que Rudy et moi on ne se comprend jamais. J’ai l’impression qu’il passe tout son temps à critiquer mes choix et à me regarder comme une déception ambulante. En le voyant débarquer dans l’encadrement de la porte de la cuisine je m’attendais à des cris, une leçon de morale et quelques noms d’oiseaux. Voir Rudy calme et compréhensif c’est une première. « Mais tu peux pas y faire grand-chose, quoi. Elle a quel âge ? » J’ai oublié de préciser l’identité de Maddy, elle n’a pas mon âge et heureusement.  “Plus de trente balais, 35 ou un truc du genre.” Je me rends compte que je ne la connais pas si bien que ça finalement mais l’âge n’a jamais été important pour nous. Elle ne m’a jamais regardé ou traité comme un gamin et de mon côté je ne lui ai jamais demandé son âge. C’est le genre de trucs qui vexe les femmes et en plus je m’en fiche pas mal qu’elle ait 20, 25, 30 ou 35 ans, j’aime passer du temps avec elle et puis c’est tout. Je me suis toujours mieux entendu avec les personnes plus âgées que moi, plus intéressantes et stimulantes que les personnes de mon âge sans ambition ou avec pour seul but de sortir pour se mettre minable. “J’veux pas l’défendre parce qu’il reste l’type qui nous a tous abandonnés, mais j’pense pas qu’il ait fait un enfant à une nana juste pour t’emmerder, vraiment. Et… Enfin, j’ai eu un gosse accidentellement aussi donc j’peux vraiment pas lui jeter la pierre. » J’aimerais le croire mais je ne suis pas convaincu par tout ça. Et je suis surtout trop en colère pour réfléchir correctement à toute cette histoire. Rudy a peut-être eu un gamin par accident mais ce n’est pas pareil. “Toi c’est pas pareil” Il ne nous a jamais réellement parlé de la mère de Jaime, on ne la jamais vue et je sens que ce n’est pas près d’arriver. Mais je connais mon frère et je sais qu’il n’abandonnera jamais cet enfant et qu’il assumera ses actes, pour Sergio j’ai de sérieux doutes. “En fait c’est juste que je comprends pas comment ça a pu arriver.” Elle le déteste alors pourquoi ? Est-ce que c’est à cause de l’alcool ou d’une connerie dans le genre ? J’en sais rien mais j’aimerais comprendre. Je vois à la tête de Rudy que je n’ai pas été très clair. “Non mais pas dans ce sens là” Je n’ai pas besoin d’un cours de biologie je sais très bien comment les enfants sont conçus. “Je veux surtout pas d’image en tête” Je fais une moue dégoûtée, les imaginer tous les deux c’est à vomir. “Mais elle m’a toujours répété à quel point c’était un con en tant qu’agent et elle voulait le virer alors bon c’est ça que je comprends pas.” J’ai essayé de m’interposer pour le contrat que Sergio essayait de lui faire signer et j’ai bien vu à quel point ça affectait Maddy. “Et vu ce qu’il nous a fait et aussi tous les coups qu’il lui a fait pour sa carrière je me dis qu’elle méritait quelqu’un de bien comme père pour son gamin. Donc ça m’a fait péter les plombs tout ça.” Un homme bien et pas un agent pourri jusqu’à l’os et un père en carton. Il a intérêt à être présent pour cet enfant sinon je pense que je ne pourrais pas retenir un nouveau coup de sang. Qu’ils aient fait une erreur ça peut arriver -même si je ne la comprends toujours pas- mais il  faut assumer les conséquences de ses actes comme Rudy le fait. Je le vois attraper le balai pour essayer de nettoyer tout le bazar que j’ai mis dans la cuisine. “Non mais laisse le balai je vais le faire, c’est ma connerie.” La colère laisse place à l’incompréhension et c’est bien à moi de réparer mes conneries, pas à Rudy de ramasser à ma place. "Merci."

« Pour une fois. » Rudy a dit ça mais a bien conscience que leur mère ne peut plus porter la vie. Il évite de le dire à son frère, qui est toujours coincé entre colère et incompréhension. L’aîné essaie de lui faire comprendre que Sergio n’a sûrement pas couché avec cette fille pour l’emmerder, que c’est parti d’ailleurs. Leur père a le don de se mettre sur leurs routes constamment, en ce moment, mais ça ne veut pas dire que tous ses coups sont calculés à l’avance. Il ose l’espérer, du moins. Ce serait vachement tordu d’aller engrosser une nana juste pour faire chier son fils, même venant de lui. Il lui demande l’âge quel a, pour savoir à quel point Sergio dépasse les bornes. « Plus de trente balais, 35 ou un truc du genre. » Il prend l’information mais ne dit rien à ce sujet. Il se dit que ça passe. Erika a quarante ans, est-ce qu’il l’a dit à ses frangins, ça ? Et en parlant de la mère de Jaime, il finit par dire à son frère qu’il ne peut pas se permettre de le juger. Que lui aussi, il a eu un enfant accidentellement. « Toi c’est pas pareil. » Effectivement, c’est même pire. Il a eu un enfant avec la femme qu’il a tenté d’arnaquer. Cette femme a appris sa grossesse et n’a pas hésité à l’envoyer derrière les barreaux. Elle l’a fait libérer pour qu’il puisse être présent pour son fils. Est-ce mieux ? Sûrement pas. « En fait c’est juste que je comprends pas comment ça a pu arriver. » La tête de Rudy semble parler pour lui. « Non mais pas dans ce sens là. Je veux surtout pas d’image en tête. Mais elle m’a toujours répété à quel point c’était un con en tant qu’agent et elle voulait le virer alors bon c’est ça que je comprends pas. » Rudy n’a aucune idée du genre d’agent qu’est son père. Il ne s’est jamais intéressé à sa carrière et, il le pense, ne le fera jamais. « Et vu ce qu’il nous a fait et aussi tous les coups qu’il a fait pour sa carrière je me dis qu’elle méritait quelqu’un de bien comme père pour son gamin. Donc ça m’a fait péter les plombs tout ça. » Rudy attrape le balai, pensant commencer à nettoyer les conneries de son frère. Il essaie de trouver une bonne réponse à apporter à tout ça mais ne peut s’empêcher de comparer les situations. « Non mais laisse le balai je vais le faire, c’est ma connerie. Merci. » Il lui tend le balai avant de soupirer longuement. « La mère de Jaime, elle a quarante piges. » Il commence par ça. Il ne compte absolument pas tout lui dévoiler, lui dire qu’il a tenté de l’arnaquer, lui dire qu’il a trompé Lena avec elle, lui dire qu’il a cru tomber amoureux avant de finalement la piéger. Juste ce qu’il doit entendre, ce qu’il peut entendre. « Et elle méritait mieux comme père de son gamin, aussi. J’vais pas entrer dans les détails. Juste que… Elle était en couple, quand j’l’ai connue. » Lui aussi, mais passons. « Son mec l’a quitté quand il a compris qu’le bébé était pas de lui. Et c’est elle qui m’a envoyé en prison, accessoirement. » Il n’en dira pas plus. « Tout ça pour dire que même quand tu détestes quelqu’un, tu peux t’retrouver bloqué dix-huit ans de ta vie avec à prendre des décisions. J’la hais, j’suis là pour Jaime. Et ça m’plairait de changer d’avis sur elle, vraiment. » De réussir à l’apprécier – même l’aimer – de nouveau. « Donc si ta pote te dit qu’il est pas si con ben, écoute-la. C’est elle qui va être obligé d’faire avec, pas toi. Essaie pas d’comprendre, juste accepte. Moi-même j’pige toujours pas pourquoi j’ai un fils. » Et pourtant, il est là.

J’explique à Rudy le cas de la grossesse de Maddy. J’essaie de respirer un grand coup pour lui expliquer calmement ce qui me tape sur les nerfs dans cette histoire. Rudy est là, calme et il m’écoute sans m’interrompre. Une fois que j’ai fini de vider mon sac je me tourne vers lui. Je vois qu’il cherche ses mots, la faute à la nouvelle de la future paternité de Sergio qui était pour le moins inattendue. Il commence par me dire que le point positif -si on doit en trouver un- c’est que ce n’est pas maman qui est enceinte cette fois. Il n’a pas tort mais ça n’apaise pas vraiment pas colère. Il me demande quel âge a Maddy, je réfléchis avant de lui donner une réponse plus qu’approximative. « La mère de Jaime, elle a quarante piges. » “Oh.” C’est tout ce que je trouve à dire et je me rends compte que c’est la première fois que Rudy me parle de la mère de Jaime. Je n’ai jamais posé de questions parce que je commence à le connaître. Il a toujours été très secret et il est du genre à se braquer et se fermer comme une huitre quand on lui pose des questions. Avec Rudy il faut le laisser parler, s’il a envie de se confier il le fera, dans le cas contraire c’est une vraie tête de mule donc autant ne pas se fatiguer. « Et elle méritait mieux comme père de son gamin, aussi. J’vais pas entrer dans les détails. Juste que… Elle était en couple, quand j’l’ai connue. » Je suis touché qu’il me parle d’elle, c’est une marque de confiance. Mais là vu ce qu’il me raconte je pense que j’aurais préféré ne pas savoir. “Ah.” J’attends la suite de l’histoire qui m’a l’air assez compliquée. « Son mec l’a quitté quand il a compris qu’le bébé était pas de lui. Et c’est elle qui m’a envoyé en prison, accessoirement. » “Oh merde.” Ca fait beaucoup d’informations d’un coup et plus Rudy me raconte ce qu’il s’est passé et plus je me dis qu’il s’est vraiment embarqué dans une situation compliquée. Je préfère ne pas demander ce qu’il a bien pu lui faire pour qu’elle l’envoie en prison, je pense qu’il vaut mieux que je ne sache pas. En tout cas j’ai l’impression qu’il a brisé une famille et je ne sais pas trop quoi lui répondre. « Tout ça pour dire que même quand tu détestes quelqu’un, tu peux t’retrouver bloqué dix-huit ans de ta vie avec à prendre des décisions. J’la hais, j’suis là pour Jaime. Et ça m’plairait de changer d’avis sur elle, vraiment. » Je l’écoute tout en commençant à balayer. Le point positif dans tout ça c’est qu’il est là pour son fils, même s’il regrette l’histoire avec la mère de Jaime. Mais je n’ai jamais douté de ça. Rudy a beau avoir un caractère de merde et une tendance à faire les mauvais choix il a toujours été là pour nous, il ne ressemble en rien à notre père sur ce point là. « Donc si ta pote te dit qu’il est pas si con ben, écoute-la. C’est elle qui va être obligé d’faire avec, pas toi. Essaie pas d’comprendre, juste accepte. Moi-même j’pige toujours pas pourquoi j’ai un fils. » Je hoche la tête, c’est la vie de Maddy, pas la mienne. J’ai pris toute cette histoire trop à coeur mais quand quelque chose tourne autour de Sergio j’ai tendance à agir sur un coup de tête et je laisse ma colère me submerger. “Je crois que t’as raison. Mais j’ai du mal à l’accepter, il me faut du temps je crois.” Je dois arrêter de me mêler de leurs affaires mais c’est plus fort que moi, je tiens trop à elle pour laisser Sergio bousiller sa vie. J’essaie de balayer mais il y a beaucoup à ramasser, avant que Rudy ne m’arrête j’ai cassé au moins cinq ou six assiettes. Il y a des morceaux partout et plus j’essaie de les ramasser et plus je me sens con d’avoir autant perdu mon sang froid. “Je suis désolé pour le bordel que j’ai foutu, j’ai déconné.” Il faut que j’apprenne à gérer ma colère, c’est la deuxième fois cette semaine que je laisse la violence prendre le dessus. D’abord le nez de Léo, ensuite Sergio et maintenant la vaisselle de la maison. “Merci de m’avoir écouté.” Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu une conversation comme celle-là avec Rudy. Ca me fait du bien de retrouver mon grand frère et de pouvoir compter sur lui quand je me sens au fond du trou. La paternité change un homme et je suis fier du nouveau Rudy. "Et pour Jaime si t'as besoin d'un coup de main ou si t'as envie d'en parler je suis là."

Rudy n’est pas un très bon conseiller. Il a l’habitude de comparer les situations qu’on lui raconte en les comparant avec sa vie. Comme là. Il ne connaît pas Maddy et ne sait pas ce qu’elle ressent vis-à-vis de Sergio, il sait simplement que ce n’est pas aussi facile que Cesar le pense. Un accident est vite arrivé et, même quand on déteste quelqu’un au plus haut point, il est difficile de se résoudre à avorter ou, pire, à abandonner son enfant une fois celui-ci venu au monde. Sergio n’a jamais été un bon père et ne le sera jamais, d’après Rudy, mais Cesar doit accepter l’idée et laisser son amie devenir mère. Peut-être qu’il réagira différemment, cette fois-ci, et qu’il sera vraiment présent pour son huitième enfant. Et si ce n’est pas le cas, Maddy pourra compter sur un tonton génial pour son gamin : Cesar. C’est ce qu’il doit se dire, c’est ce que Rudy ne sait pas exprimer. Alors il lui parle d’Erika, pour une fois, sans donner trop de détails. Il lui explique juste ses ressentiments envers elle, le fait que ça a toujours été compliqué. Et même s’ils ne s’adressent jamais la parole autrement que pour Jaime, même s’ils pourraient s’entretuer à trop rester dans la même pièce, ils font l’effort demandé pour leur enfant. Maddy fera de même avec Sergio et qui sait, peut-être qu’ils finiront par réellement s’entendre. « Je crois que t’as raison. Mais j’ai du mal à l’accepter, il me faut du temps je crois. » « T’as neuf mois. » Cesar commence à passer le balai. C’est une scène étrange parce qu’on dirait qu’il ne nettoie rien, là. « Je suis désolé pour le bordel que j’ai foutu, j’ai déconné. » Rudy hausse ses épaules. « J’ai déjà fait pire. » Il a été énervé, lui aussi, chez eux. Il se rappelle d’un poing dans le mur qui a laissé une belle trace, par exemple. « M’enfin c’est pas à moi qu’il faudra t’excuser. C’était pas mes assiettes. » Leur mère rentrera bientôt, il se débrouillera avec elle. « Merci de m’avoir écouté. Et pour Jaime si t’as besoin d’un coup de main ou si t’as envie d’en parler je suis là. » Rudy hoche son visage de haut en bas. « Ouais, merci. » Mais il n’a pas l’intention de s’ouvrir plus que ça. Moins il en sait et mieux il se porte. « Bon à la base j’venais parce que j’dois préparer le repas de ce soir. » Autant expliquer la raison de sa venue ici. Il s’approche du réfrigérateur pour regarder ce qu’il y a à l’intérieur. « Et j’pense qu’il me manque quelques trucs pour faire c’que je veux donc j’vais filer aux courses. J’te laisse nettoyer, du coup. » Puisqu’il est bien parti pour et que, finalement, Rudy n’a pas tellement envie de l’aider davantage. Il referme le frigo, se tourne vers son frère, cherche ses mots. « Le coléreux et relou d’la famille c’est moi, pas toi. Essaie d’te contrôler. » Il préfère garder tous les torts que les partager avec son petit frère. Ils ont beau se battre sans arrêt, Rudy ne veut pas le voir tracer la même route que lui. Qu’il se remette sur le droit chemin, qu’il apprenne à se calmer. Ça lui fera que du bien, c’est sûr. Et sur ces mots, le mexicain revient de là où il vient : l’extérieur, pour aller faire deux-trois courses.