C’est aussi vite que possible que la jeune femme s’est rendue au refuge, plus qu’étonnée de recevoir les premiers messages de son amie - et de recevoir des messages de sa part tout court, sûrement, voilà l’immense sous entendu qu’elle préfère garder pour elle et ainsi éviter toute polémique. Les adorables bouilles des chiots ont eues raison d’elle à la seconde où ses yeux se sont posés sur les photos, et nul doute qu’elle n’a pas du résister à l’invitation de les retrouver en chair et en os. Le seul danger dans tout ceci, c’est qu’elle en ramène un jusque chez elle alors que l’appartement est sans doute déjà bien plus animé que de raison. Comprendre: il y a trop d’animaux et ce n’est pas raisonnable le moins du monde. Peu importe. Au loin, elle rend déjà son salut à son amie rousse, le sourire aux lèvres. « Avant que tu dises quoi que ce soit, je tiens à préciser que j'ai longtemps hésité avec un tigre, mais je me suis dit qu'un chien c'était plus simple à promener. » Ce à quoi elle rigole (et veut bien croire) volontiers sans plus s’attarder sur ces simples paroles. “Il sera toujours temps de lui peindre des rayures noires.” qu’elle ironise pourtant, pensant déjà à en utiliser des naturelles parce qu’elle n’est pas un monstre et qu’elle a un minimum de conscience animale et écologique, oui. Des rayures étant de toute façon le maximum qu’elle puisse faire pour le faire ressembler à un tigre, autant dire que Charlie y mettra toute son énergie: il serait bien moins aisé d’apprendre au chiot à feuler.

Nerveuse, Caitriona déblatère bien plus de mots à la seconde qu’il en faudrait pour rester raisonnable, laissant son amie étrangement muette face à une telle attitude inattendue. Attendrie par l’histoire, elle ne peut aujourd’hui que se dire qu’elle aurait effectivement agit comme sa mère à l’époque. Parce qu’aujourd’hui, c’est Charlie qui a des enfants, autant qu’elle a largement passé l’âge de pouvoir s’autoriser ce genre de comportement. “Vous avez été heureux de passer du temps avec lui et ses propriétaires de le retrouver, alors c’est donnant donnant. Et le chiot était en sécurité grâce à vous.” Ils étaient tristes pendant un temps, mais ils ne savaient peut-être pas qu’à l’époque ils ont peut-être empêché une tragédie de se produire et le petit animal de possiblement passer sous les roues d’une voiture, ou Dieu sait quoi encore. C’est avec un sourire aussi fier qu’amusé que Charlie l’observe désormais, entendant pour la première fois une telle histoire. « Tout ça pour dire que depuis ce jour là, je me suis toujours dit que tôt ou tard j'aurais un chien. C'est peut-être le moment. » - “Qu’est-ce qui te fait sauter le pas aujourd’hui ?” Curieuse, elle l’interroge donc un peu plus avant qu’elles n’arrivent devant les enclos des animaux et que Caitriona ne puisse plus répondre de rien. “Tu t’es décidée sur lequel adopter, au fait ?” Parce que si Charlie avait ironisé en message sur le fait d’adopter les trois, elle espère pourtant que son amie sait que ce n’était qu’une simple blague et que ça n’aurait rien d’une bonne idée que de s’aventurer dans une telle épopée.

Curieuse, et sans raison particulière, Charlie en vient à lui demander la raison pour laquelle elle souhaite adopter un chiot maintenant. Cela sous entend ‘pourquoi ne l’as-tu pas fait avant’ autant que ‘pourquoi n’attends-tu pas encore’. Il n’y a aucun jugement dans ses mots et elle n’a pas du tout de pensées en cette direction, ce n’est qu’une question purement anodine qu’elle lui partage avec un regard en sa direction. « Je sais pas trop, pour être honnête. Y a cette vieille histoire que je t'ai raconté, le fait que je pense à déménager depuis un moment maintenant... Et puis je serais pas contre l'idée d'avoir un partenaire de jogging. » Caitriona a haussé les épaules, Charlie ne peut que sourire un peu plus encore. Ce sont des raisons louables et réfléchies, malgré l’air juvénile qu’elle leur donne. Bien au délà d’un partenaire de jogging, Cait cherche surtout quelqu’un avec qui partager son quotidien, un ami fidèle sur lequel elle pourra toujours compter - et ça, son acolyte blonde ne peut que le comprendre et compatir en ce sens. Elles sont faites du même bois, quand bien même Charlie n’a jamais adopté le moindre animal peuplant son appartement. “Tu voudrais déménager où ?” Leur maison près de la plage lui manque terriblement, parfois, mais pour rien au monde la mère de famille ne voudrait délaisser son luxueux loft dans un quartier sécurisé, où ses enfants pourront grandir sans jamais se soucier de rien. « Et puis, c'est fidèle, un chien. » Bien plus que n’importe lequel des petits-amis ou des amis de pacotilles ; Charlie peut bien le reconnaître sans le moindre mal. « Pourquoi tu as des chiens, toi? » Elle esquisse un rire froid en guise de première réponse. “Le chien était un cadeau pour mon petit-ami de l’époque. Il est parti, j’ai gardé le chien.” Et des deux, elle ne regrette pas avoir gardé l’animal à quatre pattes au lieu du bipède. Elle n’a jamais eu besoin de beaucoup de recul pour s’en rendre compte. Sans plus s’étendre sur le sujet, elle hausse les épaules, certaine que Caitriona n’a pas envie d’entendre la version longue de l’histoire. Ce n’est pas comme si elle voulait la raconter non plus, de toute façon.

« Je craque complètement sur celui de droite, le plus foncé. Apparemment c'est une petite femelle. Mais j'attends surtout de voir en fonction des caractères, pour être honnête. » Sur ça, elle ne peut que tomber d’accord. Caitriona fera son choix quand elle aura les animaux face à elle, elle n’est pas obligée d’arriver au refuge avec une idée préconçue de chaque chose, c’est bien normal. Alors que son amie ne semble plus pouvoir tenir en place au fur et à mesure qu’elles se rapprochent des enclos des chiens, la blonde l’observe d’un œil attendri, ayant parfois l’impression que le temps n’a pas eu de conséquences pour son amie tant elle semble être restée aussi insouciante de chaque choses. Tant mieux, sans doute. Charlie l’envie sans doute pour cela alors qu’elle reste encore en retrait, se content de s’émouvoir d’un sourire à la vue des animaux en tout genre peuplant les différents enclos de l’immense refuge. A vrai dire, leur vue lui brise sûrement bien plus le cœur qu’autre chose, et elle regrette de ne pas pouvoir en ramener au moins un chez elle pour lui donner une vie heureuse. « Oh, regarde Charlie, ils sont là! » Annonce-t-elle finalement en hurlant, plusieurs mètres devant la blonde qui s’est contentée de presser le pas sans courir pour autant. Caitriona, elle, est déjà accrochée aux grillages de l’établissement, ce que son amie finit irrémédiablement par faire, passant ses doigts au travers pour caresser un instant les chiots agités et simplement heureux de voir de nouvelles têtes. Cette insouciance lui manque. “T’as raison, j’aurais aussi craqué sur la femelle.” Elle aurait craqué sur n’importe lequel d’entre eux, elle doit bien l’avouer, et l’immense sourire qu’elle n’arrive plus à retirer de son visage n’en est qu’une preuve supplémentaire. “On devrait demander à entrer dans l’enclos, pour que tu te fasses une idée de leur caractère.” Une adoption n’est pas à prendre à la légère, alors Charlie reprend presque aussitôt un sérieux nouveau, généralement peu associé à sa personne. “Mais ne me laisse surtout pas te conseiller sur lequel adopter, parce que non seulement je te dirai de prendre les trois mais aussi l’autruche devant laquelle on est passées.” Elle finit donc dans un rire, prenant bien malgré elle ses distances avec les chiots pour aller trouver un bénévole et demander l’accès à l’enclos, sûrement fermé à clé.

« Pourquoi, tu cherches à nouveau une colocataire ? » Elle pourrait, techniquement. Ce serait mentir que de dire que l’idée ne lui est pas brièvement passée par la tête mais Charlie s’est tout aussi vite raisonnée: ce n’est plus pour elle, les colocations. “Je pense pas que deux bébés, deux chats, un chien et un rythme de vie un peu compliqué donne envie à qui que ce soit.” La blonde reprend dans un rire sincère, lequel ne cache aucune ironie. La vie en colocation ne lui donne pas envie à elle non plus, de toute façon, elle a bien trop pris goût à la liberté totale. Qui plus est, elle ne veut pas avoir à expliquer au premier venu les raisons du pourquoi son appartement est à la fois une crèche, un refuge et sans doute un hôtel de peu de vertu, le tout alors qu’elle porte l’enseigne de la police. Sans façon, merci. Sa question était purement émise par curiosité, et elle n’a pas besoin de l’expliquer davantage pour que Caitriona le comprenne d’elle-même. « J'ai vu quelque chose sur Toowong, mais il faut que je regarde si c'est dans mes moyens. » Ce à quoi Charlie ne peut qu’hocher la tête, compréhensive. Toowong est un quartier qui plairait à son amie, elle en est persuadée.

Mais pour l’heure les considérations sont ailleurs, elles se retrouvent plutôt dans le refuge qu’elles visitent et les frimousses qu’elles ont toutes deux hâte de rencontrer, même si seule Caitriona décidera de repartir avec l’une d’entre elles. Devant l’enclos, Cait est la première à s’émerveiller de l’apparition des chiots alors que pour Charlie, le sourire en lui-même parle à sa place: elle est heureuse d’être là. Elle est de mauvais conseils car très peu raisonnable mais peut au moins être une amie digne de ce nom dans un tel instant, conseillant à la rousse de demander à entrer dans l’enclos pour se faire une idée du caractère des chiots (et pour pouvoir les caresser aussi, oui, certes). Suivant de loin l’échange entre son amie et Zoey, elle ne peut que prendre note des recommandations, ne voulant pas commettre d’impair dans un tel instant et risquer de faire échouer l’adoption de son amie. Elle mérite d’avoir un chien à elle pour la rendre heureuse, et vice versa. De toute façon, Caitriona est bien trop excitée à l’idée de cette journée pour faire durer davantage leur échange, et la voilà déjà qui se retrouve assise au milieu de l’enclos à tenter d’attraper les chiots surexcités avec ses bras grands ouverts. La scène laisse rire Charlie, un peu plus sur la retenue en cet instant. « Oh merde, je suis foutue. » Derrière elle, l’inspectrice laisse échapper un rire franc, ne venant s’accroupir auprès d’elle qu’après que Cait ait relâché le chiot incapable de tenir en place une seule seconde. “Tu feras une bonne maîtresse.” Elle avoue à voix basse, suivant du regard la joyeuse bande qui court d’un bout à l’autre de l’enclos. “Même si je crois que tu risques de vouloir le tuer au début.” Un autre rire s’ajoute à la conversation: Caitriona aura de quoi faire avec une boule d’énergie telle que celle qu’elle prévoit d’adopter, c’est certain. Elle ne s’ennuiera pas. “Moi ma seule question maintenant, c’est de savoir si on rentre avec ou si tu fais semblant de te donner quelques jours de réflexion en plus ?” Ce n’est pas à Charlie qu’elle pourrait cacher son excitation: elle la connaît bien trop pour ça. Et puis, pour une fois, il n’y a pas la moindre ombre au tableau tant Cait a tout pour s’occuper d’un animal et faire en sorte qu’il ne manque jamais de rien, surtout pas d’amour ni d’attention.

« Si seulement. Mais elle est encore jeune, on m'a dit avril pour l'adoption. Avant, ce serait trop tôt. » Charlie affiche un sourire en demi-teinte, sans quelque peu désolée pour son amie, laquelle la rassure pourtant bien rapidement. « Mais je peux remplir les papiers de pré-adoption, quand même. » En voilà une idée qui lui plait bien davantage, surtout alors qu’elles sont encore occupées à observer les grands yeux brillants des chiots, amusés d’un rien, éternellement vifs. Si seulement c’était raisonnable, Charlie aussi aurait craqué et adopté une de ces boules de poils. Pour l’heure, elle laisse cette joie à Cait, laquelle rendra heureux son futur compagnon à quatre pattes. « J'espère que tu viendras avec moi le jour J. » Ses yeux quittent enfin les chiots pour retrouver ceux de son amie. “Bien sûr.” Elle utiliserait la moindre excuse pour l’accompagner au refuge et, qui plus est, le jour J est synonyme d’une extrême importance. Elle ne voudrait rater cette occasion pour rien au monde, surtout alors qu’elle en profitera sans aucun doute pour retourner caresser tous les autres animaux du refuge.

En attendant pourtant, elle reste en retrait de tout l’administratif et laisse bien volontiers Caitriona se débrouiller au milieu de tout ça, sa propre tête posée contre la vitre pour observer les animaux jouer dans leurs cages. Elle fait une bonne action, elle a toujours eu bon coeur. Ce n’est qu’après un - trop - long moment que sa main se voit débarrassée du stylo et que Charlie peut de nouveau occuper toute son attention, occupée à lui proposer tous les pires noms possibles et inimaginables pour son futur compagnon alors qu’elles prennent le chemin du retour. “Attention, ils roulent comme des fous dans le coin.” Elle annonce et reprend soudain avec gravité, ses doigts s’étant enroulés autour du bras de Caitriona pour la ramener un peu plus loin sur le trottoir alors qu’une voiture passe à folle allure tout près d’elle. C’est son instinct de mère autant que son badge de policière qui vient de prendre le dessus, sans doute, et elle se reprend bien assez vite pour retirer ses doigts et ne pas marquer davantage sa chaire. Sans aucun commentaire supplémentaire, elle change tout aussi rapidement de sujet, pointant du doigt le refuge de l’autre côté de la ville. “Oh regarde Cait, il regarde sa maman s’en aller. Je suis sûr qu’il a déjà tout compris.” Mais elle revient vite, c’est promis que Charlie voudrait lui dire pour le rassurer, imaginant déjà les immenses yeux tristes de l’animal. C'était sans compter, bien sûr, sur la voiture arrivant tout aussi vite si ce n'est même plus encore que la première ; celle-ci, Charlie ne l'a pas vue aussi rapidement.

C’est ironique, finalement, que ses derniers mots aient été un avertissement envers Cait’, une demande inquiète de faire attention à elle sur une route où aucun automobiliste ne pense croiser un humain. Un humain, ou n’importe quel être humain, par ailleurs. N’importe quel animal y serait aussi passé, sous ces roues, sauf que cela n’aurait pas laissé Charlie autant traumatisée. Charlie qui, même dans un instant pareil, même après l’horrible bruit d’impact, ne peut finalement que penser à elle, à ce traumatisme, à l’image qui lui revient déjà en boucle du corps de son amie percutant la carrosserie. Elle le voit quand elle ferme les yeux autant que lorsqu’elle les a ouverts, comme en cet instant où le spectacle n’est que pire, son corps allongé sur le bitume, juste après avoir rebondi contre la voiture lancée à toute allure dont un freinage de dernière minute n’a su éviter le pire. Et elle a continué, la voiture, alors que Cait peinait même à respirer, en témoigne son torse qui se relevait difficilement et ses grands yeux ouverts en état de choc.

Charlie garde un instant la main contre sa bouche, étouffant un cri de toute façon muet tant elle ne trouve pas même le courage ni la force de crier à pleins poumons. Elle a besoin d’une seule seconde supplémentaire avant d’appeler les urgences, expliquant tant bien que mal la situation et surtout l’état dans lequel se trouve son amie, sa seule certitude et assurance étant qu’elle continue encore de respirer. C’est tout ce qui compte. C’est absolument tout ce qui importe. "J'ai du mal à respirer." - “On s’occupe de toi. Tout va bien. Tout va bien, Cait.” Les médecins lui demandent de faire un pas en arrière, de les laisser travailler, de la laisser respirer. Et elle comprend. Bien malgré elle, elle comprend, se contentant alors de se placer plus haut que sa tête, l’observant à l’envers, gardant sa main serrée contre la sienne. Elle prend garde à ne pas trop bouger son bras ni même son épaule, consciente que ce sont autant d’os qui pourraient être cassés, mais elle ne peut pas rester sans rien faire, alors si son aide se résume à quelque chose de moral, c’est sûrement déjà ça de pris. Cait a besoin d’elle, plus que jamais, et Charlie se promet que cette fois-ci elle ne l’abandonnera pas et qu’elle restera à son chevet jusqu’à l’hôpital et même ensuite, pour qu’elle ait au moins un visage connu à son réveil.