| when my world collapses, you’re always there. (muiredach) |
| | (#)Dim 6 Fév 2022 - 21:34 | |
| Ma tête tournait encore, je me sentais comme dans un manège qui va trop vite et qui ne s’arrête pas sur commande. Comme lorsqu’on va à la fête foraine du quartier et que l’on monte à bord d’une de ces attractions qui n’a pas l’air si pire que ça et qu’au final, on se retrouve à avoir le cœur au bord des lèvres et la tête prête à exploser… Cette sensation de mal être, je me l’étais moi-même infligée en vidant deux bouteilles de vin de mauvais goût la veille. C’était un réflexe, un mauvais plis qui faisaient désormais partie de ma personne, bien malgré moi. Ce n’est qu’en buvant que j’arrivais à mettre mon esprit au repos, sur pause, le temps de décuver. Il n’y a que quand je suis sous l’effet de l’alcool que je ne ressens plus rien. Que je ne repense plus à toutes ces fois où j’aurais dû mettre mon poing sur la table, parler haut et fort, prendre ma place. Je ne ressens plus de honte, de faiblesse, de remords. Parce que oui, tous ces sentiments m’habitent dorénavant en permanence lorsque je suis sobre. Pour être honnête, je ne sais pas tout à fait faire face à toutes ces émotions qui viennent s’entrechoquer en moi, me rendant encore plus vulnérable aux yeux de tous. Et surtout aux siens…
Avant-hier, c’était notre anniversaire de couple et pour l’occasion, il m’avait promis qu’il m'amènerait dîner dans un bon restaurant chic. Rien qu’à l’idée de ce repas romantique, j’étais toute fébrile. Est-ce que ça allait bien se passer ou m’enverrait-il valser au plancher comme il savait si bien le faire, à présent ? Je me posais de plus en plus de questions quant à notre relation. Je savais pertinemment qu’elle n’était pas saine, qu’elle semblait même très nocive pour moi, pour mon développement personnel, mais… Je ne pouvais me résoudre à le laisser… Je repensais sans cesse à nos premiers instants ensemble, à nos conversations jusque tard dans la nuit, à toutes ces fois où il a fait preuve de tellement de romantisme pour me séduire. Il fallait bien lui donner ça : il savait comment parler aux femmes et il sait encore si bien le faire… Il parvenait à me faire sentir comme une princesse, comme une femme désirable, malgré toutes mes imperfections. C’est ce même talent de persuasion qui fait qu’aujourd’hui, il arrive tellement bien à me faire sentir comme une idiote et qu’il arrive aussi à me faire sentir lâche, portant le blâme de tous nos problèmes relationnels sur mes épaules… Je n’étais pas idiote. Je le voyais bien qu’il me manipulait. Qu’il me manipule. Pourtant, je ne semble pas capable de m’en défaire. Parce que si ce n’est pas lui qui m’aime, lorsqu’il m’aime si bien et si fort, alors qui le fera ? Je n’ai jamais été vraiment chanceuse en amour alors peut-être était-ce mon karma ? Je ne méritais que des relations amoureuses vouées à l’échec, donc pourquoi me passerais-je de celle-ci qui compte plus de moments heureux, à présent, que de moments tragiques ? Seulement, hier fut la goutte qui fit déborder mon vase. À dire vrai, ce n’était pas qu’une goûte… Il avait commis l’irréparable, l’impardonnable. Il avait touché la corde sensible, mit le doigt directement sur ce qui fait mal et avait exercé une pression sans relâche jusqu’à ce que je craque. Et lorsque j’ai osé craqué, il s’en est malheureusement servi contre moi… Ce fut la goutte qui fit craquer et casser le vase…
La soirée avait toutefois si bien commencé, mais à peine aviez-vous remis les pieds dans son appartement que déjà il m’engueulait. Trouvant que j’avais été trop souriante et gentille auprès du serveur qui devait être dans la même tranche d’âge que mon père, il me disait qu’il n’avait pas aimé que je le fasse passer pour un second choix. Pour un deux de pique. J’étais consterné devant tant d’absurdité. Ce n’était pas la première fois qu’il se montrait jaloux, mais c’était bien la première fois qu’il l’était devant un homme quadragénaire. Il meuglait littéralement tout ce qui lui passait par la tête, finissant même par dire que j’avais probablement un complexe d’œdipe refoulé qui refaisait surface puisque mon père me manquait beaucoup trop et que je n’arrivais pas à me l’avouer à moi-même. Là c'en était trop. Je hurlais donc du plus profond de mes poumons qu’il n’avait pas le droit de me parler de mon père de la sorte. Qu’il ne connaissait pas les circonstances, qu’il ne connaissait pas l’histoire et qu’il n’avait pas le droit de s’en servir contre moi. C’était de mauvais goût, irrespectueux et c’était, évidemment, un sujet encore trop sensible pour être ainsi abordé, même après quatre ans. J’avais osé pour la première fois depuis beaucoup trop longtemps lui tenir tête et ça, je savais qu’il me le ferait payer. À peine avais-je eu terminé ma tirade que déjà il s’avançait vers moi, la main dans les airs. Je fus alors prise par surprise et sa main vint retrouver ma joue. Tandis que mon corps se retrouva au sol, propulsé par la violence du coup, il m’enjamba pour pouvoir m’empêcher de me relever. Il m’assaillit de coups au visage. J’essayais tant bien que mal de me défendre, ou du moins de me protéger. Je me débattais du mieux que je le pouvais, criant pour essayer d’alerter les voisins, un passant ou qui que ce soit. Après quelques secondes, il avait posé sa main sur ma bouche pour m’empêcher d’émettre le moindre son. Si fort, je n’arrivais même plus à respirer. Si bien qu’après quelques instants, ma vue devint embrouillée… J’ai forcément perdu la carte. Et Dieu seul sait ce qui a bien pu se passer pendant mon inconscience. J’ai retrouvé mes moyens qu’au petit matin du matin. Il avait quand même pris la peine de m’apporter dans le lit… Oh, quelle charmante attention… J’avais quitté les lieux très rapidement, ne voulant pas risquer de le croiser. Il était au boulot, ce qui me laissait quelques heures… J’en avais profité pour passer au dépanneur m’acheter deux bouteilles de vins. C’était le moment pour moi d’oublier l’atroce nuit que je venais de passer. Mon corps était douloureux, couvert d'ecchymoses, de marques… Aux nouvelles se mêlaient les plus anciennes qui avait à moitié guéries…
C'en était trop. Je m’étais juré intérieurement que cette fois, ça avait été la dernière. Je devais reprendre possession de mon corps, de ma tête. Je devais penser à moi pour une fois et me sortir de cette situation qui empirait visiblement d’années en années. Je n’avais jamais osé lui tenir tête avant cette soirée-là. Et si j’avais réveillé un monstre ? Et si la prochaine fois il me tuait ? Je ne voulais pas courir ce risque. Il fallait donc que je me rende à l’évidence. Je devais me délivrer de son emprise. S’il y a bien une chose que ma mère m’ait apprise dans la vie, c’est de ne jamais perdre de vue qui on est pour un homme… Bon, je doutais fortement que ma mère soit elle-même ces temps-ci, aux nombres de conquêtes amoureuses qu’elle a ramenées dans les quatre dernières années, mais bon… J'ai pris mon courage à deux mains et conduit jusqu’au poste de police le plus proche. La police. Ça aussi, ça réveillait de mauvais souvenirs. Celui d’un père minable qui avait fait échouer une enquête policière à cause de ses envies de pimenter sa vie sexuelle. Et ma mère en sabbatique qui désormais se foutait complètement de son devoir de mère ou même celui de sergent détective réputée… Je pris une grande respiration avant d’ouvrir la porte de la bâtisse, me faufilant à l’intérieur du poste. À la réception, on me demanda aussitôt si j’avais besoin d’aide. Visiblement, je ne passais pas inaperçu dans mon hoodie noir à capuche, mes joggings de sport mal assorti et mon visage encore rougis par les larmes. Sans parler des deux coquards que je n’avais même pas essayé de dissimuler. « Bonjour, je viens pour une dénonciation... Serait-il possible de parler à un enquêteur ? » J'avais prononcé cette phrase avec une voix beaucoup moins assurée que je l'aurais désirée. Je ne pouvais visiblement plus cacher qu'au fond de moi, j'étais essoufflée, terrorisée, anéantie et qu'il fallait plus que tout que cela cesse. L'agent d'accueil me mentionna d'aller prendre place dans la salle d'attente, qu'un enquêteur viendrait me chercher pour prendre ma déposition. Je m'exécutai sans broncher, un pas de plus vers la liberté... Ou du moins, de ce que j'en croyais. |
| | | | (#)Lun 7 Fév 2022 - 2:37 | |
| Comme tous les dimanches, j’avais suivi ma routine. De la visite habituelle à ma mère dans sa résidence pour aînés à cet après-midi passé à me faire un souper qui avait de la classe, j’avais suivi un plan qui n’avait rien d’écrit, mais qui était rythmé au quart de tour. La bouteille de vin rouge avait été débouchée pour s’assortir aux saveurs de la pizza que j’avais faites. En faisant doucement tourner le liquide à la robe rouge dans la coupe, j’avais nécessairement pensé à ces dimanches qui remontaient à une époque si lointaine qu’elle en semblait définitivement résolue : ces étranges souvenirs qui avaient pris un goût doux-amer parce qu’ils me ramenaient inlassablement à ces soupers que nous avions préparés ensemble, mes enfants et moi. Des souvenirs qui sonnaient comme des rires légers, des moments d’une étonnante complicité et la douce chaleur d’une famille unie. Attablé seul, dans un tête-à-tête avec ma pizza, la scène avait somme toute l’air moins glorieuse que ce dont elle avait l’air dans mes souvenirs.
Le son d’une musique celtique traditionnelle flottait doucement dans l’arrière-plan quand je composais le numéro de téléphone d’Isla sur les coups de vingt heures tapant, vingt minutes après l’appel que je faisais à Alistair. Je ne fus même pas surpris que j’atterrisse sur la boîte vocale de ma grande fille (pas plus que je ne l’avais été pour son frère d’ailleurs). Je chassais quand même ce nœud qui s’imposait au plus creux de ma gorge. « Bon dimanche, ma grande. Je vois que je suis encore à signaler mon existence sur ta boîte de messagerie. Je voulais simplement te dire que… j’ai pensé à toi, tout à l’heure, quand je préparais le souper... De la pizza. » Encore aujourd’hui, j’étais difficile pour ce que je mangeais. Des tas de trucs que j’aimais encore de ma nourriture traditionnelle, mais un tas d’aliments que je refusais encore de toucher. Je m’exaspérais moi-même comme en témoignait ce faible rire qui ressemblait plus à un soupir exaspéré. « Je sais pas si tu te rappelles. C’était en… deux mille cinq, je crois. Tu avais quoi, huit ans ? Al était tout petit. Il avait peut-être vingt mois. Il avait tenu à nous aider dans la cuisine, mais le bol avait renversé. Tu en avais eu dans les cheveux. Tu en avais eu partout. On avait fini par commander. Bref… je suis content d’avoir moins de ménage à faire. Appelle-moi, si jamais tu as besoin de quoi que ce soit. » Le fait qu’elle me manquait restait implicite dans cette histoire. Pas de « je t’aime » non plus. Cet appel quand on me connaissait bien, il hurlait à la déclaration d’un amour paternel sans condition.
Ça ne m’empêchait pas qu’en raccrochant la ligne j’avais le cœur lourd. Cette lourdeur, elle suivait tout naturellement alors que je lavais la planche à découper, le couteau, la plaque de cuisson, l’assiette et le verre solitaire. Elle suivait quand je rangeais dans mon frigo la bouteille de vin qui finirait par terminer au moins à moitié son existence bouchonnée et vidée dans l’évier de la cuisine de cette petite maison à Toowong que j’habitais depuis que j’étais revenu en ville. J’avais cette amère impression que je n’en faisais pas assez pour réparer les pots cassés avec mes enfants. Mais je n’allais pas m’abaisser au point qu’avait fait Margaret. Je n’allais pas raconter à une boîte vocale cette histoire. Et puis quelle histoire ? Ça voudrait dire fracturer cette image de parents modèles qui s’aimaient. Pourtant, j’avais été vraiment persuadé que je l’avais aimée leur mère. Aimé à ma manière. Mais pas de la manière qu’elle désirait. Aucun enfant ne voulait savoir ce qui se passait derrière la porte close de la chambre de leurs parents. Alors je n’avais pas vraiment de difficulté à me dire que mes enfants ne voulaient pas non plus savoir que c’était ce qui était venu à manquer entre leur mère et moi. Par ma faute. Je me contentais donc d’attendre. Même si, glissé dans mon pyjama avec mon livre à la main, je jetais toujours un coup d’œil optimiste à mon téléphone portable : peut-être bien qu’un des deux finirait par le faire ce premier pas que j’attendais. Mais la déception était amère quand deux chapitres plus loin, je me rentais à l’évidence qu’il n’y aurait pas plus de retours d’appel encore. Éteignant la lumière, je me laissais emporter dans un sommeil profond et agité pour me faire tirer des draps de Morphée par la trop familière douleur au bras gauche.
Lundi matin, donc. Fidèle au poste dans une habitude d’homme routinier. J’avais ramassé le même sandwich au petit restaurant du coin après avoir déjeuné d’un simple café décaféiné qui accompagnait à merveille des cachets pour le cœur (il y en a qui savent vraiment profiter de la bonne chère, n’est-ce pas ?). Je n’avais jamais été un grand admirateur du déjeuner. Quand mes enfants étaient là, je fournissais un effort, mais aujourd’hui ? Pourquoi prétendre être autre chose que ce que j’étais ? Qu’un simple café noir qui m’amènerait à un sandwich que je ne mangerais qu’à moitié (fort probablement). Je me négligeais peut-être un peu au fond.
J’avais poussé la porte du poste à la mère heure que d’habitude. Créature de routine, d’une prévision qui n’était dépassée que par les horloges suisses, je m’arrêtais à l’affreuse machine à café pour prendre possession de mon deuxième café de la journée (toujours un décaféiné d’ailleurs). Je passais à mon bureau pour y consulter brièvement mes courriels et voir si les résultats d’une expertise au labo dans le cadre d’une enquête qui comme trop d’entre elles tirait de la patte. La sonnerie de mon téléphone de bureau me tira de la fastidieuse tâche de consultation des courriels. Une personne souhaitait porter plainte pour quelque chose. Comme j’étais libre (et qu’un cas de plus, un cas de moins ne ferait plus de différence au stade où j’étais rendu), j’acceptais d’être celui qui s’en chargerait.
La réceptionniste me désigna d’un signe de tête, une jeune femme, assise dos à moi sur une des chaises de notre petite salle d’attente. Je me rapprochais donc d’un pas lent. Mon accent tranchait l’air lors que je dis un simple : « Mademoiselle… ? » avant d’arriver devant elle pour attirer son attention. Habillée avec des vêtements dépareillés, elle avait les joues rougies par les larmes. Mais un simple regard. Rien de plus ne me suffit pour la reconnaître.
Non. J’avais tort. Je ne voyais pas ce que j’étais en train de voir. Je me baissais pour être à la même hauteur et je laissais doucement échapper un simple « … Isla ? ». Mais ma voix craqua quand j’accrochais très brièvement le regard de la jeune fille. Pas n’importe laquelle des jeunes filles. Ma fille. Ma princesse. Combien de fois est-ce que j’avais imaginé qu’elle pouvait un jour se retrouver à la place d’une victime dans le cadre d’une affaire? N’importe laquelle de mes affaires qui avaient un jour impliqué une enfant qui avait environ son âge. Ma voix trembla à demi lorsque je rajoutais dans un gaélique impeccable : « Qu’est-ce que tu fais ici, ma grande ? » J’avais sincèrement besoin qu’elle me confirme que c’était vraiment elle que je devais venir voir pour prendre une déposition, une plainte. Parce que si elle était là devant moi, c’était nécessairement parce que mon cœur de père souffrirait un peu plus. Je n’osais même pas la toucher, avancer ma main pour caresser du bout des doigts sa joue. Sachant que ça pourrait être difficile, je rajoutais également un simple : « Si tu ne veux pas que j’aie la charge de prendre ta déposition, je peux aller voir si j’ai un collègue disponible. ». @Isla MacLeod- Petite note de mise en page:
l’italique est en anglais alors que ce qui ne l’est pas est en gaélique écossais.
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| | | | (#)Lun 7 Fév 2022 - 4:10 | |
| J'étais assise le dos bien droit sur cette petite chaise bas de gamme, dans cette salle d'attente un peu trop glauque à mon goût. J'avais encore de la difficulté à croire que j'étais là, que j'étais en ces lieux... Prête à dénoncer une situation que je vivais depuis beaucoup trop longtemps maintenant. Je n'arrivais pas encore à penser que ça m'arrivait à moi... Soudain prise de panique, je me mordis les lèvres pour m'empêcher de pleurer. Parce que oui, j'avais envie de pleurer. J'avais honte, je n'étais pas fière de celle que j'étais devenue dans les quatre dernières années. J'avais laissé ma vie aller à la dérive sans jamais essayer de me rattacher à un ancrage, une bouée ou un lien solide quelconque. Je lève les yeux vers l'horloge qui est posée au mur en face moi, regardant la trotteuse faire son bout de chemin. Mes yeux ne la lâchaient plus du regard, tout en venant jouer avec mes doigts nerveusement. Qu'est-ce que je faisais ici ? Et si à la fin, cela ne me causait que plus de tort ? Si la police ne parvenait pas à suffisamment me protéger durant le processus ? Je pris une très grande inspiration, essayant de me calmer. Là, c'est la peur qui parle, ce n'est pas moi. Je suis une femme raisonnée et je sais pertinemment que lorsqu'on est dans une situation de violence conjugale comme la mienne, il faut s'en sortir et aller voir les autorités. Que je le veuille ou non, c'était la seule et unique solution pour m'en sortir. J'avais envie de reprendre le contrôle de ma vie. De régler une bonne fois pour toute l'un des plus gros problèmes que j'ai actuellement. Après, je pourrai certainement m'attaquer aux autres...
Je devais me concentrer ou me reconcentrer, devrais-je dire, sur mes études que j'avais mises en plan depuis beaucoup trop longtemps. S'il est vrai qu'à l'annonce du divorce de mes parents, j'ai perdu les pédales et une très grande partie de mon intérêt envers les études. C'est un peu normal lorsque ton monde s'écroule sous tes pieds... J'ai toujours vu mes parents comme deux personnes amoureuses, s'aimant à leur façon. Mon père n'a jamais été le plus démonstratif des deux, mais je ne m'en suis jamais fait pour eux. Ils ne se querellaient jamais non plus, ils semblaient constamment être sur la même longueur d'ondes ou du moins, sur la même planète. Je les trouvais beaux, ensemble. Ils avaient longtemps été mon modèle de couple à suivre, me montrant ce que devait être un bon mariage. Certes, ils travaillaient tous les deux ensembles, dans la même brigade alors ça aussi, ça a dû jouer en cause... Bref, vous comprendrez donc que lorsque le sol s'est effondré sous mes pas et que j'ai perdu tous mes repères, je n'avais plus trop la tête aux études. Au début, mes enseignants se montraient courtois et compréhensifs envers la situation. Ils m'accordaient souvent une ou deux journées de plus pour la remise de mes travaux. J'ai essayé tant bien que mal de joindre les deux bouts de ne pas flancher, mais à un moment, j'ai dû me rendre à l'évidence... Je commençais à manquer de plus en plus de cours, ne trouvant pas la motivation pour sortir du lit le matin et je coulais un bon nombre de mes examens par manque de révision ou d'études, tout simplement. J'ai été convoqué dans le bureau du doyen et j'ai fait face à un choix. Celui de soit me reprendre en main, faire des cours de rattrapage et remonter la pente ou de cesser mes études pour une durée indéterminée. J'ai choisi la deuxième option parce que celle-ci était moins dommageable que la première. En mettant mes études sur la glace, mes échecs ne seraient plus cumulés et pris en compte. Ce qui faisait en sorte que lorsque je serai enfin prête à reprendre, mes antécédents ne seraient plus que de mauvais souvenirs et n'auraient plus d'impact sur mon cheminement... Je ne pensais pas être arrêté si longtemps, pour être honnête, mais j'ai trouvé quelque chose qui me passionne en attendant et qui me permet quand même de gagner mon propre argent - bien que je pourrais vivre sur celui de la pension que verse mon père à ma mère...
Durant les quatre dernières années, j'avais aussi beaucoup négligé ma santé mentale et physique. Certes, je faisais encore de la gymnastique à temps perdu au gym, mais je n'y mettais plus tout mon cœur. J'avais l'esprit ailleurs... C'est pour cette raison que je dis qu'il faudrait forcément que je m'occupe de mon esprit... Vivre le deuil de ses parents encore mariés et amoureux, c'était lourd à faire et, contrairement à ce que l'on peut penser, ça ne se faisait pas qu'en quelques mois. J'ai toujours trouvé les circonstances de leur séparation très nébuleuses. Elles me renvoyaient l'image d'un homme, d'un père de famille, que je ne semblais pas connaître. J'avais beaucoup de difficulté à y croire et j'étais extrêmement sceptique. Je ne voulais pas y croire. Je ne pouvais pas y croire... Et une voix en moi ne cessais de me répéter qu'il y avait forcément quelque chose de plus en dessous de cela. Alors à tant désirer essayer de comprendre, de trouver des indices dissimulés d'un père infidèle, indigne, je m'étais rendue malade. Et c'est à ce moment même que je devins vulnérable aux yeux de mon amoureux. Celui-ci le voyait bien que j'étais acculée mur, mais il en a profité pour me jouer dans la tête... Au départ, ce n'était que des mots, des insultes, des réprimandes. Ça escaladait vraiment vite, si bien qu'un jour, il leva le poing pour la première fois... Sous l'effet de la surprise, je n'avais pas su que dire ni que faire. Je me souviens l'avoir regardé droit dans les yeux, avec une certaine confusion. Que venait-il de se passer ? Il s'était tout de suite excuser... Et la suite, je la connais trop bien. C'est d'ailleurs pour cette raison que je me trouve présentement le cul sur une chaise minable de poste de police...
Ça m'avait fait quelque chose aussi de rentrer en ces lieux, il y a à peine cinq minutes... Ce n'était pas n'importe lequel des postes de police de Brisbane et je le savais très bien. Peut-être étais-je venue ici instinctivement ? Parce qu'au fond de moi, j'espérais qu'il soit ici et qu'il puisse me sortir des griffes de cet affreux monstre ? Comme lorsqu'il me racontait des histoires, étant enfants... Je me souviens encore que mes préférés étaient justement celle où le héros sauvait la princesse. J'ai malgré moi toujours vu mon père comme mon sauveur... Peut-être qu'inconsciemment je le voyais encore de la sorte, même si la Isla enfant pâmé devant son père avait laissé place à une Isla adulte qui comprenait les inconduites de son paternel ? Parce que oui, même dans l'éventualité où j'avais catégoriquement coupé les ponts avec mon géniteur, je savais qu'il travaillait dans cet établissement. Il travaillait avec ma meilleure amie d'enfance, Adriana... Je le savais puisque je lui avais demandé si c'était vrai qu'il était de retour dans la police et elle m'avait confirmé mes soupçons. Il m'avait laissé un message sur ma boîte vocale et je n'osais pas y croire. Comment la police avait-elle pu lui refaire confiance après sa bavure professionnelle ? Et toute la famille qu'il a trahie en perdant toutes ces preuves confidentielles ?
Je fus tiré de mes pensées lorsque enfin j'entendis quelqu'un s'adresser à moi. « Mademoiselle… ? » Je levai les yeux vers mon interlocuteur et fus prise d'un vif pincement au cœur lorsque mon cerveau assimila l'information. C'était lui. Il sembla également te reconnaître parce qu'il prononça un simple « … Isla ? ». Je déglutis. Les mots me manquaient soudainement. C'était insoutenable comme sensation : je sentais mes mains devenir moites à une vitesse folle et mon cœur battre de plus en plus vite. « Qu’est-ce que tu fais ici, ma grande ? » Cette langue. Cette langue qui m'était si chère et que seulement lui savait parler si bien. Je me mordis à nouveau les lèvres pour éviter de pleurer. « Si tu ne veux pas que j’aie la charge de prendre ta déposition, je peux aller voir si j’ai un collègue disponible. » Je secouai la tête de gauche à droite en me levant d'un bond. « Non, s'il te plait, je veux juste en finir... Allons quelque part. » que je dis dans un gaélique approximatif. Je n'avais plus eu la chance de pratiquer, alors c'était certain que j'avais fait quelques fautes de prononciations et sûrement quelques accords aussi... Ceci étant révélé, je ne désirais plus qu'une chose et c'était qu'on en finisse le plus rapidement. Que ce soit lui ou un autre qui prenne ma déposition, ça allait encore remettre le couteau dans la plaie et je ne voulais plus. Je ne voulais plus ressentir cette honte, cette faiblesse. Parce qu'à l'instant, je n'avais plus qu'une seule envie et c'était de rentrer chez moi et de m'offrir une autre bouteille de vin. Valait mieux qu'on commence le plus tôt possible si on souhaitait que ce moment gênant soit derrière nous.
Dernière édition par Isla MacLeod le Mar 8 Fév 2022 - 2:29, édité 1 fois |
| | | | (#)Mar 8 Fév 2022 - 1:50 | |
| Il n’y avait jamais vraiment eu entre Margaret et moi de discussion pour savoir si nous allions nous tricoter des enfants ou pas. Devenir parents s’était tout simplement imposé au détour d’un trajet sur le chemin de la vie. J’avais été rempli d’une joie teinté d’une douce appréhension quand elle m’avait annoncé qu’elle était enceinte. Ça faisait une petite dizaine de mois que nos destinées avaient été unies d’une manière qui me semblait si solennelle quand Isla s’était nichée dans le ventre de Margaret. Nous étions jeunes et avec des carrières qui commençaient à décoller. Cependant jamais il n’avait été question de s’en débarrasser, parce qu’il y avait les croyances de ma femme et cet amour que je ressentais à chaque fois que je la voyais. Si belle avec son ventre qui s’était arrondi, rayonnante.
Le plus beau des cadeaux avait été ce petit bout d’humain qui hurlait à en écorcher les oreilles d’un sourd. Parce qu’elle n’était pas que des cris. Isla avait aussi été des éclats de rire pétillants, des mots magnifiques qui me faisaient sourire. Une enfant d’une grande curiosité qui savait toujours nous surprendre au détour de la vie, tout simplement. De l’interminable liste de pourquoi à des babillages d’enfants, elle avait su instinctivement trouvé une douceur que je ne me connaissais pas.
J’aurais tout fait pour la protéger contre les monstres qui vivaient sous les lits et ceux qui pullulaient dans les rues de la ville. Je n’avais plus jamais vraiment dormi sur deux oreilles (ce qui n’était pas peu dire puisque je n’avais jamais réellement eu les plus saines des habitudes de sommeil du monde) : parce qu’il fallait être attentif à ces bruits qu’elle pouvait faire, à ses réveils nocturnes… Je m’étais fait du sang d’encre quand elle était sortie avec des amies pour la première fois.
Cette inquiétude n’était pas unique à Isla. Je l’avais vécu à nouveau quand Alistair était venu se rajouter à quelque part dans cette routine qui nous surprenait en devenant chaotique avec des enfants. Alistair me ressemblait par son besoin d’avoir une certaine routine pour ne pas devenir difficile à vivre. Je m’étais quand même inquiété à toutes les colonies de vacances et ces premières rentrées à l’école. Peur qu’ils ne trouvent pas leur place. Peur qu’ils s’écorchent les genoux.
Et pourtant… pourtant, la vision que j’avais aujourd’hui devant moi de ma fille dans le poste de police qui avait l’air d’avoir ramasser les miettes de courages qui traînaient dans les tréfonds de son placard pour venir ici porter plainte était probablement un de mes pires cauchemars. Une illustration claire et nette de la hauteur de l’échec dont je m’étais rendu coupable dans toute cette histoire : je n’avais pas su la protéger. Je n’avais pas su être présent pour elle. Cette saveur amère d’échec filait une nausée à ce cœur de père qui en avait encaissé des coups. J’avais très sincèrement cru que le silence auquel je me heurtais depuis quatre ans était la pire des choses que je pouvais vivre comme parents.
Il y avait pire que d’être confronter au silence. Il y avait le fait que je la voyais encore comme une enfant. Parce qu’elle l’était. Mon enfant. Et qu’elle soit âgée de vingt-cinq ans ou de cinq ans. Qu’elle se retrouve devant moi, à demander pour porter plainte avec une allure si vide, avec des yeux baignées de larmes immobiles, avec des lèvres pincées. C’était de loin la pire des choses que je pouvais affronter. Surtout si ce contact était celui qui brisait le silence qui hurlait entre nous deux, plus fort que le vent des tempêtes à Drumnadrochit.
On en venait donc à moi qui se trouvais obligé de lui demander si elle préférait que ce soit quelqu’un d’autres que moi qui prenne en charge le dépôt de sa plainte. Je le savais fort bien que pour des raisons d’éthique je ne pourrais pas être celui qui ferait enquête. Sans même savoir ce qu’elle avait vécu, je savais très bien… trop bien que j’étais trop impliqué émotionnellement pour être en mesure de rationnaliser. J’aurais même du mettre mon pied à terre ici. Et lui imposer un collègue qui pourrait agir d’une manière neutre dans cette histoire.
Combien de fois avait-on dit de moi que j’étais capable de tout compartimenter ? Combien de fois avait-on constaté que j’étais capable de regarder stoïquement les pires photos de scène de crimes sans avoir ne serait-ce que l’ombre d’une réaction sur mon visage ? J’étais capable de les voir de manière clinique. Et pourtant, j’avais pleuré plus de fois que je voulais l’admettre seul dans la douche le soir. J’avais couru des kilomètres pour laisser ces pensées s’envoler et pouvoir la garder cette neutralité de merde.
Mais l’équilibre que nous avions aujourd’hui était fragile. Terriblement fragile. Si fragile que j’avais peur de tendre la main pour la toucher et qu’elle s’envole pour ne plus jamais me revenir. La repousser alors qu’elle avait besoin de moi n’était pas la solution et je le savais parfaitement. Pour une rare fois dans ma vie, je savais que le respect d’une procédure pourrait amener des conséquences plus graves que son respect. J’étais donc prêt à la tordre un peu la règle. Juste assez pour qu’elle s’ouvre. Et si, si… c’était trop difficile, si mon cœur de père ne pouvait pas le tolérer, j’arrêterais l’entrevue. Je trouverais rendu à ce moment comment me dépêtrer de cette situation. Je m’entendis donc lui dire : « Viens… On va aller dans mon bureau. » Nous traverserons le point rendus à la rivière.
En commençant par pousser la porte de mon petit cubicule étonnement neutre : une seule photo de mes enfants, caché à quelque part sur le babillard qui datait de bien trop longtemps. Je lui désignais la chaise mais j’hésitais pour savoir laquelle prendre. Je n’étais pas capable de m’installer de l’autre côté du bureau. Pour conserver cette distance physique qui faisait écho à cette distance émotionnelle que je me devais de m’imposer. C’était déjà un présage que c’était une erreur. Je déglutis lentement en y allant d’un « Je…» qui ne fut suivi de rien pendant un instant. Juste de mon regard qui fixait ses mains en me disant que je ne pouvais la toucher. « Je vais avoir besoin de savoir la nature de la plainte que tu viens déposer. Pourquoi tu es ici, Isla ? » demandais-je directement. @Isla MacLeod |
| | | | (#)Mar 8 Fév 2022 - 3:34 | |
| Je n'avais plus la force de faire comme si de rien était. Je n'avais plus la force de laisser aller toutes ces choses qui me blessent sans essayer de les contrôler, de les neutraliser. Je ne pouvais plus jouer à l'autruche, me mettre la tête dans le sable et prétendre que tout est ok, que tout est parfaitement parfait. En réalité, rien ne l'était plus, et ce, depuis de trop nombreuses années. Ce trait de personnalité n'a jamais été mien. Je l'ai probablement créé de toutes pièces pour essayer de me protéger, d'une façon ou d'une autre. Vivre dans le déni ne peut pas nous rendre malheureux, non ? Eh bien, oui. Lorsqu'on se rend compte qu'on s'est rendu au point de non-retour, que l'on a touché le fond du baril dans lequel on s'est soi-même noyé... Je devais remonter à la surface, reprendre mon souffle, avouer mes maux, panser mes blessures pour ainsi pouvoir repartir sur de bonnes bases. Je ne demandais plus qu'une chose et c'était d'enlever cette carapace qui pesait lourd sur mes épaules fragilisées par les aléas de ma vie, de mes décisions. J'avais pris mon courage à deux mains et j'avais commencé à y réfléchir, une petite voix dans ma tête ne cessait de me le répéter depuis des mois, mais je ne l'avais jamais vraiment prise au sérieux avant aujourd'hui. Aujourd'hui, c'est le premier jour de ma nouvelle vie. Du moins, pour un des aspects de celle-ci...
Depuis le divorce de mes parents, je me surprenais sans arrêt à faire le même rêve - ou cauchemar, je ne savais généralement pas de quel côté je me situais lorsque j'y repensais, au matin levant. Ça se passait toujours de la même façon, le rêve débutait et j'étais seule à la table de la cuisine familiale. Il faisait sombre, presque noir. Pourtant, je n'avais pas spécialement l'impression que c'était une scène nocturne... C'était peut-être un présage sur ce qui s'ensuivait ? Seule à la table, Ali finissait toujours par venir me rejoindre dans le silence le plus complet alors que tout ce que l'on entendait au loin, c'était les cris de mes parents. Jamais ils ne se sont querellés devant nous, mais cette scène semblait si réelle. Ma mère haussait le ton, comme elle savait si bien le faire lorsqu'elle était vraiment en rogne. Mon père répliquait, à la défensive. Chose qui me surprenait à toutes les fois... Le rêve se poursuivait ainsi jusqu'à ce que l'homme de la maison quitte les lieux en furie. C'est comme si un ouragan le précédait et détruisait tout sur son passage. La partie la plus étrange et douloureuse de cette illusion nocturne, c'est lorsque j'essayais de me lever de ma chaise pour courir le rattraper, partir avec lui, peu importe où il irait, j'en étais complètement incapable. J'avais beau me débattre, crier jusqu'à m'époumoner, rien n'y faisait. Je finissais généralement par me réveiller à ce moment-là, en sueur et entièrement désorientée.
À toutes les nuits où je faisais ce rêve s'ensuivait une journée de réflexion, de questionnements. Et si je l'avais suivi ? Dans la vraie vie, je veux dire... Et si j'avais fait fi de ce que ma mère en pensant, du mauvais rôle qu'il portait sur ses épaules ? Peut-être que ma réalité aurait été tout autre aujourd'hui ? Probablement qu'on aurait été plus heureux, Alistair et moi... Je le vois bien que l'absence d'un père pèse lourd sur lui et même si du haut de ses neufs ans il croit faire la bonne chose en devenant solidaire avec notre mère, je redoute le moment où on saura le fin fond de l'histoire. Où tous les masques tomberont et où nous nous rendrons compte que Muiredach n'était pas le seul fautif dans l'histoire. Et si on passait à côté de quelque chose de beaucoup plus important ? Quoi qu'il en soit, j'avais pris la mauvaise habitude de noyer mes pensées les plus profondes avec un picrate bien plus corsé que ce que je pouvais d'ordinaire endurer. Je repoussais toutes ces pensées, toutes ces hypothèses parce que ça me rendait folle. Ça me rendait malade. Moi qui aie toujours été très cartésienne, très terre à terre, toute cette histoire ne faisait aucun sens et je ne faisais que broyer du noir en tournant en rond dans mes pensées...
Je levai les yeux vers mon paternel, chose que je ne pensais pas faire de ci tôt, pour être cent pour cent honnête. J'avais tant de choses à lui dire, tant de questions à lui poser... Et pourtant, je n'avais pas encore pris la peine de mettre tout cela au propre parce que je n'en avais tout simplement pas le courage. J'aurais aimé que notre première rencontre après ces quatre dernières années se passe autrement, mais comme on me l'a si bien appris : rien arrive pour rien. Si Dieu en a décidé ainsi, ainsi souhaite-t-il. « Viens… On va aller dans mon bureau. » Tu le suivis machinalement, sans prendre tout à fait connaissance de l'espace qui t'entourait. La route ne fut pas bien longue qu'il me fit entrer dans un petit bureau fermé - le sien visiblement. J'avais scruté la pièce du regard, avec un brin de dédain. Ça ne ressemblait plus au bureau qu'il avait déjà eu... Je pris place sur une nouvelle chaise, celle-ci beaucoup plus confortable que la première... Je fixai à nouveau mes mains, jouant nerveusement avec l'une de mes bagues. « Je vais avoir besoin de savoir la nature de la plainte que tu viens déposer. Pourquoi tu es ici, Isla ? » Je relevai les yeux vers lui. C'est qu'il n'allait pas être fier de m'entendre dire ces mots et je le savais pertinemment. N'importe quel père n'aimerait pas apprendre que... « Je veux porter plainte contre mon... » Et je craquai. Je fondis en larmes, comme une gamine de douze ans qui vient de vivre son premier breakup. Je semblais minable. Toujours en sanglotant, j'essayais de formuler une phrase un peu plus compréhensible. « Il me frappe... Souvent. Et je... Je n'en peux plus. » Ces mots, je les avais prononcé de peine et de misère. C'est comme si j'avais craché le morceau, que je faisais enfin face aux évènements. S'ensuivit une autre crise de larmes que je n'avais pu retenir plus longtemps. |
| | | | (#)Ven 11 Fév 2022 - 0:56 | |
| Le calme avant la tempête surprend par son assourdissant silence, évocateur d’une tempête dans son absence la plus totale de bruit. Dans mon bureau, à l’allure si impersonnelle, il est là. Il prend tant et tant de place que j’ai la véritable impression que respirer est un défi sans nom. L’air est là, à oppresser ma poitrine. Je veux autant savoir pourquoi ma fille se retrouve à venir porter plainte que je ne veux pas être celui qui aura la charge de faire enquête, de prendre à ma charge de retrouver la personne qui a osé touché à la prunelle de mes yeux. Parce que je n’ai pas confiance en ma capacité d’être capable de contrôler le monstre de colère qui bouille en moi devant l’ordure qui a osé s’en prendre à l’une des rares personnes dans cet univers à laquelle je tiens assez pour inlassablement tenter de rétablir le contact, de montrer que je suis là en attendant que ne retombe la colère.
Le même silence criard avait été présent dans mon bureau entre l’appel que m’avait passé la mère de mes enfants et le moment où elle avait mis cartes sur table en levant le voile sur table. Un silence qui sonnait comme un glas. Un silence dans lequel on entendait presque tourner les rouages de mon esprit qui analysait la situation en réfléchissant pour trouver la meilleure manière pour agir.
Mais si je me devais d’être sincèrement honnête, je tremblais intérieurement comme une feuille de peur de ce qu’allait me dire ma fille. Je ne voulais pas qu’elle ait souffert, je ne voulais pas que la tempête l’ait happée. Elle avait trop souffert de notre divorce même si nous avions fait un point d’honneur de ne jamais hausser le ton devant les enfants, de ne jamais laisser la colère nous emporter. J’étais également anxieux de ne pas être à la hauteur de ce qu’elle attendait de moi. Peur de ne pas être en mesure d’absorber ce qu’elle avait vécu sans ne laisser couler à l’extérieur comment cela m’atteignait.
De la patience, voilà ce qu’il fallait. Mais je n’étais pas nécessairement prêt pour le coup de tonnerre qui allait résonner dans mon bureau à peine que j’eusse réussi à le ramasser mon courage pour lui demander ce qui l’avait amené jusqu’au poste, ce qu’elle faisait, ici, maintenant dans mon bureau en train de vivre ce qui devait être le pire moment de nos deux vies. Je me surpris à le soutenir son regard, qui contenait tant de… tristesse. Oui, c’était probablement le mot qui convenait le plus pour décrire ce que je voyais dans ces yeux d’enfants dont je me souvenais de leur éclat pétillant d’enfant.
Rien, absolument rien n’aurait pu me préparer pour cette phrase qui franchit ses lèvres comme un pétard résonnant bien trop fort. « je veux porter plainte contre mon... » Rien n’aurait pu empêcher mon inquiétude de montrer d’un cran de plus quand le restant de la phrase se perdit dans le torrent de larmes qui déchira ma fille. C’était douloureux à entendre, pénible à recevoir sans même que j’ai compris. J’en déduisais instinctivement des idées toutes plus horribles les unes que les autres.
Mon, ça voulait dire que le coupable dans cette histoire, il était connu. C’était au moins ça de gagner. Pas d’enquête à en perdre haleine. Pas de besoin de retourner toutes les pierres pour le retrouver Peu de risque qu’il se soit évanoui dans la nature.
Ce mot faisait également que mon cœur se contractait péniblement. Elle connaissait son assaillant. Quelqu’un qu’elle connaissait était l’incarnation réelle du monstre qui se cache sous le lit.
Je m’en voulais de ne pas avoir su être là pour la protéger. De ne pas avoir su être présent même si elle m’avait repoussé en raison de notre divorce. Et c’était pour ça que ma tête n’était pas prête à entendre la suite. Le « Il me frappe... Souvent. Et je... Je n'en peux plus. » qui fut suivi d’un ouragan de larmes amères. Je passais lentement une main dans cette barbe mal entretenue qui avait poussé sur mes joues depuis que nous nous étions vus la dernière fois.
L’adéquation était facile à faire. Son amoureux la frappait.
J’avais bien beau ne pas comprendre grand-chose à l’amour selon mon ex, ça, c’était l’une des pires choses que l’on pouvait faire. Ce n’était pas de l’amour, c’était de la haine qui se trouvait à envahir un territoire qui avait été si souvent occupé par l’amour. Elle me semblait si jeune, si fragile pour connaître un apocalypse de ce genre. Me contrefichant de la stupide distance professionnelle, je tendis doucement mon bras pour le frotter délicatement dans son dos, le temps que l’orage qui la secouait se calme. Ce n’étaient pas des larmes d’enfants après un affreux cauchemar. C’étaient des larmes de femme qui vivait une réalité bien pire que ces mauvais rêves d’enfants. Mais mon réflexe rouillé de père me disait quand même que ce geste que j’avais fait tant de fois quand elle était toute petite pouvait aider alors que je murmurais un « Chut… chut… tout va bien aller. Je suis là. Tu es en sécurité, ma grande. Il ne te touchera plus. »Elle prendrait le temps nécessaire de me raconter son histoire quand ses larmes se seraient taries. Mais pour l’instant, je me contentais pour ne pas brusquer notre précaire équilibre de me montrer présent. De mes lèvres glissèrent un « Je suis… tellement… tellement… désolé… » qui venait avec ce côté sincère qui ne paraissait jamais quand je l’adressais à d’autres victimes. Je sentais les larmes qui brûlaient le coin de mes yeux. Cependant, je savais fort bien que je devais me montrer comme son roc. Mes larmes, elles attendraient mon heure de repas où ce moment qu’elle ne serait plus devant moi, dans cette période de grande sensibilité, de vulnérabilité. @Isla MacLeod |
| | | | (#)Ven 18 Fév 2022 - 18:22 | |
| Les larmes coulaient toujours, comme une robinetterie défaillante que je ne pouvais désormais plus contrôler. Est-ce que c'était l'accumulation de toutes ces fois où j'aurais voulu prendre mes jambes à mon cou, partir en pleurant ? Sans aucun doute. J'ai toujours été quelqu'un de très fort, de très résiliant, de courageux. Comme un buffle... mais je suis épuisée, détruite, anéanti. Et j'en ai marre. Marre de me taire, marre de fermer les yeux sur ce qui est, et je n'en ai pas l'ombre d'un doute, la pire des situations à accepter. Je devais m'en défaire, régler ce dossier une bonne fois pour toute. J'étais assise dans le bureau de mon père, et je pleurais toutes les larmes de mon corps comme une pauvre gamine qui vient de vivre sa première rupture amoureuse... Malheureusement, on en était bien loin. Je n'étais plus une gamine, mais bien une femme. Une femme forte qui vivait toutefois une situation complètement hors de son contrôle. Aurais-je pu m'en rendre compte plus tôt ? Sans doute... Mais on dit partout, dans tous les spots publicitaires sur la violence conjugale, que les agresseurs sont des fins manipulateur, ils savent sur quel pied danser pour se faire pardonner... Et ça avait été ton cas si longtemps, mais ce n'est que maintenant que tu t'en rendais compte... J'avais une tête de cochon, malgré toutes mes belles qualités. Je ne voulais pas voir ce qui se passait sous mes yeux, me faisant à croire que c'était ok ou que c'était ce que je méritais au fond... Parce qu'il y a ça, aussi, les agresseurs sont tellement persuasifs, tellement bon pour te mettre dans la tête que tout ce qui arrive est de ta faute. Ils rabaissent sans remords, lèvent le poings quand bon leur semble et lorsqu'ils se sentent près du mur, ils viennent en rampant, la queue entre les jambes, comme un chien piteux... Je restais stoïque devant mon père qui essayait tant bien que de mal de me consoler, avec le peu que j'avais daigner lui raconter. Mes pensées tournaient à cent milles à l'heure, j'étais en train de mener une guerre invisible dans ma tête - et dans mon cœur.
« Je suis… tellement… tellement… désolé… ». Les dernière paroles de mon père me remis sur terre, me tirant de mon cauchemar éveillé. Je baissas les regards en reniflant. J'utilisa le dos de ma main pour venir sécher les larmes qui restaient encore sur mes joues. Je pris une grande inspiration avant de me racler la gorge. « Je suis désolée... Je suppose que ce n'est pas ce que tu avais en tête pour l'avenir de ta grande fille, hein... Tu dois être déçu... Comme on l'a tous été en 2018... C'est peut-être le retour du pendule... ». Je n'ai pas pu m'en empêcher, les mots sont sortis tout seul, sans que je ne puisse les filtrer correctement. Les larmes se remirent à couler alors que je relevas le regard vers cet homme, mon père, en qui j'avais autrefois tellement confiance... Avais-je été juste de mélanger nos deux histoires ? Elles n'ont absolument rien en commun... « Excuse-moi. Ça... Ça n'a rien à voir... Si tu savais à quel point j'aimerais remonter le temps... Avant tout ça. ». Silence. À nouveau. Je reniflas un peu trop bruyamment avant de jouer avec mes doigts comme je l'avais fait dans la salle d'attente quelques minutes plus tôt. « Si c'est trop difficile pour toi, on peut arrêter maintenant... Tu peux me référer à un collègue... Je... Je ne crois pas que c'était une bonne idée... » Je soupirs une énième fois depuis mon arrivée dans ce bureau. Je ne savais plus où j'en étais... Quand j'étais plus jeune, je voyais mon père comme mon preux chevalier, qui serait capable de défier n'importe quel dragons pour me sauver... Lui en demandais-je trop, aujourd'hui, de revêtir son armure, monter à cheval et se battre pour moi ? Après tout, je l'avais abandonner lorsqu'il avait probablement besoin le plus de moi...
Subtilement, je tendis la main vers la sienne et vint y glisser mes doigts entre les siens. Sans le regarder, je savais qu'il comprendrait les non-dits. « Il a dit des choses à ton sujet. Des choses horribles... Je lui ai tenu tête... Et il s'est venger... Je n'ai plus envie de souffrir parce que je tiens tête à quelqu'un qui ose parler d'un sujet qu'il ne connait pas. Il ne sait rien à ton sujet... Ça a été la goutte de trop. » Je tourne le visage pour regarder l'homme qui se trouve à mes côtés. Je lui offre un maigre sourire avant de venir instinctivement blottir ma tête contre son cou. Son odeur familière me fit un grand bien intérieur. C'est comme si, pendant une fraction de seconde, nous étions les mêmes qu'il y a quatre ans... J'aimerais dont que ça puisse être le cas... |
| | | | (#)Mer 23 Fév 2022 - 19:23 | |
| Je n’avais pas réfléchi quand j’avais choisi de couvrir l’erreur procédurale de Margaret. C’était l’amour, irrationnel, que je ressentais pour elle qui avait dicté mes actions. L’amour qui s’était mêlé d’une amère honte, tributaire d’une vulgaire virilité blessée par les mots acérés que mon épouse m’avait lancés au visage. Bien sûr que le questionnement sur ma masculinité était déjà présent bien avant que n’éclate la tornade dans notre couple. Je ne les avais jamais vraiment compris les allusions salaces qui faisaient pourtant rire certains de mes collègues.
Si j’avais réfléchi et pesé le poids de ma décision avant, je ne serais pas coincé dans un métier que j’aimais, mais qui était lentement et sûrement en train de me gruger par l’intérieur. Mon grade ne serait pas le dernier que j’occupais et cette conversation ne serait peut-être pas en train de se produire. Je m’en voulais d’avoir cédé, d’avoir protégé celle que j’aimais à l’époque. Parce qu’il ne restait que des cendres glacées de cet amour. Aucun espoir de retourner en arrière.
Et en voyant ma fille, assise là, dans mon bureau, avec des yeux marqués, des ecchymoses que je devinais sur une peau fragile, je réalisais que mon choix était l’illustration en un sens d’un effet papillon. Son écho s’était répercuté sur les deux vies, fragiles et jeunes, qui avaient découlé de vingt-trois ans d’amour. C’était fou ce que quatre ans d’ignorance pouvaient faire comme dommage.
Parce qu’en l’entendant comparer son histoire à la mienne, je retenais une envie de la secouer pour lui dire que ça n’avait rien d’un retour du pendule ou de quoi que ce soit dont elle devait se sentir responsable. C’était la faute d’une personne et d’une seule dans ma tête, et cette personne n’était pas dans la pièce. C’était la seule faute de l’ordure qui avait osé lever sa main sur ma fille. Oser s’en prendre à elle. Mais comment s’attaquer à ce monstre? Je n’avais jamais été doué pour m’adresser à une victime et c’était encore pire parce que j’avais avec ma fille tout un passif qui se voyait dans ces longs messages que je laissais, immanquablement avec la régularité d’une horloge suisse, trois soirs par semaine. Moi qui haïssais parler.
Ce qu’il fallait, c’était au moins de déconstruire un peu cette étrange confusion dans laquelle nous étions en ce moment. Je l’écoutais donc jusqu’au bout. Me dire que je pouvais demander à un collègue. Ses doigts s’étaient glissés dans mes mains et je les serrais doucement entre les miens. Revenir sur le fait qu’elle l’avait fait en un sens pour défendre mon honneur. Mon cœur de père se serrait dans ma poitrine. Jamais, jamais elle n’aurait dû avoir besoin de se défendre. Il y avait tant que je voulais dire dans cette tempête qui se passait dans ma tête. Et je n’arrivais pas à mettre mes idées dans l’ordre surtout pas avec ce bref regard, ce faible sourire et cette tête qui vient se blottir dans mon cou comme quand elle était une enfant et qu’elle avait besoin que je la rassure après un cauchemar. « Écoute-moi bien, ma grande. Je veux que tu saches que je ne suis pas déçu de toi. Je suis fier. Excessivement fier de ce que tu fais aujourd’hui. Comment ne pourrais-je pas être fier de toi, ma grande ? Tu viens chercher de l’aide pour t’en sortir avant qu’il ne soit trop tard. C’est le plus beau cadeau que tu peux te faire… et peut-être égoïstement, que tu peux me faire. »
Ma main se pose doucement sur sa joue et la remonte pour que je puisse la regarder dans les yeux. Des yeux qui ressemblent tant aux yeux de sa mère. Je n’ai jamais été très fort pour les soutenir les contacts avec les yeux des autres, mais les siens me calment. Et j’ai l’impression que c’est essentiel que l’on puisse se regarder pour ce que j’ai à dire par la suite. Parce que des excuses ne peuvent pas être dites dans des cheveux. « Je veux aussi que tu ne mélanges pas les histoires, Isla… Ce qui s’est passé entre… ta mère et moi n’est pas ce que tu traverses.» Je n’étais même pas certain, quatre ans après les faits d’être capable de bien expliquer ce qui s’était passé entre Margaret et moi. Mais ce que je savais, c’était que je vivais avec du regret depuis. Un tas de regrets. Mais le plus important, c’était cette relation de confiance qui avait été si longue à bâtir entre moi et elle. Relation qui avait volé en éclat d’un coup sec.
Et les mots déboulèrent presque naturellement. « Je suis tellement, mais tellement désolé. Je regrette tant ce qui s’est passé entre ta mère et moi. Comment ça s’est fini? J’y pense tous les jours. À toutes les fois que je franchis la porte du poste. » Parce qu’il y avait d’autres familles que la mienne qui avait souffert de cette erreur. Et j’y pensais à chaque anniversaire depuis presque quatre ans jour pour jour. « Et je regrette encore plus comment Alistair et toi vous vous êtes fait entraîner dans le sillage de nos erreurs, parce qu’il faut être deux pour qu’un mariage éclate… Je regrette comment l’affaire a dû être exposée dans les médias. Vous vous êtes retrouvés à souffrir dans une histoire d’adultes qui ne vous concerne pas vraiment au fond… » Bien sûr qu’en étant nos enfants, ils étaient concernés. Mais pas dans le sens auquel on pouvait s’y attendre. Et je voulais le rendre clair, limpide. « Dans notre divorce, ni ta mère ni moi n’avons su comment agir en adultes responsables. Nous vous avons perdu de vue. Je n’ai pas su vous protéger. Pas plus des médias que du reste. Et ça explique probablement ton silence et celui d’Al’. Et je t’expliquerais un jour pourquoi j’ai fait ce que j’ai fait. Et je l’expliquerais à ton frère aussi. » Parce qu’elles auraient besoin de venir ces explications. Elles étaient essentielles. Presque autant que cet aveu que je fis sur le fait que je savais qu’il y avait un lieu et un temps pour les faire. Et puis, de toute façon, je n’aurais pas vraiment su comment. « Mais ce n’est pas ce qui est important aujourd’hui. On ne peut pas effacer toute cette histoire. Mais on peut apprendre à avancer avec elle. ». Je passais doucement une main sur sa joue pour venir sécher du bout des doigts des larmes qui avaient roulé. Je rajoutais finalement : « Cependant, je crois que tu as raison. Je préférais que tu t’entretiennes avec un de mes collègues de l’unité des violences conjugales. Ce n’est pas que je te repousse ou que ça soit trop dur. Je peux être là… à tes côtés, comme un père, si tu as besoin de moi. C’est que ce collègue sera plus objectif que moi. » @Isla MacLeod |
| | | | (#)Lun 28 Fév 2022 - 0:15 | |
| Toujours assise la tête contre l'épaule de mon perd, mon regard se perdit dans le néant de mes pensées. J'avais craché toutes celles qui m'étaient passées par la tête lors des dernières phrases que j'avais prononcées. C'était décousu, déconstruit. Comme l'épave que j'étais devenu à force de me faire justice moi-même. Rien en moi ne pourrait survivre plus longtemps à des litres de vins, de comprimés pour trouver le sommeil et des gifles de mon excentrique petit-ami. Il fallait que ça cesse et c'était aujourd'hui, en ce lieu, que je revenais à bon port. Ou du moins, que j'entamais la remonter du fleuve vers un rivage plus tranquille... Mon père m'avait laissé parler sans me couper la parole, sans essayer de filtrer mes dires, de désamorcer quoi que ce soit. Il me laissa aller jusqu'au bout de mes pensées aussi disparates soit-elles.
« Écoute-moi bien, ma grande. Je veux que tu saches que je ne suis pas déçu de toi. Je suis fier. Excessivement fier de ce que tu fais aujourd’hui. Comment ne pourrais-je pas être fier de toi, ma grande ? Tu viens chercher de l’aide pour t’en sortir avant qu’il ne soit trop tard. C’est le plus beau cadeau que tu peux te faire… et peut-être égoïstement, que tu peux me faire. » J'entendais ses paroles sans pour autant les écouter réellement. J'étais encore dans la brume, les yeux perdus dans le brouillard qui recouvre le fleuve lors d'un matin humide. « Je veux aussi que tu ne mélanges pas les histoires, Isla… Ce qui s’est passé entre… ta mère et moi n’est pas ce que tu traverses. » Je haussas les épaules. Avais-je vraiment pensé une seule seconde que mon père pouvait être violent envers ma mère ? Cette idée ne m'avait jamais effleuré l'esprit. S'en suivit ensuite un très long discours sur tous les regrets qui pesaient sur les épaules de mon père. Je me surpris à laisser si soudainement ces souvenirs si simples et magiques se hisser un chemin dans mes pensées. Quand mes parents étaient encore en couple et « amoureux ». N'était-ce qu'une simple illusion ? À quel point la réalité de mes parents était différente de la mienne, de ce qu'ils avaient laissé voir ? C'est la voix de mon père qui me ramena doucement à la réalité. « Mais ce n’est pas ce qui est important aujourd’hui. On ne peut pas effacer toute cette histoire. Mais on peut apprendre à avancer avec elle. ». Ces paroles étaient si sages. Tellement que j'avais envie d'y croire. Envie de croire que même si mon monde s'était écroulé il y a quatre ans, il était possible d'avoir un happy ending tous ensembles... Il vint passer sa main contre ma joue pour effacer les larmes séchées. Je lui souris tendrement. C'est fou à quel point sa présence m'avait manqué. C'est lorsqu'on perd quelque chose qu'on se rend compte à quel point c'est important pour nous... Et ça se concrétise lorsqu'on fait une brèche dans l'absence en s'offrant un moment de répit. Muiredach conclu en me disant que je n'avais peut-être pas tort en disant qu'il serait plus judicieux que je fasses appel à un autre enquêteur. Qu'il y aurait probablement un conflit d'intérêt à un moment ou à un autre. Je hochas la tête en silence avant de venir perdre mon regard dans celui de mon père. « J'ai besoin de toi. Bien plus que je n'ai pu le laisser paraître. » dis-je en me concentrant de toutes mes forces pour ne pas recommencer à pleurer telle une marie madeleine. Je pris une grande inspiration en souriant timidement. « J'ai écouté tous tes messages... C'était hors de mes capacités de retourner tes appels. Je n'aurais pas su quoi te dire. Parler de la pluie et du beau temps après toutes ces questions qui sont restées sans réponses, je trouvais ça hypocrites. Je dois avouer t'avoir trouver hypocrite au début... Mais après, ta voix berçait les nuits où je n'arrivais pas à dormir. Je suis désolée de m'être montré si ingrate envers toi... » Je ferme les yeux pour éviter de laisser passer une larme. « On... on pourrait aller prendre un café ? Un de ces jours... Pas nécessairement obligé d'être tout de suite... Mais... Je pense que ça me ferait du bien... » J'avais toujours les doigts entre ceux de mon père. C'était comme un mirage, une vision. J'avais encore de la difficulté à croire tout ce qui venait de se passer depuis les dernières minutes. Et si nous étions sur le point de nous réconcilier ? Je devais être réaliste, je devais être sensée. On ne peut pas combler un manque de quatre ans en seulement quinze minutes et une invitation à aller prendre un café. Ça n'excusait en rien tout ce qui s'était produit, tous les non-dits, toutes les excuses et toutes les choses que ta mère avait dit à son sujet... Ce serait un petit pas vers une nouvelle réalité, je devrai prendre le temps de tout analyser et décortiquer... Une chose était sûr, on venait de franchir un pas, de faire un saut dans le vide vers une nouvelle réalité... Et je ne voulais pas laisser passer cette chance que la vie m'offrait... |
| | | | (#)Jeu 3 Mar 2022 - 4:22 | |
| Il avait trop parlé. Plus qu’à son habitude. Il n’avait jamais réellement été un moulin à paroles d’aussi longtemps qu’Isla se le rappelait. Avec l’orage qui faisait rage dans le plus creux de sa tête, la fille n’était pas nécessairement en mesure de comprendre le regret que son père avait tenté de mettre en mots. Elle ressentait vaguement cette tonne de non-dits. Sa tête était comme une grande toile d’artiste contemporain qui donnait dans l’abstrait : les pensées et les époques se mélangeaient allégrement. Ce qui l’amenait au poste se mélangeait à l’histoire de ces lieux et à un passif familial qui allait des journées où elle était rapidement revenue avec son père cherché des papiers oubliés dans sa mallette (parce qu’il rapportait parfois du boulot à la maison) jusqu’à cette explosion qui avait eu lieu ici. C’était peut-être logique au fond que ces retrouvailles douces-amères se déroulent dans ce terrain si familier.
Il semblait presque à sa place dans son complet de milieu de gamme (ni bon marché ni le grand luxe). Le regard de l’enfant qui le détailla montra qu’il avait un peu vieilli, mais sans changer réellement. Si des sillons avaient doucement taillé leur place sur son visage, il avait toujours la même odeur que lorsqu’elle était enfant : un mélange du même après-rasage depuis plus de 25 ans (du moins à son souvenir) et d’une vague odeur de café froid. Mais bon, qui était-elle pour lui reprocher d’avoir vieilli? Sans doute était-il en train de se dire la même chose? Cette pensée accompagna le doux geste que le père eut. Un frôlement léger sur sa joue qui fit naître un doux sourire. Elle le savait présent dans cet instant, comme il l’avait toujours été. Et pourtant… pourtant, sa présence, elle la redécouvrait comme si elle ne l’avait jamais senti.
C’était quand même fou ce que l’absence de l’autre pouvait faire comme dommage. Parce qu’elle ne l’avait pas nécessairement réalisé avant que leurs chemins viennent à se recroiser de cette manière. Deux univers qui entraient en collision et qui saccageaient tout sur leur passage. C’était l’instinct alimenté par un torrent de larmes retenu par un barrage de fierté (probablement un trait de ce père qui avait une fâcheuse tendance à faire comme si rien ne l’atteignait) qui guida des mots hors de sa bouche. Une admission qui avait presque l’allure d’une ouverture de boîte de Pandore. « J’ai besoin de toi. Bien plus que je n’ai pu le laisser paraître. » Et il lui sembla qu’elle vit un petit éclair de joie pétiller au fond des yeux de son père, quelque part dans toute la tendresse qu’elle ressentait dans son immobilité, dans la main qui tremblait presque sur sa joue alors qu’il avait toujours eu de la difficulté à les exprimer ses émotions.
Il lui fallait souvent du temps pour admettre que les choses clochaient dans son univers de routine. Les quatre dernières années avaient été d’un complexe sans nom. Elle le sentait qu’il repartait de loin, ce qui ne l’empêcha pas d’ouvrir la porte sur ce qui avait vaguement entretenu leur lien : trois messages par semaine, toujours à la même heure, toujours au même moment. Elle les mentionna brièvement. Elle le vit déglutir lentement comme pour absorber le fait qu’elle l’avait trouvé hypocrite au début. Il baissa les yeux : « Je ne t’en veux pas de m’avoir trouvé hypocrite. C’est tellement complexe ce qui s’est passé entre ta mère et moi. Mais j’ai encore besoin de temps avant d’en parler avec toi. Alors parler de la pluie et du beau temps, ou de ce roman que j’étais en train de lire, ou du cadeau que je t’ai envoyé pour ta fête ou pour Noël… c’était ma manière peut-être un peu maladroite de te montrer que j’étais toujours là. Si tu avais besoin de moi. » Elle ne put s’empêcher de remarquer la voix qui tremblotait doucement sous le poids de l’émotion, une émotion qu’il n’aurait sans doute pas été capable d’identifier, une espèce de mélange de culpabilité, de tristesse et d’un amour inconditionnel. Elle savait qu’il lui pardonnerait au fond.
C’était peut-être pour cette raison qu’elle ouvrit une porte, porte dans laquelle il fonça tout grand. Le premier vrai sourire honnête apparu sur ce visage austère qu’elle détaillait encore. Elle le sentit doucement serrer un peu plus fort ses doigts. Le sourire de ses lèvres se répercutait dans ses mots. « Je ferais tout ce que tu veux si tu me laisses entrer à nouveau dans ta vie. J’attends depuis si longtemps que tu sois prête à me laisser une toute petite place. Alors si ça te fait du bien… ça ne pourrait pas non plus me nuire. Al et toi, vous me manquez terriblement. » Il lui vint en tête que pendant un bref instant, son père avait l’air d’un enfant qui ouvrait ses cadeaux le soir de Noël.
Elle le vit inspirer pendant un petit moment comme pour se calmer d’une grande joie qui semblait presque obscène dans cette dure réalité de sa plainte. « Veux-tu que j’aille chercher une collègue… et qu’on en parle après? » demanda-t-il d’une voix douce en déposant un léger baiser sur son front, comme il l’avait si souvent fait quand elle était enfant. @Isla MacLeod |
| | | | (#)Sam 5 Mar 2022 - 19:01 | |
| Le but premier de ma visite en ces lieux était de porter plainte contre mon petit-copain, mon agresseur. Ça m'avait pris des semaines, voir même des mois avant d'oser envisager la possibilité que j'étais bel et bien dans une relation toxique de violence conjugale. Même si ça pouvait sembler évident pour les personnes qui m'entouraient à qui je mentais à tort et à travers ou pour les urgentistes qui avaient pris soin de moi à mes visite à l'hôpital, pour moi ce ne l'était pas encore. Il avait fallu que j'attende jusqu'au dernier moment pour m'en rendre compte. Pour accepter l'inacceptable et faire un geste qui changerait la donne. Je m'étais alors rendu dans ce poste de police de quartier en ayant certes une petite idée que mon père pourrait être là, mais sans plus me faire d'attente ou de fausse crainte. Je n'avais qu'un but en tête et c'était d'enfin améliorer mon sort et pouvoir reprendre une vie on ne peut plus normale.
Évidemment que j'avais été surprise lorsque mon père s'était présenté devant moi comme étant l'enquêteur qui prendrait en charge ma déposition. J'étais encore secouée des évènements de l'avant-veille, si bien qu'au début je n'avais pas trop laissé paraître mon inconfort et mon malaise à tout révéler à mon paternel, mais au fil des échanges, la conversation pris une tangente bien différente. Ce qui se voulait être complètement impersonnel et professionnel devint un moment tendre, à cœur ouvert où l'on ne manqua pas, chacun notre tour, de mentionner nos regrets, nos questionnements et nos remords. Après une bonne vingtaine de minutes à échanger, je demanda à voir un autre enquêteur. Me rendant bien compte que mon père n'était pas nécessairement la meilleure personne pour prendre ma déposition. Il ne pouvait certainement pas être complètement détaché et impartial. Je voulais éviter que l'on ne souffre encore trop tous les deux dans cette nouvelle histoire qui faisait malheureusement remonter tous les souvenirs de l'époque du divorce de mes parents. J'avouai finalement à mon père que j'avais besoin de lui dans ma vie, et ce beaucoup plus que ce que je ne laissais paraître. « Je ne t’en veux pas de m’avoir trouvé hypocrite. C’est tellement complexe ce qui s’est passé entre ta mère et moi. Mais j’ai encore besoin de temps avant d’en parler avec toi. Alors parler de la pluie et du beau temps, ou de ce roman que j’étais en train de lire, ou du cadeau que je t’ai envoyé pour ta fête ou pour Noël… c’était ma manière peut-être un peu maladroite de te montrer que j’étais toujours là. Si tu avais besoin de moi. » Je dus me retenir encore une fois pour ne pas fondre en larmes et en reniflement. Je pinça mes lèvres un court moment avant de prendre la parole. « Tu sais, j'y repense souvent et je regrette de ne pas avoir décroché le téléphone pour t'entendre me parler de vive voix. Je regrette de ne pas avoir cherché à plus comprendre, à en savoir plus sur les raisons du divorce... J'étais jeune, à l'époque et probablement que j'étais trop absorbée par mes études ou ma vie sociale... Mais je regrette de ne pas avoir fait l'effort de savoir ta vraie version des faits ou celle de maman... Je me dis que si j'avais agi différemment au lieu de juste t'ignorer et te rayer de ma vie, nous n'en serions pas là aujourd'hui. Peut-être que je serais devenue chirurgienne, que nous habiterions ensemble les trois, avec Al. Je n'aurais certainement pas rencontré mon copain actuel ou si oui, tu ne m'aurais pas laissé m'enfoncer si loin dans cette relation toxique... Et je sais que je vais devoir vivre avec ce regret encore très longtemps... Parce qu'on ne peut pas revenir en arrière, on ne peut pas remonter le temps... On doit juste se pardonner mutuellement et accepter les choses telles qu'elles le sont devenues. » Je pris une grande inspiration en regardant mon père, cette homme qui pouvait sembler si imperturbable, et lui fit un faible sourire. Je proposa ensuite qu'on aille prendre un café, un de ces jours. « Je ferais tout ce que tu veux si tu me laisses entrer à nouveau dans ta vie. J’attends depuis si longtemps que tu sois prête à me laisser une toute petite place. Alors si ça te fait du bien… ça ne pourrait pas non plus me nuire. Al et toi, vous me manquez terriblement. » Je pouvais facilement m'imaginer que ça devait être difficile également pour lui d'être éloigné de nous deux. Après tout, on était ses enfants, sa chaire... Il avait autant le droit de nous voir que notre mère... Et pourtant les choses avaient été autrement faites, autrement dites, si bien que nous avons choisi le clan de notre mère... Sans non plus se douter que cette dernière deviendrait une croqueuse d'homme, accumulant les conquêtes et les histoires plus ou moins sérieuses... Je fis un sourire à mon père, voir tout l'espoir dans ses yeux faisait beau à voir. Et si c'était le début d'un nouveau chapitre pour nous ?
« Veux-tu que j’aille chercher une collègue… et qu’on en parle après? » Dit-il en déposant un baiser sur le haut de mon front comme il l'avait fait si souvent lorsque j'étais plus jeune. Je hocha la tête pour lui signaler mon accord et le laissa quitter son bureau un bref instant... |
| | | | (#)Mer 9 Mar 2022 - 3:23 | |
| Ce que je réalisais à cet instant précis, en détaillant le visage de ma fille, chose que je faisais trop peu (même quand j’avais l’occasion de la voir plus souvent), c’était à quel point le divorce l’avait autant atteinte qu’il l’avait fait pour moi. Tous deux, nous étions en mesure de nous épandre sur nos regrets, sur ces appels qui n’avaient peut-être pas été assez acharnés de ma part, sur ces mêmes appels qui avaient été sans réponse de sa part, sur ce manque de clarté sur mes agissements et sur ces questions qu’elle n’avait pas encore osé poser pour sa part, sur ma routine qui avait suivi son cours, sur ses études qui ne semblaient pas avoir été terminées. Mais cette question-là, de ce qu’elle ferait de sa vie, me semblait si ridicule.
Se nourrir de regrets, ça ne nous aidait pas. Nous composions avec un lourd historique. Avec une relation qui ne se rebâtirait pas nécessairement en un seul coup. La confiance était quelque chose de fragile et elle avait été rudement éprouvée : parce qu’il y avait les mensonges que l’on m’avait attribués avec le temps, ceux qui étaient réels, ceux qui étaient factices, parce qu’il y avait des cœurs qui avaient souffert de l’absence, du silence et de la colère. Il y avait ces explications qui restaient aujourd’hui en suspens, quelque part dans l’air. Elles viendraient en temps et en heure. Mais pour l’instant, je ne perdais de vue ni l’objectif de cette visite au poste qui était difficile (tant pour elle que pour moi) ni ma propre objectivité qui ne serait pas de mise dans cette rencontre si j’étais le policier qui se chargeait de prendre la plainte de ma fille en note.
Rompre le doux contact physique (rassurant) entre ma fille et moi était en lui-même un peu effrayant. Mais c’était nécessaire après qu’elle ait autoriser d’un simple hochement de tête que je me sépare d’elle pour aller chercher quelqu’un qui serait plus approprié que moi pour la prendre. Quelqu’un dont l’émotivité (parce que contrairement à la croyance populaire, j’en avais une) ne prendrait pas toute la place. Quelqu’un qui serait capable de garder la tête froide et d’accueillir les menus détails de ce qui s’était passé pour laisser sa peau bleuie, qui ne tremblerait pas de colère en sortant l’appareil photo pour doucement consigner comme des preuves les marques qui avaient été laissées sur son corps. Un processus dur, qui prendrait quelques heures et auquel je n’avais pas nécessairement le courage d’assister. C’était à elle de déposer sa plainte et elle me raconterait son histoire quand le temps serait là. Parce que toute famille a ses petits secrets sous le tapis.
Ça ne changeait pas que les pas qui me séparaient de l’unité de la violence conjugale me semblaient particulièrement pénibles quand je fis le trajet seul. Je déposais doucement ma main sur le dossier d’une inspectrice, choisissant volontairement une femme, pour lui demander d’une voix autant éteinte que douce si elle avait le temps de prendre une plainte que je ne pouvais pas prendre, parce que la victime était ma fille. Elle hocha la tête et se prépara à prendre la plainte. Je refis la marche à sens contraire sous la lumière blanche des néons du poste qui me donnaient mal à la tête ou c’était simplement la réalisation de ce qui s’était passé, de cette improbable rencontre. Je pris une nouvelle inspiration avant de repousser la porte de mon bureau. « Viens, ma grande. Je vais t’amener dans le bureau de l’inspectrice Smith. Si jamais tu veux repasser après, je serais juste ici. » Dis-je en pointant mon bureau. J’allais travailler… probablement. Ou du moins, me faire savamment croire que j’étais pour le faire.
Je refis le même trajet que je venais de faire, la trentaine de pas avec ma fille qui suivait à quelques pas derrière moi. Arrivé avec elle sur le pas de la porte de ma collègue, je me tournais vers ma fille. « Je suis si fier de toi. Et je serais là… j’attendrais ton appel. Prenez bien soin d’elle, d’accord, Smith? » dis-je avant de m’éloigner après avoir vérifié qu’elle la suivait bien et que la porte du bureau se soit fermée. @Isla MacLeod |
| | | | (#)Dim 13 Mar 2022 - 1:47 | |
| Il y a tellement de choses que j'aurais voulu dire ou souhaité faire. Tellement de moments où j'aurais agi différemment pour essayer de minimiser les incidences de mes actes. C'est toujours lorsque l'on est confronté aux conséquences qu'on se rend compte d'à quel point on aurait désiré pouvoir remonter le temps et changer les choses. Malheureusement, la vie n'est pas faite ainsi et le mieux que l'on puisse faire c'est d'apprendre à vivre avec les répercussions de nos faits et gestes. À quoi bon se faire justice soi-même, s'en vouloir pour l'éternité et risquer de passer à côté d'autres évènements heureux que l'on aurait pu vivre si on ne s'était pas voilées la face avec les erreurs du passé ? Je connais tous ces principes qui disent de ne pas vivre dans le passé. Que celui-ci appartient au passé et qu'il vaut mieux se concentrer sur le présent pour savoir mieux bâtir notre futur... Mais ce sont des foutaises tellement plus belles en mots, tellement moins facile à appliquer dans la vie de tous les jours. J'étais toutefois un peu plus en paix avec moi-même et les évènements en constatant que mon père avait autant, si ce n'est pas plus de regrets que moi. Et quand bien même on en aurait parlé pendant encore des heures, ça ne changerait rien : les choses étaient faites et on devait vivre avec nos choix. Tout ce que l'on pouvait désormais faire, c'est adoucir les contrecoups et réapprendre à se connaitre, à s'apprivoiser...
Devant mes yeux, mon père s'éloigna de moi. Probablement parti chercher ou aviser l'une de ses consœurs de mon arrivée. Les dernières minutes avaient soulagé mon cœur de petite fille, mais je savais que le plus difficile restait à faire. Et l'enquêteur Muiredach, bien que très qualifié, n'était certes pas la bonne personne pour prendre en charge mon dossier. Il n'était pas impartial, il était en conflit d'intérêt à deux-cent mille à l'heure... Qui plus est, avec ces antécédents... Valait mieux que quelqu'un d'autre s'occupe de mon cas. Mon cas ? En étais-je officiellement devenu un, aux yeux de la loi ? Je voulais porter plainte pour violence conjugale... J'étais la victime dans tout ça, et aussi amer ça laissait comme goût au fond de ma gorge, je devais assumer les faits, l'étiquette que je ferais porter à ce champion qui aura ôsé m'agresser. Après quelques instants, il entrouvrit la porte et je me leva aussitôt. « Viens, ma grande. Je vais t’amener dans le bureau de l’inspectrice Smith. Si jamais tu veux repasser après, je serais juste ici. » Je lui souris timidement en hochant la tête. Je le suis dans ce qui me paru être le couloir de la mort. Parce que oui, c'est comme si je courais vers ma mort imminante... Du moins, c'est ce que j'avais l'impression de ressentir sur mes épaules. Le poids de la mort qui me guêtait à chacun de mes faits et gestes, et ce depuis trop longtemps maintenant. Arrivés devant le bureau d'une enquêteuse, mon père s'adressa à moi une dernière fois. « Je suis si fier de toi. Et je serais là… j’attendrais ton appel. (...) Prenez bien soin d’elle, d’accord, Smith? » - « Merci. » dis-je faiblement en lui offrant un dernier sourire. L'enquêteure Smith me fit entrer dans son bureau. Et ce fut le commencement d'un nouveau chapitre pour moi. |
| | | | | | | | when my world collapses, you’re always there. (muiredach) |
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