Heureusement que je ne trouve de toute façon jamais le sommeil, parce que River aurait pu s’énerver longtemps contre la porte sans que je ne daigne jamais lui ouvrir si jamais elle m’avait réveillée. Au moins, ce n’est pas le cas. Au moins, elle ne réveille pas non plus Sloan avec tout son vacarme. Et pour cause, le garçon est toujours à un millier de kilomètres de là, chouchouté sous le ciel de Sydney par une mère à qui il manquait sans doute terriblement. Cela ne m’empêche pas d’attendre son retour avec grande hâte, mon bilan de santé s’améliorant de jour en jour - il a intérêt, putain. Je ne compte pas marcher avec difficulté ni même avoir à observer se refermer ma plaie à l’abdomen jusqu’à la fin de mes jours. J’ai des projets à mener à bout, des besoins à réaliser ; et rien de tout ceci n’inclut moindrement l’existence d’un corps fatigué et abîmé. J’ai besoin de toutes mes capacités physiques, tout comme j’ai besoin de retrouver un monde qui me correspond, bien souvent accompagné par un homme ou un autre lorsque le besoin s’en fait ressentir. Celle qui frappe à la porte n’a pourtant rien de semblable avec ce genre de présence charnelle, c’est un fait. J'ai une question pour toi. Je passe mes doigts de part et d’autre de la racine de mon nez, fermant brièvement les paupières alors que tout dans cette situation me fait déjà sentir les problèmes à venir. Oh, ce n’est pas comme si sa présence était véritablement une surprise, à en juger par la simple photo anonyme s’étant retrouvée sur mon compte Instagram. Personne ne fera jamais le rapprochement avec un homme dont le public ignore ma relation (passée), mais River a un angle de vue bien différent sur la question. En plus de savoir que je connais plutôt bien son frère, elle est aussi la mieux placée pour reconnaître son allure entre mille, avec tous les détails que d’autres jugeraient insignifiants sur cette photo: le verre d’alcool, la cravate, les rideaux, le fauteuil. La posture, l’ombre du visage. Ce n’est pas une de mes meilleures photos, bien loin de là. Elle ne représente sans doute qu’un instant de vie, le genre que je ne suis pas assez con pour vouloir dévoiler au grand public - pour le moment encore, du moins.

“Bonjour à toi aussi, Shears.” Mes doigts sont tâchés de l’encre que j’utiliser pour dessiner les nouveaux vêtements qui habilleront les modèles de Weatherton lors de la parution de la collaboration que je mène avec James. Il détestera les idées que j’ai eues cette nuit, je le sais, mais je ne pouvais pas prendre le risque de ne jamais les lui montrer. Je ne pouvais pas garder pour moi une envie de décider alors que la passion revient fébrilement. “Tu veux ma peau ou celle de ma femme, aujourd’hui ?” Elle a une question et j’attends, la sachant assez obstinée pour camper devant chez moi si jamais j’ose l’éconduire. Si ce n’est qu’une question, et puisque j’en devine déjà le sujet, alors cela ne m’engage à rien et me coûte tout aussi peu. J’omets volontiers de préciser l’existence de mon fils, ne voulant pas lui donner trop d’idées quand bien même il est lui aussi visible sur mes réseaux sociaux, à raison de quelques clichés pudiques. Sloan est ma plus grande fierté, celle que je garde jalousement aussi. Je dévisage rapidement sa tenue, ne comprenant rien à ses cheveux mouillés et aux baskets alliées à sa robe. Peu m’importe, au final, ce n’est pas comme si son sort m’intéressait réellement.

Si elle ne pose pas ses questions en premier, alors je m’en occupe seul, n’ayant aucun mal à imaginer la raison de sa venue, peu importe qu’elle soit aujourd’hui remontée contre Ginny ou moi-même. Je ne l’imagine au courant de rien en ce qui concerne ma vie privée, raison pour laquelle l’hypothèse que ma femme puisse l’intéresse reste encore plausible - sinon, je l’aurais rayé de la liste des possibilités et me serait contenté de ne pas aborder le sujet. “Non.” Généralement, lorsque la question se compose d’une réponse à choix multiple ne proposant que deux entrées, personne n’est supposé sortir du droit chemin. Venant de River, pourtant, je ne devrais pas être étonné, raison pour laquelle je ne prends pas même la peine de montrer tout l’agacement qu’elle laisse déjà monter en moi. Au fond, je connais très bien la raison de sa visite, mais j’aurais préféré qu’elle le fasse à un moment où j’aurais eu de quoi me montrer avec une meilleure forme. Apparemment, je ne suis pas en droit de choisir l’heure et l’endroit de mes batailles, malheureusement. Qui sème le vent récolte la tempête, une connerie dans le genre, n’est-ce pas?

“Elle date de quand la photo ?” Bien sûr que c’est de cette photo dont elle allait vouloir me parler ; quoi d’autre ? Le sujet m’amuse déjà presque autant que le fait qu’elle ait fait tout ce chemin pour venir me poser la question en face alors qu’il aurait été simple pour elle de trouver mon numéro de téléphone. “Quelle photo ?” Je demande en retour, ne faisant pas le moindre effort pour rendre mon jeu d’acteur crédible. Je ne cherche pas à ce qu’elle me croit, je me contente bien volontiers de m’amuser avec sa patience. Après tout, j’ai posté des milliers de photos sur Instagram, comment pourrais-je deviner laquelle attire aujourd’hui son attention? Feindre l’innocence est bien plus amusant encore que de foncer tête baissée, raison pour laquelle je ne sais qu’esquisser un sourire sincère, lequel n’a rien de joyeux mais tout de moqueur. River, éternelle défenseure de son frère. Matthew, éternel petit guerrier qu’il faut protéger de l’Ennemi. “Tu vois encore Matthew ?” N’avait-elle pas dit qu’elle ne demanderait qu’une seule question ? Elle dresse elle-même les règles de notre entrevue et est la première à les enfreindre, voilà qui est tout de même cocasse, non ? “Choisis.” Je demande et, surtout, j’ordonne sans détour. Mes yeux se fondent dans les siens sans haine, ma voix est simplement claire et assurée. J’ai renoncé à mon sourire pour une courte période, j’espère qu’elle saura au moins apprécier mes efforts à leur juste valeur. “Tu as dit que tu avais une question. Choisis la et j’y répondrai sincèrement.” Elle doit donc décider si elle préfère avoir une réponse factuelle, statuant si oui ou non je vois encore son frère, ou une temporelle, actant le quand. La seconde lui fera comprendre si oui ou non notre histoire est encore à conjuguer au présent alors que la première pourrait finalement amener plus de questions que de réponses, selon la date que je pourrais lui donner. Et de mon côté, à la différence de River, je me plierai sans sourciller aux règles que j’érige, me délectant déjà de ce nouveau jeu improvisé dans lequel je n’ai aucun moyen de perdre. Après tout, leurs histoires de famille ne me regardent pas, peu importe leur teneur.

ashes on the fire
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Comment obtenir un sourire de la part d'Auden ? Un peu de détresse, beaucoup d'émotions et un soupçon d'incertitudes. Lui laisser les rennes et voir ce que ça donne : sourire carnassier garanti et troubles au ventre en bonus. River soupire déjà. Indécise quant à se réjouir de le voir se vivifier un peu ou s'agacer de le voir justement se vivifier et donc être un peu trop à l'aise. Son sarcasme, sa question ouverte, River balaie tout avec précipitation, proposant presque une trêve en n'exigeant qu'une question, trêve finalement artificielle puisque depuis leur dernière entrevue ils ne se sont jamais recroisés. On ne fait rien de bon avec la précipitation. Elle n'en a rien fait de bon du moins, Auden sans surprise lui s'en délecte, compte bien prendre tout les mots de la journaliste pour argent comptant afin de pouvoir se cacher derrière et les retourner contre elle aussi. La brune ne sait plus comment considérer l'injonction d'Auden : une manière de s'amuser, une envie d'imposer des limites, un… geste ? Rien ne l'obligeait à ouvrir la porte, rien ne l'oblige à rester là à l'écouter non plus et encore moins à lui répondre, en fait c'est tout l'inverse.
La mâchoire de River qui s'était resserrée en quelques secondes finit par se relâcher doucement. Elle avait été plus fine par le passé. Moins tête brûlée, plus dans la mesure, la réflexion, l'observation. Et ses ressentis présents lui rappelaient un peu trop ce qui l'avait menée sur une pente glissante près de deux ans auparavant, à quoi bon recommencer ? Tu sais quoi... pourquoi se tourner une fois de plus vers Auden ? Pourquoi outrepasser encore l'intimité de son frère sans le faire directement avec ce dernier ? Matthew la mettrait sans doute face à ses propres incohérences et dans ce cas là ce serait simplement un point partout et balle au centre. Peux-tu me promettre de ne jamais utiliser ou même répéter ce que mon frère t'as dit ? si la réponse était positive, qu'importe qu'ils se fréquentent encore ? Auden n'a aucune raison voire même tout l'inverse de faire une fleur à River en s'éloignant de Matthew et commencer par accepter cet état de fait constitue peut-être déjà un bon moyen de s'écarter de la pente.
Est-ce l'air fatigué du peintre qui la pousse à croire en sa parole ? La journaliste n'en sait rien, il semble juste qu'entre leur dernière entrevue et aujourd'hui, tout deux ont fait du chemin. Elle compte sur ce chemin parcouru pour que la situation ne soit pas une simple redite de la fois précédente.  

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Spoiler:

Le jeu m’amuse déjà beaucoup. River faisant tout ce chemin pour obtenir des réponses que je n’ai aucune envie de lui donner, elle qui se plie en quatre pour essayer de me comprendre et surtout de me plier comme elle le souhaite. Elle peut essayer, ça oui, mais je doute qu’elle y arrive. Elle n’a pas les clés de ma personne, pas même la notice, et même son frère n’est pas davantage doué dans ce domaine là. Il s’en sort mieux simplement parce qu’il est un homme et qu’il a une belle gueule, en plus de ne pas être totalement ennuyeux. Pour elle, les choses commencent mal dès le départ: elle est une femme. Le reste m’importe peu. Mon sourire dénote de tout le sérieux qu’elle apporte à la scène alors qu’elle m’accable de deux questions, ma seule réponse étant en réalité une demande: elle n’aura le droit qu’à une réponse, pour une seule de ses questions. Au moins, je lui laisse l’opportunité de choisir, grand Homme que je suis;

Tu sais quoi... Non, mais je sens que la suite sera bien plus croustillante que le début de cette conversation a pu être. Plus vivant. Plus mordant, peut-être ? L’image de la sœur venant défendre l’honneur de son grand garçon de frère m’amuse, sans doute aussi qu’elle pourrait me toucher, au fond. Dire qu’elle aurait tout simplement pu demander à Matthew en premier lieu, il aurait été bien plus enclin que moi à lui donner des réponses, malgré l’aspect très intrusif de ses questions. Il a toujours été naïf, de toute façon, mais ce n’est pas le pire trait de caractère qui soit. Beaucoup sont naïfs ; les autres sont bien moins plaisants à l'œil. Peux-tu me promettre de ne jamais utiliser ou même répéter ce que mon frère t'as dit ? Elle change ses deux questions initiales pour une troisième, plus raisonnée. J’apprécie son courage, j’apprécie aussi qu’elle semble jouer le jeu et faire l’effort d’obtenir la réponse la plus complète possible en ayant si peu à sa disposition. Pour autant, je ne sais toujours pas si j’ai envie de jouer dans les règles. Après tout, elle est ma seule distraction au milieu de mois entiers de convalescence, lesquels je débute à peine. Matthew aussi est une distraction à part entière, dans un autre genre. “Pourquoi est-ce que je ferais ça, River ?” Le promettre, ou bien répéter ce que son frère m’a partagé sur l’oreiller ? Je laisse le doute planer, je la laisse s’accrocher à cet espoir vain. C’est comme écraser un insecte partiellement et le regarder crever et agoniser sous ses yeux. “Tu sais que c’est vraiment pas sain, cette envie de t’immiscer dans la vie privée de ton frère ?” Je lance des sous-entendus à la pelle, uniquement parce que ça m’amuse. Les secrets de Matthew sont saufs avec moi, je n’ai rien à gagner à les faire fuiter et, surtout, je n’en ai pas la moindre envie. Mener River en bateau, cependant, est un jeu bien plus agréable et empli de possibles rebondissements. Elle est pleine de ressources, je n’en doute pas. “Il est un grand garçon, majeur et vacciné.” Il choisit ses fréquentations, il choisit où il passe ses nuits, et il choisit à qui il se confie. Je n’ai jamais cherché à recueillir ses confessions et n’ai jamais rien fait en ce sens, alors si conséquences il y a ce n’est en rien ma faute. On m’a propulsé au milieu du bordel Shears sans que je ne l’ai demandé. “Même par pitié je te dirais pas ce qu’il se passe là dedans.” J’avoue enfin, bien plus froid désormais, mon index collé contre ma tempe. “Tu as perdu ce droit le jour où tu t’es en prise à Ginny.” Et même si cette dernière ne fait plus partie de ma vie, je suis toujours aussi peu capable de pardonner autant que de l’oublier.

Spoiler:

ashes on the fire
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Elle n'envisage pas qu'il puisse la questionner sur les raisons qui le pousserait à révéler les confessions de Matthew. Auden a déjà joué cette carte auparavant, rien n'est surprenant alors quant au fait qu'elle puisse l'imaginer recommencer et passer à l'acte cette fois. Aussi, River interprète sa question comme un refus de coopérer. Parce que tu as un minimum de décence ? Sifflerait-elle volontiers, bien qu'elle soit mal placée pour jouer sur ce terrain là. Est-ce ses fréquentations qui la poussent à croire que menacer les f"emmes de" est moins indigne que de jouer avec les traumatismes d'agressions sexuelles infantiles ? Ou juste la subjectivité liée à l'amour d'une sœur pour son frère ? Elle ne quitte pas Auden des yeux un seul instant, comme si en le fixant suffisamment longtemps pourrait aléatoirement finir par lui faire mal physiquement. Ce qui l'agace particulièrement, c'est le plaisir qu'Auden a l'air de prendre en tournant autour du pot, s'amusant à réduire la requête de River à de la simple curiosité. Tu n'es pas bête. Claque-t-elle plus vite qu'elle ne l'a pensé. Tu sais pertinemment qu'il ne s'agit pas de vie privée Auden, je ne cherche pas à connaître ses positions préférées ou la régularité de vos rendez-vous. Elle a certes posé les mauvaises questions en arrivant, mais a joué cartes sur table en se ravisant. Elle a accepté les condition du peintre, qu'importe si l'initiative de celui-ci était bonne ou mauvaise, la brunette avait parié sur le meilleur à défaut de tourner les talons bredouille. Mais Auden semblait avoir du temps devant lui. C'était réciproque, mais elle ne comptait pas pour autant le dépenser en bavassant sur le pallier sans faire la moindre avancée. L'envie de lui annoncer qu'à ce compte là il ferait bien de l'inviter au moins à boire un verre d'eau histoire d'officialiser le temps passé face à face -et d'assumer l'aspect divertissant de celui-ci- lui traversa l'esprit mais bien sûr elle n'en fit rien, tentant d'éviter de jouer à qui mieux mieux.
Soupir.
Savoir ce à quoi il pense n'est pas tant le sujet, le reste en revanche... touché. A-t-elle honte ? Disons que c'était pas fameux, il y a clairement de quoi la tenir en distance, refuser de coopérer d'une manière ou d'une autre, ressortir l'affaire est légitime d'ailleurs si cela pouvait la faire rougir ou la remettre à sa place. Les joues de River ne s'empourprent peut-être pas, mais son regard se fige instantanément. Comptait-elle réellement s'en prendre à la femme d'Auden à l'époque ? Elle l'avait pensé le plus sérieusement du monde mais l'avait-elle sincèrement envisagé ? Avait-ce été autre chose qu'un moyen de pression, du bluffe enseigné à son insu par le paternel Shears qui regrettait depuis toujours le peu de lui qu'il avait donné à sa fille sans se rendre compte qu'elle marchait inconsciemment dans ses pas mais vers la route qu'elle s'était dessinée elle-même, jusqu'à ce que cette même route ne devienne aléatoire : dessinée par la RNG de la vie de River au fur et à mesure de ses prises de positions toutes de plus en plus bancales au fil des jours. Ca aurait été ironique si elle en avait été arrivée à utiliser les mêmes stratagèmes qu'elle avait subit des années durant pour effrayer Ginny et décourager Auden de poursuivre dans ses idioties concernant Matthew.
Putain de famille, faut toujours aller nettoyer derrière eux ?
River se laisse à peine tomber dans l'encadrement de la porte, dans le sens opposé à celui d'Auden, la tête reposée, le cou bientôt tordu, son regard ne se baladant plus nulle part. Je comprends... Dit-elle seulement, déjà las. Elle pouffe en s'imaginant être réellement passée à l'action. Et puis quoi ? Tu vas me faire croire que je t'ai inquiété ? Son réflexe n'avait-il pas été de la coincer contre le mur, prêt à l'étouffer de son bras emplâtré ? Ahh... Les paroles, l'idée, suffisaient sans doute à perdre son estime, c'est ce qu'il dirait sans doute. Elle aurait dût trouver une autre solution, quelque chose de plus noble, blablabla. Ou que je ne t'ai pas assez inquiété justement ? Sur ces mots ses yeux bleus se redirigent sur Auden.

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Spoiler:

“Tu n'es pas bête.” Non, en effet, même si le laisser croire à autrui est un véritable jeu à lui seul, et un des plus plaisants qui plus est. Je me moque de l’image que je renvoie en ce qui concerne ma personnalité: seul mon art importe. “Tu sais pertinemment qu'il ne s'agit pas de vie privée Auden, je ne cherche pas à connaître ses positions préférées ou la régularité de vos rendez-vous.” Vraiment ? Je commence à en douter, à en juger par sa venue jusque sur le pas de ma porte et à ses questions intrusives qui ne la regardent d’aucune façon. Ce que je fais avec son frère, ce que je lui dis et ce qu’il me raconte en retour ne sont en rien ses affaires et je ne céderai pas face à une quelconque pression de sa part: si elle veut des explications, elle n’a qu’à en demander à son propre sang. “Je t’aurais offert une séance chez le psy, sinon.” Même sans ça, pourtant, je ne peux voir en son geste que quelque chose de malsain et déplacé, sans doute parce que je n’en aurais jamais fait de même avec mes propres sœurs, et encore moins avec mon frère.

D’un ton bien plus froid et sérieux, je laisse tomber mon verdict final: elle ne recevra absolument rien de ma part, et elle le doit uniquement à son attitude qu’elle a eue envers Ginny, à l’époque. “Je comprends...” J’attends la suite, impassible et surtout incapable de croire qu’elle lâchera le morceau aussi facilement. Ou tôt ou tard, d’ailleurs. “Tu vas me faire croire que je t'ai inquiété ?” Ce n’est pas ce que j’ai dit, ce n’est pas ce que je vais lui faire croire non plus, et pour cause: ce n’est pas le sentiment qu’elle a fait naître chez moi. River m’a profondément agacé et, plus que ça, mis en colère. Mais elle ne m’a pas inquiété. Ou que je ne t'ai pas assez inquiété justement ? Je soutiens son regard sans sourciller, sans le moindre mal non plus. Aujourd’hui, elle ne peut même plus attaquer et Ginny et quant à ma personne, il n’y a à peu près rien que je puisse véritablement craindre. Sloan, lui, est hors d’atteinte. “Travaille ton discours et rentre chez toi, River.” Le temps passe vite autour de cette porte et je m’agace déjà de cette discussion qui tourne en rond. “Je ne vais pas arrêter de fréquenter ton frère simplement parce que ça ne te plaît pas. Et je ferai de lui ce dont j’ai envie.” Que ça lui plaise ou non, encore une fois. Inutile de le préciser de nouveau, mon regard ancré dans le sien assurant sans doute assez le fond de ma pensée. Je n’utilise pas des paroles en l’air. “De ses secrets tout autant.” Autrement dit, ils n’ont jamais été moins en sûreté qu’à mes côtés, mais c’est justement ce qui rend les choses plus amusantes à mes yeux et la raison pour laquelle j’étire enfin un sourire, prêt à refermer la porte sur la silhouette de la jeune femme à tout instant. Elle ne peut rien y faire.

Auden, s'il te plaît. C’est drôle, à quel point elle ressemble à Ginny en cet instant. C’est drôle, à quel point ces quelques mots et l’attitude qu’elle y associe auraient pu effectivement me faire changer de cap, si elle n’était pas une figure associée à une antagoniste qui, justement, s’en est prise à ma femme. C’est drôle, à quel point son plan aurait pu marcher, finalement, si elle n’avait pas pris grand soin de l’enterrer dans l’oeuf, il y a déjà des mois de cela. Aujourd’hui, me le demander poliment ou même me supplier pour cela, ou quoi que ce soit d’autre, ne saurait rien y changer. Au contraire, cela ne fait sûrement que m’encourager dans cette idée, aussi stupide, égoïste et irraisonnée soit-elle: je ne dois plus rien à personne, depuis longtemps. J’ai au moins la décence d’écouter tout son discours au sujet de son frère, ou peut-être est-ce là de a cruauté d’observer sa proie s’acharner à tenter de se sauver alors qu’on la sait tous condamnés. River met ses derniers efforts et toute sa patience à la tâche et peu importe ce qu’elle pourrait encore ajouter, cela resterait toujours insuffisant. Je vais voir Matthew autant que ça me chante, en effet, et je vais faire ce que je veux de ses secrets aussi parce que c’est la seule chose qui arrive à m’amuser en ce moment, alors que je n’arrive plus à peindre ou à créer de façon générale. “Je suis bien au courant de ce dont il s’agit, oui, et me le répéter en face et y ajouter tout un discours larmoyant n’y changera rien.” Les problèmes sont difficiles, mais ils ne sont pas les miens. Ils n’entâchent pas la vie de ma famille, ni de mes proches, alors j’en viens à la conclusion que je peux en faire ce que je souhaite, uniquement parce que j’en ai le pouvoir. J’apprécie Matthew, sincèrement, mais sa naïveté et sa capacité à croire en autrui le perdra: autant que cela soit au plus tôt, au moins il apprendra de ses erreurs pour la suite.

Je te demande juste d'avoir cette décence. Je n'aurais pas dû mêler ta femme à tout ça comme ce sujet n'aurait jamais dû devenir une objet de chantage envers mon frère. Je ne recommencerais pas, je te demande juste de faire pareille : ne recommence pas. - “Bonne journée River.” Son ton est devenu plus doux, le mien reste catégorique. Je ne lui promets rien, tout comme je n’émets pas de menaces non plus. Elle a déjà conscience de l’épée de Damoclès trônant au dessus de son crâne, alors à quoi bon ? Seul tenir la Boîte de Pandore entre mes mains m’amuse, je n’ai aucun intérêt à jeter Matthew en pâture aux lions, mais j’estime que River mérite de le croire à s’en faire un sang d’encre, justement parce qu’elle l’a dit elle-même: elle a commencé ce jeu grotesque en s’en prenant à ma femme, acte que je ne peux laisser impuni, peu importe si je dois ajouter d’autres acteurs à l’échiquier pour obtenir ma vengeance. Elle viendra. Sur mes mots, je referme enfin la porte sur sa personne, exaspéré de cet échange sans fond ni forme.