| à cœur ouvert ∞ muiredach |
| | (#)Sam 12 Fév 2022 - 5:34 | |
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à cœur ouvert (le quiproquo du siècle) Vendredi 11 Février 2022.
Un verre de mousseux entre les mains, mon regard se perd un instant dans la contemplation des alentours. Je tente d'imaginer les bureaux des homicides quasiment vides, avec un minimum de badges longeant ses couloirs. Car ce soir, le service tourne exceptionnellement au ralenti : nous sommes presque tous rassemblés dans cette vaste pièce, une salle du Sixteen Antlers privatisée à l'occasion d'un pot de départ en retraite. Et à en juger par la décoration aussi coûteuse que les bouteilles servies et les canapés proposés sur le buffet, le Superintendant Jenkins était extrêmement bien considéré par ses supérieurs. La crème de la crème ne se tient d'ailleurs qu'à une dizaine de mètres de moi, formant un petit groupe serré que nous, les subordonnés, aurions bien du mal à intégrer. Qu'importe. Je ne suis pas ici dans le but de me faire bien voir des huiles, mais par respect pour Jenkins et, parce qu'il faut bien l'admettre, c'est toujours agréable de se faire offrir nourriture et boissons en plein cœur d'un cadre aussi exceptionnel.
Après une nouvelle gorgée, je décide d'abandonner mes comparses de discussion quelques minutes : la terrasse avec vue imprenable sur Brisbane m'attire tel un aimant. Et mon loft a beau être situé au dernier étage de l'immeuble que j'occupe, je suis loin de jouir du même panorama. Il serait dommage de ne pas en profiter, surtout que les précipitations inhérentes à la saison d'été ont, semble-t-il, décidé de nous offrir un répit ce week-end. Je franchis le seuil de la baie vitrée restée ouverte et accueille l'air frais de la côte pacifique australienne avec délectation. Dehors, d'autres collaborateurs, en duos ou en petits clans, sont éparpillés un peu partout, leurs conversations allant bon train. Je n'en repère qu'un seul dénué de toute compagnie, et bien qu'il me tourne le dos, je reconnais sans peine cette silhouette comme étant celle de Muiredach MacLeod.
J'hésite un peu à le rejoindre. Le fait qu'il soit accoudé presque dans le fond, à l'écart des autres, m'indique qu'il n'a pas nécessairement envie qu'on lui tienne compagnie. Cela étant dit, ceux qui le côtoient un minimum savent qu'il n'est pas du genre à la rechercher non plus. S'il n'y n'avait que ça, bien sûr, je serais la première à respecter ses envies de solitude. Sauf que depuis son retour à Brisbane, je le trouve encore plus distant, encore plus renfermé qu'avant. Et compte tenu de ce que je soupçonne à son sujet sur l'affaire lui ayant valu - entre autres - sa mutation dans un trou perdu au fin fond de l'état, je suis passée de 'fâchée' à 'désintéressée' à 'un chouïa inquiète'. Tant pis, j'y vais. Advienne que pourra.
Un haussement d'épaules plus tard, me voilà en route, direction l'Écossais. « MacLeod. » Je m'annonce en arrivant à sa hauteur, histoire de ne pas trop le surprendre. « Je te cherchais. » Ça me fait une belle raison de me pointer devant lui, non ? « Je fais un peu le tour des collègues, j'essaie de prendre la température de notre nouveau Superintendant. » Celui qui remplacera Jenkins dès lundi est un transfuge de Sydney. MacLeod n'a pas plus de raisons que moi de le connaître, malgré tout, notre profession est un petit univers, alors peut-être en sait-il davantage. Et puis, il me faut bien un sujet à aborder. « T'en as déjà entendu parler ? » Je l'interroge en calant mes coudes sur le métal du garde-corps, mon verre entouré de mes paumes se retrouvant désormais au-dessus du vide.
@Muiredach MacLeod |
| | | | (#)Dim 13 Fév 2022 - 21:00 | |
| Je n’avais jamais été un grand amateur de changement. L’ordre établi des choses m’allait la plupart du temps. Les choses avaient leur juste place et essayer d’en diverger pouvait se traduire par d’étranges perturbations. Immanquablement, le passage des années en amenait des changements dans mon petit univers teinté d’une imperturbable régularité. Ce soir marquait la fin d’une ère avec le départ à la retraite de Jenkins. Il était déjà au poste quand j’avais été embauché comme patrouilleur en 1995. Un meuble, que dis-je, un monument qui était relativement difficile à manquer. Pour certains de mes collègues, je n’aurais pas nécessairement fait l’effort de venir assister à la fête qui sonnait le glas sur une longue et prolifique carrière de flic. Un des rares qui avait eu accès à l’histoire réelle de ce qui s’était passé le soir où l’affaire Hemingway avait avorté en même temps que mon mariage. Il emporterait le secret avec lui à la retraite en laissant la version officielle dans les annales du poste.
Mais pour lui, ce n’était pas nécessairement une question qui s’était posée. Pourtant, mon antipathie pour le changement était largement inférieure à celle que j’entretenais pour les fêtes et autres soirées mondaines. La multiplicité des conversations (et sa cacophonie inhérente) me filait à tout coup le tournis. L’objectif était donc simple : faire acte de présence et trouver une raison pour me pousser.
The Sixteen Antlers n’était pas le genre d’endroit que j’aurais choisi pour tenir le mien. J’avais bien confiance que l’ambiance était plus chic que ma taverne fétiche : grande classe et bouteille hors de prix. J’avais quand même relevé le nez devant une coupe de champagne en y préférant un verre de whiskey solitaire. Le passage obligé pour aller saluer le célébré fut de courte durée assez pour y entendre le nom du collègue de Sydney qui allait venir prendre le poste et dont le nom m’était vaguement familier. Mais voilà qu’il fut tiré vers une autre conversation.
Je préférais m’aventurer à l’extérieur. Appuyé contre la balustrade, je savourais mon verre tranquillement bien décidé à ce que quand la dernière goutte n’y soit plus je parte. Je n’avais pas pour autant l’intention de le boire d’un trait. La terrasse constituait un véritable observatoire pour la ville dans toute sa beauté. J’avais bien beau ne pas non plus admirer la ville, cette vision en était un angle ravissant qui donnait presque l’impression que certaines voitures étaient de la taille des autojouets avec lesquelles mon fils avait joué petit. L’air chaud, typique de la saison, était chargé d’une douce humidité. Le ciel était dégagé. Et pourtant, mon esprit tournait pour essayer de replacer où j’avais entendu le nom du futur remplaçant de Jenkins. L’académie de police? Était-ce possible?
Je me retournais à peine lorsque mon nom fut prononcé pour y voir la jeune Monroe se pointer. Je retiens un soupir. Pas moyen de m’échapper. C’était qu’elle était gentille. Trop gentille avec moi depuis mon retour au poste. Anormalement. C’était suspect. Pourtant la question était légitime. « Jenkins m’en a glissé un mot tout à l’heure. Le nom me dit vaguement quelque chose. Je pense que l’on était à l’académie de police ensemble. » La phrase avait une certaine amertume dans ma bouche que je chassais avec une bonne rasade de whiskey. Dire qu’avant que tout ne dérape, j’avais un jour été pressenti pour monter en grade. J’étais condamné pour le peu de ma carrière qui restait à ce poste de subalterne. J’essayais de ne rien laisser paraître de mon appréhension. « Il est sans doute compétent, mais c’est certain que d’amener d’un autre poste, ça peut déstabiliser un poste. Parce qu’il n’a peut-être pas la même vision, la même mentalité. On verra rendu demain… ou lundi. C’est selon. T’en penses quoi, toi? » dis-je. @Alexa Monroe |
| | | | (#)Lun 21 Fév 2022 - 14:14 | |
| Je ne sais pas vraiment à quoi m'attendre en approchant MacLeod. Il peut accepter ma présence comme me tourner le dos et me laisser en plan sans rien d'autre qu'un grognement irrité à mon attention, me faisant ainsi comprendre que je n'aurais jamais dû le déranger. Combien de collaborateurs ont subi ce triste sort en essayant d'échanger quelques mots avec lui autour de la machine à café ? Beaucoup trop. C'était déjà compliqué avant cette fameuse affaire Hemingway, avant son divorce et son départ de Brisbane, mais depuis son retour, obtenir le moindre mot amical de sa part est devenu un véritable miracle. Un instant suspendu dans le temps à marquer d'une pierre blanche. Il n'est pas mauvais, non. Du moins pas au point de se faire détester, bien que son attitude amène pas mal de bleus à le craindre. Il se contente d'éviter les autres, de rester dans son coin, d'avoir le moins d'interactions sociales possible. Et ça m'inquiète, parce que si je reconnais et comprends sa nature solitaire, mon instinct me souffle que c'est trop, même pour lui.
Je savoure ma première victoire lorsque MacLeod ne fait pas mine de vouloir bouger. Et quand il desserre les lèvres, c'est pour me répondre de son ton neutre et mesuré habituel, non pour m'envoyer sur les roses en grommelant qu'il n'est pas d'humeur. Je suis soulagée de constater qu'il accepte cette entrée en matière et qu'il ne cherche pas à fuir la discussion qui s'annonce. L'ombre d'un sourire étire mes lèvres alors que mon regard erre toujours sur le paysage nocturne parsemé des lumières de la ville, en contrebas. Je ne suis pas étonnée que Jenkins et MacLeod aient eu l'occasion de discuter tout à l'heure. En me basant sur le peu que j'aie pu en voir, ils s'apprécient. D'ailleurs, cette entente est sûrement la raison pour laquelle l'écossais a décidé d'ignorer son côté casanier, et s'est forcé à faire acte de présence à son pot de départ en retraite.
MacLeod suppose que le nouveau Superintendant sera compétent néanmoins, il précise que ce transfert risque de déstabiliser le poste, à fortiori si le remplaçant n'a pas la même vision des choses ni la même façon de travailler que son prédécesseur. J'acquiesce : je suis on ne peut plus d'accord avec lui. « Jenkins savait gérer d'une main de fer, tout en comprenant qu'être constamment sur le dos des équipes n'apporterait rien de positif. » Côté professionnel, je m'en souviendrais comme d'un supérieur droit et ferme, mais toujours juste et qui préférait faire confiance à ses subordonnés, quitte à s'en mordre les doigts avec certains, plutôt que de tenir tout le monde en laisse par mesure de précaution. Et cette liberté ? Il me la faut. Si on me l'enlève… Je préfère ne pas y penser. Parce que j'ai fait une promesse, et je compte la tenir. Coûte que coûte.
« Inconnu au bataillon en ce qui me concerne. » Je ne connais que ses nom, prénom, rang au sein de la police et ville d'origine. Rien d'autre. « Ce sera la surprise totale. » J'ajoute avec une légère grimace et un haussement d'épaules, avant de prendre une gorgée de mon verre. Certes, j'appréhende ce changement, surtout que je suis assez accrochée à mes petites habitudes. Mais comme le dit si justement mon vis-à-vis, on verra en début de semaine à quelle sauce on sera mangés. Inutile de laisser le stress nous gâcher un week-end qui s'annonce magnifique. J'en aurais profité pour partir en road-trip sous le soleil brûlant si je n'étais pas déjà prise avec des collègues, demain. Et je ne suis pas du genre à poser des lapins. La sortie en moto attendra.
Je me mordille la lèvre inférieure avant de me lancer. J'ai déjà pris un sacré risque en m'incrustant aux côtés de MacLeod, et ce que je m'apprête à faire en est un second, autrement plus périlleux. « T'as des trucs de prévus ce week-end ? » Je sais qu'il ne bosse pas et qu'il n'est pas d'astreinte non plus. Par conséquent, il ne devrait pas se trouver au sein du commissariat, quoi que ça lui arrive encore très souvent - trop souvent - de se montrer zélé à l'extrême. En tout état de cause, sa carrière semble être l'unique chose à laquelle il se raccroche ces derniers mois. « Je retrouve Harris, Lehane, Guevara et quelques autres à notre fief demain soir. » Notre fief étant le bar en centre-ville où toutes les forces de l'ordre de Brisbane ont élu domicile, au point de représenter un fort pourcentage de la clientèle. « Si jamais t'as des envies de bière de dernière minute… » Je garde un ton détaché, lui proposant donc de nous rejoindre sans en avoir l'air. Ça passe ou ça casse.
@Muiredach MacLeod |
| | | | (#)Sam 26 Fév 2022 - 23:23 | |
| Dans l’absolu, je savais qu’il aurait fallu que je fournisse des efforts pour aller vers mes collègues de travail et m’ouvrir un peu plus. Cette camaraderie était saine. Et pourtant que je trouvais ça pénible de me lier aux autres. Les faits purs et simples semblaient parfois froids et analytiques. J’étais, assez ouvertement, une personne taciturne qui savait de toute évidence ce qu’il aimait et ce qu’il n’aimait pas. Beaucoup des références culturelles, si familières à mes collègues, m’étaient de parfaits étrangers. Un peu moins inculte quand mes enfants étaient plus jeunes et qu’ils daignaient me tenir au fait du plus récent film d’animation ou de cette série à la mode.
Mais j’étais moi. Irrémédiablement, incorrigiblement moi. Un moi sans complexes en apparence qui camouflait assez aisément une multitude de complexes et de tabous. Combien j’avais jalousé mon frère pour cette facilité à se montrer parfois comme un autre et à se mettre en valeur quand c’était un bien nécessaire!
Tout ça pour en venir à dire que je le savais que je ne me laissais pas facilement approcher non plus. Rapports courtois, qui ne s’étendaient pas outre mesure. Incapacité chronique à traiter de mes sentiments (en bien, en mal, à l’envers et en travers). Les squelettes qui commençaient à s’accumuler dans mon placard n’aidaient pas nécessairement.
Bref, j’avais poussé ma machine hors de ma zone de confort en venant à cette fête. J’en faisais un encore en ne déguerpissant pas comme un animal effrayé lorsque ma jeune collègue m’interpella. Même si son insistance à vouloir se faire amie avec moi me saoulait plus que ce simple verre de whiskey que je tournais machinalement dans ma main en voulant le rassurer. C’était un effort que je faisais pour l’homme d’honneur de la soirée. Parce que s’il assiste à la scène, il serait sans doute satisfait de savoir que je faisais l’effort minimal, qui me semblait nécessaire. J’eus même un de ses trop rares sourires lorsqu’elle continua à parler de Jenkins. « Tu as parfaitement raison. Le nouveau va avoir de grandes chaussures à combler et je ne parle pas que de la pointure de Jenkins. Parce que c’est vrai qu’il a des pieds de géant. Mais, il n’y a pas plus droit et plus humain comme chef. Il savait se montrer flexible quand c’était nécessaire. » La preuve de mon respect et de mon amour pour l’homme se voyait à mon propos, certes expéditif. Pour que je ne reproche pas à quelqu’un sa flexibilité, il fallait en effet qu’il y ait beaucoup de passifs entre cette personne et moi. Un respect qui s’était construit mutuellement au cours des années. S’il n’avait pas encore été en poste, je n’aurais sans doute jamais réussi à m’extirper de Goondiwindi pour revenir finir ma carrière dans le poste où j’avais fait la plus vaste majorité de ma carrière. Le simple « Je l’apprécie, beaucoup » quand on me connaissait tenait d’une véritable déclaration d’amour pour ce policier qui avait été un ami de mon défunt père, lui-même qui avait été dans les forces de l’ordre jusqu’à son décès. Un autre flic pour lequel j’avais un respect immense, mais qui était aussi grandement associé à cette admiration qu’un enfant a pour un parent qui a été un exemple de patience.
Je m’éclaircis la gorge comme pour en chasser ce petit nuage de tristesse. « Il reste juste à espérer que l’on ne se retrouve pas avec un dictateur qui croit qu’il connaît mieux nos tâches que nous. » Je pris une gorgée de mon verre. La crainte était réelle : c’était quelqu’un du genre que j’avais croisé dans mon exil et bordel que ça m’avait saoulé. Je le savais que l’affaire dans laquelle j’avais été impliqué justifiait en elle-même la méfiance que mes collègues et mes supérieurs avaient eue. J’aurais quand même souhaité que cette affaire tombe bien plus vite dans les oubliettes (bien que je ne parvenais pas à l’oublier).
Tout comme j’aurais voulu au fond qu’elle ait plus d’informations que moi sur ce nouveau. Parce que, sans surprise, aucun visage ne me venait en tête. Tout comme la mémoire des noms, je semblais manqué en matière de mémoire de ces derniers. « Qui sait? Peut-être que je serais surpris et que ça sera ma mémoire qui me joue un mauvais tour. » Je me gardais de rajouter une remarque douce-amère sur l’âge qui faisait des ravages. Je n’avais pas besoin de me rappeler que je vieillissais. Je le sentais chaque fois que je me réveillais avec le cœur qui s’emballait et quand je regardais les pattes d’oies qui se creusaient lentement sur le bord de mes yeux. Je me contentais de rajouter un : « Je haïs les surprises. » qui ne devait pas réellement surprendre au fond. À l’instar d’un bon nombre de vieux grincheux, j’accumulais une impressionnante liste de trucs qui me faisaient grincer des dents et forcé de constater qu’elle s’allongeait avec les années.
À rajouter sur cette liste fut l’intrusion qui me semblait fort personnelle sur mes plans de fin de semaine. Plans qui étaient d’un ennui mortel, mais qui me satisferaient avec un passage dans cette librairie que j’affectionnais particulièrement (ma réserve de lecture se tarissait lentement, mais sûrement) et cet habituel après-midi avec ma mère qui avait encore malgré ses quatre-vingts ans passés toute sa tête. Je me contentais d’un : « Est-ce qu’on peut éviter cette partie de la discussion? Ne te sens pas visé, Monroe, mais j’ai plus l’âge d’aller boire une bière dans un bar. » C’était faux. Je n’avais surtout pas le droit si l’on se fiait à mon cardiologue parce qu’avec mon traitement pour le cœur, il y avait des risques que l’alcool diminue encore plus mon rythme cardiaque. Ça serait marrant non? Que ça soit une bradycardie qui cause la mort d’un tachycardique? Une ironie douce-amère. « Alors je suggère que l’on fasse comme si tu ne l’avais pas suggéré ou que j’avais des plans majeurs… qui sont probablement la lecture d’un bon roman dans mon jardin s’il fait beau et dans mon salon s’il pleut. Ça te va? » dis-je en lui jetant un bref regard sévère. @Alexa Monroe |
| | | | (#)Mer 9 Mar 2022 - 16:14 | |
| Je constate rapidement que MacLeod et moi avons le même point de vue sur notre (désormais) ancien Superintendant. Jenkins inspirait le respect de ses pairs, qu'ils soient à un rang similaire, supérieur ou inférieur. Nul doute que des semaines, des mois, voire même des années après ce départ en retraite mérité, nombreux sont ceux qui parleront encore de lui, et qui compareront sa manière de gérer les choses à celle de son successeur. Il laisse une sacrée empreinte dans les couloirs du commissariat de Brisbane, ça ne fait de doute pour personne. Même mon vis-à-vis, pourtant peu facilement attaché aux autres, admet qu'il l'apprécie - et beaucoup. Désormais, son inquiétude est de savoir si celui qui prendra la place de Jenkins saura se montrer à la hauteur. En tout état de cause, on sait toujours ce qu'on perd, jamais ce qu'on retrouve, et notre domaine professionnel ne fait pas exception : chez nous aussi, on ne manque pas de chefs qui aiment se prendre pour des dictateurs. La pire espèce ? Les responsables qui donnent leurs directives alors qu'ils n'ont pas été foutus de mettre un pied sur le terrain de leur carrière. Les pistonnés, en somme. Mon collaborateur le souligne à la perfection : ce sera une surprise qu'il n'apprécie pas particulièrement.
« Moi non plus, » je grommelle, non sans une légère grimace. Je suis une femme de routine, qui déteste quand ses habitudes sont changées, ou quand un plan doit être modifié à la dernière seconde. Sur ce point, je crois que MacLeod et moi nous ressemblons. Au-delà du fait qu'on ne sait rien sur ce transfert de Sydney sensé chapeauter notre service à partir de lundi, on déplore surtout la perte d'un élément de nos existences, d'un morceau important du puzzle qui constituait notre quotidien depuis longtemps. Et c'est d'autant plus difficile à accepter lorsqu'on considère la place que tient notre travail à nos yeux. L'uniforme est notre seconde peau, le commissariat notre seconde maison, et nos collègues notre seconde famille. Quelque part, je ne serais donc pas étonnée si certains vont jusqu'à comparer le départ de Jenkins à celui d'un mentor, d'un patriarche. Car au final, c'est la sensation qu'il donnait à la majorité d'entre nous. Combien de fois me suis-je sentie coupable de le duper avec mes recherches sous le manteau ? D'ailleurs, s'il m'avait prise la main dans le sac, le décevoir m'aurait beaucoup plus accablée que n'importe quelle sanction officielle.
Maintenant que l'amorce est lancée, que MacLeod et moi sommes bien partis pour une petite conversation et surtout, qu'il semble dans de bonnes dispositions, je décide d'entrer au cœur du sujet. À savoir : le dérider un peu, essayer de le faire redescendre d'un cran sur l'échelle de la solitude. Mais ma proposition de partager un verre entre flics demain soir est loin de trouver une réponse positive. Les preuves sont là : son expression, aussi sévère que le ton qu'il emploie pour m'envoyer sur les roses. Imparable. Je lâche un rire amusé. « Je savais pas qu'il y avait un âge maximum pour boire une bière dans un bar. Je devrais peut-être en profiter avant que ma propre limite soit dépassée. » Je raille. Quitte à ce qu'il me serve une excuse de merde, autant lui offrir un retour sur le même niveau. J'espérais quand même mieux de sa part…
Un souhait qui devient réalité à l'instant où il ajoute ce qui constituera certainement son plan du week-end : la lecture d'un énième pavé littéraire dans son salon ou son jardin en fonction de la météo. Je suis loin de juger. Chacun a ses passe-temps favoris et ceux de MacLeod ne sont ni meilleurs ni moins bons que les miens. Je ne suis pas la dernière à rester enfermée chez moi pendant deux jours, à ne lâcher ma manette de Playstation que par pure nécessité, ou à être aux abonnés absent parce que je suis partie en road-trip seule avec ma moto, et que me joindre est mission impossible. La différence ? Je ne vis pas en ermite 7/7j, 24/24h. Et avant son départ, ce n'était pas son cas non plus. Moins qu'aujourd'hui, quoi qu'il en soit. Là, il me donne l'impression d'être encore moins accessible.
En vérité, il est rongé par les remords dans le plus grand des secrets. Car personne n'est sensé savoir qu'ils existent.
Je bois la dernière gorgée de ma coupe de mousseux, comme si l'alcool allait m'aider d'une quelconque façon à affronter ce qui s'annonce, et plante mes iris sur MacLeod. Je pourrais me contenter de lui tourner le dos et de le laisser se fustiger jusqu'à la fin de sa vie, ou jusqu'à ce qu'il décide qu'il en a eu assez. Sauf que je ne suis pas indifférente à son histoire. J'ai eu maintes occasions de tourner et retourner le problème dans tous les sens : il n'est pas responsable. Et à vouloir garder cet énorme poids sur ses épaules trop longtemps, il risque se laisser complètement écraser. « Je sais, MacLeod, » j'annonce alors de but en blanc, d'une voix assurée. « Je suis au courant. » Je lui passe les détails. Je suis sûre qu'il s'en doute déjà. Je pousse un soupir avant de secouer la tête d'un dépit anticipé. Car au risque de me faire à nouveau rembarrer - pour changer - je suis incapable de retenir les mots qui me brûlent les lèvres. « Je suis vraiment désolée. » Et s'il a le moindre doute quant à ma sincérité, il lui suffira de la lire dans mon regard.
@Muiredach MacLeod |
| | | | (#)Mar 15 Mar 2022 - 11:19 | |
| Pour une rare fois dans ma vie, je saisis l’ironie qui était tout entière dans la voix de ma collègue quand elle me répond que l’âge limite pour boire n’existe pas vraiment. Je n’avais jamais réellement apprécié ces soirées entre policiers, même du temps où je faisais l’effort d’y aller. C’était bruyant et des conversations qui devenaient impossibles à suivre pour moi tant elles partaient en tout sens. Les rares fois où j’y étais allé (du temps où j’étais marié), c’était justement parce que ma femme m’y avait traîné de force ou que l’on célébrait l’arrestation au terme d’une longue (et pénible) enquête. Je détournais les yeux en pinçant mes lèvres. C’était soir de fête et pas question que je réplique sèchement qu’elle n’avait pas à me juger pour cette décision de ne pas y aller. Mettre en cause mon âge était la meilleure des excuses possibles : la plus facile, mais pas nécessairement la plus crédible quand on considérait mon (seul) verre d’alcool qui se trouvait dans ma main.
Parlant d’ailleurs de boire, ma collègue avala la dernière gorgée de son verre, comme si elle cherchait au fond de son verre le courage de dire quelque chose. Je préférais reporter mon attention sur la ligne d’horizon en faisant doucement tourner les glaçons dans le fond de mon verre d’un geste machinal. Le ciel était relativement dégagé pour la période de l’année, si le temps n’était pas trop humide, je me serais peut-être aventuré sur l’un des sentiers de randonnées de Logan Park, peut-être que si j’allais bien. Cette pensée, presque joyeuse, contrasta avec ce regard que je sentais darder sur moi et les mots qui me firent l’effet d’une gifle.
Le chat venait de bondir hors du sac. La raison pour laquelle elle avait plaqué une compagnie probablement un millier de fois plus sympathiques que la mienne était simple : elle savait. Malgré la chaleur ambiante, un grand frisson me parcourut le dos. Elle en rajouta une couche en me fixant avec une reformulation qui confirmait qu’elle était au courant. Pourquoi avais-je l’étrange impression que l’air venait à manquer? Ça n’aida absolument en rien qu’elle continue sur sa lancée en soulignant qu’elle était sincèrement désolée.
Pour ce qui devait être la millionième fois dans ma vie, j’enviais mes proches qui me semblaient presque avoir un pouvoir pour lire les esprits tant ils étaient capables de comprendre le lourd lot de sous-entendus qui se cachaient dans la voix de ma jeune collègue. Mon placard contenait des tas de secrets, mais un seul qui pouvait être relié avec ce dont on venait de parler : pourquoi je refusais cette activité sociale avec plus d’acharnement? Pourquoi mon renfermement sur moi-même comme une huître s’était accéléré? Je pensais à ces cachets que je sentais même s’ils ne pesaient que trois fois rien dans la poche intérieure de mon complet, comme un poids constant qui me rappelait que j’avais des problèmes plus graves que ceux au boulot, mais que le boulot me permettait de les oublier (la plupart du temps). Je la sentais ma gorge serrée et pourtant, dans un effort de désespoir, je m’entendis commencer : « Je ne vois pas ce dont tu… ». Cependant, les mots restèrent coincés dans ma gorge. Ce fut à mon tour de prendre le fond de mon verre en un seul trait comme si c’était pour réhydrater ma gorge desséchée.
Je passais une main dans mon visage en jetant un coup d’œil furtif autour de nous. Des gens. Des tas de gens qui ne devaient pas savoir. Des tas d’oreilles indiscrètes qui pourraient entendre ces informations et les rapporter à des oreilles en position de pouvoir qui pourraient fort bien mettre un terme à ma carrière s’ils savaient ce que j’étais en train de faire (plus ou moins littéralement me tuer pour ce travail). Le « Merde » franchit mes lèvres en croisant à distance la tête blanche de Jenkins. « Non… pas ici. » décidais-je d’une voix dans laquelle transparaissait la panique. Elle n’avait sans doute pas compris le moindre mot de ce que je venais de dire, mais c’était de loin la dernière de mes préoccupations. Je ne lui demandais pas vraiment son opinion avant de la prendre par la main pour l’amener dans une pièce fermée. « Viens. » grommelais-je avec une panique.
La toilette des personnes à mobilité réduite fut ma seule option, la seule qui me semblait logique, parce que je ne voulais pas que personne n’entende ou n’interrompe cette discussion. C’était mieux qu’ils s’imaginent quoi que ce soit d’autre que cette discussion. Je respirais lentement en tentant de mettre de l’ordre dans mes idées. Ma voix tremblait lorsque je rouvris de nouveau ma bouche. « C’est important, Monroe. Crucial que personne ne le sache. » dis-je en m’appuyant contre le comptoir du lavabo parce que j’avais terriblement peur que le seul se déroule sous mes pieds et que je tombe au sol. « Qu’est-ce qui a vendu la mèche? » rajoutais-je d’une voix tremblante en déposant mon verre vide à mon côté. J’en avais besoin d’un deuxième verre. Même si c’était contre-indiqué avec mon traitement. @Alexa Monroe - Petite note de mise en page:
La section en italique dans le dialogue est en gaélique écossais.
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| | | | (#)Sam 2 Avr 2022 - 6:24 | |
| On ne peut pas dire que la relation entre MacLeod et moi soit au beau fixe. Auparavant, elle se trouvait dans ce qui constitue la normalité entre deux collègues de travail qui s'apprécient un minimum et se respectent. Puis, suite à cette affaire si tristement célèbre au coeur de notre commissariat, elle s'est fortement dégradée. Comme beaucoup, le fait que l'inspecteur trompe sa femme ne me regardait pas le moins du monde. Je m'en fichais, et pour ainsi dire, apprendre ses infidélités ne m'a fait ni chaud ni froid. Si je suis sortie de mes gonds, c'est à cause des terribles conséquences que cet adultère bien précis a eu sur notre enquête. Notre, oui. J'étais sous les directives d'Anwar à l'époque mais exceptionnellement affiliée aux investigations du dossier Hemingway. Par conséquent, cette victime était aussi ma victime. Raison pour laquelle je me suis sentie encore plus en colère contre MacLeod lorsque ses actions personnelles ont permis au coupable présumé de s'en sortir. Tout le monde était persuadé que c'était lui. On tenait enfin un élément capable de l'incriminer, de le faire payer pour son horrible crime. Et tout s'est écroulé. À cause de lui. Muiredach MacLeod.
Du moins, c'est ce que j'ai cru pendant longtemps. Mais j'ai trop eu la puce à l'oreille : des mots, des comportements, une intuition qui refusait de m'abandonner, et de fil en aiguille, je suis arrivée à la conclusion qui s'impose, et que j'avais pourtant ratée en premier lieu. La conclusion que tout le monde a ratée. Le fautif, ce n'est pas lui, car le fautif est en réalité une fautive : elle. Sa femme. Muiredach n'a fait que la couvrir, sans doute par amour. Naturellement, je me suis adoucie, comprenant que sa solitude plus marquée que d'ordinaire depuis son retour cachait un secret affreusement lourd à porter. Je me suis dit que mon affabilité passerait, justifiée par les nombreux mois écoulés, ayant ainsi servi à atténuer mon ressentiment à l'égard de l'inspecteur. Ce soir, cependant, je peux sentir chez MacLeod une méfiance latente, cachée sous sa bonne couche habituelle de froideur.
En une fraction de seconde, je décide qu'il est temps de mettre un terme à cette danse aussi inconfortable qu'étrange. Je lâche cette bombe qui se tenait au-dessus de lui telle une épée de Damoclès : je sais. Son expression passe par diverses émotions avant de se maintenir à une incompréhension feinte. « Je ne vois pas ce dont tu… » Osera-t-il finir cette phrase ? Osera-t-il me faire cet affront ? Celui de ne pas comprendre ? Il s'arrête en cours de route, buvant cul sec ce qui restait dans son verre. À son tour d'avoir besoin de prendre des forces histoire d'affronter la conversation à venir. Il marmonne sans que je ne comprenne rien. Le moment suivant, je sens sa paume attraper la mienne et il m'entraîne loin de la terrasse, à l'intérieur, en direction de l'unique endroit où on pourra être seuls. Je me laisse guider, observant les alentours, et constate avec soulagement qu'aucun des invités ne semble prêter attention à notre traversée rapide. Ce sera toujours ça de pris - du moins, si j'ai raison. Sinon, la journée de lundi risque d'être un vrai cauchemar.
Bientôt, à défaut d'avoir un autre choix, MacLeod nous enferme dans les toilettes réservées aux personnes à mobilité réduite. Il me lâche enfin, s'éloigne de trois pas, et darde ses prunelles paniquées dans les miennes. « C’est important, Monroe. Crucial que personne ne le sache. » J'acquiesce afin de le rassurer sans attendre. Je ne comprends pas forcément son choix. Pour autant, il lui revient. Je n'ai pas à m'en mêler. « Tu peux être tranquille là-dessus. » Si ça doit s'ébruiter, je n'en serais pas à l'origine. Appuyé sur le lavabo, il me pose la question à laquelle je m'attendais, avec toutefois une tournure qui me surprend. « Qu’est-ce qui a vendu la mèche ? » L'espace d'un instant, j'ai peur d'avoir mal compris. Je croyais qu'il voudrait savoir qui a vendu la mèche, pas ce qui l'a vendue. Car il y a forcément quelqu'un qui sait, non ? Un proche en qui MacLeod a confiance, à qui il aurait pu parler ? Je refuse de croire que ce poids est le sien uniquement, et qu'il le porte seul - à l'exception, bien sûr, de son ex-épouse. Mais dans ce cas, pourquoi ne pas me demander directement quelle langue s'est déliée ? Pourquoi supposer que quelque chose m'a poussée vers la vérité ?
« Une accumulation de petits éléments, ça et là. » Je ne vais pas lui faire un topo complet de la situation. Il déteste les échanges futiles autant que moi et dans le fond, ça n'a aucune espèce d'importance. Ce qui est fait est fait. Ce qui se sait se sait. Et ni lui ni moi ne pouvons revenir en arrière, désormais. « Écoute, j'ai conscience que je suis certainement pas la… complice que t'espérais, mais c'est comme ça. Je suis là. Alors autant t'en servir, non ? » Je laisse le silence se faire une place une poignée de secondes, espérant qu'il les utilise afin de réfléchir et, qui sait, afin d'admettre que j'ai raison. Parce que tout loup solitaire qu'il est, MacLeod ne peut décemment pas affronter cette épreuve sans aucune aide. Personne ne le pourrait, sauf à vouloir mal finir. Cette aigreur, cette négativité qu'il ressent finiront par le dévorer de l'intérieur. Il a beau haïr ma main tendue, il est forcément assez malin pour deviner qu'il en a besoin. Et c'est précisément pour cela que j'ose énoncer les prochains mots qui franchissent mes lèvres. Trois mots, d'apparence si simples, et pourtant si lourds de sens là, à cet instant. « Comment tu te sens, MacLeod ? » Mon regard se verrouille au sien. Comment tu te sens vraiment ?
@Muiredach MacLeod |
| | | | (#)Ven 13 Mai 2022 - 15:30 | |
| Pour une rare fois depuis que j’avais compris que quelque chose clochait de toute évidence dans mon corps, j’avais l’impression que mon cœur s’emballait dans ma poitrine pour courir un marathon alors que mes pieds eux étaient bien ancrés au sol immobile. Mais cette fois-ci était différente. Mon cœur battait simplement plus fort. Il n’y avait pas cette irradiante douleur qui partait de mon bras pour rayonner jusqu’au bout de mes doigts, qui me faisait grimacer. Ce que j’entendais, c’était le battement décidé de mon cœur qui rayonnait dans mes oreilles à la seule pensée que ce secret avait été découvert par une personne. Le proverbe ne disait pas que la seule manière pour que deux personnes puissent garder un secret était qu’une des deux soit morte?
C’était peut-être un peu différent pour le secret qui nous unissait Margaret et moi. Cet amour un peu naïf m’avait amené à la protéger. Pour le bien de nos enfants avec qui je voulais qu’elle ait une relation des plus idéales : comme celle que je nourrissais encore avec ma mère qui, du haut de ses quatre-vingts ans, conservait une certaine douceur rassurante à mes yeux. J’avais à peine trente-huit ans quand mon père avait été emporté par la maladie. Ma relation avec Ruairidh, mon aîné, avait toujours été teintée d’envie (dont je me rendais aisément coupable) et de frustration (dont il s’était rendu coupable, me reprochant de ne pas pousser aussi loin que ce que j’aurais pu). J’avais vu cette relation comme essentielle.
Sur le coup de l’émotion, il ne m’avait pas semblé essentiel de protéger ma carrière si c’était pour protéger nos enfants et l’image qu’ils avaient de leur mère. Aucun enfant après tout ne veut réellement savoir ce qui se passe dans la chambre à coucher de leurs parents – même si ce quelque chose n’est absolument rien. Un désert vide qui s’étend en tout sens parce que ça ne m’avait jamais fait ni chaud ni froid, parce que ça avait toujours été une tâche à accomplir plutôt qu’un plaisir à avoir.
L’idée ne m’effleure même pas : que ce soit à ce secret qu’elle fasse référence dans cette référence cryptique au fait qu’elle sait, qu’elle a conscience du secret qui se cache dans mon placard.
Non. Non. Non.
La seule chose qui tourne dans ma tête, c’est le fait que ce boulot est probablement la seule chose qui me tient en vie. C’est la raison pour laquelle je multiplie les heures même si mon cardiologue m’intime à lever le pied parce que le stress de ce boulot est aussi nocif pour mon corps que cette myriade de mauvaises habitudes de vie que j’ai développée au fil des ans : de ces repas manqués à cette dépendance à la caféine. Le simple fait que la jeune Monroe puisse avoir compris que je ne vais pas bien à un point tel que je devrais à l’aube de ma cinquantaine me retrouver à la retraite bien avant que je sois prêt. Sa voix qui se voulait rassurante n’aidait en rien mon cœur qui battait dans mes oreilles. « [i]Facile à dire. », grommelais-je. Je pouvais simplement faire acte de foi et croire que ma collègue garderait pour elle ce qu’elle avait compris. Sauf que si elle avait compris à quel point j’étais malade, à quel point mon cœur brisé posait un véritable danger lorsque j’étais dans une intervention de service. Elle n’aurait certainement pas gardé pour elle l’information.
Ce qui posait la question du geste qui avait pu vendre la mèche, informer de la gravité de mon état. Pour moi qui aie toujours été particulièrement avare de détails, j’ai besoin de savoir pour éviter que ça s’ébruite. Le nouveau supérieur serait peut-être encore plus papelard que certains hauts fonctionnaires. Il n’est donc pas ici une question de pacotilles inutiles que personne ne remarque. Le claquement de ma langue contre mon palais s’accompagne d’un roulement d’yeux quasiment adolescent. Mon exaspération se voit, se trahit dans ma voix. Dans ma fatigue qui y transparaît. « Ne sois pas évasive. C’est important que je sache. Qu’est-ce qui a vendu la mèche? », grondais-je en séparant chaque mot de la question. Je ne pouvais pas crier, pas hurler même si c’était ce que j’avais envie de faire. Des petites choses ça et là, ça pouvaient être cette légère grimace de douleur ou la prise de mes cachets à la même heure chaque jour. Des choses que je ne pouvais pas contrôler.
Elle marquait un point. Je ne voulais pas de complice dans cette histoire. Pas elle. Pas personne. Pourquoi serait-elle prête à mettre sa carrière à risque pour protéger un policier comme moi? Je ne voulais pas mettre la carrière d’aucun de mes collègues à risque. La forcer à partager ce secret c’était… l’exposer à des risques. Et pourtant, je me surpris à hocher la tête. Je n’étais pas en mesure de lire les pensées et je n’étais pas toujours le plus doué pour comprendre ce qu’elle pensait. Tant que je ne savais pas l’intensité de ce qu’elle savait, il était mieux que je la garde près de moi. « Gardez vos amis proches, vos ennemis encore plus proche ». Et oui, même si elle me proposait une alliance, cette alliance avait une saveur de culpabilité amère.
Le pire dans tout ça, c’était qu’elle osait me demander comment je me sentais en plantant ses yeux dans les miens. Les bras croisés, les yeux rivés sur elle, j’avais quand même envie de gueuler que j’allais bien en m’armant d’un sarcasme tranchant. Mais à la place je haussais les épaules comme je faisais enfant : « Si tu veux de l’honnêteté avec cette question-là, tu devrais essayer de la reformuler. Je n’ai jamais été très doué pour identifier comment je vais. » admis-je avec une certaine honnêteté. Jeune, j’avais assimilé la règle : il fallait répondre que l’on allait bien. Parce que ça me convenait. Pas besoin d’identifier comment je me sentais. C’était moins embêtant et j’aimais particulièrement que je n’eusse pas à me torturer pour trouver le mot juste. « Je ne vais pas bien… ça te va? », rajoutais-je, en restant évasif. @Alexa Monroe |
| | | | (#)Dim 22 Mai 2022 - 10:51 | |
| « Ne sois pas évasive. C’est important que je sache. Qu’est-ce qui a vendu la mèche ? » Je pensais que MacLeod ne se soucierait pas des détails. C'est mal le connaître : il insiste, il veut savoir. Je ne cherche pas à retenir mon soupir, que je qualifierais de pas franchement agacé quoique légèrement ennuyé. Que suis-je sensée lui répondre ? S'il me trouve évasive, ça ne va pas aller en s'arrangeant. Ma conclusion est le fruit de longs mois de réflexion, suivis d'une observation accrue depuis son retour du fin fond de l'Australie, puis d'encore plus de réflexion. Je n'ai pas de preuves tangibles et indiscutables. Disons qu'il s'agit d'abord d'une intuition que j'ai cherché à confirmer ou réfuter. Pour être totalement honnête, je ne suis pas à l'abri de me planter, bien que j'estime cette probabilité à 10% de chances maximum. Après tout, je ne suis plus une débutante sur le sujet depuis longtemps, traînant derrière moi des années d'expérience dès lors qu'il s'agit de lire entre les lignes, décoder les gestes conscients et inconscients ou repérer un mensonge. Et justement, le dossier Hemingway est, selon moi, un mensonge. Ou en tout cas, la manière dont il s'est terminé. « T'as toujours été solitaire et taciturne, MacLeod mais là, t'atteins des sommets tels que toute personne un poil observatrice peut aisément repérer la baleine planquée sous le gravillon, » je lâche, lui concédant le semblant de réponse demandé. « À partir de là, ça n'a pas été difficile de comprendre ce qui se trame vraiment. » Enquêter, retourner la moindre petite pierre où la vérité est susceptible de se cacher jusqu'à ce qu'elle nous soit enfin révélée, c'est un peu notre job, non ?
Inutile de le nier : en dépit de nos griefs passés, qui prennent soudain un tout autre sens, je suis touchée par ce qu'il traverse. Il en faut, de l'amour et de la force d'esprit, pour se faire accuser à la place de sa femme et en subir les conséquences professionnelles et privées sans broncher. Je suis déjà au fait des opinions diverses et variées qui circulaient dans les couloirs du commissariat à son propos, mais je n'ose imaginer celles de ses proches ayant eu vent de l'affaire. À commencer par ses enfants. Qu'aurais-je fait, moi, dans sa situation ? Aurais-je été capable de me sacrifier pour ma partenaire ? Pour Eliot ? Pour Liv ? J'ai beau les aimer, être prête à suivre chacun d'entre eux jusqu'au bout du monde s'ils me le demandaient, je n'en suis pas certaine. La résilience n'a jamais été mon fort. Il n'y a qu'à voir les risques que je prends au quotidien, guidés par un espoir, aussi ténu soit-il, de résoudre une enquête poussiéreuse que j'aurais tout intérêt à laisser où elle est.
Alors oui, maintenant que la baleine a été délogée de son gravillon et a retrouvé le chemin de la mer, il n'y a plus de retour en arrière possible. Je ne peux pas dé-savoir ce que je sais - ou plutôt ce dont je me doute fortement, et je tente de faire comprendre à l'Écossais que ça n'a pas à être une mauvaise chose pour lui. Au contraire. Poussée par cette inquiétude qui me pique sans cesse dès lors que mes yeux se posent sur mon collègue, j'ose lui demander comment il va, sous la surface. « Si tu veux de l’honnêteté avec cette question-là, tu devrais essayer de la reformuler. Je n’ai jamais été très doué pour identifier comment je vais. » Un point qui nous rapproche plus qu'il ne nous sépare. Un fantôme de sourire étire mes lèvres alors que je me cale contre le carrelage métro noir et blanc du mur, les bras toujours croisés contre ma poitrine. Je ne prononce pas un mot pourtant, mon air en dit bien assez long : je sais ce que c'est. Gamine, ce qui touchait aux émotions et ressentis était considéré comme des faiblesses. Et je viens d'un monde où il n'en fallait aucune. Où une apparente dureté et un hermétisme sans faille étaient une question de survie. Au fil du temps, sans même m'en rendre compte, j'ai cessé de m'interroger sur mes états d'âme. Il arrive que ça me poursuive encore aujourd'hui, malgré les Copeland qui m'ont doucement sortie de cet état et ramenée à la vie.
Ferme dans ma posture d'attente, je garde le silence. Je ne remets donc pas en cause la sincérité de MacLeod, puisque je suis la première à le comprendre, mais j'en attends davantage de lui. Après tout, quitte à être affranchis d'éventuelles oreilles indiscrètes, autant en profiter. Est-ce ma révélation silencieuse de ce trait en commun ? Est-ce une façon pour lui de se débarrasser au plus vite de moi ? Je n'en ai aucune idée, toujours est-il qu'il abdique. « Je ne vais pas bien… ça te va ? » Évidemment que non, crétin. Je garde ma réflexion en mon for intérieur. Au bout du compte, je ne lui en veux pas. Le laconisme est dans sa nature, quant à sa fermeté, il n'en use qu'en guise de protection. « Si j'ai bien compris, t'en as parlé à personne. » C'est un fait établi. Je n'attends pas de réponse particulière. J'enchaîne donc directement. « Pourquoi ? » Bien que ce simple mot pourrait se suffire à lui-même, je tiens à préciser le fond de ma pensée. « Pourquoi avoir choisi de porter un poids aussi lourd tout seul ? » Je sais bien qu'il n'est pas le plus sociable des Hommes foulant cette Terre. Il n'empêche que j'ai du mal à croire qu'après tant de temps, ce secret demeure exclusivement le sien - et celui de son ex-femme, mais puisqu'elle est la coupable de cette histoire, la raison derrière cette débâcle, elle est à part. « Tu crois pas que ça aurait pu t'aider de partager ça avec quelqu'un de confiance ? » Pas forcément un membre de sa famille ou un ami. Juste quelqu'un qui l'aurait écouté, peut-être aiguillé, sans rien ébruiter et surtout, sans le juger. « Tu sais, je préfère résoudre mes problèmes de mon côté, moi aussi. J'aime pas en parler, encore moins réclamer quoi que ce soit à qui que ce soit. Je me suis toujours démerdée. Jusqu'à un certain point. » Je laisse passer une courte seconde de silence pour l'effet. « Parfois, il faut savoir mettre sa fierté de côté et admettre que sans un coup de main, on pourra pas s'en sortir. » L'admettre d'abord, oui. Et agir en conséquence ensuite. Mais MacLeod est-il prêt à ça ?
@Muiredach MacLeod |
| | | | (#)Mer 22 Juin 2022 - 15:39 | |
| La réponse de ma collègue soulevait plus de questions qu’elle ne répondait. Comment ça pouvait être dans mon attitude que mon état de santé se voyait le plus ? Ça n’avait pas de sens. J’aurais compris qu’elle souligne ces cernes que je ne cachais pas, cadeau de ces réveils brutaux quand mon cœur s’emballait sans raison et que mes veines devenaient des vaisseaux de lave en fusion. J’aurais été en mesure de réaliser que beaucoup avaient remarqué ma patience raccourcie en raison du décaféiné qui n’avait que du café qu’un vague goût dilué sans la capacité de me réveiller. Qu’elle ait capté sur mon visage une expression brève de douleur, remarqué mon souffle court et mon équilibre vacillant quand mon cœur s’emballait sans raison, observé un de ces étirements que je faisais discrètement quand la douleur se faisait sentir, vu la quantité de cachets que j’absorbais que pour rester fonctionnel… Tout ça aurait eu plus de sens que de remarquer ce repli sur ma propre petite personne. De toute évidence, il me manquait quelque chose dans cette équation.
Je n’aurais pas l’audace de prétendre que je ne m’étais jamais refermé sur moi-même. Il y avait quand même des limites. Je n’avais jamais été particulièrement social comme personne. Mes enfants et Margaret avaient su me faire sortir de ma coquille. Oh oui, mon ex-femme avait su me traîner de la maison jusqu’à ce genre de fête que je trouvais personnellement étourdissante. Parce que c’était poli, parce que c’était ce qu’il fallait faire pour bien paraître dans ce monde fou. Pour moi, ces soirées avaient toujours eu une allure de torture. J’avais beau connaître la plupart de mes collègues, ces discussions entrecoupées en tout sens finissaient au bout de quelques heures par devenir un brouhaha opaque dont je distinguais plus les mots. Une fatigue intellectuelle réelle s’installait que je n’avais pas lorsque je me retrouvais seul (ou en plus petit groupe) et que je pouvais m’isoler loin des autres. J’aimais pourtant ces collègues même si la majorité était sans doute d’avis que mon attitude taciturne et solitaire n’aidait pas à montrer. Même avec mon ex-femme, je n’avais pas été doué pour montrer mon amour de bien des manières.
Tout cela pour en revenir à ce haussement de sourcil devant sa réponse qui ne faisait pas de sens. Je ne l’avais même pas perçu, ce changement d’attitude. C’était simplement parce que je n’avais plus personne autour de moi pour me forcer à le faire cet effort de socialisation que j’avais toujours trouvé au mieux idiot, au pire étouffant et qui fut suivi par la question tranchante sur comment j’allais. Je savais que ma réponse n’était pas satisfaisante. J’étais encore moins sûr à la lumière de son propos que l’on parlait de la même chose. Je n’allais offrir aucune munition qui pourrait être utilisée contre moi dans l’éventualité qu’elle eût compris autre chose. Je n’étais pas d’humeur pour les charades. Ni pour l’interrogatoire qui plaça une évidence. Je n’en avais parlé à personne. Je me contentais de hocher la tête pour confirmer que personne n’était au courant. Personne au poste du moins sauf elle si elle avait compris. Il y avait de ces personnes dans mon entourage qui avaient compris en effet. Venait alors la question de pourquoi j’avais pris la décision d’agir de cette manière. Pourquoi n’avais-je rien dit ? C’était presque évident que nous ne parlions pas exactement de la même chose. Je pinçais mes lèvres en réfléchissant grandement à ce qui serait le moins dommageable à dire. J’avais toujours été le genre à penser mes mots, pas à parler sans avoir grandement réfléchi aux conséquences de mes gestes. La Monroe n’améliorait pas la situation en disant que d’en parler pourrait m’aider à m’en sortir. Il n’y en avait pas de chemin pour m’en sortir en un seul morceau et, moi, je l’avais compris quand le cardiologue m’avait dit que j’avais une arythmie. J’hésitais pendant un instant. Gardant les bras croisés, je commençais par une première admission : « Parce que ce n’est pas sans conséquence d’en parler. » J’étais bien conscient que j’étais un danger au fond. Que mon cœur n’était pas bien contrôlé par le traitement et qu’il y avait un risque pas inexistant qu’une de ces arythmies me soit fatale un jour ou l’autre. Ça avait été le cas avec mon père et mon frère. Je l’avais vécu. Sans être le malade. Je m’en voulais d’avoir l’air cliché, mais j’étais encore à me protéger dans les mots que je choisissais et qui coulaient entre mes lèvres au compte-goutte. « Plus il y a de gens qui le savent, plus il y a des chances que quelqu’un s’ouvre la gueule à quelqu’un qui peut me sortir du poste. » Cette seule pensée me faisait peur et un frisson me parcourut doucement alors que je la prononçais. Je ne voulais pas le perdre, cet emploi, qui avait toutes les apparences d’une bouée de sauvetage à laquelle je m’accrochais avec l’énergie du désespoir. Je ramassais même le courage de remonter mon regard de la pointe des chaussures de la Monroe pour aller accrocher son visage, ce que je faisais trop rarement fort possiblement. « Ce boulot, c’est tout ce qu’il me reste. » Au fond, j’avais conscience du caractère pathétique de cette phrase que je venais de prononcer. Mais si elle avait remarqué mon isolement (volontaire) et cette étincelle qui s’était éteinte. Elle avait probablement remarqué que je ne parlais plus de mes enfants aussi. Probablement parce que je n’avais d’eux que des nouvelles éparses attrapées au vol de la part des gens qui gravitaient dans leur entourage. Je ne savais même pas si mon fils était en train de faire des études universitaires ou pas. Des miettes de rien sur lesquelles je me basais pour comprendre. Ce boulot qui me détruisait un petit pas à la fois était en train de me filer entre les doigts parce que mon corps, lui, n’arrivait plus à suivre et je le savais bien au fond. Je l’avouais d’une voix blanche. « Je n’ai pas le temps de justifier pourquoi j’agis comme ça. Il ne lui reste pas longtemps à ma carrière et je le sais très bien. » L’âge de la retraite avait beau être fixé à 66 ans, mon corps lui ne semblait pas être en mesure de s’y rendre et je ne voulais pas me retrouver à chercher comment retomber sur mes pattes dans ma cinquantaine naissante. C’était donc un demi-aveu encore. Je savais que mon temps m’était compté. J’avais des choses à régler avant qu’il ne soit trop tard et en parler, c’était nécessairement inviter une autre personne à être Icare qui risquait de se brûler les ailes en s’exposant au soleil. « Je n’entrainerais personne dans ma chute, personne qui me couvre pour quand ça va finir par se savoir. », admis-je. Je ne voulais pas que cette brillante relève qui attendait autour de moi se trouve à souffrir de mes pauvres décisions de vie. Je soupirais en ajoutant le regard baissé. « Il n’y a rien qui te dit que je vais m’en sortir. » La vérité, c’était que malgré la tristesse qui se percevait dans ma voix, je le savais qu’il n’y avait absolument aucun chemin dans lequel je sauvais ma vie et mon boulot dans l’état où il était en ce moment précis. @Alexa Monroe (mille excuses encore pour l'attente) |
| | | | (#)Sam 9 Juil 2022 - 6:40 | |
| Je ne suis pas du genre à tendre la main au premier venu semblant broyer du noir, que cette personne soit un inconnu, un voisin de palier ou une simple connaissance. En tout état de cause, je me montre même beaucoup moins encline à ce genre de considérations avec mes collègues. Ma réputation de flic d'apparence froide, difficilement accessible voire peu charitable a été longuement travaillée dans ce but, et je tiens à la conserver. Pourquoi ? Parce que les gens ont une tendance naturelle à vouloir toujours plus que ce qu'on accepte de leur offrir, et à faire d'une situation unique une habitude. Je sais donc que si je suis surprise ne serait-ce qu'une fois à réconforter Emma parce qu'elle s'est encore faite larguer par son énième mec en six mois, ou à organiser un rendez-vous entre Zach et mon frère pour l'achat d'un nouvel appart, ce sera, comme le dit mon expression favorite, la porte ouverte à toutes les fenêtres. Et le lendemain, la semaine et les mois suivants, X viendra pleurer sur mon épaule et Y me sollicitera sur la tendance du marché immobilier, etc, etc. Jamais de la vie. Sincèrement, j'admire ceux qui, comme Cass, acceptent d'écouter les autres déballer leurs problèmes avec une moue compatissante, et prennent le temps de réfléchir afin de les aider, de les conseiller. Moi, j'en suis incapable. J'estime qu'avant d'aller emmerder ses pairs, il faut savoir se débrouiller seul. Et si j'ai vraiment besoin d'un coup de main, il est évident que je ne vais pas le réclamer à n'importe qui.
MacLeod est, sans doute, l'exception à cette règle bien établie. Jusque-là, il n'était qu'un confrère parmi tant d'autres à mes yeux, sans compter qu'il avait déjà perdu pas mal de points à cause de l'affaire Hemingway. Par conséquent, j'étais loin d'imaginer qu'un jour, on se retrouverait en tête-à-tête, enfermés dans les toilettes d'un bar, et que je le pousserais à se confier à moi. Seulement voilà : nous y sommes, et que je le veuille ou non, son histoire me touche, je ne peux le nier. Avant d'entrer dans le vif du sujet, je tente de savoir pourquoi son secret et si bien gardé. « Parce que ce n’est pas sans conséquence d’en parler. » J'incline légèrement la tête sur le côté, indiquant qu'en effet, son explication se tient. Ce qui s'est passé est grave, preuve en est son exil forcé. Si nos supérieurs apprenaient qu'il a menti afin de protéger son ex-femme, il y aurait d'importantes répercussions. Des répercussions qui lui coûteraient sa carrière, et probablement celle de la réelle responsable, aussi. Alors, tous les coups qu'il a déjà accusés pour elle dans cette histoire n'auront servis à rien. MacLeod ne tarde pas à confirmer mes pensées. « Plus il y a de gens qui le savent, plus il y a des chances que quelqu’un s’ouvre la gueule à quelqu’un qui peut me sortir du poste. » Son anxiété est palpable, et la raison en est simple : « Ce boulot, c’est tout ce qu’il me reste. » Pas tout ce qu'il a, non. Tout ce qui lui reste. C'est différent. Et encore plus tragique, quand on y pense. Quelqu'un qui n'a toujours connu que son travail, qui a toujours vécu à travers ce dernier, ne sait pas nécessairement ce qu'il manque à ne donner d'importance à rien d'autre. Mais quelqu'un qui, comme l'Écossais, a eu une vie à côté de sa carrière - une femme, des enfants, des amis - et qui perd absolument tout sur un faux-pas… ce quelqu'un, il sait. Il sait qu'il devra désormais vivre avec un vide dans le coeur qui ne pourra plus être comblé. Muiredach a préféré se sacrifier pour empêcher Margaret d'être à sa place. Pour l'empêcher de tout perdre, y compris le respect de leur fils et de leur fille. À ce stade, je ne sais pas s'il a été guidé par un courage héroïque ou une extrême stupidité.
« Je comprends, » je finis par lâcher. Et c'est le cas. Voir la vérité éclater au grand jour lui fait tellement peur qu'il préfère porter ce poids complètement seul, plutôt que de prendre le risque d'en parler à la mauvaise personne. J'essaie de lui expliquer à coup de sous-entendus que tout garder pour lui n'est pas forcément moins dangereux et que, parfois, accepter une main tendue est la meilleure chose à faire. En l'occurrence, la mienne est là. Il n'a qu'à la saisir. « Je n’ai pas le temps de justifier pourquoi j’agis comme ça. Il ne lui reste pas longtemps à ma carrière et je le sais très bien. » Je fronce les sourcils. Il n'est pas si vieux, le bougre. Seize ans, ça représente un bout de chemin avant la retraite. J'ai à peine l'occasion d'y songer qu'il enchaîne. « Je n’entrainerais personne dans ma chute, personne qui me couvre pour quand ça va finir par se savoir. » « Ça tombe bien, on est à l'abri des oreilles indiscrètes et j'ai pas l'intention de crier ma complicité si ça finissait par se savoir, » je rétorque, reprenant ses propres mots pour l'effet. Mon ton est un chouïa taquin, mais je sais que MacLeod saura reconnaître le sérieux de ma proposition. Le regard baissé au sol et une certaine tristesse dans la voix, il conclut. « Il n’y a rien qui te dit que je vais m’en sortir. »
Je fronce les sourcils. Sa dernière phrase me laisse perplexe. Je sais combien il tient à son boulot mais à l'entendre, c'est comme si sa vie se trouvait littéralement sur la sellette. Comme s'il évoluait au quotidien avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête, et qu'elle pouvait s'abattre sur lui à tout instant. Et c'est quoi, cette histoire de carrière bientôt terminée ? Puisqu'il n'a rien dit à personne au sujet de l'affaire Hemingway, pourquoi se sentir menacé ? Pourquoi croire qu'il n'ira pas jusqu'au bout - jusqu'au soixante-six ans imposés par le pays ? Se pourrait-il qu'on ne parle pas de la même chose ? Qu'il ait mal compris quand j'ai dit que je savais ? Se peut-il qu'il ait un autre squelette dans le placard, que je serais plus susceptible d'avoir découvert que ce dossier ayant mal tourné ? « MacLeod, tu crois qu'on est en train de parler de quoi, là ? » Je l'interroge de but en blanc. Cette conversation doit le perdre autant que moi, quoi qu'il doit sans doute être un peu plus paniqué, puisque c'est de lui et de ses cachotteries dont il s'agit. « Et avant que tu ne me retournes ma propre question – », parce que soyons honnêtes, c'est exactement ce qu'il s'apprêtait à faire, « – tu peux me faire confiance. » Je pousse un soupir, dardant mes iris dans les siens. « Et je dirais même que t'as pas le choix. » Ce n'est pas une menace, au contraire, et je sais qu'il est assez futé pour le voir. Ce qu'il met tant d'énergie à dissimuler aux autres est en train de le bouffer de l'intérieur. Maintenant, soit il accepte de s'ouvrir en espérant que ça l'aide un minimum, soit il se mure dans un silence qui finira indéniablement par le détruire.
@Muiredach MacLeod (aucun souci ne t'inquiète surtout pas pour ça ) |
| | | | (#)Lun 3 Oct 2022 - 18:27 | |
| Dans ma gorge, une véritable sécheresse s’était installée pendant que j’avais énoncé en partie à voix haute la réalité. Ce boulot dans lequel je me noyais était ma véritable bouée de secours, la seule chose qui me tenait en vie en ce moment. La Monroe avait beau admettre qu’elle comprenait, j’en doutais. J’avais sacrifié ma relation avec mes enfants pour protéger leur mère (avant que l’amour que j’avais un jour ressenti pour elle ne se mue en un curieux mélange de colère, de haine et de tristesse). J’avais sacrifié un dossier parfait en apparence pour ce qui avait toutes les allures d’une histoire de fesses. Au nom de ma santé, j’avais sacrifié ce café, si cher compagnon de mes nuits au sommeil troublé, l’alcool qui m’avait servi d’échappatoire à une réalité que je ne voulais pas admettre. Beaucoup d’amitié n’avaient pas su survivre à mes airs bourrus, à cette colère silencieuse qui bouillait doucement au fond de moi. Il me restait cette douce routine que j’aimais passionnément dans ses habitudes éreintantes, dans son irrépressible imprévisibilité des enquêtes aux allures d’étranges casse-têtes… Ce boulot en était la pièce maîtresse. Et si la gravité de mon état et mon acharné refus de traitement en venait à se savoir, ébruité d’une manière ou d’une autre… je savais que la dernière pièce du casse-tête s’effondrerait : si je n’étais pas un homme à part entière, un père qui avait au moins l’audace de croire que ses enfants lui pardonneraient un jour ou un policier à part entière, devais-je vraiment admettre que je ne savais simplement pas qui j’étais ?
Pas l’ombre d’un sourire sur mon visage alors qu’un ton taquin elle se disait qu’elle n’avait pas l’intention de la crier sa complicité à mon secret. Les derniers mots de ma bombe sortirent avant même que je réalisais à quel point il était une terrible erreur. La porte de sortie de ce boulot n’était pas nécessairement simple : la vérité sur ma santé précaire et mon cœur qui décidait seul du rythme auquel il allait fiinirait par se savoir, soit parce qu’une attaque allait m’emporter ou parce que quelqu’un au poste réaliserait le danger que j’étais. La retraite avec la belle pension à soixante-six ans n’était pas la plus probable des optiques quand on regardait avec mes yeux. Au mieux une retraite préventive pour cause de santé, au pire finir avec mes cendres éparpillées le long d’un loch dans ce pays qui m’avait vu grandir et dans lequel mes racines étaient.
J’accrochais pourtant l’incompréhension dans le regard de ma jeune collègue devant la dureté de mon propos. Elle ne devait pas penser au même squelette que moi dans mon placard. Pas le fait que j’avais des fortes chances de manger des pissenlits par la racine avant mes cinquante-cinq ans. Dans la liste des questions qui franchit ses lèvres après mon propre aveu, il y avait cet ultimatum que je ressentais, ce genre d’interrogatoire qui secouait mes plumes dans le mauvais sens. Je me sentis déglutir lentement, un véritable geste de ma pomme d’Adam dans ce désert. J’ignorais ce dont elle faisait référence, mais je n’étais pas encore prêt à admettre que je n’allais pas bien et que ma situation était aussi sérieuse que grave. Mes bras croisés, je n’arrivais pas à baisser ma barrière. Je la toisais d’un air sévère. Je grognais un : « Je te l’avais dit qu’il fallait que tu sois précise. ». Je n’avais pas retenu la pointe d’exaspération dans ma voix. J’étais aussi à blâmer dans cette histoire, je m’étais retenu d’insister pour qu’elle avoue directement ce dont elle croyait être au courant. Je n’avais pas fait preuve de due diligence et pourtant je me surpris à réfléchir pendant un bref instant à la manière de dire quoi que ce soit à ma défense. Mais rien… absolument rien ne me venait en tête d’autres que de trouver une excuse bidon. « Peu n’importe… on ne parle pas de la même chose. Tu as une brillante carrière devant toi, Monroe… Je ne veux pas que mes décisions ne t’empêchent d’avoir le poste que tu mérites un jour. Respecte ma décision. », dis-je d’une voix blanche en me rapprochant de la porte. Les mêmes platitudes que j’avais déjà sorti. Et même si je savais au fond qu’il s’agissait d’une défense bien faible, je me sentais obligé de me sortir de là en évitant la question, repoussant à plus tard le moment où le chat sortirait du sac. Je me contentais de rajouter un : « J’ai besoin d’air. » avant de pousser la porte pour sortir. @Alexa Monroe (ce qui conclut le premier RP sans finesse!) |
| | | | | | | | à cœur ouvert ∞ muiredach |
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