| | | (#)Sam 12 Fév 2022 - 11:38 | |
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our aching hearts (the night we fell to pieces) Samedi 17 Mars 2018.
Arrivé à destination, le taxi aux couleurs de Brisbane se met en double-file. Je règle la course en laissant un bon pourboire, comme pour m'excuser par avance de quitter le véhicule sans un remerciement, sans un au revoir. Mais je n'ai pas le cœur à la politesse.
Ce soir, je n'ai plus le cœur à rien : mon monde vient de s'effondrer.
Je pénètre dans l'immense hall d'accueil du commissariat. En ce début de soirée, les lieux fourmillent encore d'activité. Entre les derniers visiteurs du jour et les passations de service, tenues civiles et uniformes se croisent dans tous les sens. Tant mieux. Ça me permettra de passer inaperçue. Je verrouille mon regard sur l'ascenseur. Plusieurs collègues ont déjà pris leur ticket pour le prochain voyage. J'opte alors pour les escaliers, bien moins empruntés donc plus discrets. Et puis, ce n'est pas comme si j'avais dix étages à grimper. Rectification : ce n'est pas comme si je devais grimper, point.
Après tout, les morgues se trouvent toujours en sous-sol.
Je traîne ma carcasse éteinte, marche après marche, ma paume serrée sur la rambarde. J'ai les jambes en coton et le sang qui bourdonne dans mes tempes, de plus en plus fort à mesure que j'approche du niveau -1. Pourtant, j'ai l'habitude de me rendre ici. Ça m'arrive très souvent. C'est un endroit indispensable à mon métier, car je ne suis pas qu'une flic. Je suis une flic des homicides. Les cadavres et les autopsies font partie de mon quotidien. Ils sont la base-même de chacune de mes affaires, sans exception. Pour enquêter sur les circonstances d'une mort, il faut d'abord un corps privé de vie.
La différence, c'est que ce soir, je ne suis pas là en tant qu'inspectrice. Je suis là en tant que famille proche. Celle qui vient confirmer l'identité de la victime.
June Copeland. Ma nièce de 3 ans.
Je pousse la porte battante. Froide, grise, terne. À l'instar de tout le reste, ici. Le long corridor se déroule devant moi. Sur la droite, le mur. De l'autre côté, diverses pièces dont celle où l'on me demandera d'entrer dans quelques minutes. Celle dont je ressortirai plus brisée encore.
Dans le coin d'attente, un homme est déjà là, assis sur l'un des bancs blanc cassé. Un choix neutre, passe-partout. C'est fait exprès, je le sais. De toutes les manières, aucune couleur ne serait en mesure de remonter le moral des gens qui patientent ici. Pas alors qu'ils pleurent celui ou celle qu'on vient de leur arracher, souvent avec violence. Leur jeter du rose, du jaune, du orange à la figure dans de telles circonstances serait… indécent.
Je le comprends, maintenant. Je le comprends si bien.
Nos regards se croisent, et dans cette infime seconde, je peux lire dans ses yeux la profonde douleur qui le cloue sur place, lui noue les entrailles et le dévore de l'intérieur. En prenant tout son temps. Je suis capable de le lire parce que je le connais, ce supplice. Le même se répand en moi, irrépressible, impitoyable. Je pince les lèvres, un mouvement si discret qu'il en est difficile à déceler. Ma manière à moi de reconnaître la présence de cet étranger, de reconnaître ce qui nous lie à cet instant : le désespoir le plus total. Un chagrin sans fin.
L'espace de quelques secondes, alors que je m'installe sur un autre banc, à sa gauche, je me demande qui il vient de perdre. Conjoint, conjointe ? Enfant ? Parent ? Ami(e) ? Au final, est-ce important ? Son état ne laisse pas de doute quant à la place que tenait cette personne pour lui : il l'aimait. Profondément.
Comme j'aimais June. Comme je l'aimerai jusqu'à la fin de mes jours.
Même si elle n'est plus là.
@Abel Reyes |
| | | | (#)Mar 22 Fév 2022 - 14:13 | |
| ≈ ≈ ≈ {our aching hearts} crédit/(jaifkncourtney/tumblr) ✰ w/ @Alexa Monroe La station de police de Brisbane. Tu es déjà passé devant le bâtiment des dizaines de fois, des centaines de fois et pourtant, tu ne t'es jamais attardé dessus, pourtant, tu ne t'es jamais dit que tu devrais y rentrer un jour. Non, tu as eu un passé libre, sans encombre, jusqu'à ce soir. Et plus tu fixes le bâtiment, plus tu as l'impression que le monde tangue, mais si, c'est bien ton estomac qui est en train de faire des siennes et qui menace de se vider de secondes en secondes. Tu sens une main sur ton épaule, tu prends une profonde inspiration et tu te tournes vers ton père, un visage familier, si familier et rassurant. Il hoche la tête et tu l'observes, soudainement redevenu un gamin, tandis qu'il détache ta ceinture puis la sienne et sort enfin du véhicule. Il en fait le tour facilement et vient ouvrir la porte pour toi. Il te tend même la main et tu t'en serres pour te redresser, ne faisant pas du tout confiance à tes deux pieds ou même à ton équilibre. "Tu veux que je vienne avec toi ?" Non. Tu hoches vigoureusement et négativement la tête, tu as déjà pris ta décision, s'il s'agit vraiment d'Ana alors... alors que personne d'autre que toi ne la voie comme ça, qu'ils gardent tous et toutes une image souriante de la brune et... Un pied après l'autre Abel, un pied après l'autre. Tu as vraiment l'impression d'être dans un rêve quand tu pousses les portes du commissariat, tout le monde avance à un rythme effréné et il y a toi, qui avance lentement, trop lentement pour être sur le même plan que les autres. Tu attires tout de suite l'attention d'un officier en uniforme, tu marmonnes pourquoi tu es là, tu ne sais pas pourquoi, mais il insiste pour te tendre un verre d'eau avant de te guider là où tu dois aller. Le panneau qui annonce l'endroit de la morgue te donne sérieusement envie de vomir et l'officier te conseille de finir ton verre d'eau, ce que tu fais... avant de pousser une nouvelle porte.
Et quelque chose se passe derrière les portes battantes, on te parle, on te dit encore de te préparer et quand le rideau est levé... le spectacle est horrible, le spectacle est affreux. "Oui je... c'est bien elle." C'est bien elle et tu ne peux pas rester là, tu fais déjà demi-tour avec plus de paperasse dans les mains et tu t'effondres presque sur le banc le plus proche. Ton cœur bat le tambour et tu ne sais pas qui va lâcher en premier : ton palpitant qui veut exploser ou alors ton esprit qui te joue et te répète la même scène, Ana avec les yeux fermés et... Quelqu'un apparait dans ton champ de vision et vos regards se croisent, la brune a une expression qui doit refléter tout ce que tu ressens. Pire que ça, tu dois avoir la même sur le visage. "Vous aussi vous avez..." Tu manques de sursauter à ta propre voix, tu as dû mal à trouver tes mots ce soir. Est-ce que l'on peut vraiment t'en vouloir quand tu viens d'aller identifier la mère de ta fille, et qu'elle vient d'être déclarée morte ? "Enfin vous êtes venue pour..." Tu es obligé de prendre une profonde inspiration, parce que c'est trop, parce que rien ne fait vraiment de sens, parce qu'Althea va grandir sans mère et toutes les ramifications viennent d'apparaitre sous tes yeux. C'est… injuste. "Vous aussi, vous avez perdu quelqu'un ?" Que tu réussi enfin à demander, sentant les larmes dans tes yeux et le peu de bon sens s'effriter peu à peu. C'est forcément un rêve, pas vrai ?
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| | | | (#)Lun 7 Mar 2022 - 19:16 | |
| Mes yeux semblent fixer le mur en face de moi mais véritablement, ils ne voient rien. Je me sens comme déconnectée de la réalité, présente et absente à la fois. Présente car consciente de mon environnement, de cet homme assis non loin de moi, de la raison pour laquelle je me retrouve à patienter dans ce recoin de couloir. Absente car toutes mes pensées sont tournées vers elle. J'ai encore beaucoup, beaucoup de mal à admettre ce qui vient de se passer. Et quelque part, tout au fond de moi, une flamme continue de résister à l'assaut des ténèbres. Un mince espoir subsiste, persistant. Celui que ces dernières heures ne sont rien d'autre qu'un terrible cauchemar, et que bientôt, je me réveillerai dans mon propre lit, le cœur serré, mais néanmoins soulagée d'avoir simplement été victime d'un subconscient un peu trop sombre et vagabond. Je me lèverais, et passerais alors chez Olivia et Jacob avant de prendre mon service du matin, pour faire coucou à June. Pour la voir, pour que son sourire lumineux me fasse oublier cette insupportable nuit. Je promettrais à ma filleule de revenir en fin de journée et de l'emmener déguster une glace face à l'océan, parce qu'elle adore le bruit des vagues. Puis, plus tard, elle me donnerait le dessin qu'elle aurait fait en attendant, impatiente de me revoir. À l'instar des autres, ce dernier ornerait mon frigo pendant un certain temps, avant d'intégrer ma pochette spéciale June. Celle que je lui réserve exclusivement. Mon trésor le plus précieux.
« Vous aussi vous avez... » Le retour à la réalité est dur, impardonnable. Je baisse un instant les paupières avant de les relever en un mouvement lent, presque amorphe. Si c'est un mauvais rêve, alors par pitié, Morphée, laisse-moi partir. Abandonne-moi, relâche-moi avant que je ne sombre entièrement et qu'il me soit impossible de remonter à la surface. « Enfin vous êtes venue pour... » Incapable de finir ni l'une ni l'autre de ses tentatives afin de nous connecter autrement que par le silence, je l'entends prendre une grande inspiration, sans doute pour se donner du courage. Le courage d'aller au bout. Se dit-il qu'un échange, même succinct, rendrait cette situation plus soutenable ? Moi, je n'ai pas envie de parler. Je n'ai pas envie d'avoir aussi mal que lui. Je ne demande qu'une chose : que cette hallucination cesse. Maintenant. « Vous aussi, vous avez perdu quelqu'un ? » Non, je n'ai perdu personne, je lui réponds de l'intérieur, mes lèvres restant scellées. Non, je n'ai perdu personne. Non, je n'ai perdu personne. Pourquoi faut-il que me le répète tel un mantra ? Qui suis-je en train d'essayer de convaincre que tout va bien ? Que mon univers ne vient pas de s'effondrer ?
Une cloison battante grince. « Lex ? » Mes iris rencontrent ceux de mon collègue, le légiste du commissariat. Son expression est peinée. Je ne sais pas si c'est parce qu'il vient d'admettre une enfant dans son service, ou si c'est parce que je suis directement concernée. Les deux, très certainement. Il me fait un léger signe de tête, m'invitant à le suivre dans son bureau. Mon cœur accélère la cadence. Je ne bouge pas, restant immobile sur mon banc. Réveille-toi. Réveille-toi. Réveille-toi ! Je hurle de plus en plus fort. Inutilement, car la scène ne s'évanouit pas comme par magie, au contraire. Elle tient le coup. C'est réel. Tout ceci est réel. Ton frère a eu un accident de voiture. Et June est morte.
Reprends-toi. Je n'ai jamais autant lutté pour ne pas perdre la raison, pour ne pas m'effondrer et laisser libre cours à la souffrance qui me déchire. Je me remets sur mes jambes et d'un pas peu assuré, passe devant l'homme en blouse blanche qui prend soin de refermer la porte après mon passage. Il me tend les papiers que j'ai accepté de remplir à la place de Jacob et Olivia. Je me concentre autant que possible, et appose ma signature en guise de point final. Un point final à l'existence de ma nièce, June Copeland. Un point final à tout ce qu'elle était une poignée d'heures plus tôt encore, et à tout ce qu'elle aurait pu devenir si sa vie ne lui avait pas été arrachée si cruellement.
Cinq minutes plus tard, je ressors de la pièce plus vidée qu'en y entrant, si une telle chose est possible. Je n'ai pas demandé à la voir. Je n'étais pas là pour ça, mais pour le côté administratif inhérent à son transfert depuis les services hospitaliers. Au-delà du fait que je n'aurais pas pu le supporter, ce n'est pas de cette façon que je veux lui dire au revoir. La perdre est déjà assez douloureux. Changer la dernière image que j'ai d'elle n'aurait fait que me détruire davantage. Pourquoi me l'imposer si ce n'est pas nécessaire ? Sur le seuil, le coroner murmure d'une voix solennelle. « Mes condoléances à Olivia et à ton frère. » Puis, il disparait de nouveau, me laissant seule avec ma peine.
Pas tout à fait seule, je finis par réaliser. L'inconnu de tout à l'heure est toujours là. Installé sur le même banc, les coudes sur les genoux et la tête dans ses paumes. Il lutte. Il lutte afin de garder le contrôle, au même titre que moi. Je me rappelle qu'il a voulu me parler, et que je n'ai eu ni la contenance, ni l'occasion de lui rendre la politesse. Là, rien ne m'en empêche. Qui serais-je, si je tournais les talons l'air de rien ? Si je le laissais se noyer sans lui tendre la main, sans tenter de le maintenir à flots ? Il a mal, comme toi. Je m'approche doucement. Cette fois, je mets moins de distance entre lui et moi lorsque je m'assois. Je me remémore ce qu'il m'avait demandé. « Vous aussi, vous avez perdu quelqu'un ? » Et la réponse qui s'était imposée à moi. Non, je n'ai perdu personne. Ce n'est plus qu'un écho lointain, désormais. Entre-temps, j'ai ouvert les yeux sur la terrifiante vérité. « Oui, j'ai perdu quelqu'un aussi. » Ce n'est qu'un souffle brisé, et empli de désespoir.
Je l'observe avec une pointe d'inquiétude. À moins qu'une personne ne l'attende dehors, sur le parking, je ne vois pas par quel moyen il pourrait rentrer. Je ne suis pas sûre de sa capacité à prendre le volant. « Vous avez besoin qu'on vous raccompagne chez vous ? » Je l'interroge, laissant la compassion pointer dans ma voix plus que d'ordinaire. Car ce soir, tout est différent. « Je peux vous appeler un taxi, ou demander à ce qu'un agent vous ramène. » La flic reprend temporairement le contrôle, et j'accueille ce répit avec un grand soulagement. « Venez. Prendre un peu l'air nous fera du bien. » Je me mets debout, esquisse trois pas dans le couloir en direction de la sortie, et fait volte-face afin de l'attendre. C'est décidé : quoi qu'il se passe, je ne le lâcherai pas tant que je ne le sentirai pas en sécurité.
Oui, j'ai perdu un être cher. Oui, j'ai mal et j'ai envie de me retrouver seule pour pleurer ma filleule. Mais en service ou non, je reste détentrice d'un badge qui exprime clairement mon rôle : servir et protéger les habitants de cette ville. Quelles que soient les circonstances.
@Abel Reyes |
| | | | (#)Dim 13 Mar 2022 - 14:50 | |
| ≈ ≈ ≈ {our aching hearts} crédit/(jaifkncourtney/tumblr) ✰ w/ @Alexa Monroe La brune ne répond pas à tes questions et elle finit par disparaitre derrière les portes battantes elle aussi. Te laissant seul dans ce long couloir et sur ce banc et tu prends une autre inspiration. En te disant que c'était sûrement déplacé, que tu ne la connais pas et que tu es là pour Ana, rien d'autre qu'Ana. L'image de son corps se dessine encore sous tes iris et tu as beau fermer les yeux aussi fort que possible, la vision est toujours là. Ana n'est plus, vous avez perdu le membre le plus fort de votre trio Althea et toi. Il va falloir que tu te lèves cependant, oui, que tu reprennes le contrôle de tes jambes, et retrouves ton père. Et que tu lui annonces la nouvelle, peut-être que lui saura quoi faire de toute cette paperasse. Oui, il est professeur, c'est lui qui est intelligent après tout, c'est lui qui doit savoir quoi faire de tout ça. Et ensuite, il faudra prévenir tout le monde, la famille et les amis d'Ana, expliquer à Althea que sa mère ne pourra pas venir la chercher pour leur sortie prévue au centre commercial et pour acheter les nouvelles chaussures que la petite voulait tant. Une paire avec des chats dessinés dessus, une paire parfaite pour la future vétérinaire qu'elle va être. Faire cette liste mentale ne t'aide pas du tout, non, au contraire, tu sais que c'est ce qu'il faudrait que tu fasses mais plus tu songes à te lever, à faire quelque chose, plus tes jambes se raidissent et plus te sens les larmes se former dans tes yeux. Tu es censé faire tout ça, tout seul, sans elle, sans Ana. Un sanglot t'échappe, c'est plus fort que toi, tu sais qu'il y a un stigma à propos des hommes et des larmes mais putain, qu'est-ce que tu t'en fous là tout de suite. Tu vas pleurer, tu le sais, tu vas sûrement pleurer tout un océan entier et un autre si on ne te dit pas que ce n'est pas un rêve. Tu sursautes un peu quand la brune reviens deviens toi, tu n'avais pas réalisé qu'elle avait refait son apparition. "Je..." Respire Abel, respire, voilà ce que te dis une voix dans ta tête, si similaire à celle d'Ana, tu as presque oublié comment faire et quand ta poitrine se soulève, ta respiration est presque saccadée. Presque. Tu relèves la tête, tu essuies les larmes qui sont en train de couler sur tes joues sans que tu ne puisses les arrêter. Et tu écoutes ses mots à elle, ce n'est pas que toi, elle aussi a perdu quelqu'un, tu hoches la tête, parce que tu comprends, parce qu'elle n'a pas besoin de donner plus de détails et tu te demandes comment elle fait pour ne pas avoir l'air aussi dévasté que toi, vraiment.
"Je suis venu avec mon père, il a insisté, je lui ai dit d'attendre dehors, je ne voulais pas que..." Tu ne voulais pas lui imposer cela, tu ne voulais pas vraiment y croire avant de voir les yeux d'Ana vide de toute émotion et elle-même sans rien. Cela n'a jamais été autre chose qu'une bonne entente entre vous, mais tu l'as toujours encouragée et tu sais que si les étoiles avaient été alignées, elle aurait fini avec ton nom de famille et une bague à son doigt. Non, pas de cela entre vous deux, vous étiez amis avant tout, partenaires de crime parfois et parents un peu perdus souvent, maintenant, tout ça, c'est fini. "Que quelqu'un d'autre la voit comme ça." Que tu finis avant de prendre une autre profonde inspiration, non vraiment, le dire à voix haute ne rend pas les choses plus faciles. Cela ne fait que creuser le vide que tu as là, juste dans ta poitrine, tu sens ton cœur battre et pourtant, tu as presque l'impression que c'est faux, lui aussi a dû se faire engloutir par tout ce que tu ressens. C'est confus, c'est injuste et si dans d'autres circonstances tu aurais su apprécier l'aide que l'on t'offre, là tout de suite, tu ne peux qu'hocher négativement la tête. "Je ne crois pas que je peux bouger je..." Tu ne te fais pas confiance à ce point-là, un seul faux mouvement et tu pourrais finir sur le sol, ou pire encore. Tu as besoin de quelques minutes de plus, pour que la réalité prenne plus de poids et que ta raison reprenne le dessus. Il faut que vous soyez fort, voilà ce que le légiste t'a dit en te tendant tout cela dans les mains, sûrement un bon conseil mais comment est-ce que l'on fait cela au juste ? Tu n'as rien d'un lâche, au contraire, tu t'es toujours battu pour aller jusqu'au bout de tes envies et de tes ambitions, toujours. La situation semble bien différente et à des lieux de ton domaine d'expertise. "J'ai l'impression de la voir partout." Tu murmures la phrase, presque honteux, mais l'image d'Ana éteinte est imprégnée sur ta rétine et ce dès que tu fais le moindre mouvement et que tu tentes de penser à autre chose. Aucun moyen de retourner en arrière, tu te souviendras toujours de la mère de ta fille ainsi, ça ne devrait pas être ainsi, pourquoi elle et pas toi ? Non vraiment, pourquoi elle et pas toi ? "Vous pouvez me laisser là hein, allez retrouver votre famille." Tu ne veux pas être le fardeau de qui que ce soit ce soir, toi et ta détresse, tu renifles de manière peu élégante, tant pis, et tu essuies plus de larmes d'un revers de la main la seconde suivante. "Ils doivent vous attendre." Tout comme ton père doit t'attendre, tout ceci a des ramifications et il ne faudrait pas les oublier, non, il ne faudrait pas.
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| | | | (#)Sam 2 Avr 2022 - 11:06 | |
| C'est une bonne chose qu'il ne soit pas seul. Qu'un membre de sa famille proche l'attende juste là, dehors, afin de le ramener à la maison quand il s'en sentira la force et le courage. Si je l'avais voulu, j'aurais pu être accompagnée, moi aussi. Soutenue. Au moment de quitter le St Vincent pour me rendre au commissariat, mon premier réflexe a été de prendre mon portable et d'appeler Eliot. Un simple coup de fil de ma part et il aurait tout lâché dans le but de me rejoindre. Mais je n'ai pas pu me résoudre à aller au bout de ma démarche. J'avais besoin d'être seule, sans aucune présence autour de moi, pas même celle de mon ami le plus proche. Alors, je me suis retrouvée dans un taxi impersonnel, luttant chaque seconde contre mon envie de fondre en larmes devant l'inconnu installé derrière le volant. D'ailleurs, il n'a pas desserré les lèvres en-dehors des courtes formules de politesse. Je crois qu'il a senti le mal qui me rongeait, sans doute mis sur la piste par mon lieu de départ ainsi que ma destination. Tant mieux. Ça m'a évité de le dissuader par un regard noir qu'il n'aurait pas mérité.
Désormais, je me tiens debout dans le couloir à attendre que mon vis-à-vis se lève, qu'il vienne prendre l'air avec moi. On en a tous les deux besoin, car rester enfermés ici, en ces lieux où la mort règne en maîtresse impitoyable, ne nous aidera certainement pas à reprendre pied. Et je me suis fait la promesse de rester avec lui jusqu'à ce que son état de choc se dissipe. Bien sûr, la suite n'en sera pas moins insupportable cependant, elle signera le début du processus de deuil. Un long chemin douloureux, semé d'embûches… et pourtant indispensable. « Je ne crois pas que je peux bouger je... » J'acquiesce doucement avant de revenir à ma place initiale, et de me rasseoir non loin de lui. Puisqu'il a besoin d'un peu de temps encore avant de sortir, alors j'attendrai patiemment. Je ne le lâcherai pas. Le silence nous enveloppe à nouveau, et peut-être n'est-ce qu'une impression, mais il me semble qu'il se fait un peu moins lourd, un peu moins étouffant que tout à l'heure. Qu'on l'ait voulu ou non, à cet instant, on est connectés, lui et moi. Notre peine et notre détresse sont deux poids que l'on partage l'un avec l'autre dans un élan d'entraide presque inconscient.
« J'ai l'impression de la voir partout. » Il souffle finalement. Un coin de ma tête prend note que la victime, en ce qui le concerne, est du genre féminin. Il va de soi que ça n'a aucune importance, mais c'est plus fort que moi. Je blâme une déformation professionnelle : chaque élément est retenu, analysé, décortiqué. « Je comprends, » je réponds en un murmure similaire. Dès que j'abaisse mes paupières, le doux visage de June s'impose immédiatement, et j'entrevois une myriade d'émotions la traverser. La petite fille boudeuse, la petite fille curieuse, celle qui pleure de fatigue, celle qui rit aux éclats. J'entends sa voix m'appeler, m'offrir un dessin, me demander pourquoi il y a des nuages dans le ciel, me supplier de sortir manger une glace ensemble. Elle n'est plus là, et elle est partout à la fois. Le paradoxe le plus déstabilisant, le plus déchirant de tous.
Mes attention plantée au sol, j'entends renifler et lève des yeux humides sur lui. « Vous pouvez me laisser là hein, allez retrouver votre famille. Ils doivent vous attendre. » Durant une poignée de secondes, j'essaie de jauger ses mots. Est-ce une manière détournée de me faire comprendre qu'il veut être seul, ou se montre-t-il simplement poli ? Dans le premier cas, je serais prête à le laisser. Dans le second… C'est le second, je juge, pratiquement sûre. Par conséquent, je secoue la tête de gauche à droite, indiquant mon désaccord. « Personne ne m'attend. » J'aurais pu me contenter de lui dire de ne pas s'en faire pour moi, mais avec la vérité, ma décision de lui tenir compagnie ne risque pas de lui inspirer une quelconque culpabilité injustifiée.
J'observe la paperasse indigeste qu'il tient entre ses mains, ressemblant en tous points à celle que je viens moi-même de noircir dans le bureau de mon collègue. D'un petit signe, je lui indique les feuilles en question. « Si vous voulez, je peux vous aider à les remplir. Comme ça, vous n'avez pas besoin de les ramener chez vous et de revenir ensuite. » Il n'aura plus qu'à les rendre ici et maintenant. Toute cette situation est déjà bien assez difficile sans son côté administratif et surtout, la douleur supplémentaire qu'il inflige aux proches qui en ont la charge. « Je travaille ici. Je suis sergente, » je m'empresse de préciser, consciente que ma proposition paraît étrange sans l'explication qui s'impose, sans une preuve qu'il peut me faire confiance avec ses informations privées et personnelles. Je désigne à nouveau les documents tristement familiers, même avant ce soir. Même avant June. « Je peux le faire en quelques minutes. » Pour qu'après, on n'en parle plus. Pour qu'il puisse s'alléger de ça, au moins de ça. Comme Jacob et Liv ont pu le faire.
Je sens mon esprit vagabonder vers eux, vers ce qu'ils doivent traverser, et je me force à le ramener au présent. Le coin d'attente de la morgue. L'homme qui se tient à côté de moi. Je dois laisser les rênes à la flic, pas à la marraine meurtrie. C'est la seule et unique chose qui m'empêche de m'effondrer.
@Abel Reyes |
| | | | (#)Ven 15 Avr 2022 - 12:57 | |
| ≈ ≈ ≈ {our aching hearts} crédit/(jaifkncourtney/tumblr) ✰ w/ @Alexa Monroe Tu n'as jamais été seul, et c'est ça la vérité. Tu as grandi entouré de parents aimants et pas du tout avare en affection, tu es enfant unique alors tu as pu profiter de toute l'attention du monde, celle de tes parents, celles de tes grands-parents, sans jamais devoir batailler avec qui que ce soit. Et contrairement à beaucoup, tu n'as manqué de rien, personne n'a essayé de piétiner tes rêves et on t'a au contraire, toujours encouragé et toujours soutenu. Même du temps de la fac, quand tu as rencontré Ana, quand tu lui as fait part de ton désir d'être acteur et de toi aussi un jour, faire la tête d'affiche, elle ne s'est pas moquer de toi, elle a admis que c'était brave et elle t'a encouragé. Et quand des années plus tard, vous vous êtes retrouvés face à ce test de grossesse positif, tu n'étais pas seul. Oui, tu as un peu paniqué et tu t'es demandé ce que cela voulait dire et si tu n'avais pas prévu de devenir père de la sorte, des suites d'un accident, quand tu as vu la même incertitude et panique sur le visage de la brune, dans un sens, cela t'a rassuré. De la voir paniquer aussi, de se dire que vous avez fait une énorme erreur et qu'il est grand temps d'en assumer les conséquences. Ensemble. Ce que vous avez fait, sans jamais chercher à vous cacher, en tentant de donner le meilleur à votre petite fille, qui elle aussi, n'a manqué de rien. Mais ce soir ? Là tout de suite, tu te sens désespérément seul, parce que tu viens de perdre une alliée précieuse et qu'il n'y a aucun moyen de retourner en arrière. Tu auras beau le souhaiter de toutes tes forces, fermer les yeux, croiser les doigts, Ana ne reviendra pas et c'est une réalité qui te glace le sang et qui te cloue sur place. Tu ne sais pas comment gérer cela, tu ne sais pas comment être fort, tu ne sais pas voir au-delà de cela et en rencontrant le regard de cette autre femme, cela t'aide un peu. Parler à une parfaite inconnue aide à remettre la situation en perspective un minimum et quand elle te dit qu'elle n'attend personne, tu hoches la tête, de manière un peu plus résolue et un peu plus certaine qu'il y a quelques secondes, lâchant un : "Okay." qui n'est pas un sanglot. Cela t'étonne même, si elle n'était pas là peut-être que tu aurais déjà jeté l'éponge et que les larmes seraient déjà là, ce n'est pas le cas, ce n'est pas encore le cas. Elle t'informe de sa profession et tu supposes que cela tombe bien, tu te vois mal remplir quoi que ce soit dans la présente et même si cela est urgent. Il va falloir organiser des funérailles... comment est-ce que l'on fait cela déjà ? Tu n'en as absolument aucune idée, tu ne t'es jamais penché sur cette question, tu ne pensais pas que tu devrais le faire un jour. "Je veux bien, je ne pense pas que je sois en mesure de lire ou de remplir quoi que ce soit maintenant, surtout pas maintenant." Tu lui tends la petite pile que tu as dans les mains, certaines pages sont froissées, tu n'avais même pas réalisé que tu faisais cela, encore une preuve que tu n'as pas conscience de beaucoup de choses ce soir. "Abel au fait, je m'appelle Abel." Que tu dis avant de te râcler la gorge, ta voix parait plus faible que d'habitude, tu ne sonnes même pas comme Abel que tu songes l'instant suivant, d'habitude, ta voix est beaucoup plus enjouée que cela, c'est la fatigue, c'est l'émotion que tu supposes et tu pousses un léger soupir. "Elle s'appelait Ana." Tu marmonnes les mots, avant de te dire que la sergente pourra trouver le reste des informations, vu que tu es venu ici pour confirmer l'identité de la mère de ta fille, le reste est plutôt logique... Tu vas devoir informer ses parents à elle aussi non ? Tu te demandes si ce serait pousser que de demander à cette figure d'autorité de s'en charger, sûrement, autant ne pas abuser de sa gentillesse, tu vas bien devoir sortir de ta trance à un moment donné et te reprendre en main, n'est-ce pas ? Oui, tu le sais, tu vas devoir, pour ton père qui t'attend au dehors, pour Althea qui t'attend sûrement endormie dans les bras de ta propre mère. "Et vous ? Vous avez un prénom ?"
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| | | | (#)Dim 24 Avr 2022 - 10:24 | |
| Une part de moi se demande ce que je fais encore là. Je devrais être loin maintenant. Loin du commissariat, loin de sa morgue où repose le corps sans vie et encore tiède de ma filleule. Mon cœur s'emballe face à de telles pensées, et c'est comme si je pouvais voir le linceul, lourd et aussi sombre qu'une nuit sans lune, s'enrouler autour de moi, prenant possession de tout ce que je suis, ne laissant rien, absolument rien à l'espoir de jours meilleurs. Oui, cette part de moi a envie de fuir sans se retourner, de plonger dans un taxi, s'enfermer à la maison et pleurer, pleurer jusqu'à ne plus avoir aucune larme à offrir. Avoir mal. Parce que c'est ce qui est supposé se passer, non ? N'est-ce pas la chose à faire quand on se retrouve face à une telle souffrance, face à un tel vide ? Se couper du monde. Laisser partir ce petit morceau de nous-mêmes à l'agonie, l'autoriser à rejoindre celui ou celle qui n'est plus là. Pour l'accompagner.
Et puis il y a cette seconde part de moi qui, peut-être - sans doute - par peur de tout cela, justement, prend le pas sur la première et décide de taire la marraine inconsolable au profit de la sergente dévouée. Le chagrin est encore là, bien sûr. Il ne peut pas disparaître. Mais il est temporairement amoindri, parce que cet homme assis à mes côtés a besoin de mon aide, et que je me dois de la lui apporter. Pour lui, et égoïstement, pour moi. « Je veux bien, je ne pense pas que je sois en mesure de lire ou de remplir quoi que ce soit maintenant, surtout pas maintenant. » J'acquiesce sans un mot avant de récupérer les quelques feuilles volantes dont certaines ont été visiblement malmenées, ce qui n'a en soi aucune espèce d'importance. Dans le pire des cas, mon collègue m'en donnera d'autres. Quoi qu'il arrive, je vais avoir besoin de retourner dans son bureau.
Je m'apprête à me lever, retenue à la dernière seconde par la voix de mon vis-à-vis. « Abel au fait, je m'appelle Abel. » Il se racle la gorge et enchaîne, plus faiblement, plus péniblement cette fois. « Elle s'appelait Ana. » Ce prénom agit tel un électrochoc. Je m'en veux - pire, je n'arrive pas à admettre que je n'y ai pas pensé plus tôt. Que je n'ai pas fait le rapprochement dès le départ. Je réalise à quel point la peine peut obscurcir le discernement de ceux qu'elle afflige et, pour la première fois de mon existence, je comprends enfin pourquoi la loi tient les flics éloignés d'une enquête lorsqu'ils sont personnellement impliqués. Lorsque les victimes sont des proches. Je pouvais concevoir cette règle, sans toutefois l'approuver. Car à mon sens, ce lien existant n'est pas forcément négatif quant à la résolution d'une affaire, au contraire. Désormais, je sais.
Il a le regard baissé sur ses mains, il n'a pas vu mon expression interpellée. « Et vous ? Vous avez un prénom ? » Je reprends mes esprits. J'ai beau être quasiment certaine de l'identité d'Ana et de la raison pour laquelle elle est aux côtés de June, je me dois de vérifier au préalable, si je veux expliquer à Abel qu'il y a davantage que nos âmes meurtries pour nous rapprocher. « Lex, » je lui souffle tout en quittant le banc. Nos yeux se croisent et j'esquisse le fantôme d'un sourire, l'encourageant à m'attendre en exhibant les papiers. « Je reviens tout de suite. » En quelques pas, je pousse les doubles-portes battantes en direction du bureau du légiste, m'installe dans un coin et remplis la paperasse administrative pour la seconde fois en une demi-heure. Il me confirme, pour Ana. Je ferme les paupières un instant, luttant contre la vague de haine qui m'envahit à l'égard de la personne derrière ce foutu volant, qui n'a pas arraché une, mais deux vies ce soir.
Je ressors dans le couloir, demande une signature à Abel qu'il appose mécaniquement, fais demi-tour, et en deux minutes, je suis de retour auprès de lui. « Ce sont les photocopies, » je l'informe en lui tendant une pochette plastique contenant des documents, songeant que les miens pèsent soudain bien lourd, pliés en deux dans la poche intérieure de ma veste en cuir. J'aurais pu les récupérer plus tard. J'aurais pu, oui, si j'avais voulu remettre les pieds ici prochainement. Bientôt, je les céderai à Jacob et à Liv, dès lors qu'ils se sentiront prêts.
« Abel, il faut que je vous dise quelque chose. » Un soupir s'échappe d'entre mes lèvres, prémices d'une révélation qui s'avère difficile. J'ai hésité, puis en suis arrivée à la conclusion qu'il a le droit de savoir et que de toutes les manières, il l'apprendra forcément. Je préfère que ça vienne de moi plutôt que de l'inspecteur en charge du dossier. Et je me dis que lui aussi, compte tenu de ce que nous avons déjà partagé. Alors, je m'arme d'autant de courage que possible, et me lance. « Je suis là pour ma nièce, June. Elle était en voiture avec son père - mon frère - quand ils ont eu un accident provoqué par une berline qui... qui leur a causé une sortie de route. » Ma voix tremble, et je ravale les larmes qui menacent à nouveau de couler en torrent le long de mes joues rougies par l'émotion. Tiens bon. Sois la sergente, pas la marraine. « Un collègue m'a appris que le même véhicule en avait violemment accroché un second dans un autre quartier. » Il y a eu délit de fuite les deux fois cependant, les premiers éléments - les traces de peinture sur les deux carrosseries récupérées - correspondent à la perfection. « Il m'a dit que la femme dans la deuxième voiture s'appelait Ana. » Du moins, c'était ce que les papiers de son sac à main indiquaient, et ils n'avaient aucune raison d'en douter, bien que la procédure exige l'identification du corps par un proche.
Je n'ai pas besoin d'aller au-delà dans les explications. Pas besoin de lui dire que June et Ana ne sont plus parmi nous parce qu'elles se sont trouvées sur la route du même conducteur - ou de la même conductrice. Qu'il ou elle s'est enfui(e), lâchement, à double reprise. Pour le moment, impossible d'en savoir plus. Il est trop tôt. Volonté de faire mal, peur des conséquences, conduite sous emprise d'alcool ou de stupéfiant, aucune piste, aucun mobile n'est à écarter. Je sens que mes mots ont ébranlé Abel. Je pose ma main sur son avant-bras, avec douceur, et nos regards finissent par se croiser. « On remuera ciel et terre pour retrouver et faire payer la personne responsable. » On l'aurait fait, peu importe les circonstances, peu importe les victimes, car c'est notre métier, la raison pour laquelle on porte le badge. Que June soit fille et filleule de flic ne change rien si ce n'est, il faut l'admettre, une hargne supplémentaire à débusquer le ou la coupable. Qu'on le veuille ou non, on est une famille. Beaucoup trop vaste et dysfonctionnelle, avec ses hauts et ses bas, mais une famille quand même.
@Abel Reyes
Dernière édition par Alexa Monroe le Sam 7 Mai 2022 - 16:35, édité 1 fois |
| | | | (#)Jeu 28 Avr 2022 - 12:51 | |
| ≈ ≈ ≈ {our aching hearts} crédit/(jaifkncourtney/tumblr) ✰ w/ @Alexa Monroe "Okay... Merci Lex." Que tu t'entends marmonner avant qu'elle ne te laisse seul pendant quelques instants. Seul avec tes pensées et avec le reste du monde qui semble toujours tanguer et tourbillonner autour de toi, tandis que ton cœur bat la chamade et que tu fais de ton mieux pour ne pas craquer. Pour ne pas laisser rouler les larmes et pour ne pas tout simplement te laisser aller à tout ce que tu ressens. C'est beaucoup et même toi qui es un bon acteur, tu dois admettre que c'est difficile de rester stoïque, de conserver la tête haute et d'être l'adulte fort et responsable et mature. Tu viens de perdre quelque chose d'important, une personne qui donnait du sens à ton quotidien, une personne qui t'a donné ta petite fille et maintenant, tout vient de s'arrêter brutalement. Si tu étais plus fort que tu ne l'es dans la présente, tu te serais levé pour suivre Lex, tu l'aurais remerciée pour t'avoir écouté et pour son aide, tu irais retrouver ton père pour lui confirmer que c'est bien Ana et qu'il y a beaucoup de choses à faire. Beaucoup de personne à mettre au courant, à rassurer, de la paperasse administrative à remplir et tout un tas de détails dont tu devrais déjà être au courant. Tu n'es pas fort à ce point-là, tu sais comment faire sourire les autres, comment effacer une très mauvaise journée et de quelle façon tresser les mèches brunes d'Althea pour faire apparaitre un sourire sur le visage de ta petite fille. Comment est-ce que tu vas le lui dire à elle ? Comment ? Cette question te martèle l'esprit, tellement fort que tu vas très certainement finir avec une migraine et quand tu sors de tes pensées, Lex est de nouveau devant toi et elle te tend une pochette en plastique. Tu l'attrapes avec les paumes moites, hochant la tête et murmurant un merci. Tu la fixes toujours quand elle finit par soupirer et tu l'écoutes avec une diligence certaine. Tu la fixes comme si elle avait déjà toutes les réponses, comme si c'était elle qui allait poser ta main sur ton épaule, pour te secouer, pour te remuer, pour te dire que ce n'est qu'un mauvais rêve et qu'il serait grand temps de retourner dans la réalité. Ou alors qu'elle te dise quoi faire, exactement comment le faire et quand le faire. Rien de tout cela cependant, non, à la place, tu l'écoutes en dire plus sur elle, sur sa famille, sur l'accident. Tu fronces les sourcils sans même t'en rendre compte, essayant de tout connecter, de comprendre ce qu'elle vient de te dire. Il te faut quelques secondes pour le faire et quand tu le fais, il n'y a plus aucun doute, tu pleures vraiment, c'est un sanglot qui t'échappe, face à la tragédie de la chose, face à ses deux vies qui ont été prises et pendant un moment, tu enfouis ton visage entre tes mains. Tu ne perçois rien d'autre que les larmes salées qui sont emprisonnées entre la peau de tes joues et tes doigts, et la salle impression que ta tête va vraiment exploser, ce n'est plus une migraine, c'est ton monde tout entier qui perd toutes ses couleurs, d'un seul coup. Quand un autre sanglot t'échappe, tu te demandes même de quoi tu as l'air, mais tant pis, tu n'as plus de fierté, tu n'as plus rien et quand tu t'essuies les joues enfin, tu arrives un minimum à parler, les derniers mots de Lex résonnant toujours. "C'est la même personne ? Pour votre nièce ? Pour Ana ? La même personne responsable ?" Que tu dis à voix haute, le même responsable au dehors, à continuer de vivre sa vie. Est-ce que tu es censé haïr cette personne ? La détester de tout ton être et souhaiter qu'elle échange sa place avec Ana ? Tu n'en sais rien, cependant, cela est à des lieux de ce que tu ressens, tu es confus, plus blessé que tu ne l'as jamais été, plus écorché à vif que jamais. "Mon père m'attend... je ne sais pas quoi lui dire. Et les parents d'Ana qui se charge de les appeler ? Moi ou est-ce que la police va s'en occuper... il va falloir organiser un enterrement." Tu ne sais pas à qui tu parles, à Lex, à toi-même, tu ne vois rien d'autre que des larmes pendant un temps et enfin, tu prends une profonde inspiration, puisant de l'air comme si ta vie en dépendait. "Que se passe-t-il quand on trouve le responsable ? Est-ce qu'il va en prison ? Est-ce que…" Est-ce que cela changera quoi que ce soit ? Non, tu n'as même pas besoin de finir cette interrogation-là, tu le sais très bien. "Que se passe-t-il une fois qu'on l'aura retrouvé ?"
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| | | | (#)Dim 8 Mai 2022 - 9:27 | |
| Au moment de révéler à Abel la terrible vérité qui nous lie et surtout, qui lie les deux êtres chers que nous avons perdus ce soir, sa réaction est immédiate. Ses traits témoignent d'abord d'une certaine réflexion, puis de la surprise inhérente à celui qui vient de réaliser une information cruciale et, enfin, il plonge son visage entre ses paumes ouvertes, ses épaules tressautant au rythme des sanglots qui le submergent. Mon coeur se serre à le voir si désespéré, si impuissant face à la situation, pourtant, je ne regrette pas de le lui avoir dit. Compte tenu des circonstances, c'était à moi de le faire, et à personne d'autre. Silencieuse, je le laisse évacuer ce nouveau choc, les mâchoires serrées, sentant la menace de mes propres larmes massées derrière mes paupières. Je continue à me répéter, tel un mantra, que c'est la sergente qui doit rester aux commandes pour l'instant. Mais peu à peu, je sens mes dernières forces me quitter, mes dernières barrières trembler, et lorsqu'elles décideront toutes de m'abandonner, de céder véritablement, alors il n'y aura plus rien à faire.
Face à moi, Abel relève des yeux rougis. Il essuie ses joues trempées d'un revers de manche, reniflant au passage. Sa douleur me heurte. Elle me heurte parce qu'il y a exactement la même juste là, à l'intérieur de moi, criant, hurlant pour qu'on la laisse sortir et s'exprimer comme elle le veut, comme elle en a besoin. D'une voix marquée par la peine, Abel me demande confirmation qu'il a bien compris. Il subsiste sûrement un espoir, dans son esprit, qu'il ait mal interprété mes mots. Que non, il n'existe pas vraiment quelqu'un qui puisse commettre un tel acte d'horreur. Quelqu'un qui puisse provoquer non pas un, mais deux accidents mortels coup sur coup, et s'enfuir sans se retourner. Je n'en suis pas étonnée : il n'est qu'un humble habitant de Brisbane. Il ne sait rien des monstres que je côtoie au quotidien, et de ce dont ils sont capables. J'aurais tellement préféré qu'il garde cette innocence. Celle-là même que certains chanceux conservent toute leur vie, quand d'autres la perdent dès lors qu'on leur apprend la mort criminelle de l'un de leurs proches. « Oui, » je finis par lâcher, étant donné qu'Abel semble avoir la nécessité de l'entendre afin de l'accepter. « Ils en sont sûrs. » Ce qui n'était encore qu'une hypothèse une poignée d'heures plus tôt a vite été confirmé par le laboratoire spécialiste en la matière. Il n'y a qu'une seule et unique voiture impliquée. Un seul et unique conducteur responsable.
« Mon père m'attend... je ne sais pas quoi lui dire. Et les parents d'Ana qui se charge de les appeler ? Moi ou est-ce que la police va s'en occuper... il va falloir organiser un enterrement. » Je resserre doucement ma paume sur son avant-bras, tel un point d'ancrage l'empêchant de se perdre dans le tourbillon de ses pensées. Il y aura un temps pour chaque démarche. Je ne peux pas répondre à chacune de ses interrogations, mais je peux l'aider avec au moins l'une d'entre elles. « Un agent de police peut prévenir les parents d'Ana, si c'est ce que vous souhaitez. Dîtes-le-moi et j'en aviserai mes collègues. » Je n'ai pas la possibilité de faire mieux, de lui offrir d'être celle qui ira frapper à leur porte. Je n'en aurais pas la force. Pas cette fois. S'il acquiesce, il me suffira d'envoyer un SMS au superviseur de l'enquête et le nécessaire sera fait dès demain matin. Et Abel n'aura pas à formuler lui-même sa demande à l'accueil du commissariat. Une demande dont chaque syllabe aurait agi comme autant de coups de poignards en plein cœur.
Je lui précise que tout, absolument tout sera fait pour retrouver la personne qui se trouvait au volant, pour que ses actes ne restent pas impunis. « Que se passe-t-il quand on trouve le responsable ? Est-ce qu'il va en prison ? Est-ce que… » Il se coupe, cherchant la suite de sa phrase. J'attends sans desserrer les lèvres, le laissant aller jusqu'au bout. « Que se passe-t-il une fois qu'on l'aura retrouvé ? » Si ça ne tenait que de moi… Je secoue la tête. Ça ne tient pas de moi, et heureusement. Aveuglée par la rage, je n'aurais pas confiance en mes propres actes, si je me retrouvais face à lui. « Il sera jugé. Et condamné. » Ça ne fait aucun doute car quoi qu'il arrive, il est coupable. Aucun tribunal ne le laisserait sortir en citoyen libre. Il pourra avoir le meilleur des avocats, après un double délit de fuite ainsi qu'un double homicide involontaire - pour l'heure, il n'échappera pas à la prison. Et s'il est prouvé qu'il a sciemment causé ces deux accidents, s'il a déjà des antécédents avec la police, sa peine n'en sera que plus lourde. « Je ne peux rien promettre mais il devrait être enfermé un très long moment. » C'est ce que je lui souhaite. Qu'il passe les prochaines décennies dans un établissement pénitentiaire après avoir ôté la vie d'une petite fille de trois ans s'avérant être la fille d'une comparse flic. Il n'aura aucun passe-droit, aucune de ses requêtes afin d'améliorer son quotidien ou d'accéder à un job ne sera acceptée. Son existence derrière les barreaux sera un enfer, les matons s'en assureront. Parce qu'on ne touche pas aux leurs. On ne touche pas aux nôtres. Et quand la rumeur de ce qu'il a fait se répandra telle une traînée de poudre dans les couloirs, même les autres criminels le puniront. Parce qu'on ne touche pas aux enfants non plus. Jamais.
Une vibration émane de ma poche. Je sors mon téléphone, juste assez pour lire la moitié haute de l'écran. Lorsque le prénom d'Eliot se dévoile à mes yeux, c'est là, à cette seconde précise, que tout s'effondre. Il sait, je me dis alors que, incapable de décrocher, j'éclate en sanglots à mon tour, sans vraiment comprendre pourquoi cet appel a brisé mes ultimes efforts de retenue. Peut-être parce qu'en dépit de son métier, similaire au mien, il n'est pas qu'un collègue à mes yeux. Je l'ai rencontré bien avant qu'on ne se tourne ensemble vers la police. Non, Eliot est surtout un ami. Le meilleur d'entre tous. Et ce n'est pas la sergente qu'il est en train de chercher à joindre. C'est celle que j'ai tant voulu réprimer, ce soir, face à Abel. Celle qui, par ce simple coup de fil, vient de violemment refaire surface.
La tante de June. La marraine orpheline.
@Abel Reyes |
| | | | (#)Ven 13 Mai 2022 - 3:40 | |
| ≈ ≈ ≈ {our aching hearts} crédit/(jaifkncourtney/tumblr) ✰ w/ @Alexa Monroe Tu ne sais pas ce que tu dois faire. Est-ce que tu dois essuyer les larmes sur tes joues, et commencer à hurler et à en vouloir au monde ? Est-ce que tu dois taper dans un mur et dire aux autorités de faire leur boulot et de te ramener le coupable maintenant ? Ou agir de manière raisonnée et logique, faire une liste de tout ce qu'il faut faire, ignorer les émotions et être celui qui saura gérer cette crise et sur lequel on peut et on doit même se reposer ? Tu n'en sais rien, rien ne fait plus de sens depuis que tu as bien constaté que c'était bien Ana qui n'était plus de ce monde, et quelqu'un d'autre. Tant de vies prises en un soir, alors oui, c'est comme cela que la vie est faite et cela ne change pas le cours des choses et pour certains, il s'agit juste d'une soirée normale, décidemment pas pour toi. Décidément pas pour Lex. "Non, je m'en charge pour ses parents, merci de me le proposer, mais cela doit venir de moi. Pas d'un parfait inconnu, il faut que je leur dise. Il faut que je le dise à tout le monde." Tu déclines l'offre sur un ton légèrement fatigué, mais les parents d'Ana méritent un peu mieux que cela et de savoir que la perte d'Ana te touche profondément. Tu n'as peut-être pas perdu ta femme ou ta partenaire romantique, mais elle était bien ta partenaire pas bien des façons, après tout, vous avez fait une personne ensemble, car oui, Althea c'est le parfait mélange de toi et d'Ana et tu t'es toujours dit que peu importe la tournure que prendrait la suite de ta vie, de vos vies, tu saurais au moins que vous avez fait quelque chose de bien. Cette petite fille avec des idées et des rêves plein la tête... Cette petite fille qui va devoir grandir sans son modèle et sans sa mère. La pilule est plus que difficile à avaler et les questions que tu as posées à Lex, tu les demandes autant à l'agent des forces de l'ordre qu'à celle qui vient elle aussi de subir une perte. Tu sais qu'il y a un système judiciaire, des procédures à suivre, un ordre pour ne pas sombrer dans l'anarchie, c'est difficile d'y penser quand tu es autant blessé et brisé, difficile d'y penser quand tout ce que tu veux faire c'est te rouler en boule et continuer de pleurer. Tout un océan entier s'il le faut. Les mots de Lex ne t'offrent pas de réconfort, c'est la vérité et elle fait bien de ne rien te promettre car tu serais capable de lui en vouloir si elle ne respecte pas sa parole. "Si on le retrouve." Que tu ne peux t'empêcher de dire malgré toi, parce que c'est bien cela le problème, ce chauffard ne s'est pas arrêté pour s'enquérir de l'état de ses victimes, ou même appeler les secours ou quoi que ce soit qui rend une personne humaine. "Si on l'arrête." Tu marmonnes les mots suivants et tu hoches la tête, parce que tu comprends ce que Lex ne te dit pas, ce n'est pas de son ressort à elle et qu'on ne juge pas les gens parce qu'ils ont fait souffrir les autres, c'est plus compliqué que cela. Encore une fois, tu ne sais pas quoi ressentir vis-à-vis de cet étranger, c'est comme si on te demandait de prêter attention à une ombre, une ombre qui n'aurait jamais dû être là et qui va laisser une trace permanente dans ta vie et dans celle de ta fille. Quand le téléphone de Lex vibre, tu sursautes un peu, le son te rappelle qu'il y a autre chose en dehors de ce couloir et ton cœur qui bat un peu trop fort. Le monde extérieur, tu supposes que ton paternel a fini par comprendre qu'il s'agissait bien d'Ana, si c'était une erreur, tu l'aurais déjà rejoint avec le sourire aux lèvres, n'est-ce pas ? "Vous devriez répondre, et je devrais retrouver mon père." Que tu dis, ta voix sonne un peu résolue, tu ne sais même pas d'où te vient cette inflexion du tout, et tu trouves même le courage de te lever, enfin sur tes deux pieds l'instant suivant. C'est long, tu te lèves presque au ralenti, mais tu le fais bien, hochant encore la tête. Tu fais un pas et quand tu es certain que tu ne vas pas t'effondrer, tu reprends la parole. "Je suis vraiment désolé pour votre nièce Lex, vraiment." Tu es sincère quand tu dis cela, ton regard croisant celui de la brune, et tu sais que c'est une bien maigre consolation. "Et j'aurais voulu qu'on se rencontre dans d'autres circonstances mais..." Vraiment, tu ne sais même pas dans quel état tu aurais été si elle n'avait pas été là ces cinq dernières minutes, tu ne veux même pas y penser, tu refuses d'y penser à dire vrai. "Je peux prendre votre numéro de téléphone, au cas où j'ai besoin d'aide avec..." Avec la vie sans Ana, avec tout ce qui va arriver ? Tu ne le dis pas, à la place tu déglutis lourdement, sortant ton propre portable de la poche de ton jean. "Avec toute la paperasse ?" Une excuse bidon, tu le sais, mais c'est tout ce dont tu es capable dans l'immédiat.
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| | | | (#)Dim 22 Mai 2022 - 15:19 | |
| Il faut que je leur dise. Il faut que je le dise à tout le monde. À peine prononcées, ces deux phrases résonnent durant de longues secondes dans mon esprit, trouvant, bien sûr, un écho des plus incontestables en moi. Je ne peux m'empêcher de songer à Jacob et à Liv. Au fait qu'eux aussi, devront trouver la force, quelque part, de mettre la famille et les amis au courant. D'organiser les funérailles. Je ne vois pas comment. Je n'y arrive pas. « D'accord, je comprends. » Je réponds finalement à Abel en un murmure. Je n'ai pas le choix. Je dois me concentrer sur lui et sur son désespoir plutôt que sur le mien et celui de mes proches. C'est ma seule façon de tenir, de m'empêcher de craquer. Raison pour laquelle ses questions à propos de la suite logique des événements - l'enquête en cours visant à trouver la personne responsable, son jugement puis la peine dont elle écopera - sont les bienvenues. Elles me font penser à autre chose que le cœur désormais inanimé de June, m'obligent à réfléchir afin de trouver la meilleure manière de lui répondre, de lui fournir un tant soit peu de réconfort sans user de fausses promesses. C'est la première chose que l'on apprend, à l'école de police. Ne jamais promettre. Et quand je vois les montagnes d'affaires non résolues prenant la poussière dans les archives du commissariat, je comprends pourquoi. J'espère seulement que celle-ci n'en fera pas partie. J'ai vu trop de gens incapables de faire leur deuil, même bien des années plus tard, parce qu'il leur manque le seul et unique élément capable de leur apporter un semblant de paix : la vérité. En dépit de ses propres émotions qui le submergent, je crois qu'une part d'Abel en a conscience. « Si on le retrouve. Si on l'arrête. » Tant de si. Tant de doutes. « Oui, » je souffle simplement, parce qu'il n'y a rien d'autre à ajouter. Lui et moi avons beau vouloir qu'il ou elle paie, rien ne nous le garantit. Ça ne tient malheureusement pas toujours au travail et aux compétences des forces de l'ordre. Parfois, les preuves sont trop peu nombreuses, voire inexistantes. Et l'entourage des victimes doit alors composer avec cet immense point d'interrogation flottant au-dessus de leurs têtes qui, à trop le laisser faire, finit par tout détruire sur son passage, pour ne laisser qu'un vide abyssal. Un gouffre impossible à remonter. Si je croyais en Dieu - n'importe lequel, je serais à genoux, à le prier, le supplier de ne pas nous laisser en arriver là.
Mon téléphone me fait revenir au présent. Et lorsque j'aperçois le prénom d'Eliot sur l'écran, mes dernières barrières se brisent, laissant passer le torrent qui se déverse soudain, sans la moindre retenue. La table basse, le couloir de la morgue, la présence d'Abel, tout s'efface derrière mes paumes déjà trempées. Il ne reste plus rien. Plus rien d'autre que l'absence de ma nièce, que la brutalité et l'injustice de sa perte. Je ne sais pas combien de temps s'écoule jusqu'à ce que mes sanglots se calment. À l'instar d'Abel un peu plus tôt, j'essuie mes joues du revers de la main, retrouvant lentement mes repères. Il est là. Abel est là, sauf qu'il s'est levé. Il me fait face, prêt à partir, prêt à séparer nos chemins. Je crois qu'il m'a parlé, tout à l'heure, juste avant que je ne m'effondre face à cet appel, mais l'état de choc dans lequel je me trouvais m'a empêchée d'en comprendre le moindre mot. Cette fois, quand il fait entendre sa voix, c'est plus clair. « Je suis vraiment désolé pour votre nièce Lex, vraiment. » Je hoche la tête. « Je suis désolée aussi, Abel. Pour Ana. » Je n'étais pas tenue de préciser. C'est apparu comme une évidence de le faire. De prononcer son nom. Je m'attends à ce qu'il se retourne et s'éloigne. « Et j'aurais voulu qu'on se rencontre dans d'autres circonstances mais... » J'acquiesce. Nos chemins n'auraient pas pu se croiser à pire moment. « Je peux prendre votre numéro de téléphone, au cas où j'ai besoin d'aide avec… » Il marque une pause, sortant son portable de sa poche et moi, je suis déjà en train de fouiller dans mon perfecto, parce que la raison qu'il s'apprête à évoquer n'a absolument aucune importance. « Avec toute la paperasse ? » Je sors un stylo, gribouille une poignée de chiffres au verso du petit rectangle de papier glacé dont je me suis emparée, puis quitte le banc à mon tour, esquissant un pas dans la direction d'Abel. « Voilà ma carte. » Je la lui tends. « J'ai inscris mon numéro personnel au dos. Vous pouvez me joindre n'importe quand. Pour quoi que ce soit. » Paperasse ou non, je répondrai présente.
Je le laisse partir avant de lui emboîter le pas. Depuis le parking, je rappelle un taxi, et effectue le trajet du retour dans le même silence que celui de l'aller. Le pas lourd, je traverse le hall, prends l'ascenseur et rejoins mon palier. Une fois à l'intérieur du loft, je m'arrête à l'entrée, scanne les alentours du regard. June n'était pas ma fille, mais elle passait du temps, ici. Sa présence est évidente. Dans les dessins ornant le frigo. Plus aucun autre ne viendra compléter ceux-là. Dans le coffre en bois qui lui était réservé, au salon, et où s'amoncèlent quelques-uns de ses jouets, des feutres lavables, des boîtes de pâte à modeler aux couleurs vives. Ils ne verront plus jamais la lumière du jour. Et puis je l'aperçois, plié sur l'un des accoudoirs du canapé. Elle avait passé l'après-midi avec moi deux jours plus tôt, pendant mon repos, alors je l'avais sorti. Elle me le réclamait toujours, à peine le seuil des lieux franchi. Et j'ai oublié de le ranger. Son "plaid préféré de chez marraine", qu'elle trimballait partout et dans lequel elle aimait s'enrouler pour la sieste. Un carré de coton parsemé de nounours aux diverses formes et couleurs.
L'instant d'après, je le tiens contre moi et, prostrée dans mon lit, je laisse enfin éclater toute la douleur, la détresse, l'impuissance et la colère qui me dévorent de l'intérieur. Je m'endors d'épuisement au petit matin, les doigts toujours accrochés au plaid de June.
@Abel Reyes |
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