On est samedi soir, 22h passé, et je suis seule dans le salon de ma baraque. Suis-je malade ? Pas vraiment. Il est encore bien tôt pour sortir. Ma vie d’oiseau de nuit commence qu’à partie de minuit. Enfin, à 23h pétantes ce soir. Et il est hors de question que je sois en retard. Non, je ne rejoins pas un date Tinder. Ni Lora ni aucune de mes musiciennes. Je sors seule. Je vais pas à la chasse à la compagnie nocturne non plus. Si j’en dégote une, c’est du bonus appréciable quand même. Je me rends au pub mctavish. Vous vous dîtes sûrement que je m’y rends pour descendre des bières. Je cacherai qu’en partie vous avez raison. Ma principale motivation concerne leur télé géante. C’est top pour mater les matchs. Oui, ce soir, c’est soir de match. L’Australie rencontre l’Afrique du sud. L’heure tardive est due au décalage horaire de huit heures. Il sera 15h au moment du coup d’envoi là-bas. Je pourrai le mater sur ma propre télé en soi. L‘ambiance est pas terrible seule. Personne d’autres que mon père partage ma passion du rugby. Et il est absent. Plutôt en vacances avec ma mère.
A Johannesburg en plus. Il m’a envoyé un selfie en direct du stade pour me narguer. Je l’envierai plus tard. Dans mon look de rockeuse habituelle rebelle tout en noire, j’oublie pas d’attraper mon écharpe de supportrice avant de quitter ma maison. Une écharpe à laquelle je tiens. Elle est signée par le capitaine de l’équipe championne du monde en 99. Au volant de ma voiture, j’avale le bitume. La circulation est fluide. J’arrive donc calme et sereine sur place. Je remarque la foule présente. Ça sent déjà le houblon et la testostérone à plein nez. La faute à une assemblée composée quasiment que de mecs. Je fais office d’intrus dans les lieux. Qu’aucun face l’erreur de me considérer comme une proie éventuelle. Il s’apercevrait de lui puissance de ma morsure voire de ma capacité à distribuer les baffes. Je m’avance vers le comptoir. Je pose mes fesses sur le tabouret à droite d’une brunette. La seconde intrus de la salle avec moi. Je la détaille de haut en bas sans gêne. Pas mal la femme. Je délaisse sa silhouette pour celle de la serveuse et me commander une bière. Il faut bien passer le temps en attendant le début des hostilités.
Je la descends tranquillement. Je la savoure au prix qu’elle coûte. Ou pas. Je suis pas proche de mon fric. Je tiens pas à m’en enfiler dix pendant la soirée. Je dois rentrer après. Et je conduis. Je suis responsable au volant. Dixit celle qui prend la route pour un circuit de formule 1. Mais niveau alcool, je déconne jamais. Des cris se font entendre dans le bar. Les deux équipes viennent d’entrée sur le terrain. Je pivote sur mon siège pour me mettre face à l’écran. L’ambiance sur place est dingue. Et dire que c’est qu’un match amical sur le papier. Y a jamais rien d’amical dans un match. Les Wallabies ont intérêt à gagner. Le moment des hymnes arrivent. Le nôtre en premier en étant visiteur. Je le chante avec enthousiasme. La brunette garde la bouche fermée. Elle est sérieuse ? Je me retiens de lui faire une remarque pendant l’hymne. Par contre, elle y échappe pas à la fin. « Pourquoi t’as pas chanté ?! T’es muette ?! » Mon tact dans toute sa splendeur pour pas changer. Ça m’intrigue. Elle quand même pas venue faire la pouffe aux côté de son mec ? Ou pire, supporter l’adversaire.
Être en couple voulait dire faire des compromis. Partager les passions de l'autre, même si on n'y trouvait pas forcément grand intérêt. Etre en couple et avoir des enfants ainsi qu'une vie professionnelle bien remplie, pour Talia, voulait dire se retrouver dans un pub de Bayside un samedi soir à 22h passées entourées d'amateurs de rugby prêts à encourager l'équipe nationale qu'ils s'apprêtent à voir jouer sur les écrans de télévision accrochés un peu partout dans le McTavish. Elle n'était pas particulièrement fan de rugby. Elle en connaissait les règles, comprenait parfaitement quel était le but du jeu et pourrait même citer quelques joueurs célèbres. Cependant, ça n'allait pas beaucoup plus loin. Elle ne venait pas particulièrement ici pour voir le match bien qu'elle sache pertinemment qu'il était important et promettait de tenir tous les spectateurs en haleine. Elle ne ressentait pas réellement cet engouement. Oui l'Australie jouait un gros match, oui il allait sans doute y avoir des rebondissements, mais ce n'était juste pas son truc. Cependant, elle n'était pas rabat-joie. Elle n'allait pas faire la tête toute la soirée. Elle n'avait pas été traînée ici contre son gré. Mason était avec elle et quelques-uns de leurs amis aussi. Si elle n'était pas particulièrement là pour le match en lui-même, elle trouvait bien entendu d'autres raisons d'être ici. Pour commencer, elle savait qu'elle allait passer une bonne soirée. Celle-ci ayant déjà débuté quelques heures plus tôt par un bon repas dans un des restaurants du quartier. Puis ils étaient venus s'installer au MacTavish, elle s'était déjà commandé une bière, une blonde bien fraîche qu'elle sirotait tranquillement alors qu'à côté d'elle, les paris se faisaient déjà sur l'issue du match qui allait se jouer incessamment sous peu. Son cher et tendre semblait certain de la victoire haut la main de l'équipe nationale. Pour lui il n'y avait pas de doute, l'Australie était au-dessus. Un manque cruel d'objectivité qui ne pouvait que faire sourire Talia. Elle espérait que l'Australie gagne ce soir. Même si elle n'entretenait. aucune passion pour le rugby elle devait bien reconnaître que le sport était l'une des choses capables de réunir les gens et une victoire assurerait donc un moment de liesse collectif qui ne rendrait la soirée que meilleure.
Elle se lève pour l'hymne national, son verre à la main. Elle ne le chante pas pour autant, parce que ce n'est simplement pas son truc et qu'elle n'en voit pas bien l'intérêt. Elle ne juge en rien ceux qui se prêtent à cet exercice. Mason le premier. Une main sur le cœur par-dessus son maillot de la saison précédente, il s'en donne à cœur joie. Sa voisine aussi d'ailleurs. Une blonde est venue s'installer à côté d'elle au comptoir. Elle aussi elle dénote un peu dans la clientèle principalement masculine du MacTavish ce soir. A la différence qu'elle, elle a l'air d'être réellement là pour le rugby. Si ce n'est pas le cas, Talia n'y voit que du feu. Elle s'apprête à porter sa pinte à ses lèvres quand elle entend la voix de la jeune femme s'adresser à elle. Visiblement, elle n'avait pas vu que chanter l'hymne national dans le bar avant le match était un pré-requis. “Je savais pas que c'était le rassemblement de la chorale ce soir.” Répond-elle en haussant les épaules. Elle porte enfin sa bière à sa bouche, buvant une gorgée avant de reprendre. “La vérité, c'est que je me ménage pour le match. J'ai toujours cru qu'il était plus important d'encourager l'équipe une fois le match entamé. Puis il y aura l'après quand on chantera pour fêter la victoire. Faut la jouer intelligemment." Déclare-t-elle en souriant. Elle n'allait probablement pas s'époumoner au point de ne plus avoir de voix demain, mais que la jeune femme ne s'inquiète pas, elle était là et comptait quand même donner de la voix.
J’ai ma vision très personnelle du supporter des Wallabies. Je demande pas à ce que les gens soient parés d’un maillot, d’une écharpe ou encore de se faire maquiller les joues à l’effigie du drapeau australien. Niveau tenue, chacun est libre de s’afficher comme il l’entend. Moi-même j’ai pas la panoplie complète de la joueuse. J’ai beau adoré l’équipe, il est hors de question que je déroge à ma nature de rockeuse. Mais pas chanter l’hymne national, ça passe pas. C’est au-delà du rugby. Ça représente la nation. Peut-être que j’exagère et que j’ai un côté patriote. Après tout il y a bien des joueurs qui le chantent pas non plus. Je serai la sélectionneuse, ce serait un critère de choix et carrément une obligation. Ils ont du bol que ce soit pas le cas. Et cette brune en a aussi que je sois pas la propriétaire du pub. Sinon, je l’aurai virée sur le champ. « Par contre tu sais lever ton coude ! » Ce que je fais également par la suite, me délectant d’une gorgée de bière. Mon rire témoigne de ma déconnade. Je vais pas critiquer sa descente. Je suis mal placée pour. Puis boire un coup fait partie de l’ambiance d’un jour de match. Je l’aurai vu avec un verre d’eau, je l’aurai vraiment foutue dehors. Je souris à son argumentaire. En voilà une qui sait se servir de ses neurones. J’en attendais pas moins d’une représente de la gent supérieure féminine. « Un verre à la fois c’est la jouer intelligemment en effet. » J’éclate de rire et lui donne un coup de coude amical. Mon humour est pas resté chez moi. Je suis même dans une grande forme. « Je compte sur toi pour te rattraper dès le coup d’envoi. » C’est assez stupide en y regardant de plus près. Du terrain, les joueurs peuvent pas nous entendre les encourager de devant la télé. Bien que ma voix porte quand je gueule, mes cordes vocales sont pas assez puissantes pour me faire entendre de Brisbane à Johannesburg. La ferveur sportive rend con. Pas étonnant que 90% de l’assemblée est remplie de mecs. L’hymne sud-africain se termine sous les sifflets de la salle. Perso, j’ai été calme. Je respecte l’adversaire. Par contre, je le suis beaucoup moins en découvrant la composition de l’équipe. Le sélectionneur a aligné le pire blaireau possible. « Na mais c’est quoi cette idée de une nouvelle fois titulariser Collins ?! Le type est incapable de faire une passe correcte ! Pour une passe réussie il en rate trois ! Il a été responsable d’une interception qui nous a coûté un essai lors du dernier match ! Et en plus il a le brassard de capitaine ! Plus t'es nul, plus t'es récompensé maintenant ?! Je vais sérieusement remettre en doute l’orientation sexuelle du sélectionneur. Encore un qui a obtenu son poste via une promotion canapé ! Vas-y, c’est comme si on jouait à quatorze contre quinze ! Il ferait mieux d’aller lustrer le banc ! Je serai meilleure que lui ! Même ma grand-mère le serait ! Et même-toi je suis sûre ! » Mes opales se posent sur ma voisine en quête de soutien. Elle peut qu’être d’accord avec moi si elle s’y connait un minimum. Et voilà déjà que je rage alors que le match a pas encore commencé. Imaginez ce que ça va être si on est mené au score. Et imaginez si on perd. Pour sûr, je mettrai la responsabilité de cette défaite sur Collins en le rhabillant pour l’hiver. Et probablement que je noierai mon chagrin dans une pinte également.
Sa voisine de comptoir à une grande gueule. C'est ce qu'elle se dit, Talia quand elle entend la première remarque. Ca ne la déstabilise pas pour autant. Elle a beau être bien plus calme, elle n'a pas moins de caractère. Elle a aussi l'avantage de faire une tête de plus qu'elle. Ou plus ou moins. Le fait est que ce n'est pas la petite bête qui va manger la grosse et que Talia n'a beau pas réellement s'intéresser au rugby, elle est venue ici ce soir pour passer un bon moment, pas pour se fritter avec une blonde un peu trop survoltée. Elle choisit donc l'ironie. Un large sourire dessiné sur le visage. Elle s'invente une excuse. Excuse bidon, mais qui ne semblait pas si illogique que cela. La soirée allait être longue avec le match en lui-même et elle risquait de l'être d'autant plus si l'issue était une victoire des Wallabies. Il ne valait donc mieux pas griller toute son énergie avant même le coup d'envoi. Elle était plus intelligente que cela la brune. Sa voisine semble accepter cette réponse, elle semble trouver l'explication plausible et l'attend cependant au tournant, sans pour autant oublier une remarque sur sa descente. Elle est un peu brute de décoffrage, il n'y a pas de doute là-dessus et semble avoir un sacré caractère. Le genre de personne qui ne passe jamais inaperçu et que l'on ne pourrait louper dans aucune soirée. “Deal !” Déclare Talia, comme acceptant la deuxième chance que la jeune femme lui laissait. Pour sceller sa bonne foi, elle vient tendre sa pinte devant celle de la jeune femme, l'invitant à trinquer avec elle. “J'espère que tu ne décevras pas par contre et que tu auras autant d'énergie maintenant qu'à la fin du match.” La défie-t-elle. Si son défi à elle était de donner un peu plus de voix tout le long du match que pendant l'hymne national. Celui qu'elle lançait à la jeune femme était de garder la même cadence tout du long. Elle ne se faisait pas vraiment de soucis cela dit. Elle ne la connaissait pas, mais elle avait le sentiment que la jeune femme avait plus d'un tour dans son sac et qu'elle n'avait vraiment pas fini de l'entendre ce soir.
Le calme est d'ailleurs de courte durée et il lui faut attendre la fin de la tirade pour se rendre compte qu'elle était en train de lui parler. Ou tout du moins, c'est à la fin de cette dernière qu'elle se rend compte que la jeune femme cherche son soutien et son approbation. Elle se tourne donc vers elle, détache ses yeux de l'écran en face. Elle n'a écouté que d'une oreille. Elle a entendu un nom qu'elle ne connaît pas et des termes qui ne veulent pas dire grand-chose pour elle. Ce qu'elle en déduit cependant, c'est que le type en question est nul et le fait qu'il soit capitaine ne lui plait vraiment pas. “Hum, je sais pas vraiment quoi dire du fait que tu me fais passer après ta grand-mère. J'ai plus dix-huit ans, mais je suis toujours en forme.” Qu'elle répond d'abord en riant. Elle a joué au beach volley quasiment toute sa vie et fait toujours en sorte de faire de l'exercice au moins une fois par semaine. De là à dire qu'elle pourrait défendre les couleurs de l'Australie sur un stade de rugby cela dit, il y avait un monde. “Je vais te décevoir une fois de plus, mais tu parles à une novice. Si tu me dis que le type est nul, je veux bien te croire. Si tu veux quelqu'un pour gueuler avec toi, c'est plutôt à lui que tu devrais parler.” Ajoute-t-elle, pointant du doigt Mason, assis à côté d'elle complètement absorbé par les images à l'écran. S'il n'était pas là ce soir, Talia ne le serait pas non plus. “Après si tu veux boire une bière avec moi et me faire remarquer à chaque fois que quelque chose d'important se passe, bon ou mauvais, c'est avec plaisir.” Parce que finalement elles n'étaient pas nombreuses à faire partie de la gent féminine ce soir et le choix était sans doute vite fait.
J’ai pris cette brune à partie sans savoir si elle était fan de rugby. Possiblement, elle était simplement là pour s’enfiler quelques verres avant de rentrer chez elle. Après tout, elle porte aucun signe distinctif d’une supportrice. J’ai fait un raccourci rapide. D’autres diraient que je suis coutumière du fait en mettant tous les mecs ou presque dans le même panier. Ce à quoi je leur réponds non. C’est pas faire un raccourci. C’est faire preuve de bon sens. Il suffit de voir ceux présents dans le pub pour s’apercevoir que leur degré d’intelligence est proche du zéro. Heureusement que ma voisine et moi sommes là pour remonter le niveau et baisser le taux de testostérone dans l’air. Voisine qui me défie gentiment. La pauvre sait pas à qui elle s’adresse. Ça me fait sourire. « Je fais que m’échauffer là. Je vais monter doucement en intensité. Je te parie une tournée que je te décevrais pas ! » Je lui présente ma paume relevée vers le haut. Elle a plus qu’à taper dedans pour accepter ce pari. Ou refuser et se dégonfler. Je la comprendrai tant ma victoire est assurée. Est-ce que je suis trop confiante ? Peut-être. Je crois simplement dur comme fer à ma capacité à mettre l’ambiance. On finira par entendre que moi dans la salle. Mon agente aura encore de quoi gueuler demain pour m’avoir épuisée mes cordes vocales. Emportée par ma fougue, j’en oublie qu’elles sont mon outil de travail. Et c’est clairement pas la vue du capitaine de l’équipe qui va me le rappeler. Lui me rappelle plutôt que je suis en capacité de bien les solliciter pour lui offrir une tirade à la hauteur de mon désamour de sa personne. Divers regards me fixent à sa fin. Je pressens qu’un branleur va vouloir me contredire. Au final, tout le monde se tait, sans doute apeurée par mon aura furieuse. Il y a que ma consœur pour me répliquer un truc. Et elle manque pas d’humour ! Plus le temps passe, plus elle marque des points. J’ai bien fait de lui pardonner le coup de l’hymne nationale. « T’as plus de dix-ans huit mais t’as plus vingt ans non plus hein ! » Je veux bien admettre qu’elle fasse pas son âge mais je l’imagine la trentaine passée. Pur jugement d’apparence. Et aussi à sa répartie. Quand on est jeune, on a tendance à plus vite s’énerver. Et elle est restée calme malgré mes reproches. « Je préfère t’éduquer autour d’une bière que causer avec un blaireau de mec. » Sa compagnie est définitivement meilleure. Tant pis si le mec désigné est le sien. Ça va, il a juste gagné le qualificatif blaireau. Ça aurait pu être pire tant ma panoplie pour qualifier la gent masculine est étendue et peu flatteuse. Il faut espérer qu’elle essaye pas de répliquer. J’ai pas envie qu’on se prenne la tête pour un mâle. Encore moins maintenant que le coup d’envoi a été donné. Ce sont les Springboks qui ont botté. Collins réceptionne le ballon et l’échappe en retombant au sol, la rendant à l’adversaire. « Putain mais quel bon à rien sérieux ! » Le jeu se poursuit. On défend plutôt pas trop mal. Les sud-africains avant pas. Ils enchainent les passes latérales sans succès. Jusqu’au moment où un allier fait une percée dans notre défense. Il galope le con ! Trop vite pour nos joueurs et il file aplatir. « Et voilà ! Bravo Collins ! Baltringue va ! » Je lui en veux toujours de la perte de balle initiale même si c’est pas lui le responsable à la fin. C’est un raté collectif. A mes yeux, c’est de sa faute. Tout est de sa faute. Sauf quand on réussit une action.
(c) DΛNDELION
Dernière édition par Regan Kelly le Sam 19 Mar 2022 - 10:05, édité 1 fois
Parier sur l'issue du match ? Très peu pour Talia qui ne s'y connait vraiment pas assez pour se lancer dans de tels pronostiques. Par principe, elle parierait sur les Wallabies, parce que même si elle n'affectionne pas particulièrement le rugby, elle est quand même patriote sur les bords. Faute de mieux, si elle devait parier, elle se baserait donc sur ce critère purement subjectif. Cependant, parier avec la jeune femme à côté d'elle quant à la voix qu'elle s'apprête à donner durant l'intégralité du match et plus en cas de victoire de l'équipe nationale ? Elle n'hésite pas une seule seconde. Elle offre tout de même une moue dubitative à sa voisine. Elle ne la connait pas. Elle ne peut donc pas juger, mais la jeune femme semble bien sûre d'elle ce qui pourrait simplement être une façade. Alors, elle prend le pari, Talia, elle va taper dans la main de la blonde. Advienne que pourra. Dans le pire des cas, elle devra seulement payer sa tournée, ce qui n'était vraiment pas cher payé. Elle est bien plus choquée par la remarque qui vient ensuite. Non pas qu'elle complexe sur son âge. Les années passent. Elle le sait. Elle n'a plus dix-huit ans, c'est un fait. Elle n'a plus vingt ans non plus. Depuis un petit moment déjà, d'ailleurs. Cependant, elle ne peut s'empêcher de l'expression presque choquée qui vient s'afficher sur son visage. Elle porte une main à son coeur, comme si elle venait de se faire poignarder et le sourire sur ses lèvres laisse place à un ‘O'. La blonde est piquante. Elle a du caractère et n'a pas l'air d'être le genre de personne à vous caresser dans le sens du poil pour vous faire plaisir. Passé la surprise, elle a envie de rire, Talia. Elle ne le fait pas, cependant, elle se contente de boire une gorgée de sa bière pour cacher le sourire qui menace de réapparaître sur ses lèvres. Quand sa voisine reprend la parole et rejette sa proposition de parler rugby avec Mason plutôt qu'avec elle, la brune se tourne vers le comptoir et fait un signe de main au barman. “Tu peux nous remettre la même chose, s'il te plait ?” demande-t-elle au jeune homme, pointant du doigt son verre ainsi que celui de la jeune femme avant de se tourner vers cette dernière. “Je te laisse payer par contre. En guise d'excuse pour non seulement insinuer que je suis vieille, mais en plus traiter mon mec de blaireau.” Déclare-t-elle, large sourire dessiné sur les lèvres. Elle n'a pris mal aucune des deux remarques, ayant compris que le côté grande gueule était probablement une des caractéristiques principales de la jeune femme, cependant, c'était l'occasion idéale pour lui rendre la monnaie de sa pièce et rentrer dans le vif du sujet. “Maintenant que les verres sont pleins, éduque moi, tu vas voir je suis vieille, mais j'apprends vite. Qu'est-ce que je dois savoir ?” Lance-t-elle en souriant, se tournant de nouveau vers l'écran retransmettant le match. Elle attend que sa voisine donne de la voix une nouvelle fois pour se tourner vers elle. Elle semble avoir des avis bien tranchés sur les joueurs et leurs compétences. “Bon je crois qu'on a compris que Collins était un nul et qu'on n'approuvait pas sa présence sur le terrain, mais du coup, on soutient qui ? C'est qui notre espoir pour relever un peu le niveau ? Je voudrai pas m'avancer ou frôler le blasphème, mais là, ça part un peu mal non ?” Le score est serré, il n'y a aucune des deux équipes qui se démarque réellement ce qui veut dire que la victoire est loin d'être assurée pour les Wallabies et qu'on pourrait donc se retrouver avec une fin de soirée bien moins joviale que prévu.
Si elle comptait passer une soirée tranquille à patienter la fin du match avant de rentrer au chaud dans son domicile, elle est mal tombée. Et je dis pas ça parce que je l’ai abordée. Quand je suis dans les parages un soir de match, la soirée est jamais tranquille. Je suis beaucoup trop expressive. Qu’on gagne ou qu’on perde, je m’occupe de l’ambiance. Et c’est pas avec ses airs de mère de famille posée rangée et casée qu’elle va m’empêcher d’être moi-même. Si je lui déplais, libre à elle de s’éloigner de ma personne voire de se casser du bar. Je vais pas changer de comportement pour ses beaux yeux. Yeux qui sont réellement beaux au passage. De toute, je me connais. Quand j’essaye de modifier mon naturel, je tiens à peine deux minutes avant qu’il revienne montrer mon vrai visage. Je la taquine pas sur son âge et sur son mec par hasard. Elle a le droit à ma version peste habituelle. Et encore, là je suis soft. Mais visiblement, ça a suffi à la faire réagir. Je souris face à sa demande de régler l’addition. Et je m’empresse de saisir la perche tendue. « D’ailleurs vu ton âge, ce sera ta dernière bière de la soirée. Après, ce sera de l’eau pour toi. » Un rire sonore s’échappe de mes lèvres. Elle fait ce qu’elle veut la brune. Si elle veut se mettre une mine, elle le peut. C’est pas moi qui aurai mal au crâne demain matin au réveil. Je fais signe du regard au serveur de mettre les deux verres sur ma note. Je réglerai le total en partant. Ça m’évite de sortir à chaque fois mon portefeuille. Il a pas à craindre une entourloupe. Il me sait honnête. Me délectant de ma mousse fraîche, je mate le match. Rapidement, Collins fait de la merde, comme d’hab, et le score est en faveur des adversaires. Légèrement énervée, ma voisine décide qu’il est temps de se faire éduquer. Pas spécialement pédagogue et pas d’humeur à quitter l’écran, je suis plutôt contente qu’elle m’offre une distraction. Sinon j’aurai pu balancer ma pinte sur la télé. Mon impulsivité est imprévisible. « Alors la base, quand on a le ballon, c’est cool. Après notre espoir serait qu’il se blesse et se fasse remplacer. Mais le problème avec les blaireaux pareils c’est qu’ils sont coriaces. On peut miser sur Adams. Il a des jambes de feu quand il est en forme… » Tout en lui parlant, la voix du commentaire s’excite. L’action en cours est pour nous. Adams a justement le ballon. Il galope le, long de la touche. Il repique vers le centre du terrain. Il met dans le vent un défenseur qu’il dépose sur place. Il se retrouve près de marquer. « Fonce ! » Il a plus qu’à gérer un dernier un contre un. D’une magnifique feinte, il passe et file à l’essai. « Yeah ! » Je me mets à hurler comme une furie. C’est à croire qu’on vient de gagner la rencontre. En fait, on vient simplement de revenir à deux points. Notre botteur transforme l’essai et on égalise. L’arbitre siffle la mi-temps sur un score de parité. Tout reste à faire. Les deux équipes retournent dans les vestiaires et la pub commence. Je reporte mon attention sur la métisse qui est bien plus intéressante que la réclame. « T’as été mauvaise langue en disant que ça partait mal. Ça te coûtera la prochaine tournée ! » Un énième rire bruyant quitte mes lèvres. La discrétion est vraiment pas mon fort. « Ce qui me fait dire que dans ce que tu as à savoir, y a interdiction d’être pessimiste. T’encourages l’équipe jusqu’au coup de sifflet final. » Tant que c’est pas fini, tout est possible. Je compte plus les victoires arrachées dans les dernières minutes lors de la dernière action.
Elle connaît les bases du rugby, Talia. Comme toute personne à peu près lambda. Elle n'est pas bête et n'est pas une pimbêche à qui il faudrait expliquer tout de A à Z. Elle sait comment ça fonctionne. Elle sait même comment les points sont comptés et pour le reste, elle se laisse en général porter par l'ambiance dans le bar. Si les voix se font entendre, c'est que le moment est charnière et qu'il faut donc se joindre à la foule. Ajouté à cela, le fait qu'elle est avec Mason depuis dix ans et qu'en dix ans, elle en a vu des matchs, toujours accompagnés de quelques pintes, certes, mais elle en a vu. Assez pour ne pas être complètement profane sur le principe même du jeu. Pour ce qui est plus technique par contre, elle est novice, pure et dure. Ne connaît pas les joueurs et ne pourrait pas en nommer un seul avec certitude. Quoi que, maintenant qu'elle avait eu affaire à sa voisine de comptoir, elle pouvait en nommer un qui ne semblait d'ailleurs pas à son goût autant à cause de sa façon de jouer que de son niveau. Elle en repère un autre. Un certain Adams qui lui semble obtenir bien plus de compliments de la part de la jeune femme. Contrairement à l'autre, elle en déduit qu'il est bon et qu'il pourrait être un atout de taille pour les Wallabies durant cette rencontre. Elle n'a d'ailleurs pas le temps répondre et la blonde n'a pas le temps d'en dire bien plus avant que la voix du commentateur réveille le bar. L'action devient intéressante, tous les regards sont rivés sur l'écran et ces images du fameux Adams qui court ballon en main. L'essai est marqué d'une facilité déconcertante et c'est une éruption de liesse qui prend place au MacTavish. “YESSS!” s'exclame Talia qui s'est levée de son tabouret entre temps, elle applaudit la transformation de l'essai avant de se rassoir et de se tourner de nouveau vers sa voisine.
Elle a été médisante, c'est vrai. Pourtant, le sport ça la connait et elle devrait savoir que rien n'est jamais joué. “Mea culpa ! J'ai parlé beaucoup trop vite, c'est honteux là.” qu'elle répond en hochant la tête de haut en bas. “Qu'est ce que tu voudras boire ? Une autre bière ? Autre chose ?” Elle avait choisi pour elle, un peu plus tôt, sans vraiment se soucier de savoir si elle préférait commander autre chose. Elle rectifiait le tir maintenant, en buvant une gorgée de sa propre bière. “Interdiction d'être pessimiste, c'est noté. Par contre, c'est pas toi qui me disais il y a pas deux minutes que le mieux était d'espérer que .. Coll … Collins? Se blesse ? Genre là, c'est pas pessimiste et c'est complètement accepté ? Faut pas supporter l'équipe jusqu'au coup de sifflet final hein ?” demande-t-elle, l'air de rien, offrant un sourire en coin et un clin d'oeil à la jeune femme. “Ce qui me fait donc dire que j'ai le droit d'inventer une règle pour toi, pour la peine. Pour ton manque de soutien envers certains membres de l'équipe.” Déclare-t-elle. Elle fait mine de réfléchir. Jette un oeil à l'écran de télévision en face d'elle, son sourire s'étirant sur ses lèvres. “Si tu veux rager, c'est maintenant ou jamais. Dès que le match reprend, interdiction de rager jusqu'à la fin. Je veux une supportrice exemplaire ! Si je t'entends rager ou ne serait-ce que souffler, tu auras un gage, de mon choix et attention si tu crois que je n'entendrai pas, je suis maman, j'ai l'ouïe fine, rien ne m'échappe.” Annonce-t-elle en riant. Elle doutait réellement que la jeune femme puisse se passer de ses commentaires piquants. Elle avait tout l'air d'être une passionnée des plus ferventes. C'était donc plus un défi de taille qu'une règle qu'elle lui imposait là.
La mi-temps est un moment important du match. Il peut se jouer ici, en dehors du terrain. Tout dépend du discours du sélectionneur, du capitaine et des autres leaders de l’équipe. Le sport se joue pas juste au physique. Le mental a une part primordiale dans la victoire. Voilà comment des outsiders en arrivent à battre des favoris. En tant que supportrice, ce moment est là pour se ressourcer. Il faut reprendre des forces pour le second acte. Et pour ça, rien ne vaut une boisson. « Un café corsé. » J’ai mon quota de bières pour la soirée si je veux rentrer entière. Je me réserve le droit d’une dernière en cas de victoire ou pour noyer mon chagrin en cas de défaite. Surtout pour remercier Talia de sa compagnie. Je pense que beaucoup aimerait profiter de sa compagnie. Et la mater également. Elle est bien gaulée la métisse. Ce qui me fait pardonner ses méconnaissances de ce sport et son attitude. Elle me fait sourire avec sa répartie. Elle est loin d’être fade. Elle aussi possède du piquant. « C’est être optimiste ! T’as vu comment il est nul ?! C’est pour le bien de l’équipe qu’il doit dégager ! » C’est un avis purement personnel. Je suppose que des gens dans la salle le partagent pas. Ce mec est apprécié de beaucoup de monde. Tout ça car il est bon en interview et pour motiver les troupes. J’admets que c’est intéressant mais le niveau de jeu prime quand même. Puis sa gueule me revient pas. Délit de faciès pur et dur. Ça justifie ma véhémence à son égard. Je manque de m’étouffer avec la fin de ma mousse à sa remarque. Elle manque pas de culot. Mais je suis curieuse. J’aime ce genre de jeu. J’en suis friande avec Lora. Et avec mes musiciennes en général. Des challenges la plupart du temps pour déterminer qui paye sa tournée en soirée. Ou simplement pour le plaisir de se taquiner. Là, elle va loin. La barre est haute. Trop haute. Et je rage. En soi, j’en ai le droit étant donné que le match n’a pas repris. Et de toute façon, j’ai pas accepté son défi. « Na mais tu veux pas me priver de café non plus pendant que t’y es ?! » Dans le doute, je descends quelques gorgées de ma tasse tout juste apportée par la serveuse. Autant je peux faire l’impasse sur le houblon, autant j’en suis incapable sur la caféine. Elle découvrirait ma version la plus enragée. Elle verrait à quel point j’ai été sage à l’encontre de Collins. « Je suis déjà une supportrice exemplaire ! » Je tente de me défendre. Je doute qu’elle y croie. Pourtant, je suis sincère. La passion se vit. Ma rage résulte de mes émotions. Je suis incapable de les garder. Je suis très expressive dans ma joie et ma peine. Ça se ressent dans mes textes, dans mes prestations scéniques, partout. Je suis simplement une femme entière. Je porte pas de masque. J’assume mon caractère. « Autant que tu me donnes un gage tout de suite. » Histoire que je passe le restant du match tranquille. Joueuse, j’ai pas envie d’essayer son défi. Je me connais trop bien. Je sais parfaitement qu’au premier ballon touché par Collins, je vais manifester mon mécontentement. Si ce n’est avant quand je le reverrai à l’écran ou encore quand je réentendrai la voix agaçante du commentateur. « Par contre, je te préviens. En retour, je veux que tu sois une supportrice exemplaire. Je veux t’entendre chanter ! Sinon, t’auras un gage également. Et moi aussi j’ai l’ouïe fine ! Je suis chanteuse ! » J’ai certes perdu mais je suis mauvaise joueuse. Ce qui me fait rager davantage en temps normal. Là, je m’en amuse pour l’entrainer elle aussi hors de sa zone de confort.
Elle apprécie le piquant de la jeune femme. Son caractère grande gueule et sa répartie. Elle a tout du genre de femme qui a du chien et ne se laisserait marcher sur les pieds sous aucun prétexte. Ce n'est pas tous les jours qu'elle a l'occasion de croiser ce genre de personnes. La plupart des gens se montrent un peu plus effacés, elle la première, surtout lorsqu'elle est entourée de personnes qu'elle ne connaît pas. Elle se dévoile plus une fois qu'elle est en confiance. Elle, bien que loin d'être de celles qui font oui de la tête pour acquiescer à la moindre chose, sans pour autant donner leur avis, aurait probablement tut ses opinions les plus controversées concernant un joueur, en particulier lors d'un soir de match dans un pub rempli de supporters. Ca n'avait pas l'air d'être le genre de la jeune femme à ses côtés. Elle n'y allait pas par quatre chemins, ne prenait pas de gants et était des plus honnêtes. “Non, c'est ne pas y connaitre grand-chose au rugby … Nuance.” Lui répond-elle en souriant. Parce qu'en toute honnêteté, elle ne voyait pas vraiment en quoi il jouait mal. Certes, il avait perdu le ballon peu de temps après avoir réussi à s'en emparer, mais le jeu allait vite, le ballon passait de main en main avant même que qui que ce soit n'ait le temps de dire ‘ouf'. Elle n'avait donc pas remarqué en quoi il était foncièrement moins bon que ses coéquipiers. “Mais normalement, pour le bien de l'équipe il faut le soutenir tout autant non, il pourrait s'améliorer.” Qu'elle ajoute, pas forcément très convaincue par ce qu'elle était en train d'avancer là, mais non plus du genre à faire machine arrière.
C'est pour ça qu'elle va encore plus loin. Qu'elle ose le défi de haut niveau. Celui qu'elle voit difficilement la jeune femme réaliser. Est-ce de la triche ? Elle n'irait pas jusqu'à là. Elle dirait plutôt que c'est une manière intelligente de s'assurer la victoire. “Me donne pas des idées de gage, maintenant que je te sais au minimum amatrice de café tu sais ce qui va arriver si tu perds." Déclare-t-elle. Certaine cependant qu'elle aurait probablement le temps de penser à un autre gage qui pourrait se montrer tout aussi handicapant. Pour l'heure, elle venait cependant de placer la privation de caféine en numéro un de sa liste d'idées. Il ne restait plus qu'à laisser faire le reste. Ou plutôt, laisser faire la supportrice exemplaire à côté d'elle. “Exemplaire selon tes critères ! Je suis sûre que si je demande au premier mec qui passe, il partagera pas vraiment ton avis … A moins qu'il soit pour les sud-africains, mais dans ce cas, vous avez un conflit d'intérêt." Déclare-t-elle. Comme si elle avait réponse à tout. Comme si, quoi que la blonde lui dise pour tenter une explication, elle puisse le contrer avec sa propre vision des choses, le tout avec un large sourire dessiné sur le visage. Parce que finalement, elle s'en fichait pas mal et voyait ça comme un simple jeu. Bien plus intéressant que le match qui se jouait sur les écrans de télévision. “Je te donnerai pas de gage tout de suite, par contre, je te pensais un peu plus compétitive, je veux voir ce que tu vaux.” Qui sait, sur un malentendu il se pourrait bien que tout se retourne contre elle et qu'elle se retrouve perdante. Cependant, elle n'était pas du genre à baisser les bras et encore moins à ne pas se lancer à 100% dans la compétition. Alors, s'il fallait qu'elle se mue en la meilleure supportrice, elle le ferait. “Oui capitaine ! Tu peux compter sur moi. Par contre, va falloir que tu m'apprennes quelques chants de supporters durant ce qu'il reste de la mi-temps.” Lance-t-elle, buvant une gorgée de sa bière avant de reprendre rapidement. “Pas de chants qui critiquent un joueur par contre, je veux les vrais trucs de supportrice exemplaire.” Elle reprend ses mots, sciemment.
Mon objectivité est au placard. J’ai mes têtes. Comme tout le monde en soi. Je suis certaine que mon joueur préféré est un joueur détesté par d’autres. Peu m’importe. J’affirme clairement mon avis sans détour. Ça m’a déjà valu des échanges houleux. J’en suis pas à ce stade avec Talia. Elle est calme et posée. Des qualités essentielles pour supporter son équipe et pas se laisser submerger par ses émotions. Je vis trop ma passion pour réagir ainsi. Et il en est de même pour la musique. Dans l’absolu elle a raison. L’entité équipe prime sur les individualités. En plus, je partage cette valeur à travers mon groupe. S’en prendre à une de mes membres, c’est s’en prendre aux quatre et surtout à moi. La solidarité est totale chez les Blondies Angels. C’est une de nos forces qui explique en partie notre durabilité. Mais Collins, y a pas moyen. « Dans ce cas, il s’améliore déjà à l’entrainement avant de jouer un match officiel ! » Je suis dure avec lui. L’ayant dans le collimateur, j’occulte les fois où il a fait des actions incroyables. Il y a même un match où il a arraché la victoire à la dernière minute grâce à une pénalité lointaine. Il est loin d’être aussi nul que je le prétends. Je suis juste incapable de lui pardonner la fois où une perte de balle nous a coûté notre place en demi-finale de la coupe du monde. Depuis, je peux plus le voir en peinture. La métisse est plus clémente. Enfin, je pense qu’elle connaît pas son passé. Puis elle est pas une supportrice assidue. Sinon, elle serait dans mon camp. Elle est pas mon ennemie non plus. Sa présence est même plutôt amicale. Davantage depuis qu’elle s’est lancée dans l’idée de corriger mon comportement. Ses chances sont nulles. Ma propre mère a pas réussi cet exploit. « Si tu supprimes mon café, c’est toi que je vais insulter. » Si je lui lance un clin d’œil et ris de bon cœur, il y a une part de vérité dans mes propos. Sans ma dose de caféine, je suis une véritable furie. Je pense être pire qu’un fumeur sans sa nicotine. « Si tu demandes à un blaireau de mec aussi… » Ils sont encore moins objectifs que moi. Franchement, ils sont virulents dans leur démonstration de joie ou de peine. A ce niveau, je suis limite une introvertie. Puis évidemment que nos avis divergent. Nos cerveaux fonctionnent différemment. Le mien réfléchit quand le leur est endormi par les bières ingurgitées. Preuve en est de mon aveu de faiblesse. Il est clair que j’ai déjà perdu. Je suis incapable de chasser mon naturel durant toute une mi-temps. Je le pourrai dix minutes maximum. Et encore. Talia en profite pas pour me donner un gage. Elle est trop clémente et a raté sa chance. Car de mon côté, je compte pas la rater si elle déroge à son engagement. « C’est dans mes cordes ! » Je maitrise le sujet. Je chantonne les chants de supporters depuis mon enfance. Je cache pas que je connais aussi des chants officieux moins flatteurs où l’arbitre ou l’adversaire font souvent les frais d’un patriotisme sportif mal placé. Avec Talia, je me contente d’un classique. Je chante pour lui apprendre les paroles. Ma forte voix résonne dans le bar et attire les regards sur notre duo. Loin de s’en plaindre, une partie de la foule se joint à moi. Les notes flottent dans l’air. En l’instant, il y a plus de misandrie ou de divergence d’opinion. Nous sommes unis autour de notre passion commune. A la fin du texte, les joueurs reviennent sur la pelouse. Des applaudissements chaleureux accompagnent leur retour. L’ambiance redevient studieuse. Les yeux retournent se fixer sur l’écran pour le coup d’envoi du second acte.
Elles ne trouveraient sans doute aucun terrain d'entente quand il s'agissait des qualités de Collins et de la manière d'accueillir ce dernier dès qu'il met les pieds sur le terrain. Ce n'était pas bien grave. Talia, comme cela avait déjà été établi, n'était pas particulièrement une amatrice de rugby et n'accordait donc que peu d'intérêt autant aux joueurs qu'à leur performance. Cependant, pour ce soir, elle serait plutôt du genre à prôner une neutralité absolue si ce n'était pour dire des choses positives. Ne serait-ce que pour agacer sa voisine à la langue bien pendue. C'était son petit plaisir et finalement, c'était bien plus intéressant que le match en lui-même. Ca, cela dit, elle se garderait bien de le dire à voix haute à crainte d'être jetée dehors par cette même blonde et être automatiquement inscrite sur sa liste de persona non grata. Ce n'était pas le genre de choses qu'elle recherchait quand elle venait passer un moment agréable dans un bar à boire quelques verres avec des amis. Alors, pour cette fois et seulement pour cette fois, elle était prête à faire quelques compromis. Se contentant de hausser les épaules en guise de réponse plutôt que de trouver un contre argument au débat Collins, accordant à la jeune femme une petite victoire. Elle va même jusqu'à compromettre encore plus, signe de sa bonne foi. “Bon, si tu insistes, je note. Ne pas supprimer ton café et ne pas demander à un mec d'infirmer tes propos.” Répond-elle en hochant la tête de haut en bas. “Il me reste quand même quelques options, mais je te préviens, je ne céderai plus sur rien.” Elle venait de faire quelques concessions, aussi futiles fussent-elles, elle n'abdiquerait pas pour autant, il ne fallait pas que la blonde se méprenne.
Elle savait aussi se montrer conciliante et elle ne lésinait pas sur ses moyens pour se laisser aller à ce jeu. Elle n'allait peut-être pas repartir ce soir en convertie qui suivrait les matchs avec une rigueur à toute épreuve, mais elle comptait bien sortir de là en ayant dignement soutenu l'équipe nationale. Il fallait donc commencer quelque part et elle avait vite compris que cela passait par donner de la voix, chose que sa voisine semblait savoir faire à la perfection. Il n'y avait probablement pas meilleur professeur qu'elle dans le bar ce soir. Il était donc question d'apprendre quelques chants de supporters, ce qui semblait être dans les cordes de la blonde, d'après ses dires. “Oh mais j'en doute pas, justement.” Lui lance-t-elle avant que la blonde ne se décide de partager toute l'étendue de son talent avec le bar qui ne rechigne pas à se joindre à elle. Talia n'est pas en reste non plus, la chanson est simple et répétitive, il n'est pas compliqué de s'en imprégner. Elle se joint également aux applaudissements avant de tourner de nouveau les yeux vers l'écran de télévision dès que les joueurs refont leur apparition sur le terrain. Le coup de sifflet sonne le début de la deuxième mi-temps. Très vite, le ballon est entre les mains de l'équipe adverse. Une mauvaise passe de Collins, décidément, malgré les arguments qu'elle avait tenté d'invoquer en sa faveur. Elle tourne la tête vers la jeune femme, scrutant sa réaction. Avant de bien vite reporter son attention sur l'écran alors que les voix s'élèvent, les adversaires approchant de plus en plus du bout du terrain et les australiens semblant démunis face à cette offensive. Puis c'est la faute. Flagrante, même pour une novice, mais pourtant pas vue par l'arbitre alors que le joueur sud africain plonge pour marquer l'essai. Alors, Talia, elle se laisse aller à l'ambiance du bar et elle clame haut et fort que cet essai n'a pas lieu d'être, mêlant sa voix aux autres “bouh” désapprobateurs. “Me dit pas qu'ils vont laisser passer ça ? Il a pas vu, il peut pas sortir la vidéo ? Un aveugle aurait vu s'il avait suivi. C'est normal ça ?” Râle-t-elle en se tournant vers la jeune femme.
Le sport a des qualités d’union impressionnantes. Sans ce match, les chances de causer à cette métisse auraient été quasi nulles. Sans ce match, chacun irait de sa petite conversation dans son coin. Là, tout le monde a qu’un sujet commun en bouche : le rugby. Évidemment, la discussion est pas générale et les avis divergent. Je reviendrai pas sur le cas Collins, il a déjà reçu trop d’attention de ma part ce soir. Ses oreilles doivent siffler à l’autre bout du monde. Si ce blaireau pouvait en chopper un horrible mal de crâne et demander à se faire remplacer, ce serait génial. Je prends mes rêves pour la réalité. Il a la tête dure ce couillon. Et en tant que capitaine, il va vouloir montrer l’exemple et se battre. En soi, c’est cool ça. De mon côté, je montre l’exemple à ma voisine sur comment mettre l’ambiance en tant que supportrice. J’avais pas prévu de rameuter la salle à ma cause. En tous cas, rarement j’aurai eu autant de mecs avec moi à m’accompagner au chant. Je passe sur leur justesse et celle de Talia. S’il pleut demain, je saurais pourquoi. L’important est ailleurs. « Pas mal pour une casserole. » J’éclate de rire. J’ai pas pu m’empêcher de la taquiner. C’est amical et nullement fait pour la vexer. Le match reprend comme il avait commencé. Comprenez que Collins fait de la merde et qu’on est en danger. Je fusille l’écran d’un regard noir. Je reste silencieuse pour tenir mon engagement. Intérieurement, je le traite de tous les noms et je suis même en train de le tabasser à coups de pied. Par contre, impossible de conserver mon calme face à l’énorme faute adverse. « Mais putain l’arbitre ouvre tes yeux bordel ! » Je suis virulente. Je pense que toute l’assemblée m’a entendue formuler mon mécontentement. Pourtant, c’est inutile. Il peut pas m’entendre où il est. Et il laisse le sud-africain marquer sans broncher. « Enfoiré de rosbif ! » Le mec est anglais. A tous les coups, il peut pas blairer l’Australie tant on malmène régulièrement les britanniques. Je manque d’objectivité. Normalement, l’arbitre est neutre et les erreurs sont rares. Surtout que comme le souligne ma voisine, l’assistance vidéo est possible pour les réparer. « Non, c’pas normal. Si, y a la vidéo. » D’ailleurs, il place son doigt sur son oreillette. On doit sûrement lui signifier qu’il y a un problème. Il a dû le deviner au nombre de Wallabies l’entourant. Avec sa carrure de crevette, il est presque invisible entre les armoires à glace sportives. Il se fait respecter malgré tout. Les joueurs s’en écartent avec l’aide de leur capitaine. Collins est pas mauvais pour gérer les tensions, je dois le reconnaître. La minute qui suit est une éternité. Franchement, y a pas photo. La faute est évidente. Quand elle passe au ralenti sur l’écran géant du stade, c’est encore plus évident. Je me demande ce qu’il attend pour invalider l’essai et nous donner une pénalité. Je comprends mieux lorsqu’il le fait en donnant un carton jaune au fautif, l’expulsant pour dix minutes. Il est clair que c’était dangereux. Notre demi de mêlée a fait un sacré looping. Heureusement qu’il est pas retombé sur la tête. « A ben voilà qui est mieux ! » Je reprends des couleurs. Notre botteur botte en touche, nous faisant remonter plus de la moitié du terrain. Sur la remise en jeu, on vit une merveille de collectif. Les passes s’enchaînent avec fluidité, les courses sont superbes et transpercent la défense à chaque fois, jusqu’à ce Collins plonge dans l’en-but et nous redonne l’avantage. J’applaudis chaleureusement. C’est à croire que l’action m’a fait oublier tout ce que je pense de lui. Ce qui est vrai sur l’instant. « Va pas croire que j’ai changé d’avis à son sujet, hein ! » J’anticipe une éventuelle remarque de sa part. Dès la prochaine connerie de ce blaireau, je reprendrai mes insultes à son égard sans la moindre hésitation.
Le match reprend sur les chapeaux de roues. Les yeux sont rivés sur l'écran de télévision et personne ne manquerait une seconde de ce qui est en train de se passer. Quand il y a faute et que le jeu continue, comme si l'arbitre n'avait rien vu, le mécontentement se fait entendre dans le bar. Sa voisine n'est peut-être pas la plus virulente, mais de par sa proximité, c'est celle qui se dénote selon elle. Elle aussi elle a vu la faute. Tout le monde l'a vu. Tout le monde a vu le jeu continuer et le joueur adverse marquer un essai. Même Talia l'a vu, alors qu'elle n'y connait pas grand-chose au rugby. C'était évident et pourtant, l'arbitre semblait regarder ailleurs. Elle se questionne, Talia, interroge la blonde à côté d'elle qui acquiesce et lui apporte les réponses attendues. A l'écran, l'arbitre à le doigt sur son oreillette, visiblement, quelque chose se trame en coulisses et elle découvre rapidement que les reproches ont dû se faire entendre jusqu'à l'autre bout du monde puisque le ralenti apparaît à l'écran. La faute est encore plus apparente à vitesse réduite. Il n'y a pas photo. Aucun doute, c'était bien fait exprès de la part de l'adversaire et le joueur australien aurait pu se faire très mal. L'essai est invalidé, la pénalité est annoncée et c'est des applaudissements qui se font entendre dans le bar alors que le jeu reprend de nouveau. Les Wallabies se défendent bien. Très bien, même. Ils jouent vite et bien. La cohésion d'équipe est clairement présente et est en train de faire la différence face à l'équipe adverse qui fait de plus en plus d'erreurs qui auraient facilement pu être évitées. Le bar vit le jeu, les chants se succèdent, tout comme les encouragements. Quand c'est Collins qui finit par plonger et fait pencher la balance, Talia ne peut s'empêcher de se tourner vers sa voisine. “Alors, tu vois qu'il peut faire les choses biens quand même.” Lui lance-t-elle en souriant. Elle a bien vu que la jeune femme a applaudis. Que malgré sa grande gueule, elle sait tout de même reconnaître le talent quand il se trouve devant ses yeux. Ou alors, elle prenait très à cœur le défi que lui avait lancé la Choudhry un peu plus tôt. Il n'y avait pas moyen de savoir ce qu'il en était réellement bien que la jeune femme ne perd pas de temps avant de remettre les choses aux clair. Elle n'a pas changé d'avis au sujet de Collins. A comprendre qu'elle ne l'appréciait toujours pas et qu'elle ne pensait pas beaucoup de bien de lui. Talia ne put s'empêcher de rire. “Mais au moins tu sais regarder son jeu d'une manière objective, c'est mieux que rien.” Lui répond-elle. “Rien que pour ça je dirai que t'as réussi ton défi, je sais que c'était pas facile.” Elle se doute bien que depuis la reprise du jeu après la mi-temps, il y avait eu au moins un moment où la jeune femme avait eu envie de pester contre le joueur, cependant, elle s'était retenue, ou alors, elle avait été suffisamment discrète pour échapper à la vigilance de Talia. Le fait est que les Wallabies avaient inversé la tendance du début de jeu et menaient maintenant. Il ne restait plus longtemps, une remontée adverse semblait improbable, mais personne ne criait victoire pour le moment. Tout le monde savait qu'il suffisait de rien pour que le match prenne une toute autre tournure. Ce soir, ce ne fut pas le cas. Les Wallabies tinrent bon jusqu'au coup de sifflet final. Laissant libre place aux éruptions de joie. La victoire met du baume au cœur, les supporters entament un énième chant et Talia se joint même à eux, happée par cette ambiance festive. Sa voisine ne pourra pas lui reprocher de rester silencieuse cette fois-ci. “Je t'offre un dernier verre ? Pour fêter la victoire.” Lui propose-t-elle alors qu'elle fait déjà signe au barman.