Winston peut entendre les pas derrière lui. Bientôt, il pourra également entendre le souffle de l’homme qui s’apprête à l’agresser. Il ne saura pas ce qui lui arrive, ne comprendra pas pourquoi ça tombe sur lui. Il faudra que le type le lui explique. Il tourne dans une rue puis dans une autre : peu importe la destination, l’ombre de ce type le suivra jusqu’au bout. Il doit avoir peur. La crainte, c’est l’effet recherché par toutes les personnes qui agressent, qui rackettent. Ces gens-là ne cherchent pas des courageux prêts à riposter, non, ils cherchent des lâches à victimiser. Winston est-il dans cette catégorie ? Il doit sûrement être en train de se le demander. Il tourne une fois de plus et, en réalité, il pourrait le semer en très peu de temps. Mais il décide de se retourner et de lui faire face, enfin. L’homme face à lui a un regard qui trahi toutes ses émotions : de la rage et, surtout, aucune pitié. « Qu’est-ce que… » Ce sont les premiers mots qui sortent de sa gorge. Il peut voir le type se rapprocher de lui, d’abord doucement et, finalement, plus rapidement. Dans un geste qui n’a rien de doux, qui au contraire se veut blessant et oppressant, l’homme qui le suivait plaque son avant-bras sur sa gorge et le pousse contre le mur du bâtiment à côté d’eux. La colère qu’il pouvait lire de loin est maintenant très proche ; les yeux bleus de son interlocuteur sont glaçants. Non, ils ne s’étaient jamais vus auparavant. Et oui, l’homme en face de lui a bien l’intention de ne jamais se faire oublier. « Tu croyais qu’tu pouvais t’foutre de ma p’tite sœur comme ça, gratuitement ? » Il parle enfin, de sa voix rauque, éraillée par sûrement trop de cigarettes durant la journée. Winston doit sûrement se repasser en boucle tout ce qu’il a fait ces dernières semaines, mois, années. Le teint de l’homme qui lui presse la gorge est le même que sa dernière petite amie, les connexions à faire son évidentes. « J’suis pas l’meilleur frère, j’suis pas toujours là, mais j’compte pas laisser une sous-merde comme toi lui briser l’cœur sans rien faire. » Si Winston doit avoir un déclic, c’est le moment parfait. L’homme en face de lui relâche sa gorge et approche son poing de son visage, doucement, suffisamment pour qu’il le voit venir. Il n’y a aucun impact, il le laisse là, comme une épée de Damoclès, prêt à taper à n’importe quelle seconde. « Donne-moi une raison d’pas l’faire. » Si Winston veut se justifier, c’est le moment. Parce que l’homme en face à l’air de vouloir en découdre.

Qu’on ne se fasse pas d’illusions : Rudy aime se battre. Il ne le fait pas que parce que ça lui semble être son seul recours, non, il aime ça. Et si ce n’était pas quelque chose d’illégal, il le ferait bien plus souvent. Si ce n’était pas mal perçu par presque tout le monde, il réglerait tous ses soucis de cette manière. Mais il ne le peut pas. Il est allé en prison deux ans et demi pour s’être attaqué à un homme, ça ne lui a pas servi de leçon. Les arguments ne lui viennent pas assez rapidement quand il essaie de régler les choses par la parole. Et souvent, on le prend pour un con. Ce qu’il est, la plupart du temps, on ne va pas se mentir. Mais il n’aime pas ça. Alors il rappelle à toutes et tous qu’il est au-dessus : si ce n’est pas intellectuellement, c’est au moins physiquement. Ses poings s’encastrent, ses genoux défoncent, et il montre qui est le patron. Il a bien l’intention de le faire, aujourd’hui encore, avec Winston. Ce merdeux a fait du mal à sa sœur. Et si les liens entre Rudy et Alma sont compliqués, ce n’est pas une raison pour ignorer ce qu’il a fait. Il sait qu’elle l’engueulera, si elle vient à l’apprendre. Qu’elle lui dira qu’il n’a rien retenu de ce qu’il s’est passé avec Jules et qu’il a vraiment envie de finir sa vie derrière les barreaux. Toutes ces choses-là, pour la forme. Mais il sait aussi qu’intérieurement, elle sera touchée. Qu’elle saura qu’il a fait ça pour elle, pour lui montrer qu’il tient à elle. Même si ce n’est pas la meilleure manière de le faire, oui. Il laisse quand même une chance à Winston de se rattraper en lui demandant une justification, une raison de ne pas se faire casser la gueule. Pourquoi avoir fait ça à sa sœur ? S’il a de quoi se défendre, il l’écoutera peut-être. Sûrement que non, en vrai, mais il veut bien lui laisser une opportunité. Sauf que ce con ne la saisit pas, non, il lui crache à la figure et se dégage d’un coup de pied. C’est action réaction, Rudy vient lui en coller une pour le remettre contre le mur. Cracher sur sa famille en blessant sa sœur c’est une chose, réellement lui cracher à la figure en est une autre. « T’inquiète pas, tu le lui avais déjà brisé avant que je ne la quitte. » Il se mord l’intérieur des joues. C’est trop facile de dire ça. Ouais, il a brisé le cœur de tous les Gutiérrez en partant en prison. Ouais, c’est un connard. Ouais, il ne pense qu’à lui-même. Mais non, personne n’a le droit de le lui faire remarquer si ce n’est lui-même quand il se regarde dans une glace. C’est pour ça que son poing vient à nouveau rencontrer le visage de Winston, que son genou vient essayer de perforer son estomac. Des coups lancés dans le but de blesser, les uns après les autres. Un vrai passage à tabac dans les règles de l’art, quand même retenu : il fait au mieux pour ne pas réellement toucher le visage, pour ne pas le défigurer, lui. Mais les coups pleuvent et il ne s’arrête que quand Winston est au sol, quand il est sûr d’avoir donné une bonne leçon à ce petit con. « Et moi j’te brise des côtes, alors. » Il lâche finalement en lui donnant un énième coup de pied dans le ventre, avant de regarder autour de lui pour vérifier qu’il n’y avait personne dans la rue. Quand c’est fait, quand il est sûr d’être tranquille, il se tire en le laissant là, par terre. Ça lui apprendra.

@Winston Ackerman