Clément s'apprêtait à souffler sa dix-huitiéme bougie. Pour l'occasion, Diane avait souhaité organiser un anniversaire surprise. La soirée avait été manigancée dans le dos du principal intéressé plusieurs semaines à l'avance. Amis proches et famille avaient été invités à venir célébrer chez les Sisco afin d'offrir au jeune homme un souvenir mémorable de cet anniversaire. Une tâche spécifique avait été attribuée à chacun en prévision de la fête : La sœur d'Antone devait ramener le gâteau préféré de son neveu ; le frère de Diane était en charge du champagne et les amis de Clément, quant à eux, avaient pour mission de le tenir occupé en dehors de la maison. Le temps pour Antone d'installer les décorations et de préparer la place. Tout le monde devait se rejoindre aux alentours de 19h30 de se cacher dans le salon en attendant le retour de Clément, programmé pour 20 heures.
Seul dans la cuisine, penché sur le plan de travail, Antone se battait avec le papier cadeau. Il n'avait jamais été doué pour l'origami ni pour jongler avec plusieurs tâches simultanément. A côté du présent destiné à son fils se baladaient encore les épluchures de carottes et les culs des poireaux qu'il avait utilisé pour préparer son plat de nouilles. Quelques fanions décoratifs avaient été abandonnés là, prés des ciseaux et de la colle en tube. La faim le rendait irritable. Sisco n'avait pas eu le temps de déjeuner ce jour là, au travail, et son envie de ramen se voyait contrariée par son incapacité à tourner la page de l'étape de l'emballage. La délicieuse odeur du bouillon frémissant sur le feu lui chatouillait les narines tandis qu'il jurait contre le papier glacé, agacé de ne pas parvenir à scotcher le tout correctement. Lorsqu'il se retrouva avec plus de ruban collant sur les doigts et dans la barbe qu'autour du cadeau d'anniversaire, Antone abandonna la partie et se contenta d'attraper au vol la casserole dont le contenu s'apprêtait à déborder. Ce ne fut qu'une fois assis face à son bol, le nez plongé dans le potage et les baguettes à l'affût qu'il pu enfin relâcher la pression : le plat était délicieux et son humeur bien plus stable lorsqu'il avait le ventre plein.
Aux alentours de 18 heures, quelqu'un sonna à la porte. Sisco délaissa le gonflage des derniers ballons pour aller ouvrir, l'œil tourné vers sa montre. Diane l'avait prévenu qu'elle ne serait pas rentrée des courses avant 19 heures, ce qui le laissait septique quant à l'identité du visiteur. Il n'attendait personne et les voisins n'avaient pas pour habitude de venir emprunter le sel dans cette banlieue chic de Londres. '' Alba ? '' S'exclama-t-il, surpris, après avoir découvert la petite amie de son fils sur le pas de la porte.. '' Tu n'es pas au cinéma avec les autres ? '' Il avait cru comprendre que les amis de Clément lui proposeraient d'aller voir un film après les cours et déduit que sa copine les accompagnerait.
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Dernière édition par Antone Sisco le Ven 25 Fév - 23:55, édité 1 fois
2012, Londres w/ @Antone Sisco Now we got problems And I don't think we can solve 'em You made a really deep cut And baby, now we got bad blood
J’avais prévenu mes parents que je ne dormirais pas à la maison ce soir. C’était l’anniversaire de Clément. Nous sortions ensemble depuis presque un an, maintenant, et cet événement me tenait à cœur. Depuis déjà quelques semaines, je gardais précieusement le cadeau que je lui avais choisi caché au fond de mon armoire. Juste avant de partir, j’avais pris soin de le glisser dans mon sac à main hors de prix. Je lui avais choisi un joli portefeuille, de chez Tod’s, dont j’avais fait frappé le cuir de ses deux initiales C.S. Nous avions également prévu de passer la nuit ensemble, pour une fois que mes parents l’autorisaient. Si j’avais voulu jouer le grand jeu en réservant une suite au Shangri-La, offrant une vue panoramique sur la ville et un room-service des plus romantiques, ses parents en avaient décidé autrement en lui organisant une petite fête surprise à leur domicile. Cette soirée - ainsi que le reste - se passerait donc entre les quatre murs de la maison Sisco. Soit, je m’étais faite à l’idée. Nous devions occuper Clément pendant que sa famille préparait les festivités. Toutefois, l’idée de me rendre dans ce cinéma miteux de Picadilly me répugnait, et j’avais décliné l’invitation, prétextant que j’avais un devoir à terminer. Le cinéma était le prétexte pour éloigner mon petit-ami de son domicile, toutefois je comptais sur sa petite bande d’amis pour gérer l’affaire. En avance, je me rendis donc au domicile des Sisco, dans l’idée de mettre également la main à la pâte. Je n’étais certes pas attendue, mais j’étais persuadée qu’un peu d’aide ne serait pas de refus. De plus, je tenais à avoir un œil sur ce qu’il se préparait. Clément méritait le meilleur et je comptais bien le lui offrir. C’est son père qui m’ouvrit la porte, étonné de me voir. — Alba ? Tu n'es pas au cinéma avec les autres ? — Bonjour, Monsieur Sisco, moi aussi je suis enchantée de vous voir ! m’exclamais-je en franchissant la porte sans y avoir été invitée. En toute honnêteté, ce film, Hunger Games, m’a tout l’air d’être un film débile pour ado. Et puis je me suis dit qu’une paire de bras en plus ne vous ferait pas de mal ! J’avais déjà revêtu ma tenue de soirée, je n’aurais pas eu le temps de repasser à la maison pour me changer. Je me retrouvais donc, seule avec le père de mon petit ami, en petite robe noire plutôt moulante et en talons aiguilles. Je croisais les bras sur ma poitrine pour cacher mon décolleté, ou faire tout du moins semblant que j’étais gênée de me retrouver face au quarentenaire dans cette tenue. Je jetais un coup d'œil autour de moi. — La déco est sympa, concédait-je. Je peut, peut-être vous être utile ? Je savais toutefois que ma question était vaine, à cette heure çi, le père Sisco avait franchement presque tout fini. — Ou alors on peut boire un coup en attendant les autres. proposais-je en haussant les épaules.
— Bonjour, Monsieur Sisco, moi aussi je suis enchantée de vous voir !
Tu cilles, rappelé à ton manque de manières par l'aplomb d'Alba qui se faxe à l'intérieur sans y avoir été invitée. La tenue qu'elle arbore te déconcentre de la nature de son discours. Hunger-quoi ? '' Bonsoir. '' C'est la seule réponse qui te vient à l'esprit tandis qu'elle s'avance dors et déjà dans le salon, s'autoproclamant inspectrice des travaux finis. Malgré toi, tu sens tes lèvres s'étirer en un rictus indigné. Il t'arrive parfois de te demander comment ton fils, cette bonne patte au caractère de labrador et aux humeurs de miel, peut supporter l'insolence et l'arrivisme de cette gamine tape à l'oeil.
Lorsqu'elle propose de se rendre utile, ton esprit fait instantanément le lien avec l'emballage cadeau laissé au point mort dans la cuisine. Le fait qu'elle enchaîne sur l'éventualité de prendre un verre en attendant les autres te donne le prétexte tout trouvé pour l'attirer jusque là-bas. '' Il se trouve que, justement, ... '' Commences-tu, tout en l'invitant à te suivre dans la pièce d'à côté. Sur le plan de travail, le papier chiffonné témoigne de ta perte de patience. Tu lui désignes la scène de crime d'un geste de la main. '' Je suis certain que tu t'en sortiras mieux que moi avec les nœuds et les paillettes. ''. Pour ta part, tu te tournes vers les placards et attrapes deux verres avant d'ouvrir la porte de ta collection de bouteilles. D'un côté le vin, la bière, les alcool forts ; de l'autre les soft, les jus et les sirops. Tu tends la main en direction de ton whisky préféré mais figes ton geste en réalisant que si ton fils fête sa majorité ce soir, sa copine n'est peut-être pas encore en âge de boire de l'alcool. '' Quel âge as-tu ?'' Demandes-tu en jetant un œil par dessus ton épaule.
Ce que tu vois te perturbe. Penchée sur le cadeau de Clément - un coffret en bois contenant une montre ouvragée, sensée l'accompagner dans sa vie d'homme - Alba fait clairement plus que son âge, quel que soit ce dernier. Un décolleté pareil, impossible de ne pas tomber dedans. On est loin de la candeur enfantine et des t-shirts Snoopy.
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Je ne sais pas vraiment si le père de Clément est heureux de me voir, surpris ou même dérangé. En tout cas, il arbore une drôle d’expression sur le visage. Je ne m’y attarde néanmoins pas trop. Je finis par lui proposer mon aide? J’aimais beaucoup organiser les fêtes d’anniversaire, même si je préférais qu’on me les organise pour moi. Cela me rappela alors la surprise que m'avaient préparé mes parents, l’année où j’avais soufflé ma cinquième bougie.
Je faisais toujours tout un flan avec mes anniversaires, persuadée que ce jour était le plus beau de l'année. Il passait même avant Noël. J'avais beau être une gamine, je savais déjà ce que je voulais : une énorme fête avec toutes mes copines - et même celles qui ne l'étaient pas, histoire de leur en mettre plein la vue -, un château gonflable, des poneys et des déguisements de princesse. J'avais également demandé à mon frère si il pouvait se déguiser en Prince Charmant, comme dans la Belle au bois dormant. Si mon frère avait bel et bien fait l'effort de revêtir le-dit costume, il n'avait jamais été question de fête ou de poneys. Mais la surprise avait dépassé mes espérances. Habillé en tenue de prince moyenâgeux, Dino, alors âgé de neuf ans, était venu me réveiller aux aurores. Les yeux encore collés de fatigue, il m'avait chuchoté : — La princesse Alba est priée de se réveiller, son carrosse est prêt à l'emmener pour un voyage à l'endroit le plus magique sur terre. J'avais frotté mes yeux de mes petites mains et m'était redressé d'un bond. — On part à Disneyland ? m'étais-je écrié. Il avait eu à peine le temps de répondre par l'affirmative, que j'avais sauté de mon lit, excitée à la perspective de me retrouver au pays de Mickey. Je ne me rappelle plus très bien ce qui s'était passé ensuite. Nous avions prit un taxi, mon père, ma mère, mon frère, moi et ma petite sœur, qui avait à peine deux ans à cette époque, puis un avion et encore un taxi. Je me souviens néanmoins parfaitement de la joie que j'avais ressenti lorsque j'avais vu le château rose et bleu se détacher,du ciel gris de la région parisienne. J'avais sauté de joie, remerciant mes parents de m'offrir ce petit voyage. Ils m'avaient même offerts une robe, une vraie robe de princesse, la même qu'Aurore, rose avec des petits détails dorés. Je n'avais pas voulu la quitter pendant ces trois jours.
La voix d’Antone me tira de mes pensées : — Il se trouve que, justement, je suis certain que tu t'en sortiras mieux que moi avec les nœuds et les paillettes. me dit-il en désignant le cadeau qu’il avait fait à Clément et qu’il semblait avoir eu du mal à emballer. Je hochais la tête et m’executai, pliant soigneusement le paquet cadeau, collant les bords les un avec les autres. Je terminai en entourant la petite boîte carrée d’un joli ruban et y ajoutait quelques gommettes paillettes. Au même moment, le père de Clément sortit deux verres mais il me jeta un regard suspicieux. — Quel âge as-tu ? — Dix-neuf ans. Et mes parents me laissent boire du vin et du champagne depuis un moment, rassurez vous. le rassurais-je. Je brandis fièrement le cadeau que j’avais soigneusement emballé. — Et voilà ! m’écriais-je en m’approchant de lui. Vous avez une paillette dans la barbe, dis-je en attrapant le petit bout de papier brillant du bout du doigt, frôlant la lèvre du bonhomme. Un ange passa et une certaine tension emplit la pièce. — Qu’est ce qu’on boit ? demandais-je pour briser la glace.
Antone hésita un instant, la bouteille de whisky à la main. Ne pas en être à son premier verre d'alcool faisait-il d'Alba un cheval suffisamment solide pour encaisser ce 12 ans d'âge ? Tant qu'à boire un verre avec elle, daddy préférait ne pas prendre le risque de la retrouver saoule avant même que la fête n'ait commencé. On ne savait jamais comment l'état d'ébriété des convives pouvait faire basculer une soirée. Notre corse était bien placé pour le savoir car la naissance de celui dont tous deux s'appretaient à fêter les dix huit ans était la conséquence directe d'une levée de coude un peu trop généreuse et d'une interlocutrice dévergondée par le verre de trop. En guise de prévoyance, il reposa le vieux scotch et attrapa une bouteille de vin blanc au pourcetage d'alcool bien moins élevé.
" Et voilà ! " S'il s'était attendu à ce qu' Alba fasse bien mieux que lui en terme d'emballage cadeau, il ne pensait pas se retrouver face à des finitions aussi soignées. " Impec ! " Son sourire était sincére jusqu'à ce que l'adolescente ne se rapproche et se mette à jouer dans sa barbe. Chatouillé par le geste, daddy garda le silence, figé dans son incrédulité. On vit passer un ange à travers la cuisine tandis que l'esprit du corse diviguait sur des pentes dangereusement glissantes …
" Qu'est ce qu'on boit ? "Antone battit des cils, sorti de ses fantasmes inavouables par la voix d'Alba toujours beaucoup trop proche de lui. Nerveusement, il fit tourner le tire-bouchon entre ses doigts avant de s'attaquer à l'ouverture du Chardonnay. Tant qu'il s'occuperait les mains, tout se passerait bien. Obsédé par les images mentales hantant son esprit, le corse était de moins en moins convaincu par ses capacités de raisonnement. Ne pas se faire de films en pareilles circonstances lui était difficile pour la simple et bonne raison qu'il ne se passait plus grand choses dans la chambre à coucher entre sa femme et lui depuis que leur fils était entré au lycée ...
Enfin, il tendit à la jeune femme un verre de vin généreusement rempli. " Santé ! " Il ne put s'empêcher de la regarder dans le yeux au moment de trinquer. Suicide. Connecté à la jeune femme par le regard, Antone omit de porter l’alcool à sa bouche. Oublié sur le comptoir de la cuisine, son verre fit office de témoin impuissant à la scène : Avec délicatesse, Sisco tendit la main jusqu'à l'épaule d'Alba contre laquelle il remit en place la bretelle de sa robe. Nul n'aurait pu dire si cette derniére nécessitait qu'on la repositionne ou s'il s'agissait là d'un prétexte pour lui rendre le contact physique. " Tu n'as pas froid ? " Ondoyée par les périclitations de son imagination, l'attitude d'Antone perdait peu à peu de sa réserve paternelle. Nul doute qu'il se serait bien vu la réchauffer en cas de frisson.
En cet instant, l'existence de Clément et de Diane semblait avoir disparu de son radar mental. Sisco se faisait rattraper par plusieurs années d’insatisfaction conjugale savamment refoulées. Il n'avait pas pour habitude de se comporter de la sorte. S'il s'était déjà fait la réflexion qu'Alba était une jolie fille, jamais il ne l'avait envisagée autrement que comme la petite copine de son fils. Certainement parce qu'il n'avait jamais eu l'occasion de la croiser sur son trente-et-un, plus proche de la femme fatale que de l'adolescente. Ouvrir la porte à ce genre de considérations nouvelles, c'était s'exposer à de dangereux retour de flamme, même pour l'homme avisé et réfléchit qu'était Antone en temps normal.
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Dernière édition par Antone Sisco le Mar 1 Mar - 0:09, édité 1 fois
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Je ne sais pas trop pourquoi, mais une tension presque palpable s’installe dans la pièce. Est-ce à cause des regards à la dérobée que me jette le père de mon petit-ami ? Je crois être presque sûre de l’avoir vu loucher sur mon décolleté. Était-ce mon geste ? J’avais laissé traîner mes mains si près de son visage une seconde de trop. Il ne réponds pas lorsque je lui demande ce que nous allons boire, il se contente de se concentrer sur l’ouverture d’une bouteille de vin blanc français. Je profite de ce moment pour l’observer. Ses mains calleuses auraient presque quelque chose de sensuel autour de cette bouteille. Je remarque ses sourcils légèrement froncés qui lui donnent un petit air soucieux que je trouve assez charmant. Il a tout de l’homme, le vrai. Un peu bourru mais rassurant. Je sens un poids venir se loger au creux de mon ventre lorsque j’imagine le quarantenaire dans des situations… Inédites. Bordel, je suis vraiment en train d’imaginer le père de mon petit-ami torse nu ? Je chasse cette pensée et au même moment, Antone me tend un verre de vin. — Santé ! s’exclame-t-il en français. — A la notre ! dis-je sans réfléchir. Hmm… A Clément, surtout. je rectifie, sans grande conviction. Le prénom de mon petit-ami disparaît aussitôt de mon esprit, lorsque Sisco effleure mon épaule pour remettre la fine bretelle de ma robe à sa place. Son geste me laisse une impression de chaleur, pile poil à l’endroit qu’il a effleuré. J’y pose ma main, étonnamment et agréablement surprise. — Tu n'as pas froid ? me demande-t-il. — Non, il fait bon. Je m'étais retenue de dire qu’il faisait chaud, de peur de passer pour une allumeuse. Je n'étais pas une grande séductrice. Clément était mon premier vrai petit copain, j’ai eu quelques amourettes plus jeune, mais jamais rien de sérieux. Je savais que je plaisais au garçon de mon âge, mais je ne m’étais jamais demandé si je plaisais aux hommes. Étonnamment, je suis assez curieuse de connaître la réponse. Là, tout de suite. Mais l'âge, la carrure et la maturité de celui qui se trouve devant moi me fait perdre un peu confiance en moi. Quelque chose d’encore une fois très étonnant, moi qui ne me démonte jamais devant rien ni personne. — Il n’y a personne, ici ? je demande sur un ton que je veux innocent. Je jette un coup d'œil à l’horloge, qui affiche dix-huit heures trente. Clément n’est pas censé arriver avant une petite heure. Mais qu’en était-il de sa mère ? Je sens le feu me monter aux joues, presque honteuse d’avoir ce genre de pensée.
Faisait-il bon ? Impossible de le savoir. Étouffé par ses propres fantasmes, Antone avait depuis plusieurs minutes déjà perdu la notion des réalités. Il ne voyait et ne ressentait plus les choses qu'à travers le voile déformant de ce désir inavouable. Ce fut la question d'Alba qui se chargea de la doucher plus efficacement qu'une chute sur la glace : Il n’y a personne, ici ?
Il se revit une éternité de cela, tôt, très tôt, à peine à l'aube de sa vie. A cette époque, le petit Antone ne devait pas avoir plus de cinq ans et avait pour habitude de se cacher sous tout ce qui pouvait lui tenir lieu de cabane. Fanatique de piraterie et de chasse - la génétique corse y jouant pour beaucoup - il s'amusait à s'imaginer chasseur en embuscade lorsque les chaussures de son père firent irruption dans la cuisine, suivies de prés par une paire de talons hauts qui n'appartenaient certainement pas à sa mère. La table grinça sous le poids de l'invitée. Antone ne comprit pas la raison pour laquelle cette femme s'asseyait sur le meuble plutôt que de poser ses fesses sur les nombreuses chaises mises à disposition. A travers la paire de jambes féminines, il vit tomber au sol une culotte de couleur bleu tandis que des bruits mouillés lui parvenaient jusqu'aux oreilles. Le même genre de gargouillis que faisaient les pieuvres ou les méduses qu'il aimait piquer du bout de son bâton lorsque son oncle et lui se rendaient dans les criques de Calvi, le dimanche matin, à la pêche aux dorades. Silencieux et attentif, l'enfant écouta son père grogner comme un ours. Il prit soin de se tasser un peu plus pour éviter d'être vu et tira sur la nappe afin de se cacher. Au dessus de lui, les adultes semblaient se battre, ou peut-être étaient-ils tombés l'un sur l'autre ? Antone entendit le bruit caractéristique d'une ceinture que l'on ouvre. Ce bruit, il le connaissait par cœur car il accompagnait chacune de ses bêtises lorsqu'il était question de le punir pour éviter qu'il ne recommence. Inquiet, l'enfant se demanda s'il devait fuir mais un autre bruit en provenance du salon imposa soudainement calme et immobilité au sein de la cuisine.'' Il n’y a personne, ici ? '' Demanda une voix féminine qu'il ne reconnut pas. Depuis le salon, la voix de sa mère se fit entendre. Elle appelait son père, lui demandant ou se trouvait Antone, s'il était une fois de plus caché on ne savait ou. Dans une précipitation muette, les corps enchevêtrés se démêlèrent et prirent la fuite, laissant seul le gamin qui ramassa la culotte bleue laissée pour compte. Elle sentait la lavande.
Secoué par ce souvenir, Antone eu un mouvement de recul. Que s'imaginait-il faire, au juste, avec cette gamine, à même la table de la cuisine ? Soudain, une image de son fils lui sauta au visage. Il le revoyait, bambin, perché dans la cabane qu'il lui avait construite au fond du jardin, de ses propres mains, à même les branches du vieux chêne. Ce gosse pour lequel il était resté avec Diane et qu'il avait élevé avec amour, évitant de reproduire toutes les erreurs que son père avait commises durant son enfance. Hors de question de gâcher le dix-huitième anniversaire de Clément d'une quelconque façon que ce soit et encore moins en cédant à ce genre de pulsion qui l'empêcherait de se regarder dans le miroir pour le restant de ses jours. Ma femme est en route. Répondit-il fermement, dressant le mur invisible du mariage entre Alba et lui. Attrapant son verre par la même occasion, Antone but une gorgée avant de désigner la porte du salon à Coalman. Je te laisse patienter dans le salon, il me reste quelques détails à peaufiner dans mon bureau.
Bureau situé au premier étage et qu'il ne quitta qu'après avoir entendu plusieurs voix s'élever du rez-de-chaussée, preuve que les convives étaient arrivés et qu'il ne risquait plus rien à redescendre pour se joindre aux derniers préparatifs : éteindre les lumières et se cacher en attendant que Clément n'ouvre la porte. En bon père de famille, Antone applaudit joyeusement au moment de souffler les bougies et gratifia son fils d'un clin d'œil lorsque ce dernier embrassa Alba pour la remercier de son cadeau. A aucun moment le corse n'accepta d'admettre qu'à la place de son fils, c'est lui qu'il avait imaginé fourrer sa langue dans la bouche de l'adolescente ...
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Lorsque je lui demande si nous sommes seuls, il semble se perdre dans ses pensées. Comme si ma question avait fait naître en lui certains fantasmes ou raviver de vieux souvenirs, je ne sais pas trop. Je prends une gorgée de vin tout en continuant de l’observer. Je ne pouvais m’empêcher de le trouver bel homme malgré le fait qu’il ait l’âge de mon père. Je me sens toutefois honteuse de cette pensée. Non seulement, il a le double de mon âge mais en plus c’est le père de mon petit-ami. Bordel, je devais me reprendre. Comme s'il avait lu dans mes pensées, Antone a un mouvement de recul. Son visage s’assombrit et son regard se fait fuyant. — Ma femme est en route. me dit-il sur un ton soudain très sec. En une fraction de seconde, toute l'électricité qu’il y avait dans l’air s’était évanouie. Et nous sommes soudain comme deux étrangers, mal à l’aise l’un en face de l’autre. Avais-je fait quelque chose qui ne fallait pas ? Oui, c’était certain. Flirter avec le père de son mec ne se faisait clairement pas. — Je te laisse patienter dans le salon, il me reste quelques détails à peaufiner dans mon bureau. — Le salon ? je répète, oubliant soudain où se trouvait le salon. Voilà que je souffre de désorientation spatiale je murmure tout bas pour qu’il ne m’entende pas. Je souffrais aussi de connerie profonde, visiblement. D’un geste, il me désigne la pièce à vivre et je me résigne à aller m'asseoir sur le canapé, attendant le reste des convives seule. Je me mets à cogiter sur ce qui vient de se passer. L’attente me semble interminable et j’ai le temps de me rejouer la scène dix fois. La paillette dans la barbe. Mes doigts qui effleure la commissure de ses lèvres. La bretelle de ma robe. Sa main chaude qui caresse sans le vouloir mon épaule. La tension. L’envie. L’interdit. Je suis encore en train de m’imaginer mille scénario, lorsque la porte d’entrée s’ouvre en grand sur Diane, la mère de Clément. — Bonjour, Diane, je suis ravie de vous voir ! je m’exclame sur un ton plus enjoué que je ne l’aurais voulu. Je n’ose pas la regarder dans les yeux, de peur qu’elle y perce les secrets inavouables qui ont traversé mon esprit un instant plus tôt. Lorsque Clément arrive, que nous lui crions tous “Surprise” et que je le vois, plus heureux que jamais, j’oublie Antone et ces vilaines pensées. Je l’aime. Il m’aime. Il est hors de question que je lui brise le cœur en voulant jouer dangereusement. Je le lui briserai doublement en faisant voler sa famille en éclats. Mais pourquoi je pense donc à ça ? Il ne s’est rien passé. Rien. C’est avec ce mensonge que je continue la soirée, profitant de mon amoureux, de nos amis et de cette jolie soirée. Aucune ombre ne pourrait venir assombrir ce joli tableau. Non, aucune.