“Si c’était moi qui les entraînais, ils fileraient droit. Regarde ce jeu, c’est n’importe quoi, de l’amateurisme.” Rhett s’emporte, sa bière encore pleine devant lui parce qu’il ne se donne pas le temps de la boire. Le match du soir le passionne alors que les All Blacks confrontent les Wallabies et que tous les indices sont présents pour laisser croire qu’il s’agira de quelque chose d’aussi sanglant qu’exceptionnel. Hooper est pourtant à ses yeux le pire capitaine qui soit, il se souvient en avoir connu de biens meilleurs même à l’époque de l’UQ, sans même parler des Saracens - qui, bien évidemment, ont un niveau incomparable à celui des Wallabies qui ont des résultats en dent de scie depuis des années, enchaînant déceptions sur déceptions de la part du public. Rhett le premier. Ce soir, il ne commente pas le match à l’antenne, et c’est sans doute bien mieux ainsi: la production lui a fait remarquer son manque d’objectivité mais il n’est pas doué pour se remettre en question, prendre sur lui et réparer ses défauts. Sans doute est-il aussi largement animé d’une certaine rancœur à leur égard, lui qui aimerait les entraîner et profiter de leur rayonnement bien plus international que ne le sera jamais celui de l’UQ.
Ses bras volent dans les airs à chaque essai manqué, son ton monte pour un rien à chaque nouvelle seconde. Emporté par le match, il en oublie le monde extérieur et tout ce qui l’entoure, notamment les amis avec lesquels il est venu. Oublier ses amis est une thématique récurrente de la vie de l’australien, il faut bien l’avouer ; tout comme tenter de se faire pardonner est celle qui suit l’instant d’après. Pourtant, son attention vacille à l’instant où il entend une voix féminine s’élever en même temps, allant supposément dans le sens contraire de son avis - des deux, pourtant, il sait avoir bien plus de légitimé à commenter le match, peu importe qui elle peut bien être. “Hey, calme toi l’hurluberlu.” Il annonce, mêlant ses mots à un geste de la main en direction de la jeune femme qu’il regarde à peine, n’ayant pourtant pas besoin de plus pour estimer qu’elle le dérange dans sa soirée. Il parle bien plus vite qu’il ne réfléchit, comme à son habitude, et ne pense pas un seul instant que ses mots puissent être interprétés négativement, justement parce que pour lui il n’y a rien de mal dans rien, il n’est qu’un professionnel investi dans le match et ne veut pas se laisser déranger par des amateurs. Au moins, il s'est retenu avant de lui dire qu'elle devrait plutôt viser les bars dansants ou des conneries dans le genre pour y passer sa soirée ; vous voyez qu'il n'est pas si pire.
Regan avait pas l’habitude de refuser des sorties en boite à Lora. Elle était même souvent force de proposition. Ce soir était trop spécial pour céder à l’appel de la débauche. Un soir de match des Wallabies ne pouvait pas être mis de côté. Encore moins lors d’un affrontement contre le rival de toujours néo-zélandais. La chanteuse avait coché cette case dans son calendrier depuis la programmation de la rencontre. Sa meilleure amie avait rien pu faire face à sa passion rugbystique. Elle avait beau remuer ses seins sous son nez, elle n’avait aucune chance. Personne savait ce qu’avait fait Lora en compassion. Nul doute qu’elle était pas assise sagement dans son canapé à regarder le match. Elle avait pas accompagner la Kelly non plus. Les deux femmes partageaient de nombreuses activités mais pas celle du sport. En tous cas, pas de ce sport conventionnel. Regan était habituée à vivre ce loisir en solitaire. Elle se trouvait des amis de circonstances dans les bars. Parfois des ennemis suivant les conneries déblatérées à la minute. Elle n’était jamais la dernière à en dégainer. A ses yeux, sa parole était la pure et simple vérité. En tant que fille d’un ancien international, elle avait l’expertise pour juger des actions et des joueurs.
En fait, elle était qu’un point de vue parmi les autres. Son égo rejetait cette idée. Les confrontations étaient légions lors de ces soirées. La plupart du temps, elles se limitaient à des joutes verbales. Parfois, la blonde en venait aux mains. Elle était relativement calme assise sur son tabouret. Elle descendait sa pinte à chaque arrêt de jeu. Le reste du temps, elle avait ses opales rivées sur l’écran. Elle y allait de son commentaire à chaque action. Il en existait autant que de personnes présentes dans la salle. Les avis divergeaient. Tout le monde avait ses favoris et ses souffre-douleur. Regan n’y prêtaient pas attention en cours de match. Ses oreilles étaient focalisées sur le son de la télé. Par contre, elle était pas totalement hypnotisée par son environnement. Elle avait parfaitement entendu les mots de cet homme, de ce branleur sur pattes. « L’hurluberlu, elle t’emmerde ! Si t’es pas content, t’as qu’à dégager ! » Elle était ni réputée pour son tact ni sa diplomatie. Il pouvait s’estimer heureux de pas avoir gagné une insulte. Elle se fichait qu’il soit attablé en groupe. Les surnombres lui avaient jamais fait peur. Elle faisait confiance en son cerveau féminin. Il valait aisément dix masculins à son opinion.
Regan était prête à reporter son attention sur le match quand elle reconnut la tête de ce type. Un type qu’elle pouvait pas blairer. Comme tous les hommes en soi. Sauf que lui trônait proche du sommet. Il avait échappé à son souffle du dragon jusqu’ici. Désormais, elle allait se rattraper. Plus que n’importe quel joueur, elle tenait le bouc émissaire idéal pour justifier des mauvaises performances de l'équipe. « Pour une fois qu’on avait pas un commentateur de merde pour le match, il a fallu que tu viennes nous pourrir avec tes conneries dans un bar, Hartfield. » Ses mirettes le fixaient. Un rictus narguant étirait ses lèvres. Elle avait pris soin de mettre toute la foule de son côté. Pour elle, il était évident que tout le monde le trouvait naze. Il pouvait pas en être autrement.
« L’hurluberlu, elle t’emmerde ! Si t’es pas content, t’as qu’à dégager ! » Il relève le nez bien plus par curiosité qu’autre chose, ne s’étant pas attendu à ce qu’on réponde à une phrase qu’il n’avait même pas le moindre souvenir avoir prononcée, déjà. Trop concentré sur le match, le reste n’a que peu d’intérêt, et même cette jeune femme se la jouant tigre rugissant ne saurait changer la donne. Elle a peut-être les griffes acérées dignes de la gente féminine, mais elle n’inspire ni la terreur ni le respect du rugbyman. Sa chevelure blonde se veut semblable au clair du pelage de l’animal ; elle dénote complètement de l’environnement typiquement masculin dans lequel ils se trouvent en cet instant. Alors qu’elle rugisse, l’inconnue, parce qu’il ne donne pas cher de sa peau dans un combat au corps à corps. Il en résultait un animal sauvage blessé, ce qui se veut bien souvent synonyme de nourriture à gagner pour le sommet de la chaîne alimentaire: le tigre aussi, a pléthores de prédateurs, quand bien même leur nombre en lui-même se veut bien raisonnable. Elle n’est pas à l’abri de croiser une meute de loups ou un crocodile un jour, voilà tout ce que le regard noir qu’il lui décoche instinctivement signifie. Elle ne fait pas de mal à son ego, elle le dérange simplement dans la contemplation de son match et il est le roi de la basse-cour, ici, véritable petit coq bombant le torse devant la moindre poulette, croyant sincèrement, et l’espace d’une seconde, qu’il a la moindre chance avec la femme en question. S’il a longtemps été le coq du village, celui vers qui les regards se tournent et à qui on associe les messes basses, il est aujourd’hui bien trop vieux pour ces conneries. Tout ce à quoi il serait encore bon, désormais, c’est d’être un parfait coq au vin à servir à une table d’invités. Dynamique, ambitieux et sans doute un peu trop fier aussi, il aurait été un parfait enfant né sous le signe du coq, mais les astres en ont apparemment décidé autrement: chien ce sera. "Ça sert à rien de s’énerver.” Ma poulette qu’il manque de rajouter, pour suivre une blague qui n’a existé que dans son esprit. Peu importe ; déjà, elle n’a plus son attention et il reporte ses grands yeux clairs sur la télévision.
Après avoir eu le temps de porter la bouteille à ses lèvres une seule et unique fois, la jeune femme reprend déjà ses paroles acerbes. « Pour une fois qu’on avait pas un commentateur de merde pour le match, il a fallu que tu viennes nous pourrir avec tes conneries dans un bar, Hartfield. » La seconde gorgée, il la boit bien plus lentement, un sourire certain affiché sur les lèvres alors qu’il lui dédie désormais son regard. Elle a touché son ego pendant une seconde, c’est bien vrai, mais elle est encore loin de pouvoir être qualifiée de langue de vipère au venin toxique. La blonde, elle est de ses serpents qui s’imposent en prenant de la hauteur ; ceux là même qu’on envoûte d’une stupide flûte en les foutant au fin fond d’un sac pour épater les touristes. En somme, elle est impressionnante, mais elle n’est pas mortelle. "Pardon, qui es-tu déjà ?" Une nobody, voilà ce qu'elle est, mais cela ne gagne en amusement que si elle le prononce elle-même.
L’erreur masculine dans toute sa splendeur a encore frappé. Ça sert de s’énerver. Ça défoule. Ça permet d’évacuer sa frustration. La colère est pas toujours négative. J’admets que la mienne est rarement justifiée. J’ai vite fait de monter dans les tours. Surtout quand on me dit de pas m’énerver. Mon esprit de contradiction sans doute. Je déteste qu’on me dise quoi faire. Mon rapport à l’autorité est complexe. En fait, il y a qu’une personne qui a le pouvoir de me rendre docile : mon père. L’homme de ma vie par excellence. L’exception ultime à ma règle rangeant tous les mecs ou presque dans mon panier méprisant de misandre. Lui à mon respect. Il l’a gagné par le lien du sang qui nous unit. Du moins pas totalement. Je l’ai vu au quotidien traiter ma mère comme son égal. Et ce même avec leur différence flagrant de carrure. Un homme qui a jamais dénigré sa famille au profit de sa carrière. Il a fait de son mieux pour me voir grandir, pour m’épauler. Il est mon premier fan bien qu’il soit pas amateur de metal. Il m’a soutenu dans mes choix. Quand il me parle, je me tais et j’écoute. Pourtant il est pas la sagesse incarnée. C’est peut-être lié à l’amour familial. Il a une place particulière dans mon cœur. Ce grand gaillard y est logé que je le veuille ou non. L’amour rend définitivement con. Mais j’interdis quiconque de critiquer mon paternel sous peine de se prendre un coup de griffe combiné à mon souffle de dragon dans la face. Le brun y a pas sa place du tout. Il a aucune chance d’y entrer ne serait-ce que le moindre orteil. Il déblatère trop de conneries à la seconde. Il se croit connaisseur dans le rugby alors qu’il est baigné dans l’ignorance. Je suis bien contente de tomber sur sa personne ce soir. Depuis le temps que je le taille derrière les divers écrans, je vais pouvoir lui dire ses quatre vérités en face. Il semble accepter son sort. Nos regards se défient. Un rictus étire mes lèvres. Après chanter, mon activité favorite consiste à démonter ces soi-disant mâles dominants. Et encore, parfois je me demande si elle est pas ma préférée. « Devine-le, Einstein ! » Je descends de mon tabouret. Je m’approche de sa table en silence. Mes yeux le quittent pas d’un iota pendant ma marche. Arrivée à sa hauteur, je me penche en avant. Je positionne mon visage face au sien. « Ce visage te dit rien ? » Je joue pas sur mon statut de rockstar faisant la une de certains magazines. Je doute qu’il s’intéresse au metal. Ma référence est plus subtile. J’ai la gueule de mon père. Traits pour traits je lui ressemble. Hormis le nez qui est celui de ma mère parait-il. Il a côtoyé mon père un temps. Il a pas pu l’oublier. Il a pas pu oublier son talent. Je suppose même qu’il l’a envié. Lui qui est un incapable. Même avant sa blessure, il courait aussi vite qu’un gosse. Je me redresse, en ayant assez de son haleine alcoolisée. « Si non, je t’autorise à demander de l’aide à tes potes. Dans le lot de blaireaux, y en a peut-être un qui s’y connaît davantage en rugby qu’en houblon. » Oops, j’ai pensé tout haut ma dernière phrase au lieu de le faire dans ma tête. Je toise le groupe de toute mon arrogance. Je m’attends à entendre des réponses à mes provocations sortir de leurs bouches. Les hommes sont si prévisibles. Dès qu’on les titille dans leur égo, ils répliquent. Tant mieux. J’adore ça.
« Devine-le, Einstein ! » Rhett fronce les sourcils, mi-amusé mi-perdu. Il a sans doute bien des défauts, mais il est au moins physionomiste. Si elle était quelqu’un dans le milieu du sport, et par conséquent bien placé pour donner son avis d’une telle façon, alors il l’aurait reconnu. Qui plus est, et sans qu’il n’apprécie observer ce fait, la gente féminine est bien moins représentée et par conséquent les quelques figures reconnues sont d’autant plus faciles à reconnaître. La sienne n’en fait pas partie le moins du monde, et il en faudrait bien plus pour venir chambouler son éternelle insouciance de toutes choses, raison de plus pour laquelle il boit une gorgée supplémentaire de sa bière sans se soucier davantage de la jeune femme agitée. Et ce n’est pas son manège qui risquerait de le faire trembler, par ailleurs. Il a vu des hommes de deux fois son poids lui foncer dessus sans aucun but de s’arrêter ; ce ne sont pas ses cinquante kilos tout mouillés qui risqueraient de le faire sourciller, même d’aussi près. « Ce visage te dit rien ? » Une fois de plus, ce n’est qu’un sourire qu’elle reçoit. Qu’est-il supposé répondre, entre Britney Spears et Lady Gaga ? « Si non, je t’autorise à demander de l’aide à tes potes. Dans le lot de blaireaux, y en a peut-être un qui s’y connaît davantage en rugby qu’en houblon. » Il rigole de bon cœur, Rhett et son frigo rempli de boissons toutes aussi peu alcoolisées les unes que les autres. Ses amis le font moins, c’est certain, mais fort heureusement pour la blonde ils savent qu’ils ne sont pas les premiers visés par ses paroles et que seul Rhett a le plaisir de discuter avec elle. Déjà, il se souvient pourquoi il a bien plus tendance à apprécier la compagnie des hommes dans son entourage ; ils sont bien moins compliqués, bien moins ennuyants aussi. L’inconnue ne fait que lui apporter des ennuis, en plus de l’empêcher de profiter du match. “C’est très généreux de ta part. On va en parler tous ensemble et toi tu vas retourner travailler ton image, hm ?” Il la traite comme si elle était un enfant mais à ses yeux elle n’est rien de plus non plus. Et Dieu sait qu’il les préfère loin de lui, les enfants, alors c’est difficilement qu’il se retient de poser son index contre le front de la blonde pour la repousser avec un certain dégoût. Il est peut-être un ancien sportif habitué aux tensions de terrain, mais il est surtout un homme qui aime le parfait calme de sa vie que seules ses erreurs viennent troubler, et non des inconnues hystériques. “Tu en as apparemment besoin ma grande.” Une enfant, donc. Nul besoin de s’emporter, il n’en ressent pas même le besoin. Elle est horripilante mais loin d’être dangereuse.
Hartfield est aussi ennuyeux dans la réalité qu’à la télé. A la télé, je peux au moins zapper ou l’éteindre pour plus voir sa gueule. En live, impossible à faire. Il me faudrait quitter les lieux pour ça. Hors de question que je le fasse avant la fin du match. Le foutre dehors est une autre option. Nullement fiable par contre. J'ai plus longtemps à supporter son faciès. Je compte rapidement reposer mes yeux sur l’écran et éviter son visage. Quant à sa voix, la mienne est apte à la couvrir. En fait, il est en rien un souci. Je le cherche ouvertement par plaisir. Je suis déçue qu’il entre pas dans l’escalade des provocations. Ça signifie qu’il sait réfléchir. Et ça, ça fait mal à mon égo. Moi qui croyais faire face à un blaireau, il vient de gravir un échelon. Il en oublie pas la pointe d’ironie malgré tout. C’était le minimum syndical requis dans sa réponse. Surtout devant ses potes. La meute attise la fierté. Ça aurait fait tâche qu’il se retrouve le bec cloué par une femme sous leurs yeux. « Générosité est mon second prénom. Je veux bien partir la retravailler mais j’aurai besoin de conseils. T’en as pas à me filer ? Avec tes maquilleuses persos qui te rendent présentables pour tes émissions, t’as bien quelques astuces ! Fais pas l’égoïste ! » Un rictus narguant étire mes lèvres. Je gère à la perfection mon image. J’ai rapidement compris son importance dans le showbiz. J’ai vite appris à m’en servir pour attirer l’attention. Mais je m’en sers pas uniquement pour ça. Avant tout, je suis comme je suis par choix et envie. J’aime mon look de rockeuse rebelle. C’est mon style quotidien. Je joue pas un rôle à travers mon style. J’exprime mon caractère de feu. Lui est beaucoup plus classique. Il se noie dans la masse. Un pauvre mouton parmi les autres. Il est pas connu grâce à son image. Il l’est simplement à cause de son envahissement télévisuel. « J’ai besoin de tellement de choses si tu savais ! Je devrais peut-être t’engager comme agent. Ton expertise du brushing impeccable me serait utile. » J’éclate de rire dans la seconde. Sa coiffure laisse à désirer ce soir. Au moins, il a l’air moins coincé. Ça le rend pas plus sympathique. De toute façon, j’ai pas l’intention de changer d’agente. Mon actuelle est certes chiante mais ô combien talentueuse. Puis je troquerai pas une femme contre un homme. « Je vais vous laisser discuter entre mâles. Parlez pas trop fort qu’on puisse écouter le match. Ça m’ennuierait vraiment de devoir revenir à votre table pour vous demander de la fermer. » Je me montrerai moins diplomate. J’ai pas spécialement envie de dégainer les baffes. Je désire simplement mater le match en profitant de l’ambiance du bar et de quelques bières fraîches. C’est pas la mer à boire, si ? « Je peux compter sur toi pour être sage mon mignon ? » Le ton de mes deux derniers mots est moqueur. J’ai pas pu résister à l’appel de la pique avant de retourner au comptoir. Peste un jour, peste toujours. Sur ce coup-là, il a raison de penser que je suis une enfant. Ce comportement est digne d’une gamine de dix ans, je l’admets.
Elle est l’explication même de pourquoi Hartfield se passe volontiers de la présence de femmes dans sa vie. Imprévisibles, à l’ego éternellement blessé et aux diverses manœuvres de traverses, il les trouve bien trop difficiles à cerner pour un rien. Sa patience a des limites et s’il n’a pas de mal à prendre sur lui pour la laisser débiter ses paroles pseudo-revendicatrices, ce n’est pas une attitude qui se veut viable sur le long terme. Qui plus est, qu’un inconnu s’emporte dans un bar n’aura jamais rien de nouveau, mais qu’il le fasse en ayant un programme à présenter à ABC et une équipe à entraîner à l’UQ serait bien trop lourd en conséquences pour que Rhett s’y risque. Il a des casseroles qui risqueraient de remonter à la surface à tout instant, il ne peut pas causer lui-même sa perte à cause d’une simple guéguerre d’ego. Il n’est pas sur le terrain ; il peut se contrôler. « Générosité est mon second prénom. Je veux bien partir la retravailler mais j’aurai besoin de conseils. T’en as pas à me filer ? Avec tes maquilleuses persos qui te rendent présentables pour tes émissions, t’as bien quelques astuces ! Fais pas l’égoïste ! » Elle sourit ; il en fait de même pour une raison bien différente. La plastique de Rhett n’a jamais été un problème dans sa vie, et il en a toujours joué en connaissant sa valeur auprès de la gente féminine. Pour autant, il n’a jamais connu d’autre femme que Jenna à l’époque, et Mabel à Londres: il en jouait, mais jamais au point de faire du mal à autrui. Peu importe, sans doute, elle est bien trop occupée à chercher à lui reprocher le moindre geste et le moindre mot telle une adolescente en colère pour vouloir écouter la moindre histoire digne de ce nom. Il a l’impression de faire face à Jenna à leurs débuts, et cela n’avait rien de beau à voir. Pourtant, c’est un trait de caractère qui l’a toujours attiré chez elle, à défaut que cela soit moindrement le cas pour la blonde face à lui en cet instant. « J’ai besoin de tellement de choses si tu savais ! Je devrais peut-être t’engager comme agent. Ton expertise du brushing impeccable me serait utile. » Il a bientôt quarante ans et largement passé l’âge de ce genre d’enfantillages. Elle trouverait sans doute bien meilleur public auprès de ses amies, où les discussions autour du maquillage et du brushing seraient sans doute bien plus de mise. Ses amis à lui n’attendent que la fin de cet aparté pour reprendre leur contemplation du match, et il mentirait s’il disait ne pas penser la même chose.
« Je vais vous laisser discuter entre mâles. Parlez pas trop fort qu’on puisse écouter le match. Ça m’ennuierait vraiment de devoir revenir à votre table pour vous demander de la fermer. » - “En voilà une bonne idée.” Enfin.
Oh, elle aurait dû le dire plus tôt que toute cette discussion allait être basée sur tout son caractère basé sur sa misandrie: il l’aurait évitée d’un pas sur le côté et ainsi gagné plusieurs minutes d’une discussion fort inutile et agaçante. Bien sûr qu’il n’écoutera rien, Rhett, tout sauf influencé par le caractère de la jeune femme pseudo-menaçante. Bien sûr qu’il reprendra ses commentaires sur l’exact même ton où il les a laissés, lui et ses amis. Peut-être qu’elle hausserait la voix assez fort pour arriver à la hauteur de celui de la télévision, qui sait. « Je peux compter sur toi pour être sage mon mignon ? » Oui, oui. “Joe, tu peux mettre le son plus fort ? Y’a des interférences ce soir, dans ton bar.” Il aurait dû le lui demander dès le départ, cela aurait évité de perdre autant de son précieux temps.