Assise dans le taxi, la jeune femme regarde fixement sa montre. Sur le plancher de la voiture, son pied tape nerveusement agitant sa jambe, signe évident de son état de stress. Elle n’a jamais été friande de l’idée de prendre l’avion la brune, son élément c’est l’eau et clairement, il n’y a aucune vie dans laquelle elle pourrait passer sa vie à voler à des kilomètres au dessus du plancher des vaches ! « Vous pensez qu’on va arriver à temps ? Mon avion est à 4.10 pm et je ne peux pas le manquer. » Oh non, ça fait trop longtemps qu’elle n’a pas remis les pieds à Brisbane et sa famille lui manque cruellement, à commencer par son jumeau qu’elle n’a pas vu depuis un peu plus d’un mois. Il faut dire qu’entre ses recherches et le travail de son fiancé, elle n’a pas eu beaucoup l’occasion de se poser ses derniers temps. Fiancée, elle a toujours du mal à se faire à l’idée que d’ici quelques temps, elle serait mariée à cet homme qu’elle fréquente depuis la fac. Elle avait longtemps hésité après la fin de leurs études, tout quitter pour voir le monde avec lui en ayant l’opportunité d’embarquer dans des missions plus variées les unes que les autres, ou alors s’installer à Brisbane, rester auprès des siens et construire ce projet de clinique à long terme. Après des semaines d’hésitation, elle avait opté pour l’aventure et des années plus tard, elle avait eu la chance de naviguer dans quelques uns des plus beaux endroits du globe. Elle profite d’une mission en Nouvelle-Zélande, le vol ne serait pas long, elle n’aurait pas à passer des heures et des heures assise dans cette boite de conserve volante ! Elle a hâte de pouvoir l’annoncer à sa famille, jusqu’ici elle a réussi à ne pas vendre la mèche, même si elle se doute que Lincoln se doute de quelque chose. Finalement le taxi la dépose bien avant l’heure fatidique et elle a tout juste le temps d’envoyer un message à son frère pour lui dire qu’elle va pouvoir embarquer sans trop se presser. Ici et là, les gens se pressent, se bousculent et elle ne peut s’empêcher de sourire en imaginant un banc de poisson frétiller au travers des courants marins.

Enregistrement fait, la jeune femme jette une nouvelle fois un regard à sa montre, avant de prendre la direction qu’on lui indique. Arrivée à destination, son regard se pose sur les écrans et le constat est sans appel : son vol est retardé pour une durée indéterminée en raison d’une avarie technique... De quoi la faire stresser encore plus, elle qui déjà n’est pas des plus à l’aise !  Portable à la main, la jeune femme compose le numéro de son frère dans l’espoir qu’il saura un minimum faire redescendre sa tension. L’effet ne se fait pas attendre, l’apaisement doit se lire sur ses traits alors qu’elle ne peut s’empêcher de clamer à quel point elle a hâte de le retrouver. Lorsqu’elle raccroche enfin, la jeune femme prend la direction du Starbuck. Elle sait que dans sa condition la caféine n’est pas recommandée, mais à choisir, elle préfère les palpitations à la montée d’angoisse qui pourrait revenir. Elle vient finalement s’asseoir non loin d’une fenêtre, en contrebas, on peut y voir les quelques avions sur la piste, et quelques personnes qui s’agitent. « Votre vol a aussi été retardé ? » Elle n’a pu s’empêcher de remarquer que cette personne avait l’air d’attendre elle-aussi et à défaut de passer sa vie au téléphone, elle se dit que discuter un peu ferait passer le temps et l’empêcherait surtout de penser au pire.

Le temps lui semble long alors qu’elle sent le stress s’accumuler à mesure que les minutes défilent. Elle ne peut s’empêcher de tourner en rond en se cherchant une occupation avant de devenir cinglée. Son attention se porte sur les les avions, les gens qui passent ici et là. Elle tente vaguement de se concentrer sur les quelques lignes d’un article sur son téléphone, sans succès alors que dans sa tête bourdonnent les paroles d’un titre de Radiohead qu’elle ne peut s’empêcher de fredonner sans même s’en rendre compte. « I keep the wolf from the door, but he calls me up... Calls me on the phone, tells me all the ways that he's gonna mess me up. Steal all my children if I don't pay the ransom, but i'll never see him again, if i squeal to the cops » Elle finit par lâcher un soupire avant de se décider à se tourner vers un être humain qui aura au moins le mérite de lui répondre et de lui sortir la tête de ses pensées. « Annulé. Le premier a été annulé. Le nouveau est retardé. » « Très rassurant... » Elle lève les yeux au ciel, visiblement iel a l’air d’être là depuis un moment, en témoigne sa stratégie de la prise ! « Apparemment y’a un problème technique sur l’avion… Je préfère qu’ils prennent le temps de réparer. Je suis assez angoissé en avion comme ça… » Cette fois c’est elle qui sourit amusée par sa réponse. « Je confirme ! Ils peuvent bien faire dix fois le tour tant que j’arrive entière en Australie ça me va ! Mon frère me dit que c’est le moyen le plus sûr de voyager... J’ai un doute certains sur l’affirmation ! » Elle témoigne de son stress elle-aussi et ça la rassure un peu de voir qu’elle n’est pas la seule ! « Brisbane? Ils m’ont mis sur votre vol peut être. » Elle hoche la tête, acquiesçant à son interrogation. « Brisbane oui. Tourisme ? Ou alors vous êtes du coin ?

« Ma femme dit tout le temps ça aussi mais quand on est phobique ça vaut rien. » Elle acquiesce d’un signe de tête, même si dans son cas, elle n’irait pas dire qu’il s’agit là d’une phobie, plus d’un... profond malaise et un désamour total de l’aviation et... bon ok une crainte de s’écraser ou d’exploser en vol ! « J’habite à Brisbane. »   Elle sourit Tessa, ravie de tomber sur un local. « J’étais ici pour le boulot. J’avais prévu de rentrer à la mi journée. C’est mon anniversaire de mariage aujourd’hui. J’aimerai au moins être chez moi avant minuit histoire de dire qu’on était ensemble pendant un petit bout de cette date symbolique. » La jeune femme ne peut s’empêcher de sourire une fois encore, c’est le genre de détails qu’elle affectionne et qui ont le don de la mettre en joie. «Toutes mes félicitations. J’espère que vous pourrez la rejoindre. C’est précieux ce genre de petits moments. » Tessa n’est pas une romantique dans l’âme, du moins pas au sens niais de la chose, elle n’a jamais été du genre amoureuse transit à s’émerveiller devant trop de mièvrerie. « Moi aussi j’escomptais retrouver ma famille avant la fin de la journée... Ca fait des semaines que je n’ai pas eu l’occasion de fouler le sol australien, je crois que j’ai cruellement besoin de ma dose de Brisbane et de ma famille. » Pas qu’elle n’aime pas voir le monde, mais la famille a toujours été quelque chose d’important à ses yeux alors être séparée de son jumeau est toujours un crève-cœur à long terme. « Comme quoi... Il faut pas mettre la charrue avant les boeufs. » La jeune femme acquiesce avant de reprendre une gorgée de son café. « C’est sûr et dire que j’ai pressé le chauffeur du taxi comme une damnée... Il a du me prendre pour une hystérique citadine toujours trop pressée ! » Ca la fait sourire tant c’est à mille lieux de sa personnalité. Non elle est plutôt du genre posée à se coller au scrapbooking pendant des heures. Il parait qu’elle est douée pour ça. Faut dire qu’elle peut prendre des heures à mettre en page des pans de sa vie pour avoir la chance de les partager au mieux avec ses proches, elle se dit que de cette façon, elle garde toujours une trace et puis mettre en lumière le travail de son fiancé lui plait, il a toujours eu un don pour capturer les moments de vie. Elle n’a jamais été friande des réseaux sociaux, sûrement la faute à toute la notoriété qui grouille autour de son nom de famille, alors elle se tient loin de tout ça. Elle déteste être définie comme la sœur du grand Freddy Mulligan, alors elle reste vieille école et préfère de loin coller ses photos et ses petits rubans pendant des heures quand elle n’est pas trop occupée à mener ses recherches. C’est d’ailleurs comme ça qu’elle compte annoncé ses fiançailles auprès de ses parents, le petit livre bariolé de masking tape et de calligraphie soigneusement emballé dans son sac à dos, elle a hâte de voir leur réaction et d’évoquer leurs projets futurs. « Ca fait longtemps que vous êtes mariés ? Remarque vous n’êtes pas forcé de répondre. J’ai la fâcheuse tendance à trop parler quand je suis nerveuse. » Y en a qui se mure dans le silence, pour la brune tout était fonction de la situation.

« Je fais pareil. Enfin. Quand je m’y prends pas cinq heures en avance pour venir à l’aéroport. » La jeune femme rit à son tour. « L’histoire de ma vie, enfin quand je suis pas à la bourre car j’oublie la moitié de mes affaires ! » C’est ce qui s’était passé aujourd’hui et quand elle voit le résultat, elle se dit qu’elle aurait mieux fait de prendre le temps de prendre un déjeuner plus conséquent ! « Ça me dérange pas, ça fait passer le temps un peu plus rapidement. » C’est ce qu’elle se dit aussi, mais elle sait aussi que certaines personnes n’apprécient pas forcément les incursions dans leur petite bulle alors elle préfère s’assurer que ça n’est pas le cas avant de sentir qu’elle dérange. « Ça fait sept ans aujourd’hui. » Sept ans, elle espère qu’un jour aussi elle aura l’occasion de fêter ses sept années de mariage. Ca semble si long et pourtant si peu quand elle y pense. « Je saurais marquer le coup autrement que le jour j…  Du coup vous habitez ici maintenant ? » La brune porte son regard sur l’inconnu. « Oui et non... Enfin en ce moment, ma résidence principale est ici pour quelques mois encore. Je suis amenée à pas mal voyager de part mon métier. Ma dernière mission est basée à Wellington alors je suis ici pour encore quelques mois. Mais bon, je ne suis pas certaine de mener cette vie de bohème encore longtemps. » La jeune femme sourit en songeant à son avenir. « Je trouve que c’est pas vraiment compatible avec une vie de famille.» Et ça c’est quelque chose qui tourne dans son esprit depuis quelques temps déjà. « Il y a un vieux proverbe chinois qui dit que, le voyage est un retour vers l'essentiel. Je trouve qu’il illustre assez bien tout ce qui peut me passer par la tête en ce moment. Après la fac j’ai eu envie de découvrir les merveilles du monde, je ne me voyais pas rester à Brisbane, me trouver un boulot et vivre avec des regrets. Maintenant que j’ai mis les pieds sur pratiquement tous les continents et navigué sur un nombre assez conséquent de mer et océan, une part de moi a envie de se poser et de pouvoir s’enraciner quelque part. Je ne me plains pas, j’adore ce que je fais et j’ai conscience d’avoir une chance immense, mais à vivre loin de tous mes proches, je sens bien qu’il me manque quelque chose et que je ne le trouverai pas à l’autre bout du monde. Je crois que ma famille me manque et... Brisbane aussi. » La brune soupire avant de réaliser qu’elle vient de s’étaler encore en laissant son esprit divaguer. « Désolée je ne suis pas aussi philosophe d’ordinaire, faut croire que le stress me fait dire n’importe quoi. » Elle dodeline de la tête en faisant une moue amusée. « Vous avez dit être ici pour le boulot ? »

La jeune femme se perd dans ses pensées, comme bien souvent lorsqu’elle est préoccupée. Lorsqu’elle était petite, sa mère avait pour habitude de lui fabriquer des attrape-rêves pour les accrocher au dessus de son lit... Elle disait que ça la protégeait des mauvaises pensées. Peut être faudrait-il qu’elle s’en trimbale un avec elle lorsqu’elle devait prendre l’avion, qui sait ça peut marcher ! « Y’a pas de mal. Ca fait du bien de s’exprimer. » Iel n’a pas tord et elle est reconnaissante de l’avoir laissé digresser autant. « Ça serait parfait si on pouvait les emporter avec nous partout. Dans notre poche. Comme des polly Pocket. » A ça elle ne peut que lâcher un petit rire amusé. « Voilà une idée merveilleuse ! Tout un monde miniature à emporter partout ! Ca serait du plus bel effet à côté de mon tamagotchi... »

« Je gère un groupe de musique qui a fait deux dates en Nouvelle Zélande. Windwaker. Le nom du groupe. Je glisse ça là au cas où. Ils font du métal. » La jeune femme lui adresse un sourire, ça n’est pas vraiment ce qu’elle écoute, mais elle est certaine qu’avec deux dates assurées, ils devaient avoir leur public et c’est bien là le principal. « Vous écoutez quoi comme artistes ? » «Je suis plutôt pop-folk et des groupes comme The doors. » La jeune femme s’apprête à enchérir quand le haut parleur vient annoncer que l’embarquement allait débuter. « On dirait que vous allez pouvoir être à Brisbane avant minuit finalement. C’était un plaisir de discuter avec vous en tout cas. Ca aura eu le mérite de rendre l’attente moins longue. Profitez bien de votre moitié ! » La jeune femme lui adresse un nouveau sourire, avant de se présenter à la porte d’embarquement, pressée qu’elle est de retrouver les siens.