Il n’y a qu’une personne que je voir depuis que je suis sortie de la cure, Kieran. Il ne s’imagine pas à quel point j’ai bien pu réfléchir pendant ces semaines de sevrage, à quel point je regrette d’en être arrivé là. Il avait raison de détester l’état dans lequel j’étais, et je ne sais pas s’il voudra bien me pardonner un de ces jours. Ca sera du travail, mais je compte bien essayer de me rattraper. Je n’ai jamais ressenti ce genre de sentiments pour quelqu’un, j’ai besoin de lui dans ma vie, et je ferai tout pour obtenir ce que je veux, cette cure ne m’a pas aidé à changer de caractère.

Je sais où je vais. J’ai besoin de le voir, de lui dire tout ce que j’ai sur le coeur. J’ai repris des forces, mais il pourrait tout réduire à néant en seulement quelques mots. Je déteste cette sensation, et ça me rappelle pourquoi je voulais être proche de personne il y a encore quelques mois. Je marche et je me retrouve bien trop rapidement devant la porte de son appartement. J’ai beaucoup de souvenirs dans cet appartement, des bons comme des mauvais, et je me demande dans quelle case celui-ci va être placé. Je respire, j’attends un long moment avant de toquer. Le discours est prêt dans ma tête, je sais ce que je dois lui dire et ce que je dois faire. Je ne le laisserai pas parler avant d’avoir tout déballé. Je sais qu’il me déteste actuellement, et il a toutes les raisons du monde. Peut-être qu’il me dira qu’il ne veut plus me voir, qu’il n’a pas besoin de moi, mais j’ai besoin de parler et de lui montrer qu’il m’a aidé à aller mieux, qu’il m’a aidé à remonter la pente.

Je toque, et ma respiration se coupe, le temps semble long, et je me dis que finalement je ne sais même pas s’il est chez lui. La poignée tourne et la porte s'entrouvre. Je me glisse dans l’embrasure pour être sûre qu’on ne me claque pas la porte au nez, ça ne sera pas la première fois que je serais intrusive. “Je sais que t’as sûrement pas envie de me voir…” Et tout se mélange dans mon esprit, les mots ne veulent plus sortir dans le bon ordre et je ne sais même plus ce que je voulais lui dire en premier. “T’as reçu la lettre ?” Quelques mots simples que j’ai écrit avant d’aller en cure pour qu’il sache que c’est en partie grâce à lui que j’ai eu le courage de prendre cette décision. Seulement “J’ai compris, je vais aller mieux, merci.” Je n’ai donné d’adresse à personne, même pas à Kieran, je veux m’en sortir seule, toujours. “Je suis rentrée il y a quelques jours.” Je pince les lèvres et je ne le cherche pas des yeux cette fois. Je regarde mes pieds de longues secondes et ma tête remonte pour faire face à mon interlocuteur. “Je suis désolée.” Et il sait à quel point ces mots brûlent en passant la barrière de mes lèvres, je déteste être désolée, je déteste savoir que j’ai des choses à me reprocher. Je range ma fierté pour quelques minutes, peut-être quelques heures. “J’étais en cure de désintoxication et ils ont dit que je pouvais sortir, que ça allait mieux…” Je déglutis, ne le laisse toujours pas parler. “J’avais besoin de te voir pour te le dire.” Ce n’est pas tout ce que je voulais dire, mais plus rien ne sort de ma bouche pour le moment, je suis terrifiée, et j’attends de voir s’il me vire de chez lui ou s’il accepte de m’adresser la parole.


@Kieran Halstead

@"IVY WATERHOUSE" & KIERAN HALSTEAD ⊹⊹⊹ and the walls kept tumbling down in the city that we love, grey clouds roll over the hills, bringing darkness from above.

(FORTITUDE VALLEY, LOGEMENTS). Quelques coups à la porte suffisent à faire augmenter son rythme cardiaque, tandis que son regard s’accroche à la pendule du salon. Il n’attend personne. Il n’est pas supposé recevoir des élèves aujourd’hui, tout comme Sawyer n’a pas annoncé sa venue ni aucun autre contact dont il est suffisamment proche pour qu’il connaisse son adresse. Un instant, il s’interroge sur la présence d’Autumn, puisqu’après tout, elle n’avait pas attendu qu’il lui donne son numéro d’appartement pour s’immiscer, à nouveau, dans son quotidien. Au-delà de tout ça, il y a surtout cette crainte liée à cet homme dont il attend à tout moment le retour pour finir le travail. Pourtant, je ne cesse de lui répéter que les mois ont passé et que personne n’a essayé d’intenter, à nouveau, à sa vie ; il devrait s’adoucir et réduire au néant cette possibilité. Mais Kieran n’y arrive pas, et lorsqu’il se décide enfin à coller sa main sur la poignée pour ouvrir la porte, ce n’est qu’un léger espace qu’il dévoile, à travers lequel il juge l’intrus. Et quand il identifie ce dernier, son cœur n’en est pas plus léger ; oh non, mais l’ouverture de la porte gagne quelques centimètres. “Je sais que t’as sûrement pas envie de me voir…” Ah, ça, Ivy, c’est un euphémisme. Et, je ne sais pas si ça peut te rassurer, mais il n’y a pas que lui qui ne veut pas te voir. Moi aussi ; depuis que tu n’as pas seulement blessé l’estime de Kieran, mais aussi la mienne, en me prouvant qu’on ne peut pas te faire confiance. Parce que j’avais confiance en la jeune femme, autant que Kieran. Et quand les masques sont tombés, quand il a découvert la personne qu’elle était réellement, la chute fut brutale et douloureuse, encore plus en réalisant qu’une fois encore, l’amour pour les substances est bien plus fort que l’amour qu’on peut lui porter. “T’as reçu la lettre ?” Il ne répond pas Kieran, restant silencieux. Ce n’est pas sa volonté, ce n’est pas non plus la mienne ; c’est seulement un automatisme qui fait suite au choc qu’il ressent à cet instant face à ce fantôme du passé. “Je suis rentrée il y a quelques jours.” D’accord et ? Il est supposé t’accueillir à bras ouverts, Ivy, après que tu aies claqué la porte et cessé de donner des nouvelles ? “Je suis désolée.” Oh. Il est aussi surpris que moi alors qu’il ne s’attendait certainement pas à ces quelques mots qui sont bien trop rares venant de la jeune femme et qui devraient avoir une certaine valeur ; s’il accordait encore de la valeur à ce qu’elle peut dire après tant de déceptions. Vous le trouvez injuste ? Trop dur ? Soyez le dommage collatéral de gens qui préfèrent leur dose à leur proche ; soyez-le toute votre vie et on en reparlera, voulez-vous. “J’étais en cure de désintoxication et ils ont dit que je pouvais sortir, que ça allait mieux…” Il fronce les sourcils un instant alors qu’il pose son regard sur elle. Est-ce qu’elle va vraiment mieux ? Il n’y croit pas, Kieran, parce qu’il a déjà entendu ce discours de nombreuses fois par le passé, avant d’être confronté à la réalité : ça ne va jamais mieux. “J’avais besoin de te voir pour te le dire.” « D’accord, merci. » Qu’il rétorque par automatisme d’une voix plus froid qu’il ne l’aurait voulu. Et alors, Ivy ? Quelques excuses effaceront tout, et tout pourra redevenir comme avant ? Le problème, c’est que Kieran est bien incapable de lui parler. Il ne sait pas quoi dire, il ne sait pas non plus ce qu’il veut dire : être trop virulent ou pas assez ? Lui pardonner ou lui faire comprendre que rien n’est effacé ? « Et... je... » Il ne sait pas quoi dire, Kieran s’il est honnête. « Tiens, tu sais, je regardais un documentaire l’autre soir et c’était sur un type qui a été porté disparu pendant des semaines. » Elle ne verra probablement pas où il veut en venir. Lui non plus, à vrai dire, tant le lien entre ses excuses et son monologue n’ont aucun sens. « Ses proches ont essayé de le contacter, mais il répondait pas et n’a pas redonné de nouvelles jusqu’au  jour où il s’est pointé chez lui comme si de rien n’était. Sa famille expliquait qu’ils étaient très heureux de le retrouver, mais qu’après tout ce temps, c’est comme s’ils savaient plus comment se comporter avec lui. » Et c’était terrible, comme histoire, quand il y repense. « Ils savaient pas vraiment quoi lui dire, ni comment accepter ses justifications par rapport à son absence alors ils étaient un peu là, tous comme des cons, à se regarder sans jamais savoir quoi dire. » Il conclut en haussant les épaules, avant de passer une main sur son crâne presque chauve, traduisant de sa nervosité. « Qu’est-ce que tu attends de moi, Ivy ? » Qu’il pardonne ? Qu’il s’excuse à son tour ? Le temps est passé ; et il n’a fait qu’obéir en sortant de sa vie comme elle semblait le vouloir en se plongeant dans la drogue et en refusant ses prises de nouvelles.

Je suis perdue, terrifiée par ce que je pense et ce que je ressens pour lui. J’avais tout un tas de choses à lui dire, mais ça s’est évaporé lorsque j’ai croisé son regard furieux. Je ne sais pas où je vais ni ce que je vais prendre dans la figure. Kieran peut s’énerver, je sais qu’il en est capable, mais je n’ai pas vraiment envie de voir ça. « D’accord, merci. » Après tout ce que je viens de lui dire, je ne m’attendais pas à ça. J’aurais aimé qu’il soit heureux de me voir, qu’il me prenne dans ses bras en me demandant si j’allais bien et où j’étais pendant tout ce temps. Ce Kieran me manque, le Kieran qui m’aimait me manque. J’ai besoin de lui, j’avais besoin de réconfort et j’ai osé croire qu’il n’allait rien changer. Mais, malheureusement, tout a changé. Je joue avec mes doigts, je ne veux pas partir d’ici tout de suite, j’ai nul part où aller.

« Et... je... » Mon regard se lève, espérant qu’il va s’ouvrir, soupirer et me pardonner en moins d’une minute. « Tiens, tu sais, je regardais un documentaire l’autre soir et c’était sur un type qui a été porté disparu pendant des semaines. » Je fronce les sourcils, ne comprenant pas vraiment où il veut en venir. « Ses proches ont essayé de le contacter, mais il répondait pas et n’a pas redonné de nouvelles jusqu’au jour où il s’est pointé chez lui comme si de rien n’était. Sa famille expliquait qu’ils étaient très heureux de le retrouver, mais qu’après tout ce temps, c’est comme s’ils savaient plus comment se comporter avec lui. » J’aimerais pouvoir effacer sa mémoire, tout reprendre depuis le début. Depuis ce café qui a fait naître une relation qui n’aurait jamais vu le jour en dehors de cette télé réalité. « Ils savaient pas vraiment quoi lui dire, ni comment accepter ses justifications par rapport à son absence alors ils étaient un peu là, tous comme des cons, à se regarder sans jamais savoir quoi dire. » Je mords ma lèvre inférieure en regardant le sol. Il devrait comprendre que j’ai voulu garder ça pour moi, que j’ai eu trop honte pour parler à qui que ce soit de ce que je faisais. « Qu’est-ce que tu attends de moi, Ivy ? » “Je…” Je n’ai aucune idée de ce que je pourrais lui dire pour que tout s’arrange en un claquement de doigt.

Je réfléchis, et j’en ai presque les larmes aux yeux. Tout ce que je ressens, tout ce que je veux lui dire ne veut pas passer la barrière de mes lèvres. “J’ai que toi…” Et c’est la vérité, je n’ai jamais été aussi proche de personne que de lui. Je n’ai jamais ressenti pour quelqu’un d’autre ce que je ressens actuellement. Je n’ai plus de drogues dans le sang, donc je sais que ce que je ressens est réel. “T’es le seul à qui j’ai envoyé une lettre, et le seul qui m’a dit que je faisais n’importe quoi.” J’aurais dû l’écouter ce jour-là, à la fin de notre ROA 2.0. J’aurais dû comprendre qu’il n’y avait rien de plus important que lui dans ma vie. Je ne comprenais pas à ce moment-là, et je le regrette. Je ne dis presque rien de ce qui me passe par la tête, je ne veux pas le brusquer, pas plus qu’il ne l’est déjà. “Je voulais pas te faire de mal, je voulais pas te perdre…” Je secoue la tête et recule de quelques pas. Je n’aurais pas dû m’attacher, je n’aurais pas dû accepter qu’il fasse partie de ma vie. “Je te l’ai pas dit assez tôt je sais, c’est peut-être trop tard… Mais tu me connais, je suis pas du genre à lâcher l’affaire aussi facilement…” Et s’il décide de m’abandonner lui aussi, de m’oublier et de ne plus vouloir me voir il fera partie des personnes que je déteste, parce qu’il n’aura pas réussi à me supporter jusqu’à la fin de mon existence. Il avait dit qu’il essaierait, même quand il a su que ce serait difficile. “J’ai plus rien… juste le label et c’est dans un état pitoyable… je veux plus jamais en arriver là. Plus jamais.” Cette fois, je le regarde dans les yeux pour qu’il comprenne à quel point je suis sérieuse. Je ne m’enfoncerai plus jamais dans ces conneries, j’ai retenu la leçon cette fois, parce que c’est moi qui ai pris la décision de reprendre ma vie en main. “J’ai besoin de toi pour tenir…” Je ne le regarde plus, parce que je me sens pathétique. Je me déteste d’en être arrivé là, et je me demande s’il va me virer de son appartement. S’il ne veut plus de moi dans sa vie, sur qui est ce que je vais bien pouvoir compter ?

Il est déstabilisé, Kieran. Il n’a pas besoin de le dire pour que je le sache ; je lis en lui comme dans un livre ouvert et même s’il essaie de garder le contrôle sur ses expressions faciales, dans sa tête, tout se chamboule. Il ne pensait pas revoir Ivy, encore moins sur le pas de sa porte. Le temps a passé, la durée de son absence a commencé à se compter en mois plutôt qu’en semaine et Kieran s’est fait à l’idée qu’elle ne reviendrait pas. Et maintenant qu’elle est devant lui, je prends conscience d’à quel point il a travaillé sur lui-même, durant ces deux ans, quand bien même j’ai parfois présagé le contraire. Parce qu’il ne la prend pas dans ses bras, parce qu’il ne lui offre aucun sourire sincère, parce qu’il ne lui cherche pas d’excuses, là où, il y a deux ans, il n’aurait pas hésité un seul instant à faire tout ça. Il lui aurait pardonné sans réfléchir et je me serais énervé quant à son incapacité à s’affirmer. C’est subtile, mais il le fait, à cet instant, Kieran, quand il ne cède pas à son regard suppliants et à ses explications bafouillées. Parce qu’elle est sortie de sa vie. Parce qu’il s’est fait une raison. Parce que s’il sait qu’il ne pouvait pas lui en vouloir de partager les sentiments qu’il ressentait à l’époque, ce n’était pas une raison pour elle de s’enfoncer dans son mal-être au point de disparaître. Ce n’était pas une raison pour le repousser comme elle l’a fait, volontairement ou non. Et ce n’est pas une raison pour qu’il oublie tout ce qu’il s’est passé ; et la manière dont les autres reviennent toujours à lui quand ils ont besoin de lui, alors que, avant cela, il n’était plus dans leurs pensées. Il n’est plus dupe, Kieran. Il commence à ne plus l’être, du moins ; et aujourd’hui en est la preuve avec une Ivy qui lui a fait trop de mal pour qu’il efface tout ce qu’il s’est passé seulement à cause de quelques supplications. Et si je suis fier de lui, je ne peux m’empêcher de penser que si la drogue n’avait pas eu un rôle aussi déterminant dans leur éloignement, les choses auraient été différentes. Sûrement qu’il aurait cédé, d’ailleurs, mais la consommation de la jeune femme est ce qu’elle ; et elle le renvoie irrémédiablement à un passé qu’il désire oublier, au fait qu’on ne peut pas faire confiance à des gens comme elle. Elle va mieux, oui, mais jusqu’à quand ? Il a vu trop de rechutes de ses propres yeux pour ignorer la réalité de l’addiction.

Kieran lui pose la question dont je veux entendre la réponse autant que lui ; qu’est-ce qu’elle attend de lui, au juste ? “Je…” Ce n’est pas bien difficile, Ivy. Après tout ce que tu as pu lui dire par le passé, tu ne crois pas qu’il ne devrait pas être aussi difficile de poser des mots sur la raison pour laquelle tu es ici aujourd’hui ? “J’ai que toi…” Et ça le touche. Bien sûr que ça le touche ; mais je lui rappelle aussitôt que ses parents n’avaient que lui, eux-aussi et que ça ne les a jamais empêché de se détruire et de l’emporter avec eux au passage. “T’es le seul à qui j’ai envoyé une lettre, et le seul qui m’a dit que je faisais n’importe quoi.” Parce qu’elle faisait n’importe quoi, parce que c’est un fait. “Je voulais pas te faire de mal, je voulais pas te perdre…” Et pourtant, Ivy, c’est ce que tu as fait. Malgré ses avertissements, malgré ses tentatives de s’ouvrir comme il ne l’avait plus fait depuis longtemps, tu as continué. Et tu en paies les conséquences aujourd’hui, soit, et ce n’est certainement pas à Kieran d’assumer aussi le poids de votre éloignement sur ses épaules. “Je te l’ai pas dit assez tôt je sais, c’est peut-être trop tard… Mais tu me connais, je suis pas du genre à lâcher l’affaire aussi facilement…” Il le sait. Bien sûr qu’il le sait, parce qu’il avait appris à la côtoyer, à l’apprécier, à lui faire confiance. Et elle a rompu cette confiance sans jamais se retourner. Elle devrait pourtant savoir à quel point il l’accorde difficilement, et qu’il est donc encore plus difficile d’acquérir son pardon. “J’ai plus rien… juste le label et c’est dans un état pitoyable… je veux plus jamais en arriver là. Plus jamais.” Oh, le label de Jack. Le label de cet homme avec lequel elle apparaissait dans les médias, quand ce n’était pas Damon. Il a toujours été un second, un troisième choix, Kieran et il a mis du temps à comprendre qu’il a le droit d’être le premier. Qu’il aimerait être le premier. “J’ai besoin de toi pour tenir…” Oh, non, Ivy. Si jusqu’ici je pouvais te laisser le bénéfice du doute, je pouvais contribuer à ce que Kieran abaisse ses barrières pour t’écouter, tu ne peux pas lui faire ça. Tu ne peux pas faire peser ce poids sur ses épaules, parce qu’il l’a déjà supporté trop longtemps avec Autumn, parce que votre bien-être ne doit pas dépendre des autres, ne doit pas dépendre de lui. Parce que le sien, dans tout ça ? Toutes ces responsabilités qui sont les siennes depuis son plus jeune âge, vous y pensez ? De la manière dont il aurait lui-aussi besoin des autres pour tenir et qu’il finit toujours par être abandonné, se retrouvant seul avec sa souffrance, que vous contribuez à accentuer en vous servant de lui et en le délaissant dès qu’il n’est plus utile ? « T’es clean depuis quand ? » Un mois, deux mois ? Moins ? Plus ? Il a besoin de savoir, ne serait-ce que pour se faire une idée du moment où elle rechutera, où elle le laissera à nouveau. « C’est toi qui a cessé de donner des nouvelles, Ivy. » C’est elle qui s’est éloignée, c’est elle qui n’a pas su faire semblant pour que leur amitié ne s’effondre pas. Elle ne peut pas s’attendre à ce que tout redevienne comme avant, encore moins alors qu’elle n’a pas été là quand tout autour de Kieran s’effondrait. Il doit déjà ramasser les pièces de sa vie, il ne peut pas aider Ivy à en faire de même avec la sienne.

@Ivy Waterhouse

Tout me revient en tête, tous ces moments où j’aurais dû arrêter, où j’ai peut-être loupé ma vie. J’aurais dû réagir avant, l’écouter plus tôt, avant que la drogue ne me fasse autant de mal. Je suis passé à deux doigts d’avoir des problèmes de santé pour le restant de ma vie. J’ai pu sauver ma santé, mais, visiblement, je n’ai pas réussi à sauver mes relations avec les personnes qui comptent pour moi. Je n’ai pas su lui expliquer à quel point il est important pour moi, et à quel point j’ai envie qu’il soit à mes côtés pour toujours. Je ne sais pas si j’aurais la force de lui en parler un jour. J’ai peur qu’il me rejette, peur de l’avoir trop déçu. Comment est ce que je vais bien pouvoir faire s’il décidé qu’il ne veut plus jamais me voir, est ce que je serais capable de respecter son choix ?

Je parle, mais il me regarde à peine. Je remarque enfin son visage tuméfié, ses cheveux qu’il a rasé et je fronce légèrement les sourcils. Je soupire, je ne sais pas quoi faire, je n’ose même pas me rapprocher de cet homme qui me déteste maintenant. Il a donc été capable de pardonner à la terre entière, pour les pires actes, mais il ne veut pas me pardonner moi. Est ce que je dois continuer d’essayer ? Je crois que oui. Je vais le faire, parce que je ne sais pas quoi faire pour le moment à part chercher à le garder dans ma vie. Je n’arrête pas de parler, je me suis excusée et il sait que c’est sincère. Mais il se méfie toujours, et je sais qu’il ne me fera probablement plus jamais confiance. Et pourtant, je fais tout pour qu’il comprenne que depuis des mois déjà il n’y a que lui qui est important pour moi. « T’es clean depuis quand ? » Je compte, je n’ai pas l’impression de savoir exactement. “1 mois et 1 semaine pour la cure, et j’avais touché à rien depuis une semaine avant je dirais… donc 1 mois et demi…” Je secoue la tête et regarde le sol. “C’est peu… je sais… mais j’ai vraiment compris.” Mes yeux remontent pour plonger dans les siens et ils crient “crois moi Kieran, pitié crois moi…” Je tente de le convaincre en vain, je suis presque certaine qu’il n’acceptera aucune approche de ma part.

« C’est toi qui a cessé de donner des nouvelles, Ivy. » Je mords ma lèvre inférieure et je déglutis. Je reste debout devant lui, n’osant pas aller ailleurs même si je connais cet appartement comme ma poche. “Je sais.” Et ça, je ne pourrai pas le nier, je suis là pour être honnête. “T’avais pas à être entraîné dans tout ça…” Ce n’est pas la première fois que je fuis toutes mes responsabilités, mais c’est la première fois que je le regrette autant. “Je veux pas que tu me plaignes, j’ai su me débrouiller seule et je sais que c’est le seul moyen pour que ça marche” je l’ai compris après des heures et des heures de thérapie obligatoire. “Je suis vraiment désolée de pas avoir été là…” Je soupire en regardant une nouvelle fois son visage, il va mal, et je n’ai pas été là pour l’aider, alors pourquoi est ce qu’il le ferait pour moi ? “Je… j’ai juste…” Je ne sais pas quoi faire, ni comment le dire. “Je veux pas que tu acceptes de me voir par pitié ou juste parce que je suis une pauvre petite droguée sans personne.” Ce qui est en effet la réalité, mais je ne veux pas qu’on reste proche de moi uniquement par pitié. “J’ai que toi, ça, c’est une réalité, et j’avais besoin que tu le saches. Je veux que tu saches que t’es important pour moi, et que tout ce temps loin de tout m’a permis de penser à toi et à tout ce que j’avais sûrement loupé à cause des substances, à quel point ça a gâché ma vie et que c’est pas réparable…” Si vous saviez à quel point je voudrais qu’il m’aime encore, que ses sentiments soient juste étouffés de manière ponctuelle par un peu de haine et de déception. “Je veux plus partir, j’ai compris trop de choses… je veux être là pour toi…tu veux de moi dans ta vie ?” Parce que je suis encore incapable de dire les quelques mots importants qui doivent sortir, pour mon bien. S’il dit non, je ne sais pas dans quel état je sortirai de cet appartement.

Il a envie de lui claquer la porte au nez. C’est le problème avec Kieran, c’est qu’il s’attache trop vite et trop fort et que lorsque vient le moment inévitable où ceux qu’il a laissé entrer dans sa vie claquent la porte, il s’en retrouve anéanti. Ivy ne fait pas exception à la règle et le silence qui s’est installé progressivement entre eux, se transformant ensuite en des regrets et une certaine rancœur a été difficile à accepter. Alors oui, il devrait lui fermer la porte au nez, il ne devrait pas la laisser reprendre la place qu’elle avait il y a un an, parce qu’il sait à quel point il s’est trompé sur elle et à quel point elle saura le décevoir à nouveau, parce qu’elle n’est pas fiable, parce qu’elle est comme tous les autres comme elle. Vous le trouvez dur ? Il l’est, probablement, pour quiconque n’ayant jamais été confronté à des parents qui avaient eux-mêmes un problème de consommation – et peut-être que même les principaux concernés pourraient souligner à quel point il est intraitable sur le sujet alors qu’il devrait faire preuve d’une plus grande empathie. Et je l’avoue, j’en suis le premier surpris, de la façon dont il campe sur ses positions concernant ce sujet-là, alors que d’ordinaire il s’écrase sur tous les autres. Mais pas sur cette question-là, pas alors que ça le touche personnellement et qu’il lui l’avait dit, ce soir-là, qu’il avait été un dommage collatéral des abus de ses parents, qu’il avait dû les regarder se détruire sans rien pouvoir faire, en acceptant la place qui était la sienne – et qui, finalement, était extérieure à cette famille dont il porte aujourd’hui encore le nom. Et si on peut lui reprocher de ne pas comprendre les mécanismes derrière cette addiction, ces envies qui sont plus fortes que tout, elle ne peut pas comprendre, de son côté, le mal que ce sentiment d’impuissance peut causer, et le douloureux rappel qu’elle lui a infligé malgré elle.

Il a envie de la prendre dans ses bras. C’est aussi le problème, avec Kieran, c’est qu’il pardonne trop vite ceux qui essaient de se refaire une place dans sa vie, peu importe les blessures qu’ils ont pu causer. Ivy, bien qu’elle n’en ait jamais eu l’intention, lui a fait mal, très mal – et ça n’a rien à voir avec ce rejet quand il a osé s’ouvrir sur les sentiments qu’il commençait à ressentir. C’est son absence, autant physique que de lucidité, qui a été la plus compliquée à gérer. Il s’en est souvent voulu pour ses mots, pour la maladresse autant que la colère dont il avait fait preuve ce soir-là, quand bien même je lui ai rappelé mille fois qu’il avait tous les droits du monde d’avoir des émotions et de les laisser s’exprimer. Car d’ordinaire, Kieran les réfute, se cachant derrière une neutralité qui n’a rien de sincère, mais qu’il arrive à prétendre après des années de pratique, comme aujourd’hui, alors qu’il est pourtant chamboulé par la présence d’Ivy. Car même s’ils se sont liés tard, il lui était désormais impensable de l’imaginer sortir de sa vie, tant elle s’est fait une place évidente dans son quotidien. Elle l’a sorti de sa zone de confort, elle n’a jamais hésité à lui dire ce qu’elle pensait, n’a jamais cherché à le protéger plus que de raison et lui a appris à vivre lors d’une période où il ne se l’autorisait pas. Il ne pourra jamais lui enlever ça – mais est-ce vraiment suffisant pour oublier tout ce qu’il s’est passé ?

“1 mois et 1 semaine pour la cure, et j’avais touché à rien depuis une semaine avant je dirais… donc 1 mois et demi…” Et comment est-ce qu’il peut lui faire confiance, alors que sa sobriété n’est qu’une poussière ? “C’est peu… je sais… mais j’ai vraiment compris.” Il n’a pas besoin de le dire qu’elle le comprend d’elle-même, tandis que Kieran reste silencieux, incapable d’exprimer ce qu’il pense, comme toujours. Parce que c’est peu. C’est trop peu, il le sait bien. Ce n’est pas suffisant pour qu’il s’ose à lui faire confiance, et il n’est pas assez cruel pour prétendre le contraire, alors il reste silencieux sur le sujet, se contenant de souligner que son retour est surprenant, puisqu’elle est bien celle qui est partie. “Je sais.” C’est mieux que rien, soit. “T’avais pas à être entraîné dans tout ça…” Tout comme il n’a pas à l’être à nouveau, Ivy, en étant le responsable de ta sobriété. “Je veux pas que tu me plaignes, j’ai su me débrouiller seule et je sais que c’est le seul moyen pour que ça marche” Mais elle vient de te dire qu’elle avait besoin de toi pour tenir, Kieran, est-ce que tu vas vraiment accepter cette responsabilité qu’elle veut te donner sans que tu aies ton mot à dire ? Après tout ce qu’on a travaillé ensemble, vraiment ? “Je suis vraiment désolée de pas avoir été là…” Il secoue la tête et il est sincère, il ne lui en veut même pas. Parce qu’il n’a voulu de l’aide de personne, pas même de sa sœur, pas même de Raphael, alors Ivy aurait eu le droit au même traitement. “Je… j’ai juste… Je veux pas que tu acceptes de me voir par pitié ou juste parce que je suis une pauvre petite droguée sans personne.” Et il penche légèrement la tête, Kieran, et peut-être qu’il y a quand même une certaine pitié qui s’exprime, parce qu’il faudrait être un monstre pour rester insensible à son discours. “J’ai que toi, ça, c’est une réalité, et j’avais besoin que tu le saches. Je veux que tu saches que t’es important pour moi, et que tout ce temps loin de tout m’a permis de penser à toi et à tout ce que j’avais sûrement loupé à cause des substances, à quel point ça a gâché ma vie et que c’est pas réparable…” Et qu’est-ce qu’il en sait, dans le fond ? Les seules personnes qui auraient pu lui prouver que les choses sont réparables n’ont jamais essayé de le faire, contrairement à Ivy. “Je veux plus partir, j’ai compris trop de choses… je veux être là pour toi…tu veux de moi dans ta vie ?” Et c’est une question à laquelle Kieran n’a pas la réponse, pas plus que moi, en réalité, parce que je ne sais pas ce qu’il veut. Il ne veut pas d’elle autant qu’il veut que les choses redeviennent comme avant, mais il sait qu’à défaut d’être impossible, ce sera au moins difficile et long. Néanmoins, il accepte de se décaler légèrement pour lui permettre d’entrer, fermant la porte derrière lui. « J’en sais rien, Ivy. » Qu’il finit par avouer, fuyant son regard, parce qu’il n’a jamais été doué pour dire les choses, surtout celles qui font mal, celles qui comptent. « Je suis content que tu te sois repris en mains, je t’assure. » Elle a fait un effort, il ne peut pas le nier, il ne peut pas lui enlever ça, tout comme il n’a pas à lui redonner sa confiance sur cette simple parole. « Et je te souhaite que ça marche, vraiment, mais... je sais pas si je peux te faire confiance, ou si tu vas pas disparaître à nouveau dès que t’auras trop à gérer. » Et même si je trouve ça bien ironique qu’il mette en avant sa fuite quand on connaît ses stratégies, je comprends où il veut en venir, Kieran. Il ne peut pas prendre le risque que ça se produise à nouveau, que ça fasse mal à nouveau. « Mais il s’est passé beaucoup de choses quand t’étais pas là. » Et je suis plus celui que t’as connu et laissé derrière toi. « Et j’ai beaucoup à gérer de mon côté, je peux pas... je suis pas sûr de pouvoir t’aider comme t’as l’air de vouloir que je t’aide. » Non, Kieran, assume les choses. Tu ne peux pas. Et tu n’as pas à avoir honte ; parce que tu as le propre bordel qu’est ta vie à gérer, sans qu’Ivy ajoute le sien par-dessus ; quand bien même tu voudrais lui tendre la main, vraiment. « Et je sais même pas comment faire, en vérité. » Parce que je n’ai pas su aider mes propres parents, alors une fille que je connais depuis deux ans à peine, aussi importante soit-elle, dans le fond, connaîtra la même issue.

@Ivy Waterhouse

J’essaie de reprendre ma vie en main, et de sauver tout ce que je peux sauver de mon ancienne vie. Les choses qui me tenaient à coeur ont disparu parce que je me suis éloignée de tout ce qui pouvait me faire du bien et m’apporter du positif. Je ne m’attendais pas à tomber sur un Kieran aussi dur à convaincre, mon coeur me fait mal mais je fais de mon mieux pour tout garder pour moi. J’ai merdé, et, pour une fois, j’ai décidé de faire face et d’assumer mes conneries. Une grande première. Et, visiblement, la seule personne qui a vraiment compté pour moi c’est le jeune homme, désormais chauve, qui se trouve devant moi. Je ne veux pas le perdre, je ne peux pas le perdre, alors je suis prête à me plier à ses conditions pour pouvoir le garder dans ma vie. Mes mots se mélangent quand je cherche à lui faire plaisir tout en restant honnête. J’ai besoin qu’il prenne une place importante dans ma vie mais je ne veux pas qu’il se sente forcé. J’ai l’impression de déjà l’entendre me dire qu’il veut que je prenne la porte. L’ancienne version de Kieran ne m’aurait pas viré, il m’aurait pris dans ses bras et m’aurait pardonné dans la seconde, mais je suis incapable de savoir comment cette version de lui va réagir face à moi.

« J’en sais rien, Ivy. » Je pense que je sens actuellement mon coeur se briser. Il ne sait pas tout ce que je ressens pour lui et à quel point ces mots sont violents. « Je suis content que tu te sois repris en mains, je t’assure. » C’est un bien grand mot. Je ne peux pas faire plus que ça pour le moment, et tout ce que j’ai fait jusqu’à présent est bien fragile. « Et je te souhaite que ça marche, vraiment, mais... je sais pas si je peux te faire confiance, ou si tu vas pas disparaître à nouveau dès que t’auras trop à gérer. » “Je voulais pas que toi t’ais à gérer ça. C’est arrivé une fois et ça n’arrivera plus jamais. Il fallait que je le fasse toute seule. ” J’aimerais effacer cette engueulade au milieu de nul part de nos mémoires. C’est à partir de là que tout a commencé à voler en éclat. « Mais il s’est passé beaucoup de choses quand t’étais pas là. » Il a sûrement rencontré du monde, refait sa vie loin de moi et je ne peux même pas lui en vouloir. Mes dents se serrent parce que je reste une connasse égoïste qui voudrait que tout le monde soit à ses pieds, mais, à cet instant, je fais de gros efforts face à mon ancien meilleur ami.

« Et j’ai beaucoup à gérer de mon côté, je peux pas... je suis pas sûr de pouvoir t’aider comme t’as l’air de vouloir que je t’aide. » Je fais comme si j’étais chez moi, je m’avance vers le canapé et je pose mon front sur mes mains et j’inspire profondément. “Je… je te demande pas de jouer au grand frère protecteur, je suis juste là parce que je veux me rattraper…” Je pince les lèvres et je relève la tête vers lui. “J’ai besoin de toi en tant que personne.” En tant que la personne qui a aimé me supporter pendant des mois alors que je dois être la femme la plus insupportable de cette planète. “Je veux être capable d’être là pour toi aussi. Je suis partie un temps pour moi, parce que c’était nécessaire, mais il faut que je retrouve une vie normale et j’aimerais que tu en fasses partie.” Je ne sais pas si, cette fois, j’utilise les bons mots ou s’il va encore avoir peur et rejeter ma proposition. Il veut peut-être me dire adieu, mais je ne suis pas sûre d’être en capacité de l’accepter. « Et je sais même pas comment faire, en vérité. » Je ris légèrement, un rire plus nerveux qu’amusé. “J’en ai aucune idée non plus… j’ai commencé par la cure, et j’ai des rendez-vous avec des médecins et des psychologues régulièrement. Y’a peut-être juste besoin d’avancer pas à pas et voir comment j’avance. C’est aussi peut-être le moment d’essayer de devenir une adulte et de continuer à me prendre en main.” J’aimerais trouver qui je suis vraiment, et ce que je veux faire de ma vie. Tout est encore flou, mais j’espère que ça évoluera dans le bon sens. “Je veux plus te faire de mal… et je te demande pas de me faire confiance dans la seconde ni de me dire que je suis la meilleure personne de la terre, je te demande juste d’essayer de voir si t’arrives encore à me supporter…” Je supplie presque mais je ne réfléchis pas. J’ai dit que j’étais prête à tout pour le garder dans ma vie, même si les mots que je suis venue lui dire restent coincés au fond de ma gorge. Après tout, est ce que ce n’est pas la plus adulte des réactions que de garder tout ce que je ressens pour lui au fond de moi pour ne pas le perturber plus qu’il ne l’est déjà ?