Entre sportifs de haut niveau, même si l’on ne pratique pas la même discipline, il est d’usage de se fréquenter. A chaque déplacement international, les australiens se retrouvent et se reconnaissent, les sportifs ayant tout récemment inclut les rangs comme ceux approchant davantage le grade de doyen, comme si les couleurs de notre pays étaient inscrits sur notre front. Une véritable cohésion patriotique s’impose irrémédiablement, le désir d’honorer notre pays et d’apporter un maximum de prix nous étreignant solidement, tout comme notre volonté de fer de nous hisser nous aussi à la première place du podium et écrire l’histoire en en étant de déterminants protagonistes.

Je connaissais et appréciais Rhett depuis plusieurs années, maintenant. Nous avions un parcours assez similaire, tous deux boursiers d’université ayant rapidement tapé dans l'œil des entraîneurs en démontrant notre haut potentiel et prouvant notre valeur, nos efforts menant à la titularisation au sein de nos équipes respectives. Le numéro neuf ayant néanmoins quelques années d’ancienneté dans ce milieu de plus de moi, je prenais soigneusement en considération ses conseils comme ses retours d’expérience, ayant rapidement décelé un côté foncièrement bon et serviable chez le Hartfield, sans être pour autant la bonne poire de service. Je le respectais et le considérais comme un ami.

J’étais ainsi ravi de reconnaître la silhouette du rugbyman alors que j’errais de groupuscule en groupuscule dans cette soirée huppée à laquelle de nombreux sportifs avaient été conviés pour une noble cause. Honnêtement, ce n’était pas mon style d’apparaître tiré à quatre épingles et devoir faire bonne figure auprès de généreux donateurs, marée de coux perlés de diamants, mains ornées de chevalières luisantes à la lumière des lustres, talons aiguilles martelant le marbre des dalles et chemises d’un blanc éclatant tranchant les costards d’ébène, qui souvent n’y connaissent rien au sport, mais cela faisait quasiment partie des prérequis des sportifs professionnels, question de dorer encore davantage notre image dans les médias. “Hey, 9!” Je lançais amicalement au garçon. “Comment tu vas ?” Sur une échelle de 1 à 10, à quel point t’as envie de te barrer d’ici, toi ?

@Rhett Hartfield

Au milieu de la marée de visages inconnus, ou justement trop connus pour que Rhett n’ait la moindre envie de les approcher, retrouver celui d’Isaac est un soulagement incommensurable. “Hey, 9!” Et ce chiffre qui est le sien, il est heureux de l’entendre d’entre ses lèvres et non pas d’un possible journaliste ayant réussi à se frayer un chemin jusqu’à cette soirée de donations. Il ne sait même pas ce qu’il fait là lui-même, mais c’est son community manager, autant que son coach, qui ont insisté sur sa présence. Isaac a lui aussi subi les ordres du même second, c’est certain à en juger par le sourire en demi-teinte qu’il lui tend. “Jensen, j’espère tu m’en veux pas si je dis que j’ai jamais été aussi heureux de te voir.” Oh, son ami et coéquipier sait bien à quel point il est tout aussi heureux de le retrouver aux entraînements ainsi qu’aux moments cruciaux des matchs. Seulement, dans ces moments là, ils sont bien plus dans leur habitat naturel, l’un comme l’autre, plutôt que parés tels des pingouins comme en cet instant bien précis.

“Comment tu vas ?” - “Je sens l’eau de Cologne, ça résume assez la situation j’imagine.” Il annonce alors ces quelques mots teintés d’ironie, n’en perdant pas son éternel sourire en coin pour autant. “T’as passé combien d’heures sous les pinceaux d’une maquilleuse pour faire disparaître ton nez cassé ?” Il demande, cette fois-ci avec plus de sérieux et d’intérêt. Le nez du sportif n’est pas cassé au sens propre du terme, mais disons qu’ils avait pris de belles couleurs bleues et violettes qui n’étaient en rien enviables à présenter à un événement tel que celui-ci, alors Hartfield approche son visage du sien avec un vif intérêt et une curiosité sincère. “J’ai l’impression d’être un enfant obligé à assister à un repas de famille, sauf que cette fois-ci j’ai droit au Champagne.” Et il a déjà repéré toutes les issues de secours, celles qui ne s’ouvrent que de l’intérieur et ne leur offriraient aucune possibilité de retourner dans la salle des fêtes. Oh, quel dommage, vraiment.

J'augurais de plus en plus sombrement être le seul blaireau à me trouver sur place, beaucoup trop docile et sympathique pour refuser d'assister à un événement mondain qui ne me ressemblait assurément pas et duquel je n'extrayais aucun plaisir. Ma patience s'effrite à mesure de répéter les mêmes paroles et répondre aux mêmes questions et plus mon sourire est large, plus il devient éloquent de l'ennui qui aiguise mes nerfs. Heureusement, la silhouette de Rhett entre dans mon champ de vision et rapidement, je romps la distance qui nous sépare. “Jensen, j’espère tu m’en veux pas si je dis que j’ai jamais été aussi heureux de te voir.” “Le sentiment est partagé, mate,” je soupire éhontément de soulagement, avant de balayer la marée de costards et robes longues du regard. Dans cet univers qui ne me correspond pas, je suis satisfait d'avoir trouvé un allié.

Je fuis du regard un journaliste - j'ai appris au fil de ma carrière qu'avoir un contact visuel avec l'un d'entre eux l'attire irrémédiablement vers vous, c'est comme une invitation pour ces personnes-là - et me concentre sur le Hartfield. “Je sens l’eau de Cologne, ça résume assez la situation j’imagine.” Un prompt rire franchit la barrière de mes lèvres. “T’as passé combien d’heures sous les pinceaux d’une maquilleuse pour faire disparaître ton nez cassé ?” Je grimace. J'ai tellement de fond de teint sur la figure que j'ose même pas la toucher. “C'était interminable. A un moment, j'ai cru que j'allais ressembler à Donald Trump,” j'avoue avec un rictus. “Je t'avoue que j'avais espéré que mon nez m'épargnerait cette soirée.” Ca avait même été ma première pensée alors que le sang coulait en cascade sur mon visage, teintant mon maillot et s'incrustant sous mes ongles. Il n'y a rien de pire qu'un coup au nez ou aux lèvres, l'effet est toujours dramatique. “J’ai l’impression d’être un enfant obligé à assister à un repas de famille, sauf que cette fois-ci j’ai droit au Champagne.” 9 résume parfaitement la situation. “Justement, on va pas trop se priver, tiens.” J'attrape deux flutes sur le plateau d'un serveur qui passe et en tends une au sportif. Je ne vais pas me mettre une mine, il y a entraînement demain et de base, en qualité d'athlète, il n'est pas vraiment dans mes prédilections de m'enivrer. Les coachs martèlent la nécessité d'avoir un mode de vie sain afin d'être top shape. “Est-ce que tu vas aussi au camp d'entraînement à Wellington ?” je demande, ayant eu vent de ce prochain voyage où se tiendraient également des compétitions, dans l'objectif principal reposait sur la préparation des prochains championnats.

En quelques mots à peine, les voilà qui ont avoué détester tout autant l’un que l’autre l’idée de se retrouver à une telle soirée. “Le sentiment est partagé, mate,” Au moins, ils sont maintenant deux dans cette même merde, et cela a quelque chose d’égoïstement rassurant. A l’évocation de son nez cassé et parfaitement caché sous le maquillage, Jensen réplique. “C'était interminable. A un moment, j'ai cru que j'allais ressembler à Donald Trump,” “Outch.” Est la réaction instinctive de Rhett, allant de pair avec un rictus de dégoût sur le visage. Il réagit moins vivement lorsqu’un de ses coéquipiers se blesse violemment sur le terrain mais l’idée de voir son ami ressembler à un Président orange a tout pour le dégoûter. Deux poids deux mesures. “Je t'avoue que j'avais espéré que mon nez m'épargnerait cette soirée.” - “Essaye l’oeil au beurre noir la prochaine fois.” C’est bien plus difficile encore à cacher, et surtout bien plus impressionnant. Cela devrait être une raison suffisante pour lui laisser le droit de ne pas assister à une soirée mondaine dans le genre, où aucun écart de style ne saurait être toléré. A quoi bon inviter des sportifs, dans ce cas.

Mais puisque le Champagne est le seul point positif de cette soirée, Isaac le souligne tout particulièrement. “Justement, on va pas trop se priver, tiens.” Lui vole rapidement deux coupes, Rhett trouve le temps de négocier une petite décoration enfantine à y rajouter, rien que parce que cela lui permet de nier l’évidence de tout le sérieux de la salle de réception. “Oublie pas le parasol.” Qu’il annonce avec sérieux à son coéquipier, faisant de lui le nouveau propriétaire officiel d’une flûte de champagne couronnée d’un parasol rose bonbon. Dommage qu’il n’y ait justement pas de bonbons à ajouter. “Est-ce que tu vas aussi au camp d'entraînement à Wellington ?” Il gagne quelques précieuses secondes en portant le champagne à ses lèvres et profitant de la boisson légèrement alcoolisé, écart qu’il ne s’autorise que très peu dans l’éternel but d’être toujours au maximum de ses capacités. “J’sais pas. J’ai l’impression que c’est amateur.” Il a de grandes ambitions, Garett, et nullement le temps pour l’amateurisme. Il veut travailler avec les meilleurs et rien d’autre. “Toi ? Peut-être que je m’entraînerai dans mon coin si les choses ne me conviennent pas, faudrait que j’en parle au coach. Enfin j’aurais déjà dû le faire, mais je repousse.” Parce que le coach le prend pour une petite diva, parce qu’aux yeux de l’australien il est tout simplement incapable de comprendre à quel point il est doué et ira loin, bien plus que l’équipe nationale du pays.

Le soulagement que je ressens lorsque je retrouve l'un de mes pairs sportifs à cette soirée mondaine est aisément lisible sur mon portrait. Dans cette marée de pantins tirés à quatre épingles aux portefeuilles dodus qui ne demandent qu'à investir, je me sens souverainement intrus. J'ai bien conscience que l'intérêt premier du manager de l'équipe à laquelle j'appartiens est de faire bonne réputation, une notion qui rapportera de plus probablement quelques sponsors, mais je suis loin de l'homme charmeur friand de ce genre de bains de foule. Ma place se trouve sur le terrain, même si j'y récolte des coups sur une base régulière ; d'ailleurs, ma dernière blessure n'a pas échappé au numéro 9. “Essaye l’œil au beurre noir la prochaine fois,” me conseille-t-il lorsque je lui relate avoir espéré pouvoir être épargné pour cet événement mondain en raison de mon nez gonflé et violacé, qui m'avait valu une séance privilégiée avec la maquilleuse professionnelle qui n'avait assurément pas lésiné sur le fond de teint. J'avais l'impression d'être un imposteur, ou d'être remonté des dizaines d'années en arrière, où ma mère me peinturlurait la figure à l'occasion du carnaval et je n'osais pas me gratter le nez de peur de ressembler à un clown tragique.

A chercher des avantages, toutefois, on finit bien à en trouver. Ce soir, je décrète qu'un petit écart est justifié et j'attrape deux flûtes de Champagne, ainsi qu'un parasol pour mon ami sportif. Je trempe mes lèvres dans le rafraîchissement pétillant puis le questionne curieusement sur sa potentielle présence au camp d'entraînement de Wellington. “J’sais pas. J’ai l’impression que c’est amateur.” J'affiche un léger sourire en coin compréhensif. Il n'y a en effet rien de plus frustrant, selon moi, que de faire un tel déplacement et ne pas en tirer profit. “Toi ? Peut-être que je m’entraînerai dans mon coin si les choses ne me conviennent pas, faudrait que j’en parle au coach. Enfin j’aurais déjà dû le faire, mais je repousse.” Je prends une nouvelle gorgée de ma boisson, savourant le liquide généralement proscrit. “J'y serai ouais, j'ai pris quelques engagements là-bas avec d'autres membres de l'équipe,” j'explique. “Puis il y a quelques personnes que j'aimerais bien revoir qui y vont aussi.” Dont Amanda, la néozélandaise qui me faisait perpétuellement tourner la tête. “Pourquoi tu repousses ?” Je questionne quant à la conversation que Rhett envisage avoir avec son coach.

La question de Rhett se veut sincèrement intéressée, et non un moyen comme un autre de ramener le sujet de la conversation vers Isaac. Sans doute ne suivra-t-il ni son avis ni ses conseils, mais il peut au moins les écouter pour que son camarade puisse ultimement lui dire ‘je te l’avais bien dit’ si les choses finissent par prendre une tournure qu’il n’avait pas cherchée. Ce qui finira évidemment par arriver. “J'y serai ouais, j'ai pris quelques engagements là-bas avec d'autres membres de l'équipe,” Il hoche la tête, compréhensif. Les équipiers passent avant bien des choses, et si Rhett s’était à son tour aventuré à faire des promesses, alors il n’aurait pas réfléchi à deux fois s’il devait effectivement se rendre au camp d’entraînement. Les équipiers sont la famille qu’il a choisie et la famille, ça ne se trahit pas. “Puis il y a quelques personnes que j'aimerais bien revoir qui y vont aussi.” Levant instinctivement un sourcil curieux face à cette réponse dont il ne peut que déjà deviner le sous entendu, Rhett termine de boire sa gorgée avant de déjà s’empresser de l’interroger davantage, quitte à avoir l’air de lui tirer les vers du nez. “Quelques personnes ? Tu m’auras pas aussi facilement, Jensen.” Il peut toujours appeler ses amis pour proposer un verre un jour ou un autre, il peut contacter les coachs, il peut contacter les médecins. Cette fois-ci, ce n’est pas une simple discussion qu’il hâte d’avoir à nouveau, mais bel et bien une rencontre. Avec Jenna, il pense continuellement aussi à la revoir, alors il serait bien mal placé pour le juger à ce propos.

“Pourquoi tu repousses ?” L’australien hausse les épaules, bien moins amusé par cette discussion-ci. “Parce que je sais qu’un jour ou un autre je voudrai trouver une autre équipe, et que j’ai pas envie d’y penser.” Ce sera bénéfique et nécessaire à sa carrière mais, trop sentimental, il ne veut pas déjà penser à la possibilité de perdre ses amis.

Spoiler:

Pour ma part, il ne fait aucun doute que je serai du voyage menant au camp d'entraînement de Wellington. J'ignorais quel serait le programme précis, mais généralement, je ne regrette pas entièrement ces déplacements. Parfois, ils s'avèrent plutôt avantageux, même si je comprends spontanément le point de vue de Rhett. Quoi qu'il en soit, même si ce camp ne m'apporte pas professionnellement, il n'en demeurait que je me réjouis par avance de pouvoir revoir Amanda. “Quelques personnes ? Tu m’auras pas aussi facilement, Jensen.” Le garçon emprunte une mine curieuse, sourcils haussés, et un prompt rire franchit la barrière de mes lèvres. “Une nana que j'aime bien sera là,” j'avoue sans fioriture. Je considère l'australien quelques instants, me demandant s'il a eu vent de mes péripéties amoureuses. Non pas que ce soit quelque chose d'excessivement intéressant, je n'ai pas la prétention de penser que mes déboires amoureux représentent un sujet de conversation répandu, mais mes coéquipiers vouent une affection singulière et récalcitrante à me charrier sur mon cœur d'artichaud.

Je prends une nouvelle gorgée d'alcool pétillant avant de questionner le Hartfield sur les motifs l'incitant à repousser une conversation avec son coach. J'assimile aisément que cela ne soit pas chose aisée d'avoir certaines discussions avec ses entraîneurs, surtout lorsqu'on se heurte à des différences d'optiques. “Parce que je sais qu’un jour ou un autre je voudrai trouver une autre équipe, et que j’ai pas envie d’y penser.” J'offre un sourire sincère à Rhett, saisissant entièrement son point de vue. Un changement d'équipe constituait souvent un événement inévitable qui rimait avec évolution de carrière. Tantôt cela été bénéfique, tantôt cela s'avérait être un fiasco. J'étais convaincu que 9 irait loin toutefois, je lui souhaitais sincèrement qu'il se hisse parmi les meilleurs de sa discipline, et pour ce faire, il devrait changer ses couleurs. Néanmoins, quitter les athlètes avec lesquels on a tissé des liens était immanquablement crève-cœur. “J'te comprends,” je concède simplement. C'est un sujet qu'aucun sportif ne souhaite extrapoler. “On te réclame,” je remarque en désignant du menton le manager qui fait signe à Rhett de le rejoindre. “A la prochaine, 9. Take care.”