Leto était bénévole au refuge de Brisbane depuis plusieurs années et à ce titre, elle avait été famille d'accueil de dizaines de chats. Elle s'était vite spécialisée dans les félins malades ou vieux, ceux que personne ne voulait adopter, mais qu'elle était incapable de voir vieillir dans les murs de métal de l'association, alors qu'ils avaient généralement tous connus des maison chaleureuses et l'amour d'une famille.

Elle pouvait donner des tas d'arguments pour ces animaux pas comme les autres. Ces "boules d'amour" comme elle les appelait, qui lui semblaient plus douces que les autres chats. Ceux qu'elle avait pu avoir en famille d'accueil au début, tout juste sortis de la rue, étaient souvent méfiants, voire agressifs - et à raison. Les petits vieux étaient déjà moins énergiques, se laissaient plus facilement manipuler et étaient généralement juste contents d'avoir un coussin confortable, une fenêtre leur donnant un peu de soleil et des gamelles pleines tous les jours.

(Pour autant, elle ne comprenait toujours pas comment on pouvait abandonner son précieux compagnon à fourrure, juste parce qu'il était malade ou vieux. Elle espérait juste que ces gens-là ne choisissaient pas de les laisser à la fourrière pour prendre un chaton derrière !)

Ces derniers mois, il ne lui restait plus que Milo, presque quinze ans, et qui dormait énormément. Collé aux radiateurs l'hiver et sous la fenêtre du salon, le soleil réchauffant son ventre, l'été. Avec l'incendie de son appartement, heureusement qu'elle n'avait que lui dans ses bagages, sinon elle aurait eu du mal à trouver un hébergement temporaire, le temps des expertises et des travaux !

Ce jour-là, Milo venait pour un examen de routine, juste pour vérifier qu'il n'avait pas de problème autre que la vieillesse, et remettre à jour ses vaccins. Pas le moment préféré du chat, si elle en croyait les petits gémissements qui s'échappaient de la caisse.

« Je sais que t'aimes pas être là mon beau, mais on doit bien s'assurer que tout va bien. Personne n'aime les vaccins, pas même les humains ! »

Leto avait peut-être l'air bête à parler à son chat à travers le plastique troué de la cage de transport, mais elle savait que son ton calme pouvait aider Milo dans ce lieu étrange qu'il connaissait pourtant trop bien - le problème d'être un vieux pépère signifiait qu'il avait beaucoup trop de rendez-vous chez le vétérinaire. Comme fin janvier, quand il avait réussi à se tordre une patte en se réceptionnant mal sur son arbre à chat, et que Leto, le voyant boiter et rester au sol, avait fini par venir consulter, inquiète.

Tessa, la vétérinaire qui s'occupait des animaux du refuge entre deux consultations classiques, finit par apparaître au comptoir, la faisant avancer vers les salles de consultation. Un chemin que Leto connaissait bien, pour l'avoir arpenter des tonnes de fois, avec des chats différents dans les bras.

« Prends ton temps, je suis pas pressée ! » glissa-t-elle à la jeune femme avant d'aller dans le bureau indiqué.

Elle posa la caisse sur la table d'examen, glissant ses doigts entre les barreaux pour que Milo vienne les renifler et se rassure un peu. Elle n'avait pas droit aux ronronnements de satisfaction, mais le chat avait au moins arrêté de miauler de terreur, ce qu'elle prenait définitivement pour une bonne chose.

« Il vieillit doucement, mais ça va dans l'ensemble. Plus de douleur à la patte, même si je le soupçonne d'avoir un peu d'arthrose ! » répondit-elle à Tessa quand cette dernière la rejoignit dans la pièce. « Et puis, c'est le rappel des vaccins, et je crois qu'il n'a pas du tout envie qu'on l'embête avec des aiguilles ! »

Bon, Milo n'avait sans doute pas vraiment conscience du fait qu'il allait se faire vacciner. Il n'aimait juste pas le cabinet vétérinaire parce que ce qu'il s'y passait était rarement agréable, et encore moins logique pour son esprit de chat. Il n'en restait pas moins que le vieux matou allait se défendre comme il pourrait quand il comprendrait ce qu'on allait lui faire.

Leto fit une moue en entendant Tessa qualifier Milo de vieux monsieur. Elle était totalement consciente que les chats qu'elle accueillait chez elle n'étaient pas en parfaite santé, mais le rappel lui faisait quand même un pincement au cœur. En bonne amoureuse des chats, elle aimerait qu'ils puissent tous vivre éternellement, bien que son côté rationnel essaye plutôt de la préparer au pire chaque fois qu'elle mettait les pieds chez le vétérinaire. Dur équilibre pour elle, et "ses" chats, car même si elle était famille d'accueil, elle finissait par s'attacher à ces bestioles qui finissaient leur vie à côté d'elle.

« On peut tester les compléments, si ça peut le soulager un peu » accepta-t-elle, tout en tapotant la table d'examen du bout des doigts pour stimuler Milo. « Ça plus les cures au soleil, ça devrait l'aider à être un peu moins raide ! »

L'arthrose apparaissait ces dernières semaines, mais c'était sans doute dû au changement d'environnement brusque qu'elle faisait vivre à Milo. Son appartement avait pris feu fin janvier, et en attendant la fin des travaux, elle avait élu domicile dans la colocation d'un ami. Sa nouvelle chambre était moins exposée que le salon de son appartement, et Milo avait moins de temps à passer étalé au soleil, ce qui ne devait pas aider ses petites douleurs.

« J'en ai croisé quelques uns ! Un couple qui fait des randonnées sur la plage ou dans les terres. Et ils ont un range rover immense. C'est cool pour les gros chiens ! »

Le refuge avait beau avoir un jardinet et être en ville, les petites ballades faisant le tour du quartier ne suffisaient pas à tous les chiens. Notamment les grosses boules de poils ayant besoin de se dépenser. Leto était contente de ces nouvelles recrues qui pouvaient les emmener ailleurs, sur de plus gros terrains de jeux. Aucun animal ne méritait de passer sa vie enfermé dans une cage - et si le refuge n'avait pas le choix, le temps de connaître les caractères des nouveaux venus ou pour certains individus absolument pas prêts à partager leur espace avec d'autres animaux, il incitait énormément les bénévoles à sortir la ménagerie le plus possible.

Leto elle-même n'était pas une grande marcheuse, et si elle promenait parfois les petits ou les vieux chiens, ceux à qui le tour du pâté de maison suffisait, elle allait généralement plus dans le coin félin. Ils avaient installés au fur et à mesure de quoi sauter, grimper, griffer, et certains chats devenaient fous de joie devant tout cet espace de jeux !

Un espace de jeux que Milo n'avait jamais vraiment apprécié, son vieux grincheux préférant être seul. Il n'était pas sociable, que ce soit envers les autres animaux ou envers les humains. Et s'il faisait désormais confiance à Leto et aux personnes qu'elle pouvait lui présenter, il savait aussi se méfier du vétérinaire et de son cabinet laissant un peu trop voir le passage d'autres bestioles apeurées.

« Allez mon beau. C'est un mauvais moment à passer mais plus vite on le fait, et plus vite tu pourras te réfugier dans la cage » promit-elle tout en l'attrapant avec précaution.

Le but n'était pas de lui faire mal. Heureusement, il se laissait faire, tout en envoyant un regard plein de reproche à l'humaine avec qui il vivait. Leto ne se laissa pas démonter, le tenant de manière à ne pas se faire trop griffer, tout en le caressant.

« Tessa veut juste s'assurer que tout va bien » chuchota-t-elle.

Milo était détendu contre elle, mais essayait quand même de voir ce que fabriquait Tessa dans son coin. Une vision qui aurait pu la faire sourire si elle n'avait pas été concentrée à le tenir immobile.

« Le pire c'est que je le comprends. Je déteste les rappels de vaccins moi aussi ! Heureusement que c'est pas tous les ans... »

Petit avantage à être humain, c'était indéniable. Ca, et le fait qu'au moins, les adultes comprenaient ce qui allait leur arriver, même si c'était désagréable.

« J'ai vu que deux mamans chats avaient été abandonnées devant le refuge avec leurs bébés » reprit-elle une fois le soin passé. « Ca me rend folle, les gens qui ont des animaux mais n'assument pas tout ce qui peut arriver... »

De ce qu'elle avait compris, les petites femelles n'étaient pas très âgées en plus - entre un et deux ans. Et déjà abandonnées... Les chatons seraient facilement adoptés, mais leurs mères risquaient de rester quelques mois dans l'association avant de trouver une nouvelle famille. (Si Leto était riche, elle aurait acheté de quoi adopter tous les chats du monde pour qu'ils vivent comme des rois !)

Leto rougit un peu sous les compliments de Tessa. Elle était devenue la maison de retraite des chats du refuge, et avait donc appris deux ou trois astuces pour comprendre les vieux chats ou savoir comment les soulager. Et Milo était relativement coopérant, depuis qu'il avait accepté qu'elle était une bonne colocataire et pas une tortionnaire.

« Pour l'instant ça va. Il bouge de moins en moins, mais je pense que c'est plus la fatigue que d'éventuelles douleurs. »

Parce que quand il fallait sauter sur le comptoir pour venir humer ce qu'elle cuisinait, il savait encore très bien le faire. Avec moins de souplesse qu'un jeunot, mais motivé, il était encore capable de prouesses. Et c'était sa petite fierté à elle, que de préserver ce genre de choses le plus longtemps possible. Elle adorait les voir, tous fiers d'avoir réussi leur saut ou d'avoir enfin pu attraper leur jouet, et c'était la raison pour laquelle elle avait choisi les vieux chats parmi tous les animaux du refuge.

Surtout, elle manquait d'envie pour faire les longues balades dont avaient besoin les chiens. Elle vivait en appartement, et s'imaginer se lever plus tôt pour aller promener son animal était au-dessus de ses forces - et elle admirait les gens comme Tessa, qui avaient de grosses boules de poils qu'il fallait aider à se dépenser ! C'était une question de caractère - et Leto ressemblait bien plus à un chat, à se prélasser au soleil dans le confort de son appartement qu'à sortir se balader de longues heures dans les champs.

Et refusant aussi de faire ami-ami avec le vétérinaire ou le médecin en sachant que les soins n'allaient pas être agréables. Heureusement, Tessa connaissait son métier, et le vaccin fut fait rapidement, avant que Milo ne reparte se pelotonner dans sa cage de transport, à l'abri des deux humaines.

« Alimentation senior, et j'ai des friandises protéinées que je cache un peu partout, parce qu'il a réduit ses quantités ces derniers mois » expliqua-t-elle brièvement, prête pourtant à donner les marques et les quantités exactes.

Elle avait l'habitude des vieux chats mangeant de moins en moins, mais se laissant tout de même tenter par des friandises bien cachées. Elle était devenue experte dans l'art de les glisser un peu partout puis de passer vérifier qu'elles avaient bien disparu. Milo aimait particulièrement celles au saumon, au grand dam de Leto, qui avait l'impression de sentir le poisson sur ses doigts pendant des heures malgré les nombreux lavages de main.

Les deux jeunes femmes continuèrent à parler du refuge pendant que Leto s'assurait que Milo était convenablement installé et fermait la porte de la cage derrière lui. Tessa, en tant que vétérinaire, connaissait souvent mieux que Leto les derniers arrivés, et elles semblaient partager la même colère concernant les deux jeunes mères qui avaient été abandonnées la semaine précédente.

« Tu penses qu'elle a eu sa mammite à cause de son abandon ? » demanda-t-elle en apprenant la condition d'une des deux mamans.

Heureusement qu'elle avait encore ses petits avec elle, même si elle n'était plus capable de les nourrir. Elle pouvait au moins leur apprendre le règles de socialisation des chats, et ils s'habituaient tous les trois doucement aux humains - ou en tout cas à ceux du cabinet vétérinaire.

« Je veux bien venir t'aider à les nourrir. Ça fait longtemps que je n'ai pas vu de chatons ! Moi, on me présente direct les petits vieux. Qui sont adorables, mais pas autant que des chatons ! »

Même si elle n'aurait pas pris les tous petits chez elle. Ils étaient vite adoptés ceux-là, par des familles avec des enfants et souhaitant un animal habitué aux humains et en bonne santé. Mais pouvoir les caresser et aider à les sociabiliser pouvait être intéressant !

« Ils étaient pas trop stressés tous les trois de se retrouver dans un environnement inconnu ? »

Les cages du vétérinaire restaient fonctionnelles et pratiques à nettoyer, mais pas forcément confortables ou spacieuses. Après tout, les animaux n'étaient pas sensés y rester longtemps - à peine quelques heures ou jours après une opération.

« Je le surveille comme l'huile sur le feu, mon petit papy ! »

Leto s'était spécialisée dans l'accueil de chats seniors ou malades, et si au début, elle avait beaucoup tâtonné, appelant le vétérinaire pour la moindre chose, elle avait fini par repérer ce qui pouvait vraiment poser soucis et ce qui était juste le caractère du chat ou ses envies. Milo vivait avec elle depuis presque deux ans, et elle le connaissait assez bien pour ne pas avoir à harceler la pauvre Tessa, qui avait bien d'autres patients à traiter - et des maîtres pas toujours commodes, si la jeune femme en jugeait par ceux qu'elle pouvait croiser dans la salle d'attente.

« Et le pire, c'est que mes chats ne sont même pas à moi... Mais j'ai du mal à comprendre qu'on puisse prendre un animal sans s'impliquer jusqu'au bout. Y a pas quelqu'un qui disait qu'on pouvait savoir la grandeur d'un homme à la façon dont il traite ses animaux ? »

Elle n'était pas objective, vu les actions bénévoles qu'elle avait choisi de suivre. Mais même si les animaux qu'elle recueillait étaient vieux, et qu'elle ne les avait pas vus grandir, elle faisait de son mieux pour apprendre à les connaître et à faire en sorte qu'ils soient confortables chez elle. Il y avait encore plein de choses à faire avec ces chats, que ce soit des jeux ou des câlins. Et Milo, blotti au fond de sa cage, ne le montrait pas bien, mais il aimait encore courir après ses souris ou se cacher sous la couette pendant la nuit, et il ne la lâchait pas d'une semaine quand elle était à l'appartement, toujours dans la même pièce qu'elle.

Si elle avait déjà du mal à comprendre qu'on puisse abandonner son animal après qu'il soit tombé malade ou ait commencé à vieillir, elle comprenait encore moins qu'on abandonne les jeunes, qui venaient tout juste d'arriver dans la famille. Pour la jeune femelle dont lui parlait Tessa, une grosse partie du problème aurait été évité juste en la stérilisant durant ses premiers mois, ce qui aurait permis aux propriétaires de la laisser se promener sans inquiétude.

Leto suivit la vétérinaire avec un soupçon d'impatience, curieuse de découvrir la bouille des chatons. Son truc à elle, c'étaient les vieux matous au sale caractère, mais elle trouvait les petits jeunes mignons, avec leurs grands yeux curieux et leur maladresse ! Elle s'agenouilla doucement devant la petite cage, tendant doucement sa main devant la truffe de la mère. Les chatons vinrent aussitôt sautiller autour, impétueux et risque-tout, parce qu'ils étaient encore jeunes.

« Coucou les mignons ! Tessa n'a pas menti, vous avez de bonnes bouilles tous les trois » babilla-t-elle tout en grattouillant le cou de la femelle et en agitant les doigts de son autre main pour jouer avec les petits mâles. « J'espère qu'après ce début chaotique, la vie vous réserve de meilleures surprises ! »

Elle relâcha les chats pour attraper les assiettes de pâtés et les observer manger, s'amusant de leurs airs excités. Son vieux Milo était plutôt du genre à pousser des cris aigus dès que l'heure de sa pâté était dépassée de quelques minutes, ne s'arrêtant qu'une fois qu'elle l'avait servi. Eux étaient juste contents de voir de la nourriture tombée du ciel.

« Elle a un nom, la maman ? » demanda Leto tout en essayant de réfléchir à des prénoms pour les deux petits.

D'expérience, elle savait que des prénoms assortis pouvaient faire craquer un peu plus les adoptants, comme s'ils étaient plus à l'aise à l'idée de prendre un membre d'une fratrie plutôt qu'un inconnu récupéré dans la rue.

« J'aime bien les prénoms inspirés de trucs qu'on mange. Je sais pas, je trouve que ça leur donne plus de peps ! »

Elle était une grosse gourmande, donc forcément, c'étaient aussi les noms qui lui restaient le plus en tête quand elle survolait les informations de l'association sur les différents animaux qui y passaient - ceux venant de trouver une nouvelle famille et ceux encore en attente d'une adoption.

Leto grimaça devant l'explication de Tessa. Elle comprenait que les bouilles de bébé - animaux ou humains - soient craquantes. Elle aussi, elle aimait sourire aux bambins qu'elle croisait dans la rue, et était la première à s'arrêter pour quêter des caresses quand elle croisait un chat ou un chien dans la rue. Mais elle n'était pas assez naïve pour croire qu'il suffisait d'une bouille mignonne pour oublier les problèmes qu'on pouvait rencontrer : les dessins sur les murs et les couches éclatées au sol, ou les problèmes de territoires, les pipis sur les canapés ou les réveils en pleine nuit pour remplir des gamelles.

« Je crois que ce qui me frustre le plus, c'est d'ignorer qu'on parle d'êtres vivants. Que tu ne saches pas quoi faire de l'animal d'une grand-mère décédée ou qui part en maison de retraite parce que tu as pas prévu d'avoir toi-même un chat ou un chien, je peux le comprendre. Mais abandonner un animal parce qu'il devient trop vieux ou trop malade, et en prendre un tout jeune à la place... »

Elle était bénévole au refuge depuis assez longtemps pour avoir vu toutes sortes de situation, mais elle n'arrivait pourtant pas à comprendre que tant d'animaux soient abandonnés tout au long de l'année. Parfois, recevoir la newsletter du refuge sur sa boîte mail était plus déprimant qu'autre chose...

Et voir les deux petits chatons, si joueurs et malicieux, ne l'aidait pas à comprendre. Ils étaient adorables, et elle imaginait facilement combien ils pourraient s'épanouir dans une famille avec des enfants. Elle laissa ses doigts glisser sur leur fourrure toute douce, un peu duveteuse, très différente des poils plus drus et secs de Milo. Même si elle le nourrissait bien et essayait de le brosser régulièrement - du moins quand il acceptait qu'elle le fasse -, il vieillissait et ça se voyait aussi sur son pelage.

« Ton appartement finit par être une arche de Noé à lui tout seul ? Non pas que je juge, les arbres à chat sont placés en face des fenêtres chez moi, même si ça veut dire que je ne profite pas de la vue vers l'extérieur ! »

Il fallait dire que Milo adorait faire la commère à la fenêtre, comme la plupart des chats que Leto avait accueilli au fil des années. Si elle pouvait leur offrir ce petit plaisir, elle était plus que contente de le faire.

« C'est pas que ça me dirait pas d'en prendre un mais... Je me suis jamais occupée de chatons ! »

Heureusement, les chatons constituaient rarement la triste familles des chats malades et en fin de vie. Mais ça signifiait aussi qu'à part quelques caresses ou remplir leurs gamelles au refuge, Leto n'interagissait jamais vraiment avec. Elle ne savait pas comment leur apprendre à être propre, ou à se comporter gentiment avec des humains ou d'autres animaux.

« Et puis ça dépend aussi de Milo... Si je n'ai que lui en ce moment, c'est parce qu'il a toujours eu du mal à vivre avec d'autres congénères. La semaine où on l'a eu au refuge, avant qu'il ne vienne chez moi, il attaquait tous les autres chats ! » reprit-elle, un brin amusée par son vieux chat qui n'aimait que les humains. « Peut-être que ça passerait mieux avec un chaton ? Je n'ai jamais essayé. J'avoue que je craignais un peu ce qu'il pourrait leur faire. »

Il existait la probabilité qu'il préfère la compagnie d'un petit jeune, même s'il manquerait certainement de patience devant tant d'énergie. Mais vu les coups de griffe qu'ils l'avaient tous vu faire au refuge, Leto s'était contenté de le garder seul chez elle, et avait découvert qu'il était un amour de boule de poils, quand il le voulait bien.

D'un certain côté, parler d'animaux avec Tessa était réconfortant. Parce que quand Leto en parlait avec son entourage, que ce soit collègues ou amis, ils étaient peu nombreux à considérer qu'un chat ou un chien était un membre de la famille, jusqu'au bout de sa - courte - vie. Un membre qui n'avait pas choisi d'être adopté dans telle ou telle famille, et elle avait toujours le cœur serré en voyant de vieux animaux finir dans le refuge, avec des chances d'adoption proches du zéro.

« Me lance pas sur les animaux instagrammables, ou j'ai pas fini de parler » s'exclama-t-elle, avec une grimace comique sur son visage.

Il suffisait de répondre à l'accueil du refuge un week-end pour connaître assez facilement les races populaires du moment. Les beaux bergers australiens, les gracieux siamois, les enthousiastes labradors... Des animaux aux bouilles mignonnes, pour booster ses posts et se vanter auprès de ses amis. Mais ils étaient tellement plus que ça !

Tessa partageait ses idées et ses valeurs, et elle avait l'impression d'être comprise, avec son appartement un peu plus dédié au confort de Milo qu'au sien. Après tout, il y passait plus de temps qu'elle, qui était en extérieur une bonne partie de ses journées, entre l'université et la mairie.

« Tu craques pour le charme des félins ? Faut dire qu'ils ont l'air tellement choupinous ces deux-là ! »

Encore un peu apeurés, bien que ce ne soit pas anormal, mais ils restaient curieux, humant vers les humaines et s'approchant doucement en voyant les jeux proposés. Leto était persuadée que dans une famille avec enfants ou d'autres animaux - comme Tessa et Hemingway -, ils seraient rapidement à l'aise !

Pour autant, elle-même ne se projetait pas avec des chatons. Trop jeunes, trop énergiques, peut-être. Ou juste l'habitude d'avoir des vieux pépères, fatigués mais encore plein de vie. Elle trouvait les petits mignons, comme tout bébé, mais n'avait pas spécialement envie d'en adopter un.

« Milo était pas une cause perdue ! Juste un ronchon râleur. On ne pouvait que s'entendre, lui et moi ! »

Il aimait ses rituels, plus que n'importe quel chat qu'elle ait eu, mais une fois qu'elle avait su ça, il avait été facile de trouver un rythme avec lui. Elle était aussi habituée à s'adapter aux chats qu'elle accueillait chez elle, ça ne lui avait donc pas posé trop de problèmes de vivre avec Milo, même si elle regrettait un peu qu'il n'accepte pas les autres animaux - bien qu'il tolère Alcyone dans l'appartement, les rares fois où Holden l'emmenait avec lui.

« Je peux essayer de sonder mes collègues. J'en vois plusieurs qui pourrait totalement adopter un de ces petits chats, mais je ne sais pas si c'est l'un de leur projet... »

Comme beaucoup des bénévoles du refuge, elle se tournait régulièrement vers son entourage quand des animaux arrivaient aux refuges. Les chiots et chatons trouvaient généralement des familles assez rapidement, même si Leto ne comprenait pas trop cette volonté de refuser un animal ayant eu une vie avant. Si la plupart des animaux du refuge avaient été abandonnés, ils n'étaient que rarement traumatisés - et ceux qui l'étaient n'étaient pas mis à l'adoption, mais confiés à des familles d'accueil.

« Je ne parlerai que d'un chaton, vu que l'autre semble déjà avoir trouvé une famille » promit-elle en lui faisant un clin d’œil. « Tu veux rester dans les noms d'écrivains américains des années quarante ou cinquante ? »

Elle était prête à insister un tout petit peu, jusqu'à ce que Tessa finisse par craquer. Quoi que la bouille innocente des chatons devait bien aider à faire oublier que bientôt, ils feraient leurs griffes sur les rideaux ou le canapé !

Autant par son bénévolat au refuge que par son travail aux services sociaux, Leto savait bien que Instagram pouvait être une belle vitrine. Les photos et captures du réseau social apparaissait parfois dans les dossiers, preuves factices de familles qui n'étaient heureuses que devant un objectif. Et puis, il y avait ces chiens qui atterrissaient au refuge parce qu'une fois passé la période mignonne de chiots, les contraintes quotidiennes devenaient difficiles à assumer.

Mais elle voyait mal Tessa, si sérieuse dans son travail de vétérinaire et déjà bien impliquée auprès de Hemingway, tomber dans ces travers. L'un des chatons pourrait donc trouver un foyer pour la vie auprès de la douce jeune femme - mais Leto ne voulait pas non plus trop insister, au risque de la pousser à prendre une décision qu'elle pourrait regretter par la suite.

« A toi de voir si tu as l'espace pour accueillir un chaton, et surtout le temps et l'attention pour un nouvel arrivant. »

Elle savait que Tessa avait fait une fausse couche récemment. Elle n'était pas assez proche de la jeune femme pour avoir posé plus de questions, et l'avait laissé gérer son deuil de son côté, avec son entourage proche. Elle n'en restait pas moins consciente que les derniers temps avaient été compliqués, créant sans doute un vide assez insurmontable et qu'elle ne devait pas chercher à combler avec un chat. Il fallait que la décision d'adoption vienne d'une véritable envie.

Leto était bien placée pour savoir combien un chat pouvait changer la vie, avec son Milo qui n'acceptait rien, ni personne. C'était presque étonnant qu'ils aient fini par s'apprivoiser, même si les premières semaines, elle était resté le plus calme et lente possible, tandis qu'il feulait chaque fois qu'elle bougeait un membre. Jusqu'à ce qu'il soit assez en confiance pour se laisser dorloter et choyer comme un petit prince.

Jouer avec les chatons était bien différent de son activité habituelle, avec les vieux chats. Ils étaient énergiques, et c'était agréable de s'en occuper au sein du cabinet de Tessa, mais elle n'était pas sûre de pouvoir supporter ça toute la journée chez elle. Peut-être que ce n'était pas le bon moment, alors qu'elle avait la tête dans sa thèse et coulait un peu sous le stress. Sur une période de vie plus calme, elle aurait été plus disponible pour gérer un chaton et la cohabitation avec Milo.

« Je suis sûre que les fidèles de la clinique sauront t'aiguiller. Mais je ne garantis pas que tu n'auras pas quelques noms un peu troll ! Je t'imagine bien avec le grand Hemingway  et le petit... Pirate ? Polisson ? »

Les noms n'étaient pas ridicules en soi, mais comparé à Hemingway et sa petite vibe d'écrivain classique... Le contraste amusait beaucoup Leto !

« Les voisins vont me maudire, mais j'accepte le pipolino. J'espère juste qu'il ne va pas faire comme d'habitude, et s'amuser avec au beau milieu de la nuit ! »

Déjà que dans son appartement, il avait tendance à le ramener de la cuisine jusque dans la chambre dans laquelle elle dormait, en se cognant un peu partout pour délivrer quelques friandises sur le trajet... Mais là, ils partageaient la même petite chambre, et elle ne laissait pas la porte ouverte la nuit, pour que Milo n'aille pas embêter Hunter la nuit - surtout avec ses horaires décalés et improbables.

« Il avait appris à attendre mon réveil pour sauter sur le lit, mais depuis qu'on a bougé temporairement, ça a un peu perturbé ses repères, et du coup n'importe quel moment devient un moment de jeu. »

Elle grimaça, pas vraiment fan de perdre des heures de sommeil. Elle avait beau joué avec lui avant le coucher, Milo avait un peu de mal à rester enfermé dans la chambre et le lui faisait bien comprendre. Elle s'accrochait en se disant que ce n'était que l'affaire de quelques semaines ou mois, mais les nuits hachés la faisait réfléchir quant au fait d'avoir un enfant un jour - elle devenait facilement irritable sous le manque de fatigue, malgré sa haute consommation de café.