| Can we skip to the good part? (Hassan) |
| | (#)Jeu 3 Mar 2022 - 15:32 | |
| Les derniers mois n'avaient rien été d'autre qu'un grand huit émotionnel pour Sohan. Entre les problèmes de santé de Amjad et la réconciliation qui avait été entamée avec ses parents. Ca paraissait peut-être peu d'un point de vue extérieur, mais pour lui c'était beaucoup. Il avait quelques sentiments contradictoires. Il ne pouvait s'empêcher que sans cette frayeur que leur avait causé le patriarche, les choses n'auraient pas changé. Il aurait passé les dernières fêtes de famille tout seul comme les années passées. Comme il avait l'habitude de le faire depuis qu'il avait été exclu du cercle familial par ses parents, pas prêts à accepter que leur fils n'épousera jamais une belle femme avec qui il aura une tripotée d'enfants. Il s'y était habitué. C'était triste à dire, mais c'était le cas. Avec les années il avait appris à ne pas prendre la situation pour une fatalité. Il y avait bien pire dans la vie. Il y en avait des biens plus malheureux que lui aussi. Alors, il avait fait avec, pendant toutes ses années. Il avait toujours gardé un espoir, cela dit, que les liens avec ses parents finissent par se resserrer. Que ces derniers laissent un petit peu de côté les traditions qui leur tenaient tellement à coeur pour se rendre compte que leur fils comptait bien plus que cela. Ce serait mentir cependant, de dire que cet espoir ne s'était pas amoindri avec les années. A mesure que les liens se faisaient de plus en plus distants. De ses parents, il n'avait pas de nouvelles autres que celles que Yasmine lui donnait à chaque fois qu'il se voyait. Il obtenait tous les détails de la bouche de sa sœur, mais n'avait aucun contact quel qu'il soit autant avec Fatima qu'avec Amjad, chaque partie, visiblement pas décidée à faire un pas vers l'autre. Il ne leur en voulait pas. Il aurait pu agir autrement. Il aurait pu se cacher. Il aurait pu ne rien leur dire. Il aurait aussi pu accepter de faire comme si de rien était. Il aurait pu insister pour maintenir un quelconque lien. A la place, il avait choisi de ne rien dire, de vivre avec le fait que ses parents ne l'acceptaient pas tel qu'il était.
Les choses avaient plus évolué en quelques mois que depuis ces cinq dernières années. Il avait retrouvé sa place autour de la table de ses parents. Il était invité pour venir dîner, déjeuner, prendre le thé quasiment toutes les semaines et même s'il y avait tout de même une certaine gêne, palpable, il pouvait réellement voir que ses parents faisaient des efforts. Il appréciait cela et il leur laissait le temps de reprendre leurs marques. Il laissait les liens se tisser de nouveau sans forcer. A l'image du chemin qu'il avait parcouru avec Hassan depuis qu'ils avaient repris contact presque quatre ans plus tôt. Hassan, qu'il avait convié à venir se balader au parc avec lui. Ils avaient emmené les chiens, Winston, le border collie, plus qu'heureux de retrouver ses compères. Il avait trouvé un bâton, bien plus grand que lui qu'il ne lâchait que pour le déposer aux pieds de Sohan qui prenait soin de ne blesser personne en le lui lançant. Il avait pensé à le casser en deux, puis avait renoncé à cette idée, ne voulant passer pour le plus grand des traîtres devant son ami à quatre pattes. “On aurait pas atteint le sommet de l'âge adulte là ?” demande-t-il à Hassan. Ils avaient trouvé un banc où s'asseoir après avoir fait le tour du parc. Les chiens jouant dans l'herbe. Il était persuadé que si quelqu'un lui avait dit, il y a vingt ans de cela qu'ils se retrouveraient un jour à passer leur après midi comme cela, plutôt qu'à jouer aux jeux vidéos, il ne l'aurait probablement pas cru. “Je dois passer chez les parents tout à l'heure. Ils ont besoin d'aide pour déplacer quelques meubles dans le salon. Tu veux venir avec moi ?” propose-t-il ensuite avant d'ajouter. “Je sais que ça leur ferait plaisir de te voir. Puis apparemment, il y aura des petites douceurs et du thé pour nous remercier. Le réconfort après l'effort.” Il n'avait pas besoin d'en dire plus. Hassan connaissait assez Fatima pour savoir qu'il y aurait de quoi nourrir une dizaine de personnes et que les pâtisseries qui les attendaient en feraient pâlir plus d'un. |
| | | | (#)Sam 5 Mar 2022 - 17:56 | |
| Il y avait eu cette lumière-là, au milieu du chaos. La frayeur que leur avait fait la santé d’Amjad l’année précédente leur avait rappelé à tous comme la vie pouvait basculer sans crier gare, du jour au lendemain, mais elle avait aussi permis de remettre certaines choses en perspectives. Tous savaient que s’était matérialisée ce jour-là l’une des plus grandes peurs de Yasmine : celle qu’il faille attendre un malheur pour que Sohan, elle, leur mère et leur père ne se trouvent à nouveau réunis dans une même pièce. Des mois plus tard néanmoins, parents et enfants semblaient avoir communément décidé de fermer un chapitre pour tenter d’en ouvrir un nouveau. Et si la chose manquait parfois encore un peu de naturel et de spontanéité, revoir la silhouette de Sohan déambuler dans le décor de cette maison de Logan City où il avait grandi leur donnait à chacun du baume au cœur – Hassan y compris. Sans jamais remettre en cause les raisons sommes toutes légitimes pour lesquelles son ami avait un temps préféré s’éloigner de ses parents et de leurs opinions pour se préserver, le brun avait durant des années nourri l’angoisse sourde que de part et d’autre de la clôture on ne regrette ce status quo que trop tard – lorsqu’il n’y aurait plus rien à sauver. Fatima et Amjad n’étaient pas les parents dont Sohan aurait rêvé, mais ils aimaient leur fils ; Sohan n’était pas le fils dont Fatima et Amjad auraient rêvé, mais le Khadji ne les aimait pas moins. C’était à la fois tellement compliqué et tellement simple, et assis sur la même rive des orphelins que Lawrence et Stacey, Hassan aurait parfois simplement voulu leur rappeler à tous qu’avoir encore ses parents n’allait pas de soi, et que voir grandir ses enfants était une chance trop précieuse pour la gâcher à ne pas les accepter tel qu’ils étaient. Rome ne s’était pas faite en un jour et le retour à la normale des relations entre les membres de cette famille ne le serait probablement pas non plus, mais ils essayaient tous, et chacun derrière y mettait du sien pour pousser les élans de spontanéité encore timides. Yasmine visitait une maison avec Edge et se devait donc de laisser Sohan et leurs parents en tête-à-tête, Hassan profitait de la disponibilité d’ Owen pour réparer les quelques tuiles abimées sur son toit par la dernière tempête, devait urgemment rapporter à Juliet ce livre qu’elle avait oublié chez lui, ou avait déjà rendez-vous avec Rhett et n’aimait pas annuler au dernier moment. Tant d’excuses trop simples face auxquelles Sohan n’était probablement pas dupe, mais dont il semblait profiter pour retisser fil après fil sa relation avec ses parents. Lorsque l’informaticien avait indiqué « Je dois passer chez les parents tout à l'heure. Ils ont besoin d'aide pour déplacer quelques meubles dans le salon. Tu veux venir avec moi ? » la question de décliner ou non s’était donc à nouveau posée, et s’il n’avait pas eu un peu mauvais conscience Hassan aurait peut-être passé son tour à nouveau, mais en ajoutant « Je sais que ça leur ferait plaisir de te voir. Puis apparemment, il y aura des petites douceurs et du thé pour nous remercier. Le réconfort après l'effort. » Sohan était parvenu à faire pencher la balance : pas parce que « C’est bien parce qu’il y a un goûter à la clef, alors. » comme il l’avait aussitôt prétendu d’un ton amusé, mais parce qu’à force d’alterner fausses excuses et véritables indisponibilités il réalisait n’avoir pas revu les parents Khadji une seule fois depuis la fin des vacances d’été et le retour d’Olivia, Qasim et des enfants à Sydney. « Et parle pour toi, môssieur l’adulte, moi je continue de rouler exprès à vélo dans les flaques de boue comme si c’était toujours ma mère qui faisait la lessive. » avait-il par ailleurs fini par rebondir d’un ton narquois, pour faire écho à la première remarque de Sohan quant au fait qu’ils avaient visiblement atteint le pic de leur aura d’adulte. Force était pourtant de constater que son ami avait raison : l’un et l’autre n’avaient peut-être pas d’enfant à accompagner au parc le dimanche après-midi, mais d’avoir tous les deux sauté le pas d’adopter un chien (et même deux dans le cas d’Hassan) pour se retrouver assis sur ce banc, à les regarder gambader comme des coqs en pâtes, ils avaient tout de même atteint un certain niveau de daronnerie. « On a encore de la marge, cela dit … » Admettant sans le dire que le point de Sohan se valait malgré tout, voilà qu’il tentait tout de même de leur donner un peu de répit avant de ressembler à leurs propres pères : « Le jour où on se pointera au parc avec le tablier de backgammon, là on pourra dire qu’on a définitivement basculé de l’autre côté. » D’ici là, ils pourraient toujours continuer de se rassurer en se rappelant qu’à ce sujet Qasim aurait toujours une longueur (et quelques cheveux blancs) d’avance sur eux. Les interrompant un instant, Winston était revenu en trottinant rapporter son bâton dans l’espoir de se le voir lancer à nouveau et Hassan avait posé sur l’animal un sourire bienveillant. « Sans regret, alors ? » qu’il avait finalement demandé au maître, déjà presque certain de la réponse qu’il obtiendrait. Il n’aurait pas pensé être aussi catégorique à ce sujet lorsqu’il avait adopté Spike sept ans auparavant, mais le brun avait aujourd’hui la certitude que sur bien des points, le berger allemand lui avait probablement sauvé la vie. En se rajoutant à l’équation ensuite Bandit n’avait fait que confirmer à l’enseignant comme il avait été bête de ne pas se laisser convaincre plus tôt, et il ne pouvait pas imaginer qu’il en soit autrement pour quiconque décidait de sauter le pas à son tour. Chad serait probablement le suivant, poussé par le vide laissé par Tobey lorsque Kelly et lui avaient dû décider qui d’elle ou de lui en aurait la garde attitrée, et qu’il ait mentionné l’idée à voix-haute ne faisait selon Hassan que confirmer qu’au fond de lui, sa décision était déjà prise au même titre que celle de Sohan l’avait probablement été dès l’instant où il avait posé le pied au refuge.
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| | | | (#)Mer 16 Mar 2022 - 13:46 | |
| Il ne peut s'empêcher de sourire, Sohan, se tournant vers Hassan. Il lui adresse un regard qui veut dire ‘vraiment ?' quand il entend la réponse de son ami. “J'ai toujours su que la cuisine de ma mère était ta seule motivation.” Lui rétorque-t-il en riant. “Figure toi que tout était prévu, je lui ai même dit que tu ne viendrais pas s'il n'y avait pas quelques petites douceurs à la clé.” Ajoute-t-il. Il plaisante et le rire qu'il laisse échapper en est témoin. Il a bien compris que la réponse de Hassan était une plaisanterie, au même titre que la sienne. Il savait que le Jaafari considérait les parents Khadji comme ses propres parents. L'inverse était vrai également. Les Khadji avaient toujours accueilli les frères Jaafari comme s'ils faisaient partie de la famille. Dès leur plus jeune âge. Ça n'avait pas changé avec le temps et il était toujours évident que si un repas de famille devait avoir lieu pour une quelconque occasion, Hassan était toujours invité. Tout comme l'était Qasim lorsqu'il habitait encore à Brisbane. Ils n'étaient rien d'autre qu'une grande famille recomposée. Ils n'étaient peut-être pas liés par le sang, mais ce qu'ils partageaient était bien plus fort. C'était donc pour cela que Sohan pouvait le taquiner de la sorte, sans avoir peur de le blesser. Parce qu'il savait que si Hassan venait donner un coup de main chez Amjad et Fatima, ce n'était pas seulement pour les délicieuses pâtisseries de la matriarche, c'était parce que ça lui faisait réellement plaisir. Les pâtisseries, elles, n'étaient qu'un avantage non négligeable dont il pourrait profiter une fois le travail fini. Il savait aussi qu'Hassan n'avait pas eu l'occasion de voir les parents Khadji depuis un moment. C'était ce que Fatima lui avait confié la dernière fois qu'il était venu dîner. Aujourd'hui était donc l'occasion parfaite pour remédier à tout cela et faire plaisir à tout le monde.
Son sourire ne le quitte pas quand il entend la remarque suivante sortir de la bouche de son ami. "T'emballe pas trop, si on demande aux gamins que t'entraine s'ils pensent que t'es l'un des leurs, tu tomberais de haut.” Lui rétorque-t-il, aussi narquois. A croire qu'il n'avait peut-être pas atteint le sommet de l'âge adulte comme Sohan l'avait insinué quelques instants auparavant, mais ils avaient en tout cas atteint ce moment dans leur vie où ils ne pouvaient pas passer un seul moment sans se voir sans se taquiner l'un l'autre par rapport à leur âge. Comme s'il y avait une espèce de guéguerre entre eux afin de déterminer lequel des deux était plus qu'en passe de devenir un vieux, la carte du troisième âge déjà prête. Si on demandait à Sohan, cependant, son avis était tout tranché : Hassan était le vieux. Pour preuve, il avait un argument irréfutable qu'il aimait mettre en avant dès que l'occasion se présentait. “Tes cheveux blancs ne trompent personne.” C'était petit. C'était aussi à prévoir, même si le Khadji savait parfaitement que les cheveux blancs n'avaient pas grand-chose à voir avec l'âge que quelqu'un pouvait avoir. Le tablier de backgammon au parc, cela dit, était un élément bien plus parlant et ne laissant absolument pas de doute quant à l'âge avancé de ses joueurs. “Non, non, on sera plus intelligents que ça nous.” Déclare-t-il en riant. “On viendra pas jouer au backgammon au parc, on gardera ça pour chez nous, au soleil, dans le jardin avec nos tasses de café qu'on aura bien du mal à pas renverser. Pour le parc, on emmènera quand même un ballon de rugby ou un truc du genre.” Explique-t-il, marquant une courte pause avant d'ajouter. “On sera peut-être trop vieux pour jouer, alors on s'assiéra sur le banc pour discuter, mais les gens qui passeront à côté auront aucun moyen de savoir depuis combien de temps on sera assis là. Ils penseront qu'on s'est fait des passes avant de se reposer. Ça nous rendra impressionnants.” Finit-il par expliquer, son sourire prouvant qu'il était plutôt fier de la bêtise qu'il venait d'inventer. Comme si jamais il ne prendrait la place de ces personnes âgées qui passent leurs après-midis au parc à discuter en jouant aux dés. Il sait qu'il sera à cette place, à un moment où un autre. Il sait aussi qu'il ne s'en rendra pas forcément compte et ne fera rien pour y échapper. Parce que c'était la continuité de la vie et que c'était tout à fait normal. Pour l'heure, il n'en était pas là. Même s'il avait passé un nouveau cap, comme pouvait le démontrer le border collie qui courait joyeusement avec son bâton dans la bouche. “A ton avis ?” Répond-il à Hassan. Lui qui était peut-être le mieux placé pour comprendre. “Je me dis que j'aurais dû sauter le pas bien plus tôt. J'sais pas ce qui me retenait.” Ajoute-t-il. Après tout, il avait trouvé un job pour la police de Brisbane à la sortie de l'université, son diplôme à peine en poche et n'avait plus bougé depuis. Ce qui lui avait permis, par la même occasion, de devenir propriétaire de sa maison rapidement. Il n'avait donc pas eu de problème de place qui l'aurait freiné quant à la décision d'adopter une boule de poils. Il ne savait pas pourquoi il avait attendu si longtemps. Peut-être que ça avait été le destin, ou quelque chose du genre. Peut-être qu'il avait eu besoin de faire mûrir l'idée parce qu'il était comme ça, Sohan. “Je pense que je manque un peu d'autorité par contre et donc j'ai de la chance qu'il soit facile à vivre. Sinon ce serait un peu compliqué à mon avis.” Il n'avait pas le cœur à le disputer et l'avait laissé prendre possession de la maison à l'instant où il était arrivé. “Et toi ? Toujours pas tenté par un de plus ?” demande-t-il en souriant. |
| | | | (#)Mer 20 Avr 2022 - 13:07 | |
| Est-ce qu'il prenait le temps de manger, même ? C'était probablement l'une des premières questions que lui poserait Fatima à la seconde où il aurait mis un pied chez elle, le toisant des pieds à la tête de son regard perçant, capable même à travers un blouson ou un jean neuf de voir si l'une de ses ouailles avait négligé trop longtemps son hygiène alimentaire. Mais Hassan avait toujours quelque chose à faire, Hassan avait toujours mieux à faire, et sa pause déjeuner souvent se résumait à un sandwich triangle englouti entre deux cours, entre deux réunions, voire même au volant de sa voiture s’il avait à faire en dehors du campus. Il ne s’en plaignait pas, il l’avait voulu, mais le jour où Fatima cesserait de lui faire remarquer qu’il n’avait “que la peau sur les os” avec un brin de dramaturgie n’était pas encore prêt d’arriver. « J'ai toujours su que la cuisine de ma mère était ta seule motivation. » s’était quant à lui moqué Sohan, lorsqu’il avait fait mine d’accepter son offre pour l’unique perspective d’être récompensé par les pâtisseries de sa mère. « Figure toi que tout était prévu, je lui ai même dit que tu ne viendrais pas s'il n'y avait pas quelques petites douceurs à la clé. » Plissant les yeux et affichant aussitôt une moue (faussement) boudeuse, Hassan avait rétorqué « Est-ce que t’es en train de me dire que je suis à ce point prévisible ? » tout en sachant bien qu’en réalité, oui, il l’était probablement. Presque autant que ne l’étaient d’ailleurs Sohan et Yasmine lorsqu’il s’agissait de titiller les frères Jaafari sur leur âge, avec à leur avantage le fait que peu importe le nombre d’années qui passeraient, les deux Khadji gagneraient toujours indubitablement la bataille de la jeunesse. « T'emballe pas trop, si on demande aux gamins que t'entraine s'ils pensent que t'es l'un des leurs, tu tomberais de haut. » La remarque avait un goût de trahison, et portant la main à son cœur dans un élan dramatique Hassan avait fait mine de capituler lorsque son ami avait enfoncé le clou une bonne fois pour toute en ajoutant « Tes cheveux blancs ne trompent personne. » A ce jeu-là pourtant, et malgré les quelques années qui les séparaient toujours, Sohan n’avait plus rien à envier à son acolyte, et tous les deux comptaient suffisamment de dissidents blancs sur leurs tempes pour que le déni ne suffise plus. « La jeunesse c’est dans la tête, mon cher. » Et dans le niveau de difficulté à se remettre debout sans grimacer quand on quittait son canapé ou son lit, aussi … Pour le reste, ils n'avaient pas encore adopté les habitudes de leurs aînés, et pouvaient donc se convaincre qu'ils n'étaient pas concernés. « Non, non, on sera plus intelligents que ça nous. On viendra pas jouer au backgammon au parc, on gardera ça pour chez nous, au soleil, dans le jardin avec nos tasses de café qu'on aura bien du mal à pas renverser. » Déjà prêt à arguer que même la vieillesse ne lui ferait pas perdre le goût pour le spectacle des gens qui passaient, des enfants qui jouaient et des canards qui séchaient au soleil, il avait été coupé dans son élan lorsque Sohan avait ajouté « Pour le parc, on emmènera quand même un ballon de rugby ou un truc du genre. On sera peut-être trop vieux pour jouer, alors on s'assiéra sur le banc pour discuter, mais les gens qui passeront à côté auront aucun moyen de savoir depuis combien de temps on sera assis là. Ils penseront qu'on s'est fait des passes avant de se reposer. Ça nous rendra impressionnants. » et finalement l'idée l'avait fait rire, et lui avait rappelé les mots de Rhett lorsqu'il était venu lui donner un coup de main à l'atelier de rugby organisé par le Logan City Rugby à l'occasion de l'obtention des jeux olympiques. « Ou alors Rhett aura enfin de quoi monter son équipe de papys rugbymen. Sa patte folle, tes futurs rhumatismes, mon épaule en vrac … Gros potentiel. J'suis sûr qu'on pourrait même convaincre Owen. » Quel âge auraient-ils pour les JO de Brisbane ? Il ne voulait même pas y repenser, tout ce qui allait plus loin que la fin de l'année scolaire en cours n'avait désormais plus lieu d'être à ses yeux. « J'espère qu'on deviendra pas des vieux cons. » avait-il finalement ajouté, l'air songeur et le ton à demi-sérieux seulement. Qu'on lui donne un coup de canne s'il devenait un jour comme ces personnes âgées qui se plaignaient de la jeunesse, et rabâchaient que "de leur temps, les choses se passaient autrement". Armé de l'énergie de ses ancêtres gardiens de troupeaux, Winston était revenu à toute allure ramener le bâton qu'il venait de trouver, trépignant d'aller le récupérer avant même que Sohan ne le lui ait lancé, et Spike déjà sur les talons pour tenter d'aller s'en emparer le premier. La quatrième patte lui manquant pour espérer concourir lui aussi, Bandit préférait aboyer contre les écureuils qui le narguaient depuis les arbres, et quittant finalement des yeux leur ménagerie Hassan avait recueilli les impressions de son ami, maintenant qu'il appartenait lui aussi au cercle des propriétaires de chiens et depuis suffisamment longtemps pour s'être fait un début d'avis sur la question. « À ton avis ? » Le même que Qasim après l'avoir poussé à adopter Spike, probablement. « Je me dis que j'aurais dû sauter le pas bien plus tôt. J'sais pas ce qui me retenait. » Le brun avait hoché la tête, signe qu'il comprenait. Il comprenait même très bien, pour être passé par exactement les mêmes étapes et l'élément raisonnement sept ans plus tôt. « Les inconvénients viennent plus vite à l'esprit que les avantages tant qu'on n'y connait rien, j'suppose. » Un chien c'était une responsabilité, c'était un budget, il fallait le sortir même les jours de pluie, l'emmener chez le vétérinaire en cas de pépin, trouver quelqu'un pour le garder si l'on devait s'absenter, adapter sa voiture, ses vacances, son emploi du temps … Tant que l'on n'avait pas eu de chien, on pensait d'abord à tout cela, et si tout était vrai ce n'était plus du tout les premières choses à venir à l'esprit d'Hassan lorsqu'il était question de ses animaux. « Je pense que je manque un peu d'autorité par contre et donc j'ai de la chance qu'il soit facile à vivre. Sinon ce serait un peu compliqué à mon avis. » Sohan et son âme de gentil, incapable de résister au regard de chien battu et aux oreilles basses ? Qui était surpris ? « Maintenant qu'il a compris que t'étais une guimauve, t'es fichu mec. Y'a plus de retour en arrière possible. » s'en était-il alors moqué gentiment. D'abord c'était le fond du pot de yaourt, après c'était le canapé, et finalement un beau jour on se retrouvait à ne pas avoir le coeur à pousser l'animal hors du lit s'il sautait dessus un matin pour vous réveiller, à une heure bien trop matinale pour que cela soit raisonnable. « Et toi ? Toujours pas tenté par un de plus ? » Jamais deux sans trois ? « Non non, ça ira. » avait-il néanmoins répondu en laissant échapper un rire, avant d'étendre ses jambes en s'appuyant contre le dossier du banc. « Trois c'est marrant sur une courte période, comme quand j'ai gardé celui de Kelly, mais j'étais malgré tout pas mécontent de lui rendre quand elle est rentrée. » Il faut dire que le Beagle de sa voisine, bien que d'un certain âge, avait encore toute l'énergie du chien de chasse qu'il était. « Pendant un moment j'avais hésité à postuler pour être à nouveau famille d'accueil, mais on voit bien ce que ça a donné avec celui-là … » Du menton, il avait désigné Bandit et sa démarche claudiquante. Le bouvier australien était le premier chien qu'il avait accepté de garder "temporairement" … et il avait aussi été le dernier, puisque le brun s'y était finalement trop attaché pour le laisser repartir. « Y’a un côté rassurant dans le fait qu’ils soient toujours là pour t’accueillir quand tu rentres. » avait-il finalement commenté, pensif, les années n’ayant pas rendu plus facile pour lui l’idée de vivre seul, après avoir successivement partagé le toit de ses parents, de son frère, de Joanne. Owen était venu interrompre momentanément sa vie solitaire, sans que ni l’un ni l’autre ne sachent combien de temps cela durerait, mais tout cela restait temporaire. Sur ce point-là cependant, Hassan savait que Sohan et lui divergeaient un peu, ce dernier ayant à l’inverse une âme plutôt solitaire et ne donnant pas l’impression de beaucoup pousser pour y changer quelque chose.
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| | | | (#)Dim 8 Mai 2022 - 15:56 | |
| Il était d'accord avec Hassan. La jeunesse, c'était dans la tête et ce n'était pas parce que les années défilaient, parfois à une vitesse folle, qu'il fallait s'en plaindre ou vivre cela comme une fatalité. Ils avaient beau ne plus avoir vingt-ans, ils n'avaient pas pour autant déjà un pied dans la tombe. Bien au contraire. Et même si Sohan aimait mettre en avant les cheveux blancs de son ami comme une manière de la taquiner, la vérité était qu'il ne se rendait pas vraiment compte qu'ils vieillissaient tous les deux. Ce n'était pas comme s'il s'était réveillé un matin en se rendant compte qu'Hassan et lui avaient vieilli de dix ans. Ca s'était fait petit à petit, comme pour tout le monde et il n'y avait pas vraiment un jour où il avait regardé le Jaafari en se disant qu'il avait pris un sacré coup de vieux. S'il était honnête d'ailleurs, il avouerait qu'ils font sans doute plus jeunes que leur âge et qu'il y en a bien d'autres, plus jeunes qui paraissent avoir dix ans de plus. Il savait qu'il y avait une part de génétique là-dedans et que pour commencer, Hassan et lui pouvaient remercier leurs parents de leur avoir transmis leurs gènes, mais il savait aussi que ça ne faisait pas tout. Il savait que certaines personnes avaient des vies bien plus compliquées que la sienne et que par conséquent, cela pouvait se répercuter sur leur santé, ou sur leur apparence en général. Alors, même s'il était du genre à taquiner Hassan, cela s'arrêtait là. Il n'était pas du genre à apporter beaucoup d'importance aux apparences et de ce fait, se passait toujours de tout jugement sur les gens qui pouvaient être amenés à croiser son chemin. Il ne se fait pas d'illusion, il sait qu'un jour ils seront vieux. Hassan, lui, Rhett, Owen même et tous les autres. Ils auront cependant de quoi occuper leur journée avec des activités toutes trouvées. “J'crois qu'on pourrait même inventer une autre variante du sport. Genre, on réduit la taille du terrain pour commencer afin que ce soit adapté à nos âges avancés et puis pour le reste on fait en sorte que ce soit facile à jouer pour tout le monde, sans pour autant avoir à rester assis sur un banc tout du long.” Répond-il en souriant. Leur club du troisième âge n'avait pas à se résumer à des activités ennuyeuses qui ne donnent pas vraiment envie de se bouger. Ils pouvaient réinventer leurs propres activités afin de les adapter à leurs capacités. Ca lui semblait bien plus fun. “Bien sûr qu'on sera pas des vieux cons ! Pourquoi on le serait ? On a toujours tout fait pour ne pas l'être, c'est pas pour commencer une fois vieux.” Ajoute-t-il. Il ne voulait pas être de ces vieux qui râlent pour un oui ou pour un non et ne sont jamais contents de rien. Ces personnes qui disent s'ennuyer, mais refusent aussi toute activité qui pourrait se présenter à eux. Il ne voulait pas être comme cela et il était persuadé que tant qu'il gardait cette volonté, il n'en arriverait jamais là.
Cependant, il savait aussi qu'il était du genre à changer d'avis, même si parfois il lui fallait un moment pour se faire à l'idée. Ça avait été pareil avec Winston. Ou plutôt avec son envie d'adopter un chien qui avait mis quelques années à germer pour enfin se concrétiser, lui faisant finalement se dire qu'il n'y avait pas vraiment de raison d'attendre aussi longtemps qu'il l'avait fait. "Je ne sais même pas si c'était une question d'inconvénients. J'avais juste l'impression que c'était pas le bon moment, puis l'idée me revenait et je me disais qu'il fallait que j'y réfléchisse sérieusement. Avec tout ça, on en arrive là, des années plus tard.” Conclut-il en laissant échapper un rire. “C'est sûr que c'était pas un choix à prendre à la légère, finalement ça implique beaucoup de choses d'avoir un animal, ou tout du moins, d'avoir un animal et bien s'en occuper. Mais bon les avantages valent le coup faut le dire.” Parce que oui, il y avait des responsabilités qui n'étaient pas moindres, mais la récompense était sans aucun doute la relation qu'il entretenait avec le border collie, d'une fidélité sans pareille. Que Sohan lui rendait par un manque d'autorité effarant. Une chance que le chien ne soit pas du genre à faire des bêtises ou à tenter de se faire la mal à la moindre occasion. “Oh crois moi, ça je l'ai compris bien vite. On est passé de ‘tu montes pas sur le canapé' à ‘tiens ton coussin est sur le canapé' bien plus vite que je l'aurai imaginé. Et si c'était que ça en plus …” Répond-il en souriant. Il aurait pu se montrer un peu plus autoritaire. Il savait que ça n'aurait pas rendu Winston malheureux, mais il n'avait jamais eu le cœur, ni même l'envie de le faire. Il ne savait pas comment Hassan faisait, avec deux chiens. Il avait du mal à imaginer avoir le double des responsabilités qu'il avait actuellement avec Winston, cependant ça ne l'empêchait pas de demander si son ami avait en tête d'agrandir la meute. Il comprenait cependant que cela ajoutait automatiquement une charge de travail en plus. Une charge considérable, qui plus est et même si ça valait sans doute le coup, il comprenait parfaitement la position du Jaafari. “Dans ton cas, être famille d'accueil c'est un peu comme une excuse pour adopter un animal, l'air de rien. Je comprends cela dit, j'aimerai bien faire famille d'accueil, que ce soit pour des chiens ou des chats, mais je sais que quand il faudra s'en séparer ce sera terrible.” Déclare-t-il, marquant une courte pause avant d'ajouter. “Et je compte pas transformer la maison en arche de Noé alors je m'abstiens.” Et c'était peut-être mieux comme ça. Ainsi, il pouvait se consacrer pleinement à Winston sans avoir l'impression de délaisser un animal au profit d'un autre. Même si ça n'avait pas de sens et que dans les faits, les choses seraient différentes. “Tu te dis qu'il y aura toujours au moins une personne pour t'attendre. Quoi que tu fasses, quoi que tu dises aussi. Tu sais pas trop s'ils comprennent tout ce que tu dis, mais parfois t'as l'impression que oui. Alors, j'sais pas. Peut-être que c'est dans ma tête ou que je me dis ça parce que j'ai envie d'y croire, mais je trouve ça plutôt vrai quand on dit qu'il leur manque que la parole.” Dit-il ensuite. “Ou alors, on les humanise trop et ils nous regardent juste parce qu'ils se demandent ce qu'on veut au lieu d'aller chercher une balle pour jouer.” Il rit parce que parfois, avec Winston, il doit bien avouer qu'il ne sait pas dans quel cas de figure il se trouve. |
| | | | (#)Dim 21 Aoû 2022 - 14:42 | |
| Ils avaient beau en faire des caisses et s’en amuser, ni l’un ni l’autre ne pouvaient passer à côté du fait que le temps vous retirait peu à peu des choses que vous considériez autrefois comme acquises, par naïveté ou par bêtise – des choses, des gens, et même de l'énergie. Pour autant, une partie d'Hassan se sentait aussi chanceuse de pouvoir goûter à ce que le fait de vieillir pouvait offrir … Il revenait de loin, en ayant par deux (trois) fois déjà failli être privé de ce qu'il considérait désormais comme un privilège. De ça il ne parlait jamais, par pudeur ou par crainte que la chose soit mal interprétée, principalement, mais il s'y raccrochait toujours désespérément durant les périodes où il se sentait au plus bas, et où il ne devait son salut qu'au cocktail de cachetons que le psy estimait encore nécessaire à son équilibre. Alors sous ses airs un peu effrayés par le temps qui passait, il espérait bien voir venir l'époque où sa chevelure brune aurait entièrement capitulé pour le gris – pourvu qu'il ne devienne pas un vieux con. « Bien sûr qu'on sera pas des vieux cons ! Pourquoi on le serait ? On a toujours tout fait pour ne pas l'être, c'est pas pour commencer une fois vieux. » Hassan avait envie d'y croire, et malgré tout il ne semblait pas entièrement convaincu : « J'sais pas … J'me dis que les vieux cons se rendent pas forcément compte qu'ils le sont devenus. » Ils s'étaient simplement réveillés un matin en réalisant que le monde s'était définitivement mis à tourner trop vite pour eux. « Mais j'suis sûr que si ça nous pendait au nez, y'aura bien des neveux voir des petits-neveux pour nous le faire remarquer avant qu'il soit trop tard pour revenir en arrière. » À défaut des enfants que l'un et l'autre avaient peu de chance d'avoir un jour. Eux ne pourraient s'en tenir qu'à leurs chiens, qu'ils l'aient choisi ou qu'ils se contentent de subir. Une maigre consolation, mais Hassan pour sa part avait appris à s’en contenter – et même, il n’imaginait plus désormais sa vie sans ses compagnons à quatre pattes. Il en avait été le premier surpris, mais pour lui avoir ainsi forcé la main au moment d’adopter Spike, Qasim devait en revanche très bien savoir que son frère y trouverait son compte. Tout comme Sohan semblait le faire désormais : « Je ne sais même pas si c'était une question d'inconvénients. J'avais juste l'impression que c'était pas le bon moment, puis l'idée me revenait et je me disais qu'il fallait que j'y réfléchisse sérieusement. Avec tout ça, on en arrive là, des années plus tard. » Mieux valait tard que jamais, disait l’adage. « C'est sûr que c'était pas un choix à prendre à la légère, finalement ça implique beaucoup de choses d'avoir un animal, ou tout du moins, d'avoir un animal et bien s'en occuper. Mais bon les avantages valent le coup faut le dire. » Sage décision, sage raisonnement … Et malgré tout Sohan n'échappait pas au fait de se laisser (un peu) mener par le bout du nez par son nouveau compagnon. Pas qu'Hassan le juge le moins du monde, il ne valait pas mieux, et même le lit normalement interdit d'accès était parfois pris d'assaut les matinées où le brun avait l'audace de vouloir y traîner un peu. Peut-être était-ce aussi pour cela qu'Hassan refusait de se risquer à un troisième compagnon : il deviendrait plus difficile de faire entorse à ses propres règles s'il devait en subir les conséquences au triple. Mieux valait deux chiens gérés convenablement que trois avec plus de maladresse – personne n'en ressortirait gagnant. « Dans ton cas, être famille d'accueil c'est un peu comme une excuse pour adopter un animal, l'air de rien. Je comprends cela dit, j'aimerai bien faire famille d'accueil, que ce soit pour des chiens ou des chats, mais je sais que quand il faudra s'en séparer ce sera terrible. Et je compte pas transformer la maison en arche de Noé alors je m'abstiens. » Il ne pouvait que confirmer ; Bandit ne serait pas là, sans ça. Pour le reste, il s'agissait bien plus d'une question de raison que d'absence d'envie : « C'est pas que je veuille pas, mais bon … La maison n’est pas extensible, et faut déjà faire garder ces deux-là quand je descends à Sydney ou ailleurs. » Le père d’Olivia avait beau toujours se proposer de bon cœur, il commençait à se faire vieux … Deux chiens c’était déjà beaucoup. Trois c’était trop. Mais deux c’était largement assez pour donner de la vie à une habitation, et faute d’avoir offert à quelqu’un d’autre la place que Joanne n’occupait plus auprès de lui, le brun avait au moins l’assurance que ses deux boules de poils, elles, seraient toujours là pour l’accueillir lorsqu’il rentrait et l’attendre lorsqu’il partait – cela semblait bête, mais il y trouvait néanmoins un certain réconfort. Une raison de se lever le matin, aussi, et de sortir de son lit même quand dans le cas d’Hassan la dépression – sa vieille amie, comme il l’appelait – revenait sournoisement faire parler d’elle. L’enseignant avait l’air d’être celui qui maintenant les animaux en vie parce qu’il les nourrissait, les soignait, mais en réalité c’était peut-être bien eux qui le tenaient en vie lorsqu’il lui arrivait encore de se demander à quoi bon. « Tu te dis qu'il y aura toujours au moins une personne pour t'attendre. Quoi que tu fasses, quoi que tu dises aussi. Tu sais pas trop s'ils comprennent tout ce que tu dis, mais parfois t'as l'impression que oui. Alors, j'sais pas. Peut-être que c'est dans ma tête ou que je me dis ça parce que j'ai envie d'y croire, mais je trouve ça plutôt vrai quand on dit qu'il leur manque que la parole. » L’idée lui avait arraché un sourire, mais pour autant Hassan avait opposé « Tu veux rire, j’suis sûr que si ça arrivait ce serait de vrais moulins à parole, pire que des mômes. » d’un ton amusé, et non moins persuadé de ce qu’il avançait. Et toute personne ayant déjà tenté d’écouter du début à la fin le récit de la journée d’école d’un bambin qui passait du coq à l’âne savait pertinemment de quoi il parlait. « Ou alors, on les humanise trop et ils nous regardent juste parce qu'ils se demandent ce qu'on veut au lieu d'aller chercher une balle pour jouer. » Presque comme s’il l’avait entendu, Winston était revenu à la charge en courant, ramenant avec lui non pas une balle mais un énième bout de bois, preuve qu’au même titre que les enfants qui s’amusaient autant si ce n’est plus avec le carton d’un jouet qu’avec le jouet lui-même, les chiens savaient s’amuser de n’importe quoi d’autre que des jouets achetés spécialement pour eux. « Je sais que ça va sonner dramatique, mais j’ai vraiment la sensation que Spike m’a sauvé la vie. » Oui, cela sonnait effectivement dramatique – mais peut-être aussi parce que c’était la vérité. « Si je savais plus pourquoi me lever le matin, y’avait au moins lui pour me rappeler qu’il n’allait pas se nourrir et se sortir tout seul. » Cela sonnait aussi un peu égoïste, alors : d’être réconforté par l’idée que quelqu’un, même un animal, avait encore suffisamment besoin de lui pour l’empêcher de (re)faire une bêtise. Sentant sa gorge se serrer, il l’avait raclée pour tenter de l’éclaircir, puis avait secoué la tête « Je suis vraiment heureux pour toi, tu sais … Que les choses s’arrangent, avec tes parents. » De s’être ainsi mis en retrait, poussé par les sous-entendus de Molly à l’hôpital mais surtout par leur volonté à Qasim et à lui de ne pas créer d’interférence dans des retrouvailles familiales qui n’avaient que trop tardé, il craignait que Sohan n’en doute – mais il l’était. Heureux. Soulagé, aussi, comme pouvait l’être quelqu’un comme lui, portant la notion de famille en si haute importance.
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| | | | (#)Jeu 29 Sep 2022 - 14:51 | |
| Il comprend, Sohan. Il sait que ce n'est pas rien. Que s'occuper d'un chien en plus change toute la donne. Que dans ce cas-là, un de plus, un de moins fait réellement une différence. Elle est même considérable. Ce n'est même pas sur le plan financier que tout repose. C'est une question de temps. Une question de gestion de ses déplacements aussi. Faire garder deux chiens sera toujours plus simple que d'en faire garder trois. Trois chiens ce serait aussi se plier aux besoins de trois êtres bien distincts qui n'auront pas forcément envie de sortir au même moment et donc ça veut forcément dire composer un peu plus avec ce qui peut parfois se montrer chronophage. Il plaisantait donc plus qu'autre chose. Si lui était très bien avec Winston sans avoir envie de venir agrandir la meute, il comprenait également que Hassan avait son propre équilibre avec ses deux chiens et n'avait donc pas l'envie de venir chambouler tout ça. Sur le papier, l'idée était bien sûre tentante. Couplée à l'idée de vouloir faire quelque chose de bien. Dans la pratique, il fallait aller un peu plus loin, penser à tout et se rendre compte que ce qu'on avait était déjà pas mal. “Non, mais je comprends. Faut être réaliste parfois. Vaut mieux ça que d'adopter la moindre petite bête dans le besoin et se retrouver dans une arche de Noé ingérable.” Parce que finalement, ça ne serait pas rendre service aux animaux et serait plutôt contre productif. “Même si l'envie de faire quelque chose pour aider les différents refuges et ajouter sa pièce à l'édifice reste toujours tentant.” Il avait longtemps eu ce sentiment. Il avait souvent été proche de sauter le pas et de se déplacer dans un refuge pour aller voir les chiens à l'adoption. Il avait mis du temps pourtant à passer le cap. Il avait toujours trouvé des excuses. Pas le temps. Besoin de régler deux trois choses avant de se lancer. Finalement, peut-être que ce n'était juste pas le bon moment et que le hasard voulait qu'il croise le chemin de Winston. L'excuse semblait un peu bateau, mais ça ne voulait pas dire qu'elle n'avait pas de sens.
Il ne peut s'empêcher de rire à l'opposition d'Hassan. Son raisonnement n'était pas bête et d'ailleurs, Sohan était plutôt d'accord avec lui. Quand il voyait Winston et les réactions que ce dernier pouvait parfois avoir en fonction des situations, nul doute que s'il avait la capacité de parler, il se ferait entendre. Une promenade qui ne débute pas assez rapidement ? Il aurait le droit à quelques remontrances. Pareil pour une gamelle servie un peu trop tard parce qu'il n'avait pas fait attention à l'heure, assis devant son écran d'ordinateur. Peut-être même qu'il se permettrait de se moquer de lui quand il semble un peu trop gaga, à lui parler comme s'il était un bébé. Oui, si ça se trouve, s'il avait la parole, il se mettrait à parler comme un vieil aristocrate et passerait son temps à le juger avec un air hautain. “T'as peut-être raison, dit comme ça.” Répond-il à Hassan en souriant. “Mais juste une fois ça pourrait être drôle histoire de voir ce qu'ils ont à dire.” Peut-être qu'ils seraient capables de leur dire quand ils font quelque chose qui ne leur plait pas. Cela pourrait permettre d'ajuster leur routine au mieux. Cependant, ce n'était pas comme cela que ça fonctionnait. Les chiens n'avaient pas la parole et ne l'auront probablement jamais. C'était très bien comme ça aussi. A en entendre les prochaines paroles du Jaafari, Sohan se disait que finalement, sans la parole, ils faisaient peut-être plus que ce qu'on ne pouvait imaginer. Il hausse les épaules, avant de prendre la parole. Parce qu'il ne trouve pas ça particulièrement dramatique. “Il y a parfois des choses qu'on ne peut pas expliquer. Je dirai pas que c'est dramatique. Si tu l'as perçu comme ça, c'est qu'il y a une raison.” A ce qu'il sache, Hassan n'était pas fou et donc, s'il avait ce sentiment, c'était qu'il avait ses raisons. “Peut-être qu'à cette époque-là, c'était tout ce dont t'avais besoin. Ca paraitrait sûrement futile pour certains, parce qu'ils n'ont jamais vécu ça, où qu'ils ont d'autres moteurs dans la vie, mais moi ça me paraît pas si hallucinant. C'est une responsabilité qu'on a et qui nous fait réfléchir. S'occuper de soi, c'est une chose. Les chiens, ils n'ont rien demandé à personne, ils dépendent de nous sans pouvoir y changer quoi que ce soit, on leur doit au moins ça.” Répond-il, un sourire se dessinant sur ses lèvres. “Je suis heureux aussi. Je t'avoue que j'avais un peu perdu espoir.” C'était difficile à admettre, mais il s'était presque fait une raison. Il avait commencé à intégrer l'idée qu'il ne renouerait plus aucun contact avec ses parents. Pour lui, les portes semblaient fermées à double tour sans issue possible. “J'aurai quand même aimé que ça se fasse dans d'autres circonstances et si je veux vraiment être égoïste, je dirai même que j'aurai aimé que ça se fasse il y a bien plus longtemps que ça.” Parce qu'il ne pouvait pas revenir en arrière et rattraper toutes ces années qu'il avait perdu. “Après, je me fais pas d'illusion non plus, je sais que ça restera toujours tabou que je sois gay et que même s'ils sont prêts à passer outre, ils l'accepteront probablement jamais, mais je leur en veux pas, ça les dépasse et ça dépasse tout ce en quoi ils ont toujours cru.” Tout était une question de compromis et ça, il l'avait bien compris. |
| | | | (#)Lun 9 Jan 2023 - 21:31 | |
| A quel point fallait-il se sentir seul, pour ne valoir sa survie qu’à la pensée que son animal de compagnie avait besoin de soi pour survivre ? Hassan était pourtant entouré, et si la maladie s’était chargée d’élaguer une partie de ce qui constituait son entourage, il n’avait jamais été véritablement livré à lui-même. Et pourtant, jamais ne s’était-il senti aussi seul que durant l’année qui avait suivi l’annonce de sa rémission. Jamais ne s’était-il senti aussi en décalage, incapable de reprendre le cours tranquille de son existence quand pour tout les autres le monde avait continué de tourner. Lui ne se sentait plus ni perspective ni ambition, trop occupé qu’il était à regretter ce qu’il avait perdu pour tenter de construire quelque chose de nouveau … Et au milieu de tout cela, il y avait eu Spike. Spike qui lui avait donné une raison de se lever le matin lorsque la chose lui paraissait à peine surmontable, Spike qui attendait de lui de l’attention lorsqu’il aurait pu rester des heures entières à fixer le plafond du salon, Spike dont la gamelle ne se remplissait pas toute seule, l’eau ne se changeait pas toute seule, les jouets ne se lançaient pas tous seuls. Autour d’Hassan on s’inquiétait parfois pour lui, mais l’animal était le seul à avoir véritablement besoin de lui – et cela avait fait toute la différence. « Peut-être qu'à cette époque-là, c'était tout ce dont t'avais besoin. » La pensée de Sohan était allée plus loin que cela, mais sa première phrase résumait bien l’ensemble et son ami avait acquiescé d’un signe de tête entendu. La langue un peu déliée d’avoir, même à demi-mot, levé le voile sur ce à quoi avait ressemblé la période durant laquelle Sohan et lui s’étaient éloignés, Hassan avait osé faire part de son soulagement quant au fait que l’aîné des Khadji soit lentement mais sûrement sur la pente de la réconciliation avec ses parents. Car si comme Yasmine le brun ne s’était jamais permis le moindre jugement face à la décision de Sohan de s’en éloigner tant qu’ils n’accepteraient pas pleinement qui il était, la fracture familiale qui s’était opérée à cette occasion l’avait tout autant attristé. « Je suis heureux aussi. Je t'avoue que j'avais un peu perdu espoir. » avait à ce sujet confié le Khadji du bout des lèvres, marquant une pause avant d’ajouter en posant les yeux sur son ami « J'aurai quand même aimé que ça se fasse dans d'autres circonstances et si je veux vraiment être égoïste, je dirai même que j'aurai aimé que ça se fasse il y a bien plus longtemps que ça. » Fronçant les sourcils, Hassan avait objecté « C’est pas égoïste. » Quel enfant ne rêvait pas, peu importe son âge, d’une relation harmonieuse avec ses parents ? Pour autant, l’informaticien avait nuancé « Après, je me fais pas d'illusion non plus, je sais que ça restera toujours tabou que je sois gay et que même s'ils sont prêts à passer outre, ils l'accepteront probablement jamais, mais je leur en veux pas, ça les dépasse et ça dépasse tout ce en quoi ils ont toujours cru. » et ne pouvant lui offrir qu’un sourire compatissant, à défaut de savoir quelle direction tout cela prendrait, son ami avait tenté de se montrer optimiste « Ils ont tout autant envie que toi que les choses fonctionnent. Je pense qu’ils ont conscience que la balle est dans leur camp. » Et le simple fait qu’ils aient fini par accepter Edge, ni musulman ni gendre idéal selon leurs critères, était bien la preuve qu’ils changeaient petit à petit, une montagne après l’autre. Qu’ils acceptaient, lentement mais sûrement, le fait que leurs enfants n’avaient peut-être pas la vie qu’ils avaient idéalisé, mais que leur rôle de parent était de continuer à les aimer quoi qu’il en soit. Une main amicale se déposant sur l’épaule de Sohan pour lui réitérer silencieusement son soutien, quoi qu’il se passe, Hassan avait jeté un coup d’oeil à sa montre et déclaré « J’crois qu’il serait temps qu’on décolle, si on ne veut pas faire attendre ta mère. » Sifflant pour attirer l’attention de leurs animaux, il avait agité la laisse de Bandit pour le persuader le premier de revenir au pied, Spike et Winston préférant quant à eux se faire prier encore quelques instants avant de daigner revenir à leur tour. « On peut déposer les chiens chez moi au passage, si tu veux. Ça évitera qu’ils transforment le jardin de tes parents en champ de bataille. » Le jardin d’Hassan, pour sa part, en avait déjà vu d’autres.
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| | | | | | | | Can we skip to the good part? (Hassan) |
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