Je laisse tomber le téléphone à côté de moi alors que je m'installe sur le lit. Le regard figé devant moi, mon esprit doit d'abord tenté d'assimiler ce que mes oreilles viennent d'entendre. Si je n'avais, en vrai, très peu de doute qu'Antone soit mon père biologique, dans le fond je gardais une certaine appréhension et peut-être même des doutes. Mais là, son message est claire et net : le test de paternité est revenu positif. Ça veut donc dire qu'après plus de 26 ans j'ai enfin retrouvé la trace de mon géniteur et je sais qui il est. J'avais hâte d'avoir cet appel, mais maintenant que celui-ci a été passé je ne sais trop comment réagir. Est-ce une bonne chose ? Ou une mauvaise ? Qu'est-ce qui changera dorénavant dans ma vie ? Est-ce que cette nouvelle changera quelque chose ?

Dans un soupire, je me prends le visage entre les mains au même moment où Loan passe devant la porte. Inquiet, comme à son habitude, il engage une conversation de laquelle je ne peux -et ne veux- pas m'en sortir et je lui explique tous jusque dans les moindres détails. Je lui parle du fait que malgré ses recommandations je suis quand même allé voir Antone pour lui parler de notre éventuel lien de parenté qui est finalement ressorti comme étant totalement juste. Bien que n'approuvant oas que ce que j'ai fait, Loan est loin d'être dans le jugement et me montre tout le soutient qu'il est capable de montrer. Et au final, c'est grâce à lui que je parviens de me calmer un peu et je fini par prendre une décision : celle d'aller à la rencontre d'Antone, à nouveau.

C'est ainsi qu'à 7h tapante je me retrouve au niveau du ponton numéro 3. Remarquant la silhouette de mon géniteur, je m'immobilise un instant puis soupire doucement pour me donner du courage et m'avance vers lui. Lorsque je capte son attention, je lui fait un signe de la main et accélère légèrement le pas jusqu'à arrivé à la hauteur de la zone d’amarrage. Là, je marque un moment d'arrêt, le regard posé sur les vagues qui viennent s'échouer contre la proue du bateau et pince un instant les lèvres avant de faire un pas en avant pour m'engager sur le pont en direction d'Antone.

 «Salut Antone » dis-je en réajustant mon sac à dos sur mon épaule  « Je suis désolé de ne pas avoir répondu à ton message mais je ...enfin j'étais pas mal occupé» A me poser beaucoup trop de question concernant notre relation et ton message, ajoutais-je pour moi-même  « Mais je ...enfin, je suis là du coup» je lui adresse un sourire, pas forcément très assuré  «Je ne suis jamais allé pêcher » ce n'était clairement pas la spécialité d'Allan, d'autant plus que l'eau et moi nous n'avons jamais été super ami depuis 2004.

La surprise se lit sur le visage d'Antone lorsque je lui annonce que je n'ai jamais péché de ma vie et je me demande ce qui se passe par son esprit à ce moment précis. La société veut que ce soit le père qui apprenne cet art à son fils, mais fait est que nous n'avons jamais vraiment été une famille traditionnelle, d'autant plus que mon père n'était pas du genre à faire ce genre d'activité. [color=darkblue] «Allan, mon père adoptif color] expliquais-je « était plus du genre à commander le poisson déjà préparé et laisser le travail ingrat aux autres » haussais-je les épaules, ayant bien conscience que je suis en train de dépeindre le quinquagénaire comme étant la dernière des raclures. Et c'est un peu ce qu'il est en vrai.

Dans tous les cas, Antone semble se faire une réelle joie d'être celui qui m'apprendra les rudiments de la pêche et rien que pour ça, je ne peux pas me débiner à le dernière minute. Toutefois, lorsqu'il me dit avec humour que les risques de passer par-dessus bord sont énorme lors du remontage des poissons, je ne peux empêcher mon cœur de s'accélérer brusquement alors que je jette un coup d’œil incertain vers l'eau. «Je ... Vois » je toussote doucement pour reprendre contenance et fini par prendre place sur la baquette le plus éloignée du bord tandis qu'Antone manœuvre pour sortir le bateau du port en direction de la mer ouverte.

«A...Attend ! » dis-je brusquement alors que nous nous éloignons de la place d'embarquement « Je ...Je ne peux pas. » Je me redresse et me lève de la place sur laquelle j'étais assis « J'ai ...» la phobie de l'eau étais-je sur le point d'ajouter avant de me raviser, honteux d'avouer la peur qui réside au plus profond de moi-même. «J'ai envie de passer la journée avec toi et j'ai envie d'apprendre, mais je ... » Je regarde autour de moi et me mord l'intérieur de la joue « vas-y» je prend une profonde inspiration «ça va aller, faut bien que je me confronte à tout ça » dans un soupir, je m'installe à nouveau sur la banquette, le regard fixé sur l'horizon et prends deux profondes inspirations « ça ira déjà» répétais-je, autant pour moi, pour me donner le courage nécessaire pour affronter mes peurs, mais aussi pour essayer de rassurer Antone et ne pas l'inquiéter plus que de raison.

Je me sens tellement nul et honteux lorsque j'étais sur le point d'avouer ma phobie de l'eau. Même si, au final, il n'y a absolument aucune honte à avoir, j'ai, intérieurement, cette envie d'impressionner Antone. Et de lui faire plaisir surtout. S'il m'a proposé cette sortie en mer, c'est qu'il en a vraiment envie, non ? Quel genre de fils serais-je donc de dire oui pour, au final, rebrousser chemin ? Non sérieusement, ça ne se fait pas. Ainsi donc, me ravisant et me disant que ça ira déjà, je fini par me réinstaller sur le siège et, gardant mon regard fixé sur l'horizon, je laisse l'homme guider la bateau vers le large.

Après quelques minutes de navigation, il finit par stabiliser le bateau sur les douces vagues et me rejoint, se positionne à mes côtés, prend une profonde inspiration et fini par me dire que c'est normal d'avoir peur de quelque chose, que lui à peur de se tromper. Je détourne mon regard pour le poser sur Antone et l'observer quelques instants, avant de soupirer «mais est-ce que tu t'es un jour tromper au point d'en crever, littéralement ? Loin de moi l'envie de minimiser sa phobie, ce n'est pas dans mes idées, mais maintenant que je suis lancé autant lui avouer le pourquoi du comment, non ?

«T'as raison, j'ai la phobie de l'eau. De la mer, plus précisément » dis-je en posant à nouveau mon regard sur l'horizon « Tu sais, le Tsunami qui a ravagé la Thaïlande en 2004 ?» demandais-je en lançant un coup d'oeil vers Antone « J'étais là. Dans un des hôtel côtier qui ont été littéralement rasé par les deux vagues. » j'entortille nerveusement mes doigts « Avec mon père, ma mère et mon frère, on a survécu, mais le prix que nous avons payé était énorme » je pince les lèvres et fini par reculer la tête contre le dossier de la cabine de navigation « ma mère est partie en dépression, mon frère s'est tué dans un accident de la route, moi je me suis jeté corps et âme dans le théâtre et la danse et mon père s'est tiré en 2012 parce qu'il en pouvait plus de porter ma mère à bout de bras.» je soupire doucement, levant les yeux vers le ciel « C'est avec ma mère que j'ai débarqué à Brisbane en 2014, elle a refait sa vie avec Billy, la pire des raclures. Ils sont heureux tous les deux, mais lui et moi c'est pas possible. Moins je le vois, mieux je me porte» je fini par poser mon regard sur Antone «Allan, mon père, est revenu en 2017 puis est reparti en 2020 sans laisser de mots, comme la dernière fois  » je grimace puis me redresse.

« Enfin, voilà, t'as toutes les informations moins fun maintenant» j'hausse les épaules « Mais en vrai ça va, hein. J'ai fait le deuil de mon frère, je suis heureux que ma mère revive enfin à nouveau, j'ai une vie et un quotidien parfaitement remplie et je suis vraiment épanouie dans ce que je fais» je secoue la tête «Y a juste l'histoire avec Allan que je n'arrive et que je ne veux pas oublier. Il m'a abandonné à nouveau dans le pire moment possible. J'te jure, s'il revient à nouveau comme une fleurs,je ... » je quoi ? Je lui dit de dégager ? Que je ne veux plus de lui ? Ou est-ce que je serais quand même assez con pour l'accueillir à nouveau et lui faire une nouvelle place dans ma vie ? Je n'en sais rien. Tout ce que je sais que c'est que je prie et j'espère qu'Antone n'est pas du genre à partir du jour au lendemain.

Avouer tout cela à Antone me semble être une évidence. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai comme l'impression que nous allons parcourir on bon bout de chemin ensemble, alors autant être sincère dès le début et ne pas me cacher derrière une façade qui finira de toute manière par s'ébranler un jour ou l'autre. Je remarque bien le choc qui s'affiche sur le visage de mon géniteur, alors que son esprit assimile toutes les informations que je viens de lui donner. Toutefois, à part un 'merde', il ne réagit pas. De toute manière, que peut-il bien dire ? D'autant plus qu'au final, je ne m'attendais pas à une quelconque réaction par la parole de sa part. Le fait qu'il change de sujet aussi facilement et rapidement me rassure quelque part aussi. C'est donc, après un léger soupir que je lui offre un sourire alors qu'il ne perd pas le large en me disant qu'il n'y a qu'une façon pour moi de faire ami ami avec la mer.

Se levant, il s'avance vers les cannes à pêche et, tandis que je l'observe et l'écoute, je me lève à mon tour pour le rejoindre d'un pas peu assuré, mais néanmoins motivé pour réussir à gérer tout ça. Il finit par me proposer de la crème solaire que je refuse tandis que je l'imite en vissant une casquette sur ma tête. J'attrape ensuite une canne à pêche et, suivant les conseils qu'il vient de me donner, je lance la ligne le plus loin possible. Chance du débutant, sans doute, celle-ci atterrit dans l'eau du premier coup. « Et du coup maintenant, on fait quoi ? » Demandais-je en me tournant vers Antone « On attend, c'est ça ?» je m'installe sur le siège à disposition et pose la canne à pêche sur à l'endroit où il faut. Après quelques instants de silences et d'introspection, je fini par me retourner vers mon géniteur «A part être professeur d'économie, tu fais quoi dans la vie ? » Demandais-je « Parle moi un peu de toi. Est-ce que tu es marié ? Est-ce que ...tu as d'autres enfants encore ?» Cette question me vient d'un coup, alors que je suis frappé par l'idée que je pourrais, éventuellement, avoir des demi-frères et sœurs biologiques.

Lorsqu'Antone revient vers moi et dépose une bière dans le socle de mon siège, je parviens enfin à me détendre à me dire que nous sommes réellement entrain de passer un moment père/fils comme je n'en ait plus passé depuis longtemps. J'attrape donc la bouteille, cherche l'outil pour l'ouvrir et fini par la tendre, silencieusement, à Antone pour qu'il le fasse pour moi, n'ayant pas l'habilité nécessaire pour le faire avec mes propres dents. Une fois la bouteille ouverte, je me lance dans un tas de questions qui me turlupine depuis que j'ai appris son existence. C'est donc, sans grande surprise, que j'apprends que j'ai deux belles-sœurs et autant de belles-mère « Je vois» dis-je en hochant la tête avant de laisser échapper un rire lorsqu'il précise que je ne devrais pas compter sur lui pour m'offrir un troisième frère ou une troisième sœur. « Oula, non, t'inquiète pas pour ça» je secoue doucement la tête en souriant et avant de prendre une gorgé de ma bière. « Tu crois que je pourrais les rencontrer ? Tes filles ?» Demandais-je en pinçant légèrement les lèvres « Elles sont plus jeunes ou plus âgées que moi ?» Continuais-je avec les interrogations.

Et finalement, les questions me retombent dessus, avec une particulière : qui est la personne qui va partager ma vie ? Entendant Antone utiliser le féminin, j'avoue avoir un instant d'hésitation. Dois-je lui avouer qu'il se trompe et que mon futur sera écrit avec un homme ? Comment réagira-t-il ? Est-il du genre 'vieux conservatif' ? Ou a-t-il assez d'ouverture d'esprit pour ne pas me juger sur mon choix de vie ? Je me décide, finalement, de jouer la carte de la sincérité « ce» le corrigeais-je « Ce fiancé» que je reprends en posant mon regard sur mon père «Je me marie avec un homme » un fin sourire vient étirer mes lèvres, alors que j'attends avec une certaine appréhension la réaction d'Antone « C'est Loan. Il était d'abord mon partenaire de scène et depuis deux ans mon partenaire de vie du coup» mon sourire se fait un peu plus grand, montrant bien à quel point je suis heureux de le considérer comme étant l'homme de ma vie « On se mari en octobre prochain. Tu voudras venir ?» Et voilà que ma spontanéité reprend le dessus : je ne connais pas Antone et pourtant, je l'invite déjà au jour le plus important de ma vie. Acceptera-t-il ? Mais surtout ... Que pensera Loan de tout ça ? Il m'a bien fait comprendre qu'il n'approuvait pas mon envie d'apprendre à connaître mon père biologique et pourtant, je n'ai pas écouté ses recommandations. Même s'il ne me jugera pas là-dessus et qu'il me laissera vivre ma vie comme je l'entends, je ne suis pourtant pas sûr qu'il acceptera la présence de cet homme à notre mariage.

Ses deux filles sont plus jeunes que mois, l'une à deux ans de moins et l'autre sept ans. Est-ce que cela changera beaucoup quant au fait qu'on puisse s'entendre elles et moi ? Ou est-ce que la différence d'âge et, surtout, de vie, est déjà trop grande ? Je n'en sais rien. Tout ce que je sais c'est que j'accepte avec plaisir l'invitation de mon géniteur lorsqu'il me propose de passer à la maison quand je le souhaite.  « Avec plaisir» dis-je en prenant, moi aussi, une gorgé de ma bière.

Vient alors le moment de la grande révélation : celui de mon orientation sexuelle. Si je n'ai jamais été totalement homosexuel ayant eu, dans mon adolescence, quelques aventures avec des filles et trouvant les courbes féminines tout aussi attirantes, je dois avouer que rien ni personne ne m'a rendu aussi heureux que Loan. Toutefois, je sais que l'homosexualité n'est pas encore au goût du jour de tout le monde, ayant moi-même déjà fait les frais il y a quelques mois. Alors, même si j'assume totalement ma relation et mon futur mariage, j'avoue avoir quelques appréhensions quant à la réaction d'Antone.

Et mon appréhension se confirme un petit peu lorsque, justement, il n'y aucune réaction à part un silence qui semble s'éterniser. J'ai l'impression qu'une tension s'installe entre nous alors que le quinquagénaire sirote sa bière, le regard perdu dans le vide. Que pense-t-il de tout cela ? Le cautionne-t-il ? Est-il entrain de me juger sur mes choix de vie ? Je devrais pouvoir me détâcher de tout cela, et pourtant je me dis que j'ai brusquement tout cacher entre nous et qu'en descendant de ce bateau nous ne nous reverrons plus jamais. Déglutissant, je soupire discrètement et prend une longue gorgé de ma bière alors que mon père me demande si la cérémonie se déroulera à Brisbane.  «oui » dis-je en hochant la tête  «On ne sait pas encore exactement où, mais on finira bien se mettre d'accord » assurais-je doucement.

Me passant une main dans les cheveux, je me recule contre le dossier de la chaise et délie un peu mes épaules, mon regard se fixant sur le bout de ma canne à pêche  « Parle moi un peu de Soo et Mila» lui demandais-je finalement afin de changer le plus vite possible de sujet et cesser tout ce malaise qui vient de s'installer entre nous.

Si j'ai toujours accepté ce pan de ma vie, je dois avouer qu'aujourd'hui, je me rends réellement compte à quel point l'homosexualité peu être perçue comme négative. Et surtout combien ça peut m'affecter, moi, si quelqu'un comme Antone me juge là-dessus. Je ne le connais pas encore, ce géniteur, et pourtant, je sais déjà, maintenant que j'aurais beaucoup de mal s'il venait à ne pas accepter mon orientation sexuelle. Toutefois, il finit par faire un trait d'humour avant de changer de sujet, montrant autant le fait que le sujet de mon amour pour un autre homme le dérange, que pour pouvoir passer à autre chose. C'est donc avec plaisir que je l'écoute m'expliquer une technique particulière avec la canne à pêche et que je la copie avec le plus grand soin, avant que le calme ne revienne.

C'est à ce moment-là que je lui demande de me parler un peu de Soo et Mila, mes demi-sœurs biologiques. D'après Antone, elles sont très différentes l'une de l'autre, Soo étant la coréenne introvertie et Mila le volcan italien. Avec un sourire amusé, je me retourne vers l'océan et observe le large, alors que mon père prononce encore deux autres noms : Doumée et Mae. Fronçant légèrement les sourcils, je me retourne vers lui et l'interroge du regard «C'est qui ça ? » Demandais-je, curieux «Ah et d'ailleurs, est-ce que tu as des animaux de compagnie ? Parce que j'ai une chienne qui a 9 ans et je suis en phase d'adopter un chiot » expliquais-je «Et évidemment, Moana me suit partout. Sauf sur les bateaux parce qu'elle non plus elle n'aime pas l'eau » je souris doucement « Du coup, en m'acceptant dans ta vie, tu devras aussi accepter ma chienne » et il n'a clairement pas le choix pour le coup.