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"Nan, pas la peine de lui demander. J’ai pas encore envie d’essuyer un regard de chien battu, merci. C’est une fête, pas un enterrement." Laila fronça les sourcils, terminant au goulot la fin de sa bouteille de soda, quand son regard se posa sur un de ses mécaniciens qui s’était placé en chef de la discussion qui se jouait à bâtons rompus dans la salle de pause. L’absence prolongée d’Ezra était une bonne opportunité pour elle de démontrer quel genre de patronne elle était vraiment, elle qui avait tendance à le laisser gérer les conflits et le reste par pure commodité — par superstition aussi —, pas très à l’aise à l’idée de mettre son grain de sel là où elle n’avait pas son mot à dire "Hey, vous parlez de quoi là." Une façon bien polie de savoir de qui ils parlaient en vérité. La réponse à sa question, elle la récolta sans avoir besoin de faire trop dans l’abus de pouvoir. Au passage, elle gagna une invitation à un barbecue qui aurait lieu pour l’anniversaire de mariage de l’un des mécaniciens. D’après eux, elle était de bonne compagnie, elle savait rire, et elle avait une bonne descente en plus, ce qui ne gâchait rien quand il fallait gagner en crédibilité auprès de la gent masculine; elle avait toujours aimé ça ici, le fond profondément convivial de l’affaire qu’avait monté son oncle, il y avait des années de ça, et qu’Ezra avait su faire perdurer sans trop de mal en la reprenant quelques années plus tard. Elle s’obstinait à vouloir que ça reste, elle aussi, elle n’aimait pas se dire que ses employés venaient bosser par obligation, même s’il fallait être honnête, un travail était par définition rien d’autre qu’une obligation pour mener une vie relativement sereine. Elle estimait que se sentir bien sur son lieu de travail, là où on passait parfois plus de temps que chez soi, c’était d’une importance capitale; alors elle ne refusait jamais d’organiser des soirées, elle ne refusait jamais de participer à celles que ses mécaniciens mettaient en place, ça permettait de créer une connivence saine, une ambiance qui l’était tout autant. Du coup, quand on lui révéla que dans l’équipe, il y avait un mouton noir, elle se retrouva à ronger son humeur en se disant qu’elle réglerait ce problème plus tard et en mit en garde les gars pour qu’ils arrêtent de considérer que c’était fun de prendre en grippe quelqu’un qui se tenait en retrait. Mais dans le fond, elle les comprenait un peu, et ça la contraria passablement qu’Hunter soit la cible toute désignée d’une campagne d’ostracisme qu’elle ne trouvait pas tellement justifiée malgré tout.

"Hey." Elle avait attendu la fin de la journée pour l’approcher "Je peux te parler juste quelques minutes? Ce sera pas long, je sais que tu pars rapidement après avoir terminé tes heures." Elle était observatrice, et il avait fait ses preuves depuis l’été dernier. Discret, il l’était, c’était une certitude, et finalement elle se demanda si elle avait déjà entendu le son de sa voix. C’était l’occasion de le vérifier.
Elle croisa les bras sur sa poitrine découverte de la combinaison qu’elle portait quand elle bossait, laissant son bronzage naturelle trancher avec le blanc laiteux de son débardeur et posa son regard brun sur le visage du jeune homme "Les gars organisent un barbecue à la fin du mois. C’est les quinze ans de mariage de Josh, il a envie de les célébrer en grandes pompes." commença-t-elle, prenant la température avant d’entrer dans le vif du sujet, ses lèvres se serrant un court instant, ses paupières se plissant, pour mieux reprendre quelques secondes après "Tu devrais venir, ça pourrait te faire du bien." Elle ne pouvait pas se targuer savoir ce qui lui ferait du bien en tant qu’homme, elle pouvait en revanche lui souffler l’idée que s’impliquer davantage dans la vie de l’entreprise, ça le rendrait sûrement moins inaccessible. Remuant pour décroiser les bras, ses pieds shootant dans quelque chose d’invisible pendant que ses yeux harponnèrent les siens, elle lui sourit pour lui faire comprendre qu’elle ne l’acculait pas "C’est pas obligatoire. Mais tout le monde a remarqué que t’as tendance à rester très en retrait, et je me suis dit que t’osais peut-être pas parce que t’es arrivé récemment." Elle opina du chef pour valider ce qu’elle venait de dire, et se rendit compte que c’était difficile de deviner ce qu’il pensait à ce moment-là; alors elle prit le partie de le laisser s’exprimer, finissant par fourrer ses deux mains dans les poches arrières de sa combi, la tête légèrement inclinée sur le côté.

5 mars 2022. Toujours à l’heure malgré ses nuits clandestines, Hunter était systématiquement à son poste au Mecanor. Il lui arrivait parfois d’arriver les yeux pas vraiment en face des trous mais il était toujours présent – sauf la fois où il s’était fait agresser, il avait mis quelques jours avant de revenir au garage mais son état physique avait suffi pour justifier de son absence. Il avait dit qu’il s’était fait agresser, il n’avait pas précisé ni quand ni les réelles raisons de cette agression mais soit, son état avait été si impressionnant que personne n’avait osé poser de questions. Le jeune homme parlait très peu en règle générale de toute façon donc aucun de ses collègues n'avait voulu en savoir plus. Personne ne s’intéressait à lui ici, et au fond c’était une situation qui l’arrangeait bien. Il avait un autre business à côté qui l’empêchait de s’investir concrètement dans une relation de « collègues ». Il n’avait pas envie de devoir justifier de ses absences lors d’afterwork en tout genre – en gros, valait mieux pour lui ne pas être invité et jusqu’ici il s’en sortait plutôt bien.

« Hey. » Hunter leva la tête pour voir Laila débarquer. Avait-il fait une connerie ? « Je peux te parler juste quelques minutes ? Ce sera pas long, je sais que tu pars rapidement après avoir terminé tes heures. » Oui, parce qu’il n’avait pas que ça à faire en fait, il acquiesça d’un mouvement de temps, après tout il n’avait pas de raison de refuser. Hunter n’était pas très loquace, tout le monde avait l’habitude maintenant. A vrai dire, le jeune homme n’avait pas toujours été comme ça mais la vie avait fait qu’il avait traversé des épreuves qui l’avait entraîné à se renfermer sur lui-même… Il s’arrêta finalement dans ses rangements, mettant son chiffon sur l’épaule et la fixant, signe pour lui faire comprendre qu’il l’écoutait – maintenant. « Les gars organisent un barbecue à la fin du mois. C’est les quinze ans de mariage de Josh, il a envie de les célébrer en grandes pompes. » Il ne voyait pas où elle voulait en venir et ne pouvait pas cacher son incompréhension – son visage exprimait son manque d’intérêt dans cette information, espérant qu’elle développe pour qu’il y trouve enfin quelque chose à dire. « Tu devrais venir, ça pourrait te faire du bien. » Me faire du bien ? se répéta-t-il, avait-il bien entendu ? Il avait envie de rire mais se retint, son visage venant s’étirer dans un simple sourire mi-gêné mi-amusé. « C’est pas obligatoire. Mais tout le monde a remarqué que t’as tendance à rester très en retrait, et je me suis dit que t’osais peut-être pas parce que t’es arrivé récemment. » Encore heureux que ce n’était pas obligatoire. Il sentait son regard sur lui, et avait l’impression d’être pris au piège. Jusqu’ici les mecs de l’équipe l’avaient laissé tranquille, et Hunter s’en fichait bien de ce qu’ils pensaient de lui mais apparemment Laila avait envie de livrer une bataille pour l’intégrer au groupe. « C’est gentil de t’inquiéter, mais Josh ne m’a pas invité, et je pense qu’il a ses raisons. Comme j’ai les miennes de refuser aussi ton… invitation… ? » le dernier mot étant dit avec hésitation, ne comprenant pas pour quoi c’était elle qui lui proposait de venir en réalité. « J’suis pas du genre à mélanger travail et vie privée. » confia-t-il finalement s’appuyant contre une table à roulettes. Il sentait arriver les reproches de Miss Ferrer qui allait encore revendiquer les valeurs du garage familial. Il avait déjà cru comprendre qu’elle était fière du Mecanor, et des valeurs qu’il promulguait. Toutefois, il ne pouvait pas lui mentir et faire semblant, même s’il avait envie de venir, il n’aurait pas pu au vu de ses activités nocturnes qui – elles – étaient obligatoires.
 

HRP:

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Elle aurait peut-être dû commencer par lui dire qu’elle n’avait rien à lui reprocher à propos du travail qu’il fournissait chez Mecanor, ça lui aurait sans doute évité de se comporter comme s’il avait un balai profondément enfoncé dans le derche. Chacun sa façon d’envisager son rapport aux autres, seulement Laila avait tendance à faire un pas en arrière quand elle sentait l’hostilité pointer. Elle ne se faisait pas confiance, et elle se savait doté d’un sens de la répartie qui, dans certaines situations, pouvaient lui causer du tort. En d’autres termes, elle avait appris à mordre, c’était un truc qu’elle avait acquis grâce à la propension de son paternel à lui sauter à la gorge dès qu’elle disait un mot de travers, encore qu’elle était la moins téméraire de sa fratrie, mais elle avait eu ses moments de rébellion, dont un en particulier qui lui avait coûté toute la fierté que ses parents avaient pour elle à une certaine époque. Sans doute qu’elle aurait dû le remercier pour ça, pour cette faculté qu’il lui avait donné de se débattre quand elle était prise dans les flammes, sauf que ce n’était pas le moment, et tandis qu’elle prenait les choses avec douceur et courtoisie, elle devait admettre que le petit ton condescendant de Hunter, il lui passa dans tout le corps comme un onde électrique à laquelle elle ne réagit pas autrement qu’un levant très furtivement les sourcils.

OK, Lai, prends le temps de souffler, qu’elle se récita en espagnol dans sa tête avant de l’incliner un peu plus, expirant discrètement pas le nez quand enfin elle se décida que c’était la bonne occasion pour remettre les barres sur les t "Je viens en paix, Hunter." qu’elle commença avec un sourire rentré, son regard pointé dans sa direction "Je crois pas t’avoir pris de haut, je crois même avoir été plutôt sympa avec toi jusqu’ici. Le respect, c’est un échange de bon procédé; je te parle correctement, tu fais la même chose… le sourire, c’est en option, mais ce serait apprécié." Pourquoi il avait fallu qu’Ezra soit lui aussi sous le joux d’une malédiction à la con, qu’elle pensa brièvement, retirant ses mains des poches de sa combinaison pour les passer dans les mèches brunes qui lui dégringolaient sur les épaules. Elle les coina derrière ses oreilles, prit une inspiration plus profonde en le faisant. C’était lui d’habitude qui faisait ce genre de trucs, et il était plus doué qu’elle; ou alors, c’était derrière cette conviction qu’elle basait sa crainte de passer pour une imposteur auprès des gars de l’équipe, mais passons sur le sujet. En attendant, elle n’avait jamais autant regretté son partenaire en affaires qu’à ce moment précis, et le regard qu’elle échangea avec leur employé ne fit qu’accentuer son envie qu’il soit là, surtout lorsqu’il leva le voile sur un secret de polichinelle.
Il n’était pas du genre à mélanger travail et vie privée "J’avait remarqué." Une réponse qui lui valut un autre sourire, plus furtif, qu’elle ne tarda pas à accompagner de quelques mots qu’elle prononça en croisant les bras sur sa poitrine "Et je le comprends. Seulement, ce n’est pas un garage franchisé ici, c’est une entreprise familiale." Tout le monde connaissait l’histoire, elle savait déjà qu’elle récolterait probablement un roulement d’yeux de la part du jeune homme à la seconde où elle poursuivrait son laïus; ça ne l’empêcha pas de le faire "On se doit d’être performant pour nos clients, mais c’est aussi important de faire un effort pour entretenir un minimum de rapport avec tes collègues. Je te demande pas de devenir meilleur pote avec eux, mais au moins ne pas donner l’impression que tu viens bosser avec la corde au cou, ce serait un bon début." Tant pis pour le barbecue, c’était l’intention sous-jacente de ses paroles qu’elle stoppa un instant, pour mieux les reprendre quand ses paupières se plissant pour mieux faire le point sur Hunter, elle ajouta "Si quelque chose te convient pas ici, t’as le droit d’en parler. Je sais pas ce qui te pousse à rester autant sur la réserve, mais que ce soit Ezra ou moi, on fait tout pour que nos gars se sentent bien au garage." C’était un point qu’elle voulait qu’il entende, une manière aussi de lui tendre une perche s’il avait des griefs contre ses patrons. Laila l’invitait à lui en parler pour régler le souci; parce que vu son attitude, il devait sûrement y en avoir un, non?

Spoiler:

5 mars 2022. Hunter n’était pas très bavard, encore moins en terrain inconnu. Et même si le garage du Mecanor devrait maintenant être un terrain familier pour le mécanicien, au vue de ses activités, il préférait ne pas développer d’atomes crochues avec qui que ce soit dans le coin. Il n’était pas condescendant ou hautain, quand on le connaissait, on ne prendrait pas ses adjectifs pour le qualifier. Peut-être était-ce le fait qu’il se montre discret ou son comportement peu loquace envers les autres qui donnait l’impression à Laila d’être en terrain hostile. Pour le mécanicien, ce n’était pas le cas, il trouvait sa démarche gentille mais irréaliste. Il n’irait pas à ce pot car il savait très bien qu’il n’était pas le bienvenu et que de toute façon, il n’aurait pas le temps de s’y rendre. Ni même l’envie, mais ça il ne le préciserait pas. « Je viens en paix, Hunter. » Et il n’avait jamais dit le contraire, il fronçait les sourcils à cette remarque ne comprenant pas pourquoi elle disait cela. « Je crois pas t’avoir pris de haut, je crois même avoir été plutôt sympa avec toi jusqu’ici. Le respect, c’est un échange de bon procédé ; je te parle correctement, tu fais la même chose… le sourire, c’est en option, mais ce serait apprécié. » Hunter n’en revenait pas de ce qu’elle était en train d’insinuer. « Mmh, tu peux me dire à quel moment je n’ai pas été sympa là ? » demanda-t-il, complètement ahuri de cette remarque. Il avait tout de même le droit de refuser son invitation, et il trouvait qu’il l’avait dit de manière plutôt polie alors il ne comprenait pas pourquoi elle prenait la mouche de la sorte. Il avait même dit qu’il trouvait sa démarche ‘gentille’, mais qu’il préférait refuser. Pour le coup, il ne comprenait pas la réaction de la jeune femme, mais soit, il continua en s’expliquant que de toute façon il ne préférait pas mélanger travail et vie privée. « J’avais remarqué. » souffla-t-elle, alors que Hunter posait ses yeux sur elle, il était appuyé contre la petite table, se demandant à quelle sauce allait-elle le manger maintenant… « Et je le comprends. Seulement, ce n’est pas un garage franchisé ici, c’est une entreprise familiale. » Ok, il allait se prendre un sermon maintenant. « On se doit d’être performant pour nos clients, mais c’est aussi important de faire un effort pour entretenir un minimum de rapport avec tes collègues. Je te demande pas de devenir meilleur pote avec eux, mais au moins ne pas donner l’impression que tu viens bosser avec la corde au cou, ce serait un bon début. » Il soupira de cette remarque. Jusqu’ici il n’avait pas eu de problèmes, à l’époque Ichabod l’avait conduit jusqu’ici et Ezra avait approuvé son embauche, et il était très bien jusqu’à ce que Laila décide qu’il fallait apparemment échanger des banalités et boire des bières entre collègues pour être forcément performant dans son job. « Si quelque chose te convient pas ici, t’as le droit d’en parler. Je sais pas ce qui te pousse à rester autant sur la réserve, mais que ce soit Ezra ou moi, on fait tout pour que nos gars se sentent bien au garage. » Il croisa les bras finalement, en se redressant. « Je sais pas ce qui te dit que je ne me sens pas bien ici. Je ne me suis jamais senti aussi bien dans un taf. » Et ça c’était parce qu’on ne le faisait pas chier jusque-là. « Je pense être un bon élément. Les mêmes gars dont tu me parles, n’hésitent pas à venir me voir pour que je prenne leur place quand ils ont besoin d’aller chercher leur mioche plus tôt à l’école ou parce qu’ils ont entraînement de foot une fois sur deux. » dit-il de manière plutôt directe, faisant comprendre qu’il était là pour ses collègues quand ils avaient besoin de lui et qu’il s’en plaignait jamais parce que Hunter aimait mettre la main dans le cambouis que ça lui changerait de son autre job où il devait être beaucoup plus sérieux et rigide. « Ce n’est pas parce que je n’ai pas envie d’aller boire des verres avec des quadragénaires un vendredi soir, que je suis un paria. » finit-il par ajouter d’un ton plus neutre et contrôlé. Il préférait faire passer sa discrétion pour un gap générationnel plutôt que de dire la vérité. « Je sais être là pour les gars, et ils me le rendent bien en évitant des invitations gênantes qu’ils savent que je refuserai. » Il dit cela avec un petit sourire presque amusé, lui faisant comprendre qu’il n’y avait pas de mal à être polie comme elle l’avait fait, mais qu’il n’accepterait probablement jamais ce genre de petits événements entre collègues.
 

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Penchant la tête sur le côté quand il releva sa mise en garde, Laila se dit qu’elle ne rentrerait pas dans ce jeu-là. Il avait passé le stade de se faire remonter les bretelles par plus âgés que lui, et si elle avait eu l’instinct maternel, sûrement qu’elle aurait tout fait pour lui essuyer le lait qu’il avait encore au bout du nez. Mais ce n’était pas le cas ; elle était sa boss, celle qui était en droit de lui demander gentiment de faire des efforts quand elle sentait des tensions dans l’équipe. Et il y en avait, que croyait-il ? Peut-être que le fait qu’il s’obstine à rester en dehors du cadre des relations tissées au sein de Mecanor l’empêchait de s’en apercevoir, le rendant tout juste capable de se bercer de douces illusions quant à l’image que les autres avaient de lui, elle ne saurait le dire. Quelque part, ça lui fit un peu de la peine qu’il puisse penser que tout le monde appréciait sa discrétion. Si c’était le cas, elle ne serait pas intervenue auprès des gars pour leur demander d’y aller mollo sur les qualificatifs le concernant et elle ne se serait pas sentie obligée non plus de venir le trouver pour lui faire entendre que ce serait chouette qu’il s’investisse. Une bonne action de plus qui lui revenait à la gueule. Si elle n’avait pas été aussi catholique, elle aurait fait en sorte que tout ce beau monde se débrouille par leur propre moyen pour régler leurs histoires. Mais parfois, c’était comme si la croix qu’elle portait autour du cou la brûlait trop fort pour qu’elle ne soit pas tentée de jouer à l’enfant de chœur. Une fois sur deux, elle finissait par le regretter, et c’était le cas à cet instant précis.

Elle leva les deux mains devant elle encore, charmante vandale prise sur le fait accompli. Elle ne forcerait la main de personne. Elle pourrait lui faire remarquer qu’il se faisait une fausse idée de l’avis des autres employés sur son compte, le faire redescendre de son piédestal d’introverti pour lui faire remarquer que s’ils étaient sympas avec lui, les autres, c’était justement parce qu’il ne rechignait pas à se faire berner pour gratter des heures en moins. S’il faisait des efforts pour apprendre à les connaître, il s’apercevrait qu’ils n’étaient pas tous honnêtes, surtout quand ils avaient l’impression d’être pris de haut. Seulement, elle avait appris à ne pas briser les illusions d’autrui, c’était devoir en porter trop sur les épaules, et la vérité c’était qu’elle était pétrie de bonnes choses, c’était une certitude, mais qu’elle était avant tout constituée d’une lâcheté inéluctable. Elle la bouclerait sur ce sujet. Pas sur le reste "C’est bon à savoir." fit-elle simplement, haussant les épaules en gardant sa posture "A te voir, je pensais que ça répondait pas à tes attentes ici, alors je suis contente que ce soit pas le cas." Les mains toujours levées devant elle, elle finit par les baisser pour poursuivre "J’ai jamais utilisé le mot paria. Mais très bien, j’entends tes arguments. Tant pis pour le barbecue." Elle ne se battrait pas non plus. Elle avait d’autres chats à fouetter. Elle aurait pu souligner qu’il y avait de ça une demi-heure, les gars étaient en train de littéralement se foutre de sa gueule en prétendant ne pas l’inviter parce qu’ils ne tenaient pas à plomber l’ambiance. Mais soit. Avec un sourire, elle pivota sur ses deux pieds pour aller voir ailleurs si elle était.
En mi-chemin, elle fit un vaporeux tour sur elle-même, ses sourcils se fronçant quand elle songea à quelque chose qui lui fit claquer des doigts pour accompagner son illumination. Elle lui demanda à distance, tournée de nouveau vers lui "J’ai bien compris que c’était pas ton truc de sociabiliser, mais ce serait quand même une bonne chose qu’Ezra sente qu’on est tous derrière lui en ce moment." Sur ça, elle pouvait insister en revanche. Sa place, il la lui devait, il pouvait bien faire ça pour lui après tout "Si ça te demande trop d’effort d’aller lui rendre visite, pas de soucis. Mais on va sûrement se cotiser pour lui offrir un petit truc qui le reboostera quand il sortira de l’hôpital. Pas grand-chose, mais c’est le geste qui compte." Ne pas être sociable n’avait rien à voir avec la radinerie, mais qui savait vraiment ce qui remplissait le corps dégingandé surplombé d’un air impénétrable qu’elle observa de là où elle était.

5 mars 2022. Hunter ne cherchait aucunement à tisser des liens avec ses collègues, et il avait de très bonnes raisons de ne pas le faire mais ce n’était pas quelque chose qu’il pouvait dire pour sa défense. Il était tout de même surpris de l’effort que mettait Laïla à vouloir l’intégrer au sein du groupe. De toute manière, il n’était pas fait pour s’entendre avec ces gens-là, il n’en avait pas envie et il s’en fichait bien qu’on l’apprécie ou non tant qu’il faisait son taf, et qu’il le faisait bien, il n’avait rien à se reprocher. Mais Hunter fit tout de même l’effort de répondre avec diplomatie, il n’avait pas envie que la jeune femme face à lui le prenne en grippe pour autant. Il lui faisait juste comprendre que les collègues qu’elle mentionnait appréciaient vraiment venir le solliciter quand ils en avaient besoin, donc à l’avenir, ils devraient arrêter de cracher dans la soupe qu’ils mangeaient.

Qu’on l’apprécie ou non, la vie de Hunter n’allait pas changer. Il était loin de se dire que tout le monde l’appréciait ici, bien au contraire. Il était conscient qu’il était discret, peu investi dans la cohésion de groupe, et c’était très bien ainsi. « C’est bon à savoir. » Laïla ne semblait pas très convaincue parce qu’il disait mais il ne cherchait pas à la convaincre, juste à lui faire comprendre que les gars qui semblaient cracher sur lui, étaient les mêmes qui venaient lui demander des services chacun leur tour. « A te voir, je pensais que ça répondait pas à tes attentes ici, alors je suis contente que ce soit pas le cas. » Il fronçait les sourcils, comprenant qu’elle émettait un jugement sans le connaître. « J’aime les bagnoles, j’aime me salir les mains, et en plus de ça je suis payé à la fin de chaque semaine. Ça répond plus qu’à mes attentes, même. » dit-il d’un ton détaché, car il n’avait littéralement aucune attente, puisque c’était quelqu’un qui était venu le débaucher pour qu’il travaille ici, mais il n’avait pas à se plaindre, c’était ce qu’il voulait dire par là. « J’ai jamais utilisé le mot paria. Mais très bien, j’entends tes arguments. Tant pis pour le barbecue. » Et il n’avait jamais dit qu’elle avait dit ça, Hunter soupirait. Il était désespéré de ce dialogue de sourds et ne voulut en aucun cas prolonger cette conversation alors il la laissa tourner les talons. Il se redressa sans pouvoir s’empêcher de se demander ce qui venait de se passer… Et il n’eut le temps de trouver une réponse qu’elle était à nouveau face à lui, quelques mètres plus loin, il se stoppa net dans son élan pour la regarder. « J’ai bien compris que c’était pas ton truc de sociabiliser, mais ce serait quand même une bonne chose qu’Ezra sente qu’on est tous derrière lui en ce moment. » Il hochait la tête, sentant à nouveau le vent des sermons tourner vers lui. « Si ça te demande trop d’effort d’aller lui rendre visite, pas de soucis. Mais on va sûrement se cotiser pour lui offrir un petit truc qui le reboostera quand il sortira de l’hôpital. Pas grand-chose, mais c’est le geste qui compte. » Hunter était désespéré du ton désobligeant que Laïla employait envers lui, cet air supérieur dont elle n’arrivait pas à se détacher malgré les tournures sucrées qu’elle utilisait pour enrober ses critiques. « Ezra me dit à peine bonjour quand il passe au garage, je ne suis même pas sûr qu’il sache comment je m’appelle. Donc, je ne suis pas sûr qu’il apprécierait que je vienne le voir à l’hôpital comme tu le suggères. » dit-il dans un premier temps pour essayer de lui remettre les idées en place. Hunter avait à l’époque géré son arrivée avec Ichabod, Ezra n’avait qu’approuver son embauche, et depuis Hunter ne lui jamais réellement parlé alors ce que Laïla suggérait là paraissait aberrant. « Mise à part ce détail, je te laisserai une enveloppe dans ton casier avant de partir ce soir, je dois avoir du cash dans mon sac. » dit-il finalement d’un ton plus serein, et même qu’un sourire vint égayer son visage pour essayer d’apaiser les tensions qui semblaient y avoir entre eux deux. Ils ne se comprenaient clairement pas mais au moins l’un et l’autre faisait l’effort de ne pas se jeter l’un sur l’autre pour s’étriper à coup de clés de douze.
 

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Autant garder son calme quand on l’attaquait sur ses intentions, c’était facile à faire et lui demandait assez peu d’effort finalement, autant quand on remettait en doute celles de son associé, elle ne pouvait rester impassible. Ezra était allé à bonne école, il avait bossé avec Andrea au point d’en devenir un patron à son image, c’est-à-dire disposé à écouter ses employés, aussi passionnés par son métier que l’avait été son mentor. Que Hunter ne soit pas du genre à faire dans le relationnel, c’était un fait qu’elle accepterait sans faire plus d’effort à l’avenir pour l’inclure dans les échanges des employés du garage, en revanche qu’il puisse se montrer aussi peu reconnaissant en prétendant qu’Ezra ignorait jusqu’à son prénom, le rendant coupable de n’être qu’un énième patron qui n’était là que pour ramasser le fric, c’était une limite qu’elle n’appréciait pas qu’il dépasse.
Elle carra ses mâchoires sans en avoir l’air, toujours à distance du jeune homme qu’elle toisa très brièvement pour enfin s’arrêter sur l’expression qu’il lui renvoyait et qui suintait la complaisance "En attendant, c’est tout de même lui qui signe ton chèque de salaire à la fin du mois." lui fit-elle remarquer avec une pointe de désapprobation dans le regard, tenant à lui faire comprendre sans le brusquer malgré tout que, peut-être, s’il n’était pas aussi condescendant quand on s’adressait à lui, chacun aurait plus d’entrain à lui tendre la main. Encore fallait-il qu’il la saisisse, et elle avait compris que ce n’était pas dans ses intentions, alors pourquoi s’acharner, vraiment ?

Qui plus est, Ezra ne passait pas au garage, Ezra était un mécanicien comme tout le monde ici ; il travaillait autant, si ce n’était plus d’ailleurs, que le jeune homme qu’elle avait en face de lui… en témoignait son accident d’ailleurs qui avait très certainement dû passer au travers de l’armure de Hunter tant il donnait l’impression de se ficher comme d’une guigne de ce qui pouvait bien arriver aux gens qui constituaient son équipe de travail. Ça, plus que tout le reste, ça la gêna, qu’il puisse émettre ce genre de commentaires aves l’air aussi stoïque, comme s’il faisait une faveur à tout le monde en bossant ici ; il n’était pas le meilleur élément, aussi faire preuve d’un peu d’humilité ne lui aurait pas fait de mal. Mais encore une fois elle préféra ronger son frein et ne rien ajouter d’autre que "Il va être absent pendant un sacré bout de temps. C’est pas un petit accident qu’il a eu, c’est une question de plusieurs mois pour qu’il retrouve l’usage de ses jambes." l’informa-t-elle pendant que ses sourcils pour marquer par avance l’emphase sur la phrase qu’elle termina sur le même ton "Un peu de compassion, tu crois que c’est dans tes cordes, ou je t’en demande trop là encore ?" Elle ne pouvait pas s’en empêcher, de paraître polie alors qu’elle n’avait qu’une seule envie, lui dire de prendre ses affaires et de se tirer pour travailler sur son attitude et se montrer un peu plus coopératif.
Voilà pourquoi elle préférait qu’Ezra se charge de cet aspect de leur entreprise, voilà pourquoi elle se retirait doucement du tableau quand il s’agissait de faire entendre sa voix de patronne : il y avait des attitudes, comme celles de Hunter, qui lui donnait envie de tout envoyer valser et de n’être qu’une employée lambda, assez sympa pour qu’on l’apprécie, assez travailleuse pour qu’elle se sente utile. Elle retint sa respiration quelques secondes, le temps que le jeune homme termine sa deuxième salve de réponse, et qu’elle se retrouve à hocher la tête "Merci pour lui." A quoi bon saupoudrer le tout de reproches quand on finissait par accepter à la fin ? Si elle n’avait pas autant envie de tourner les talons, elle aurait certainement roulé des yeux. Au lieu de quoi, elle soupira dans ses pensées, ses épaules se baissant quand elle relâcha la tension qui y était logée et qu’elle ajouta "Je mettrais ton nom sur la carte, si ça peut l’aider à le mémoriser." Une pique qu’elle laissa en suspend en lui rendant son sourire comme si de rien "Je suppose que c’est le moment où je te souhaite une bonne soirée ?" Elle le lui demanda sans intention de le faire pourtant, le gratifiant seulement d’un nouveau mouvement de tête qui se perdit dans le tourbillon qu’elle fit pour se remettre dans le sens de la marche.

5 mars 2022. Cette conversation tournait autour du passif agressif et c’était le genre de choses que Hunter gérait très mal. La jeune femme face à lui avait décidé de comprendre tout de travers, et si Hunter s’en fichait bien de ce qu’on pensait de lui, il sentait pourtant dans ses réponses que Laïla ne comptait pas lâcher l’affaire. « En attendant, c’est tout de même lui qui signe ton chèque de salaire à la fin du mois. » Il soupira, à ses mots, il comprit encore une fois qu’elle était piquée dans son égo et qu’elle avait une nouvelle fois compris tout de travers. « Va falloir que t’arrêtes de comprendre tout de travers. Je n’ai rien contre Ezra, bien au contraire, je lui dois beaucoup, c’était juste une manière de parler. » Une manière de dire que Hunter se faisait tellement discret, exprès, afin que personne ne le remarque car il n’avait pas envie de se justifier sur des choses louches qu’il pouvait vivre à côté.

« Il va être absent pendant un sacré bout de temps. C’est pas un petit accident qu’il a eu, c’est une question de plusieurs mois pour qu’il retrouve l’usage de ses jambes. » Hunter ne savait rien de ce qui était arrivé au patron du Mecanor, personne ne lui avait dit, hormis le fait qu’il était à l’hôpital, le dealer n’avait pas posé plus de questions car pour lui, ça relevait de la vie personnelle. « Un peu de compassion, tu crois que c’est dans tes cordes, ou je t’en demande trop là encore ? » Il soupira, levant les yeux au ciel, c’était trop. Elle forçait beaucoup trop là, et aurait mieux fait de continuer à marcher en direction de la sortie. « De la compassion, j’en ai. Quand je suis au courant des choses. Je n’ai pas posé plus de questions au sujet de Ezra, car je ne suis pas proche de lui, je suis son employé et que pour moi, ça relève de la vie perso. Et comme tu peux le voir, je suis du genre à apprécier qu’on respecte ma vie privée, donc j’essaye de ne pas être trop intrusif en posant des questions sur la vie privée des autres. » conclut-il en croisant les bras, il était sur la défensive car à présent, Laïla avait poussé le bouchon trop loin alors il se sentait obligé de se justifier. « Merci pour lui. » Elle n’avait pas envie de faire des efforts, son ton la trahissait. « Je mettrais ton nom sur la carte, si ça peut l’aider à le mémoriser. » Il acquiesça avec un simple sourire, ne voulant pas réenchérir, il fallait bien que l’un des deux soit plus malin que l’autre. « Je suppose que c’est le moment où je te souhaite une bonne soirée ? » « Bonne soirée cheffe. » lança-t-il finalement avec un grand sourire, il finit par secouer la tête, un peu exaspéré de cette conversation. Il ne savait pas pourquoi mais il sentait qu’elle allait adorer être sur son dos.