La lecture de la lettre l'avait laissé sans voix, lui qui ne parlait déjà pas beaucoup en temps ordinaires. Sonné, il avait lu et relu l'écriture en pattes de mouche de Judy sans pouvoir s'empêcher de penser à tous ces détails glauques que la culpabilité avait fait naître en lui à l'instant même où il avait appris la nouvelle : Chapman avait tenté de se suicider. Il n'avait pas pleuré, n'avait pas crié, n'avait rien extériorisé du tout. Froid comme une brique, Jackson s'était contenté de se rendre au dojo et de déverser sa rage contre son sac de frappe habituel, celui qu'il finirait par avoir à rembourser à l'établissement tant il participait à son usure prématurée, de jour comme de nuit, en semaine comme en week-end. Cela lui avait pris des heures avant d'enfin sentir l'étau se desserrer un peu autour de sa poitrine mais l'épuisement physique avait ses limites et, bientôt, Mills s'était rendu compte que vider son corps de toute son énergie ne suffirait pas à venir à bout des maux qui lui rongeaient l'esprit.
Il avait longtemps hésité à contacter Joy, préférant dans un premier temps attendre de savoir si l'état de Judy était stable, si elle était tirée d'affaires. Puis il s'était mis à réfléchir de son côté, tournant et retournant le problème dans tous les sens, mettant à profit ses insomnies chroniques à la rédaction de solutions qui, selon lui, pourraient peut-être changer la donne ...
* * *
Au moment de pousser la porte du café, Jax laisse les souvenirs refaire surface. Il a l'impression que cela fait des siècles qu'ils sont venus ici tous les trois, Joy, Judy et lui (le '' J-Band '' comme l'adolescente se plait à les surnommer). A peine s'il se remémore le goût du burger qu'il avait pris ce dimanche là, après la boxe. Ce matin, ce n'est pas la faim qui l'amène en ces lieux, bien au contraire. Son estomac est noué par la conversation qui l'attend. A part quelques mots péniblement échangés avec Sofia à propos de sa difficulté à faire face à la réalité concernant Chapman, Jackson n'a rien verbalisé de son mal-être. Comme à son habitude, il s'est contenté de serrer les dents et d'encaisser mais s'il a donné rendez-vous à Joy dans ce lieu symbolique, c'est bel et bien parce qu'il va falloir en parler, de tout ça ...
Arrivé à la table qui fut la leur lors de leur brunch improvisé, Jax s'assied sur la banquette retro et dépose à côté de lui le dossier qu'il tenait sous le bras. L'horloge accrochée au mur indique 7h15. Petterson commence et termine ses gardes à des heures pas possibles, Jax ne sait même pas s'il doit s'attendre à la voir débarquer rincée de sa nuit ou fraîche comme une rose, prête à attaquer sa journée. Tout ce qu'il sait c'est que, en ce moment, il ne souhaite voir personne d'autre. La lettre laissée par Judy leur était adressée à tous les deux. Mills se sent lié à Joy par des liens plus profonds qu'il ne pourrait rationnellement l'expliquer. S'il parle, ce ne pourra être qu'avec elle.
☽ 27 février 2022. Quand Joy avait lu cette lettre, elle s’était écroulée au sol. Quand on l’avait bipé suite à l’entrée de Judy Chapman en urgences, le monde de Joy s’était écroulé. Parce qu’elle avait pris sous son aile cette gamine il y a plus d’un an maintenant. Elle s’était reconnue en elle, elle revoyait la Joy perdue et tourmentée qui en avait bavé pour en être là aujourd’hui. La brune avait dû passer par un centre de redressement avant de réussir à retrouver la voix de la raison. La résidence en chirurgie pédiatrique était aujourd’hui fière de son parcours malgré les gens qu’elle avait perdus sur la route, et les épreuves qu’elle avait dû essuyer sur le chemin. Elle avait aidé Judy, du moins c’était ce qu’elle avait cru. Sur cette longue bataille, elle avait rencontré Jackson qui l’avait également aidé à raisonner cette gamine. Ils s’étaient recroisés de nombreuses fois au Dojo depuis, et Joy savait que Judy était en contact avec le policier. Pour une fois, Joy arrivait à ne pas détester un flic, et c’était un miracle. Ce jour-là, elle avait pris son téléphone pour tenir au courant Jax, et elle savait que lui aussi serait profondément touché par cette nouvelle. Judy avait survécu, mais à contrario de ce qu’ils croyaient, elle était loin d’être sauvée…
Mills avait fini par lui donner rendez-vous dans le café où ils avaient échangé leur première conversation à propos de Judy des mois auparavant. Joy avait l’impression que c’était déjà une autre vie, que tout un livre s’était écrit depuis cette conversation. Elle avait bien entendu accepté de le voir, très tôt en matinée, ou bien en réalité très tard pour elle. Elle était sur le chemin du retour après une garde plutôt calme. Elle avait gardé son pantalon en toile bleu, et avait enfilé son t-shirt ainsi qu’un sweat-shirt noir de sport, ses cheveux étaient mixés dans un chignon en bataille, et malgré ses heures de garde enchaînée, sa mine était plutôt fraîche – ses yeux seulement marqués par le sommeil qui lui manquait. « Salut, Jax. » lança-t-elle pour s’annoncer alors qu’en s’approchant de lui, Joy avait bien remarqué qu’il était dans son monde, et ne l’avait même pas vu débarquer. Elle se faufila sur la banquette rétro face à lui alors que la serveuse arriva aussitôt. « Un jus d'orange. » lança-t-elle, puisque le café n'était pas recommandé à cette heure-là si elle souhaitait dormir en rentrant... tandis que Jackson commanda à son tour. La serveuse s’éclipsa aussi vite qu’elle était arrivée, et elle posa ses yeux sur l’agent fédéral. « Je ne te demande pas comment ça va. » dit-elle dans un sourire pincé, et un regard rempli de compassion. Les deux ne pouvaient que se comprendre.
« Salut, Jax. » C'était donc une fin de garde pour Joy qui se présentait à lui encore vêtue de son pantalon bleu, le chignon en bataille mais l'air bien moins fatigué que lui. Malgré les cernes kilométriques qu'il se traîne, Mills accorde à la jeune femme un signe de tête amical et commande un milkshake au moment où la serveuse pointe le bout de son nez. S'il ne s'en étonne pas, il déplore tout de même de constater à quel point il a perdu son enthousiasme, aujourd'hui. La dernière fois qu'on lui demandait ce qu'il désirait commander, il avait du faire un effort pour arrêter son choix et ne pas tout simplement répondre qu'il allait s'enfiler toute la carte jusqu'à épuisement des stocks.
« Je ne te demande pas comment ça va. » En guise de réponse, Jax commence par poser son front contre la table. Ni prière, ni capitulation, ce geste vise à illustrer l'état dans lequel il se trouve ; état qu'il ne saurait définir par des mots. Pourtant, après quelques secondes passées le nez collé au bois lustré, il finit par se redresser. « J'sais pas comment tu fais. » Admet-il, s'imaginant Joy parcourir les couloirs de l'hôpital, ce même sourire pincé aux lèvres, non pas parce qu'elle respire la joie mais parce que sa peine personnelle n'a rien à faire dans les chambres de autres patients qui, eux aussi, ont probablement entendu parler de la tentative de suicide de Judy. Avoir à feindre la joie, surtout lorsqu'on s'appelle Joy, lui semble si ironique ...
Depuis le drame, Mills a pris soin d'éviter le service pédiatrique à chacune de ses visites de contrôle. Pour se rendre dans le bureau du psy, il fait désormais un détour, tout comme il a préféré reporter son rendez-vous avec le neurologue afin de s'éviter le supplice de peut-être tomber sur un copain de Chapman dans la salle d'attente. C'est comme si le nom de l'adolescente était devenu tabou, comme si faire face à cette réalité violente était au dessus de ses forces parce qu'elle lui crache au visage toute l'ampleur de son échec. De leur échec. Son regard se plante dans celui de Petterson. Les mots lui semblent superflus et c'est plus par politesse que par réel envie de communiquer qu'il articule un « Merci. » à la serveuse lorsque cette dernière revient avec leurs commandes.
Pas vraiment inspiré par le milkshake dont la couleur rose barbie intriguerait en temps ordinaires son appétit aventureux, Jax se met à jouer avec sa paille. « Qu'est ce qu'on fait ? » On. Elle et lui. Eux. Les témoins privilégiés de ce naufrage contre lequel leurs coups de rame n'ont visiblement pas suffi. Eux, les adultes, les grands, les forts, ceux qui ont survécu à bien pire mais qui pourtant, aujourd'hui, ne sont rien de plus que deux cœurs blessés par le cruauté de la situation. « C'est tellement injuste, putain ... » Marmonne-t-il dans sa barbe, frustré et colérique.
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Dernière édition par Jackson Mills le Dim 27 Mar 2022 - 16:50, édité 1 fois
☽ 27 février 2022. La dernière fois qu’elle était venue ici remontait à plus d’un an le jour où elle avait rencontré Jackson. Elle s’occupait déjà de Judy et ce jour-là, Jax était venu l’épauler lors de son coaching au dojo. La brune avait apprécié sa bienveillance, et depuis, les deux adultes n’avaient cessé de se croiser et de se revoir toujours sous le prisme de l’adolescente. La résidente en chirurgie avait pris à cœur l’histoire de la petite Judy qui lui rappelait étrangement sa propre adolescence chaotique. Joy ne savait pas pourquoi le policier avait fini par s’enticher de cette histoire aussi, mais le soutien d’un autre adulte dans cette histoire l’avait plutôt aidé. Pourtant, aujourd’hui, ils se retrouvaient là suite à la tentative de suicide de la jeune Judy, et Joy avait l’impression que tout leur travail n’avait servi à rien. Ni l’un ni l’autre n’avait vu cet acte arriver. « J’sais pas comment tu fais. » Joy s’était installée face à lui, et elle posait un regard curieux sur lui, front contre la table. Elle comprenait qu’il parlait du fait qu’elle revienne de l’hôpital, et donc qu’elle travaillait. « Je n’ai pas vraiment le choix. » admit-elle, en plus de se dire que malheureusement, Judy n’était pas la seule qui avait besoin d’aide.
Elle croisa finalement le regard de Jackson, et c’était aussi poignant pour elle de lui faire face. Judy était ce qui les reliait tous les deux, et c’était comme faire face à son échec en étant là, devant lui aujourd’hui. « Merci. » Joy fit de même en un signe de tête, en rapprochant le verre vers elle. « Qu’est ce qu’on fait ? » finit-il par lancer, Joy détourna le regard vers la fenêtre, regardant la rue encore endormie. « C’est tellement injuste, putain… » Elle entendit ce commentaire qui faisait écho à ce qu’elle pensait aussi tout bas. « Déjà, on continue d’y croire. » dit-elle, concernant l’état de la jeune adolescente qui était encore à l’hôpital, plongée dans un coma artificiel. « Puis, que veux-tu faire d’autres ? On lui montre qu’on est encore là. Tu n’es pas venu la voir depuis… » Joy avait reposé ses yeux dans ceux du trentenaire, elle ne voulait pas le juger concernant son absence au chevet de Judy car elle comprenait à quel point c’était difficile mais elle voulait juste lui faire comprendre qu’il était important qu’ils se montrent présents pour elle, malgré tout. Ils ne la jugeraient jamais. Elle laissait sa phrase en suspend car elle ne voulait pas qu'il croie qu'elle le jugeait aussi, ce n'était pas le cas. Chacun gérait ce drame comme il pouvait, après tout, Joy était obligée de passer par cette chambre, elle y travaillait... Mais elle ne savait pas comment elle aurait réagi si elle avait dû y venir de son plein gré... Aurait-elle eu la force de le faire ? De faire face à son échec ?
« Déjà, on continue d’y croire. » Le mouvement de touillette qu'il impulse à la paille de son milkshake ralentit, preuve que les propos de Joy le poussent à la réflexion. Croire, c'est compliqué pour Jackson. Croire implique d'être optimiste, de miser sur le fait que les choses vont bien se passer. Tout ce qu'il ne fait plus depuis son accident. Ou, plutôt, tout ce qu'il ne faisait qu'en compagnie de Judy, car la gamine savait précisément comment réveiller en lui ce regard confiant sur le monde. La savoir branchée à une perfusion dans un lit de cette deuxième maison qu'est pour eux l'hôpital lui fout un cafard monumental. Mills a l'impression que la dernière allumette de son paquet se tient entre la vie et la mort tandis que lui joue les courants d'air. Joy le souligne d'ailleurs pertinemment et c'est avec culpabilité que Jax baisse les yeux, honteux, déçu de lui-même et, plus que tout, effrayé.
Rien n'y parait derrière ses airs de gros dur, ses expressions faciales toujours si froides et si imperméables, mais une montagne d'incertitudes et d'angoisse se tient de l'autre côté du masque. Avoir été formé pour refouler ses émotions et être capable d'agir en situation de crise ne suffit plus, aujourd'hui, car la victime de l'histoire n'est ni un suspect, ni un autre soldat ayant signé en connaissance de cause vis à vis des risques de la mission. Il n'y a d'ailleurs pas de mission qui vaille si ce n'est une vie gâchée par une accumulation de problèmes que personne sur cette terre ne pourrait souhaiter à une enfant. Depuis la lecture de la lettre, chaque fois que l'agent pense à l'adolescente, il n'y a que l'injustice et la peine pour le faire redouter le pire : et s'il pétait un plomb en la voyant allongée dans son lit ?
« J'peux pas y aller seul. » Avoue-t-il au milkshake, le regard plongé dans la mousse, la mâchoire si contractée qu'il n'est pas difficile de voir à quel point l'admettre lui coûte ... Jax se sait sur la corde raide. Tous ses collègues le lui ont dit ; Sparrow a même été jusqu'à appuyé l'importance de travailler sur son impulsivité, chose qu'elle se serait probablement abstenue de faire si les risques qu'il parte en vrille d'un moment à l'autre, rattrapé par plus d'un an de colère et de frustration, n'avaient pas été bels et bien réels. Se sentir dangereux et vulnérable à la fois, pour des raisons insidieusement mêlées, donne à l'agent une voix plus rauque lorsqu'il reprend, cherchant à nouveau le regard de Joy pour s'y accrocher et trouver le courage de demander de l'aide : « J'suis pas sûr de pouvoir encaisser ce coup là ... Tu viendrais avec moi ? » La métaphore martiale est volontaire, Jax lui parle dans un langage que tous deux comprennent : la boxe. Et il sait, après toutes les fois où ils se sont croisés au dojo, que Petterson saisit le risque qu'un Mills dominé par la colère pourrait représenter dans une chambre d'hôpital aux meubles fragiles, au matériel délicat et à la patiente endormie qui ne saurait se mettre à l'abris s'il venait à tout casser de rage et de désespoir ...
☽ 27 février 2022. Joy s’était rendue à ce rendez-vous avec une certaine boule au ventre. Elle savait que le sujet de discussion qu’elle évitait depuis quelques jours allait être inévitable avec Jackson. Ils avaient d’ailleurs décidé de se voir dans cet endroit où ils s’étaient rencontrés la première fois par le biais même de Judy, sans qu’elle ne prémédite quoique ce soit d’ailleurs. Le destin avait décidé de réunir deux adultes au lourd passé qui avait ce besoin fou de trouver un but à leur vie en aidant les autres… Aujourd’hui, l’un face à l’autre, ils essayaient tant bien que mal de se dire qu’ils n’avaient pas fait tout ça pour ‘rien’. La brune comprit d’ailleurs assez rapidement qu’elle allait devoir se montrer plus forte que Mills pour le secouer, le remotiver et lui redonner espoir. Tout n’était pas perdu, rien ne l’était d’ailleurs. Il pouvait paraître distant, froid et très dur mais en réalité, Jackson était probablement tout le contraire. « J’peux pas y aller seul. » Joy fronça les sourcils en le regardant, elle prit une gorgée de son jus d’orange, et finit par faire une moue remplie de compassion. Elle comprenait ce qu’il ressentait, elle aussi avait eu dû mal à y entrer mais finalement, elle n’avait pas eu le choix et elle savait qu’il était important pour les patients d’être entourés, même quand ils étaient dans le coma… « J’suis pas sûr de pouvoir encaisser ce coup là… Tu viendrais avec moi ? » Elle eut un sourire pincé, car il était toujours difficile d’exprimer un sourire dans ce genre de contexte. Toutefois, elle voulait lui montrer qu’elle était là, coûte que coûte. « Bien sûr, Jax. » affirma-t-elle, entourant son jus d’orange de ses deux mains, elle le fixa un instant en ajoutant : « Je suis sûre que ça lui ferait du bien d’entendre ta voix. Chaque énergie positive est très importante dans ce genre de cas, tu sais. » ajouta-t-elle finalement, bien consciente, après l’avoir vu des centaines de fois, qu’un patient dans le coma entouré s’en remettait beaucoup mieux et plus rapidement qu’un patient seul – même dans le coma, ce genre de choses comptait beaucoup à la convalescence. « Si cela peut te rassurer, on a juste l’impression qu’elle dort. » confia-t-elle finalement dans un murmure plus doux, voulant le réconforter.
L'importance d'avoir des proches à son chevet, Jax la comprend parfaitement. S'il n'a aucun souvenir de ses quelques semaines de coma après l'accident, il se souvient en revanche très bien de la difficulté épouvantable que cela avait représenté d'être seul, cloué dans ce lit, à son réveil. Les longues secondes de désorientation et de peur après avoir ouvert les yeux et réalisé qu'il ne se souvenait de rien. L'attente interminable qu'on vienne le débrancher tandis que les machines autour de lui bipaient de toutes parts, affolées par son réveil et ses convulsions de cheval fou. L'impression de ne rien comprendre de ce que disaient les infirmières lorsqu'elles étaient arrivées en gang afin de lui venir en aide et de le calmer ... C'est maintenant que Joy le souligne qu'il saisit le caractère crucial de leur présence aux côtés de Judy : il ne faut pas qu'elle se sente seule. Ni dans son inconscience, ni au moment de revenir dans le monde des vivants. La solitude, c'est précisément la raison pour laquelle cette gamine a sauté à pieds joints dans la tombe.
« Si cela peut te rassurer, on a juste l’impression qu’elle dort. » Mills hoche la tête, montrant qu'il assimile les propos de Petterson et qu'il commence dors et déjà à rassembler son courage en prévision de leur visite au chevet de l'adolescente. S'il ne trouve pas encore les mots pour la formuler, sa reconnaissance est bel et bien présente, coincée dans le fond de sa gorge. Jax sirote une gorgée de milkshake, espérant retrouver un peu de salive pour embrayer sur un autre sujet lui tenant à coeur car directement liée à Judy. « J'voulais te montrer ça ... » Explique-t-il tout en ramassant la pochette laissée sur la banquette à ses côtés. En silence, il la tend en direction de la brune.
A l'intérieur, une vingtaine de feuilles volantes s'empilent les unes sur les autres, offrant au regard de Joy différentes écritures. Celle, dactylographiée, de prospectus gouvernementaux concernant les associations et leur fonctionnement, les démarches nécessaires pour obtenir ce statut et les financements proposés par différents organismes d'aide à l'enfance. Mais aussi celle, manuscrite, d'un Jackson sujet aux insomnies et si profondément rongé par son sentiment de culpabilité que cela s'est traduit par de longues listes de choses à faire, de projets potentiels, d'idées d'animations et de gribouillis obsessionnels qu'un psy aurait vite fait de qualifier d'inquiétant mais que l'agent n'hésite pas à exposer à Joy car son niveau de confiance en la jeune femme dépasse celui de sa suspicion maladive envers autrui. « J'vais monter une asso sportive. » C'est effectivement l'idée globale qui ressort du dossier. Sur la paroi intérieure de la pochette, il a même dessiné un début de business plan. Rien d'abouti, mais de quoi illustrer la dynamique qu'il veut donner à son projet ainsi que l'aspect caritatif auquel il destine tous les bénéfices qu'il pourrait en tirer. Mills tend la main pour sortir de la pile un formulaire qu'il place sur le dessus du tas. « Y'a une place pour ton nom, ici, si t'es partante. » Son doigt pointe la case de '' vice-présidence '' du formulaire qu'il a commencé à remplir. Tout en haut de la page, le titre RUN FOR JUDY ouvre la voie sur un nouveau chapitre de leur histoire. A Joy de voir si elle veut être personnage principal, elle aussi.
☽ 27 février 2022.Joy voyait très nettement la différence entre les patients qui avaient du soutien de leur famille, et ceux qui n’en avaient pas. Elle était aussi consciente de la difficulté à traverser les couloirs d’un hôpital pour venir voir un proche, mais elle essayait d’encourager Jax à le faire. Elle savait pertinemment qu’il était quelqu’un que Judy appréciait énormément, et aussi quelqu’un qu’elle admirait. Joy avait pu le voir dans leur manière d’échanger, et la brune savait qu’avec ce que Jackson avait traversé, il saurait prendre ses responsabilités. Il hocha la tête, et la chirurgienne comprit qu’il ferait finalement un pas vers elle, mais surtout vers Judy. Il finit par regarder à côté de lui, venant prendre une pochette pour venir lui tendre, Joy fronça les sourcils un instant. « J’voulais te montrer ça… » déclara-t-il alors qu’elle prit le dossier en question. De prime à bord perdue, la jeune femme parcourut les quelques premières feuilles sans réellement comprendre ce qu’elle était en train de regarder… Elle l’interrogea du regard un instant, et finit par replonger son attention à l’intérieur, venant lire des mots comme ‘démarche officielle’, ‘association’, ‘dossier’, bref elle était un peu perplexe par autant d’informations – mais Jax finit enfin par reprendre la parole pour lui expliquer les raisons d’un tel dossier. « J’vais monter une asso sportive. » Ses sourcils se levèrent dans une légère réaction de surprise, ne sachant pas encore où il voulait en venir. « Y’a une place pour ton nom, ici, si t’es partante. » Joy prit le formulaire en main, et le parcourut des yeux, les posant finalement sur le nom de l’association en question « Run For Judy », elle sourit à cette délicate attention. « Moi ? Pourquoi moi ? » finit-elle par dire en prenant le stylo par réflexe, parcourant des yeux encore le formulaire, ne comprenant pas comment et pourquoi Jackson lui proposait un tel projet. « Ca m’a l’air génial, Jax. Je ne doutais pas une seconde que tu te battais pour elle dans les coulisses. » commenta-t-elle finalement en levant les yeux vers lui, car même s’il se blâmait de ne pas être venir la voir plus tôt, Joy n’avait jamais douté une seconde qu’il pensait à Judy de toutes ses forces. Ces démarches-là lui prouvaient qu’elle avait raison même si elle avait besoin d’un peu plus de détails.
« Moi ? Pourquoi moi ? » Jax observe Petterson jouer machinalement avec le stylo. Si la brune affirme ne jamais avoir douté de l'intérêt et de l'implication de l'agent envers Judy, il en est de même pour Mills qui voit en Joy un véritable ange gardien pour la gamine. « On fait une bonne équipe. » Souligne-t-il en réponse à sa question, reprenant son tripotage de paille et son touillage de milkshake.
Parler de ce qu'il ressent et de ses sentiments reste quelque chose de compliqué pour l'huître émotionnelle qu'est Jackson. Sa force et son courage tape à l'oeil n'ont d'égal que sa pudeur et sa réserve lorsqu'il s'agit d'affect. « J'sais qu'on s'connait pas beaucoup, mais c'est assez pour moi. » Assez pour son instinct en tout cas ; assez pour savoir que Joy est la bonne personne avec laquelle lancer ce genre de projet. Et puis Judy l'écoute, Judy se confie à elle. Depuis les entraînements de boxe, Jax a remarqué à quel point le lien unissant ces deux là s'est consolidé. Il faudrait être aveugle pour ne pas comprendre à quel point Petterson est devenue le modèle de Chapman, quand bien même l'adolescente est aussi douée que lui pour montrer ce qu'elle ressent.
Relâchant un peu de la pression ressentie à l'idée de visiter Judy sur son lit d'hôpital, Mills se cale plus confortablement sur sa banquette et poursuit la conversation sur l'explication de son projet : « T'es sur place, tu sais ce dont les gosses ont besoin. » Affirme-t-il, convaincu que son statut de résidente en pédiatrie confère à Joy un avantage de terrain incontestable. « J'te propose de gérer la création d'activités de sociabilisation pour les patients du service. » Elle a la confiance de la direction, la sympathie du staff, les contacts que lui n'a pas dans le milieu médical ... « J'me chargerai de lever les fonds nécessaires. » Club de course, tombola, sponsoring, défis sportifs et bien d'autres pistes exploitables sont déjà listées dans le dossier que Joy a face à elle. « J'veux plus qu'elle se sente seule. » Finit-il par avouer, le regard toujours aussi déterminé mais la voix plus faible, foncièrement affectée par la peur que Jax ressent à l'idée que Judy puisse récidiver.
Joy avec ses soins et Jax avec ses poings, chacun témoigne d'une capacité à même de protéger l'adolescente mais aucun d'eux n'a malheureusement le don de la préserver d'elle-même ni de ses démons intérieurs visiblement plus grands et plus puissants qu'ils ne se l'étaient imaginé en supposant que Judy allait mieux depuis quelques mois. S'unir et fédérer d'autres personnes autour de ce projet commun lui semble être la meilleure piste à suivre pour créer quelque chose capable de répondre à la problématique. Le fait est que Judy n'est pas seule : ils sont des dizaines au St Vincent à déprimer pour les les mêmes raisons qu'elle.
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Dernière édition par Jackson Mills le Mer 20 Avr 2022 - 4:16, édité 1 fois
☽ 27 février 2022. Ils s’étaient retrouvés là-dedans, à aider Judy. Joy s’était naturellement tournée vers cet homme au dojo qui leur avait montré de l’intérêt, autant à la gamine qu’à elle, l’adulte qui essayait tant bien que mal d’aider son prochain. Joy se retrouvait dans cette gamine car elle aussi avait eu une adolescence mouvementée, mais elle n’aurait jamais cru que tout cela la mène ici aujourd’hui. « On fait une bonne équipe. » déclara-t-il alors qu’elle ne put s’empêcher de sourire à cette remarque, qui n’était autre que la vérité. « J’sais qu’on s’connaît pas beaucoup, mais c’est assez pour moi. » ajouta-t-il alors que Joy essayait de comprendre le projet qu’il lui présentait aujourd’hui. « T’es sur place, tu sais ce dont les gosses ont besoin. » Vrai, et ce n’était pas pour rien que Joy s’était spécialisée en chirurgie pédiatrique. Ce pôle là lui tenait à cœur car elle frôlait ses planchers depuis son plus jeune âge par le biais de son jumeau décédé qui avait passé son enfance dans les hôpitaux. « J'te propose de gérer la création d'activités de sociabilisation pour les patients du service. » Les yeux posés sur le dossier, elle l’écoutait exposer son plan. « J'me chargerai de lever les fonds nécessaires. » Et elle aussi connaissait un tas de personnes qui pourraient les aider à fonder ce projet. « J’veux plus qu’elle se sente seule. » posa-t-il comme dernier argument, elle leva aussitôt le regard vers lui. « Je signe où ? » déclara-t-elle finalement, un sourire aux lèvres, elle vint apposer ses initiales à chaque feuille, avant de signer proprement le dossier. « C’est fabuleux que tu aies pensé à tout ça. » finit-elle par dire, elle posa le stylo et vint redresser le dossier pour le tapoter contre la table et le remettre en ordre. Elle finit par le glisser vers lui, un sourire aux lèvres. « On va réussir. » dit-elle d’une volonté de fer, « On va les aider, et ils ne se sentiront plus seuls. » Car c’était aussi quelque chose qui la touchait particulièrement. A leur âge, elle s’était sentie seule, et même abandonnée par son propre entourage, alors si elle pouvait participer à un projet tel que celui-ci pour aider des jeunes qui sont perdus, elle le ferait avec plaisir. Elle prit son verre de jus d’orange, et vint le lever vers lui : « On trinque à ça ? à Run For Judy ? » Le sourire aux lèvres, elle sentait enfin qu’elle accomplissait quelque chose, et elle lui en serait éternellement reconnaissante.
« Je signe où ? » Trois mots pour redonner le sourire à Jackson tout en le confortant dans l'idée que ses dernières nuits blanches n'ont pas été peuplées de recherches sur le net et de lectures compliquées en vain. Voir la brune parapher chacune des pages du dossier l'encourage autant que cela finit de sceller en lui son engagement moral envers Judy. A deux, il y en aura toujours un pour dissuader l'autre d'abandonner. C'est la force du groupe ; la raison pour laquelle, en dépit de son caractère introverti, Mills a toujours apprécié les sports collectifs.
« On va réussir. On va les aider, et ils ne se sentiront plus seuls. » Les affirmations de Joy enfoncent le clou, poussant l'agent à se redresser sur son siège pour récupérer le dossier. Il peut sentir la volonté de la jeune femme irradier depuis l'autre côté de la table et constater que cette dernière se mélange plutôt bien avec sa détermination légendaire. Petterson est comme un vent venant gonfler dans les voiles de son plein potentiel. S'il ne le conscientise pas tout à fait en ces termes, Jax en ressent pourtant les effets positifs sur son moral et sa force intérieure.
Il a désormais deux femmes à ne pas décevoir : celle qui lui fait face et celle qui dort à l'hôpital. « A Run For Judy. » Répéte-t-il solennellement, venant frapper son verre contre celui de sa nouvelle partenaire. Miraculeusement, le milkshake jusqu'alors insipide retrouve toute sa saveur si bien que Jax dégage la paille pour le siphonner à même le verre. Lorsqu'il repose le contenant vide sur la table, Mills arbore une moustache rose du plus bel effet. Cette journée, elle ne commence pas si mal, en fin de compte.