Au fur et à mesure que la discussion se passait, nos pas nous rapprochaient des limites du parc et donc de mon travail. Bon, je ne travaillais pas dans l’immédiat proche du parc, mais je savais que le groupe que nous formions à cet instant se diviserait d’ici quelques minutes. L’échange que j’avais eu jusqu’à présent avec Marvin avait été plutôt intéressant. Par contre, j’avais conscience que je n’avais pas appris grand-chose sur l’homme qu’il était. Les informations qu’il avait données sur lui-même été assez rare. Je pouvais à la limite dire qu’il tenait énormément à son compagnon à quatre pattes, mais c’était un peu près tout. En même temps, ça n’avait rien de bien étonnant. Nous nous étions trouvés au hasard d’une rencontre et n’avions pas beaucoup de temps devant nous. La faute à mon travail, mais il fallait bien travailler pour pouvoir vivre. Et dans tous les cas, même si je n’étais pas quelqu’un qui vivait dans le travail, j’aimais suffisamment ce que je faisais pour le faire correctement et ceux, même si certain jour étaient plus compliqués que d’autre.
Encore quelques mètres de parcouru, nous avions alors parlé du compagnon à quatre pattes du blond et de son besoin de se défouler. Même si son gardien avait avoué qu’il était finalement plutôt calme, en tout cas, il l’était à l’image de son maître. J’avais alors observé que s’il savait si bien s’adapter à son maître, c’était peut-être parce qu’il l’avait toujours connu ainsi. Les chiens étaient des compagnons idéaux, ils pouvaient réveiller en vous une énergie soudaine, mais ils n’étaient pas des miracles. Si vous n’avez pas pour habitude de bouger, ils ne vous l’insufflaient pas quelque chose que vous n’aviez pas envie de faire. Du coup, il s’adaptait à vous. Je me souvenais encore de ses journées ou j’avais accompagné mon père à la clinique. Je l’entendais encore dire au gardien des chiots "Attention, si vous faites déjà de grandes balades maintenant, il vous en demandera des cinq fois plus grand plus tard. Et vous ne suivrez plus." Et si les gardiens ne suivait pas, c’était le risque d’avoir un chien malheureux. Donc mieux valait commencer petit et surtout ne pas se sentir de grandes ailes pour ensuite revenir au canapé.
Et comme nous avions abordé le besoin de se dépenser de l’animal, j’avais évoqué le cani-cross, un sport qui se pratiquait en compagnie de son chien. Si j’en avais entendu parler, j’avais rapidement dit que je ne l’avais jamais pratiqué. En même temps, j’avais un chat, je me voyais mal courir avec un chat. Elle avait beau être plutôt docile, ça restait un félin. En réponse, Marvin proposait que je l'aie accompagné, pour pouvoir mesurer sa progression. Je souriais. « Pourquoi pas, ça pourrait être drôle. » J’ignorais le niveau du blond, mais il avait dit être mou, donc j’en déduisais rapidement que mon rythme devait être supérieur au sien. Finalement, le canidé ne serait peut-être pas le seul qu’il devrait s’adapter. En attendant, ces derniers mots nous avaient conduites aux bordures du parc. « Je crois qu’il est temps pour moi de retourner travailler. » Je souriais. « Ravis de vous avoir rencontré tous les deux. » Je grattouillais la tête du chien tout en m’adressant à lui. « J’avoue que tu es mon préféré, mais shut, ça reste entre nous. » Le reportait mon regard sur le gardien. « Au plaisir. » J’allais partir lorsque je me souvenais qu’on ne se connaissait pas avant aujourd’hui. « C’est vrai, j’allais oublier. Vous avez de quoi noter ? » Parce que ce n’était pas mon cas.
En réalité, pour certaines personnes, cette balade et cette conversation pouvaient paraître banales, mais surtout très ennuyeuses. En effet, ils n'étaient que deux trentenaires se rencontrant par hasard, ne sachant rien de l'autre, et n'abordant que des sujets lambdas. De plus, le blond ne cessait de parler de son chien ... Heureusement que Drew était gentille, et tolérante, sinon elle serait partie depuis bien longtemps. Quelqu'un de normal ou de moins patient, serait sans doute parti depuis un moment. Parler de son chien pendant une heure minima ? C'était chiant, il fallait bien l'avouer. Mais Sulko représentait tellement de choses pour lui. Il était absolument tout pour le Suisse et il n'osait pas vraiment se l'avouer. Ils étaient fusionnels et il avait encore du mal à l'assumer malheureusement. Il se demandait même si ce chien était son ange gardien ... Il avait du mal à y croire mais plus le temps passait, plus il se posait réellement la question. Bien sûr, il n'en parlerait à personne, de peur de paraître complètement fou.
Donc oui, il comprenait parfaitement quand les gens s'en allaient de temps en temps. Ils en avaient marre, tout simplement. Marre que Marvin parle toujours des mêmes choses, rabâche sans arrêt les mêmes idées, entame toujours les mêmes discutions. Il était passionné, tout simplement. Kitty l'avait bien comprit, mais d'autres personnes ne le comprendront jamais. En réalité, il était un hyper sensible, quelqu'un qui avait du mal avec les émotions. Mais contrairement à la plupart des HPE, il préfère cacher ses émotions derrière un masque plutôt que les montrer ouvertement. Il savait que les émotions pouvaient nous rendre faible. Alors, il en était hors de question qu'il le devienne. C'est sans doute pour cette raison qu'il préférait parler des sujets qui le passionnaient et ignorer les sujets qui peuvent le blesser, même auprès de ses ami(e)s. Donc il y avait ceux qui le comprenaient et d'autres qui préféraient le fuir ou l'ignorer. Ceux-là, il s'en moquait.
Les barrières du parc se présentèrent soudain devant ses yeux. Il n'avait pas vu le temps passer ni même les mètres. Parce qu'en parlant de son chien, les minutes s'étaient égrenées plus vite qu'il ne l'aurait cru. Mais il se rendit compte de quelque chose : la conversation avait été centrée sur lui et son chien. Il ne savait absolument rien de la jeune femme, si ce n'est son nom et quelques bases. Il faudrait qu'il la revoit, pour changer tout cela. Car étrangement, il se trouvait impoli. Quand Drew accepta de l'accompagner dans le cani-cross, il lui offrit un sourire ravi. Ca offrait une seconde chance et surtout ça lui permettrait de la revoir. Puis finalement, voilà le moment des au-revoir. Il s'apprêtait à partir, mais la jeune femme lui demanda si il avait quelque chose pour noter. Alors il comprit immédiatement ses intentions, à moins qu'il imagine, et sortit rapidement son téléphone. Là, il cliqua sur l'icone de bloc-notes et le tendit à la jeune femme.
" Je vous en prie. " Puis, il lui adressa un petit sourire. " En tout cas, sachez que je suis très heureux d'avoir fait votre connaissance. " Ce qui était tout à fait honnête.
Les barrières du parc avaient marqué la fin de cette rencontre sortie de nulle part. Parce que même si cet instant un peu hors du temps m’avais donné l’occasion de me sortir de la tête mon dernier dossier, il était tout aussi vrai que le travail attendait mon retour. Ah, qu’il était dur d’avoir des obligations. J’étais sur le point de quitter le duo lorsque mes pensées me rappelaient que nous avions parlé de course à faire ensemble. J’étais donc revenu sur ma première attention pour demander à Marvin s’il avait de quoi noté. Ce dernier eut alors l’idée de me tendre son portable avec l’application note ouverte. Une fois entre mes mains, je décidais d’y noter mon prénom (sans mon nom) avec le numéro de mon poste de travail à côté. Non, parce que si je n’avais pas peur de parler avec un inconnu, je n’étais pas non plus inconsciente au point de distribuer mon numéro personnel avec une grande facilité. S’il y avait une chose que l’on apprenait dans une salle d’autopsie, c’était de prendre certaines précautions parce que même si parfois certaines personnes données le change, il pouvait se cacher un réel psychopathe derrière. Une fois le numéro inscrit, je rendais le téléphone à son propriétaire. « C’est mon bureau, mais j’y suis suffisamment souvent pour y être joignable facilement. » Et puis, la magie du report de numéro me permettait d’être joignable aussi sur le terrain, et même chez moi lorsque j’oubliais de le désactiver, ce qui arrivait rarement. Je tenais trop à être réellement libre à la fin d’un poste ou d’une garde. Un dernier sourire a l’intention du blond, une dernière caresse sur la tête de son compagnon à quatre pattes et je tournais les talons pour prendre la direction de la morgue. Je ne mis pas longtemps à la rejoindre, je connaissais le chemin par cœur. Sur place, je pris, sans attente, la direction des douches après avoir fait un détour par mon bureau pour récupérer mes affaires. Je croisais un collègue au passage qui me demandait si la course m’avait fait du bien. « Comme toujours. » Avais-je répondu. Il était connu du service que je passais mon temps à la course dès que j’avais l’impression de suffoquer. Chacun avait ses petites habitudes, ses échappatoires, c’était essentiel lorsqu’on travaillait aussi proche de la mort. Pour le collègue que je venais de croiser, je savais que c'étaient les puzzles. Je l’avais appris un jour au détour d’une conversation. Je m’en souviens encore, je déclarais manquer de patience pour ce genre d’activité, lui m’avait expliqué que c’était tout le contraire, parce que justement, rechercher la place d’une pièce précise lui demander pas mal de concentration et donc lui donnait l’occasion de sortir de son esprit tout ce qui pouvait le tracasser. Comme je disais, chacun avait son truc à lui. Moi, la course, lui les puzzles, d’autre, c'était de jouer un instrument, il y en avait qui aimait écrire. Quelques, sois la forme, nous avions nos refuges et l’on savait les trouver au besoin, pour se ressourcer avant de revenir ici et de retourner faire face à la mort ou à la souffrance.
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