L'ambiance à la maison est aussi lourde qu'elle est légère. Certaines tensions dans ton couple sont parties pour laisser place à la douceur et l'inquiétude. Enfin, ils ne sont pas vraiment partis. Ils sont simplement mis de côté, parce qu'en ce moment, le temps de la guerre est suspendu. Les priorités ne sont plus les mêmes à cet instant précis. Mais les priorités, elles changent constamment au fil du temps. Quand Alfie sera remis de ses blessures, quand la vie redeviendra plus tranquille, ce désir de fonder une famille, il criera trois fois plus fort et les disputes reviendront forcément en triple, elles aussi. Ce n'est qu'une trêve. Voilà ce que c'est.
Tu as du mal à quitter l'appartement depuis l'incident, à laisser Alfie tout seul. Ça l'emmerde sans doute, mais il n'a encore rien dit. Ça viendra, ça vient toujours. Tu es constamment préoccupé, l'anxiété te bouffe les entrailles. Tu n'es sans doute pas une présence rassurante même si tu essaies très très fort de l'être. L'appartement n'a jamais été aussi propre qu'il l'est depuis quelques semaines. Parce que bien sûr, dans ta vie, l'anxiété vient avec le besoin de tout déplacer l'appartement au complet, de le nettoyer de A à Z, d'être incapable de faire autre chose tant que ce n'est pas terminé, c'est de se réveiller en plein milieu de la nuit pour se dire que non finalement les verres ne vont pas dans cette armoire là, mais plutôt dans celle-ci. Tu es épuisé, voilà tout. Encore plus mentalement que physiquement. À plusieurs reprises, tu avais décliné l'invitation de Iris à sortir. Et tu avais simplement envie de la décliné une fois de plus te sentant incapable de te sortir de ce tourbillon infernal dans lequel tu t'étais mise toute seule. C'est Alfie qui a insisté pour que tu y ailles, un peu durement. Sans doute parce qu'il savait que tu n'irais pas sinon - ou peut-être qu'il en a marre finalement de t'avoir entre les jambes, ou peut-être que c'est le résultat d'une séquelle de plus. Un mélange de tout ça, sans doute. Tu as tout de même accepté l'invitation de Iris non sans être blessée d'avoir l'impression d'être mise à la porte de chez toi. Quand tu rentreras quelques heures plus tard, il s'excusera sans doute d'avoir été aussi bête et tu le remercieras de t'avoir forcé la main. Parce que cette soirée ne pouvait que t'apporter du positif soyons honnête.
Tu la repère facilement Iris assise à une table un peu plus loin dans ce petit bistro à mi-chemin entre chez elle et chez toi. Tu t'avances doucement dans sa direction pour aller lui faire la bise avant de prendre place devant elle. « Ça me fait trop plaisir de te voir. » Et c'est parfaitement honnête et tu en es la première surprise. Pas que ce soit surprenant que tu apprécies la présence de ton amie. Iris a toujours été une vraie bouffée d'air frais. Disons juste que tu l'avais oublié. « Comment tu vas ? » que tu lui demandes en espérant déjà que tu pourrais vivre son bonheur et ses bonnes nouvelles par procuration. Ou peut-être que ça te fera aussi du bien de voir que tu n'es pas la seule où rien ne va comme prévu.
Septembre 2019. Le quotidien est chamboulé depuis des mois pour Iris. Il n’est plus le même, n’a plus la même saveur, le même rythme avec tous les changements qui se sont perpétrés depuis dans sa vie. Son divorce en mars dernier entraînant ainsi un déménagement et un emménagement chez un proche pendant quelque temps avant de trouver son propre chez elle. Des habitudes différentes donc et surtout son absence. L’absence de celui qu’elle a aimé – et aime encore – pendant quatorze ans, le son de sa voix qui lui parvient jusqu’aux oreilles en rentrant alors qu’elle se trouve dans la cuisine à peaufiner leur repas du soir ou son nez plongé dans sa tablette à plancher sur le dernier projet en cours. Cette concentration de laquelle il l’extirpait alors qu’il venait déposer un baiser sur sa joue avant de venir s’affaler à ses côtés sur le canapé et devenir un véritable moulin à paroles, au point qu’elle n’était plus capable de se concentrer sur sa tâche. Elle râlait un peu et puis finissait par délaisser sa tablette pour s’affaler dans ses bras, ou lui sur ses jambes et ils parlaient pendant des heures comme ça jusqu’au moment où leur estomac criait famine. Elle s’afférait alors à leur préparer le repas, lui interdisait de faire quoi que ce soit non pas parce qu’elle encourage le schéma patriarcal, mais parce que la cuisine est son domaine et que son mari est surtout une vraie catastrophe et jamais, au grand jamais, elle n’accepterait qu’un repas soit gâché. Mais le temps a étiolé ce quotidien heureux, jusqu’à le rendre terne avant de le faire disparaître définitivement. Les pensées d’Iris et surtout son air rayonnant du fait du souvenir du passé disparaît à son tour, son air s’attriste bien trop alors qu’elle relit un des derniers messages qu’il a pu lui envoyer, la suppliant de revenir. Une larme roule sur ses joues qu’elle rattrape rapidement du bout des doigts. Alors, au lieu de relire encore et encore le dernier message du Leckie, elle quitte la conversation pour en trouver une autre, celle avec Juliet. Une amie à qui elle propose de se rencontrer, n'avouant pas avoir besoin de changer d’air pour ne pas passer une soirée à déprimer encore. Et cette fois, elle accepte, et c’est ce qui redonne un semblant de sourire à la mine déconfite de la Castillo qui file alors se préparer.
Iris est la première à arriver sur le lieu du rendez-vous. Elle demande une table un peu en retrait, celle où elles pourront aisément parler sans être dérangées par le bruit environnant et les va et vient des différents clients. La mexicaine décline la proposition du serveur de prendre quelque chose en attendant son amie et cinq minutes plus tard, la voilà qui fait irruption à son tour dans le café. Iris se lève pour l’accueillir, l’étreignant une fois celle-ci à sa hauteur « Ça me fait trop plaisir de te voir. » « Moi aussi ». Elle en a besoin Iris de voir cette amie avec qui elle partage tant de choses, de points communs mais – malheureusement aussi – une vie personnelle bien trop mouvementée. « Comment tu vas ? » Iris reprend place sur sa chaise, le sourire aux lèvres alors qu’elle hausse doucement les épaules « Mieux… je suppose » Elle va nécessairement mieux qu’hier mais moins bien que demain. Elle ne mentira pas à Juliet sur son état d’esprit mais laisse un petit rire s’échapper d’entre ses lèvres « Ça va. Je commence à sortir des sentiers battus avec Archiris company et les premiers projets sont prometteurs » et elle en est pas peu fière quand elle a lancé sa propre entreprise il y a à peine trois mois, même si cela a impliqué aussi de tirer un trait définitif sur le Walker group, au sein duquel elle travaillait depuis des années. « Sinon… Caelan m’a encore écrit tardivement hier soir… » avoue-t-elle à demi-voix, soupirant alors que son regard vient à s’attarder sur la carte qu’elle a ouverte en attendant Juliet quelques minutes plus tôt. « Et toi, comment tu vas ? Tu as l’air… fatiguée » Plus les minutes passent et plus Iris remarque les traits tirés de son amie et ses cernes sous les yeux. L’inquiétude gagne ses traits, sa main prête à venir se poser sur la sienne dès l’instant où elle lui partagera les tracas malheureux qu’elle peut bien traverser actuellement.
« Mieux… je suppose » Tu hoches la tête doucement. Elle suppose, selon les circonstances sans aucun doute. Ce n'est jamais facile de soigner un coeur brisé, jamais facile de se reprendre en main suite à une rupture amoureuse. Ce doit être encore pire de devoir gérer de la paperasse de divorce en plus de vivre le deuil. Ce n'est pas parce que c'est Iris qui a mis fin à son mariage que c'est plus facile pour elle. Non, absolument pas. La mexicaine a probablement toujours des sentiments pour son ex. Ce n'est pas faute d'amour qu'elle a mis fin à leur relation, plutôt parce qu'ils ne marchaient plus sur la même ligne. Toi et Alfie non plus. C'est dommage que de voir aller Iris ne t'ouvre pas les yeux un peu plus. Il sera bien trop tard quand tu le comprendras. « Ça va. Je commence à sortir des sentiers battus avec Archiris company et les premiers projets sont prometteurs » Parce qu'en plus de jongler avec un divorce et une peine d'amour, Iris se lance en affaires. Une méthode comme une autre pour se changer les idées. On fait tous et chacun du mieux qu'on le peut. « Je suis contente de l'entendre. Si jamais je peux t'être utile pour quoique ce soit, tu me dis hein ? » Ah tiens donc, toi aussi tu aurais besoin de t'occuper l'esprit un peu ? Bon, tu n'y connais rien en architecture. Tu n'as aucune idée en quoi tu pourrais lui être utile, mais l'offre est tout de même lancée. C'est toujours bien de se sentir épaulé dans un projet, non ? « Sinon… Caelan m’a encore écrit tardivement hier soir… » Évidemment, ce serait bien trop simple s'il lui laissait vivre son chagrin tranquille. En même temps, peut-on vraiment lui en vouloir de se battre (ou tenter de) pour son mariage ? « Et tu lui as répondu ? » Est-ce que la brune nourrit son espoir ? Ou ses silences devraient suffire à lui faire comprendre que leur histoire est belle et bien terminée ? « Et toi, comment tu vas ? Tu as l’air… fatiguée » - « Oh.. hum .. » Tu te racles la gorge, glisse une mèche de cheveux derrière ton oreille. C'est toujours plus simple de parler des problèmes des autres que des tiens. C'est sûrement exactement pour la même raison que Iris te renvoie la question. « Ça va, c'est juste que la rééducation d'Alfie est… difficile. » Il y a des bonnes et des mauvaises journées, mais les bonnes se font de plus en plus rares. « Tu sais comment il est. Il veut toujours que tout se règle trop rapidement. » Tu lèves les yeux au ciel en souriant doucement. À peine est-il sorti de l'hôpital qu'il voudrait déjà resauter sur son skate. Il voudrait retourner travailler, ne pas avoir à penser à chacun des mots avant de les dire. Il se fâche dès qu'il se met à bégayer. Très chouette ambiance. « Et il ne veut toujours pas porter plainte, ça m'inquiète. » Et ça te fait peur l'idée qu'il y ait un malade qui se promène en ville avec une vendetta inexpliquée contre Alfie. Et s'il s'en prenait de nouveau à ton copain ? Et si la prochaine fois, il n'en ressortait pas vivant ? Comment peut-il autant prendre la situation à la légère ?
Septembre 2019. « Je suis contente de l'entendre. Si jamais je peux t'être utile pour quoique ce soit, tu me dis hein ? » C’est vrai qu’Iris s’est jetée corps et âme dans la construction de sa nouvelle entreprise, moyen pour elle d’oublier son mariage réduit en miettes après dix années avec Caelan. Un moyen comme un autre d’oublier la souffrance quotidienne, le manque de l’autre et ce silence parfois bien trop pesant qui règne autour de vous. Et puis il y a aussi les regrets, ceux qui vous empêchent de fermer l’œil la nuit, votre cerveau semblant se dire que ce temps là est le plus approprié pour réfléchir à tout ça en vous posant mille et une questions sur est-ce que j’ai fait le bon choix ?. Alors, à défaut parfois d’avoir trouvé le sommeil, il se peut que la Castillo se soit levée pour retourner sur son canapé afin de répondre à des sollicitations de potentiels futurs clients ou à des partenaires intéressés par son entreprise. « Peut-être pourrais-tu conseiller de bons bouquins à mes clients pour leur éviter des fautes ahurissantes quand ils m’envoient des mails ? » elle laisse échapper un rire avant de retrouver un peu de sérieux face à la proposition de l’aide de son amie « Cela dit, je pourrais effectivement avoir besoin de ton aide sur quelque chose. Une cliente souhaite revoir l’aménagement de la bibliothèque de sa maison et je risque fortement d’avoir besoin de ton aide pour trouver quelques spécimens rares qui donneront l’allure que je souhaite à la pièce ». Elle pourrait lui montrer, elle a d’ailleurs – comme toujours – sa tablette dans son sac, mais elle préfère profiter de l’instant avec Juliet et elles auront bien le temps de voir ça ensemble plus tard. A la place, elle préfère lui parler de cet sms reçu de la part de Caelan pas plus tard qu’hier soir, où plutôt dans la nuit pour être exacte. Il ne l’a pas réveillé cependant, puisque cette nuit a été une de celle où son cerveau s’est mis encore à trop cogiter – à croire que celui-ci a comploté avec son ex-mari « Et tu lui as répondu ? » Iris tourne doucement la tête de gauche à droite « Non ». La tristesse se ressent dans sa voix, celle qu’elle peine encore à dissimuler. Il n’a rien du méchant, Caelan, dans l’histoire. Mais ce qui s’est passé en janvier dernier, et qu’elle se garde de dire à quiconque par respect pour lui et ça parce qu’elle lui a fait la promesse aussi de taire son secret, a été la goutte qui a fait déborder le vase, et l’incompréhension quant à son choix n’était plus supportable pour elle A quoi bon ? Il a certainement dû boire un peu trop… » remet-t-elle en cause sa réelle volonté se faisant en lui envoyant un tel message ou la véracité des propos qu’il a tenu ? Un soupir de plus, et son regard se penche sur la carte pour demander en même temps des nouvelles à son amie à son tour « Oh.. hum .. » Et ce petit raclement de gorge marquant une certaine hésitation ne manque pas de faire lever le regard à Iris « Ça va, c'est juste que la rééducation d'Alfie est… difficile. » Iris délaisse la carte à nouveau pour se concentrer pleinement aux dires de Juliet dont elle sent le poids émanant de sur ses épaules se retranscrire dans ses paroles « Tu sais comment il est. Il veut toujours que tout se règle trop rapidement. » Et pourtant, il en a encore pour longtemps, Iris le sait, Juliet lui ayant tout expliqué. Elle a été une de celle qui l’a épaulé lors de l’hospitalisation d’Alfie, pour la soutenir dans ce moment difficile, et la rassurer quant aux inquiétudes nombreuses qu’elle a pu avoir vis-à-vis de l’état de son petit-ami « Et il ne veut toujours pas porter plainte, ça m'inquiète. » « Pourquoi ? Tu penses qu’il a peur d’éventuelles représailles ? » demande-t-elle doucement, faisant une simple supposition quant aux raisons qui pourraient motiver Alfie à ne pas le faire. « Comment tu tiens le coup, toi, avec tout ça ? » Sa main vient trouver la sienne posée sur la table et son regard inquiet, le sien. « J’imagine que si tu as souvent décliné mes invitations ces derniers temps, c’était pour ces raisons, n’est-ce pas ? » et ses paroles ne sont pas du tout un reproche, au contraire « Je suis là, Juliet, tu le sais » Elle a le droit de l’appeler au secours quand elle se sent submergée, elle a le droit de lui dire que ça ne va pas et ça, Iris ne cessera de le lui dire parce qu’au fond, Juliet et elle sont similaires sur bien des points.
« Peut-être pourrais-tu conseiller de bons bouquins à mes clients pour leur éviter des fautes ahurissantes quand ils m’envoient des mails ? » Ton rire se mêle rapidement au sien. Un peu de légèreté avant de tomber dans le vif du sujet ? C'est assurément ça, oui. Tu ne sais pas pour Iris, mais tu ne peux pas nier de ton côté que cette décompression fait un bien fou. Dommage que ça ne durera pas. « Orthographe pour les nuls : c'est noté. » Ce bouquin existe sûrement. Et c'est probablement ça le pire. Ces éditions rese un cadeau de Noël indémodable pour faire rire toute la famille ou pour faire passer un message. Le message passe rarement, mais ce n'est pas faute d'avoir essayé. « Cela dit, je pourrais effectivement avoir besoin de ton aide sur quelque chose. Une cliente souhaite revoir l’aménagement de la bibliothèque de sa maison et je risque fortement d’avoir besoin de ton aide pour trouver quelques spécimens rares qui donneront l’allure que je souhaite à la pièce » Tu hoches la tête de haut en bas. Évidemment que tu es exactement la bonne personne pour l'aider là-dessus. En travaillant dans une bibliothèque, ça te permet souvent d'être privilégiée sur des éditions plus rares, d'avoir certain livre en avant-première. Ça te changera les idées de faire des recherches pour ton amie. Tout comme ça te fait extrêmement plaisir de pouvoir l'aider, aussi petit soit-il. « Bien sûr. Envoie-moi une photo de ce qu'elle a déjà et je te trouverais des perles rares. » Un brève aperçu de ce qu'elle possède déjà t'aidera à découvrir ses goûts et à faire des choix qui lui plairont, la surprendront même peut-être, qui sait. C'est toujours plaisant de faire découvrir de nouveau roman à quelqu'un d'autre. « Non » qu'elle te répond avec une certaine tristesse lorsque le sujet Caelan vient sur le tapis. Il lui a écrit. Elle n'a pas répondu et n'aurait sûrement pas dû le lire. Le mal est fait. A quoi bon ? Il a certainement dû boire un peu trop… » Boire un peu trop veut souvent dire des vérités balancées très maladroitement. Disons que ça n'annonce rien de bon. Sa mine triste ne fait que confirmer le tout. « Tu regrettes ? » Un peu trop directe peut-être ? La curiosité amène parfois un manque de tact. Mais quand c'est amené en douceur, c'est toujours comme si c'était à moitié pardonné. « J'veux dire… tu penses que tu as fait ce qu'il y avait de mieux pour toi ? » Elle regrette d'avoir quitté Caelan au profit d'une famille ? Au fond, peut-être qu'elle en aura jamais. Peut-être que Caelan était l'amour de sa vie et qu'elle ne rencontrera personne d'autre avec qui fonder une famille. Est-ce que je vais regretter de choisir Alfie à une vie de famille ? C'est la véritable question que tu ne veux pas poser avec toute cette maladresse. Que ce serait déplacé de la dire à voix haute. Alfie, justement, vous y venez. « Pourquoi ? Tu penses qu’il a peur d’éventuelles représailles ? » Comprendre Alfie est un boulot à temps plein. Lorsqu'on croit avoir enfin compris, et bien on a tout faux. Tu as appris à ne pas trop insister quand tu n'es pas d'accord avec ses choix, quand ses explications ne font sens que pour lui-même. C'est se battre à contre-courant. Ça ne sert à rien.« J'en sais rien. Il s'est beaucoup renfermé. » C'est à ton tour cette fois-ci d'avoir une mine déconfite. Ce n'est jamais facile de voir l'être aimé dans de telle circonstance, surtout quand cette même personne refuse l'aide que tout le monde lui tend. Il aurait besoin d'un psychologue, simplement d'avoir quelqu'un avec qui parler. Puisque ce ne sera visiblement pas toi. « Comment tu tiens le coup, toi, avec tout ça ? » Mal. Très mal. La main tremblante qui replace une mèche de cheveux révèle tes angoisses et ton manque de sommeil. « J’imagine que si tu as souvent décliné mes invitations ces derniers temps, c’était pour ces raisons, n’est-ce pas ? Je suis là, Juliet, tu le sais. » Bien sûr que c'est pour ça. Pour quoi d'autre ? Tes yeux deviennent rapidement humide. Tu ravales difficilement ta salive. Tu ne vas quand même pas te mettre à pleurer ici ? « J'arrive plus à le laisser tout seul. C'est ridicule. C'est pas comme si je pouvais le sauver. » Tu t'en fais pour rien. Tu exagères. Alfie te le répète souvent sans que ça ne change grand chose. Pas sur le long terme du moins. Même s'il a toujours eu un don inné pour calmer tes crises compulsives, ce n'est pas le cas cette fois-ci. Tu te sens idiote. Même si l'agresseur revenait terminé son boulot, que tu sois là ou non ne changerait rien. Tu ne peux rien y faire.
Septembre 2019. « Orthographe pour les nuls : c'est noté. » Cette légèreté leur fait du bien autant à l’une qu’à l’autre. Elles en ont définitivement besoin quand la vie ne les a pas réellement gâtées à toutes les deux ces derniers mois. Alors, cette petite blague mise à part, c’est aussi sûrement le seul moment de leur conversation où elles auront le sourire toutes les deux. Parce qu’Iris a bien remarqué les traits tirés de son amie et cette tristesse qui se dessine sur son visage, dès l’instant où le sourire disparait. Et la mexicaine est tout autant consciente qu’il en est de même pour elle, quand elle enchaîne les heures de travail pour ne pas avoir à réfléchir et à laisser ses pensées vagabondées à son divorce et à cette fausse couche qui remonte à quelques mois de ça. « Bien sûr. Envoie-moi une photo de ce qu'elle a déjà et je te trouverais des perles rares. ». La preuve, parler boulot est là aussi un subterfuge pour éviter un sujet plus houleux à venir. Mais pour sa défense, demander l’aide de Juliet dans le domaine littéraire est une valeur sûre, sa connaissance en matière de livres étant infinie. C’est d’ailleurs dans une librairie que les deux jeunes femmes se sont rencontrées et ont scellé une amitié assez immédiate, sûrement parce qu’elles se ressemblent sur plusieurs points. « Je ferai ça. Bon, ne soit pas étonné mais, dans ses collections, j’ai pu entrapercevoir des bouquins très parlant sur des pratiques à la cinquante nuances de Grey et comme une gamine, elle glousse peut-être un peu avant de poursuivre certains sont surprenants » conclue-t-elle non sans retrouver un certain sérieux bien que son sourire en coin trahisse son amusement. « Mais rassures-toi, il n’y a pas que ça non plus, y’a de très beaux romans ».
Et puis, nécessairement, elles en arrivent à parler de ce message texte reçu la veille de la part de Caelan. Un message la suppliant de lui laisser une nouvelle chance parce qu’elle lui manquait cruellement et qu’il avait besoin d’elle. Un message auquel elle s’est abstenue de répondre parce que, bien qu’elle ne le montre pas dans ses paroles, cet appel à l’aide la touche bien plus qu’elle ne le voudrait. Tu regrettes ? » La question la surprend, lui faisant relever le regard sur son amie. « J'veux dire… tu penses que tu as fait ce qu'il y avait de mieux pour toi ? » Juliet ne connait qu’une seule des raisons pour laquelle elle a mis fin à son mariage avec Caelan. Et cette raison, dont elle en connait la nature, celle du scepticisme de son ex-mari d’avoir des enfants, est minime comparé à la réelle raison qui l’a poussé à rompre avec lui. Alors dire qu’elle a fait ce qu’il y avait de mieux pour elle… peut-être. Dire qu’elle ne regrette pas, qu’elle ne se remet pas en question toutes les cinq minutes et qu’elle n’a pas la sensation de l’avoir laissé tomber serait un mensonge. Mais, ne voulant pas partager le secret de Cae’, lui ayant fait la promesse d’en parler à personne, elle se doit d’être à demi honnête avec son amie après qu’un soupir se soit échappé d’entre ses lèvres « Je pense… elle est timide cette réponse, elle montre aussi une certaine vulnérabilité, celle relative aux doutes qui peuvent l’habiter à nouveau depuis hier soir « Je pense avoir fait le bon choix pour moi, parce que notre vision n’était plus la même… Mais, je ne peux m’empêcher de culpabiliser de l’avoir laissé parce qu’elle a l’impression que, sans elle, il pourrait emprunter une pente glissante qu’elle ne lui souhaite pas je m’inquiète pour lui, malgré tout. Et puis… elle marque une pause, son regard se tournant vers la salle avant de se reporter sur Juliet Je l’aime toujours, malgré tout » confesse-t-elle alors, se torturant les doigts entre eux. « Mais, je n’avais pas d’autres choix n’est-ce pas ? Je ne pouvais pas continuer à accepter ses choix et à taire mes envies juste pour sauver notre couple, n’est-ce pas ? » subitement, elle reprend un peu le dessus même si ses derniers mots cherchent l’approbation de son amie. J’ai fait le bon choix… murmure-t-elle dans un coin de sa tête comme pour s’en convaincre.
« J'en sais rien. Il s'est beaucoup renfermé. » C’est au tour de Juliet de lui parler de ses tracas dans sa vie personnelle, ceux qui concernent son couple avec Alfie. Les choses semblent tout autant compliquées pour elle et le portrait qu’elle dépeint d’Alfie s’apparente à celui de Caelan quelques mois plus tôt. Le sentiment d’impuissance, de ne plus savoir que faire pour le convaincre de faire le bon choix, elle ne peut que la comprendre. Pourtant, là encore, elle ne peut le formuler et c’est peut-être pour cette raison, qu’à défaut, elle lui attrape la main, lui demandant comment, elle de son côté, elle tient le coup. « J'arrive plus à le laisser tout seul. C'est ridicule. C'est pas comme si je pouvais le sauver. » Elle n’a pas répondu à la question, et ça, Iris l’a bien noté. Sa main serre davantage celle de Juliet « Tant qu’il ne prendra pas la décision lui-même de se sauver… tu ne pourras rien y faire, Juliet » C’est brut, dit cependant avec douceur mais ce n’est que la pure vérité. Caelan n’était pas prêt à se rendre à la police, et malgré toute son insistance, la promesse d’être à ses côtés malgré tout, Iris n’a rien pu y faire « Tu dois penser à toi aussi dans cette histoire, Juliet. Tu n’es en rien responsable de ce qu’il lui est arrivé, ta présence h24 à ses côtés n’y changera rien. Il faut que tu puisses prendre du recul et… penser à toi aussi. Et à ton bien » Lire la tristesse dans le regard de son amie lui fend le cœur « Quand tu as besoin de souffler, appelle-moi Juliet ou écris-moi. Peu importe. Mais ne reste pas seule » contrairement à elle qui a dû s’éloigner de personnes qui comptaient à ses yeux et qui doit continuellement mentir sur les réelles raisons de son divorce avec son ex-mari. Si elle peut aider Juliet à traverser cette épreuve difficile, elle le fera, du mieux qu’elle le peut.
« Je ferai ça. Bon, ne soit pas étonné mais, dans ses collections, j’ai pu entrapercevoir des bouquins très parlant sur des pratiques à la cinquante nuances de Grey. Certains sont surprenants » Un sourire amusé se dessine sur tes lèvres sous les aveux de ton ami quant aux goûts littéraires de sa cliente. La trilogie de Grey a, en effet, amené une panoplie de roman dans le même genre à sortir peu de temps après. Malheureusement pour eux, leur succès n'est nullement ressemblant à la trilogie initiale. « Mais rassures-toi, il n’y a pas que ça non plus, y’a de très beaux romans » - « T'inquiète pas, j'en vois de toutes les couleurs à tous les jours. » Ça fait partie du métier d'arriver à conseiller des romans même s'ils sont à l'opposé de nos goûts personnels. Les avis des autres lecteurs aident beaucoup, et le fait que tu aies de ton côté également de ton côté des goûts très à l'opposé l'un de l'autre aide également. Tu ne t'arrêtes pas à un genre en particulier. Tu touches à tout. C'est différent d'une journée à l'autre. Ton humeur du moment y est souvent pour quelque chose. Le sujet de conversation tourne doucement vers Caelan dont la rupture est à la fois fraîche et lointaine. Disons qu'elle n'est pas encore assez loin pour que les blessures soient complètement guérit. « Je pense… Elle pense. Elle n'est pas certaine. Comment peut-on vraiment savoir ce genre de chose sans connaître la suite de notre histoire ? Iris vit encore dans le deuil et la tristesse. Normal qu'elle se demande encore si elle a fait le bon choix. Elle pense avoir fait le bon choix, mais tu retiens surtout qu'elle ne sait pas si c'était le bon. En pensant ainsi, tu peux toujours avoir la possibilité de faire le bon choix en choisissant l'amour plutôt que tes envies. « Je pense avoir fait le bon choix pour moi, parce que notre vision n’était plus la même… Mais, je ne peux m’empêcher de culpabiliser de l’avoir laissé » Elle culpabilise sans doute de lui avoir brisé le coeur. Tu n'as pas recroisé son ex mari depuis la rupture, mais à en croire les paroles de Iris, ce n'est pas une étape qu'il franchit très facilement. « je m’inquiète pour lui, malgré tout. Et puis…Je l’aime toujours, malgré tout » C'est une mine plus triste qui se dessine sur ton visage. C'est terrorisant de voir en Iris ce que tu vois tous les matins lorsque tu croises ton reflet dans le miroir. Ils sont nombreux dans tes pensées les et si. Tu pourrais jurer qu'ils sont nombreux dans les pensées de la brune également. « Mais, je n’avais pas d’autres choix n’est-ce pas ? Je ne pouvais pas continuer à accepter ses choix et à taire mes envies juste pour sauver notre couple, n’est-ce pas ? » Oh Iris ne cherche pas une approbation vers la bonne personne. Tu voudrais lui dire que tu comprends son choix. Tu voudrais également lui confier avoir eu une discussion similaire avec Alfie, mais ne pas avoir opté pour la même solution qu'elle. Quelque chose te dit que vous foncez toutes les deux droit dans un mur. « Je suppose… » Non, mais sérieusement ? Quelle horrible réponse Juliet. Tu supposes comme elle pense. « J'veux dire… c'est important de savoir se choisir soi-même. C'est la clé du bonheur y paraît. » Et je t'envie de pouvoir le faire, parce que j'en suis incapable. « Je suis certaine que tout ira pour le mieux pour toi. » que tu ajoutes en lui sortant un sourire le plus chaleureux possible. C'est une femme forte Iris et cette épreuve qu'elle traverse ne fera que lui confirmer.
« Tant qu’il ne prendra pas la décision lui-même de se sauver… tu ne pourras rien y faire, Juliet » Tu sais déjà tout ça même si tu préférais encore vivre dans le déni. Tes sourcils se froncent doucement, presque blessé par la véracité de ses paroles. Comment peut-on regarder une personne qu'on aime se détruire sans rien faire ? Tu voudrais porter le poids de tous ses fardeaux, mais il ne te laisserait jamais le faire. Il est secret Alfie (menteur), mais tu mettras encore quelques mois à comprendre que c'est encore pire que tu ne l'imagines. « Tu dois penser à toi aussi dans cette histoire, Juliet. Tu n’es en rien responsable de ce qu’il lui est arrivé, ta présence h24 à ses côtés n’y changera rien. Il faut que tu puisses prendre du recul et… penser à toi aussi. Et à ton bien » La main de Iris contre la tienne réchauffe déjà un peu plus ton petit coeur. Ça fait toujours du bien de se sentir épaulé alors que la solitude est de plus en plus lourde. Tu sais déjà que tout ce qu'elle dit est vrai, mais parfois, ce n'est pas la vérité qu'on a besoin d'entendre. Mais comment pourrais-tu aider ton petit-ami si tu es incapable de t'aider toi-même ? « Quand tu as besoin de souffler, appelle-moi Juliet ou écris-moi. Peu importe. Mais ne reste pas seule » Tu n'es pas toute seule. Alfie et son trou noir sont là constamment. Tes angoisses aussi. Mais, non, ce n'est pas de ce genre de compagnie qu'Iris t'encourage à avoir. « Merci… » que tu lui dis en resserrant doucement sa main dans la tienne, sans savoir si tu prendras vraiment la main qu'elle te tend. Probablement trop tard, oui. « Toi aussi, tu sais ? Tu peux compter sur moi pour manger deux kilos de glace devant The office. » Qui a besoin d'autres choses pour sortir de la déprime ? Personne. Est-ce une manière détournée de trouver un sujet de conversation plus léger ? Oui absolument.
Septembre 2019. « « T'inquiète pas, j'en vois de toutes les couleurs à tous les jours. » Elle n’a de peine à se l’imaginer Iris. Des demandes farfelues, originales, particulières, inattendues, sans toutefois à venir à en juger les goûts de chacun, c’est un peu ce à quoi doit faire face aussi l’architecte d’intérieure qu’est Iris au quotidien. Que ce soit dans son nouveau cabinet qu’elle a ouvert et cela depuis quelques mois seulement ou lorsqu’elle travaillait encore pour le Walker Group, elle a dû faire face à des clients exigeants, avec leurs propres attraits qu’elle a dû suivre à la lettre même si elle n’était pas emballée par ceux-ci.
Il y a des interrogations, peut être aussi des regrets de la part de la mexicaine quand elle s’adresse à Juliet. Ceux qui la poussent à se demander si elle a eu raison de mettre fin à sa relation avec son ex-mari, Caelan qui, pas plus tard que la veille au soir, lui a envoyé un message pour la supplier de lui redonner une chance. Oh, Iris n’est pas tout à faire honnête, omettant quelques détails comme celui du délit de fuite perpétré par le Leckie et qui est la véritable raison pour laquelle elle a mis fin à son mariage. Et même sans tout avouer, Iris a besoin que son amie la rassure sur ce choix « Je suppose… » Ce n’est pas la réponse qu’elle attendait et dire qu’elle n’est pas surprise et un peu prise au dépourvu par celle-ci serait mentir. C’est pour cette raison qu’elle se fige en retrouvant le regard de Juliet, pour comprendre « J'veux dire… c'est important de savoir se choisir soi-même. C'est la clé du bonheur y paraît. » y paraît. Elle perçoit des doutes dans sa réponse et finalement, celle-ci, qui se veut très certainement bienveillante, n’a pas totalement l’effet escompté. Parce que, justement, Iris tente de se convaincre un peu plus chaque jour qu’elle a bien fait de se choisir elle plutôt que de tenter le tout pour le tout pour sauver son couple, quand elle avait l’impression qu’elle était la seule à se battre pour deux. « Je suis certaine que tout ira pour le mieux pour toi. » Alors, c’est mollement qu’Iris approuve, retrouvant un peu de certitude dans le sourire que lui offre Juliet.
« Merci… » Elle n’a pas à la remercier. Pour Iris, se serrer les coudes en amitié est ce qu’il y a de plus normal, et Juliet est désormais une qu’elle compte parmi son cercle très restreint d’amis. « Toi aussi, tu sais ? Tu peux compter sur moi pour manger deux kilos de glace devant The office. » « C’est quand tu veux fait-t-elle en levant sa tasse tu sais où j’habite désormais, tu seras toujours la bienvenue. Je serai sûrement sur mon canapé déjà installé avec mon pot de glace, c’est mon programme favori en ce moment ». Et après un clin d’œil complice, Juliet et Iris parlent de sujets et d’autres avant de se quitter une heure plus tard et se promettre de se revoir au plus vite.