Le plan semblait bien se dérouler. J’avais fait une sélection d’appartement et de maisons dans le périmètre indiqué par Elise et aussi, qui semblaient rassembler ses exigences. J’avais l’impression de n’avoir fait aucun faux pas et j’avais hâte de l’emmener d’ici quelques jours pour faire nos premières visites ensemble. Cette fois, j’avais confiance en nous et même si je savais que tout n’allait pas être simple du premier coup – on parle d’Elise, c’est jamais simple du premier coup, ni même du deuxième d’ailleurs – j’avais espoir que ça se passe relativement bien. Il y avait forcément une proposition qui lui conviendrait.

Entre deux rendez-vous, je lui avais proposé de me rejoindre au restaurant ce midi pour manger ensemble. Sans trop se faire prier, elle avait accepté – rappelons qu’elle ne travaille pas, elle a forcément beaucoup de temps libre. On se quittait sur le trottoir à la sortie du resto, quand elle devait s’en aller pour passer l’après-midi avec son fils. J’avais de mon côté encore un peu de temps avant de me rendre au shooting pour GQ magazine. Depuis qu’on m’avait contacté pour les clichés de Heather Harris, je recevais de plus en plus de proposition pour être photographe de mode. Si c’était un peu chiant à faire, j’avoue, le caché à la fin était plutôt intéressant et surtout, je n’étais plus obligé de courir après tous ces emmerdeurs d’influenceurs, d’acteurs et autres chieurs. On ne me sollicitait que pour quelques occasions pour le moment, mais à force de voir ma signature sous les photos, peut-être qu’on pensera à moi plus souvent à l’avenir. « Mais quel petit cachotier… » ah, Vivian. Je me retourne, reconnaissant sa voix, toujours là quand il faut, celle-ci. « Je croyais que tu voyais personne en ce moment? » J’imagine qu’elle venait de m’apercevoir avec Elise. Un sourire s’affiche sur mon visage, pris en flagrant délit, tiens. « Une vraie petite enquêtrice. T’as pris des photos ? Ca pourrait valoir cher. Parole de paparazzi. » que je lance, amusé, bien qu’en réalité, un cliché d’Elise et moi ne vaudrait pas grand-chose. Elle n’intéresse plus personne depuis qu’elle n’est plus avec Saul et encore moins depuis qu’elle est avec moi. « J’aurai bien fait les présentations, mais madame a ses obligations. » j’hausse les épaules, m’approchant de ma sœur pour l’embrasser sur la joue. « T’as rien d’autre à faire que de trainer par ici ? c’est pas un coin pour toi. » comme si c’était le quartier le plus mal famé de la vielle.

« Pourquoi ça? Elle est connue? Ou c'est toi qui a pris du cachet depuis la dernière fois qu'on s'est vus? » Elle m’arrache un rire à mon tour. Si j’avais pris du cachet, surement pas, mais peut être que le combo Elise/Oz pourrait rapporter gros, qui sait. Enfin, non, ça se saurait, on est loin de se cacher de tous, ca fait bien longtemps que ce serait sorti si vraiment, on en valait la peine. « Elle pèse. » elle pesait, elle pèse plus grand-chose. C’est son ex, qui pèse pas mal mais finalement, plus on en est loin, mieux on s’porte. « J'oublierai pas. » après tout, ma mère avait déjà fait la connaissance d’Elise, alors Vivian pouvait bien être sur la liste des gens très selects qui allaient pouvoir avoir cette chance également. « J’compte sur toi. » oh, Vivian, pas du genre à lâcher l’morceau, c’était peut-être un truc de famille ça. Quoi que, quand on voit ce qui lui sert de sœurs, bien moins intéressantes qu’elle, on peut quand même se poser des questions.
. « Tu plaisantes, pas vrai? Mon bureau est juste à côté, je cherchais un endroit pour déjeuner. Marre de manger dans la salle de pause. » y a trop de requins qui trainent dans l’coin. Et j’les connais bien, ces hommes d’affaires qui sont toujours à l’affut d’un cul à reluquer, d’une paire de nibards sur laquelle baver. « J’peux t’accompagner, si tu veux. » j’ai déjà mangé mais j’peux toujours prendre un autre dessert et un café pour lui tenir compagnie et me mettre un peu à jour sur sa vie. J’ai l’impression de plus l’avoir croisé depuis quelques mois, c’est surement pas qu’une impression. « J'avais entendu parler de ce restau là, celui duquel tu sors. » je jette un œil derrière, comme pour m’assurer que c’était bien de l’interlude qu’elle faisait allusion. « T’es bien payée ? » que je demande, question sérieuse, faut être okay pour se séparer d’un organe pour pouvoir manger dans ce restaurant, tout ça parce qu’il importe de la bonne bouffe française. Les français, toujours aussi arrogants, je les déteste. « J’t’invite. » j’ouvre la marche, me dirigeant à nouveau vers la porte de celui-ci, pour la pousser et y faire ma nouvelle entrée du jour. « Deux personnes. » j’me serai passé du regard inquisiteur du maitre de salle. « C’est pas ma nouvelle meuf, c’est ma sœur. » connard. Autant foutre les pieds dans l’plat, s’il me pense assez con pour inviter deux nanas dans l’même restaurant à dix minutes d’intervalle. Il était devenu tout rouge, le con, avant de nous emmener à une nouvelle table. « dis-voir. » je prends la carte, comme si j’la connaissais pas suffisamment. J’me ferai peut être une entrée quand même. Après tout, avec les bouchées qu’on nous sert ici, j’pourrais manger trois fois de suite, que j’aurai quand même l’impression de pas avoir fait un vrai repas. « T’as des nouvelles de ton père ? » oh, son père, pas l’mien. « Ma mère est venue s’installer en ville, avec son nouveau mec. Un mec un peu simple, mais serviable et surtout, pas trop con. J’me suis demandé si elle n’avait pas cherché à le revoir, pour qu’il lui file enfin les thunes qu’il lui doit. » qu’il lui a jamais filé après sa séparation. La baraque qu’il avait achetée avec le peu d’économie d’ma mère et qu’il lui a jamais rendue quand il l’a revendu pour aller foutre sa bite ailleurs. « T’as rien entendu ? »

A la base, c’était bien moi qui me jouais d’Elise et qui la tenait avec des informations qu’elle ne voulait absolument pas voir diffusée dans la presse. Je la manipulais à ma guise tout ça pour garder un semblant de dignité et la tête haute. Elise n’était qu’une image de marque, une potiche aux côtés de Saul et elle voulait à tout prix garder cet équilibre, quitte à aligner de nombreux billets – toujours en liquide, jamais de trace – pour que je garde toutes ces informations pour moi. Des clichés qui valaient chers. Aujourd’hui, je n’avais plus aucune trace,m’étais séparé de tout. Simplement parce qu’à force de côtoyer la blonde, j’avais fini par la voir autrement que cette femme sans âme, dénuée de tout intérêt. Oh, qu’elle était intéressante, Elise. Oh, qu’elle savait y faire avec moi à présent. Les rôles étaient inversé, j’étais totalement sous sa coupe, elle faisait de moi tout ce qu’elle voulait. Et pour autant, je ne m’en plaignais pas. Elle avait renversé tout mon monde en quelques claquements de doigts, je l’avais dans la peau et dans le cœur. Aussi brûlante pouvait-elle être. C’est sure, que je m’en cramerais les ailes. Pour l’instant le soleil était suffisamment loin pour m’éblouir sans pour autant me faire de mal.

« Si t'as un deuxième estomac à remplir, ce sera avec plaisir. » Si on me disais que j’en avais trois, je serai pas bien étonné non plus. J’hausse les épaules et l’accompagne à l’intérieur du restaurant, où on allait nous installer rapidement. Le second service ne faisait que commencer. J’étais curieux de savoir comment se passait le travail de Vivian, la seule question qui me venait vraiment en tête, c’était de savoir si c’était suffisamment bien pour avoir une belle paie à la fin du mois et surtout, pour se permettre de jeter un œil à la carte du restaurant. « Suffisamment pour pouvoir louer une villa sur Bayside. » je me pince la lèvre inferieur et secoue la tête. Un bon point, j’ai plus aucuns soucis à m’faire pour elle. C’est là que je regrette presque d’avoir invité ma cadette tiens, après tout, moi, j’avais un gros manque à gagner maintenant qu’Elise n’était plus celle qui me faisait vivre avec ses allonges sous la table. Je plaisante à peine. « T'es pas obligé. » pas faux. « Jte laisse rincer alors. » emballé, c’est pesé.
Vivian tombait finalement plutôt bien. J’avoue que jusqu’à présent, l’arrivée soudaine de ma mère à Brisbane m’avait plutôt surpris dans le sens où elle n’avait jamais vraiment voulu quitter sa ville pour s’installer ailleurs, mais petit à petit, je me demandais si la cause de sa venue n’était pas directement lié à notre géniteur. « Ça fait un moment que je l'ai pas vu, ou même eu au téléphone. Pourquoi? » j’explique ensuite mes soupçons. « Je suis au courant de rien. Mais je demanderais à Chelsea. Ou à Susan, elle sera peut-être plus encline à avouer, si c'est le cas. » je levais les yeux au ciel. Les deux pétasses ne seront absolument d’aucune utilité si Vivian n’avait pas plus d’information. J’allais devoir questionner ma mère et lui sortir les verres du nez. « Ce serait bien qu’elle soit pas trop en contact avec eux. Si jamais tu sais un truc, je m’en charge après. » si mon père devait du fric à ma mère, j’irai l’chercher moi-même.
« Qu'est-ce que tu deviens? Je veux dire, pour de vrai. » « Pour de vrai ? » je relevais le nez de la carte après avoir fait mon choix et regarda Vivian, avec son air toujours un peu ébahis sur le visage. On dirait vraiment qu’elle est toujours en attente de quelques chose et qu’elle ne comprend pas toujours c’qu’elle fou, là où elle se trouve. « si tu veux tout savoir, avec Elise, on est marié. » ah, j’aime cet effet d’annonce digne d’un titre de tabloïde. « mais, c’était une question de fric. pas d’sentiment, de curé à l’église, rien de tout ça. Désolé, si t’as manqué l’invitation. » y en avait pas. « Puis, j’ai eu un gosse, puis, plus de gosse et j’vais déménager. » quoi d’autre ? J’vais la laisser poser ses questions, je vois déjà qu’elle en a un milliard.

Vivian était chanceuse, elle était la seule de cette soit disant fratrie qui avait l’honneur d’avoir l’attribution de sœur. Les deux autres n’étaient que deux connasses et j’suis certain qu’elles me donnent toute sorte de nom d’oiseau aussi, alors pourquoi m’en priver ? On avait pourtant tout essayé hein, enfin, mon père avait tout essayé d’après lui, pour que je trouve ma place dans sa nouvelle famille, mais qui voudrait d’une place où personne ne vous adresse un seul mot ? C’est con d’être aussi rancunier mais ces pimbêches n’ont jamais fais en sorte que mes vacances à Brisbane soient agréables. Toujours mis d’côté. Et à la fois, j’ai jamais voulu leur adresser la parole non plus. On s’est toujours detesté et c’est aussi agréable d’avoir des nanas sur qui cracher gratuitement. Mais en l’occurrence, quand il s’agissait de ma mère, tout devient plus sérieux. Il est hors de question que l’une d’entre elles ne s’approche de près ou de loin. Et la venue de ma mère à Brisbane ne me plait absolument pas. Qu’elle me fasse pas croire que c’est pour pouvoir être plus proche de moi, ca fait plus de 15 ans que j’étais partie, si elle avait voulu être près d’moi, ca fait longtemps qu’elle aurait quitté son bled pour venir s’installer ici. Je sais pas ce qui se trame, mais je finirai par le savoir. Vivian a pas l’air d’être au courant de quoi que ce soit non plus, mais je savais que maintenant, elle serait vigilante sur la question. Si je pouvais faire confiance en quelqu’un, c’était elle, aveuglément même.
Tellement aveuglément que voilà, Vivian savait avant tout le monde qu’avec Elise, c’était du serieux. Bien que ma mère l’avait déjà rencontré, on ne lui avait pas annoncé le mariage. Elle aurait fait une crise cardiaque aussitôt l’annonce et n’aurait rien compris à cette histoire de chapelle alors que pour elle, le mariage est une institution et une divination de Dieu. Qu’il aille se torcher avec sa divination, notre bon Seigneur. A l’annonce de ce mariage, la réaction de Vivian me fit sourire. Bien sûre qu’elle allait pas m’croire, qui l’aurait cru de toutes façons ? Sans trop rentrer dans les détails, je balaie les histoires de sentiments et d’amour pour toujours. C’est absolument pas ce qui m’a poussé à dire oui à Elise, du moins, à ce moment là. Tant qu’à faire dans les confidences, autant balancer pour le môme qui était entré dans ma vie et sortie aussi vite – et tant mieux, quel bordel. « Va falloir m'expliquer, là. » j’hochais la tête, me basculant en arrière quand le serveur arriva à nouveau vers nous pour prendre les commandes. En quelques minutes, c’était bon, il pouvait repartir.
Vivian repris alors. « T'es marié?? » ah, on revient sur le sujet ? de nouveau, je hoche la tête rapidement. « Quand? Comment? » je fronce les sourcils, me forçant à faire un calcul pour remonter le temps, ca date de quand… « Juin ? Juillet ? Ouais, juin. » quelques petits mois, elle a pas tant de retard que ça. « Et t'as eu un gosse? Que t'as plus? Avec elle? Quelqu'un d'autre? T'es sûr que c'était le tien? Et il est où maintenant? » trop de questions. Mais le principal à retenir, c’est qu’il y a plus question de gosse. « Une tarrée avec qui j’ai flirté et plus si affinité, y a une dizaine d’année. » bon, quinze ou seize d’après l’âge du gosse. « Elle a voulu m’faire croire que j’étais l’père pour me tirer du fric. » spoiler alerte : j’ai pas d’fric. « Mais, Elise a des contacts, on a fait des tests de paternité et c’est pas moi l’père. » meilleure nouvelle de l’année. « Donc, j’me fou pas mal de savoir où il est et c’qu’il fait. J’ai pas que ça a foutre de me soucier de tous les gosses orphelins. » même si, j’lui souhaite bien du courage avec une mère aussi tarée, mais c’est pas mon foutu problème. « Et tu comptes déménager où, au juste? » « On va s’installer ensemble avec Elise, t’en fais pas, j’bouge pas d’ici, j’compte bien rester dans l’coin. Est-ce que Madame a d'autres questions sur ma vie ? »

Je connais Vivian par cœur et quand je vois ses yeux, je sais qu’elle prend sur elle pour pas me dire que je suis un vieux con égoïste. Mais, ce serait dire à voix haute, ce que tout le monde me dit depuis toujours et en général, en criant ou en ayant une forte envie de m’en mettre une. Si Vivian m’avait annoncé un mariage dans le seul but de faire de la vie de l’autre un enfer, je ne l’aurai pas cru. Mais en ce qui me concerne, ce serait bien la seule raison qui me pousserait à signer un contrat de mariage. « C’était la plus grosse connerie que j’ai faite, je te le cache pas. » ça, je pouvais bien l’admettre quand même. Pendant de longues semaines, je m’étais demandé si ça avait réellement une valeur légale et la réponse était oui. Pris par mon propre piège.  Concernant le gamin qu’on avait voulu me mettre dans les pattes, c’était de l’histoire ancienne et bien heureusement.
 « Une dernière et je te fous la paix. » je l’ai bien cherché. Je hoche la tête, tend l’oreille et patiente de voir à quelle sauce j’allais être mangé. C’était la séance rattrapage, je lui devais bien ça. Mais le serveur avait décidé de faire durer le suspense en intervenant pile à ce moment-là. Toujours l’air étonné de me voir attablé à nouveau, prêt à manger une seconde fois. Vivian se charge des politesses, pas besoin de faire de courbette. « Si ton mariage était basé sur une question d'argent... Pourquoi est-ce que tu t'installes avec elle? » c’est là que Vivi est toujours trop curieuse et que pour moi, c’est toujours plus simple d’expliquer en quoi j’aime emmerder le monde, mais toujours plus difficile en quoi, je peux être attaché à ces mêmes personnes. « Disons que tout a pris rapidement un autre tournant. A trop vouloir s’éloigné l’un de l’autre, on a fini par ne plus pouvoir se quitter. » oh, c’que c’est beau. Je conclus cet aparté sur Elise avec un clin d’œil. « Maintenant que tu sais tout sur ma vie, on va parler de la pluie et du beau temps. Bien plus intéressant, comme sujet de conversation. Sauf si, t’as un mariage qui pointe aussi le bout de son nez, dans les prochains mois ? » A mon tour de m’attaquer à mon assiette.