Warwick. Avril 2006. «
Je voudrais partir vivre à Brisbane une fois le lycée terminé. » Je réalise que je ne sais pas ce que je voudrais faire après le lycée. Je n’ai jamais su. Je n’ai jamais été très douée pour me projeter dans le futur et je le suis encore moins depuis que du jour au lendemain ma mère nous a mit dans un avion avec le stricte minimum direction l’Australie. Je ne sais pas de quoi sera fait demain, encore moins le mois prochain ou l’année prochaine. Mon père en inconnue qui est imprévisible, aucun calcul ne semble réellement possible pour mon avenir. Mais tout ça, même si je me sens vraiment très bien avec Caleb, je ne peux pas lui dire. Je ne peux pas lui dire que ma mère m’a en quelque sorte arrachée à mon père sans rien dire pour demander le divorce sans craindre les représailles. Est-ce qu’elle m’a en quelque sorte enlevé ? Je suis consentante mais est-ce que mon père pourrait porter plainte contre elle ? Autant de questions que je devrais poser à ma mère, si elle est en état quand je rentrerais. Mais pour l’heure c’est sûr Caleb que je veux concentrer mon attention. Le faire parler un peu plus, profiter qu’il le fasse pour en apprendre davantage sur lui. «
Et tu voudrais faire quoi après le lycée, tu sais déjà ? » Je le connais finalement très peu Caleb. Ça fait très peu de temps que je suis arrivée ici et encore moins de temps que je suis dans sa classe et Caleb n’est pas le plus grand bavard de la terre et pourtant quand je suis avec lui je me sens étrangement bien. En bonne compagnie, à l’aise, c’est la première fois que je ressens ce genre de chose depuis que je suis arrivée en Australie. Correction. C’est sûrement la première fois que je ressens ça tout simplement en compagnie de quelqu’un. Et c'est sans doute parce que ce que je ressens à ses côtés est différent et pour le moment bien incompréhensible pour moi, que je n'ai pas aimé la façon dont on lui a parlé, que je n'ai pas aimé qu'il se fasse malmener de la sorte verbalement par ces pouffiasses, que je n'ai pas aimé non plus, le voir s'enfuir ainsi avec toute la tristesse et la douleur que j'ai pu ressentir quand je l'ai vu quitter la salle de classe précipitamment. J'apprends qu'il vit ça depuis bien trop longtemps, qu'il supporte les moqueries depuis un long moment et je déteste cette pensée. J'aimerais qu'il leur réponde, qu'il trouve la force de leur dire ce que j'ai pu leur dire, mais je sais que ce n'est pas si simple que ça, et si lui ne peut pas le faire, je serais là pour le faire pour lui parce que finalement ça fait du bien d'exprimer sa colère parfois. «
Pourquoi ? » Je ne sais pas si c’est son regard qui s’attarde sur moi ou sa question mais je suis un peu perturbée. Pourquoi ? C’est une très bonne question ça. Pourquoi je veux le défendre ? Et pourquoi je suis perturbée. C’est aussi une bonne question à laquelle je devrais répondre. Mais il n’a posé que la première alors c’est sur celle là que je tente de me concentrer et d’oublier un peu qu’il me déstabilise mais que j’apprécie plutôt ça. «
Parce qu’elles sont connes et personne ne mérite d’être traité comme ça. Enfin toi tu le mérites pas. » Les autres finalement je m'en moque un peu. «
Et j’aime pas voir les gens mal. » C’est faux. Je m’en fous la plupart du temps. Non pas que ça ne me touche pas mais je m’en préoccupe pas. Je ne suis pas proche des gens, et s’inquiéter pour les autres c’est pas vraiment ce que j’ai appris dans mon éducation mais ce qui est vrai c’est que je n’aime pas voir Caleb mal. Je sais pas pourquoi mais son visage semble si sincère et si touchant que sa tristesse arrive à m’atteindre et j’aime pas ça. Ce que j'aime en revanche c'est de le voir sourire. Même si ça me met un peu mal à l'aise dans un sens parce que je ressens l'envie de sourire aussi et c'est déstabilisant de ressentir autant les émotions d'un autre être humain. Je parle. Beaucoup. Trop sans doute mais j'aime lui parler, autant que j'aime le voir sourire quand je parle, peut-être que c'est pour ça que je parle encore alors ? Pour le voir sourire ? «
J’aime aussi beaucoup te voir dans un autre cadre. » C'est lui qui parle et cette fois c'est moi qui souris. Je le regarde quelques instants, ou plutôt un peu plus que quelque instant parce que j'apprécie ce contact visuel même si je suis bien incapable de savoir pourquoi je me sens bien à cet instant précis. «
Peut-être que ça pourrait être notre lieu. Enfin je veux dire…notre lieu de rendez-vous pour l’exposé. » Pourquoi mes lèvres s'étirent encore quand il évoque l'idée que ce soit
notre lieu ? Pourquoi faudrait-il qu'on ait un lieu ? Je sais pas et je m'en fous parce que l'idée me rends presque enthousiaste et c'est tout ce qui compte non ? «
Un lieu de rendez vous ça me plaît ça. » Oui bon j’ai peut être omis le passage sur l’expose mais c’est un détail ça. «
Mais pour l’exposé j’ai un doute, tu te rappelles du sujet, j’imagine les clients qui tombent sur nos recherches et livres ouverts. La genance. » On était à peine capable de dire le sujet à haute voix, je nous imagine pas vraiment évoquer le plaisir sexuel, enfin le lien entre plaisir et sexe dans un bar. Mais je garde l'idée du lieu de rendez-vous
tout court, ça, ça me plaît. Et même si ce n'était pas un rendez-vous aujourd'hui, ça n'en est toujours pas d'ailleurs, enfin je crois pas. J'en sais rien, mais c'est pas si important tout ça, tout ce qui compte c'est que l'on apprécie ce moment tout les deux non ? Pour le reste, mettre des mots sur des choses pour les rendre plus sérieuses, je suis pas douée pour ça et j'en ai pas vraiment envie dans l'immédiat. «
C’est mon film préféré, tu l’as déjà vu toi ? » Son film préféré intéressant tout ça. Et je réalise que je commence à savoir pas mal de petits détails sur Caleb finalement il est pas si silencieux que ça quand on arrive à le faire parler. «
Oui je l’ai vu au cinéma à sa sortie avec ma nounou. » Nounou, bonne, domestique, en fonction de la personne qui va s’adresser à elle chez nous. femme à tout faire et à m’élever aussi en partie. C’est la seule qui m’a emmené au cinéma et pourtant on manquait pas d’argent alors ce n’était pas ça le problème. Mais c’est encore là un détail. Et un autre détail de ma vie dont je parle à Caleb. De mon ancienne vie. Puis-qu’aujourd’hui, il n’y a plus richesse abondante, plus de famille, plus de nounou non plus, plus grande chose et même Alexandra Clarke n’est plus. Alexandra Rowe, et pourtant en présence de Caleb j’ai l’impression de pouvoir être juste quelqu’un de normal. Peu importe qui mais je me sens mieux. «
Mais si c’est ton film préféré tu dois avoir envie d’aller le voir, tu as déjà prévu d’y aller avec quelqu’un ? »
Invites le Alex au lieu de dissimuler une invitation derrière une question dont tu espères une toute autre réponse. Mais je ne le fais pas, je ne l'invite pas et pourtant l'envie d'aller au cinéma avec lui est présente, et ce n'est pas pour le titanic mais pour lui. Sauf que ça je ne le dirais pas non plus parce que même moi je ne suis pas sûre d'en avoir vraiment conscience, ou de pouvoir expliquer pourquoi. Et je n'ai pas envie d'avoir à répondre à ce genre de question, pas maintenant en tout cas.
J'ai un bien meilleur programme pour nous. Le billard. «
Oh…euh…je sais pas, je… » Je vois qu’il commence à s’inquiéter dès que je parle de défi et je ne voudrais pas qu’il se sente mal à l’aise en ma présence. «
T’en fais pas c’est pas un gros défi. Je propose que si tu perds, tu m’invites à visiter ton endroit préféré à Warwick. » C'est même un défi plutôt cool non ? Parce que j'ai bien l'intention de le revoir ailleurs qu'au lycée et je suis sûre et certaine que ce n'est pas cet endroit son endroit préféré, ça me donnera l'occasion de le revoir. Oui parce que je compte gagner. J'installe les boules sur la table de billard et queue en main, je l'invite à commencer. «
Sois indulgente. S’il te plaît. » Je lui souris pour le rassurer, du moins c'est l'objectif mais je ne suis pas vraiment certaine d'en être capable, je ne suis pas la personne la plus rassurante et apaisante du monde, enfin je crois pas. «
T'inquiètes pas, y'a que nous. » Et quelques clients mais ils n'ont même pas remarqué notre présence et ils ne vont pas venir critiquer notre façon de jouer au billard. «
C’est pas terrible. Enfin je crois. J’en sais rien. Désolé. Je suis nul. C’est ma première fois. Te moque pas. » Et il n’a pas besoin de me le dire que c’est sa première fois au billard je le vois à sa façon de tenir sa queue de billard. A sa façon de se positionner, si droit, si tendu, si bloqué surtout. Je le vois à la façon de placer ses mains sur le manche et à venir frapper la balle. Et pourtant pour une première fois il arrive quand même à frapper la balle et à la faire toucher le triangle de balle face à lui. «
Tu as touché la balle je t’assure que j’ai déjà vu bien pire. » Et je ne lui mens même pas. «
Tu tiens mal ton manche mais surtout tu as une mauvaise position et tu es un peu tendu au niveau des hanches et des épaules, regardes un peu comment je me positionne. » Je m’éloignes un peu de la table et une fois les pieds ancrés dans le sol je me penche en avant pour venir placer mon menton à hauteur de la table. Et une fois la visée réglée, je viens frapper la boule blanche qui elle même frappe une autre boule qui finit dans un trou. Pas un coup très compliqué mais je suis plutôt heureuse d’avoir réussie. Je me redresse mais reste concentrée sur le billard pour trouver quelles boules tenter de mettre au fond. Je fais le tour de la table et c’est à côté de Caleb que je viens m’installer pour jouer mon second coup. Je me repositionne le corps en avant mais cette fois un peu penchée sur la table et je remets ça avec la même réussite. «
J'ai peut-être un peu minimisé le nombre de partie que j'ai joué, j'avais un billard chez moi, avant. » Je rétablis la vérité en lui faisant comprendre que j'ai été un peu malhonnête avec lui mais c'était pour rire. «
Mais, on peut arrêter là et pour me pardonner de mon petit mensonge, je paye le popcorn au cinéma. » C'est sans doute une façon pour moi de lui annoncer que je compte venir avec lui au cinéma, pour titanic ou un autre film mais je ne compte pas arrêter de le voir, de toute façon je n'ai pas le choix avec l'exposé, mais surtout j'en ai envie. «
Un jour je t'apprendrais à jouer si tu veux. » L'idée de m'approcher de lui et de l'aider à se placer, ou même de lui permettre de poser ses mains sur mes hanches pour qu'il puisse sentir la position, tout ça me traverse l'esprit une seconde, ou deux. Ou un peu plus. Mais on est pas dans un film non ? Et pourtant, je crois que l'idée est plus qu'appréciable. Je dois rougir un peu, ou beaucoup, et je vois encore une gorgée de mon ice tea pour cacher les pensées que j'ai. «
Mais puisque tu as dis que c'était notre lieu, on aura tout le temps pour ça. » Mon téléphone sonne et me tire de ce moment si agréable. Personne n'a mon numéro à part ma mère, téléphone en cas d'urgence m'a t'elle dit. Parfois j'ai l'impression qu'elle se croit dans un thriller mais au moment ou je décroche je comprends bien vite qu'elle a eu un appel du lycée et je sens que c'est la fin de la journée pour moi quand elle me dit être devant le lycée et que je dois rappliquer vite. «
Désolée Clyde, je crains que notre virée de bandits s'arrête là, mais j'ai hâte de te revoir. » Je le regarde quelques secondes, hésitante, et comme avant de quitter le lycée en courant plus tôt, je viens déposer un baiser furtif sur sa joue pour lui dire au-revoir et c'est sans lui donner le temps de réagir que je me retourne et me dirige vers le lycée pour assumer mes actes, sans avoir vraiment peur des répercussions, elle crie un peu ma mère mais c'est tout ce qu'elle fait. Et même si elle faisait plus, je me dis que ça en valait la peine. Parce qu'il en vaut la peine.
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