Mes doigts tapotent nerveusement sur ma cuisse. Je ne devrais pas être aussi stressée. C'est vrai, je n'étais pas une novice et pourtant ... En fait si, on peut dire que je suis un peu novice étant donné que je n'ai jamais travaillé pour les services sociaux. Prendre en charge des enfants ? Fait. Des ados ? Fait. Des enfants et des ados cancéreux ? Fait. Gérer tout un groupe d'ados ? Fait. Avoir de longs entretiens avec des meurtriers dans de sordides prisons ? ça aussi c'est fait et je suis très fière de pouvoir dire que j'ai participé à un projet de cet envergure. Mais travailler avec des enfants me manque alors, postuler pour les services sociaux à mon retour à Brisbane m'a paru être une évidence. J’ai passé deux entretiens avec brio et aujourd’hui c’est mon premier jour.

Cinq minutes plus tard, l’agent d’accueil m’appelle et me montre mon bureau. Il est excentré par rapport à ceux des assistantes sociales et des éducatrices - Oui parce que, pour l’instant je ne vois que des femmes ! – mais il n’est quand même pas à l’écart de tout. De toute façon, je ne serais pas amenée à rester toute la journée les fesses posées sur cette chaise qui m’a l’ait très confortable mais je pouvais venir en appui des assistantes sociales ou des éducatrices, ou alors animer des groupes de parole sur la parentalité, la violence … que ce soit en direction des parents ou des enfants. Il allait falloir que je sois polyvalente mais le challenge était très excitant et j’avais hâte de commencer.

D’ailleurs, c’était sur ce dernier point qu’il fallait que je me mette à bosser. J’allais travailler avec une certaine Leto Sinclair, étudiante et chercheuse en neurobiologie, sur la prévention de la violence. J’ignorais comment cette jeune femme comptait travailler mais j’avais déjà plusieurs idées que j’avais hâte de pouvoir partager avec elle.

L’agent d’accueil m’indiqua une pièce dans laquelle une petite brune travaillait et semblait absorbée par son écran d’ordinateur. Ne voulant pas l’effrayer, j’arrivais à pas de loup pour me présenter. « Bonjour ? Leto Sinclair ? Je suis Nephtys Sharp et je crois bien que c’est à vous qu’incombe la responsabilité de m’accueillir parce qu’on va bosser ensemble sur la prévention de la violence !  »

Leto était impatiente de rencontrer sa nouvelle collègue. Déjà, parce qu'après deux ans et demi au sein des services sociaux de Brisbane, elle ne serait plus la nouvelle arrivée, même si elle restait la plus jeune au niveau de l'âge. Mais surtout, elle restait persuadée que l'équipe devait restée dans le questionnement et savoir réfléchir à sa manière de travailler. Hors, une nouvelle tête amènerait avec elle sa façon de faire, surtout que Nephtys Sharp avait de l'expérience, et pousserait donc tout le monde à voir les choses autrement.

La jeune étudiante, de par le fait qu'elle ne travaillait qu'à mi-temps et sur des affaires plutôt légères, avait été désignée pour accueillir leur nouvelle collègue. Elle n'avait pas eu de souci avec ce nouveau rôle, surtout parce qu'elle était très intéressée par le projet de prévention de la violence que voulait animer sa nouvelle collègue, quand elle même faisait des recherches sur le lien entre violences intra-familiales et troubles du développement de l'enfant.

Pas sûre de l'heure à laquelle Nephtys arrivait, Leto s'était installée à son bureau, une tasse de café fumante devant elle, pour mettre au propre ses notes sur les affaires qu'elle suivait actuellement. Elle avait avancé un peu quand une jolie blonde entra dans la pièce, se présentant rapidement à elle.

« Enchantée, Nephtys ! Je suis effectivement Leto. J'ai hâte de travailler avec vous ! Vous voulez boire quelque chose, avant qu'on ne commence ? »

Elle montra de la main la machine à café installée dans un coin de la toute petite pièce, entre son bureau et celui d'Ariel - sa collègue était en vacances cette semaine, raison pour laquelle Leto était seule pour accueillir Nephtys. Cette dernière avait d'ailleurs, en plus d'un choix de boisson à faire, le choix de sa tasse, dans une collection des derniers films Pixar, faite pour attirer les enfants et les aider à trouver un peu de réconfort quand ils se retrouvaient dans ce bureau à devoir raconter des scènes difficiles de leur quotidien.

« Je devrais peut-être commencer par vous faire faire une visite du service. Ça ne va pas être long, on est pas beaucoup, et dans un espace relativement réduit ! »

Il fallait dire que le social, ce n'était que rarement une priorité pour la mairie. Leto avait parfois du mal à accepter que ce soit le cas, même si elle comprenait que son service coûtait cher sans rapporter d'argent ou d'intérêt - contrairement aux services sportifs, qui faisaient tout pour faire connaître les équipes de sport locales, par exemple !

Je le savais. Je m’inquiétais toujours pour rien et je cogitais… je cogitais toujours beaucoup trop parce que je me demandais toujours avec qui j’allais travaillais, si j’allais m’entendre avec mes collègues et si j’allais leur donner une bonne impression. Ce n’était jamais facile d’être la dernière arrivée dans une équipe. A la fondation Beauregard, je n’étais là que pour animer des groupes de parole, donc j’étais surtout solo, puis quand je m’étais associée à Stephen, je le connaissais déjà, donc là encore, je n’avais pas eu la même étant d’autant plus que j’étais ma propre patronne au cabinet. Là c’était différent. C’était un nouveau challenge. Oh, je ne m’en plaignais pas, bien au contraire mais il allait me falloir un temps d’adaptation mais la règle d’or dans mon métier – et j’avais appris au fil des années bien sûr – c’était la polyvalence. Et puis, j’avais de la chance, j’avais l’impression d’être plutôt bien tombée avec cette jolie petite brune.

« Enchantée également Leto. » lui répondis-je avec un sourire sincère. « On pourrait peut-être commencer par se tutoyer non ? On va passer quelques heures ensemble donc pas de chichis entre nous hein ? » Je partais du principe que le respect entre mes collaborateurs et moi, était obligatoire mais absolument pas le vouvoiement. Mes patients les plus jeunes me disaient « tu » et m’appelaient par mon prénom, il en était de même pour mes collègues.

« Ah oui un café parfait ! » Parce que même si le café était infâme, il n’y avait rien de mieux que ça pour trouver de bonnes idée. « Tu as une collègue qui travaille avec toi ici ? ça veut dire que tu n’es pas là à temps plein ? » Demandais-je avant de me pencher pour … He bien choisir ma tasse officielle semble-t-il ! Je prenais la tasse d’alerte rouge et mettais en marche la machine contenant LE précieux breuvage.

« Voilà, mon café est prêt, je te suis. » lui dis-je tandis qu’elle me faisait remarquer que la visite ne serait pas longue. Je n’étais pas vraiment étonnée. Les budgets alloués pour les services sociaux n’étaient pas une priorité dans les villes. « Expliques-moi comment tu fonctionnes ici. Je ne veux pas arriver avec mes grands sabots, si tu as déjà une organisation concernant les groupes de paroles, je m’adapterais. Après j’ai des idées que j’aurais voulu te soumettre et voir si elles étaient faisables et adaptables ici. J’a déjà animé des groupes de parole, mais c’était pour des enfants et adolescents cancéreux qui étaient dans une démarche thérapeutique, avec la prévention de la violence, il faudra agir différemment. »

« Pas de soucis pour le tutoiement ! » accepta Leto en tentant de dissimuler un soupir de soulagement.

Elle n'avait jamais été très douée pour ce genre de marques de politesse. Elle avait grandi sur des sites de fouilles où elle avait toujours tutoyé tout le monde, avec son innocence d'enfant, et elle avait du mal à associer le vouvoiement à une forme de politesse. A ses yeux, c'était plus le fait d'écouter son interlocuteur, de prendre le temps de réfléchir à ses réponses ou de prendre des nouvelles et se souvenir des précédentes discussions qui créaient le respect, et pas juste quelques formules de politesse entre deux phrases.

Pour mettre Nepthys à l'aise, elle lui proposa rapidement une boisson, indiquant la machine trônant dans son bureau. Une machine appréciée, Ariel et elle étant toutes deux accro au café et ne pouvaient pas, l'une comme l'autre, s'en passer toute une journée.

« Je suis à mi-temps pour le moment. Je suis aussi en train de finir ma thèse, en neurobiologie, avec une spécialité en développement de l'enfance dans un milieu violent. »

Son travail était aussi son terrain de recherche, et sa façon d'apporter une petite pierre à l'édifice social, en essayant de déterminer comment aider ces enfants et leurs familles pour réduire, voire arrêter, les violences intra-familiales. Un objectif un brin utopique, elle en avait conscience. Mais autant viser loin, en se fixant de petites cibles plus facilement atteignables et permettant de mesurer l'avancée !

« Honnêtement, on n'a pas vraiment d'organisations pour les groupes de parole... Ces derniers mois, on a eu un pic de violence, et un manque de personnel, du coup on a rien pu mettre en place. C'est plutôt une bonne chose que tu arrives, ça nous permet d'avoir une personne en plus et de mettre plus de choses en place. Et si tout va bien, je serai à temps plein à partir de septembre, sans le stress de la thèse. Donc donne tes propositions, et je te dirai surtout si on a les moyens humains et financiers de les mettre en place. »

Nephtys n'avait pas l'air étonnée d'apprendre que les services sociaux manquaient de tout : argent, personnels, matériels parfois aussi. Heureusement que la comptabilité, juste en face d'eux, leur prêtait sans rien dire feuilles ou trombones, ou quoi qu'ils puissent avoir besoin. Sans compter ce que les travailleurs sociaux amenaient de chez eux, comme la machine à café et les dosettes de boisson que Leto et Ariel achetaient elles-même.

« Donc ici, on a notre bureau, à Ariel et moi. Le tien est juste à côté, hésite pas à nous dire si tu as besoin d'aide pour le décorer. Je suis nulle en peinture, mais je sais monter des meubles ! » proposa-t-elle. « Ensuite les toilettes, le bureau de la cheffe, le bureau des deux autres assistantes sociales et la salle de réunion, qui sert aussi pour les groupes de parole, ou pour réunir les familles tout en mettant un peu d'espace entre chaque membre. »

Leto poussa la porte, avant de grimacer. Elle avait oublié que ces dernières semaines, la salle de réunion, déjà pas bien grande, avait été annexée pour entreposer les dossiers en cours.

« Et comme tu peux le voir, on a tellement de dossiers en cours qu'on ne sait plus trop où les ranger. Il va falloir qu'on fasse un peu de tri et de rangement, avant de pouvoir relancer les groupes de parole... »

premier jour de travail

@Leto Sinclair & Nephtys

Leto sourit à sa nouvelle collègue, amusée de la voir impatiente de découvrir tous ses nouveaux collègues. Elle imaginait aisément combien Nephtys pouvait avoir envie de croiser tout le monde, de jauger un peu de l'implication de chacun pour monter des projets communs. Mais les différents membres du services ne travaillaient pas tous à plein temps, et, quand ils étaient au travail, pouvaient être en mission à l'extérieur.

« Ariel est assistance sociale, et je travaille surtout avec elle. Un genre d'assistante si tu veux, même si je peux mener des missions indépendantes. Et elle vient d'avoir son deuxième enfant, du coup elle est en mi-temps pour le moment. »

L'adorable bébé avait bientôt cinq mois, et Leto appréciait de passer chez sa collègue et amie pour voir des enfants heureux. Elle avait même fait quelques heures de babay-sitting pour laisser le couple se retrouver un peu, entre deux biberons ou changement de couche. Elle avait tout de même hâte de pouvoir retrouver Ariel à temps complet, appréciant de travailler avec l'assistante sociale !

« On a essayé de trouvé les causes, et ce qui est beaucoup revenu, c'est une vague de chômage et de pertes d'emploi » expliqua-t-elle, une pointe de regret dans la voix.

Elle comprenait l'engrenage entre la perte d'emploi, la perte de sens dans sa vie, et la spirale infernale les faisant parfois tomber vers l'alcool et la violence. C'était un schéma qu'ils retrouvaient assez fréquemment, et surtout, ils n'étaient pas les mieux placés pour agir sur le modèle économique du pays, ou aider à retrouver un emploi et une vie stable...

« On a essayé de travailler sur la reprise et la recherche de travail, sur l'estime de soi, sur son rôle familial qu'on ait un emploi ou non. Mais déjà, on a eu du mal à isoler le fait que c'était le problème, parce que les gens ont honte. Même s'ils ont été licenciés pour raisons économiques, se retrouver au chômage, c'est quelque chose qu'ils essayent de cacher... »

Leto n'était pas convaincue que des groupes de parole soient très faciles à organiser dans ce contexte. Lutter contre la honte, quand elle était si forte, était compliqué, surtout quand ça s'imbriquait autour d'autres problèmes, de santé, d'addictions et de violences.

Si le service priorisait le plus possible les enfants en véritable danger, il en restait pourtant qu'il y avait des dizaines de dossiers d'importance relativement équivalente et qui se battaient en duel sur leurs bureaux.

« Je n'avais pas pensé à faire un forum de rencontre avec nos partenaires. On travaille ensemble, et on oriente les familles qu'on suit chez les uns ou les autres, mais on s'est jamais vraiment tous rassemblés » nota-t-elle, pensive.

L'idée l'enthousiasmait. Il y avait un bon maillage social sur Brisbane, mais chacun travaillait de son côté, tout en sachant les expertises des autres services. C'était simple de décrocher un numéro pour présenter un dossier au sein de l'association ou du service qui serait le plus approprié, mais il n'y avait que peu de rencontre globale de tous les acteurs du social.

Il n'en restait pas moins que le service social de la mairie manquait cruellement de personnel - le poste de Nephtys était inoccupé depuis près d'un an et demi, après un départ à la retraite, sur lequel ils avaient eu beaucoup de mal à recruter quelqu'un. Raison des multiples cartons de dossier encombrant la salle de réunion.

« Faudra voir avec le reste de l'équipe, mais ce sera sans doute plus simple de faire ça le soir ? Ou peut-être de se réserver des plages pour le faire dans la journée, en réorganisant quelques rendez-vous ? »

Le tri des dossiers serait sans doute plus simple ensemble, pour pouvoir avoir un avis plus nuancé et sans peut-être passer à côté d'un détail - ce qui risquait d'arriver quand on était seul à lire un rapport, surtout quand ce n'était pas le premier à passer sous nos yeux.

« En tout cas, je pense qu'on en aura pour plusieurs semaines, surtout avec ce qui peut se rajouter entre temps. La machine a café va bien servir ! »

Leto était un peu trop addict à la caféine, et elle se savait incapable de traverser tout ça sans une tasse à proximité. Le café était déjà devenu son moteur pour ses lectures de thèse, ça ne la changerait pas beaucoup...

premier jour de travail

@Leto Sinclair & Nephtys

« Les ateliers de gestion des émotions, ou de la colère, ça va être plus facile à mettre en place maintenant que tu es là. Sans psychologue, c'était compliqué à organiser, on est pas vraiment formé pour ça, en plus de manquer de temps. »

Leto regarda une nouvelle fois les dossiers accumulés, soupirant. Le service était en sous-effectif depuis toujours, la protection sociale n'étant clairement pas la priorité de la mairie. Ils manquaient donc de personnels, de moyens, et sous la fatigue, manquaient aussi d'idées pour aider et mettre en place des choses autour des familles qu'ils suivaient.

« Et quand tu verras l'état de nos ordinateurs et de notre connexion actuels, tu comprendras pourquoi on a pas encore mis ce genre de services en place. Mais on est sensés en recevoir de nouveau dans les mois qui viennent. Au compte-goutte, sans doute, mais quand même de quoi renouveler notre matériel actuel et nous permettre d'avoir des trucs qui bug pas toutes les cinq minutes ou qui mettent mille ans à charger une page. Je sais que la directrice de l'unité a déjà reçu le sien, qu'elle nous met à disposition quand elle est en mission à l'extérieure. »

Leto était presque sûre que l'ordinateur qu'elle utilisait avait son âge, à deux ou trois ans près. Et ils essayaient tous d'aider les familles à remplir les dossiers administratifs ou les demandes diverses et variées, mais c'était compliqué quand il fallait littéralement se battre contre l'informatique. Souvent, ils se contentaient donc d'imprimer les formulaires, voire d'aider à les remplir, mais ne le faisaient pas directement sur ordinateur.

« Et je viendrai aider dès que je serai dispo, pour le tri des dossiers. Je dois rendre l'avancée de ma thèse la semaine prochaine, mais après ce sera un peu plus cool pour moi. »

La semaine précédant un rendez-vous avec son maître de thèse était toujours très tendue. Leto se retrouvait vite submergée entre son travail scolaire et son travail au service social, coulant un peu quelques jours le temps que tout se décante. Après, elle avait un peu plus de temps et la tête un peu plus libre.

« Et cent pourcent pour les brownies, mais je suis vegan » souligna-t-elle doucement. « Je peux t'envoyer une recette, si besoin. »

Nephtys ne semblait pas du genre à juger son régime alimentaire, mais Leto était plus qu'habituée aux remarques sur le fait qu'elle ne mangeait rien d'origine animale. Au moins, elle pouvait toujours se lier aux autres par les pauses café, elle qui en buvait des tasses et des tasses au cours de la journée.

« J'espère que ce petit tour des locaux et des moyens ne t'a pas fait peur ? » demanda-t-elle.

Elle espérait vraiment que Nephtys n'allait pas fuir devant les tonnes de dossier en retard, et de problèmes administratifs à relever. L'équipe avait vraiment besoin d'une psychologue, surtout aussi qualifiée que la jolie blonde ne l'était !

premier jour de travail

@Leto Sinclair & Nephtys