Il y a longtemps que tu n’as pas mis les pieds dans cet édifice où se trouve le bureau de ton éditeur. Longtemps que tu ne t’es pas permise de ressentir cette appréhension alors que tu approches peu à peu de l’entrée, toi qui connais pourtant parfaitement le chemin qui mène jusqu’à Boyd. Il y a longtemps que tu ne t’es pas autorisée de réfléchir trop longuement à l’état de ta carrière et ce que tu veux faire ensuite. Les questions sont toujours là, comme un bruit de fond que tu ne sais taire, mais depuis la naissance de Gabriel, et même avant, ce n’était tout simplement plus la priorité. Aujourd’hui toutefois, ce n’est plus seulement qu’un bruit de fond. Ça prend beaucoup de place, ça fait compétition à tes inquiétudes pour ton fils que tu sais pourtant entre de bonnes mains avec son père. Tu ne pensais pas que tu ressentirais une telle anxiété à l’idée d’être séparée de lui et pourtant, tu ne cesses de remettre en doute ton choix d’accepter la proposition de ton éditeur, celle qui a pour but ultime de te replonger dans le monde de l’écriture. Un coup d’œil à ton téléphone te permet de voir que Wyatt a répondu à tes multiples textos et sa réponse t’arrache un sourire tout en te filant un coup de culpabilité. Gabriel est en sécurité avec lui, tu en es consciente, tout comme tu sais que tu ne peux pas gérer à distance tout ce qui se passe chez vous en ton absence. Tu replaces ton téléphone dans ton sac avant de finalement oser franchir la porte d’entrée, prête (ou presque) à te jeter dans la gueule du loup.
Boyd est au téléphone lorsque tu arrives devant son bureau, et tu te fais aussi silencieuse que possible alors que tu viens prendre place sur la chaise devant lui en attendant qu’il termine ce qu’il est en train de faire. C’est étrange d’être ici et de ne pas réellement savoir ce que tu viens y faire. Enfin, ce n’est pas tout à fait vrai. Tu sais ce que Boyd attend de toi, mais tu n’as pas la moindre idée de la forme que cela va prendre une fois que tu auras enfin rencontré l’auteure dont il t’a tant parlé dans les dernières semaines. Il y a des années maintenant que tu n’as pas joué le rôle de mentor pour qui que ce soit, et avec ton syndrome de la page blanche de la dernière année, tu doutes être la personne la mieux placée pour venir en aide à qui que ce soit. Boyd a su se faire convaincant toutefois, ce qui explique ta présence ici, prête à donner une chance à cette idée. L’éditeur termine son appel et tourne enfin son attention sur toi. Vous êtes assez proches pour que sa première réaction soit de contourner son bureau pour venir te faire une accolade. « Comment va le futur écrivain le plus en demande de l’Australie? » Évidemment qu’il parle de Gabriel, avec deux parents écrivains, les attentes de ses capacités se font sans doute bien trop élevées pour un petit garçon âgé à peine de cinq mois. « Il va bien, il aime bien me faire des misères. » Comme son père que tu te retiens de spécifier, même si tu jurerais que Boyd lit dans tes pensées vu le sourire qu’il t’offre ensuite. « Prête à t’y remettre? » Tu hausses les épaules. Tu ne lui mens pas, à l’éditeur. Il connaît tes doutes, tes réserves, il les accepte tout en insistant quand même que c’est la meilleure chose pour toi. « Gaïa est déjà arrivée, elle t’attend dans la salle au bout du couloir. Prenez le temps de faire connaissance, elle va te présenter son roman et on verra ensuite, d’accord? » Tu hoches la tête. Quand il a un plan derrière la tête, il est difficile, voire même impossible d’aller contre les volontés de Boyd. C’est une nouvelle sonnerie de son téléphone qui te pousse à sortir du bureau pour le laisser gérer avec ses urgences du jour alors que tu prends la direction de cette fameuse salle où tu pourras enfin faire la connaissance de cette nouvelle auteure dont Boyd t’a tant parlé. Par politesse, tu frappes quelques coups contre la porte pour témoigner de ta présence avant de l’ouvrir. « Gaïa Salvatori? » Tu connais le nom, tu as fait quelques recherches sur elle avant de venir. Tu sais qu’elle est (était?) une journaliste pour quelques presses de la ville, mais que ce projet de roman est possiblement son premier pied dans le monde de l’édition. « Rosalie Craine. Ravie de faire ta connaissance. » que tu te présentes en lui tendant la main, un sourire avenant sur les lèvres. « Boyd m’a beaucoup parlé de toi. Il semble très content de t’accueillir dans son équipe d’auteurs. » Et tu dois admettre que tu es curieuse de voir pourquoi il pense que tu peux lui venir en aide, à cette fameuse Gaïa.
Ça faisait longtemps que Gaïa n’avait pas été aussi stressée. Pour être honnête, sa vie professionnelle avait été si plate ces dernières années qu’elle n’avait pas eu à s’en faire. À la fin, elle s’ennuyait carrément dans son boulot. Le courrier du coeur et les sujets bateaux? De plus en plus inintéressants? Très peu pour elle. C’était tellement loin du journaliste d’investigation qu’elle aimait tant, et qui lui manquait… C’est pour ça qu’elle avait fini par donner sa démission, en fin d’année dernière. Qu’elle avait fini son préavis en début d’année suivante. Et que maintenant elle bossait depuis peu en freelance, et qu’elle se sentait de plus en plus apaisée par ce fait. Elle avait eu des problèmes dans sa vie sentimentale, également. Un accident, de l’incompréhension, de la peur, et puis un long silence. De plusieurs mois. De longues semaines durant lesquelles elle avait cogité. Beaucoup. Trop, peut être. Alors pour se changer les idées, elle avait sorti son ordinateur portable, et elle avait écrit. Sans faire attention à l’heure, sans se prendre la tête. Tapotant sur son clavier au rythme de son inspiration. Qui, curieusement, ne lui avait jamais fait défaut. Et puis un jour, elle avait mis un point final. Ou du moins, final pour le moment. Et elle s'était retrouvé avec un fichier de plusieurs centaines de pages sur les bras, sans trop savoir quoi en faire. Alors elle avait sauvegardé, et elle avait éteint son PC. Elle n'avait pas rouvert le fichier tout de suite. En fait, elle n'y avait plus du tout pensé. Ce n'est que bien plus tard, quand sa vie avait retrouvé un peu en stabilité que l'italienne était retombée dessus. Alors que ça ne lui avait même pas effleuré l'esprit auparavant, elle s'était soudain rendue compte que tout ça ressemblait fortement à un roman, pas fini, certes, mais quand même. Et sur un coup de tête, elle avait appelé un éditeur. Par curiosité. Mais quand on lui avait proposé un rendez-vous, pour en discuter, elle avait été prise au dépourvu. Mais elle avait accepté la seconde suivante. Et avait commencé à stresser durant celle qui avait suivi. C'était il y a quelques jours, et depuis, ça avait été les montagnes russes émotionnelles. La journaliste était à fleur de peau. Elle aurait parié qu'une fois sur place, elle serait plus calme, habitée par son légendaire sang-froid habituel. Mais elle s'était trompée. Et elle avait dû attendre de se retrouver seule dans une salle, à attendre cette autre personne, pour sentir sa panique diminuer d'un cran. Une grande inspiration à la fois, la jeune femme avait fini par regagner un semblant de calme, et quand la porte de la salle s'était finalement ouverte après quelques coups toqués, elle était simplement nerveuse. « Gaïa Salvatori? » L'italienne avait hoché la tête, en esquissant un sourire poli. La brune lui avait rendu, puis s'était avancée vers elle pour une poignée de main, que la journaliste lui avait accordé de bon coeur. « Rosalie Craine. Ravie de faire ta connaissance. » La jeune femme lui paraissait sympatique. Tout en elle était avenant, chaleureux. L'italienne ne savait pas grand chose sur elle, mis à part que c'était une des auteures de la boîte. On lui avait bien dit qu'elle allait voir un écrivain aujourd'hui, mais à aucun moment on ne lui avait donné son nom. Alors, elle n'avait pas pu se préparer. « C'est moi qui suis ravie. » Et c'était sincère. De prime abord, elle avait l'impression qu'elles pourraient bien s'entendre, et croisait les doigts pour que ce soit bel et bien le cas. « Boyd m’a beaucoup parlé de toi. Il semble très content de t’accueillir dans son équipe d’auteurs. » Boyd. Oui. Le grand patron, qu'elle avait vu un peu plus tôt dans la journée. Celui qui lui avait demandé de patienter dans cette salle. Ils n'avaient que peu parlé, puisqu'il était entre deux appels importants quand elle était arrivée. Il lui avait simplement assuré qu'elle serait entre de bonnes mains, et la journaliste l'espérait. L'italienne lui avait adressé un nouveau sourire. « Je suis flattée. Mais c'est pas un peu tôt pour me considérer comme auteure? » Après tout, elle n'avait qu'une ébauche d'un roman pas terminé, que personne n'avait jamais relu. Et elle était vaguement inquiète à l'idée que ce dernier point ne change bientôt. Et si c'était mauvais? La perfectionniste qu'elle était aurait du mal à avaler ça, si c'était le cas. La journaliste avait ramené son sac sur ses genoux, avant de se figer. « Comment on fait? Est-ce que tu dois lire ce que j'ai déjà fait? Est-ce qu'il y a autre chose à faire avant? » Elle se rendait bien compte qu'elle parlait trop, et trop vite. Mais c'était plus fort qu'elle. Elle avait laissé échapper un soupir. « Je suis nerveuse. » Et elle venait seulement de se l'admettre à elle-même, à voix haute. Et à Rosalie, au cas où elle n'aurait pas vu les signes, ce qui paraissait peu probable. « Je suis journaliste, j'ai pas l'habitude de... Ce genre de choses. » Mais si elle était là aujourd'hui, c'était pour apprendre, non?
Non, tu ne te sens pas particulièrement prête à t’y remettre. Tu es de moins en moins certaine de comprendre ce que Boyd espère de cette rencontre, de cet arrangement un peu bancal entre deux écrivaines qui ne se connaissent même pas. Ce qui te pousse réellement à te rendre à ce local au fond du couloir toutefois, c’est ce besoin de savoir que tu as fait absolument tout en ton pouvoir pour essayer de rallumer la flamme de ta passion. Parce que tu as passé bien trop d’années à bâtir ta carrière pour tout laisser te filer entre les doigts après quelques mauvais mois. Si tu ne parviens jamais à te remettre à l’écriture de cette façon-là, tu as besoin de savoir que tu as mis l’effort nécessaire avant d’en arriver à cette conclusion. Tu n’es certaine de rien en ce moment, et tu n’as jamais été de ceux qui aiment prendre des décisions dans l’incertitude. Alors tu places un sourire poli et professionnel sur tes lèvres lorsque tu entres dans la pièce, que tu te présentes avec une poignée de main qui se veut confiante et rassurante à la fois avant de donner la chance à la jeune femme de s’introduire à son tour, même si de toute évidence, tu sais déjà devant qui tu te tiens. « C’est moi qui suis ravie. » Ni elle ni toi ne donniez l’impression d’entrer dans cette collaboration à reculons, ce qui avait le don de te rassurer ne serait-ce qu’un petit peu. Tu ne connaissais pas grand-chose des raisons qui avaient poussé Boyd à lui choisir un mentor, comme il aimait tant te le spécifier, mais tu étais bien décidée à le comprendre.
« Je suis flattée. Mais c’est pas un peu tôt pour me considérer comme auteure? » « Ça dépend. C’est ce que tu as envie d’être? » Une partie d’elle se devait de le vouloir, ne serait-ce qu’un petit peu, sinon elle n’aurait jamais cherché à effectuer la transition du journalisme à l’écriture de fiction. Elle seule pourrait te dire si elle est une auteure ou pas. Elle seule pourrait te faire savoir si Boyd avait eu raison de lui accorder cette chance, si elle tenait vraiment entre ses mains quelque chose qui vaudrait la peine d’être lue. « Comment on fait? Est-ce que tu dois lire ce que j’ai déjà fait? Est-ce qu’il y a autre chose à faire avant? » Gaïa semble légèrement agitée, alors que les questions s’accumulent sans que jamais elle ne prenne le temps de s’arrêter pour reprendre sa respiration. « Je suis nerveuse. » qu’elle t’avoue dans un nouveau souffle, et tu viens finalement prendre place sur la chaise devant elle. « Tu n’as pas besoin de l’être. Notre rencontre aujourd’hui est plus du type informel de toute façon. Une chance pour moi d’apprendre à te connaître et pour toi de poser toutes les questions que tu peux avoir, justement. Il n’y a pas de mauvaise question. » que tu tentes de la rassurer derechef. « Est-ce que tu as emmené ton manuscrit avec toi? Boyd a mentionné quelque chose que tu avais commencé il y a un moment, mais qui n’était pas exactement complété, c’est ça? » Ce serait le point de départ au niveau de l’écriture oui, mais ça ne voulait pas dire que vous ne pouviez pas avoir une conversation sur ce qui l’emmenait ici avant de plonger dans les points plus techniques. « Je suis journaliste, j’ai pas l’habitude de… Ce genre de choses. » Tu lui offres un nouveau sourire tout en hochant la tête. « J’ai lu quelques-uns de tes articles. » que tu lui avoues pour toute transparence. Des pièces souvent sur des sujets insipides et sans fond, qu’elle arrivait malgré tout à rendre intéressant par un tour de passe-passe dont seuls les écrivains avaient le talent. « L’écriture de ce roman, c’est quelque chose que tu veux faire en parallèle de ta carrière de journaliste, ou bien c’est un changement de direction complet? » Tu serais bien placée pour comprendre l’attrait de cette deuxième option, en toute honnêteté.
Gaïa était nerveuse. Et si au début elle avait compté faire comme si de rien était, c’était si flagrant qu’elle avait fini pas l’admettre à voix haute. Elle n’avait pas l’habitude de ce genre de rendez-vous, elle parlait trop vite, son accent italien revenant au galop. Elle avait dû prendre une longue inspiration pour tenter de se calmer. Et Rosalie s’était rapprochée pour prendre place sur une chaise en face d’elle. « Tu n’as pas besoin de l’être. Notre rencontre aujourd’hui est plus du type informel de toute façon. Une chance pour moi d’apprendre à te connaître et pour toi de poser toutes les questions que tu peux avoir, justement. Il n’y a pas de mauvaise question. » Sa première impression concernant Rosalie semblait être la bonne. L’italienne voyait bien que la jeune femme tentait de la rassurer, et c’était plutôt réussi. Surtout qu’elle en avait un paquet, de questions. Même si pour le moment, elle ne se rappelait pas d’une seule de ses interrogations. « Est-ce que tu as emmené ton manuscrit avec toi? Boyd a mentionné quelque chose que tu avais commencé il y a un moment, mais qui n’était pas exactement complété, c’est ça? » La journaliste avait hoché la tête. Son sac sur les genoux, elle n’avait pas eu à fouiller pour retrouver son manuscrit, soigneusement rangé dans une pochette en plastique, vaguement déformée par le volume de toutes ces pages. D’un geste, Gaïa l’avait tendue à la brune qui lui faisait face. « Le voilà. Il n’est pas terminé effectivement, et honnêtement je venais pour voir s’il avait assez de potentiel pour que ça vaille le coup de le finir. Je l’ai commencé l’année dernière après… » Elle s’était interrompue un instant. Elle l’avait commencé après l’accident d’avion, après que la migraine persistance qu’elle y avait gagné eut disparu, après que Vittorio et elle se soient murés dans un silence pesant durant plusieurs semaines. Ça avait aussi coïncidé avec sa démission de chez The Australian. Tant d’évènements simultanés qui avaient fait qu’elle avait eu besoin de se changer les idées. Et l’écriture avait été son échappatoire, comme souvent. Pourtant, cette fois ça avait été différent. En tant que journaliste, elle se basait sur des faits réels et authentifiés, qu’elle vérifiait avant de les publier dans un article. Mais pour ce manuscrit… Tout était fictif. Inspiré par le réel, aussi pour des questions de vraisemblance, mais fictif. Oui, elle n’avait pas l’habitude. « J’ai eu un accident en fin d’année dernière. J’ai commencé à écrire après ça. » Rosalie n’avait pas besoin de connaître le reste, en tout cas pour l’instant. Elle avait surtout hâte que la brune lise ce qu’elle avait entre les mains, et lui fasse un retour. Boyd, puisque c’était apparemment bien son prénom, lui avait dit qu’elle serait entre de bonnes mains avec Rosalie Craine. Et Gaïa avait hâte de de découvrir s’il avait raison, ou s’il encensait simplement l’un de ses auteurs. « Je suis journaliste, j’ai pas l’habitude de… Ce genre de choses. » Mais ça n’avait pas l’air de gêner la jeune femme. Elle lui avait adressé un nouveau sourire avant de lui répondre. « J’ai lu quelques-uns de tes articles. » Au tour de l’italienne de sourire, sincèrement. Elle avait toujours été fière de son travail en tant que journaliste, ou en tout cas de la qualité de ses articles lorsqu’elle bossait encore pour ce grand quotidien, à Rome. Quand elle faisait encore du journalisme d’investigation, celui qui lui plaisait tant. Chez The Australian, elle n’avait jamais eu trop l’impression de briller. En vérité, ce n’était pas avec des articles bateaux et des réponses au courrier du coeur qu’elle aurait pu impressionner… Du moins, pas gagner en renommée. Partir de ce journal avait été sa meilleure décision de ces derniers mois. « J’espère que ceux que tu as lu datent un peu, les derniers sont bien loin de mon meilleur niveau. » Cependant, les meilleurs selon son point de vue ayant été écrit en italien, c’était plus que probable que Rosalie ne parle pas de ceux-ci. « L’écriture de ce roman, c’est quelque chose que tu veux faire en parallèle de ta carrière de journaliste, ou bien c’est un changement de direction complet? » Gaïa avait pris un moment pour réfléchir. La vérité, c’est que la question de la brune la prenait un peu au dépourvu. Elle avait tout envoyé à la maison d’édition sur un coup de tête, sans même réfléchir aux conséquences que ça pouvait avoir à long terme. Est-ce qu’elle était prête à tout abandonner pour un bouquin? Pas sûr. « Pour être honnête, je viens de me lancer en freelance. En tant que journaliste. Je me vois pas tout arrêter maintenant, plutôt faire les deux en parallèle. Si tu pense que c’est faisable. » Si quelqu’un pouvait lui répondre, c’était sûrement elle, la mieux placée de ceux qu’elle connaissait. Peut-être avait-elle une expérience similaire? Ce serait bête de ne pas en profiter. « Mais si je vais au bout de tout ça et que ça marche… » Elle reconsidèrerait les choses à ce moment là. Mais ça paraissait si loin. Elle avait considéré un instant son manuscrit, dans les mains de Rosalie. Imaginant le temps d’un instant ce qu’il pourrait devenir, si quelqu’un le jugeait prometteur. C’était déjà le cas, puisque le fameux Boyd l’avait fait venir pour rencontrer Rosalie. Mais un seul avis, ce n’était pas suffisant. Il lui en fallait plus. « Je suis partie sur un polar, parce que c’est le genre que je connais le mieux. Même si c’est pas ce que je lis le plus, j’avoue. Quand j’étais à Rome, le tribunal était ma deuxième maison, et les procès mon quotidien. » Elle en avait suivi, des mises en accusations, elle en avait entendu des histoires sordides. C’est sûrement ce qui l’avait inspirée, au final.
« Le voilà. Il n’est pas terminé effectivement, et honnêtement je venais pour voir s’il avait assez de potentiel pour que ça vaille le coup de le finir. Je l’ai commencé l’année dernière après… » Il y a une pause dans l’explication de Gaïa, et tu ne la quittes pas du regard alors qu’elle semble chercher ses mots. « J’ai eu un accident en fin d’année dernière. J’ai commencé à écrire après ça. » La surprise se lit sur tes traits, quand bien même tu es très bien placée pour comprendre que l’inspiration et l’envie peuvent venir des coins les plus surprenants. À l’inverse, tu vivais un énorme blocage depuis ton propre évènement traumatique en fin d’année dernière, chose que tu ne comptais pas lui partager dans l’immédiat, mais qui pourrait faire une approche et une comparaison intéressante, si vous veniez à réellement travailler de manière étroite toutes les deux. Il te fallait encore plonger dans le manuscrit incomplet qui se trouvait désormais entre tes mains, en plus de non seulement voir si la jeune femme et toi pouviez être compatibles, mais d’abord et avant tout, si tu t’en sentais simplement capable, vu ton incapacité à écrire depuis de nombreux mois désormais. « Je suis vraiment désolée d’apprendre pour ton accident. J’espère que ce n’était rien de grave. » Même si quelque chose te laissait pressentir que c’était assez significatif pour qu’elle le mentionne comme étant le point principal qui avait mené à une sorte différente d’écriture pour elle. « Boyd n’aurait pas pris une chance avec toi s’il ne voyait pas du potentiel dans ton brouillon. C’est à toi de voir si tu as vraiment envie de donner tout ce que tu as pour le terminer, et en faire la finition. » Ce n’était pas quelque chose de particulièrement agréable, que de retravailler, décortiquer le moindre des mots, des tournures de phrases, en plus de revoir les personnages et les intrigues pour assurés une fluidité parfaite, mais il n’y avait à tes yeux aucun sentiment semblable à celui de tenir son roman complété et savoir que les heures et les journées passées à le parfaire en avaient grandement valu la peine. « De mon côté, je vais le lire rapidement et revenir vers toi avec des notes, certainement beaucoup de notes, si tu me confirmes vouloir te lancer. » Tu sentais une certaine hésitation chez Gaïa, et tu n’avais certainement pas envie de perdre de précieuses heures que tu pourrais passer avec ton fils si elle décidait à la dernière minute que ce n’était pas quelque chose qu’elle souhaitait entreprendre de manière sérieuse. « Je suis journaliste, j’ai pas l’habitude de… Ce genre de choses. » « Il n’y a pas de manière précise de faire. Tous les auteurs fonctionnent un peu à leur façon, mais on oublie souvent que ce sont les éditeurs qui tiennent le gros bout du bâton. » que tu précises avec un rire. Ce sont eux qui ont le vrai contrôle, eux qui savent vraiment dire quand une œuvre est terminée et prête à être envoyée. Un rôle que tu n’avais jamais réellement endossé, pas celui que tu allais jouer auprès de Gaïa, mais presque, un qui tu l’espérais, réanimerait ta propre passion pour l’écriture.
« J’espère que ceux que tu as lu datent un peu, les derniers sont bien loin de mon meilleur niveau. » « Je t’avoue que je n’ai pas vraiment été chercher très loin. » Ce qui voulait donc dire que tu avais lu les derniers articles parus et qu’en effet, à défaut de trouver sa plume intéressante, tu n’avais pas trouvé les sujets particulièrement fascinants. « C’est toi qui choisis tes sujets, ou bien c’est imposé par ton employeur? » que tu ne peux t’empêcher de demander, n’étant pas très familière avec le journalisme, ce monde ne t’ayant jamais attiré. « Pour être honnête, je viens de me lancer en freelance. En tant que journaliste. Je me vois pas arrêter tout maintenant, plutôt faire les deux en parallèle. Si tu penses que c’est faisable. » « C’est ambitieux. » que tu ne peux t’empêcher de commenter, et si certains auraient chercher à l’en dissuader, tu avais toujours été de ceux qui voyaient les défis et les deadlines difficiles et compliqués comme étant le meilleur des moteurs à motivation. « Toi, t’en sens-tu capable? » Tu ne connaissais pas son degré de tolérance et surtout, tu n’avais pas encore pleinement évalué à quel point elle voulait réellement le mettre en branle, ce projet de roman. « Mais si je vais au bout de tout ça et que ça marche… » C’était un gros si, même en confirmant réellement son envie de le faire, tu ne pouvais pas lui garantir un roman entre les mains d’ici quelques mois, encore moins un roman à succès. Mais elle n’aurait rien de tout ça si elle n’essayait pas, ça, c’était la dure et simple réalité à la fois. « Je suis partie sur un polar, parce que c’est le genre que je connais le mieux. Même si c’est pas ce que je lis le plus, j’avoue. Quand j’étais à Rome, le tribunal était ma deuxième maison, et les procès mon quotidien. » « Tu faisais du journalisme juridique? » que tu confirmes auprès d’elle, chose que tu n’aurais probablement jamais découvert sans lui parler puisque tu t’étais contentée de ce qui avait été paru sous son nom en Australie. « Donc je risque d’y trouver de fortes inspirations de procès que tu as documenté par le passé? » que tu lui demandes, en pointant son roman. « C’est aussi le genre dans lequel je m’adonne le plus, c’est sans doute pour cette raison que Boyd a pensé que je pouvais t’être utile. » que tu la rassures, ne sachant pas si elle aussi avait pris le temps de faire ses devoirs avant votre rencontre. « Et ce qui est écrit là-dedans, ça te passionne assez pour y donner une grosse partie de ton temps pour les six prochains mois? » Si ce n’était pas le cas, alors le projet était mort-né, ça aussi, c’était une réalité que tu avais apprise à la dure à tes débuts.
Non, ces derniers temps, l'italienne n'était pas satisfaite des articles qui avaient été publiés à son nom. Ces dernières années, le plus gros de son travail avait consisté à répondre au courrier du coeur, et à rédiger des articles stupides sur des évènements ridicules. Pas étonnant que plus d'une fois, elle ait eu envie de changer de journal. Pas étonnant non plus qu'elle ait fini par sauter le pas, claquant définitivement la porte de The Australian après son préavis obligatoire de quelques mois. « Je t’avoue que je n’ai pas vraiment été chercher très loin. » Gaïa avait grimacé au commentaire. Ainsi, l'auteure n'avait lu que ses articles les plus médiocres. C'était pas forcément très bon pour la suite. Heureusement, Rosalie avait continué, sans s'arrêter là-dessus, et lui offrant par la même occasion une opportunité de se défendre. « C’est toi qui choisis tes sujets, ou bien c’est imposé par ton employeur? » « C’est imposé. C'était, imposé. » Puis Rosalie lui avait demandé ce qu'elle attendait de l'écriture de ce roman, si elle comptait continuer en tant que journaliste, ou se consacrer complètement et entièrement à l'écriture de son roman. « Pour être honnête, je viens de me lancer en freelance. En tant que journaliste. Je me vois pas arrêter tout maintenant, plutôt faire les deux en parallèle. Si tu penses que c’est faisable. » Ça lui semblait faisable, à elle. Mais puisqu'elle avait une auteure expérimentée en face d'elle, elle préférait avoir son avis, plutôt que de se lancer dans l'inconnu sans information, et d'échouer, à plus ou moins long terme. « C’est ambitieux. » Ça l'était assurément. Pourtant, maintenant qu'elle était en train de renouer avec le journalisme qu'elle aimait tant puisqu'enfin à son compte, elle se voyait mal tout abandonner, même si elle trépignait secrètement à l'idée de pouvoir publier son bouquin, l'ébauche de roman qu'elle couvait depuis plusieurs mois maintenant. « Toi, t’en sens-tu capable? » L'italienne avait eu un sourire. «Oui. Je peux faire les deux, j'en suis sûre. J'ai toujours aimé les défis. Peut-être que j'échouerais... » Tout restait possible. Peut-être que finalement, le roman serait une déception. Peut-être qu'elle déciderait de s'y consacrer, et que le journalisme serait de moins en moins présent pour elle. « Mais si je vais au bout de tout ça et que ça marche… » Elle aurait tout gagner. Et elle était prête à tenter l'expérience, même si elle risquait de tout perdre si ça ne marchait pas. Un gros pari. Elle avait ensuite choisi de parler à Rosalie du genre de son roman, du pourquoi et du comment. De sa vie à Rome, de son quotidien dans la capitale Italienne. De pourquoi elle avait choisi le polar plutôt qu'un autre type de roman. « Tu faisais du journalisme juridique? » L'italienne avait hoché la tête. « Principalement. J'ai fait beaucoup de journalisme d'investigation, mais mes dernières années à Rome étaient basées sur l'aspect juridique, en effet. » Et le petit bonus, c'est qu'à l'époque, elle croisait suffisamment souvent Vittorio au tribunal pour pouvoir dire qu'elle l'avait sous la main assez souvent. Ils avaient bien évolué, depuis... La brune en face d'elle avait pointé son manuscrit du doigt. « Donc je risque d’y trouver de fortes inspirations de procès que tu as documenté par le passé? » Logiquement oui, Gaïa ne pourrait pas nier ça, et de toute façon, elle ne comptait pas le faire. Rosalie le lirait, de toute façon, et la journaliste avait vraiment envie de lui accorder son entière confiance. « C'est possible. Mais ce ne sont que des inspirations bien sûr, rien n'est tout à fait réel. » Elle ne voulait pas que la brune ne pense qu'elle avait plagié certaines affaires, loin de là. « C’est aussi le genre dans lequel je m’adonne le plus, c’est sans doute pour cette raison que Boyd a pensé que je pouvais t’être utile. » À nouveau, Gaïa avait eu l'impression qu'elle n'aurait pas pu mieux tomber qu'entre les mains de Rosalie Craine. La jeune femme s'était promis qu'en sortant d'ici, elle passerait dans une librairie pour acheter l'un des romans de celle qui lui faisait face. Maintenant, elle était curieuse. Elle connaissait la jeune femme de nom, mais n'avait appris son nom que le matin même, n'ayant pas eu le temps de se renseigner davantage avant leur entrevue. « Et ce qui est écrit là-dedans, ça te passionne assez pour y donner une grosse partie de ton temps pour les six prochains mois? » Est-ce qu'elle était prête à ça? L'italienne avait pris un instant pour réfléchir, pourtant, le réponse s'était très rapidement imposée à son esprit. Elle avait capté le regard de Rosalie, et l'avait soutenu, déterminée. Puis elle avait hoché la tête. « Oui. Sinon, je ne serais pas là. Le manuscrit serait resté dans mon ordinateur, oublié au fond d'un dossier. » Il avait bien failli l'être. Mais finalement, elle avait changé d'avis. Et maintenant qu'elle était face à Rosalie, elle n'envisageait plus de faire machine arrière. « Et je suis là, en face de toi... Donc... » Le doute n'était plus permis, du point de vue de l'italienne. Mais puisqu'elle voulait être claire jusqu'au bout, elle avait mis un point final à tout ça. « Alors si tu penses que ça en vaut le coup, je suis prête à me lancer, avec ton aide. » Tout ce qu'elle espérait, c'est que la brune serait aussi emballée qu'elle-même ne l'était. Tout reposait sur son avis sur elle, et sur ce qu'elle lirait de son manuscrit.
« C’est imposé. C’était imposé. » La grimace sur le visage de Gaïa t’en dit long, et tu ne réponds que par un sourire. Tu n’as pas connu l’écriture sous sujet imposé depuis l’université, mais ça n’a jamais été l’une de tes plus grandes forces. Tu n’aurais jamais pu choisir une branche dans laquelle il t’aurait fallut écrire à répétitions sur des sujets dont tu n’as pas le total contrôle. Si tu ne connais pas grand-chose de la jeune femme devant toi, tu comprends rapidement que Gaïa est ambitieuse et qu’elle n’a pas envie de s’arrêter maintenant qu’elle s’est offert une liberté d’écriture en freelance. « Oui. Je peux faire les deux, j’en suis sûre. J’ai toujours aimé les défis. Peut-être que j’échouerais… » C’était toujours un risque à prendre quand on s’embarquait dans un nouveau projet, rempli d’inconnus, mais quelque chose te disait que ce n’était pas un très gros risque avec l’italienne. « Mais si je vais au bout de tout ça et que ça marche… » « Ce sera une très belle réussite. » Autant pour son journalisme de freelance que pour ce roman que tu tiens entre tes mains, un brouillon avec du potentiel, tu l’espérais. « Une chose que tu dois savoir de moi toutefois, c’est que si je commence quelque chose, je dois absolument le terminer. » Si on oublie ce pauvre manuscrit oublié depuis plus d’un an. « Si on se lance dans ce projet, je te laisserais pas lâcher en plein chemin. » Tu lui dis sur un ton qui se veut teinter d’une touche d’humour, même s’il n’y a rien de faux dans tes propos. « Je peux être insistante quand il faut. Et je n’aime pas perdre mon temps. » Insistante et contrôlante, oui. Il ne fallait pas qu’elle craigne de se lancer pleinement. Vous ne vous connaissiez pas en ce moment, mais d’ici six mois, elle serait probablement l’une des personnes avec qui tu passes le plus de temps, dont tu connais parfaitement la routine, aussi bien que celle de ton fils.
« Principalement. J’ai fait beaucoup de journalisme d’investigation, mais mes dernières années à Rome étaient basées sur l’aspect juridique, en effet. » Tu hoches doucement la tête, attentive. « Qu’est-ce qui t’a donné envie de venir t’installer en Australie? » que tu lui demandes, curieuse. Tu avais encore beaucoup de choses à apprendre sur elle, autant sur son écriture que sur la personne qui se trouvait à l’autre bout du crayon. « C’est possible. Mais ce ne sont que des inspirations bien sûr, rien n’est tout à fait réel. » « Oui, je me doute. » Ne voulant pas un seul instant laisser sous-entendre que tu l’accusais de plagiat, puisque ce n’était pas le cas, même si évidemment, tu ne connaissais absolument rien du système de justice à Rome. « Dans ton roman, on touche à quel genre de crime exactement? Si tu pouvais me résumer l’histoire rapidement sans me vendre la fin, tu dirais quoi? » Serait-elle capable de se prêter à l’exercice vite comme ça? Tu savais que beaucoup d’auteurs peinaient à conciser leur travail en quelques mots seulement et même toi, tu avais dû te prêter au jeu plusieurs fois avant de devenir à l’aise avec le concept. Tu finis par lui poser la seule et unique question qui compte dans tout ce projet : ce sentait-elle prête à y donner tout le temps nécessaire, en plus de ses activités de journaliste freelance? Un choix que tu ne pouvais pas prendre pour elle, mais pour laquelle tu pouvais la tenir redevable si jamais elle venait à douter au cours du processus. « Oui. Sinon, je ne serais pas là. Le manuscrit serait resté dans mon ordinateur, oublié au fond d’un ordinateur. » « J’aime ton honnêteté. » Toi qui te familiarisais de plus en plus avec le concept, ça ne pourrait pas te faire de tort de t’entourer de quelqu’un qui ne passait pas par quatre chemins pour répondre à une question. « Et je suis là, en face de toi… Donc… » Un sourire s’étire sur tes lèvres. Toi-même, tu ne pensais pas être la personne la plus adaptée pour aider Gaïa lorsque tu avais accepté ce meeting, et pourtant, maintenant que tu étais devant elle et que vous aviez eu la chance de discuter un peu, tu avais ce sentiment que tu devais le faire. L’envie de plonger dans la fiction pour la première fois depuis bien longtemps et tu ne voulais pas passer à côté de cette chance de le faire. « Alors si tu penses que ça en vaut le coup, je suis prête à me lancer, avec ton aide. » Tu hoches doucement la tête, ne faisant pas tenir le suspense bien longtemps. « Je pense qu’on peut faire une bonne équipe, toi et moi. » que tu la rassures aussitôt. « Je vais lire ça et on peut s’organiser une première rencontre officielle à la fin de la semaine? Avec mes notes, ma vision du projet, et peut-être un échéancier pour disons, le prochain mois? » Tu avais travaillé assez souvent avec des éditeurs pour être familière avec le processus, sans vouloir t’attribuer un titre qui n’était pas exactement le tien. Il y aurait de l’édition oui, mais aussi des exercices en tout genre et surtout, oh surtout, énormément de débats à venir.
Rosalie avait été claire. Si l'italienne devait se lancer pour de bon dans tout ça, elle ne pourrait pas faire machine arrière, et si un jour tout devenait trop difficile, et qu'elle envisageait de laisser tomber, ce ne serait pas possible. C'était tout... Ou rien. En dressant son portrait, la brune avait mis en avant le fait qu'elle ne lui laisserait pas le choix quant au déroulement du projet. Si Rosalie lui disait oui, Gaïa n'aurait d'autre choix que d'aller au bout des choses. Et ça tombait bien, c'était précisément ce qu'elle comptait faire. La détermination semblait être un point commun entre les deux femmes. Oui, la brune qui lui faisait face était parfaite pour l'épauler dans cette aventure, la journaliste en était persuadée. Face à son discours franc, Gaïa n'avait pu qu'hocher la tête pour lui signifier son accord. Une fois qu'elle serait lancée, elle ne reculerait plus. C'était pas son genre d'abandonner.
Rosalie lui avait ensuite posé des questions sur son métier de journaliste, son style, sur les sujets qu'elle avait l'habitude de traiter, et la jeune femme y avait répondu honnêtement, prenant même le temps d'évoquer rapidement son parcours professionnel, un peu chaotique ces dernières années. Quand elle s'était attardée sur son travail à Rome, l'auteure s'était interrogée, après avoir hoché la tête. « Qu’est-ce qui t’a donné envie de venir t’installer en Australie? » La journaliste s'était figée un court instant, le sourire qu'elle abordait jusque là s'étiolant un petit peu. L'histoire était très longue, et restait très personnelle, si bien que la jeune femme n'était pas certaine de vouloir la partager avec une personne qu'elle connaissait si peu. Pourtant, elle pouvait bien lui donner quelques informations, qui l'aideraient à mieux la cerner, sans pour autant rentrer dans les détails. « J'ai été agressée par des voyous un soir alors que je rentrais chez moi. À cause d'un de mes articles, qui avait fait beaucoup de bruit à l'époque. » Son regard se perdant dans le vague, l'italienne avait replongé dans des souvenirs. Tout ça lui paraissait si loin, maintenant... « À l'origine, je suis venue jusqu'ici pour régler des comptes. Je t'en dirais peut-être plus là dessus, un jour... » Retrouvant le sourire, la journaliste avait adressé un léger clin d'oeil à la brune. Si tout se passait bien entre elles dans les mois à venir, cela se ferait naturellement... « Je suis restée pour les opportunités. Et aussi, pour quelqu'un. » La jeune femme avait gardé son sérieux, pourtant, un joli rose était venu teinter ses joues. Admettre que Vittorio était la raison de tout cela, c'était nouveau. Mais puisqu'ils s'étaient promis que ni l'un ni l'autre ne rentrerait en Italie, jamais... Tout avait pris une nouvelle dimension. Rosalie s'était ensuite questionnée sur les inspirations qui avaient guidé l'écriture du manuscrit de l'Italienne. Y retrouverait-elle des détails provenant de certains procès qu'elle avait documenté? C'était possible, pourtant, ce n'était bel et bien que des inspirations. Le but était d'écrire un roman, pas une biographie ou autre. « Oui, je me doute. » Et donc, elle ne la croyait pas capable de plagiat. C'était tant mieux pour leur future collaboration, car l'italienne en aurait été profondément vexée. « Dans ton roman, on touche à quel genre de crime exactement? Si tu pouvais me résumer l’histoire rapidement sans me vendre la fin, tu dirais quoi? » La journaliste s'était pliée à l'exercice sans broncher, pitchant l'histoire succinctement, évitant bien évidemment la fin, ni les éventuels plot-twists, des détails que la brune pourrait retrouver par elle-même quand elle parcourrait le manuscrit. Des personnages torturés, un scénario noir, à la limite du thriller psychologique. Un scénario très sombre, pourtant assez loin de ce qu'elle avait déjà pu voir et entendre dans les tribunaux... La réalité était souvent bien pire que la fiction. L'écrivaine avait dû être satisfaite de sa réponse, puisqu'elle avait rapidement enchaîné pour lui demander si elle aimait ce qu'elle avait écrit, si ça la tiendrait suffisamment pour qu'elle consacre beaucoup de temps dans les mois à venir. Est-ce qu'elle tiendrait jusqu'au bout? Est-ce qu'elle croyait ce qu'elle avait écrit suffisamment bon pour qu'à terme, ce soit publié? Certainement. Sinon, elle ne serait pas là. « J’aime ton honnêteté. » Comment ne pas apprécier l'honnêteté? De toute façon, Gaïa n'avait aucun intérêt à lui mentir, au contraire. Un bobard pourrait plutôt la desservir, et là, elle ne pouvait pas se permettre de faire un faux pas qui anéantirait ses chances. L'italienne avait prit une inspiration, et puis elle s'était lancée, en admettant que si Rosalie était prête à l'aider dans cette aventure, elle-même était prête à se lancer pour de bon. Un hochement de tête convaincu de la part de la brune avait fait sourire la journaliste, à deux doigts de soupirer de soulagement. « Je pense qu’on peut faire une bonne équipe, toi et moi. » Ça restait à prouver, pouvait-on vraiment se faire une idée quant au caractère d'une personne en une seule rencontre, après seulement quelques phrases échangées? Probablement pas, pourtant, Gaïa en était arrivée à la même conclusion. « Je vais lire ça et on peut s’organiser une première rencontre officielle à la fin de la semaine? Avec mes notes, ma vision du projet, et peut-être un échéancier pour disons, le prochain mois? » Nouveau hochement de la tête, de la part de la blonde, cette fois. Ça ne lui paraissait pas insurmontable d'attendre une semaine pour avoir un retour, même si elle était impatiente d'avoir le retour d'une professionnelle. Un peu inquiète aussi, mais ce sentiment là, elle arriverait à le faire passer à la trappe jusqu'à ce que Rosalie la recontacte plus tard. « Ça me va très bien, comme programme. J'ai hâte d'avoir ton avis sur tout ça. » Elle était bien consciente que dès qu'elle aurait son retour, ce serait le véritable début de leur collaboration. Que dans une semaine, il y aurait peut-être déjà des corrections à faire, des critiques à encaisser. Pourtant, elle bouillait déjà de l'intérieur. Quand Rosalie s'était levée, l'italienne l'avait imitée. Après une poignée de main ferme, et un sourire échangé, Gaïa avait laissé ses coordonnées à Rosalie par précaution, au cas où celles qu'elle avait déjà donné avec son courrier se soient perdues. Après quelques mots supplémentaires échangés, l'italienne avait pris congé, et était sortie de l'immense bâtiment, sourire irrépressible sur les lèvres. Vivement la suite.