let me hold your hand (lexie)

( Let me hold your hand )

@LEXIE WALKER & ELIJAH WALKER

( 26 décembre 2021 – bureaux de ABC ) La gueule de bois avec laquelle se réveilla Elijah ce matin-là n’était en rien due à l’alcool qu’il avait pu ingurgiter les heures précédant le coucher. C’était plutôt la douleur du fiasco astronomique de la veille qui sembla tambouriner contre ses tempes, et comme après une cuite un peu trop corsée, Eli regretta d’être arraché à son sommeil et au confortable déni qui l’accompagnait. D’abord un peu groggy en ouvrant les yeux, il ne tarda pas à se remémorer les flashs plus que désagréables de l’insoutenable repas de Noël qu’il avait partagé avec sa famille en ce 25 décembre, et une boule se forma aussitôt dans le creux de ses entrailles tandis que commençaient à défiler dans son esprit à moitié endormi les bribes de conversation de la veille.

Son retour à Brisbane n’avait en rien été confortable, et cela faisait plus d’un mois qu’il affrontait la méfiance de Lexie, la franche hostilité de Channing et le caractère naturellement insupportable de Mary. Cette dernière était habituellement le cadet de ses soucis, Elijah ayant appris à la mani(pul)er d’une main experte en dépit des 19 ans passés outremer, mais elle avait été à l’origine d’une bonne partie de la zizanie semée lors du fiasco familial. Il en était venu à faire ce constat de manière assez évidente, malgré le fait qu’il avait pleinement conscience qu’il était, depuis son retour, en train de récolter ce qu’il avait lui-même semé en abandonnant si longtemps sa fratrie. Mais si la colère justifiée de Lexie et Channing à son égard avait été palpable tout au long de la soirée et n’avait évidemment en rien arrangé le cours des événements, elle n’avait certainement pas été le principal élément perturbateur des festivités. Dans cette catégorie-là, c’était incontestablement leur chère mère qui avait décroché la palme d’or, usant de remarques acerbes et vicieuses qu’elle semblait ne même pas avoir conscience de cracher comme du venin. L’ensemble de ses enfants avait pris l’habitude d’essuyer ses propos déplacés au fur et à mesure que lui venaient ses lubies, mais c’était incontestablement et systématiquement Lexie qui endurait les pires affronts. Hier encore, Mary avait fait fort, lâchant avec une fausse innocence qui ne trompait plus personne une véritable bombe atomique d’entrée de jeu, alors qu’ils n’étaient pas encore installés à table, en humiliant délibérément sa fille au sujet des consommations de cette dernière – des consommations dont Elijah, tout absent qu’il avait été au cours des deux dernières décennies, n’avait évidemment pas connaissance. Ça n’avait d’ailleurs pas été le seul choc qu’il avait essuyé sur la soirée en termes de surprises cataclysmiques, mais à ce stade, Eli ne savait même plus ce qui était plus déroutant à apprendre entre la toxicomanie de sa sœur et sa grossesse encore inconnue de leur propre mère.

Malgré toute la bienveillance dont il avait su faire preuve à l’égard de sa cadette au cours de la soirée, Eli avait remarqué aussitôt que ses attentions n’avaient actuellement plus leur place dans la dynamique fraternelle, qui présentait un schisme plus qu’évident entre Lexie et Chan d’un côté, et lui seul de l’autre. Il s’était donc abstenu de toute intervention afin d’éviter d’empiéter sur un territoire dans lequel il n’était visiblement plus le bienvenu, à l’exception justement de cette première remarque de Mary, qui avait frappé Eli de plein fouet là où ça faisait mal – car Lexie et lui ne partageaient pas que le même tempérament de feu et les mêmes yeux azur : désormais, la toxicomanie constituait un nouveau point commun entre l’aîné et la cadette, bien que cette dernière, ni personne d’autre d’ailleurs, n’en eût la moindre idée. C’est d’ailleurs peut-être pour cela que tout le monde avait été sidéré lorsque, pour la première fois depuis… eh bien, probablement depuis toujours, Eli avait haussé le ton sur leur mère, la confrontant à la nature absolument abjecte de sa remarque et lui intimant de s’abstenir définitivement d’en faire d’autres de la même nature sous peine d’attiser toute sa rage. Une rage qui avait brillé dans ses prunelles tandis que le ton qu’il avait employé aurait suffi à leur glacer le sang – en tout cas, ce qui était sûr, c’est qu’il avait suffi à jeter un froid supplémentaire sur une soirée déjà tendue.

C’est donc la boule au ventre qu’Elijah se remémora ces souvenirs qu’il aurait préféré ne jamais vivre, et il lui sembla bien vite évident qu’il était tout simplement inconcevable de faire le mort après toute la souffrance endurée par les siens la veille – et surtout, par sa petite sœur dont la dureté du comportement semblait cacher une grande fragilité sous-jacente, perpétuellement entretenue par l’insécurité émotionnelle dont la nourrissait sa mère. Il attendit donc que la matinée touche à sa fin pour prendre le trajet vers les studios de la chaîne ABC, déterminé à faire un pas dans la direction de celle qu’il avait trop longtemps délaissée. Arrivé sur place, il lui fallut bien vingt minutes pour s’orienter, mais ses efforts furent finalement récompensés lorsqu’il l’aperçut à la sortie d’une salle de réunion, en train de ranger ses affaires alors qu’une flopée de gens quittaient la pièce. Il attendit le départ des plus lents d’entre eux avant de frapper doucement à la porte vitrée, passant la tête par l’ouverture de cette dernière. « Toc toc », annonça-t-il d’une voix profonde et réconfortante. « Ton idiot de frère vient voir si à tout hasard, tu aurais faim et accepterais de venir déjeuner… » Le ton de sa voix était guilleret et plaisantin, mais dans ses prunelles brillait une lueur de doute et d’espoir, presque une supplique de la voir accepter de faire un pas dans sa direction.

( Pando )

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@Elijah Walker - Lexie Walker

Ce matin est un matin comme les autres. Il ressemble aux matins déprimants que la brunette n’arrive toujours pas à apprivoiser depuis quelques jours. La nausée la tiraille, le petit-déjeuner ne passe pas, les cernes et les joues se creusent. Sans les vomissements et le test de grossesse, qui ne laissent la place à aucun doute, Lexie aurait eu du mal à croire qu’un bébé poussait sous son nombril. Elle était à deux doigts d’aller faire du shopping pour se racheter de nouveaux vêtements : une taille en moins.
Ce matin est un matin comme les autres. Il ressemble aux matins déprimants des derniers jours … en pire. Ce matin s’accompagne du souvenir du dîner catastrophique de la veille. Depuis la mort de Richard, Lexie détestait Noël. Comment pourrait-elle aimer cette période de l’année, alors qu’elle était synonyme d’un repas de famille avec une mère qui ne l’aimait pas, repas lors duquel deux êtres chers brillaient toujours par leur absence : Richard, son père qu’elle adorait, décédé il y a plusieurs années, et Elijah, son frère aîné dont elle avait été si proche, qui l’avait abandonné il y a près de 20 ans pour savoir sa liberté.
Et finalement, Elijah est revenu … pour le moment. Mais sa présence n’a pas rendu ce repas de Noël plus attractif. Cette année, Lexie était finalement stressée, non pas de devoir affronter Mary et supporter l’absence d’Elijah, mais de devoir endurer les tensions entre Chan et Eli. Elle savait que ce dîner ne serait pas une mince affaire, et elle se demandait également s’il serait le seul repas à quatre qu’ils feraient avant une deux dizaines d’années, ou si l’aîné de la fratrie les gratifierait dorénavant de sa présence plus régulière.

La brunette rejoint finalement les studios d’ABC avec peu de retard, si l’on considère ses mauvaises habitudes. Elle tâche de se concentrer sur son job, étudie les cartes de la météo avec les experts, vérifie la géographie australienne qu’elle connait par cœur. Elle fait une première prise avant le direct pour vérifier sa position et les informations qu’il a été choisi de communiquer, et on lui demande de sourire davantage. Elle grimace : elle a déjà mal aux zygomatiques, et est à deux doigts d’envoyer tout promener. Elle en a assez de montrer des petits soleils sur une carte en affichant un sourire niais. Sa patience est finalement récompensée lorsque, après le tournage du direct, on la convoque en salle de réunion pour aborder un sujet journalistique, un vrai.
Le temps passe à la vitesse de l’éclair, et la brunette est perdue dans ses pensées lorsqu’elle rassemble ses affaires après la réunion. Elle ne voit pas son frère avant de l’entendre frapper à la porte et prononcer ces quelques mots.

« Toc toc. Ton idiot de frère vient voir si à tout hasard, tu aurais faim et accepterais de venir déjeuner … »

Elle lève son regard bleuté vers Elijah et est rapidement submergée par diverses pensées, qui se bousculent dans sa tête. Elle est d’abord frappée par ses yeux bleus, les mêmes que les siens. La ressemble ne s’arrête pas là : les cheveux bruns, les lèvres fines … Ils partagent le même sang, et c’est évident. C’est évident, et pourtant troublant, troublant de noter leurs ressemblances, de les comparer avec les souvenirs qu’elle a de lui. Lorsqu’il est parti, il n’avait que 18 ans, et s’il est revenu quelques années plus tard pour l’enterrement de Richard, ne restant que quelques jours, Lexie avait 13 ans lorsqu’il a quitté la ville. Elle en avait finalement 16 ans lorsqu’elle l’a revu pour la dernière fois, avant un silence radio de près de vingt ans. Il était un adolescent, et le voilà adulte. Elle n’était pour sa part qu’une enfant, une enfant qui avait besoin de son frère et qui n’a pas pu compter sur lui.
Et face à cet adulte qu’elle ne connait finalement pas, et qui ne la connait pas, une autre pensée l’assaille : il n’a rien à faire ici. Il n’est pas à sa place, ici, dans le monde professionnel de la brunette, là où elle travaille et où les drames familiaux n’ont pas leur place.

Le regard de Lexie se durcit alors qu’il est toujours planté dans celui de son frère. Les secondes s’étirent, et elle n’a toujours pas dit un mot. Elle aimerait répondre qu’elle n’a pas faim, toujours pas, et qu’elle ne veut pas déjeuner. Ce serait la vérité, tout simplement, et pourtant, elle sait qu’ils doivent discuter, et ne souhaite pas faire d’esclandre au bureau. Alors elle hoche la tête avant de récupérer ses affaires.

« Allons-y. »

Elle reste étrangement silencieuse jusqu’à ce qu’ils soient installés dans un restaurant en face des studios. La brunette vérifie qu’aucun collègue ne se trouve dans leur immédiate proximité et se lance, d’une voix froide, ferme, mais dont le volume sonore est parfaitement maîtrisé. S’il y a bien une chose que Mary lui a appris, c’est à sauvegarder les apparences en public.

« C’était quoi, cette comédie que tu nous as joué hier soir ? »

Le regard de Lexie lance des éclairs, et le serveur qui s’approchait de leur table fait finalement demi-tour lorsqu’il croise les yeux bleus de la brunette.

« Je n’ai pas besoin qu’on prenne ma défense, et surtout pas pour … essayer de se racheter une pseudo-conscience après près de vingt ans d’absence. »

Elijah avait fait un esclandre, la veille, lorsque Mary avait évoqué l’addiction de Lexie, surprenant tout le monde. Il ne s’était jamais réellement rebellé, n’avait jamais parlé ainsi à leur mère. Son comportement avait été inhabituel, et la brunette n’avait vu dans cet acte de désespoir chevaleresque que la tentative pathétique de son frère de se faire pardonner ses années d’absence. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’avait pas apprécié le geste.

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@LEXIE WALKER & ELIJAH WALKER

( 26 décembre 2021 – bureaux de ABC ) Les enfants Walker n’avaient pas hérité grand-chose de leur mère, si ce n’est une partie de ses caractéristiques physiques. Sur le plan comportemental, des manies, des expressions faciales et de tous ces traits qu’un enfant acquiert habituellement par mimétisme au fur et à mesure de sa croissance, l’absence chronique de Mary avait eu, sans surprise, raison de tout risque de voir ses enfants l’imiter en grandissant. Il y avait toutefois une exception à cette règle globalement respectée tant par Eli que Chan et Lexie : tous avaient suffisamment été au contact de son air glaçant, arrogant et désapprobateur, fût-il adressé à l’un de ses enfants ou à l’un ou l’autre malheureux qui aurait eu la mauvaise idée de se mettre en travers de son chemin. En dépit de ses tendances au drame et à l’exagération, qui la poussaient régulièrement à brailler son mécontentement lorsqu’elle se sentait suffisamment à l’abri des regards et des oreilles des gens importants, Mary était parvenue avec succès à inculquer à ses enfants la vertu lui semblant la plus primordiale : la sauvegarde des apparences à tout prix, et l’aptitude à communiquer son mécontentement (mais uniquement lorsque c’était absolument indispensable) sans se départir de son sourire le plus politiquement correct. L’ensemble de sa progéniture avait donc acquis cette capacité, malgré leurs réticences dont n’avait jamais eu cure l’étrange phénomène qu’était Mary.

Aujourd’hui encore, Eli lut sans effort le fruit des leçons de Mary sur le visage de Lexie sitôt que cette dernière eut posé le regard sur lui. Son expression était neutre, imperturbable, et ne sembla d’abord pas trahir la moindre émotion. Ses yeux, si extraordinairement semblables aux siens, laissèrent en revanche filtrer un tas d’autres informations – difficile d’identifier avec précision s’il s’agissait de colère, de contrariété, d’amertume ou d’une autre nuance d’un sentiment globalement plutôt mécontent à son égard, mais le message fut reçu cinq sur cinq par Eli : Lexie n’était clairement pas ravie de le voir sur son lieu de travail. Il se demanda s’il n’était pas allé trop loin en venant la déranger au bureau, s’étant simplement basé sur l’idée que, dans la situation inverse, il l’aurait accueillie avec plaisir. Il avait également supposé que, dans le pire des cas, elle ne se serait pas privée de l’envoyer paître si elle n’avait pas voulu le voir – mais c’était sans compter les codes sociaux qu’elle avait dû intégrer après son départ, depuis lequel elle était devenue adulte. L’espace de quelques instants, Eli crut bel et bien que Lexie trouverait une façon de l’éconduire sans créer d’esclandre, exactement comme le leur avait enseigné Mary. Mais, alors qu’il ne s’y attendait plus, elle accepta, d’un ton trop neutre pour être tout à fait naturel, avant de lui emboîter le pas.

Eli faillit, l’espace d’un instant, la guider vers un restaurant de sushis en face des studios, avant de prendre conscience juste à temps qu’il aurait difficilement pu trouver pire idée que de l’emmener dans un endroit où était servi du poisson cru. Il se ravisa et prit la direction d’un établissement italien non loin de là, et suivit Lexie à l’intérieur, espérant pouvoir y partager un moment privilégié à ses côtés, avant de déchanter bien vite car Lexie n’attendit pas une seconde de plus que nécessaire avant de prendre la parole, d’une voix aussi glaciale que son regard, suffisante pour faire détaler le personnel des environs de leur table. D’abord quelque peu désarçonné par la tournure que prenait la conversation, Eli ne tarda pas à comprendre que son intervention de la veille n’avait absolument pas été appréhendée comme cela avait été son intention. Lexie y avait visiblement décelé une tentative de manipulation de la situation à son avantage, et Eli prit conscience de combien ce petit débordement avait été malvenu aux yeux de sa cadette. Ses yeux trahirent sans équivoque combien il était surpris et blessé par les intentions que lui attribuait sa sœur, tandis que dans sa voix, d’ordinaire si posée et calme, c’était davantage la perplexité qui primait. « Me… racheter une pseudo-conscience ? », répéta-t-il, incrédule alors que ses yeux turquoise se voilèrent d’une tristesse mal contenue. « Tu ne penses pas que, si j’avais voulu me racheter quoi que ce soit, j’aurais évité de foutre en l’air la soirée alors que ça crevait les yeux à quel point tout ce cirque t’angoissait ? », demanda-t-il à son tour. Il se ravisa ensuite, bien conscient que le contexte n’était pas propice aux justifications et qu’il avait mieux à faire que d’attiser la colère d’une Lexie déjà passablement courroucée. « Enfin… ça n’est pas le sujet. Je suis désolé, Lexie, vraiment. J’aurais dû me contenir, justement parce que je savais combien tu étais déjà mal à l’aise avant que j’en rajoute une couche. J’ai dépassé les bornes alors que je suis censé être l’aîné… » Il grimaça, bien conscient en prononçant ces paroles qu’il n’était plus du tout légitime à cette place depuis belle lurette, et que la simple généalogie ne suffisait plus à lui assurer la moindre place dans leur fratrie déchirée par sa faute. « L’aîne, ou ce qu’il en reste, en tout cas », rectifia-t-il alors, en se mordant la lèvre, tenté de baisser les yeux mais se refusant à opter pour le confort de fuir le regard glacial de Lexie. « Mais donc… pour répondre à ta question, ce cirque, j’ai pas d’autre explication que le fait d’avoir été enragé par sa remarque… de pas avoir pu me retenir. Et j’en suis désolé. »

( Pando )

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@Elijah Walker - Lexie Walker

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Lexie n’est pas ravie de voir Elijah débarquer la bouche en cœur sur son lieu de travail, surtout après l’esclandre qu’il a eu le culot de faire au repas de famille la veille. Pourtant, elle accepte de le suivre, parce qu’elle ne souhaite pas faire de scandale, et parce qu’elle sait qu’ils ont besoin d’en parler. Mais à peine sont-ils attablés dans un restaurant italien en face des studios d’ABC que Lexie attaque, son ton glaçant et ses yeux lançant des éclairs. Pour elle, aucun doute, si Elijah est intervenu de manière si maladroite pour tenter de défendre sa sœur, c’est parce qu’il se sent coupable d’être parti, à l’époque, et qu’il cherchait un moyen de se racheter. Pourtant, alors que Lexie crache son venin, elle ne peut que remarquer qu’elle a blessé son frère.

« Me … racheter une pseudo-conscience ? »

Elle scille un instant, avale difficilement, et regretterait presque ses paroles lorsqu’elle lit la tristesse sur les traits d’Elijah. Mais Lexie n’est pas du genre à baisser ses barrières si facilement, et à se laisser attendrir par un regard de chien battu. Alors, face à la peine de son frère, elle se durcit davantage, serrant la mâchoire pour éviter d’en rajouter une couche.

« Tu ne penses pas que, si j’avais voulu me racheter quoi que ce soit, j’aurais évité de foutre en l’air la soirée alors que ça crevait les yeux à quel point tout ce cirque t’angoissait ? »

Si elle continue à serrer la mâchoire aussi fort, ses dents vont finir par exploser. S’il avait vu qu’elle avait envie d’être partout, sauf ici, pourquoi a-t-il aggravé la situation ? Elle ne le comprend pas. Et visiblement, lui aussi ne la comprend pas. Mais comment pourrait-il en être autrement alors qu’Elijah est parti il y a plus de quinze ans en laissant les siens derrière lui ? Comment pourrait-il en être autrement alors qu’il a rapidement coupé les ponts avec tout le monde ? Il ne les connaît pas, et ils ne le connaissent pas. La faute à Elijah, encore une fois, le seul à blâmer selon la brunette.
Pourtant, quand elle repense à cette soirée atroce, elle ne repense pas qu’à l’intervention d’Elijah. Elle se remémore surtout les paroles blessantes de Mary, comme toujours, et son envie de toujours rabaisser Lexie. Elle se rappelle la tension entre ses frères. La soirée a en effet été « foutue en l’air », mais sans doute pas à cause de cette unique intervention d’Elijah sur la consommation de cocaïne de Lexie. En réalité, ce repas de Noël ne pouvait pas être réussi, pas avec les Walker, pas avec leurs caractères et leurs bagages respectifs. Alors Lexie laisse échapper un petit soupire et laisse un petit peu de leste à son frère.

« Ce n’est pas toi qui a gâché la soirée … Elle l’était déjà, et elle l’aurait été dans tous les cas. »

Elle le réconforte, modère sa responsabilité, dédramatise un peu son intervention, et c’est tout ce qu’il peut espérer obtenir de Lexie. Elle n’ira pas plus loin, ne lui pardonnera pas, et ne lui fera certainement pas un câlin. Elle ne s’excusera pas non plus de l’avoir agressé, parce qu’elle estime ne rien avoir à se faire pardonner.

« Enfin … ça n’est pas le sujet. Je suis désolé, Lexie, vraiment. J’aurais dû me contenir, jugement parce que je savais combien tu étais déjà mal à l’aise avant que j’en rajoute une couche. J’ai dépassé les bornes alors que je suis censé être l’aîné … L’aîné, ou ce qu’il en reste, en tout cas. »

Il y a quelques secondes, elle a abaissé ses barrières de quelques millimètres. Elle l’a réconforté, a modéré sa responsabilité, a dédramatisé son intervention. Mais ça, c’était avant qu’il ne revendique sa place d’aîné de la famille qu’il a perdu il y a bien longtemps. Alors quand Elijah prononce ces quelques phrases, Lexie ne peut que laisser échapper un rire sans joie, empli de dédain. Il a la courtoisie d’avoir l’air gêné, mais cela ne va en rien attendrir la brunette.

« C’est Channing, mon grand frère. C’est lui, l’aîné. Il l’est devenu quand tu nous as abandonné. Il l’est parce qu’il a pris la tête de l’entreprise que tu devais diriger. Il l’est parce qu’il s’est occupé de moi quand tu as déserté. Il l’est parce qu’il a été là quand papa est mort. Il l’est parce qu’il est toujours là pour veiller sur moi, au quotidien. »

Les yeux de Lexie lancent des éclairs, et on entend dans sa voix tout le ressentiment qu’elle a à l’encontre d’Elijah : il n’est pas que parti, il y a une quinzaine d’années. Il les a abandonnés, y compris elle, avec qui il avait un lien particulier. Il a coupé les ponts, et n’a même pas gardé contact avec sa petite sœur, qui comptait tant sur lui, et qui partageait les mêmes rêves que lui.

« Alors ne t’avise même pas de penser que, parce que tu reviens ici la bouche en cœur, tu vas pouvoir retrouver le rôle que tu devais assumer ! »

Le serveur les interrompt pour venir prendre leur commande, et Lexie désigne le premier plat que son regard effleure, des pâtes. De toute façon, elle n’a pas faim. Elle n’a pas faim ces dernières semaines, et ne cesse de perdre du poids, malgré sa grossesse. Et ce n’est pas la discussion avec Elijah qui va lui faire retrouver l’appétit. Après le départ du serveur, elle se contente d’écouter les excuses de son frère sur son intervention de la veille, puis hausse les épaules avant de boire quelques gorgées d’eau. Finalement, elle repose son verre, pose ses coudes sur la table et sa tête sur ses mains, jointes sous son menton. Elle plonge son regard bleuté empli de tristesse dans celui d’Elijah, d’une couleur remarquablement identique, et demande d’une voix lasse, comme si la question avait déjà été posée trop de fois et comme si la réponse n’avait jamais été satisfaisante.

« Pourquoi t’es parti, Elijah ? »

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@LEXIE WALKER & ELIJAH WALKER

( 26 décembre 2021 – dans un restaurant proche des bureaux ABC )Pendant un bref instant, Eli sent une vague d’apaisement déferler sur lui alors que sa sœur semble, quoique maladroite et hésitante, s’adoucir un chouia face aux émotions qu’il lui témoigne concernant le fiasco de la veille. Il la découvre comme il avait dû redécouvrir Channing, entraperçoit un caractère aussi prononcé que celui de ses deux frères, semblant toutefois moins obstinée que ses aînés, et Eli se sent reconnaissant face à l’espoir de pouvoir mener une discussion moins stérile que celles qui l’ont opposé à Chan ces derniers temps.

Il ne répondit pas, esquissant un faible sourire contrit et entendu à l’évocation de cette soirée destinée à tourner au drame. Lexie n’avait pas tort – le temps où ils avaient formé une famille était depuis longtemps révolu. Entre le départ d’Eli, le décès de Richard et l’incapacité de Mary à tisser des liens dignes de ce nom avec les enfants encore présents sur le sol australien, les dernières décennies n’avaient pas été favorables à la vie de famille chez les Walker. Eli se remémora le temps de son enfance, alors que tout allait pour le mieux dans le pays des apparences qu’était leur vie de famille parfaite. À l’époque, il avait cru, comme le reste des enfants Walker, que la personnalité froide et superficielle de Mary était contrebalancée par l’authentique candeur de Richard, qui avait toujours récolté les lauriers de tout ce qui avait pu bien se passer dans leur foyer. Aujourd’hui, c’était un regard tout autre qu’il portait sur ces souvenirs d’enfances, teintés par la désagréable vérité qu’il avait dû garder secrète pendant si longtemps. Un scénario dans lequel Richard ne valait pas mieux que son épouse, et où son hypocrisie à lui rivalisait avec son manque d’authenticité à elle. Lexie ne croyait donc pas si bien dire en évoquant le dysfonctionnement d’une famille qui n’avait jamais réellement fonctionné.

Le soulagement ressenti par Eli laissa bien vite place à un brusque retour à la réalité, sitôt qu’il eut le malheur d’évoquer sa place d’aîné dans la famille, vestige d’un passé dont Lexie ne se priva pas de lui rappeler qu’il n’était plus d’actualité. Elle le renvoya illico à la place qui était désormais la sienne – celle d’un inconnu qui avait renoncé il y a bien longtemps à ses droits au sein de leur fratrie. C’était une expérience étrange que de se retrouver autour d’une table avec la petite sœur dont il avait, autrefois, été le centre du monde tout comme elle avait été la prunelle de ses yeux, et qui n’était aujourd’hui plus rien d’autre qu’une inconnue. Physiquement, il retrouvait les traits devenus adultes de la petite fille et de l’adolescente qu’il avait connue, et ses yeux, tellement identiques aux siens que c’en devenait déroutant. Mais au-delà de ce qui sautait à l’œil et qui restait familier, le reste n’était qu’interrogations et incertitudes. Après tout, et Lexie avait raison en le lui disant avec une brusquerie bien méritée, il n’avait pas été là pour elle toutes ces fois où elle avait cruellement eu besoin de lui. Si cela avait été tout aussi déchirant pour lui que pour ceux qu’il avait laissés derrière lui, Eli n’en avait rien laissé témoigner en coupant entièrement les ponts depuis son départ, et il semblait logique que, à défaut d’avoir vu le contraire, sa sœur et son frère soient parvenus à la conclusion qu’il n’éprouvait à leur égard rien d’autre que de l’indifférence. Après tout, comment justifier aimer quelqu’un et se soucier de son bien-être lorsqu’on n’a pas donné signe de vie pendant près de deux décennies ? Eli n’avait pas le droit à prétendre à quoi que ce soit et n’avait d’autre choix que d’adopter une posture plus humble, de laisser le temps aux siens d’accepter de s’ouvrir à lui, et d’espérer les voir lui tendre la main afin de s’en emparer, cette fois-ci pour ne plus jamais la lâcher. Ce moment ne semblait toutefois pas près d’arriver, à en juger le regard noir de sa cadette.

Il eut envie de trouver les mots pour l’apaiser comme il savait si bien le faire à l’époque il étaient proches, se détesta d’être la cause de sa colère et de son désarroi. L’espace d’un instant, il approcha sa main dans le but de la poser sur la sienne, dans un vieux réflexe d’autrefois qui était remonté à la surface après vingt ans d’absence. Il se ravisa cependant, reposant sa main sur la table en se disant que le geste risquait d’être malvenu. Il se mordit la lèvre, touché en plein cœur par les dures paroles de Lexie, mais conscient qu’il les méritait et que rien de ce qu’elle disait n’était faux. « Lexie… t’as raison, sur toute la ligne. J’ai pas été là et je ne m’attends pas à reprendre ma place comme si de rien n’était. Je m’attends pas à ce que vous me pardonniez ni à ce que vous me fassiez confiance. » Il déglutit avec difficulté, profitant de la venue du serveur pour reprendre un semblant de contenance, lui adressant un sourire affable en commandant, lui aussi, un plat au hasard sur la carte qu’ils n’avaient pas eu le temps de consulter. Il reporta alors son attention sur Lexie, dont le visage décomposé le renvoya à tout le mal qu’il avait fait. « Et je sais que c’est trop facile de m’excuser après vous avoir abandonnés et que je vais pas faire disparaître toute la colère que j’ai provoquée. Je peux vous faire toutes les promesses du monde et je sais que ça ne changera rien… j’ai pas été digne de confiance pendant vingt ans, alors pourquoi maintenant ? Mais je vais faire tout ce que je peux, et plus, pour essayer de réparer le mal que je vous ai fait. » Eli, d’ordinaire si calme et sûr de lui, montra à ce moment une facette rarissime à laquelle même sa famille n’avait pas l’habitude d’être confrontée – un air vulnérable, loin de son regard habituellement pétillant et de son sourire à faire pâlir les politiciens.

Lexie prit toutefois une direction d’autant plus compliquée en lui demandant la raison de son départ, et Eli se mordit une nouvelle fois la lèvre, conscient que, à peine quelques instants après lui avoir fait part de son intention de réparer ce qu’il avait brisé, il allait devoir la décevoir à nouveau. Mais il lui semblait tout simplement inconcevable d’ouvrir cette boîte de Pandore ici et maintenant, au milieu de sa journée de travail, sans qu’elle pût avoir un échappatoire pour s’y réfugier si le choc de la nouvelle lui était insupportable, et surtout, sans Channing à leurs côtés. Il poussa un léger soupir, baissant les yeux avant de se forcer à les relever pour soutenir le regard inquisiteur mais las de sa petite sœur. « Je peux pas t’en parler ici, Lexie… », commença-t-il, cherchant ses mots mais se dépêchant de poursuivre, désireux de ne pas lui donner l’impression qu’il lui fermait la porte. « Mais j’ai besoin de vous en parler, à tous les deux. C’est pour ça que je suis revenu… Mais je peux pas le faire sans que Chan soit là. » Voyant le visage de Lexie se décomposer davantage, il dut à nouveau réprimer l’envie de poser sa main sur la sienne, se contenant de serrer son poing posé sur la table, l’air visiblement fébrile et anxieux. « Est-ce que… est-ce qu’on pourrait faire ça dans une semaine ? Je pars ce soir pour le boulot, je reviens le 2. Si tu es d’accord, vous pourriez venir chez moi le 3 ? Et je te promets de tout vous expliquer. Ça fait trop longtemps que je vous dois la vérité. »

( Pando )

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@Elijah Walker - Lexie Walker

Lexie n’a pas envie d’être là, en pleine journée, dans un restaurant complet ou presque, grouillant de monde, juste en face de son boulot, à déjeuner avec son frère. Surtout pas quand la conversation est si personnelle et difficile. Et Elijah et Lexie ont beau avoir été élevés par Mary et savoir éviter le scandale, leurs expressions faciales trahissent quant à elles que leur échange n’a rien d’agréable.
La brunette serait prête à jurer qu’elle fait tous les efforts du monde pour se contenir, maîtriser son volume sonore et modérer ses propos, mais quand Elijah revendique sa place d’aîné qu’il a abandonné, elle monte immédiatement au créneau.

« Lexie … t’as raison, sur toute la ligne. J’ai pas été là et je ne m’attends pas à reprendre ma place comme si de rien n’était. Je m’attends pas à ce que vous me pardonniez ni à ce que vous me fassiez confiance. »

Elle pince les lèvres, l’observant avec un regard glacial. Et quand il esquisse un geste pour poser sa main sur la sienne, elle fait tous les efforts du monde pour ne pas reculer ses doigts fins et le blesser davantage. Pourtant, la peur se lit immédiatement dans ses yeux et elle détourne le regard en priant pour qu’il se ravise. Lexie peut être très tactile, mais elle doit pour cela accorder sa confiance. Elle cherche le contact de Chan, lui prend la main quand elle a besoin d’être rassurée. Elle se blottit dans les bras d’Angus pour profiter entièrement de sa présence. Mais Elijah ne peut pas bénéficier de ce privilège, pas après une absence de vingt ans.

« Et je sais que c’est trop facile de m’excuser après vous avoir abandonnés et que je vais pas faire disparaître toute la colère que j’ai provoquée. Je peux vous faire toutes les promesses du monde et je sais que ça ne changera rien … j’ai pas été digne de confiance pendant vingt ans, alors pourquoi maintenant ? Mais je vais faire tout ce que je peux, et plus, pour essayer de réparer le mal que je vous ai fait. »

Lexie pince une nouvelle fois les lèvres en hochant imperceptiblement la tête : elle aimerait le croire, sincèrement. Et elle aimerait que ce soit vrai. Mais il a raison sur un point : elle n’est pas prête à lui faire confiance. Il l’a grandement trahi, et Lexie n’est déjà pas du genre à s’ouvrir facilement. Avec son frère, ça devait être automatique, et ça l’était. Mais il a brisé le lien inné qui s’était créé à la naissance de la brunette. Elle reprend d’une voix au volume sonore mesuré, qui trahit toute la tristesse qu’elle ressent.

« J’aimerais te croire, Elijah. Sincèrement. Et s’il y a bien quelqu’un qui peut comprendre que tu ne voulais pas des responsabilités et obligations de l’aîné, c’est moi. Alors que tu sois parti, je peux le concevoir, je crois … »

Elle se mordille la lèvre inférieure, hésitante. Elle souhaiterait vraiment qu’ils soient ailleurs, parce que tout ce qu’elle a à lui dire ne mérite pas franchement d’être entendu dans un restaurant, entre deux interruptions d’un serveur.

« Mais pourquoi tu as coupé les ponts avec Chan et moi ? Pourquoi tu m’as abandonné ? »

Parce que c’est ce qu’il avait fait, bien avant Richard, et malgré le décès de leur père, il n’était pas revenu pour les soutenir. Parce qu’il l’avait délaissé, elle en particulier, avec qui il avait ce lien à part, avec qui il partageait les mêmes rêves, les mêmes aspirations. Et si lui avait pu les exaucer, pourquoi avait-il fallu qu’en même temps, il coupe les ponts avec les siens ?
Lexie ne comprend toujours pas, alors elle insiste, et redemande d’un ton las pourquoi il est parti. C’est une question qui trotte dans l’esprit de la brunette depuis vingt ans, et même si Elijah est revenu il y a quelques mois, il a toujours été incapable d’apporter une réponse à cette question, la décevant davantage.

« Je peux pas t’en parler ici, Lexie … »

Elle laisse échapper un soupire sans chercher à masquer son agacement.

« Mais j’ai besoin de vous en parler, à tous les deux. C’est pour ça que je suis revenu … »

Elle hausse un sourcil : pour ça qu’il est revenu, réellement ? Pour tout expliquer ? Et que fera-t-il après cela, alors ? Il repartira l’esprit tranquille ?

« Mais je peux pas le faire sans que Chan soit là. Est-ce que … est-ce qu’on pourrait faire ça dans une semaine ? Je pars ce soir pour le boulot, je reviens le 2. Si tu es d’accord, vous pourriez venir chez moi le 3 ? Et je te promets de tout vous expliquer. Ca fait trop longtemps que je vous dois la vérité. »

Là, elle ne peut pas le contredire. Elle laisse le silence s’installer un long moment, réfléchissant à la proposition : oui, elle a attendu depuis des années les réponses à ses questions. Mais peut-elle lui faire confiance, ou va-t-il une nouvelle fois botter en touche ? Sera-t-il même présent au rendez-vous qu’il leur fixe ? Mais elle finit par hocher la tête pour accepter.

« Ok, va pour le 3. »

Elle hésite un instant avant d’ajouter.

« Est-ce que tu comptes rester à Brisbane ? »

Et elle a l’impression d’avoir dix ans quand elle pose cette question, d’une voix emplie d’espoir.

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