| After all that I put you through, here I am [Keedy] |
| | (#)Lun 2 Mai 2022 - 3:27 | |
| Ce n’était pas comme s’il n’avait pas vu l’appartement depuis des années et que les souvenirs lui revenaient en mémoire comme des coups de vent. La scène n’a rien de poétique ou mélancolique. Devant la porte de l’établissement, en pleine journée, Joseph est pétrifié depuis déjà une dizaine de minutes. Il espère peut-être que Deborah traverse la fenêtre contiguë pour qu’il soit ainsi contraint à entrer. Parce qu’elle l’aurait vu. Lui, son meilleur ami qui ne mérite plus ce titre parce qu’il lui a imposé un trop long silence. Il en avait besoin. Il a été égoïste pour la deuxième fois de sa vie. Et, étrangement, la première fois concernait aussi la jeune femme à qui il n’aura jamais réussi à faire de promesses sans les rompre.
Elle ne va pas bien. C’est tout ce qu’il sait. Lors de ses dernières visites nocturnes pour ramener Stéphane, remplir sa gamelle et lui déposer un baiser sur le front avant de disparaître, il a remarqué que l’appartement semblait de plus en plus étouffant et petit. Comme si le bordel qui s’accumulait à l’intérieur empoisonnait l’air et condensait les pièces. Il n’a jamais vraiment porté attention à ces détails dans la nuit parce que le luxe et la propreté le surprennent davantage que la négligence.
Deborah est présente, il le sait. Il a perçu un premier mouvement à la fenêtre quand il se trouvait de l’autre côté de la rue. Il a hésité à l’appeler pour la prévenir de son arrivée. Mais il n’avait pas eu le courage de le faire, tout comme il n’est pas certain d’avoir le courage d’enfoncer sa clef dans la serrure. Et, pourtant, il le fait quelques secondes plus tard en soufflant par son nez une inspiration qu’il retenait depuis longtemps déjà. La poignée se tourne, le battant s’ouvre de quelques centimètres, une odeur presque effacée de sauce tomate parvient à ses narines mais n’éveille pas son appétit. Son estomac a pris la forme d’une lourde roche. Son cœur ne bat peut-être plus. Ses jambes peinent à soutenir son poids lorsqu’il avance dans l’appartement en laissant son sac à dos couler le long de son bras jusqu’au sol. Deborah est assise à table devant une assiette qui n’a pas été entamée. Plus aucune vapeur ne s’échappe du plat de spaghettis. La sauce semble solidifiée, grumeleuse. Stéphane vient accueillir Joseph en miaulant à gorge déployée et frotte son corps élancé à sa jambe. Il le caresse aveuglément, incapable de détacher son regard de la jeune femme. Il n’accroche pas tout de suite son attention, comme si elle était à moitié endormie, en train de rêver, ou de faire un atroce cauchemar qui l’immobilise de frayeur. Le garçon soulève le chat, le serre contre lui puis rejoint Deborah à table. Il la contourne, s’assoit devant elle, Stéphane sur les genoux, ronronnant. L’apporter, lui, c’est apporter un bouclier. Il est prêt à tout encaisser, maintenant. Plus rien ne peut l’arrêter. « Tu veux que j’te mette ton assiette au microonde ? » Il demande doucement. Sa coupe n’est pas totalement défaite, sa barbe est soignée, son teint un peu plus rosé. Six mois sans cocaïne. Ça se fêterait, s’il avait l’impression d’être en vie.
« J’suis désolé, Deb. » Il commence en soufflant, cherchant à ancrer son regard au sien. Elle semble malade. Ses cheveux sont sales. Elle qui en prenait tellement soin, avant. Il y passerait les doigts ; ces derniers resteraient coincés. Voyant le cendrier plein de poudre grise sur la table, il glisse sa main à sa poche pour en sortir son paquet de clopes. Il allume l’embout de l’une d’elles, la porte à ses lèvres, tire une latte, la souffle vers le ciel, puis tend le petit bâton à la jeune femme pour le lui offrir. « On m’a informé qu’t’étais pas tellement dans ton assiette. » Il prononce doucement. La porte de la salle de bains, qu’il a jadis défoncée, le fixe, et il baisse les yeux en déglutissant. Il n’est certainement pas le mieux placé pour aider Deborah. Mais il doit essayer. Elle lui a toujours plus donné qu’il ne lui a offert. Il ne peut plus continuer à vivre si égoïstement. Même si ça lui brûle le ventre de la voir, même s’il a déjà envie de pleurer, d’hurler, de se broyer les os pour avoir mal autrement.
@Deborah Brody |
| | | | (#)Lun 2 Mai 2022 - 13:35 | |
| Elle ne relevait pas le visage quand elle entendait les clés dans la serrure. C’était devenu évident pour elle : c’était Camil qui venait la voir. Depuis qu’il s’était rendu compte que son sourire public cachait une sphère privée désastreuse, il passait quand il le pouvait et elle ne s’en étonnait plus. Si elle avait été dans son état normal, pour sûr qu’elle l’aurait gratifié d’entrée de jeu d’un sourire pour le remercier de prendre soin d’elle quand elle n’était plus capable de le faire toute seule. La réalité voulait que même sa tête lui semblait excessivement lourde et que le moindre muscle sollicité l’épuisait davantage. D’une manière générale, elle était fatiguée. Physiquement, mentalement, tout prenait la dimension d’une montagne à franchir et elle n’avait plus l’énergie pour ça. Ce n’était qu’au timbre de sa voix qu’elle le reconnaissait et qu’une expiration d’adrénaline passait le seuil de ses lèvres. Son regard éteint rencontrait difficilement le sien, plus vif, qui lui semblait encore plus bleu que dans ses souvenirs. Il avait changé, elle aussi. Comme si les rôles s’étaient drôlement inversés. Elle n’aimait pas franchement pas ce constat. Contente pour lui qu’il s’en sorte, bien entendu, même si c’était sans elle. Honteuse de son côté, toujours aussi peu encline à montrer ses sentiments négatifs qui, aujourd’hui, se voyaient physiquement tant elle les avait trop peu exprimés au cours des années. Vengeance silencieuse d’un esprit trop encombré. « Non. » Comme un murmure égaré, c’était la seule réponse qu’elle lui donnait. Non seulement elle savait que ça ne servirait à rien parce qu’elle n’allait pas manger mais en plus l’odeur de la sauce tomate chaude lui donnait la nausée, comme bon nombre d’autres odeurs depuis la manifestation de sa grossesse nerveuse qu’elle s’évertuait sans cesse de dissimuler – à cet instant, fort bien cachée par le comptoir de la cuisine. Il s’excusait et face à ça, elle haussait les épaules. Elle n’était pas insensible à ses excuses mais elle les estimait de trop, pas nécessaires, pas à leur place, parce qu’il n’avait pas à être désolé de quoi que ce soit. « De quoi ? D’avoir choisi de faire les choses bien pour toi ? Ne sois pas désolé, tu as fait exactement ce que tu devais faire. » La preuve en était, ça semblait plutôt bien lui réussir même si son propre bien passait par l’absence de Debbie dans sa vie. C’était douloureux, encore une fois, mais elle s’était faite la promesse de ne pas le solliciter tant qu’il n’était pas prêt à redevenir son ami, comme il lui avait soufflé la dernière fois qu’ils s’étaient vu, des mois en arrière. Le moindre de ses mots étaient gravés dans sa mémoire et elle tiquait légèrement au moment de saisir la cigarette. On l’a informé. Ses sourcils se fronçaient, légèrement cachés par la fumée qui s’échappait de ses lippes sans le moindre effort de souffle. « Alors tu es venu... » Elle ne lui demandait pas qui l’avait informé, elle n’avait pas besoin de confirmation pour le savoir. Elle soulignait seulement que s’il n’avait pas été mis au courant, il ne serait sûrement pas face à elle aujourd’hui. Il était là seulement parce qu’elle n’allait pas bien, pas parce qu’il était prêt à redevenir son ami. « Si c’est la redevabilité qui te fait venir, sache que tu n’es redevable de rien. Tu n’es pas obligé de venir me voir si tu n’en as pas envie. » disait-elle en lui rendant le cylindre incandescent, sans animosité mais d’autant plus attristée à l’idée qu’il était peut-être là parce qu’il se sentait obligé. Elle préférait encore qu’il s’en aille si c’était le cas, clairement pas assez en forme pour supporter ça. Dans sa fâcheuse manie de s’isoler toujours plus dans ce cocon devenu toxique pour elle, elle se refermait instantanément à la discussion en coupant le contact visuel, se levant maladroitement de sa chaise. Elle avait saisi son assiette pour mieux ouvrir la poubelle et y jeter son contenu, profitant du bruit engendré par le placard pour déglutir difficilement des larmes qui lui montaient trop aisément aux yeux depuis des semaines. L’assiette s’échouait dans l’évier, en compagnie de verres dont il était facile de sentir les effluves d’alcool. Noyés dans l’eau qu’elle faisait couler pour se laver les mains dans un semblant de propreté – là où elle prenait juste un peu de temps pour ne pas pleurer –, elle en oubliait les rondeurs de sa grossesse à présent visibles dès lors qu’elle se mettait de profil par rapport à Joseph pour s’essuyer les mains. Chez elle, c’était le seul endroit où elle pouvait se permettre de ne penser à rien alors forcément, sur le moment, elle n’y pensait pas. @Joseph Keegan
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| | | | (#)Lun 27 Juin 2022 - 21:46 | |
| Il s’y attendait, à ce silence aussi pesant que ses pieds tandis qu’il pénètre l’appartement pour se frayer un chemin à travers les déchets, les assiettes sales, les verres remplis à moitié parfois d’eau, parfois d’alcool. Surtout d’alcool, à vrai dire, parce que Joseph arrive à détecter les effluves qu’il a appris à connaître très jeune. Cyril en empilait des dizaines, de bouteilles de bière bon marché. Des trucs pas trop chers qui lui retournaient la cervelle en moins de deux. Bas prix bon rendement. Efficace pour lui serrer le poing autour du cou de son fils sans qu’il ne se rende réellement compte de la pression qu’il exerce pour ensuite le priver de dîner.
Le plat de spaghettis qui refroidit devant Deborah n’est plus appétissant depuis probablement une heure. La sauce a commencé à former une sorte de croûte froide et les pâtes paraissent plastifiées. Joseph se doute que sa proposition sera refusée mais ça ne l’empêche pas de désigner l’assiette puis le microonde qui pourrait au moins réchauffer le désastre italien. « Non. » Il n’insiste pas, repose ses mains à plats sur ses genoux, faute de savoir où les placer autrement. Il n’est pas mal à l’aise ; simplement terrifié. Il n’a pas l’habitude de venir en aide aux autres. Il n’a pas l’habitude de se faire aider non plus ; il n’y a que Deborah qui sait lui parler. Ça fait des lustres que Lily et lui ne se comprennent plus. Se sont-ils déjà compris, d’ailleurs ?
Il commence par des excuses parce que c’est la seule chose qui arrive à s’échapper de ses lèvres sans créer un ouragan. Des milliers de mots tempêtent dans sa boîte crânienne mais il enfonce ses ongles dans sa peau pour les retenir. Il n’a pas droit à l’erreur. Deborah s’est occupée de lui ; c’est à son tour d’apaiser ses maux, si seulement il arrive à poser le doigt dessus. « De quoi ? D’avoir choisi de faire les choses bien pour toi ? Ne sois pas désolé, tu as fait exactement ce que tu devais faire. » Il ne s’excuse pas seulement pour ça. Il s’excuse d’être comme il est. Il s’excuse d’avoir été le destinataire de ses lettres. Ça aurait pu tomber sur n’importe quel autre idiot qui, lui, n’aurait pas trempé le nez dans ses démons dès sa libération. Sa meilleure amie comptait sur lui et il a été trop égoïste pour se rendre compte qu’à elle seule, elle la formait, la nouvelle famille qu’il désirait tant. Merder. Merder, et encore merder, et il n’est plus question de blâmer son enfance injuste, ses mauvaises fréquentations, la pilule qu’on lui a mis dans la bouche, le sachet de poudre qu’il a retrouvé glissée dans sa poche et qu’il a échangé contre une liasse de billets. Il ne pourra jamais se l’admettre, mais il a pris goût à cet univers qu’il fait semblant de détester. Peu de gens arrivent à le comprendre en dehors de cette famille artificielle.
Mais seraient-ils inquiets comme l’a été Deborah s’il faisait une autre overdose ? Non. Il se ferait balayer, retrouverait les ordures dans lesquelles il est né. Naître et mourir au même endroit : la boucle est joliment bouclée.
« Mais si j’avais pas été stupide, j’aurais pas été obligé d’te laisser seule. » Ses erreurs remontent plus loin qu’elle ne veut se l’avouer. Le tout premier mensonge a marqué la première craquelure dans leur amitié qu’il pensait pourtant infaillible. Doucement, trop doucement, Joseph pose sa main sur la table pour la glisser vers l’assiette qu’il éloigne du nez de son amie. Il voit bien que la simple vision du plat lui retrousse les narines. « Alors tu es venu... » Il opine de la tête en reposant son regard bleu sur elle. « Si c’est la redevabilité qui te fait venir, sache que tu n’es redevable de rien. Tu n’es pas obligé de venir me voir si tu n’en as pas envie. » Une théorie qu’il réfute aussitôt en lâchant un « non, ce n'est pas ça » murmuré. Il reporte la cigarette rendue à ses lèvres pour la consommer à son tour. Par la suite muet, il observe la jeune femme tandis qu’elle se ferme à la discussion en faignant d’avoir besoin de faire le ménagement. Le contenu de son assiette termine à la poubelle. Les doigts du garçon se mettent à pianoter sur la table. Il passe sa main dans ses cheveux fraichement coupée, regrette de ne pas pouvoir saisir assez de longueur pour les tirer, se faire mal et s’extirper de ce cauchemar. C’est la culpabilité qui le pétrifie ainsi, et quand il redresse le nez en ouvrant la bouche, prêt à lâcher une autre consolation qui n’aura certainement aucun effet, son regard percute le ventre arrondi de Deborah et son cœur loupe un battement. Il ne faut pas être médecin pour savoir qu’il ne s’agit pas seulement de quelques kilos avalés. Joseph ne comprend peut-être pas certains concepts banals et humains, mais il en a déjà vues, des femmes enceintes. « Eum… » Est la seule onomatopée qu’il prononce tandis qu’il détourne les yeux avec la rapidité d’un faucon pèlerin en plein piqué.
Ne panique pas. Ne panique pas. Ne panique surtout pas. Tire une latte, expire, ne t’étouffe pas.
« Je ne savais pas que… » Que tu seras maman ? Qu’il y a donc un papa ? Que tout changera pour de bon ? Que tu fonderas une famille, certainement loin de moi ? Un tas de questions qu’il ne devrait toutes pas prononcer. Qu’est-ce qu’il en a envie. Mais il se doute bien que ce n’est pas le moment de pointer l’alcool et lui expliquer que la boisson fait du mal à l’enfant. De toute façon, qui est-il pour lui faire la morale ? Il est loin de savoir prendre soin de lui ou des autres. Des mots, des mots, des mots, des centaines de mots qui lui filent la migraine, mais il en dit que quelques-uns soigneusement filtrés : « Qu’est-ce qu’il s’passe, Deb ? Depuis combien de mois ? » Il récupère enfin assez de courage pour la regarder dans les yeux, bien que ceux de son amie soient occupés à fixer le vide.
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| | | | (#)Ven 8 Juil 2022 - 11:32 | |
| Le lavage de main semblait précautionneux. Elle prenait le temps de mouiller chaque parcelle de peau, de les frotter au savon dans les moindres détails et de les rincer avec délicatesse. Belle excuse pour ne pas craquer d’entrée de jeu, pour faire redescendre ses larmes qui menacent trop vite de couler. Elle ne disait rien mais l’écoutait. Que voulait-il qu’elle lui réponde ? Oui, tu as été stupide Joseph. Pas la peine d’enfoncer le clou, il le savait déjà et elle lui avait déjà dit. Retourner le couteau n’avait pas lieu d’être, pas maintenant. Les erreurs avaient été commises, les conséquences en avaient découler alors à quoi bon s’y attarder, à quoi bon revenir dessus. Elle préférait voir dans le présent, dans les heures à venir – mais pas dans le futur, bien incapable de s’y projeter. Présent qui pourtant lui faisait du mal. Elle tirait des conclusions trop vite, trop tôt. Elle se disait qu’il était venu seulement parce que Camil l’avait prévenu et non de son plein gré. Depuis des semaines, elle s’estimait trop peu pour croire à ce qu’il disait. Ses mots sonnaient comme des excuses, des fausses excuses, des belles excuses. Elle n’arrivait plus à voir sa propre valeur aux yeux des autres. Elle les avait remarqués : sa coupe récente, son teint rosé, ses joues moins creusées. Il s’en sortait bien mieux tout seul ou avec d’autres plutôt qu’avec elle quand elle avait tenté de l’aider. Pourtant à l’époque, elle se souvenait sans mal s’être dit qu’elle ne pouvait pas l’aider tant qu’il n’avait pas le déclic de le faire lui-même. Il l’a eu/a été forcé de l’avoir et il n’est pas revenu, ne laissant derrière lui que cette sensation d’inutilité qu’elle avait instantanément ressentie. Si elle était heureuse pour lui qu’il aille mieux, le constat ne faisait que l’enfoncer dans sa croyance de ne servir à rien ni à personne. D’être le mouchoir qu’on use puis qu’on jette, d’être le bouche-trou évincé quand on en n’a plus l’utilité. Abîmée. Eteinte. Froissée. Elle en oubliait ses nouvelles rondeurs quand elle saisissait le torchon. Là encore les gestes étaient méticuleux. Elle retirait ses bagues pour s’essuyer les doigts puis les bijoux. Avant d’avoir le temps de les remettre, il attirait son attention avec un début de phrase qui n’aurait pas de fin. Parce qu’il avait capté son regard, elle ne comprenait pas de suite de quoi il voulait parler puis elle devinait avec les interrogations suivantes. Le regard fuyant, elle reprenait sa tâche, glissant ses doigts dans chacune des bagues et les replaçant comme si chacune d’elle était les plus fragiles de la planète. « C’est rien... » Littéralement rien. Le vide utérin. Tous les symptômes sans bébé. De quoi la faire vriller. Mais parce qu’elle savait que ces trois mots ne seraient pas suffisants, elle se faisait force pour lui expliquer sans se mettre à pleurer. « Tu vas sûrement pas comprendre de quoi je parle mais je fais une grossesse nerveuse. Je ne suis pas vraiment enceinte, il n’y a pas vraiment de bébé. C’est juste mon corps qui y croit, ça va passer… Je ne sais pas quand mais ça passera. » Son esprit en réalité. Esprit qui le faisait croire à son corps mais c’était si compliqué à expliquer qu’elle ne s’y aventurait pas. Elle ne savait plus quoi en penser. Était-elle soulagée que ça ne soit rien ? Déçue de ne pas être vraiment enceinte ? Coincée entre deux eaux, seulement certaine que tout cela résultait de sa première grossesse et de l’absence de son fils. Son corps stigmatisait ce dont elle avait toujours refusé de parler. Et ce dont elle ne voulait toujours pas parler. Alors maladroitement, elle évinçait cette discussion par une autre. Une qui concerne Joseph. Pas elle, surtout pas. Avec un peu de chance, le brun ne reviendrait pas dessus parce qu’elle se savait en manque de force pour contrer s’il le faisait. « Ça me fait plaisir que tu ailles mieux. » disait-elle en le désignant d’un coup de tête lent quand bien même, à première vue, ça ne se voyait pas qu’elle était réellement ravie pour lui. « Les cheveux courts te vont bien. » Un rappel à sa sortie de prison quand il avait pris le temps d’aller chez le coiffeur carcéral et quand il avait été assez gentil de prendre sa demande en compte de ne pas se raser à blanc. Une belle époque entachée par le reste qui lui laissait un goût amer sous la langue. Pourquoi fallait-il que tout tourne au vinaigre ? « Tu habites où maintenant ? » Parce qu’il est sortit de cure depuis longtemps et qu’il n’est plus revenu ici depuis. Un pique au cœur qu’elle s’infligeait toute seule mais elle ne pouvait pas s’empêcher de demander. A croire qu’elle s’inquiéterait toujours un peu pour lui jusqu’à son dernier souffle. @Joseph Keegan
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| | | | (#)Jeu 21 Juil 2022 - 16:55 | |
| Toutes les couleurs du monde se sont évaporées. Les rideaux fermés ne laissent aucune lumière s’infiltrer, seulement une brume orangée tangue autour des fenêtres. Des particules de poussières y flottent, comme arrêtées dans le temps. Les murs ont perdu leur saturation. La peau de Deborah aussi, devenue grise comme la porcelaine fragile, et Joseph se demande alors si elle se briserait si elle percutait le sol.
Il n’a jamais aimé le silence. Le silence lui rappelle la solitude, le manque, l’absence. Toutes ces choses qui le motivaient à glisser l’aiguille parce qu’il n’était plus question de silence lorsque sa tête se faisait envahir par la drogue. Il voyait des couleurs qui n’existaient pas, entendait des sons qui n’existaient pas, touchait des textures desquelles il ne pouvait que rêver. Ses doigts tapotent la table à manger alors que Deborah la libère pour se rendre vers le comptoir. De cette manière, il impose une musique à la scène et arrive à concentrer toutes ses pensées sur celle qui les mérite. Elle a toujours su prendre soin de lui, et voilà comment il la remerciait. Il se déteste. C’est tout.
Le spaghetti termine son trajet à la poubelle et, dès l’instant où la jeune femme se pose de côté, les yeux de Joseph deviennent aussi ronds que le ventre qu’elle lui présente involontairement. Il n’a pas le temps de repositionner correctement ses neurones dans sa tête qu’une onomatopée confuse fuit de ses lèvres sans qu’il ne puisse la retenir dans sa course. Elle l’entend, évidemment, parce que le silence a établi son règne à nouveau, alors Joseph s’explique aussitôt. Il le voit, l’enfant qu’elle porte ou, du moins, il pense le voir. Il met de côté les questions qu’il veut poser en premier et se contente de l’essentiel : depuis combien de mois est-elle dans cet état ? « C’est rien... » Il est déjà prêt à bondir sur ses pieds et à s’indigner mais son explication vient assez rapidement pour calmer Joseph, non sans le plonger dans l’incompréhension la plus totale. « Ton corps qui croit qu’t’es enceinte… » Il répète, comme si cette nouvelle formulation allait le faire réaliser ce que ça veut réellement dire. Hélas, non. Joseph ne connait pas ce monde. Il la regarde avec les yeux d’un enfant perdu avant de lâcher un : « J’comprends pas. » Il pivote sur sa chaise pour lui faire face et, d’une certaine manière, l’empêcher de fuir la discussion – parce qu’il sait qu’elle a envie de l’éviter à tout prix. Il est pareil. Ne pas parler des problèmes pour mieux les ignorer. Ne pas mentionner la drogue pour soudainement ne plus avoir envie de l’inhaler. Tout est magique. « Pourquoi ton corps croit que tu es enceinte ? » Ça ne fait aucun sens dans la tête d’un garçon aussi simplet. « Tu es certaine que… y’a pas d’enfants ? » Et il semble un peu bête, Joseph, à poser les questions les plus naïves, mais faut-il vraiment le blâmer ? Il pénètre un univers avec lequel il n’est pas familier. Dans ces moments-là, son manque d’éducation se lit à travers ses prunelles étourdies. Il n’a lu aucun roman qui parlait de grossesse nerveuse – ce n’est pas le genre de littérature dont il se nourri. Ce genre d’histoire ne fait que lui rappeler qu’il ne sera jamais père et qu’il n’aura jamais sa propre famille.
« Ça me fait plaisir que tu ailles mieux. » Il ne la fusille pas du regard, mais c’est tout comme. Il soupire en haussant les épaules. Non. Ils ne parleront pas de lui. Il n’a pas remis les pieds dans l’appartement pour qu’elle prenne soin de lui. La page a été tournée. Il ne profitera plus de la gentillesse aveugle de cette amie qui davantage subi leur amitié. « Les cheveux courts te vont bien. » Par réflexe, il passe sa main dans ses cheveux. Il hausse à nouveau les épaules. Son physique ne l’a jamais importé alors il ne va pas commencer aujourd’hui à rougir devant les compliments. Il regardait à peine son reflet dans le miroir lorsque la tondeuse lui trimait la tignasse. Il a davantage louché sur les kilos de cheveux éparpillés sur le sol à la fin du travail comme s’il n’avait jamais réalisé qu’il se trimbalait avec une telle botte de foin avant. « Comme neuf ! » Avait-dit le coiffeur de fortune sans recevoir de réponse de la part d’un Joseph lunatique qui avait préféré quitter la salle le plus rapidement possible.
« Tu habites où maintenant ? » « T’as pas à t’inquiéter. » Il s’empresse de répondre. Non. Elle n’a pas besoin de s’inquiéter pour lui. Elle y a déjà mis trop d’efforts. « J’ai mes contacts. » Il précise pour l’empêcher de lui poser plus de questions. Non, il ne lui dira pas qu’il passe parfois la nuit chez Jules et encore moins qu’il la passe dans les loges du Cherrybomb sur le canapé. Il peut cependant l’aider d’une certaine manière : « J’vends plus d’drogues. » Il ne traîne plus dans les ruelles comme un chien errant. Il ne gâche plus la vie à personne. Il ne jongle plus avec la justice, du moins, plus de la même manière. « J’sais qu’tu savais. » Il ne lui a jamais dit, mais elle avait deviné. Elle est intelligente, bien plus que lui. Il est retombé dans ses vices rapidement. « Mais c’est terminé maintenant. J’suis plus en danger, okay ? » Elle n’a plus besoin de se faire un sang d’encre pour lui. Il ne trouvera jamais un travail légal mais aujourd’hui il prend soin des gens plutôt que de leur pourrir la santé à coup de promesses artificielles.
@Deborah Brody |
| | | | (#)Dim 20 Nov 2022 - 18:30 | |
| L’étonnement et l’incompréhension de Joseph face à la situation n’étaient pas des surprises. Elle-même avait peiné à comprendre et réaliser ce qui se passait, le pourquoi du comment. Mêmes les plus cultivés – comme Camil par exemple, pour ne citer que lui et parce qu’il était le premier concerné quand ils l’avaient cru réellement enceinte – n’étaient que peu informés par ce phénomène. Trop peu connu pour être nommé, les connaisseurs ne le sont que parce qu’ils ont été confrontés à cette situation. Joseph en fera dorénavant partie, bien malgré lui. « Je sais que c’est difficile à croire compte tenu de tout ça. » ce tout ça qu’elle désignait maladroitement tant elle semblait rejeter l’idée. Son corps, son ventre proéminent qui semblait faire croire que. La subtilité était là, il ne faisait que faire croire. « Mais oui, je suis sûre qu’il n’y a pas d’enfant. » Et le problème était probablement là tant elle avait la sensation de sentir son cœur s’arrêter sous ses propres mots. L’absence d’enfant, de son réel enfant, celui à qui elle avait réellement donné naissance quelques années en arrière. Une blessure qu’elle avait tue même dans ses lettres avec Joseph, ne résumant l’abandon que par une phrase dans un pauvre post-scriptum. Ils n’en avaient jamais reparlé comme elle n’en avait jamais reparlé à personne d’autres d’ailleurs. Les anniversaires passés à pleurer à l’abris des regards, les pensées sombres dissimulées derrière son sourire. Elle avait tant feinté que personne ne s’était aperçu de rien, pas même elle à vrai dire. Elle était parvenue à se persuader que tout allait bien, que ce vide au cœur qu’elle ressentait en permanence était normal, que tout le monde dans sa situation passait par là. Bien sûr, c’était vrai dans les premiers temps. De son côté, ça faisait 5 ans et la douleur semblait la même. Le temps ne faisait pas l’œuvre prévue, il ne faisait qu’appuyer l’idée qu’elle n’arrivait pas à s’en remettre. Aujourd’hui c’était son corps qui lui faisait comprendre à travers cette grossesse fictive et elle était incapable de répondre à la première question de Joseph : pourquoi ? Elle avait stratégiquement évité la question parce que rien que d’y penser, elle avait envie de s’effondrer. Ce n’était pourtant pas faute de voir une psy qui lui répétait sans cesse qu’elle devait en parler pour formuler ce que son corps stigmatisait, pour se libérer et atténuer les symptômes. Son incapacité à parler semblait s’apparenter à de l’auto flagellation. Elle se punissait seule des erreurs commises et dans un soupir coincé, elle avouait à demi-mot sa faute, bien consciente que Joseph ne se contenterait pas du peu qu’elle lui avait fourni. « Je me suis trompée. J’ai complétement merdé… » Une pensée qui lui faisait relever les yeux et soupirer dans l’espoir vain de ne pas pleurer. C’était peine perdue. Le dernier souvenir qu’elle avait de son enfant était son frère qui, faute d’avoir su la convaincre, s’éloignait avec le bébé pour le déposer à la pouponnière une dernière fois où il devenait officiellement pupille de l’Etat. Ce souvenir finissait de fendre sa carapace. La blessure était réelle et s’exprimait par des larmes qu’elle cachait maladroitement en baissant de nouveau la tête et en laissant ses cheveux cacher son visage. Honteuse et désemparée, elle ne savait pas quoi faire. Selon elle, parler ne résoudrait pas le problème, ne lui ramènerait pas son fils qu’elle pensait perdu. A quoi bon s’attarder sur ce genre de discussion ? Elle préférait de loin la suite, celle qui se portait sur Joseph, sur ce qu’il était devenu depuis les derniers mois où ils ne sont pas vus. La curiosité de Deborah reflétait son inquiétude et le brun l’avait senti immédiatement. Peu étonnant, il était encore celui qui la connaissait le mieux. Elle ne savait pas s’en empêcher. Quand bien même il avait disparu de son cercle proche, elle était incapable de ne pas se soucier de lui. Un automatisme, un besoin de savoir pour s’assurer qu’il va bien à défaut de savoir le faire pour elle-même. Son oreille l’écoutait, son esprit enregistrait. Il lui assurait ne plus vendre de drogue et avoir ses contacts. La conclusion pour elle était rapide : il n’avait pas vraiment d’endroit fixe pour parler de plusieurs contacts. « D’accord... » Il ne répondait pas vraiment à la question mais elle allait devoir s’en contenter parce qu’elle ne se sentait plus vraiment en position – ni en possession d’assez d’énergie – pour lui tirer les vers du nez. A tout point de vue, il s’en sortait et c’était le principal. « Est-ce que je peux savoir si tu remettras les pieds ici un jour ? » Est-ce qu’il reviendra vers elle par envie, par amitié et non par nécessité de l’aider ? Est-ce qu’elle devait définitivement tirer un trait sur leur colocation ? Sur leur amitié tout court peut-être ? Avec lui, elle ne savait plus vraiment sur quel pied danser. Il avait ses contacts mais il s’évertuait à ramener Stephan ici. Il revenait vers elle pour tenter de l’aider mais il s’évaporait dans la nature le jour suivant. Elle lui avait brisé le cœur, elle en avait bien conscience et elle comprenait plus que quiconque le besoin qu’il avait eu de s’éloigner, mais les mois étaient passés et à présent elle avait besoin de savoir pour ne plus rester dans le flou, pour ne plus se faire de faux espoirs, pour s’effacer définitivement s’il en avait besoin. « Tu me manques. J’ai l’impression que tout part en vrille depuis que tu n’es plus là. » L’aveu n’était pas là pour le convaincre de quoi que ce soit. A défaut de savoir mettre des mots sur ses maux, elle était au moins capable d’exprimer ce qu’elle ressentait vis-à-vis de lui. @Joseph Keegan
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| | | | (#)Mar 3 Jan 2023 - 3:35 | |
| Le monde avait continué à tourner même quand le cœur de Joseph s’était brisé. Des leçons, il en a apprises à chaque fois qu’il est tombé amoureux. Il n’est pas fait pour aimer. Il ne sait pas le faire correctement ; on ne lui a rien appris de tout ça. Il n’avait pas de modèles à suivre, ses propres parents n’ayant jamais échangé de clin d’œil complice ou de tendresse que seuls les amoureux se communiquent par le biais de contacts physiques.
Joseph s’est attaché aux mauvaises personnes, à ceux qui pouvaient le faire tomber. Il ne pense pas. Ou il pense trop. Il offre son cœur à qui veut bien le border une nuit, puis on le lui redonne, et il ne comprend pas que les sentiments ne sont ni réciproques, ni éternels.
Parce qu’il ne peut pas être aimé, tout comme il ne sait pas le faire correctement.
C’était pareil pour Deborah. Ils ne vivent pas dans le même monde et ils n’auraient jamais dû. C’est l’alcool, le plus grand inhibiteur, qui les a ressemblés. Au gré de lettres envoyées à la mer, ils se sont trouvés, l’un s’est attaché au semblant de liberté que représentait l’autre, puis l’autre a… s’est… Quoi ? Pourquoi Deborah s’est-elle attachée à un garçon qui traîne derrière lui toutes les fautes du monde ? Il ne l’a jamais méritée, et voilà que, aujourd’hui, il l’observe d’un œil inquiet, parce que ce bordel dans la maison, ces bouteilles et ces mégots qui traînent, sont le reflet du malheur qui vient avec Joseph, parce qu’il est attaché à sa cheville comme un boulet. Il ne sait pas aimer et c’est tant mieux ; il n’est digne de quiconque a mieux joué au jeu de la vie. Mais il s’inquiète, le garçon, et c’est tout ce qu’il peut faire depuis qu’il s’interdit de trop s’approcher de celle qu’il a brisée et qui l’a brisé en retour. « Je sais que c’est difficile à croire compte tenu de tout ça. » Il ne croit ni aux fantômes, ni aux anges. Ce ventre arrondi qui ne contient aucun enfant s’apparente à une légende urbaine, une sorte de malédiction qui viendrait martyriser les femmes qui n’ont pas réussi à offrir la vie. « Mais oui, je suis sûre qu’il n’y a pas d’enfant. » Il a beau cligner des paupières pour chasser son incompréhension ; elle revient aussitôt l’aveugler, le faire douter, l’ébranler, et heureusement ses fesses sont posées sur une chaise assez solide pour supporter son poids de plus en plus important. « C’est… C’est dans ta tête ? » Il demande donc innocemment, cherchant des réponses dans le peu de connaissances qu’il possède. Son addiction est dans sa tête, elle aussi. Ce ne sont pas ses veines qui en redemandent, c’est son cerveau. Elle peut faire bien des choses, cette machine indépendante capable de faire rêver, capable d’ensevelir la nuit de cauchemars.
« Je me suis trompée. J’ai complétement merdé… » Une affirmation qui fronce les sourcils de Joseph qui reste immobile sur sa chaise, incapable d’affronter les nuages gris qui enferment son amie. La violence, il connait. Les menaces, il connait. Les bras, jambes, nez cassés, il connait. La tristesse d’une femme brisée, il ne peut même pas en imaginer cinq pourcent des ravages. « Qu’est-ce que tu veux dire, Deb ? Pourquoi tu t’es trompée ? » Il peut seulement lui offrir une oreille même si, il se doute bien, les mots ne viendront pas aussi aisément qu’il pourrait l’espérer. Les rôles n’avaient jamais été inversés avant aujourd’hui. Elle s’est occupée de lui. Il ne sait pas s’occuper d’elle. Égoïste, peut-être, mais il ne pourrait jamais le réaliser sans qu’on ne lui ouvre les yeux.
Et c’est sans surprise que les rôles retrouvent leur acteur principal, quand Deborah s’assure que Joseph n’est pas à la rue, et que ce dernier s’attèle à modeler la vérité pour la rendre moins préoccupante. Il ne veut plus que la jeune femme se soucis de lui. Il a posé volontairement le pied dans la trappe à ours. Cela fait longtemps qu’il ne crie plus à l’aide parce qu’il ne veut plus arracher la main au premier bon samaritain. « Est-ce que je peux savoir si tu remettras les pieds ici un jour ? » La question le prend par surprise. Il n’avait pas réfléchi à sa réponse. C’est Camil qui lui a demandé de venir ici. Il ne l’aurait pas fait autrement. Il aurait pensé que Deborah se porte mieux depuis qu’il ne partage plus son quotidien, n’empoisonne plus les murs de ses appartements. Mais la réalité est plus compliquée que ça. Ce n’est pas tout noir. Ce n’est pas tout blanc. « Je… J’sais pas. » C’est tout ce qu’il peut lui offrir dans les circonstances. S’il ne l’avait pas aimée, s’il n’avait pas ruiné l’amitié, il l’aurait pris dans ses bras et lui aurait murmuré des promesses rassurantes, et il les aurait tenues. Joseph est un homme de parole. Il l’a toujours été. « J’crois que j’ai brisé c’qu’on avait, Deb. » Il ne croit pas seulement. Il en a la certitude. Cette confession a déclenché leur descente en enfer. Ce stupide haricot, il aurait dû le jeter à la poubelle en même temps que tous les mégots consommés qui ont enfumé ses poumons gris. S’il pouvait retourner dans le passé, il ne le sortirait pas de sa poche. Il chérirait leur amitié telle qu’elle était à ce moment-là, quand ils commentaient ensemble l’accoutrement de la présentatrice météo ou quand ils se disputaient la bouteille de shampoing presque vide dans la douche. « Tu me manques. J’ai l’impression que tout part en vrille depuis que tu n’es plus là. » Mais ce n’est pas ça. Ce n’est pas son absence qui noircit ses journées. C’est son erreur.
Il soupire lourdement, Joseph, pose ses yeux sur ses deux mains posées à plat sur la table. Sa gorge refuse de laisser passer des idées avant qu’elles ne soient bien claires. Mais le seront-elles un jour ou ne sont-elles qu’un amassement irraisonné de regrets et de remords ? « J’t’ai pourri la vie, Deb. » Ça lui fait mal de le dire parce qu’il le croit autant qu’il croit qu’il est une pourriture. Ses jambes ne le pardonneront jamais de le porter là où il ne doit pas aller, et son cœur lui en veut de lui faire subir toutes ces montagnes-russes. Il pourrit de l’intérieur, puis ses doigts contaminés pourrissent ceux qu’il touche. « C’n’est pas mon absence qui t’fait mal. C’est toutes les choses que j’t’ai faites alors que tu méritais rien d’tout ça. » Il insulte ses yeux gorgés d’eau, les cache derrière ses paupières. « J’suis tombé amoureux d’une fille qui a encore tellement de vie à vivre, alors que j’ai foutu la mienne à la poubelle. Je t’empêche d’avancer, Deb. C’est pas mon absence l’problème. » Il répète pour la convaincre, parce qu’il sait déjà qu’elle rejettera ses propos comme la peste. Elle refusera de le croire parce, entre les orages, il y avait les éclaircis, mais les éclairs et le tonnerre avaient déjà mis à terre bien des choses. Il la tue à petits feux. Voilà. C’est cela. Elle est une bougie et il la brûle, l’épuise jusqu’à la moindre goutte de cire et, quand il aura grugé toute la tige, il touchera le fond, et elle ne sera plus. « Ce serait égoïste d’ma part de rester. J’veux t’aider, mais j’sais pas comment m’y prendre. »
@Deborah Brody |
| | | | (#)Dim 5 Fév 2023 - 19:07 | |
| Un hochement de tête pour confirmer ses dires. Oui, c’est dans sa tête. Tout passe par là. Sa fragilité, la transformation de son corps et ses regrets. La tête était maîtresse de tout, surtout de sa peine. Des souvenirs, des regrets, des remords. Elle ne cessait pas de les resasser, emprise à ses démons les plus malins et mesquins. La paix, elle ne la trouvait que facticement dans la bouteille, les somnifères et le sommeil sans repos. Elle avait merdé, comme elle le disait si bien, et elle continuait de le faire en s’enfonçant toujours plus loin dans la dépendance et dans sa dépression, ne se rendant finalement pas compte qu’elle s’attachait à des rituels qui finiraient par la détruire bien plus que l’aider. L’était misérable de son appartement et les larmes sur son visage n’étaient que la partie visible de l’iceberg. Le Titanic de sa vie n’allait pas tarder à heurter l’invisible, le plus douloureux. La question de Joseph fendait l’air comme une balle choquée par le percuteur d’une arme. Tout droit vers son cœur déjà endoloris. Il n’en saignait que davantage. Elle ne lui en voulait pourtant pas de poser la question. Il ne cherchait qu’à comprendre le pourquoi de cette grossesse nerveuse, le pourquoi elle ne savait pas retenir ses larmes plus d’une journée, le pourquoi elle semblait si éteinte et si blessée à vif à la fois. Une curiosité légitime venant d’un ami en tentative de compréhension pour appréhender les choses et probablement l’aider un peu, lui semblait-il en tout cas. Incapable de le regarder pour lui répondre, prise par la honte et le besoin express de ne pas pleurer davantage, elle pesait ses mots, les comptait. « Je n’aurais jamais dû le laisser à la maternité. » Un souffle lourd glissait entre ses lèvres, comme si cette respiration chassait la peine de ses entrailles. Tentative vaine. « Il me manque tellement, c’est atroce. » avouait-elle en chassant une énième larme de son visage, peinant à croire qu’elle puisse encore en avoir tant elle pleurait tous les jours. « J’ai appris récemment que son père a récupéré la garde et qu’ils habitent pas loin d’ici. » Ca pourrait être une très belle nouvelle si seulement sa dépression n’était pas au milieu de tout ça, ce qui la faisait pleurer davantage, peinant à aligner les mots. « Je m’en veux tellement que j’arrive même pas à profiter de ça. » Alors même qu’Adorján lui avait proposé de se revoir, de devenir la mère de cet enfant quand elle sera prête et si les choses allaient dans ce sens. Elle se sentait si peu légitime et méritante de tant de gentillesse et de cette deuxième chance. « Il aurait aimé qu’on soit une famille et je l’ai brisé comme je t’ai brisé. » Et ça faisait mal de se dire qu’elle avait été la méchante de l’histoire sur tous les plans, aussi bien celui d’Adorján que de Joseph, quand bien même elle s’était toujours dit qu’elle faisait du mieux qu’elle pouvait. Elle l’avait dit : elle s’était trompée, elle avait merdé. Sur toute la ligne. Toujours plus décevante pour chacun des siens, si peu encline à avoir de l’estime de soi. A tel point que le doute qu’émettait Joseph quant au fait de revenir par ici ne l’étonnait même pas – qui voudrait rester à ses côtés après tout ? Il lui manquait, atrocement, et bien entendu que c’était douloureux de l’entendre parler de la sorte. « Tu es tout seul à le penser dans ce cas. » rétorquait-elle sans attendre. Elle ne remettait pas en cause qu’il ait cette sensation d’avoir brisé ce qu’ils avaient, elle soulignait simplement qu’elle n’était pas d’accord. Pourquoi lui demanderait-elle s’il comptait revenir un jour s’il avait vraiment brisé quoi que ce soit ? Il était seul sur ce coup-là car de son côté, elle n’attendait qu’une chose : qu’il revienne. Probablement aveuglé par la douleur qu’elle avait causé en refusant ses avances, Joseph n’était, selon elle, juste plus capable de la voir comme une amie et de se comporter de la même façon qu’ils avaient (la même qui l’avait amené à développer des sentiments pour elle). Elle ne pouvait pas lui en vouloir pour ça parce qu’elle comprenait que ça serait un comportement masochiste que de rester dès lors qu’on n’était pas capable de réparer son cœur et d’oublier pour retrouver leur amitié. Ce qu’elle regrettait néanmoins, et qui provoquait une pointe de colère dans sa voix, était cette façon que Joseph avait de se cacher derrière ce qui lui semblait être des excuses. « Tu racontes que des conneries. N’assume pas des choses à ma place s’il te plait. » Il ne lui avait jamais pourri la vie, il n’avait jamais été un boulet de son point de vue, il n’avait jamais été celui qui l’empêchait d’avancer. Ce n’était que de belles excuses, des foutaises qu’il se servait surtout à lui-même. « Les choses que tu as faites sont justement faites. Que tu sois là ou non, ça n’y changera rien, personne n’est capable de modifier le passé et tu es pardonné depuis longtemps, je pensais que tu l’avais intégré. Par contre, l’avenir, c’est toi qui le choisi. Ne te cache pas derrière un passé qu’on ne peut pas refaire pour me dire que tu ne me vois pas dans ton futur. Les deux n’ont rien à voir, les conditions ne sont pas les mêmes, il suffit de te regarder pour le comprendre. » Elle n’était pas dupe. Il avait beau lui dire qu’il avait jeté sa vie à la poubelle, c’était faux. La preuve était devant elle : il allait mieux. Une personne qui jette réellement sa vie à la poubelle ne cherche pas à s’en sortir comme il le fait. Il allait mieux oui et il allait mieux sans elle. Elle était là la vérité et elle supportait mal qu’il ne sache pas l’assumer plus que ça – quand bien même elle aurait compris, si elle était dans un état normal, qu’il cherchait peut-être à lui épargner cette peine supplémentaire. « Ca m’aiderait que tu sois honnête en me disant juste que tu n’as plus envie de me fréquenter parce que tu n’es plus à l’aise si c’est le cas, tu serais pas le premier et tu seras pas le dernier. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas en sortant de ma vie que tu pourras m’aider. » Maladroitement, elle avouait avoir besoin de lui mais qu’elle était prête à le laisser s’en aller si tel était son réel besoin. Elle lui avait demandé de ne pas assumer certaines choses à sa place – notamment sa vision qu’elle avait de lui et la trace qu’il laissait dans sa vie – alors elle n’osait pas assumer à sa place non plus, lui laissant le champs des possibles, ne présentant que des hypothèses. @Joseph Keegan
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| | | | (#)Dim 26 Fév 2023 - 18:37 | |
| Le temps s’est envolé, il ne l’a pas vu passer. Les tristesses sont devenues des regrets ou des remords, les bons souvenirs sont restés mais se sont fait dénaturer par la juxtaposition d’un filtre gris sur la bobine. Il ne sait plus discerner le vrai du faux et, juste sous ses yeux, un ventre arrondi prétend n’accueillir rien d’autre que des idées faussées. C’est difficile à croire puisqu’il le voit ; Deborah est faite de chair et d’os, comme avant, comme aujourd’hui, mais c’est différent. Si ce bébé est une illusion, alors qu’en est-il de leur amitié ainsi que de tous ce qu’ils ont fait ensemble dans le passé ? La première lettre devait-elle arriver entre les mains de Joseph ou visait elle un autre destinataire ? Ce baiser devait-il lier d’autres lèvres ?
C’est difficile, de comprendre la réalité quand elle envoie des pièges à droite et à gauche. D’énormes pièges à ours qui se referment sur la cheville du plus naïf et le fait saigner à blanc. « Je n’aurais jamais dû le laisser à la maternité. » La confession lui serre la mâchoire. S’il y a une chose que Joseph a appris au fil des années, c’est qu’il est inutile de rembobiner la cassette pour revoir les erreurs commises encore et encore, à s’en rendre malade. Il a déjà payé le prix d’un tel entêtement et son amie en découvre le revers de la médaille. « Il me manque tellement, c’est atroce. » Il déteste ses yeux qui veulent miroiter ceux de la jeune femme alors qu’ils se brouillent eux aussi de larmes. La voir ainsi détruite, ça lui fait plus mal que de se couper le bras. Mais, le véritable problème dans cette histoire, c’est qu’il n’a jamais su comment réconforter un cœur malade parce qu’il n’a jamais réussi à soigner le sien avant tout. Lily saurait comment répondre. Lily manie les mots et les caresses. Lily a appris à prendre soin des autres avant elle-même. Et, si le même sang coule dans leurs veines, ils ne se ressemblent sur aucun point. « J’ai appris récemment que son père a récupéré la garde et qu’ils habitent pas loin d’ici. » La nouvelle soulève sa tête. Il repose solidement ses yeux sur le visage de Deborah, prêt à écouter la suite, qu’elle se présente à lui ou non. « Je m’en veux tellement que j’arrive même pas à profiter de ça. » Il aimerait pouvoir prendre sa place et bouffer la culpabilité plutôt que de la laisser consumer une innocente mais il s’agit encore d’un souhait que la belle étoile ne pourra pas exaucer. « T’as appris récemment, que t’as dit. » Il répète pour lui rappeler ses paroles et ainsi amener son premier conseil : « C’est encore frais dans ta tête. Tu vas pouvoir prendre du recul et j’te promets que tu vas bientôt y voir plus clair. » Le temps calme tous les maux : c’est un proverbe qu’il détestait tant avant de pouvoir l’affirmer haut et fort quand sa peine a changé. Elle n’est jamais partie, elle se niche encore au creux de son ventre et y restera sûrement toute sa vie, mais elle ne l’affecte plus de la même façon. C’est la même chose pour la douleur, qu’il a appris à apprivoiser, ainsi que ses traumatismes qui agissent encore comme des avertissements aujourd’hui, mais qui ne l’empêchent plus de manger à sa faim. « Il aurait aimé qu’on soit une famille et je l’ai brisé comme je t’ai brisé. » Il secoue aussitôt la tête de droite à gauche pour lui enlever le droit de dire de telles choses. Il ne la blâmera jamais pour ce qu’il s’est passé. Une chorégraphie se danse à deux. Une guerre oppose deux combattants. Rien n’est jamais tout blanc ou tout noir. Toutefois, il ne l’empêche pas d’expliquer le fond de sa pensée parce que ce serait injuste de la tabouer : « Qu’est-ce que tu veux dire ? Comment tu l’as brisé ? » Et parle-elle du père de l’enfant, ou de l’enfant lui-même ?
« Tu es tout seul à le penser dans ce cas. » Comme elle est la seule à penser qu’elle mérite de se flageller pour ce qui lui arrive. « Tu racontes que des conneries. N’assume pas des choses à ma place s’il te plait. » Il baisse le nez, s’impose un silence. Il écoute la suite de sa pensée d’une oreille attentive mais il ne peut que souhaiter lui renvoyer sa sagesse, lui faire comprendre qu’elle aussi n’a pas le droit de soulever le passé si elle l’empêche de le faire, lui. Mais il se tait, car il sait si bien le faire, ne pas faire subir son point de vue, rester docile, serre les poings pour mieux supporter la ceinture qui déchire son dos. « Ca m’aiderait que tu sois honnête en me disant juste que tu n’as plus envie de me fréquenter parce que tu n’es plus à l’aise si c’est le cas, tu serais pas le premier et tu seras pas le dernier. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas en sortant de ma vie que tu pourras m’aider. » Les larmes remontent à ses paupières et il préfère les cacher en se mettant dos à la jeune femme. « J’veux t’aider. C’est la seule raison qui m’a poussé à v’nir à ton appartement. Mais j’vais pas pouvoir t’aider en te mentant, Deb. » Sa voix se casse, il se déteste d’être si sensible pour un homme qui ne devrait pas l’être. « Je t’aime trop et c’est c’qui me fait du mal, m’empêche d’prendre soin d’moi. Tu ne me rends pas mal à l’aise. Tu me rappelles… » Il marque une pause, hésite, se frotte les mains ensemble en pesant le pour et le contre avant d’admettre : « Tu me rappelles la coke. Cette chambre me rappelle la coke, aussi. » Il ajoute en désignant la porte fermée qui renferme le lit dans lequel il avait passé une année, ainsi que les sachets de poudre qu’il avait cachés dans son tiroir à chaussettes alors qu’il avait promis à sa meilleure amie d’avoir enfin arrêté. Cet endroit est maudit et l’empêche de tourner la page sur son addiction – pas sur Deborah, qu’il ne souhaite pas réellement voir disparaître. « Et la salle de bains. » Là où il a maintenu la jeune femme contre la porte en lui hurlant des menaces, quand il a fragilisé leur amitié pour la première fois. Et, ça, qu’elle l’infirme ou pas, c’était véritablement de sa faute. Il ne la partagera pas avec elle. « J’veux t’aider, mais j’y arriverai pas tant que tout ça m’rappellera c’qu’il s’est passé et toutes les choses que j’t’ai imposé dans les quatre murs de cette maison. » Brûler l’appartement, ce serait déjà une bonne chose. « Alors ne m’fais pas dire des choses que j’n’ai pas dites. Oui, c’est du passé, mais ce passé il me hante encore, comme le tien te hante encore. » Et il recherche sa réaction, craintif d’avoir dit quelque chose qu’il n’aurait pas dit – mais il n’aurait pas pu faire autrement. Elle ne peut pas lui en vouloir d’être coincé des années en arrière quand elle vit le même combat.
@Deborah Brody joyeux anniv debbie |
| | | | (#)Sam 4 Mar 2023 - 23:23 | |
| Son fils lui manquait, les regrets bouffaient ses chairs et son cœur, son ventre en étrange témoin du chaos de son âme. La poupée autrefois colorée, aux jolies couleurs de printemps, à la peau diaphane et aux joues rosées par des sourires trop répétés était devenue grise, le teint pâle et le regard triste, mélancolique, malheureux. Elle avait changé, s’était muée en cette créature de silence ou pleine de ressentiments. L’équilibre n’existait plus, incapable de faire la part des choses et de se rendre compte que tout n’était pas perdu. Ce qui l’était, c’était elle. Perdue dans la peine, perdue face à cette solitude qui s’installait et qu’elle ne cherchait pas à éviter alors que ça serait probablement la meilleure chose à faire. Si Camil n’avait pas contacté Joseph, combien de temps serait-elle restée face à son plat de pâtes froid sans bouger, le regard aussi vite que sa tête ? Plus capable de réfléchir comme de respirer, elle s’enfonçait dans une médiocrité que l’appartement laissait apparaître. Elle se complaisait dans la morosité de sa situation et ne faisait que l’empirer sans savoir faire autrement. Exactement comme à cet instant où elle ne semblait pas attentive à ce qu’il disait alors que son oreille était pourtant tendue. Elle l’entendait mais son esprit ne l’écoutait pas. Prendre du recul, y voir plus clair. Elle n’en était plus capable ou en tout cas n’en avait pas l’énergie pour avoir cette capacité. Tout ce qu’elle était capable de faire était d’éteindre un temps cette peine par le sommeil ou par l’alcool. Par ce verre de whiskey qu’elle était en train de se verser sans même se cacher. La moitié du verre disparaissait dans son gossier. Les larmes se taisaient, remplacées par une grimace. Ses bagues cognaient contre le verre, ses doigts devenus trop fins par sa perte de poids conséquente. « En étant trop conne. » Voilà comment elle l’a brisé, Adorján. « Je n’ai pas abandonné que mon fils ce jour-là. J’ai brisé son père en le privant de sa paternité parce que j’ai fermé ma gueule et que j’ai eu peur. » Peur des sentiments qu’elle avait développé pour lui, peur de sa réaction face à cette grossesse aussi. Elle venait de le dire : il aurait aimé qu’ils soient une famille. « J’ai tout foutu en l’air, je fous toujours en l’air. » disait-elle en finissant son verre pour ravaler de nouvelles larmes qu’elle ne voulait pas voir, blessée par son constat. Un constat dont faisait partie Joseph. Lui aussi elle l’avait brisé, d’une façon différente mais le résultat était le même : cœur en vrac et éloignement significatif du concerné. Rien de plus, rien de moins. Il lui tournait le dos, pas encore consciente qu’il cherchait juste à camoufler ses émotions, c’était un mouvement qui lui faisait mal mais qu’elle ne relevait pas. Lorsqu’elle entendait sa voix se briser, cette récente blessure se pansait avant d’immédiatement saigner et d’imbiber le pansement. A son tour le silence devenait d’or. Elle écoutait, se resservait un verre. Elle se pinçait les lèvres, buvait. Elle écoutait encore et le second verre avait déjà disparu. Ce fut si rapide que, peut-être, le dos tourné, il s’est aperçu de rien tandis qu’il parle de la chambre puis de la salle de bains. Ces deux verres, si rapides, avec un tel alcool, elle le savait, ne seront pas sans conséquence. Tant pis, elle n’était plus à ça près n’est-ce pas ? Quand il pivotait de nouveau vers elle, les larmes ne mouillaient plus ses yeux. Son expression était vide. Vide d’espoir de retrouver ce qu’ils étaient un jour. « Que veux-tu que je te dise ? Tu ne fais que confirmer qu’on est coincés. » Elle ne savait pas quoi lui répondre de plus tant elle avait l’impression qu’ils se trouvaient dans une impasse dans laquelle il n’était pas possible de faire demi-tour. « Admettons que dans quelques mois j’ai les finances et l’énergie de déménager. Après quoi ? Si ma propre personne te rappelle la coke, je pourrais rien y faire. » Coincés, sans issue, sans solution. Elle pourrait même changer d’enveloppe physique que ça ne changerait rien, elle resterait Deborah quoi qu’il arrive. Que pouvait-elle faire de plus à part s’épuiser à nager à contre-courant ? Elle allait couler. « Bref. » disait-elle dans un soupir triste, attrapant le goulot de sa bouteille, abandonnant le verre qui ne servait pas à grand-chose finalement, pour trainer sa carcasse vers la chambre. Elle ne cachait même pas ce qu’elle comptait faire. « Tu peux rentrer chez toi. » étouffée dans une énième gorgée. Elle coulait déjà. @Joseph Keegan
Dernière édition par Deborah Brody le Jeu 16 Mar 2023 - 8:12, édité 1 fois |
| | | | (#)Jeu 16 Mar 2023 - 1:18 | |
| Joseph ne sait pas comment prendre soin des autres. Il peut offrir des fleurs, tenter une blague, aller faire les courses, huiler la penture d’une porte qui grince, faire une nuit blanche, flamber l’embout d’une clope et l’offrir à un ami. Mais, les sentiments, les émotions, s’il a l’impression d’en avoir rencontré une grande majorité dans sa vie, il ne pourra jamais comprendre ce qu’il se passe réellement dans la tête d’une mère séparée de son enfant. Il n’a pas l’instinct maternel. Il a déjà perdu des amis, des amours, mais rien qui pourrait se comparer à ce qui ressemble à un deuil chez Deborah. Il n’émet aucun jugement, il n’en a jamais émis en son encontre, parce qu’il comprend qu’à la base de chaque décision, bonne ou mauvaise, se trouve un certain temps de réflexion. « Je n’ai pas abandonné que mon fils ce jour-là. J’ai brisé son père en le privant de sa paternité parce que j’ai fermé ma gueule et que j’ai eu peur. » Mais elle avait ses raisons de le faire ; il n’a jamais eu les détails ni par le biais de ces lettres échangées, ni par leurs discussions qui sont venues par la suite, mais il sait qu’elle savait quoi faire. Elle a suivi son instinct. Elle n’était pas prête à voir sa vie basculer. Elle avait le choix de le faire et, les conséquences, elles n’existent que si elle croit en elles. « J’ai tout foutu en l’air, je fous toujours en l’air. » Il déteste la voir parler. Il n’a pas les mots, pas les remèdes magiques pour soigner ses maux. Ce qu’il voit devant lui, c’est une personne qui a été assez forte pour prendre soin d’elle. « Et alors ? » Qu’il lance, ne regrette pas tout de suite. Il s’est déjà entendu mille fois ressasser le passé, maudire sa décision de partir à quinze ans, imaginé des univers alternatifs dans lesquels il n’aurait pas lâché l’école, serait devenu un bon samaritain, bien vêtu, apprécié, distingué. Dans l’un d’eux, il ne parle pas comme un enfant qui lie tous les mots par flemme de prononcer toutes leurs syllabes. « Qu’est-c’que tu peux bien faire, Deb ? » Il demande, question rhétorique qui restera sans conclusion. « T’as encore toute ta vie d’vant toi pour faire les choses comme tu penses que t’aurais dû les faire. Ton fils existe encore. Son père existe encore. T’es toujours là. Toutes les histoires commencent pas au même commencement. » Il marque une pause, s’humecte les lèvres, fait de l’ordre dans ses pensées qui se bousculent. « Qu’il soit l’père d’un gosse de zéro jour, un an, trois ans, dix ans, qu’est-ce que ça change ? Ce sont les souvenirs créés qui compteront à la fin, pas ceux qui auraient pu être. » Joseph ne rencontrera jamais cet autre garçon dans une autre dimension. Il ne pourra pas jalouser son emploi, ses habits propres, sa maison sur le bord de la plage. Il ne peut pas faire le deuil de ce qu’il n’a pas et n’aura jamais. Il peut seulement protéger ce qu’il possède, chérir les quelques personnes qui sont encore là malgré tout et attendre de voir la suite.
Et, puisqu’il déteste ça, il redevient le centre du sujet. Il n’aime pas dire la vérité aujourd’hui parce qu’elle est cruelle. Si son seul souhait est de retrouver cette relation qu’ils avaient, il n’arrive pas à séparer son addiction des souvenirs qui ont été absorbés par les murs de cet appartement. Deborah lui manque, leurs conneries aussi, le café qu’elle faisait couler pour deux, les mauvais films qu’ils regardaient jusqu’à la fin au cas où cette dernière rachetait le début et le milieu. Mais il n’y a pas cette amitié sans la drogue que Joseph cachait sous son matelas ou sans les coups qui ont été portés dans la salle de bains. Cette place est comme un musée ; elle expose autant de bons souvenirs que de mauvais. Le garçon n’est pas encore assez fort pour les distinguer l’un de l’autre. « Que veux-tu que je te dise ? Tu ne fais que confirmer qu’on est coincés. » Sa colère le blesse mais il ne pouvait pas en être autrement. « Admettons que dans quelques mois j’ai les finances et l’énergie de déménager. Après quoi ? Si ma propre personne te rappelle la coke, je pourrais rien y faire. » Il cligne ses paupières brûlantes qui ne souhaitent que de se déverser sur ses joues. « Ce ne sera pas toujours l’cas. J’vais m’soigner. » Il a fait la promesse à Lily, il la fera à Deborah aussi. « Bref. » Il fixe la bouteille qu’elle serre dans son poing. Une addiction. Il est le dernier à pouvoir lui donner un conseil à ce sujet. Alors il ne l’intercepte pas quand elle se dirige vers la chambre en absorbant une énième gorgée d’alcool. « Tu peux rentrer chez toi. » Il attend qu’elle disparaisse de sa vue pour détourner la tête. Retenir ses larmes devient une tâche trop difficile, et il doit attendre quelques secondes avant de lui répondre de la voix la plus stable possible : « Fais pas d’bêtise. » Longue inspiration. « J’te promets qu’c’est pas permanent. Ça va changer. » Puis, en silence, il se dresse de son siège, va récupérer un sac poubelle en-dessous du lavabo, dispose de tous les déchets s’accumulant dans les coins, passe une linguette sur le comptoir pour le nettoyer grossièrement, replace les chaises, fait une pile avec la vaisselle sale, va ouvrir une fenêtre puis trouve le chemin de la sortie avec son sac qu’il jette à la poubelle. Seulement dehors, il peut se permettre de respirer à plein poumon avant de porter une cigarette à son bec afin de changer le goût dans sa bouche.
@Deborah Brody |
| | | | | | | | After all that I put you through, here I am [Keedy] |
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