| Ces pensées qui nous font vivre un enfer [Lily - 1994] |
| | (#)Mar 3 Mai 2022 - 0:12 | |
| TW / abus physiques « Vous devriez l’amener à l’hôpital, monsieur Keegan. » « Je vais m’occuper de lui. » Rétorque Cyril sans lâcher le poignet de Joseph. « Il a subi des brûlures importantes. Certains tissus ont pu être très endommagés. » S’inquiète l’ambulancier en soulevant ses mains devant lui afin de recevoir un peu d’indulgence de la part du quarantenaire bouillant.
À travers la foule, Joseph cherche Alfie du regard. Un épais nuage de fumée s’élève de ce qui reste de l’Église, à une centaine de mètres d’ici. Au-dessus la cime des arbres, il aperçoit des flammes léchant le clocher. La foule s’est éloignée ; les pompiers sont arrivés il y a de cela une dizaine de minutes. Joseph ne trouve pas Alfie et son cœur s’affole. La main de son père bloque la circulation de son sang dans son poignet. Sa deuxième main, enroulée dans un bandage, tente de s’accrocher à quelque chose mais il n’attrape que l’air. Il ne sent plus la brûlure à sa paume depuis que ses parents sont arrivés en toute hâte sur les lieux. Il a peur, maintenant, et aucun adulte ne prend la peine de lire cette peur dans ses yeux qui hurlent pourtant. On ne se soucie que de sa main, mais pas bien longtemps. « Nous le conduirons nous-même à l’hôpital. » Ment Cyril en tirant sur le bras de son fils pour qu’il le suive. L’ambulancier lâche un soupir et les laisse disparaître au milieu de la foule.
Joseph est aphone. Il cherche une dernière fois son meilleur ami ; sans succès. Il est probablement déjà ailleurs. Il habite plus près d’ici. Ses parents sont venus plus tôt, et l’ont certainement conduit à l’hôpital, lui. Devant le public, il n’émet pas la moindre protestation. Il se laisse guider jusqu’au vieux camion de son père et se hisse à l’arrière sur la banquette inconfortable dont le cuir a été hâlé. Seulement loin des oreilles indiscrètes, Cyril se permet de lâcher une insulte odieuse à l’encontre de son fils et Marie se contente d’opiner nerveusement de la tête en serrant entre ses doigts tremblants et frêles son crucifix. Le chemin du retour est accidenté et ponctué de fausses manœuvres provoquées par la conduite agressive d’un père fulminant. Joseph entrevoit une dernière fois, par le reflet du rétroviseur, la carcasse de l’Église noircie qui ne touche plus au ciel comme auparavant.
C’est la routine, mais trois fois pire. Un moment, Cyril oublie qu’il ne doit pas frapper Joseph là où les ecchymoses seront visibles aux yeux des autres élèves et des professeurs. Le jeune garçon avale sa langue pour s’empêcher de donner la moindre satisfaction à son assaillant même si les coups sont de plus en plus forts et de plus en plus ciblés. Cyril a bien vu que ses dents grincent lorsque le bâton entre en contact avec le côté de son flanc. Il pousse des gémissements mais ne pleure pas. Non, il ne pleure jamais.
Lily rentre de l’école à dix-sept heures, comme d’habitude. Par la fenêtre de sa chambre, au deuxième étage, Joseph observe silencieusement l’autobus scolaire disparaître au tournant de la rue. À cette distance, sa sœur paraît si minuscule avec son sac sur son épaule, ses cheveux soigneusement tressés de chaque côté de sa tête et ses bottines noires. « Ton frère ne se sentait pas bien. Nous sommes allés le chercher à l’école et il se repose maintenant. Il ne dinera pas avec nous ce soir. » Dit doucement Marie lorsque sa fille entre dans la maison. Elle la prend certainement dans ses bras. Elle lui replace une mèche derrière son oreille aussi, c’est sûr. Elle lui dit peut-être qu’elle l’aime, à voix basse près de son oreille. Mais, enfermé dans sa chambre, Joseph ne peut que ravaler un sanglot en se glissant sous ses couvertures pour se protéger du monde.
@Lily Keegan |
| | | | (#)Ven 6 Mai 2022 - 23:40 | |
| A l’école, tout le monde ne parle que du nuage noir dans le ciel, formé par la combustion de leur très chère église. Les cours ont été agrémentés des sirènes de pompiers, assez pour que leurs professeurs acceptent de changer de sujet de cours pour leur parler de l’importance de Dieu et des lois de la nature - autant que de l’importance de bien vérifier que le gaz est coupé après avoir utilisé la cuisine. Et pour une fois, Lily a été une enfant comme toutes les autres. Elle n’a nourri aucun soupçon, ne s’est doutée de rien non plus. Elle a observé la fumée monter pendant la pause de récréation et est retournée à ses études quand la cloche a sonnée, pour finalement mieux replacer son sac sur ses épaules au moment de rentrer chez elle et attendre le bus, chose qu’elle peut faire toute seule depuis un an déjà - parce que papa et maman lui font confiance et qu’elle en est terriblement fière. Joseph n’en aurait jamais eu le droit, lui.
Ses parents sont salués poliment, chaleureusement, mais plutôt que de prendre son goûter dans la cuisine, sa mère préfère déjà la prévenir de la situation actuelle. « Ton frère ne se sentait pas bien. Nous sommes allés le chercher à l’école et il se repose maintenant. Il ne dînera pas avec nous ce soir. » Elle s’abaisse pour que Lily vienne se blottir dans ses bras, chose que l’enfant fait par habitude bien plus que par envie, pour correspondre au schéma et à la demande. Contre le cou de sa mère, pourtant, l’enfant affiche des sourcils froncés et un visage contrit par le souci. “Je peux lui ramener un verre de lait ? Je le laisse devant sa porte s’il dort.” Lily demande à voix basse, presque suppliante, espérant sincèrement que son père ne l’entend pas - il dirait non, c’est certain. Marie observe sa fille avec tendresse, hésite, et lui accorde finalement un droit de visite sur son aîné, un étage à peine au dessus d’elles. “Pas longtemps.” Cela veut tout et rien dire à la fois, toutes les deux en sont conscientes, et après avoir murmuré quelques remerciements à sa mère, Lily remplit le plus grand verre qu’elle trouve et monte une à une les marches, avec une extrême minutie.
Elle cogne la porte du dos de sa main et parle bas, assez pour espérer que personne d’autre que Joseph ne l’entende. Déjà, elle sait que sa mère lui a menti en la regardant les yeux dans les yeux. “Jo ? J’ai un truc super cool à te raconter, tu devineras jamais ce qu’il s’est passé aujourd’hui.” Elle ne lui demandera pas comment il va, elle n’utilisera pas son verre de lait comme argument: il était bon pour leur mère mais Jo, lui, n’en aura sûrement rien à faire qu’elle le lui ramène. Lily fait au mieux, souhaitant déjà utiliser l’histoire de l’église en feu pour attirer son attention, quand bien même il l’a sûrement vue brûler, lui aussi. “Tu dors ?” qu’elle finit pourtant par murmurer, n’entendant aucune réponse de l’autre côté de la porte en bois. |
| | | | (#)Sam 7 Mai 2022 - 4:32 | |
| Les idées d’un adolescent de quinze ans ne sont jamais bien aiguisées. Joseph n’est pas mature. Il ne réfléchit pas logiquement ; ce sont ses émotions qui font naître en lui cette nouvelle envie de changer de vie. Il pourrait le faire. Des premiers poils ont poussé sous son nez alors il sera bientôt un adulte. Il sait prendre soin de lui, il est indépendant, fort, aussi, parce qu’il s’occupe lui-même de porter le foin à ses vaches et Dieu sait que ces meules sont pesantes. Il a déjà fait du pouce pour rentrer chez lui après s’être perdu dans une campagne qu’il ne connaissait pas. Il est rentré à peine après l’heure du dîner, et ses parents n’ont pas posé de questions et, de toute façon, il aurait répondu qu’il était à la rivière puisqu’il se cache toujours là-bas.
Et s’il allait se cacher pour de bon ? Pas à la rivière, puisque Cyril le retrouverait en quelques heures à peine. Bien plus loin que ça. Brisbane est à une centaine de kilomètres d’ici. La ville est grande, les immeubles hauts, plus hauts que l’Église qui a aujourd’hui fondu sous le feu, les rues sont infinies, et il pourrait sans aucun doute trouver un emploi. Qui n’aurait pas besoin d’engager un garçon aussi fort que lui ? Il sait soulever les meules de foin. Il sait tout faire.
La pensée n’est pas spontanée. Depuis qu’il est assez vieux pour réfléchir par lui-même, Joseph a envie de partir. Il a déjà élaboré des plans, tous plus insensés les uns que les autres, mais il ne les a jamais mis à exécution.
“Jo ? J’ai un truc super cool à te raconter, tu devineras jamais ce qu’il s’est passé aujourd’hui.” Emmitouflé sous sa couverture, Joseph sursaute. Il émet un gémissement lorsque la douleur à son dos se réveille. Il appuie sur ses paupières pour empêcher les larmes de couler. Le bandage à sa main lui pique ; il a terriblement envie de le retirer et de plonger sa main dans bol rempli d’eau glacée. Il n’a pas la force de demander à sa sœur d'aller voir ailleurs. De toute façon, s’il ouvrait tout de suite la bouche, il ne prononcerait certainement pas un mot assez clair pour qu’elle l’entende à travers l’épaisseur de la porte qui les sépare. Soudain, son cœur s’alourdi davantage tandis qu’il regarde le lit vide de Lily à sa droite. Elle s’en sortira sans lui. C’est certain. Elle est plus intelligente. La preuve : elle a su s’adapter à cette famille alors que Joseph n’a fait que la défier tout au long de sa vie. Sa nature inapprivoisable l’a mené jusque dans ce lit, le dos zébré de coupures saignantes qui tachent son t-shirt et son drap et les côtes habillées d’ecchymoses. Il n’a jamais gagné, et il ne gagnera jamais ici.
“Tu dors ?” Qu’est-ce qu’il aimerait dormir. Recommencer cette journée, cette semaine, cette vie. Se réveiller dans le corps d’un autre adolescent de sa classe qui est heureux de rentrer chez lui une fois les cours terminés. Même, pourquoi ne pas prendre la place d’Alfie. Lui aussi, est plus intelligent que lui. Et il est certainement à l’hôpital en ce moment, pas dans sa chambre à broyer le noir et à s’imaginer un possible monde meilleur à des kilomètres d’ici. « Non, je ne dors pas. » Il finit par souffler après avoir creusé une petit cave dans sa couverture pour laisser sa voix s’échapper de son nid. « Qu’est-ce que tu me veux ? » Il demande en ronchonnant. « Marie t’a dit que j’étais malade, laisse-moi tranquille. » Il ajoute, souhaitant surtout la préserver de cette image de son frère aussi fatigué, meurtri, mal. Même s’ils se balancent des trucs à la tête, même s’il lui tire les cheveux dans la cour de récréation, et même s’il ne lui a jamais dit qu’il l’aimait, il n’y a qu’une seule chose qu’il souhaite : qu’elle devienne quelqu’un, si, lui, ne peut pas comme l’auraient désiré leurs parents.
@Lily Keegan déso |
| | | | (#)Mar 10 Mai 2022 - 17:49 | |
| Les pieds de Lily sont perpendiculaires à la porte. Parfaitement perpendiculaires, parce qu’elle y a veillé, replaçant ses chaussures blanches sur le plancher pour ne pas dénoter du reste de la maison, éternellement bien rangée. Elle a lavé ses mains en rentrant et maintenant, elle prend soin de ne pas laisser ses empreintes sur le verre qu’elle veut tendre à Jo, pour Dieu sait quelle raison. Ce n’est pas une scène de crime, personne ne va venir les relever. Et pourtant, elle ne veut pas dénoter. Elle ne veut pas être notée tout court, Lily qui longe les murs, Lily qui hausse à peine la voix pour être entendue de l’autre côté de la porte, priant silencieusement pour que son frère soit d’assez bonne humeur pour lui ouvrir.
Pourtant, seul le silence lui répond à plein poumons, raison pour laquelle la cadette tente une approche différente, lui demandant s’il dort. Une part d’elle sait que ce n’est pas le cas. Jo ne dort pas en plein milieu de la journée et c’est à peine s’il trouve le sommeil une fois le soir venu, quand bien même sa sœur est dans la même chambre que lui, prête à le protéger des monstres ou presque. Les livres de leur enfance ne précisent pas qu’il est bien plus difficile de se débarrasser des monstres qui portent le même sang qu’eux. « Non, je ne dors pas. » Et si jusque-là elle avait retenu son souffle sans même s’en rendre compte, l’enfant souffle finalement, rassurée. Au moins, il est en état de lui répondre, même si sa voix est lointaine et rouillée. Il a la même quand leur père trouve le chemin pour entourer son cou avec sa main, large et musclée. « Qu’est-ce que tu me veux ? » - “Te raconter une histoire.” Je te l’ai dit, Jo, écoute moi un peu.
« Marie t’a dit que j’étais malade, laisse-moi tranquille. » Elle s’est habituée depuis longtemps au fait que maman prenne une forme différente entre les lèvres de son frère, là n’est pas la question. Simplement, elle ne s’est toujours pas habituée à l’éternel rejet de Jo, quand bien même il a parfois ses raisons. Lily se pince les lèvres, aussi triste que blessée. “Mais je t’ai ramené un verre de lait.” Elle reprend, suppliante, voulant son aval avant d’entrer dans la pièce, ce qu’elle finira de toute façon par faire. “T’es pas tout nu ? Je dois récupérer mon cahier pour faire mes devoirs.” S’il ne veut toujours pas d’elle, alors elle continuera de feindre les apparences pour eux deux, comme elle l’a toujours fait et comme elle continuera de le faire, le mensonge lui allant de toute façon bien mieux au teint que n’importe quelle vérité. |
| | | | (#)Ven 1 Juil 2022 - 2:08 | |
| Il veut être seul. Il veut toujours être seul. Seul, c’est mieux que tout le reste. Seul, il est le seul à pouvoir se faire mal. Seul… Seul… Il sera peut-être seul ailleurs. Le mot de quatre lettres sonne soudainement trop bien à son oreille. Sa mélodie le bercerait jusqu’à ce qu’il s’endorme si la voix agaçante de Lily ne résonnait pas de l’autre côté de la porte de la chambre. “Te raconter une histoire.”
Oh. Il lui en raconterait une lui aussi si sa voix n’était pas cassée. Il présenterait d’abord les personnages : un frère et une sœur qui ont des parents aimants. La joie et les rires lors des dîners. Des prières pour seulement ceux et celles qui croient encore. Des bras qui câlinent sans jamais étouffer. Une merveilleuse histoire qu’il aimerait à son tour écouter. « J’ai plus l’âge pour les histoires. » Mais le cœur n’est pas là, il n’est plus là. Dans la poitrine de Joseph, il a cessé de battre et a arboré une couleur grise, une douleur vive. Partir… Partir… L’idée qui germe en même temps que les émotions se taisent. Lily ? Qui est Lily ? Sa petite sœur qui veut lui raconter une histoire. Sa silhouette fend la lumière qui passe en-dessous de la porte. Joseph peut imaginer la forme de ses pieds puis son petit corps bas perché. Ses cheveux soigneusement tressés aussi, et ses joues roses, ses grands yeux bleus qui avalent tout ce qu’ils regardent, ses lèvres qui veulent raconter une histoire… Une histoire… Il en existe, des belles histoires. Ailleurs.
Il frissonne. Il est peut-être réellement malade. Malade dans le cœur et dans la tête. “Mais je t’ai ramené un verre de lait.” Il essuie des larmes invisibles. Son oreiller est complètement sec et ses joues aussi. Du lait ? Il aime le lait. C’est certainement le même qu’il a trait le matin-même. Milkshake l’avait remercié d’apaiser son inconfort. Elle l’avait regardé de ses deux grosses boules noires et brillantes et avait fait sonner la cloche à son cou. Il lui avait caressé le museau en la remerciant à son tour. “T’es pas tout nu ? Je dois récupérer mon cahier pour faire mes devoirs.” La lutte sera vaine. Alors il abandonne. « Non, je suis pas tout nu. » Une façon pour le garçon de donner la permission à sa sœur de pénétrer dans la chambre à son tour. « N’ouvre pas la lumière. Mes yeux me brûlent. » Il s’applique à préciser quand la porte s’ouvre. Il ne lui accorde pas un regard, tourné vers le mur, enveloppé de sa mince couverture qui cache au moins le sang et sa honte. Avec un peu de chance, elle ne le regardera pas de ses grands yeux qui avalent tout. « Trouve ton cahier et va-t-en. » Il ordonne d’une voix qui ne lui ressemble pas. Qui est Lily ? Qui est Joseph ? Des personnages qui vivent dans une histoire qui n’est plus la leur.
Leur livre s’est enflammé tout comme l’Église et les derniers espoirs qui germaient dans le jardin.
@Lily Keegan |
| | | | (#)Mar 5 Juil 2022 - 16:18 | |
| « J’ai plus l’âge pour les histoires. » "Je le dirai à personne.”
Elle insiste, Lily haute comme trois pommes. Elle sait que ce ne sont pas les petites sœurs qui racontent des histoires à leurs grands frères, normalement, mais pour une fois elle se moque bien de ce que peuvent penser les autres. Le fait est qu’elle aime bien, ces moments avec Joseph, et elle est convaincue qu’il ne les déteste pas autant qu’il tente parfois de lui faire croire. Ces histoires, au moins, n’appartiennent qu’à eux. Dans leurs histoires, tous les personnages vont bien, tous les personnages sont heureux, et tous finissent tôt ou tard par trouver leur voie dans la vie difficile des adultes qu’ils ne comprennent pas encore totalement. Alors elle insiste, elle veut le voir, elle veut lui parler. L’histoire n’est qu’une excuse, un prétexte évident. Peu important, tant que ça peut l’aider à rentrer et arrêter de trépigner sur le seuil de la porte, étrangère dans sa propre maison. Accusant un silence, elle ajoute l’argument du lait à la maigre liste de ce qu’elle peut lui proposer, elle et ses maigres moyens, elle et son envie de bien faire autant que de rester l’enfant préférée du duo.
Finalement, le dernier qu’elle garde à l’esprit n’est que pour elle-même, son besoin infondé de récupérer un cahier pour faire ses exercices, parce que même Joseph ne pourrait nier la volonté de sa cadette d’être une bonne élève et de faire ses devoirs à peine rentrée à la maison, pour ne jamais être prise de court. « Non, je suis pas tout nu. » Il ne le dit pas, mais ça veut dire qu’elle peut entrer, pas vrai ? Encore incertaine, elle appuie sur la poignée de porte avec seulement deux doigts, avançant sa tête dans l’entrebâillement de la porte comme si elle s’attendait à y voir tout sauf son frère. « N’ouvre pas la lumière. Mes yeux me brûlent. » Elle fronce momentanément les sourcils, surprise mais docile. “C’est parce que t’as trop regardé la télévision ?” C’est maman, qui dit qu’à force de trop regarder les images alors les enfants n’y verront plus rien et auront mal à la tête. C’est papa, qui répète ces mêmes mots à sa façon, en haussant la voix et ajoutant qu’ils vont devenir aveugles et complètement stupides aussi. Alors elle demande, Lily, elle veut s’informer, même si elle se demande quand est-ce que Joseph aurait pu regarder la télévision, lui qui fait de son mieux pour ne jamais traîner dans la maison. Ainsi, pourtant, elle laisse la lumière éteinte, sa vision s’adaptant péniblement au manque de lumière lorsqu’elle tâtonne dans la chambre, ses mains en avant pour prévenir la présence de tout obstacle. Après avoir tâté la table basse de sa main libre, elle y pose le verre de lait de son autre.
Joseph, tourné contre le mur, ne lui adresse pas le moindre regard, ce qui suffit à vriller les lèvres de sa cadette dans une moue triste et perdue. « Trouve ton cahier et va-t-en. » Sa voix est trop dure, trop tranchée. Il donne rarement des ordres à sa cadette, sans doute parce qu’elle ne les écoute que très peu, mais celui-ci sonne définitivement différent de tous ceux qu’elle a entendu jusque-là. “Je… Je crois que je suis fatiguée, en fait.” Elle tâtonne pour trouver des excuses, encore trop peu habituée au mensonge, même si sa voix prend en assurance sur la fin. Elle aurait dû se préparer plus tôt, et tout aurait été parfait. “Tu me fais de la place dans ton lit ? Le mien sera tout froid.” Il ne répondra pas si elle lui demande s’il va bien. Pire encore, il lui dira qu’il va bien même si ce n’est peut-être pas la vérité. “C’est pas grave si t’es malade, je m’en moque.” Elle a déjà eu la varicelle et tout le reste ne l’effraie certainement pas, même si elle en est à attendre à côté du lit de son frère, les bras ballants dont elle ne sait quoi faire. Certainement pas des lignes de devoirs. |
| | | | (#)Mar 12 Juil 2022 - 2:17 | |
| "Je le dirai à personne.” Parce qu’elle croit que c’est le problème ? Que Joseph a peur d’être à la risée des autres ? Qu’elle pourrait nuire à sa réputation (quelle réputation ?) en racontant à tout le monde que son frère aime encore les histoires ? Il n’a rien à perdre. Il n’a jamais rien eu à perdre à l’école. Les autres élèves l’ignorent, les professeurs aussi. Ses résultats scolaires sont mauvais. Il n’a rien à offrir, seulement des regards qui fuient à travers la fenêtre de la classe pour s’imaginer vivre ailleurs. Les bouts de tous ses crayons sont complètement rongés et sa gomme à effacer striée par ses ongles ou la lame de sa paire de ciseaux. Il est un rêveur dont les rêves se transforment rapidement en cauchemar en plein jour.
Il s’en fiche de ce qu’on peut dire sur lui. Bientôt, il ne sera plus là et son nom sera oublié. Personne ne remarquera sa disparition. Il est déjà invisible. Qui donc voudrait bien chercher un fantôme ? « Hmmf. » Le garçon brisé se contente de grincer, la tête écrasée contre son oreiller. Mais elle insiste, Lily, et s’il ne peut pas gagner la bataille, il peut au moins imposer des règles. Elle n’a pas le droit d’ouvrir la lumière sinon elle verrait son état. Elle comprendrait que ce n’est pas la maladie qui le cloue au lit mais plutôt la fureur de Cyril. “C’est parce que t’as trop regardé la télévision ?” La naïveté doit tremper dans le sang de tous les Keegan. « Ouais. Sûrement. » Il vaut mieux blâmer la boîte à magie plutôt et l’utiliser comme alibi. Il a mal à cause des dessins animés. Personne ne l’a frappé. Son dos est intact. Personne ne l’a touché à des endroits qui ne lui appartiennent qu’à lui. Il n’a pas peur de voir son reflet nu dans le miroir. Personne ne lui veut du mal, il est seulement un adolescent qui apprécie de se divertir comme les autres. Lily est une petite sœur qui fera tout pour déranger son frère dans les pires moments seulement parce qu’elle l’aime.
Il lui demande – ordonne – de faire vite. Il ne veut pas l’entendre plus longtemps. Sa petite silhouette si près de lui, il la sent comme il sentirait le vrombissement d’une grenade dégoupillée prête à imploser. Pourquoi a-t-il peur d’elle, ce soir ? “Je… Je crois que je suis fatiguée, en fait.” Mais elle n’a même pas encore dîné. Et leur mère va bientôt l’appeler pour lui demander de l’aider pour couper les légumes. La routine ne changera pas simplement parce que Joseph s’est enfermé en-dessous de couvertures qui l’épargnent du temps qui s’écoule. Quand il sortira d’ici, il sortira de la vie de tous ceux qui le traitent comme les porcs qui font la queue à l’abattoir. “Tu me fais de la place dans ton lit ? Le mien sera tout froid.” Il sert la mâchoire à s’en briser les molaires. “C’est pas grave si t’es malade, je m’en moque.” « Arrête de dire des bêtises, Lily. Tu vas tacher tes jolis habits et Marie va t’en vouloir. Elle me blâmera ensuite parce que je t’aurai laissée te salir. » Elle sait bien que son frère saigne. Ce n’est pas inhabituel. Ses draps sont déjà tachés à plusieurs endroits et même l’eau de javel ne vient pas à bout de toutes les marques bourgognes. Comme les cicatrices sur son dos, elles ne font que s’estomper avec le temps avant d’être à nouveau colorées. « Tu sais bien que je ne suis pas réellement malade. Ne fais pas semblant d’être stupide. Tu es bien plus futée que tu nous laisses penser. » Et elle survivra, sans son frère, pas vrai ?
@Lily Keegan |
| | | | (#)Jeu 14 Juil 2022 - 14:15 | |
| Les hypothèses naïves de Lily reçoivent de brèves réponses de la part de Joseph. Elle ne sait pas s’il joue son jeu ou s’il se contente de répondre à la douleur, raison pour laquelle la jeune Keegan reste immobile, interdite, incapable de savoir quoi faire. « Ouais. Sûrement. » Les choses sont bien différentes, aujourd’hui, mais elle n’arrive pas à déceler à quel point. D’habitude, c’est le soir que papa s’énerve et le soir qu’il boit un peu trop, aussi. D’habitude, tout n’est pas si pire et d’habitude, Lily arrive au moins à garder la tête haute pour deux, sa mère aussi. Même elle semblait éteinte, un étage plus bas, et c’est une raison de plus pour la plus jeune de n’avoir aucune envie de retourner voir leur mère. Maman va bien, comme toujours. C’est Joseph qui l’inquiète, Joseph qui a peur de la lumière, Joseph qu’elle entend grincer au moindre mouvement et même lorsqu’il ne bouge pas.
Du bout de ses lèvres d’un rose clair, elle demande donc à avoir une place auprès de lui, dans ce lit évidemment trop petit pour deux, même si elle n’est qu’une enfant. « Arrête de dire des bêtises, Lily. Tu vas tacher tes jolis habits et Marie va t’en vouloir. Elle me blâmera ensuite parce que je t’aurai laissée te salir. » Elle ne note même plus le fait qu’il appelle leurs parents par leur prénom. D’aussi loin qu’elle puisse s’en souvenir, cela a toujours été le cas. Pour elle, ils seront toujours papa et maman, peu importe ce qu’ils disent ou font - ou ne disent et ne font pas, justement. Ce qu’elle note, au contraire, c’est le fait que Joseph admette à demi-mots que quelque chose ne va pas. Pourquoi se tâcherait-elle ses jolis vêtements, au juste ? La question est rhétorique, bien sûr, et les paroles de son frère ne font que confirmer ce dont elle pouvait se douter depuis de longues minutes déjà, avant même d’entrer dans la pièce. « Tu sais bien que je ne suis pas réellement malade. Ne fais pas semblant d’être stupide. Tu es bien plus futée que tu nous laisses penser. » Comme si elle devait soudainement se montrer adulte, Lily relève le menton et son regard avec, l’oeil mâture (synonyme d’éteint, vide) se posant sur son aîné malgré l’obscurité de la pièce. “Je vais chercher la trousse.” Elle ne précise pas la nature de cette trousse tant ils la connaissent tous deux parfaitement, au milieu des désinfectants en tous genres et des bandages. Maman refuse de l’agrémenter de cachets, pourtant, comme si la médecine était un ennemi, comme si atténuer la douleur de Joseph allait la transférer chez elle-même pour compenser. Personne n’a cherché à contester sa décision. “T’as fait une bêtise ?” Elle ne peut s’empêcher de demander, bien malgré elle, la mâchoire serrée et le regard désolé. Si papa ne lui a pas fait mal comme d’habitude, c’est sûrement parce que Joseph a fait quelque chose, non ? Cela ne changera pas la façon dont elle tentera de le soigner avec le plus de soin possible, elle le jure. Elle veut simplement savoir. Ce n’est pas comme si elle prévoyait de marcher dans les traces de son frère un jour ou l’autre. |
| | | | (#)Jeu 14 Juil 2022 - 18:18 | |
| “Je vais chercher la trousse.” Elle deviendra quelqu’un. Il le sait. Elle sait comment réagir. Elle entre à peine dans l’adolescence qu’elle sait faire de l’ordre dans ses priorités. Dans cette maison, elle vivra pour tous les deux. Elle gardera les mêmes yeux que son frère, la même tignasse épaisse et foncée, le même visage rond. Ce sera à son tour de s’occuper de Milkshake et Cheesecake et elle leur donnera autant d’amour qu’elle donne à ses poules. Elle pourra repenser à Joseph en caressant le museau des grosses bêtes et elle ira mieux parce qu’elle ne verra plus le sang. Ailleurs. Ailleurs, tout sera meilleur. Il cessera de saigner et elle n’aura plus à nettoyer les blessures des autres. Elle pourra s’occuper d’elle, et seulement d’elle, quand elle obtiendra un diplôme et un premier emploi qui fera d’elle une millionnaire. Oui ; il y croit, Joseph. Sa sœur deviendra plus que quelqu’un.
Il aimerait pouvoir lui dire mais ses lèvres lui brûlent autant que ses yeux et son dos. Il se contentera d’obéir docilement à ses ordres et de se plaindre le moins possible lorsque l’alcool entrera en contact avec sa chair fissurée. Cette douleur-là, il l’apprécie parce qu’elle annonce le retour du soleil pendant un petit moment. “T’as fait une bêtise ?” Il relève la tête pour observer sa sœur dans la noirceur. Il reste silencieux. Il n’est pas fier de ce qu’il a fait. Enfin… Il n’est pas fier d’avoir suivi Alfie comme un pantin écervelé. Mais son ami arrive à le convaincre de le suivre d’un seul regard et… Et… Lui aussi, il deviendra quelqu’un. Pas le même genre de quelqu’un que Lily. Et, tous les deux, ils survivront sans celui qui essayera, lui aussi, de devenir quelqu’un à sa manière. « Tu demanderas à Ali quand tu le reverras. » Demain, peut-être, mais il ne sait pas où se trouve son ami actuellement. Il ne retournera peut-être pas à l’école aussi tôt. Ses parents prennent soin de lui. Il n’a pas de sœur pour panser ses blessures. « Il ne te déteste pas réellement. » Joseph précise, comme pour rassurer Lily quand elle se retrouvera avec seulement Alfie. Quand son frère ne sera plus là. Ils pourraient devenir amis, tous les deux. Ça le rassurerait de savoir qu’ils ne sont pas seuls. « Montre-lui que tu es capable de lancer une balle tout comme moi. Le reste viendra. » Et, cette fois, un minuscule sourire étire ses lèvres alors qu’il repense à ce jour où il a rencontré son meilleur ami. Il était tellement heureux d’avoir trouvé quelqu’un… Il a des milliards de défauts, Alfie, mais il sait comment être un bon ami. Et si Lily apprenait à le voir comme lui le voit ?
Sans un gémissement, sans une larme, il soulève son corps fatigué et se découvre des couvertures qu’il laisse reposer en petit amas près de lui. Déjà dénudé, il ne fait que se tourner dos à Lily tout en lui laissant une place sur le matelas. Lorsque la lumière sera allumée, il ne voudra pas voir son visage quand elle découvre l’ampleur des dégâts.
@Lily Keegan "oops" |
| | | | (#)Ven 15 Juil 2022 - 3:48 | |
| Elle n’a pas encore quitté la pièce pour aller chercher la trousse de soin, trop intéressée par la réponse à la dernière question qu’elle vient de lui poser: qu’est-ce qu’il a fait pour mériter une telle correction ? Leur père est injuste, la jeunesse de Lily n’arrive pas à le nier, mais elle croit encore qu’il agit parce qu’il a ses raisons. Elles ne sont pas les bonnes, jamais, mais elles ont au moins le mérite d’être les siennes. Elle le sait, parce qu’elle sait très bien se tenir éloignée de ses remontrances, habituée à suivre le bon chemin et ses préceptes à la lettre. « Tu demanderas à Ali quand tu le reverras. » Ce n’est pas une réponse, ça. Elle retrousse légèrement les lèvres, déjà prête à bouder, juste avant qu’elle ne se remémore bien malgré elle tout le contexte de la situation. “Je veux pas parler à Alfred.” Il est dur avec elle. Il ne lui donne que des regards noirs et des reproches, l’ami de Joseph, alors elle ne veut rien avoir à faire avec lui. La seule fois où ils l’acceptent dans leur duo, ce n’est que pour faire d’elle la cible de leurs blagues de garçons. Sans lui, Jo est différent. Sans lui, il évite les problèmes. Nouvelle question: qu’est-ce que vous avez fait ?
« Il ne te déteste pas réellement. » Il ajoute, comme s’il avait su lire dans ses pensées. Lily reste interdite, prise de court, en train de se demander si elle n’a pas finalement pensé à voix haute tous ces mots-là. Impossible. Même étourdie, elle n’aurait jamais osé. Une part d’elle se concentre pourtant sur les mots de Joseph, les interprétant à sa manière: est-ce qu’Alfie l’aime bien, finalement ? A cette idée, elle sent son coeur s'accélérer quelque peu. « Montre-lui que tu es capable de lancer une balle tout comme moi. Le reste viendra. » - “J’ai pas le droit de jouer avec vous de toute façon.” Elle souffle, soucieuse de clôturer le sujet. Elle n’a pas le droit de s’approcher à moins de cent mètres et elle respecte désormais la règle religieusement. Mais peu importe. Ses pas s’échappent, elle s’engouffre dans l'entrebâillement de la porte en faisant attention à l’ouvrir le moins possible. Elle a une trousse de soins à aller chercher et trop peu de temps à accorder à un garçon sans importance, voilà tout.
Lorsqu’elle revient, le spectacle du dos de son grand frère lui brise le cœur. Elle a le réflexe de vouloir toucher les plaies, comme pour s’assurer de leur existence bien réelle, mais elle se reprend rapidement. Ses mains sont propres, savonnées: elle doit les utiliser uniquement pour appliquer les différents désinfectants et autres bandages, tout en retenant autant que possible ses hauts le cœur et son envie de pleurer, sans raison aucune. “C’est à cause de lui ?” Ses dents serrent plus que jamais sa lèvre inférieure, de colère, de peur, de frustration. “C’est à cause d’Alfie, tout ça ?” Elle précise finalement le prénom (sans doute pas celui qui aurait pu être attendu) et fronce les sourcils d’incompréhension, la bouteille de désinfectant désormais entre les mains alors que ses yeux n’ont toujours pas fini de suivre la carte invisible des différentes plaies de son dos. “Tu mérites mieux que lui, Jo.” Attention, ça va piquer. Déjà, elle s’attelle à nettoyer ses plaies, récents et profondes. Rien ne peut être aisément expliqué, au plus grand dam de l’australienne. |
| | | | (#)Ven 15 Juil 2022 - 4:29 | |
| “Je veux pas parler à Alfred.” Le visage de Joseph se referme un peu. Il comprend pourquoi elle dit ça. Alfie n’a jamais traité Lily de la bonne façon mais il faut dire que son frère n’a jamais essayé de la défendre de quelconque manière. Il s’est toujours contenté de rire avec son meilleur ami, parce qu’il était tellement drôle et tellement intelligent. Et c’était plus facile de s’excuser à Lily une fois de retour à la maison parce que les liens du sang se pardonnent tous les torts. Alfie, il pourrait le perdre s’il n’était pas à sa hauteur. Il ne serait plus là pour le protéger. Et c’est ce qu’il a fait aujourd’hui, rien de plus, rien de moins. Plus aucun adulte ne collera ses lèvres à son oreille pour lui susurrer une menace. Joseph est enfin libre.
S’il arrive à voir Alfie comme un allié, il se dit qu’il pourrait arriver à convaincre Lily de le voir de la même façon. Avoir le garçon dans son camp, c’est plutôt une bonne chose. Lorsque le plus vieux partira, il veut pouvoir se dire que les seules personnes auxquelles il tient se sont serrés les coudes et ont cessé de penser à lui… ensemble. Avec un peu de chance, ils ne souffriront pas. Ils se lanceront la balle dans la cour de récréation, ils se raconteront des potins et le prénom de Joseph ne s’échappera plus jamais de leurs lèvres. “J’ai pas le droit de jouer avec vous de toute façon.” Le silence qui suit est un peu plus long. Il s’essuie les paupières pour cacher ses larmes. Ce n’est plus la même douleur qui lui provoque ces pleurs. Elle fait bien plus mal que les coupures dans son dos. Les peines du cœur ne se soignent pas avec quelques bandages et de la crème. Elles ne cicatrisent pas aussi vite. Non. Joseph n’oubliera jamais Lily. Et c’est le problème. « Tu auras le droit de jouer avec lui. Je te le promets. » Il murmure difficilement, la voix cassée, incapable de regarder sa sœur à nouveau. Il préfère se positionner dos à elle pour se consoler auprès d’un mur qu’il ne peut pas décevoir, lui.
“C’est à cause de lui ?” La forme de Lily creuse le matelas derrière lui. Il serre les dents, sa peau déjà prête à accueillir le produit qui pique. Entre ses mains, son oreiller se fait froisser. “C’est à cause d’Alfie, tout ça ?” Joseph secoue aussitôt la tête. Ce ne sera jamais la faute d’Alfie. Il a seulement voulu l’aider et il a réussi. Alfie ne mérite pas de prendre le blâme ni pour ses blessures, ni pour… le reste. “Tu mérites mieux que lui, Jo.” Elle ne devrait pas dire ça. C’est injuste de sa part. Elle ne le connait pas réellement comme lui le connait. « Ne dis pas ça, Lily. » Il s’oppose, surpris d’arriver à ignorer la sensation de brûlure sur sa peau. C’était comme si son cerveau était à moitié éteint. Seulement cinq secondes plus tard, un léger gémissement fuit de sa gorge mais il s’excuse aussitôt : « C’est rien, continue. » Et il reprend. « Je n’aurai plus jamais d’ami comme lui. S’il te raconte ce qu’il s’est passé, promets-moi de ne pas lui en vouloir. C’était son idée mais il l’a fait pour me sauver. Je… Tu… » Elle est trop jeune pour entendre la véritable histoire. Même Joseph, plus âgé de trois ans, n’aurait jamais dû se retrouver au milieu de ces atrocités. « Lily… Tu te souviens quand je suis parti pour le week-end avec ma classe et que tu es restée seule à la maison avec Marie et Cyril ? À mon retour, tu m’as dit que tu avais passé le meilleur week-end de toute ta vie parce que je n’avais pas été là pour t’embêter. » Et si son départ définitif lui procurait ce même ressenti ?
@Lily Keegan ¯\_(ツ)_/¯ |
| | | | (#)Ven 15 Juil 2022 - 16:47 | |
| « Tu auras le droit de jouer avec lui. Je te le promets. » “J’ai pas envie de jouer avec lui.”
Ce n’est pas d’Alfie dont elle veut parler, de toute façon, et elle comprend encore moins la soudaine obsession de son frère à propos de cet ami qui n’a rien d’une bonne influence. D’habitude, au moins, il se contente de partir avec lui pour suivre ses mauvaises idées sans jamais ô grand jamais en parler à Lily. C’est ce dont elle se plaint toujours mais, au fond, c’est aussi ce qu’elle préfère: c’est un secret de moins pour elle à garder, parmi la liste déjà grande si ce n’est immense. Ainsi, elle n’a aucun mal à accuser le Maslow des sévices subies par Joseph, parce que tout est plus simple ainsi, parce qu’il n’y a aucune faille dans cette explication là. Il a beau secouer la tête et nier cette explication, elle a décidé qu’elle ne le croira pas. « Ne dis pas ça, Lily. » Il grimace sous la douleur ; elle le voit malgré l’obscurité. La jeune femme allume sa lampe de chevet, celle qui éclaire à peine, juste assez pour qu’elle puisse continuer à dévorer ses livres préférés une fois la nuit tombée. Ainsi, elle ne dérangera pas Joseph. Ainsi, elle verra au moins ce qu’elle fait contre sa peau tuméfiée.
Ses gestes sont rapides mais délicats: plus vite ils auront terminé et mieux ce sera pour tout le monde. Ce n’est en rien agréable ce qu’elle est en train de lui faire, si ce n’est même dire que c’est douloureux. Lorsqu’il grimace et qu’elle observe ses muscles se tendre subitement, elle garde sa main dans les airs, immobile, interdite, soucieuse d’être la cause de cette douleur. « C’est rien, continue. » Elle grince des dents mais reprend, comme il le lui a demandé. Tout ça est à cause d’Alfie, elle en est certaine. Joseph seul ne se serait jamais aventuré à ce point dans une mauvaise idée. Il n’est pas très discipliné, mais jamais dissipé au point de créer autant de colère chez leur père. Sous ses doigts, le tissu qu’elle tamponne à peine contre sa peau est déjà imbibé de sang. C’est le troisième qu’elle reprend. « Je n’aurai plus jamais d’ami comme lui. S’il te raconte ce qu’il s’est passé, promets-moi de ne pas lui en vouloir. C’était son idée mais il l’a fait pour me sauver. Je… Tu… » Te sauver de quoi ? Pourquoi est-ce que tu parles au passé, Jo ? Pourquoi est-ce que tu parles comme si tu n’allais plus jamais revenir ? Il y a des questions auxquelles elle ne veut pas obtenir de réponses, parfois. Il y a des questions qui se portent bien mieux lorsqu’elles ne sont pas prononcées, alors que leurs réponses semblent de plus en plus évidentes et inévitables. « Lily… Tu te souviens quand je suis parti pour le week-end avec ma classe et que tu es restée seule à la maison avec Marie et Cyril ? À mon retour, tu m’as dit que tu avais passé le meilleur week-end de toute ta vie parce que je n’avais pas été là pour t’embêter. » - “C’était pas pareil.” Elle coupe rapidement, ne souhaitant pas le laisser continuer son explication. Ils s’étaient quittés après une dispute, ce n’était que le temps d’un week-end, et qui plus est elle savait qu’à son retour absolument rien n’aurait changé. C’était différent, tout était différent. “Je veux pas avoir cette discussion, Jo.” Parce que s’ils n’en parlent pas, alors cela n’arrivera pas, n’est-ce pas ? Tel l’éléphant au milieu de la pièce, elle fait tout son possible pour s’en convaincre, sa lèvre emprisonnée par ses dents qui tiennent fermement sa chair pour ne pas qu’elle pense trop, qu’elle fasse preuve de trop de sentiments. Elle est une grande fille, maman lui a dit: elle doit pouvoir affronter les obstacles de la vie la tête haute, maintenant. “Des fois je t’aime pas, mais tu restes mon frère.” Des fois, il est un garçon impossible à vivre mais quand bien même, cela ne change rien: il est son frère et il le restera toujours, quoi qu’il fasse. “C’est très profond, cette fois. Je crois que tu vas garder des marques. Peut-être qu’on devrait appeler maman, je sais pas quoi faire.” C’est au delà de ses capacités, au-delà de tout ce dont elle a l’habitude aussi. Lily n’a jamais géré une telle situation et, comme le prouve le son de sa voix, elle se laisse peu à peu happer par la panique, pour un bon millier de raisons différentes. |
| | | | (#)Jeu 28 Juil 2022 - 4:30 | |
| “J’ai pas envie de jouer avec lui.” Ils apprendront à s’entendre. Ils pourront se raconter un tas de trucs. Ils se soutiendront à défaut d’avoir perdu un frère et un ami. Ce sont tous les impératifs qui roulent en boucle dans la tête de Joseph qui tente en vain de se rassurer. Il n’a pas peur pour lui. La ville l’accueillera à bras ouverts, il en est certain. Il trouvera un endroit où se loger puis un travail. Ça devrait être facile. N’importe qui s’arracherait un garçon de son âge capable de soulever des meules de foin de trente kilos. Il a seulement oublié que, là où la technologie et l’industrialisation pullulent, ils ne cherchent pas des muscles mais plutôt des cerveaux. Et il n’est pas très allumé, Joseph. Il n’apprend pas vite. Il ne se tient pas droit, il ne peut pas écrire une phrase sans que son sens ne soit modifié à cause de toutes les fautes d’orthographe, il ne sait pas parler en public. Il n’a rien pour lui, mais il continue de se soucier de Lily et d’Alfie parce que c’est eux qu’il abandonne. Avec un peu de chance, ils l’oublieront rapidement. « Tu changeras d’avis. » Parce que c’est toujours le cas, avec sa petite sœur. Elle sait s’adapter à toutes les situations et cette qualité lui sauve la vie.
Les soins qu’elle lui prodigue ne sont plus aussi réconfortants qu’ils l’étaient. L’alcool appliquée sur les plaies gruge sa peau jusqu’à l’intérieur de sa chair et la douleur monte en crescendo. Il s’empêche d’avoir mal parce qu’il veut rester fort pour Lily, mais certains soubresauts incontrôlables le trahissent. Derrière ses pouces appuyés contre ses yeux clos, il sent s’accumuler de chaudes larmes de douleur. Il a envie de crier mais il ne le fait pas. Il maudit cette quinte de hoquets qui le secoue comme le petit sapin aromatique suspendu au rétroviseur de la voiture familiale. Il préfère penser à tout ce qu’Alfie lui a apporté et, ainsi, il arrive à déplacer le mal et à retrouver une certaine quiétude tandis que la plus jeune s’attèle à nettoyer de nouvelles coupures. Pour se rassurer, il rappelle à cette dernière qu’elle avait apprécié de passer le week-end seule avec leurs parents quand il était parti dormir ailleurs avec l’école. “C’était pas pareil.” Elle s’oppose aussitôt, l’empêchant de prononcer de nouvelles paroles mielleuses qui, avec un peu de chance, auraient ralenti la chute de sa sœur lorsqu’elle se réveillera seule demain matin.
Parce que la décision était prise et la graine de mauvaise idée commençait déjà à bourgeonner dans son cerveau.
“Je veux pas avoir cette discussion, Jo.” Il essuie ses joues trempées sur revers de la main et renifle. Il devrait avoir honte mais ce n’est pas ce sentiment qui s’immisce dans son cœur. C’est plutôt la tristesse qui le terre dans son mutisme. Une tristesse bleu marin, profonde et bouillante, mais dont il arrive à voir la fin pour la première fois de sa vie. Tout au bout, il perçoit des brèches. “Des fois je t’aime pas, mais tu restes mon frère.” « Et tu restes ma sœur même si tu agis parfois comme une vraie peste. » Il répond par automatisme, serrant au creux de ses mains cette couverture qui ne le protègera plus jamais du monstre qu’est Cyril. Il en a surmonté, des batailles, en-dessous de cette couverture. “C’est très profond, cette fois. Je crois que tu vas garder des marques. Peut-être qu’on devrait appeler maman, je sais pas quoi faire.” Il objecte vivement : « Non ! Surtout pas. » Il bascule la tête pour la regarder à travers la faible lumière orange qui irradie de la lampe de chevet. Il voit ses yeux, mais aussi les siens en même temps. « Elle ne peut rien faire pour moi, d’accord ? » Cette nuit, elle ne sera plus sa mère – elle ne l’a de toute façon jamais vraiment été. « Lily, est-ce que je peux te faire confiance ? » Il demande ensuite, d’une voix plus faible, sans jamais décrocher son regard prudent du sien. « Pour la première fois de ta vie, ne dis rien ni à Marie, ni à Cyril. S’il-te-plaît. » Une supplication, presque, alors que le dernier mot se fait casser par un sanglot. Elle comprend. Elle lit dans ses pensées. Elle a deviné que, cette nuit, il fera une dernière bêtise avant d’être enfin libre.
@Lily Keegan |
| | | | (#)Ven 29 Juil 2022 - 16:35 | |
| « Tu changeras d’avis. » Non. Jamais elle n’appréciera jamais Alfie, jamais elle ne voudra avoir à faire à lui, jamais elle ne voudra même prononcer son prénom d’entre ses lèvres si pures. Il n’est pas quelqu’un de bien, pas même quelqu’un d’intéressant, et elle ne comprendra jamais comment son frère a pu se faire berner par lui, au point de sincèrement le considérer comme son ami. Elle ne se fera jamais avoir, elle.
Lily se tait, pourtant, trouvant de quoi s’occuper dans les plaies de son frère qu’elle soigne pas à pas, mécanique bien huilée qu’elle connaît malheureusement un peu trop bien malgré leur jeune âge respectif. Elle observe ses omoplates se contracter sans qu’il ne dise rien, elle l’entend parfois serrer des dents à cause de ce bruit si distinctif qui annonce l’air s’infiltrant difficilement au travers de ses lèvres scellées. Si elle redouble d’efforts pour être douce mais rapide, elle ne dit pourtant rien. Lui demander s’il a mal n’annihilera pas ladite douleur, malheureusement, alors autant qu’elle ne lui rappelle pas qu’il a toutes les raisons du monde de se laisser aller à la douleur, à en juger par le sérieux de ses plaies. Il pleure en silence. Elle l’entend. Ne dit rien. Comme d’habitude. Personne ne dit jamais rien, ici. C’est la règle.
« Et tu restes ma sœur même si tu agis parfois comme une vraie peste. » Il ne fait que lui renvoyer ses mots d’une manière différente mais Lily n’a pas la même capacité de son frère à les accepter sans rien dire. Elle serre les dents, fronce les sourcils, voudrait à son tour enfoncer un coton imbibé d’alcool au cœur d’une de ses plaies les plus profondes, simplement pour qu’il ait à nouveau une raison de serrer les dents et se taire. Bien que cela la démange, elle n’en fait rien. Tout en tentant de changer de sujet, l’adolescente avoue qu’elle doit appeler leur mère, ne sachant quoi faire face à des plaies aussi profondes. D’habitude, elle peut s’en sortir seule. D’habitude, les gestes sont toujours les mêmes. D’habitude, le sang ne continue pas de couler malgré les cotons qu’elle ajoute, encore et encore. « Non ! Surtout pas. » La réponse de son frère, vive, la prend de court et la fait reculer, presque sursauter. Elle l’observe, les yeux dans les yeux, incapable de comprendre ce garçon avec qui elle partage exactement le même sang, pourtant. « Elle ne peut rien faire pour moi, d’accord ? » - “Si, bien sûr que si, elle sait - …” Elle sait comment soigner les gens, maman. Elle sait comment faire, elle fait disparaître la douleur, elle cache les plaies. Elle sait, maman, elle sait bien mieux que Lily et c’est d’une logique implaquable. « Lily, est-ce que je peux te faire confiance ? » Il fait face au silence de sa cadette. Elle pourrait lui mentir, elle n’aurait aucun mal à le faire, mais elle n’en a simplement pas la force. Non, elle n’a pas confiance en lui. Elle voudrait que ce soit le cas, parce qu’il est et restera son frère quoi qu’il arrive, mais il ne s’est jamais rendu digne de sa confiance. Elle n’est même pas sûre de l’accorder à qui que ce soit, de toute façon. Personne n’en est digne, dans cette ville muette et aveugle. « Pour la première fois de ta vie, ne dis rien ni à Marie, ni à Cyril. S’il-te-plaît. » Ses lèvres tremblent, à la gamine. Elle pense comprendre où il veut en venir, un peu trop bien pour ne pas être attaquée par des sentiments qu’elle juge la rendre faible. Elle ne comprend pas comment papa et maman ont pu élever deux enfants aussi différents. Elle comprend encore moins comment l’un d’eux peut penser à rompre son pacte avec Dieu et remettre en question ce don de la vie qui a été le sien. Lily chasse de son poignet l’émotion qui prenait trop de place sur ses yeux clairs, avant de se relever sans un mot, laissant près de Joseph tout le nécessaire de soin, si jamais il juge que c’est encore nécessaire. “J’ai dit à maman que je l’aiderai à préparer le repas.” Elle ne veut pas l’aider dans son entreprise, mais elle ne l’empêchera de rien non plus. Son avis lui importe de toute façon peu, pour ne pas dire pas. Finalement, il ne restera peut-être pas toujours son frère.
Mort, il ne sera plus rien ni personne. |
| | | | (#)Ven 19 Aoû 2022 - 0:31 | |
| Lily est trop jeune. Lily ne comprend pas. Lily ne peut pas l’aider. Lily s’en sortira mieux sans son frère pour lui faire constamment frôler la limite. Les Keegan se porteront mieux à trois.
Les pensées de Joseph déraillent. Plus rien ne fait de sens. Le mélange de panique, d’anxiété et de peur lui font voir seulement un côté de la médaille. Il n’arrive qu’à se voir, lui, heureux et ailleurs. Une seconde chance, une renaissance là où il aurait dû mettre les pieds plus tôt. Il ne conçoit pas la gravité de cette décision qu’il est sur le point de prendre et il réalise encore moins que sa petite sœur s’imagine des choses qui sont fausses. S’il savait, il la prendrait dans ses bras et lui dirait qu’il ira bien. Qu’il n’a pas l’intention de confisquer l’air à ses poumons ou le sang à son cerveau. Mais il ne sait pas, Joseph, et c’est bien le problème : il ne sait jamais rien. “J’ai dit à maman que je l’aiderai à préparer le repas.” Le ton de Lily est soudainement froid mais le garçon ne capte pas les signes. Il jette un coup d’œil derrière lui, grimace et regrette d’avoir brusqué son dos, puis attend que la porte de la chambre se referme pour doucement s’extirper de son lit afin de récupérer quelques affaires qu’il glissera dans son sac à dos plus tard. Les livres de géométrie et d’anglais ne le suivront pas cette fois. Il partira sans eux. Il est de toute façon trop bête pour apprendre quoi que ce soit – Cyril avait raison.
Bien sûr il ne mange pas. Bien sûr il ne regarde pas la télévision avec les autres. Bien sûr Marie ne lui souhaite pas bonne nuit quand elle vient poser ses lèvres sur le front de Lily et la couvrir de sa couverture. Mais, à la faible lumière de la lampe, il capte son iris bleu et il ne détourne pas les yeux. Il l’observe en silence. Elle s’immobilise à la hauteur de la table de chevet et observe son fils en retour. La pièce est glaciale. Elle semble comprendre. Parce qu’une maman, même une maman fantôme, ça sait tout. Ce n’est pas pour autant qu’elle dit quelque chose. Ses fins doigts accrochent le cordon de la lampe et l’ampoule s’éteint. Lorsqu’elle sort de la chambre, elle emporte avec elle les derniers espoirs d’un Joseph qui, ce soir, perdra une mère qu’il n’a au fond jamais eue.
Trois heures du matin. À peu près. Joseph n’a pas de montre et le cadran est plongé dans l’obscurité. Il se dresse dans son lit, les paupières lourdes. Il n’a pas dormi et il entend la respiration calme de sa sœur. Elle fait peut-être semblant de s’être assoupie. Peut-être pas. Sans faire le moindre son, il attrape son sac et le traine à sa main, incapable de le hisser sur son dos couvert de sang séché. À la dernière seconde, il glisse dans sa poche quelques cotons et bandages que Lily avait laissé dans la chambre. Il se pose devant son lit. Il l’observe. Il veut qu’elle ouvre les yeux, mais il veut aussi qu’elle les garde fermés. Sa gorge se noue. Il ne pleure pas. Il s’approche d’elle et pose près de son oreiller une petite grue en origami. Il avait voulu former une poule avec ce morceau de papier, mais il savait seulement faire des grues. Il avait aussi pensé à créer une vache mas… il savait seulement faire des grues. Incapable.
Ouvre les yeux… Non, ne les ouvre pas. Ouvre-les… NON !
L’air est froid et différent. Il ne se souvient pas la dernière fois qu’il marchait dans la nuit. Le ciel n’est pas comme en soirée. Il est encore plus noir, et plus calme, comme si la Terre avait cessé de tourner. En seulement une centaine de mètres, il arrive à la hauteur de la clôture qui ceinture le large champ. Milkshake semble surprise de le voir. Elle se hisse sur ses sabots et fait sonner sa cloche en sautillant jusqu’à son petit maître. Cheesecake soulève sa grosse tête et les regarde en mâchant. Seulement maintenant, de chaudes larmes coulent le long des joues de Joseph tandis qu’il enlace son museau et pose ses lèvres sur sa tempe. Elle pue, mais c’est une bonne puanteur. Il pourrait leur parler, comme il le fait toujours, mais aucun mot ne s’échappe de ses lèvres soudées ensemble. C’est en silence qu’il leur promet de revenir les voir un jour, quand il sera assez grand pour se battre contre le monde plutôt que de le fuir. Il leur caresse les oreilles une dernière fois, une à une, ignore la douleur palpitante dans sa paume, puis disparait derrière le rideau de la nuit comme s’il n’avait jamais existé.
Not me crying @Lily Keegan |
| | | | | | | | Ces pensées qui nous font vivre un enfer [Lily - 1994] |
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