Ma main ne cesse de tapoter un rythme endiablé sur le plateau de verre de la table de réunion. Autour de moi, les discussions se veulent animées, débat éternel concernant un énième obstacle pour la construction actuelle. Il paraît que la maire de Brisbane est contre nous, que la ville entière semble vouloir déjouer nos plans. Je devrais m’en soucier, mettre un marche la machine pour ne pas se laisser doubler bêtement, mais mes pensées sont ailleurs. Tout mon corps réclame à s’en aller, chaque geste démontre une impatience que je ne cherche même plus à dissimuler au point où les regards n’ont de cesse à revenir se poser sur cette main qui s’agite sans que je ne puisse le contrôler. On me parle de plan d’action à mettre en place, je ne fais que penser à la dose que mon corps ne cesser de réclamer depuis mon réveil. Mon esprit divague sans jamais s’imprégner de la réelle conversation qui se joue sous mes yeux, mon plan pour le reste de la journée est à mille lieux du leur. « J’ai besoin de réfléchir. » Gagner du temps, c’est tout ce qu’il me reste à faire. « On se revoit demain à 9 heures. » Sans écouter les protestations des uns et des autres, je fuis la pièce à grande enjambée. Aucun intérêt de s’arrêter à mon bureau, de prétendre à travailler une minute de plus. L’ascenseur m’offre la liberté quémandée depuis des heures, mes doigts pianotant déjà quelques messages sur mon téléphone.

Pour la deuxième fois de la journée, me voilà à retourner mon appartement, ouvrant chaque tiroir dans l’espoir complètement vain de mettre la main sur un sachet qui – je le sais parfaitement – n’existe pas. Je cherche pourtant, dans la salle de bain, en retournant ma table de chevet, et même dans la cuisine où Nora s’était amusée à laisser des babioles lors de son dernier passage furtif. Elle ne me répond pas la blonde, elle joue la carte du silence depuis deux jours, Murphy est aux abonnés absente depuis ce qui semble être des semaines et je ne connais personne d’autre dans cette ville pour obtenir ce que je voudrais. Mon corps s’agite dans de légers tremblements qui n’auront de cesse de s’intensifier, je le sais parfaitement. Déterminé à ne pas me poser, cherchant à m’occuper l’esprit, voilà que je me lance dans une séance de sport intensive. Bien trop probablement lorsque mon dos finis par me hurler d’arrêter. La douche ne sert que de maigre distraction et ensuite, il ne reste que le silence de cet appartement immense. Les pensées qui hurlent à la prise, la raison qui cherche à détourner l’attention et le corps qui hurle des douleurs fantômes que je pensais ne plus jamais avoir à vivre. La Parker finis par me donner rendez-vous en fin de soirée. Tard, trop tard pour que je puisse encore tenir à tourner en rond seul chez moi.

L’évidence se tient de l’autre côté de cette porte, lorsque je fais jouer dans la serrure le trousseau de clé que je n’ai jamais rendu. Ils seront ma distraction qu’importe la personne que je trouverais dans la maison. L’idéal serait Swann, lui ne m’en voudra jamais longtemps. La deuxième option pourrait être Maisie, elle finira bien par craquer sous mon charme. Qu’importe tant que mon esprit s’éloigne des pensées assaillantes et que mes mains cessent de s’agiter dans tous les sens. J’ai la sensation d’être monté sur un ressort, le crâne pris dans un étau prêt à exploser sous la pression. « Salut. » Soulagé, c’est Swann que je trouve tranquillement installé dans le canapé alors qu’il écourte sa conversation téléphonique avec Rory. Le sujet est offert sur un plateau. « Il t’a raconté notre petite rencontre de l’autre jour ? » Aller directement à la confrontation pour ne pas lui laisser le temps d’analyser mon comportement.

@swann buchanan

Il n’est pas du genre à se retenir de sourire dès qu’il en a la moindre occasion mais sans doute que oui, tout est pire lorsqu’il a Rory près de lui, ou ne serait-ce qu'au bout du fil. Parce que s’il est son petit-ami depuis autant de temps, c’est justement parce qu’il le rend heureux et parce qu’il s’entend parfaitement avec lui, n’ayant aucun mal à parler de la pluie et du beau temps des heures durant sans que cela ne semble artificiel. Qui plus est ces derniers temps, alors que l’acteur n’est pas au meilleur de sa forme et même tout le contraire, il sait à quel point la présence de ses proches lui est importante, raison pour laquelle il ne sait pas rester loin de lui même au moment de rentrer à la colocation, pour quelques heures à peine, juste le temps de parler un peu à Sofia et Maisie et s’assurer qu’elles aussi, elles vont bien.

Swann relève la tête une première fois lorsqu’il entend une clé s’actionner dans la serrure et son attention ne fait que grandir lorsqu’il reconnaît dans de tels gestes l’animosité d’Arthur, laquelle n’a rien à voir avec toute personne normale - et possédant les clés de cet appartement - voulant entrer. « Salut. » - “Hey.” Il répond par automatisme, pour autant non moins surpris par sa présence. Du bout des lèvres, il annonce à Rory l’arrivée d’Arthur et lui promet de le rappeler plus tard - tous deux savent déjà que cela n’a rien de paroles en l’air. Ainsi, il appuie bien vite sur le simple bouton rouge de son téléphone pour concentrer son attention sur Arthur qu’il observe avancer vers lui, pour sa part confortablement enfoncé dans le canapé du salon. « Il t’a raconté notre petite rencontre de l’autre jour ? » A sa question répond dans un premier temps le silence du blond, sans doute un peu trop occupé à examiner le moindre des traits de son visage pour cela. Déjà, pourtant, ses sourcils se froncent alors qu’il ne doute pas un seul instant que son ami a bien deviné à qui il parlait au téléphone. “Quelle rencontre ?” Il demande alors, le ton de sa voix déjà trop accusateur selon lui. “Qu’est-ce que t’as fait, Arthur ?” Il est bien trop fier de sa question pour ne pas avoir fait une connerie et oui, bien sûr que la faute est la sienne, justement parce qu’il s’appelle Arthur et que Swann le connaît bien trop pour cela. Il est son ami de toujours, ce qui n’est pas réellement un argument pouvant aider à la défense de son acolyte anglais. Peu importe à quel point Swann l’apprécie réellement, cela ne suffit pas à l’aveugler et à cacher ses défauts, somme toute bien trop nombreux.

Sans aucune grâce, je me jette dans le canapé atterrissant à moitié sur Swann qui s’empresse de mettre un terme à sa conversation téléphonique. Tant mieux, je ne suis réellement pas d’humeur à l’écouter virer marshmallow et bisounours avec la grande asperge qui lui sert de compagnon. J’ai envie de m’amuser plutôt, à savoir ce que l’amoureux transi a bien pu lui raconter après notre petit tête à tête complètement improvisée. « Quelle rencontre ? » Ah ! Donc il ne lui a absolument rien dit. Intéressant ! Sans réellement me déplacer d’un millimètre, je tourne la tête vers Swann, sourcil froncé. Même en faisant adopter un angle tordu à ma nuque, je ne peux lire au-delà de l’air inquiet qui semble se dessiner sur les traits de l’anglais. Tout un tas d’émotions semblent se mettre à danser au fond de ses prunelles à mesure qu’il considère l’ampleur de mon silence. Alors l’idiot de service a préféré jouer au roi du silence ? « Qu’est-ce que t’as fait, Arthur ? » L’accusation immédiate tombe tel un couperet aiguisé qui vient me claquer la nuque, provoquant par la même occasion un éclat de rire face à sa réaction. Bien sûr que j’obtiens de force le rôle du coupable, il ne pouvait pas en être autrement dans le monde si parfait de Swann Buchanan. « Pour ta gouverne, je n’ai absolument rien fait. » Enfin… Sur le plan technique, je n’ai fait que répondre à la conversation engager par son cher et tendre. Cela fait-il de moi un coupable ?! « C’est lui qui a débarqué ici. » Avec sa gueule de Cupidon et ses grandes phrases mielleuses. « C’est marrant qu’il ne t’ait rien dit… » À nouveau, mon regard croise celui de Swann pour mieux appuyer mes propos. « Du tout. » Il lui en cache beaucoup des événements de ce genre ? Il est vrai que je commençais à me trouver le temps long sans aucune réaction de la part du Londonien, mais je m’imaginais qu’il avait tout simplement préféré ne pas rajouter de l’huile sur le feu. C’était ennuyant à souhait, pas vraiment drôle au vu de tout ce que l’on aurait pu en tirer, mais c’était bien le genre de Swann. « Oh ça va arrête de me regarder comme ça ! » C’est qu’on dirait presque que je suis allé tuer son père et sa mère sans l’en tenir informer. Je pourrais me vexer. Ce n’est pas comme si j’avais provoqué une rupture ou la pire des disputes conjugales entre les deux, ils avaient l’air encore parfaitement mielleux il y a quelques minutes de cela. Puis c’est bien l’autre qui a décidé de lui cacher la vérité. « Je lui ai juste fait savoir qu’il valait mieux pour lui que je te retrouve pas complètement amoché une seconde fois. » C’est rien d’horrible tout cela, juste un ami qui en protège un autre. Faut pas en faire des caisses. Mais la poudre s’insinue sans cesse dans mon esprit, venant tirailler sur les filtres du bon sens et de la politesse, me poussant à tout dire, sans réfléchir. « Il est plutôt bon dans son rôle de l’amoureux transi celui-là, tu vas peut-être réellement pouvoir le garder cette fois. » Et pour la forme, je lui offre mon plus beau sourire en guise d’offrande amicale.

La première réaction d’Arthur se résumant à un rire, l’anglais anticipe déjà qu’il n’aimera pas la suite de cette discussion. Il ne sait que trop bien ce dont son ami est capable, autant qu’il sait qu’il ne porte pas Rory dans son cœur, pour Dieu sait quelles raisons. « Pour ta gouverne, je n’ai absolument rien fait. » Les sourcils de Swann se lèvent déjà, façon muette de lui signifier ‘oui, bien sûr’. Arthur est du genre à foncer tête baissée dans le moindre problème, même ceux qui ne le regardent pas et surtout ceux qui ne le regardent pas. « C’est lui qui a débarqué ici. » Parce que la colocation est devenue une seconde maison pour lui, que Maisie l’accepte avec des étoiles dans les yeux et que Sofia, un peu plus indifférente, lui a tout de même toujours aussi ouvert la porte avec joie. Alors oui, il est normal que Rory ait débarqué ici, et si Swann n’avait pas trop d’empathie pour les sentiments de son ami alors il aurait souligné que son petit-ami était bien plus légitime à une telle chose que lui, qui squatte le canapé depuis bien trop longtemps déjà. Il n’en dit pourtant rien, la gorge sans doute un peu trop nouée rien qu’à l’idée de ce qu’il pourrait lui dévoiler de leur petite discussion.

« C’est marrant qu’il ne t’ait rien dit… Du tout. »
“Accouche Arthur.”

Il grogne et ordonne, n’ayant aucune envie d’entrer dans son jeu. Si Rory ne lui a rien dit, alors cela signifie qu’il a ses raisons et qu’elles sont sûrement très bonnes, jamais l’anglais ne remettrait sa parole en doute. S’il ne lui a rien dit, ce n’est pas par envie de lui mentir ou de lui cacher quoi que ce soit, il le sait pertinemment et même toute la volonté d’Arthur en ce sens ne saurait le faire douter de l’australien. D’un geste, il se recule de lui, n’ayant aucune envie de jouer la proximité sur le canapé face à un Arthur toujours plus envahissant. « Oh ça va arrête de me regarder comme ça ! » Plus que jamais, il se retient de grogner, souffler, et céder à son envie pesante de le tuer de ses propres mains. Il l’aime, Arthur, mais il le déteste tout aussi souvent. Le jour où il tombera lui aussi amoureux, il comprendra pourquoi le regard de Swann mêle colère à incompréhension rien qu’à l’idée qu’il ait pu faire souffrir Rory avec des mots qu’il imagine déjà déplacés. « Je lui ai juste fait savoir qu’il valait mieux pour lui que je te retrouve pas complètement amoché une seconde fois. » Le regard de Swann change aussitôt à l’évocation de cette soirée-là, chose qu’il n’avait pas anticipée. Arthur cache ses bons sentiments derrière son terrible caractère, mais aux yeux de son ami la fin n’a jamais justifié les moyens, malheureusement. Il lui offre pourtant un visage un peu moins fermé, un peu moins sévère, désormais capable de revoir moindrement son jugement sur sa personne. Il ne comprend simplement pas encore à quel point son petit-ami est une bonne personne, voilà tout, n’est-ce pas ? “T’es injuste Arthur, c’était pas de sa faute.” Il annonce, dans un souffle fatigué. Ces mots-là, il les répète encore à Rory aujourd’hui, lui-même ayant du mal à s’en convaincre alors qu’il prend éternellement le blâme pour tout le monde, tout le temps. “Sérieux, t’as vraiment menacé mon copain ? Qu’est-ce que tu peux être con parfois.” Désormais, ce sont ses tempes qu’il masse alors qu’il rejette sa tête en arrière, contre le dossier du canapé. Se lier d’amitié avec lui n’a jamais été de tout repos mais il pensait pouvoir naïvement continuer à croire que cela ne concernait que lui et n’avait aucune conséquence sur ses proches. Erreur.

« Il est plutôt bon dans son rôle de l’amoureux transi celui-là, tu vas peut-être réellement pouvoir le garder cette fois. » Le sourire de l’un est plus grand et plus fier que jamais, celui du second est totalement absent, laissant plutôt place à ses yeux naturellement noir de jais. Il est doué dans son rôle de l’amoureux transi parce que c’est exactement ce qu’il est et que l’anglais l’est tout autant en retour, incapable de nier le fait qu’il l’aime comme au premier jour et qu’il peine à croire que quoi que ce soit - ou qui que ce soit - pourra un jour changer ça. “Ecoute, je te le dirai qu’une fois.” Il relève la tête pour lui faire face, plus sérieux que jamais. “Tu ne t’immisce pas dans mon couple. Et tu raconte encore moins de la merde à Rory.” Il ne craint pas que ce dernier puisse fuir, mais il est déjà persuadé qu’il continuera de lui sourire et de garder la face et ce peu importe à quel point Arthur aura réussi à le blesser en trouvant des failles dans lesquelles s’immiscer. C’est un jeu auquel il a toujours été particulièrement doué. “J’ai aucune idée de pourquoi t’as décidé de le prendre en grippe et je m’en moque. Je ne te ferai pas changer d’avis sur lui, par contre j’espère bien que tu sauras garder tes commentaires pour toi à partir de maintenant.” Parce que si un jour il devait choisir entre Rory et Arthur, la réponse ne plairait pas à ce dernier, et il n’a de toute façon aucune envie d’en arriver là. Il préfère encore lui parler avec franchise, sans doute avec dureté aussi, pour éviter d’en arriver jusque-là. L’amitié qu’ils entretiennent lui est précieuse depuis plusieurs décennies mais son couple est dans une autre catégorie encore, une catégorie à laquelle simplement personne d’autre ne peut prétendre. “Et ça c’est pas le genre d’ordre qui est là juste pour que tu prennes un malin plaisir à passer outre, c’est bien compris ?” Il va garder Rory, comme il le dit lui-même, et ce peu importe tout ce qu’il peut penser de l’homme qu’il aime. Ce n’est pas le sujet, ce n’est pas le problème non plus. Lui, il sait très bien tout ce qu’il pense de son acteur préféré et de cet homme avec qui il compte bâtir la vie dont il rêve, avec ou sans la bénédiction de son plus vieil ami. "Complique pas encore plus les choses, s'il te plaît." Il demande finalement un ton plus bas, d'une voix qui lui ressemble bien plus.