De façon bien trop récurrente à ses yeux dernièrement, le plan ne s’est pas passé comme prévu. Lily n’a pas quitté la maison où elle vit pour rejoindre Ezra chez lui et lui annoncer la nouvelle de sa paternité à venir en même temps qu’elle l’aurait couvert de baisers. Finalement, elle n’a même pas quitté ladite maison avant plusieurs heures, la discussion imposée par Alfie ayant très rapidement tourné au véritable carnage. Peu importe ce qu’il s’est dit, peu importe ce qu’il s’est fait: aujourd’hui, Lily ne compte plus remettre un seul pied dans cette maison. Preuve en est, une fois la tempête passée, elle n’est même pas retournée prendre ses affaires. Elle n’a pas vérifié la ligne de son rouge à lèvres ni la légère ondulation de ses cheveux bruns, encore moins que sa robe soit parfaitement en pli. Tout ce qu’elle voulait, c’était s’en aller le plus loin possible d’Alfie et c’est ce qu’elle a finit par faire dans la salle d’attente des urgences, sa main tenant son bras douloureux, sans nul doute cassé. Elle a répété son discours, peaufiné les détails, prévu les questions en avance. Et ensuite, elle a expliqué à quel point elle pouvait être maladroite, parfois, quand elle veut couper ses rosiers mais qu’elle n’arrive pas à vouloir acheter un escabeau neuf, trop attachée à son ancien, pourtant chambranlant. Alors ce qui devait arriver arriva, quand il a vrillé sur son poids et l’a emmenée dans sa chute, la faisant s’égratigner au passage. Heureusement qu’elle a eu pour réflexe de jeter plus loin son tailleur, sinon qui sait ce qui aurait pu arriver. Un bras cassé n’est pas un si gros problème, de nos jours, et oui elle est certaine que le personnel fera un excellent travail, elle a elle-même longtemps travaillé dans cet hôpital - oh non, nul besoin de dire à ses anciens collègues qu’elle est présente, elle sait à quel point leurs journées sont déjà chargées. Pourtant, elle devait aussi préciser son nouvel état de santé: elle est enceinte. Cela influe sur les médicaments prescrits autant que sur les vérifications à apporter à son état de santé, lesquelles se sont garnies d’une prise de sang et d’autres tests simples pour vérifier que le bébé se porte toujours bien, malgré son existence très récente. Trois semaines, le temps depuis lequel elle porte déjà cet enfant sans même le savoir. Le bras encore douloureux et gonflé, elle a laissé échapper une larme dans la salle d’examen, sans que ce ne soit pour une fois scripté. La journée était mauvaise, horrible, mais son enfant se porte bien et c’est finalement tout ce qui importe. Elle a un enfant. Elle aura un enfant.

Non, pas besoin d’appeler qui que ce soit. Le père sait déjà, il est en déplacement pour le travail, il rentrera dès que possible. Oui, tous les deux sont très heureux et savent la chance qu’ils ont ; ils attendaient cette nouvelle avec impatience. Elle veut bien le numéro d’un taxi, oui, elle l’appelera seule. Son mari n’aimerait pas savoir qu’elle utilise ses dernières forces pour rentrer à pied, vous avez raison.

Mais Lily ne rentre pas chez son mari, elle rentre encore moins chez elle. C’est l’adresse d’un hôtel qu’elle donne au taxi, et dans cet endroit même qu’elle demande une chambre pour la nuit, voulant mettre de l’ordre dans ses idées avant de retrouver Ezra. Le plan initial n’est pas abandonné, il se veut simplement repoussé de quelques heures à peine, le temps d’une nuit pour reprendre des couleurs et pour son bras de moins la faire grimacer au moindre mouvement. L’os n’est pas brisé au bon endroit, ils n’ont pas pu plâtrer, alors elle a encore bien trop de mouvements maladroits et ô combien difficiles à encaisser tant elle serre perpétuellement des dents, ne supportant que peu l’idée d’avoir à user de jurons pour retirer sa robe dans la simple optique de prendre un bain.

***

Les clefs de chez Ezra sont restés dans sa maison, elle se voit donc contrainte de sonner à la porte bien malgré elle. Au moins, la nuit lui a permis de reprendre un peu de forces, à défaut de pouvoir le moins du monde passer l’éponge sur les récents événements. Tout ce qu’elle a su faire, c’est mettre en forme sa réponse à un tel acte qu’elle ne laissera jamais impuni. Mais Ezra, lui, n’a rien à voir dans cette vendetta. Il ne sait pas que la Boîte de Pandore a été ouverte, il ne sait rien de tout ce qui se trame près de lui. Il ne sait rien, justement, et Lily veut au moins lever le voile sur une partie du mystère. Une douce et parfaite partie, source d’une incommensurable joie que même la dispute avec Alfie n’arrive pas à annihiler. C’est un sourire immense qu’elle lui tend dès qu’il ouvre la porte, venant l’embrasser sans le moindre mot ni explication, à même le pas de la porte. Sa seule main libre se pose contre sa joue, elle s’écarte de quelques centimètres seulement pour lui sourire davantage et poser ses yeux dans les siens, rayonnante menteuse. “Salut, papa.” Et elle de l’embrasser une fois de plus, à peine plus brièvement, simplement le temps pour elle d’attraper une de ses mains pour la poser contre son ventre et ne plus laisser la moindre place au doute. Ezra est déjà papa, alors elle souhaite lui préciser qu’il le sera à nouveau d’ici bientôt, très bientôt.

Lily ne lui avait pas donné de nouvelles, la veille au soir, mais ce n’était pas pour autant qu’il s’était inquiété Ezra. En effet, même si elle passait une partie de son temps chez lui - et de plus en plus ces derniers temps, sans que cela ne le gène le moins du monde -, ce n’était pas officiellement sa résidence principale et même si cela pouvait vite changer, c’était à elle et elle seule de prendre cette décision. Alors, il en avait profité pour trainer un peu devant la télévision, pour passer une autre partie de la soirée au téléphone avec Noah - promis, il allait pouvoir passer une partie de ses vacances d’hiver chez lui et peut-être qu’il serait assez en forme pour jouer au ballon également -, et s’était couché en s’endormant dans un sommeil profond et réparateur alors que minuit n’approchait pas encore sur le cadran.

Au moins, pour une fois, il s’était levé tôt et il avait agi de la sorte du bon pied, ce qui était plut^to chose rare dans son comportement. Ces dernières semaines, dans la maison, il réussissait à se déplacer simplement à l’aide de ses béquilles, se permettant d’en oublier une au passage de temps à autres lorsqu'il se sentait la force et le courage de donner une impulsion supplémentaire à ses jambes, si bien qu’il avait repris goût à arpenter toutes les pièces qui étaient à sa disposition ainsi que le jardin qui n’attendait qu’une chose: être réellement entretenu. Il se trouvait cependant dans la cuisine, en train de se préparer un nouveau café, lorsqu’il entendit la sonnette de la porte d’entrée retentir. Fronçant quelque peu les sourcils, le Beauregard jeta un coup d’oeil  à la pendule - il n’attendait personne et l’heure de la journée n’était pas bien avancée -, se demandant qui pouvait sonner chez lui et vouloir le déranger. Il lui fallut presque une bonne minute avant d’arriver jusque la porte, et voir Lily à travers le judas ne fit qu’accentuer son incompréhension. « Pourquoi est-ce que t… » Il n’eut en rien le temps de terminer sa phrase que la jeune femme l’embrassait, d’un baiser qu’ils ne partageaient d’ordinaire qu’à l’abris des regards. La confusion pourtant très présente sur son visage fut rapidement remplacée par une expression de surprise - mais de bonne surprise, alors qu’un sourire fendait ses traits. « Bonjour à vous aussi. » Il ne connaissait pas la raison de ce souvent élan d’affection de la part de Lily, mais il ne disait pas non - surtout lorsqu’elle déposa un second baiser sur ses lèvres, il était chanceux aujourd’hui.

Pendant qu’elle agissait de la sorte, et il ne s’en rendit compte que quelques secondes plus tard, lorsqu’elle attira son attention dessus, elle avait profité pour attraper sa main et la déposer sur son ventre, alors qu’ils n’avaient toujours pas bougé du pas de la porte. Il fallut qu’il entende ses mots pour que ses neurones ne mettent à une certaine réflexion. « Salut, papa. » Le sourire qu’il portait aux lèvres était idiot - mais pas ivre d’être tellement heureux qu’il en devenait idiot, simplement qu’il n’avait pas encore saisi l’ampleur de ce qu’elle lui annonçait en cet instant. « T’es pas obligé de m’appeler papa quand Noah est pas là tu sais. » Presque, il ajoutait un rire à sa propre blague. Et puis, ce fut à ce moment là que son regard glissa du visage de la demoiselle pour aller se poser là où leurs deux mains étaient jointes - et là où elle appuyait en réalité en disant papa. Papa, comme dans tu vas devenir de nouveau papa Ezra parce-que je suis enceinte - la phrase complète aurait peut-être permis que le temps de latence et de compréhension de la part du Beauregard soit bien plus court. Alors seulement en cet instant, la réalité le frappa de plein fouet et il fronça quelque peu les sourcils. « Attends, papa… Papa ? » Il y allait prudemment, en douceur, car il savait à quel point ces choses là pouvaient être des annonces fragiles et qui pouvaient mal tourner. Aussi, parce-qu’il mettait du temps à comprendre et à réaliser. « Tu veux dire que… Non, dis moi pas que c’est vrai Lily. » Un sourire de bonheur était en train de se glisser sur ses lèvres sans même qu’il s’en aperçoive. Ils l’avaient attendu, cette nouvelle - en silence, sans trop en parler, sans trop y apposer d’espoir aussi; mais ils l’avaient attendu avec une impatience compliquée à dissimuler. Et, si cela ravissait déjà énormément Ezra, il ne s’attendait pas à pouvoir se dire qu’il allait devenir père si tôt.

Par instinct, et surtout parce-qu’il n’avait aucune autre information sur les dernières vingt-quatre heures de la jeune femme, il fit un maigre pas en avant pour retirer sa main de sur le ventre de Lily et pour passer son bras autour de la taille de cette dernière - l’autre bras lui servant à se tenir tant bien que mal en appui sur sa béquille, la seule qu’il avait décidé de prendre en allant ouvrir la porte. Et dans un geste empli autant de précaution que de joie, il attira le corps de la jeune femme contre lui. « Dis moi que c’est vrai de vrai et que t’es sure et que tu vas bien et que… On va être parents, Lily, hein ? » Il lui avait promis qu’il ne placerait pas trop d’espoir en leurs essais mais il avait un peu menti et ne saurait contenir désormais son excitation à imaginer que d’ici quelques mois, ils formeraient vraiment une famille.

Ezra est troublé et elle n’a aucun mal à le comprendre puisqu’elle a une attitude à des années lumières de ce à quoi elle l’a habitué durant toutes ces années. Elle est bien loin de ses limites habituelles, Lily, submergée d’un bonheur incommensurable caractérisé par l’arrivée à venir d’un enfant. « Pourquoi est-ce que t… » Les questions seront pour plus tard, elle s’avance déjà pour l’embrasser avec passion, sans y penser à deux fois ni même se demander si c’est la bonne chose à faire, ou le lieu pour de telles démonstrations. La vérité, c’est que rien ne lui semble plus normal que de l’embrasser, ici et maintenant. « Bonjour à vous aussi. » Aujourd’hui est une bonne journée, c’est au moins une idée qu’elle peut partager sans mal avec lui, s’efforçant d’oublier la veille et tout ce qui ne l’arrange pas non plus. Dans l’éternel même sourire, elle dépose un dernier baiser contre ses lèvres, bien plus rapide mais non moins important ou chargé de sentiments. Ses yeux peinent à se déloger des siens et son cœur déborde presque de sa poitrine. « Salut, papa. » Elle statue enfin, ayant subtilisé la main d’Ezra pour la poser contre son propre ventre et lui donner un indice supplémentaire de son nouvel état, et de leur vie sur le point de changer de façon irrémédiable.

« T’es pas obligé de m’appeler papa quand Noah est pas là tu sais. » Sa première réaction se résume à minimiser les faits et à ne pas tout de suite comprendre l’immense nouvelle qu’elle a à lui annoncer, ce que Lily n’a aucun mal à comprendre. Elle a annoncé être enceinte à bien trop d’hommes, à bien trop de reprises pour ne pas savoir comment se passent toujours les choses dans de tels moments. Peu importe à quel point elle aime son fils et l’estime, elle peut pourtant affirmer que cette discussion n’a rien, absolument rien à voir avec Noah. “Je sais.” Lily souffle dans un sourire supplémentaire, ne prenant pourtant pas la peine de pleinement lui expliquer la situation pour qu’il comprenne plus rapidement. Il comprendra seul, le moment venu, quand son esprit aura accepté la nouvelle et fait toutes les liaisons. Et lorsqu’il baisse enfin les yeux sur le ventre de Lily et la main qu’elle pose par dessus, il comprend enfin. « Attends, papa… Papa ? » De son côté, elle ne sait que sourire davantage encore, relâchant sa main uniquement pour venir caresser sa joue et faire glisser ses mèches entre ses doigts. Il va être le père de son enfant, oui, c’est ce qu’elle est en train de lui annoncer aujourd’hui, enfin. « Tu veux dire que… Non, dis moi pas que c’est vrai Lily. » Le sourire qu’il affiche à son tour trahit largement ce qu’il pense du sujet ; quand bien même tous deux ont convenu d’avoir un enfant, il y a de nombreux mois de ça déjà. “C’est vrai, Ez, c’est totalement vrai.” Elle peut l’assurer dans le même sourire, non feint. La seule chose dont elle se retient, c’est de reprendre son baiser là où elle l’avait abandonné.

Il passe finalement son bras derrière son dos, assez pour qu’elle avance un peu plus encore tout contre lui, prenant à son tour une infinité de précautions pour ne pas mettre à mal son équilibre. Et ne pas se faire mal non plus, bras en écharpe oblige. « Dis moi que c’est vrai de vrai et que t’es sure et que tu vas bien et que… On va être parents, Lily, hein ? » La proximité nouvelle entre eux lui permet de l’embrasser un peu plus facilement, en décollant à peine ses talons du sol. Son sourire reste inchangé. “On va être parents.” Peu importe ce qui se passera à partir de maintenant, elle ne pourrait pas accepter l’éventualité de devoir lui annoncer une issue différente. Ils vont être parents, Ezra sera merveilleux, et leur enfant sera simplement parfait. “Je t’aime.” C’est contre son torse qu’elle finit par se confier et laisser sa tête se reposer, retenant pourtant son poids alors qu’elle le sait encore en béquilles. “Est ce qu’en tant que mère de ton futur enfant, j’ai le droit de rentrer ?” Elle commente enfin avec un peu moins d’émotion et essentiellement une pointe d’amusement, relevant ses yeux dans les siens avec un sourire. Si elle n’a pas su attendre davantage avant de lui annoncer la nouvelle, elle voudrait au moins poursuivre cette discussion à l’abri de toute oreille ou regard indiscret. Surtout, elle ne voudrait pas le savoir à épuiser toutes ses batteries uniquement pour rester debout. “J’ai fait une prise de sang, juste pour que tu saches. C’est vraiment vrai.” Ce n’est pas un problème de test défectueux ni quoique ce soit dans le genre: cela n’a rien d’une fausse bonne nouvelle. Elle est enceinte de quatre semaines, déjà, ce qui représente autant de temps en moins à attendre avec une impatience non feinte l’arrivée de leur enfant. Nul besoin de préciser qu’elle a fait cette prise de sang parce qu’elle a de tout façon atterri à l’hôpital après sa discussion avec Alfie: ce n’est pas une histoire qu’elle veut raconter, ça, puisqu’elle se veut bien moins à son avantage. Elle préfère encore rester tout près d’Ezra et prendre en otage ses doigts contre les siens.

Bien sur que la première réaction d’Ezra à la nouvelle que Lily tentait de lui communiquer fut de ne pas comprendre la dite-nouvelle, justement. Il était un peu long à la détente, et si dans toute autre situation cela n’était pas dérangeant, présentement il aurait peut-être préféré réussir à comprendre suite ce qu’elle sous-entendait. Après tout, ils avaient attendu avec grande impatience que ce moment là surgisse dans leur vie - mal qu’ils avaient du prendre en patience pour ne pas se donner trop de faux espoirs. « Je sais. » Elle savait qu’elle n’avait pas à utiliser de ce surnom lorsque Noah n’était pas dans le coin, alors si elle le faisait c’était pour d’autres raisons - qui finirent par sauter aux yeux d’Ezra lorsqu’il posa son regard sur le ventre de Lily, là où cette dernière avait apposé la main du Beauregard. Le papa n’était pas un surnom pour un événement passé mais pour un qui s’en venait désormais à une vitesse folle.

La réalisation de la réalité dut se lire rapidement dans son regard, car le sourire de Lily ne savait faire autrement que de s’agrandir en voyant la réaction d’Ezra. Plus les secondes s’écoulaient, et plu il comprenait ce que les paroles de la brune avançaient: ils allaient être parents, pour de vrai. D’ici à quelques mois, ils tiendraient dans leurs bras un petit être qui complèterait leur famille. « C’est vrai, Ez, c’est totalement vrai. » Alors, bien qu’avec un équilibre vraiment instable et retrouvé à peine quelques jours et semaines plus tôt, il ne sut faire autrement que de passer un bras autour de la taille de la jeune femme. Il avait envie de la serrer tout fort contre lui, de lui montrer à quel point la nouvelle le ravissait - mais il savait qu’il ne pouvait se permettre un tel mouvement, sinon il finirait les quatre fers en l’air. Et puis, il ne s’en était pas encore aperçu tellement la nouvelle avait occulté le reste de la réalité, mais Lily n’était pas bien plus en forme que lui en cet instant - mais il était trop concentré sur l’idée qu’il allait enfin être père de nouveau. Ce n’était un secret pour personne qu’Ezra avait toujours apprécié l’idée de pouvoir avoir une famille à lui, de pouvoir profiter de doux moments en famille, et qu’il n’était en rien contre l’idée d’avoir même une petite tribu. Après tout, c’était de cette façon là qu’il avait grandi et sa famille était plus beau trésor, surement. Il n’y avait rien que de plus normal pour lui de reproduire le modèle dans lequel il avait grandi - en retirant la partie où son père était un brin trop fermé d’esprit cependant, si c’était possible. Oh, et en retirant la mort de la matriarche aussi, s’il vous plait. En refaisant les règles du jeu, mais en gardant le positif pour le coup serait un meilleur résumé.

D’autres baisers furent finalement déposés par Lily, alors qu’Ezra de son côté tentait d’assimiler tout ce que cette nouvelle était en train de changer dans sa vie - dans leur vie. « On va être parents. » - « Oh, Lily… » Qu’il était heureux, il n’y avait pas à chercher plus loin. « Je t’aime. » Cela faisait des années qu’il n’avait pas entendu de façon si spontanée ces mots dans la bouche de Lily, et il mentirait en disant que cela ne le touchait pas d’autant plus et que son coeur s’agitait un peu en l’entendait prononcer de telles paroles. La tête de la jeune femme posée avec délicatesse contre son torse, il déposa un baiser sur le dessus de son crâne - il aurait voulu resserrer son étreinte pour appuyer d’autant plus ses paroles et ses émotions, mais ça aurait causé sa perte - d’équilibre, en l’occurence. « Je t’aime aussi, tu sais. » Et lorsqu’il s’agissait de Lily, ces mots ne se concentraient pas uniquement sur un sentiment en particulier, mais tout ce qui s’accompagnait autour - et ce qui se dessinait pour eux désormais pour l’avenir. Ils allaient former une famille, et Ezra avait d’autant plus hâte que cela soit effectif. Quelques mois, désormais: les choses étaient réelles, s’installaient autour d’eux.

« Est ce qu’en tant que mère de ton futur enfant, j’ai le droit de rentrer ? » Laissant un peu rire s’échapper, il se recula avec une légère difficulté - tenir sur ses jambes était devenue une épreuve, en réalité, il s’en rendait compte uniquement maintenant cependant les émotions remettant tout en perspective. « Elle peut entrer et ne jamais repartir. » Parce-que sachant désormais Lily enceinte de leur enfant, oh qu’il allait avoir envie de garder un oeil sur elle tout le temps désormais pour s’assurer qu’elle allait bien et que le développement de cet enfant se passait sans encombre. » J’ai fait une prise de sang, juste pour que tu saches. C’est vraiment vrai. » - « J’en doutais pas, tu sais. Enfin, je veux dire, si tu m’en parles c’est que c’est pour de vrai je sais que tu ferais pas de blague sur ce sujet. » Pas alors que, malheureusement, ce n’était pas la première fois qu’ils se trouvaient à attendre un enfant ensemble - le dernier n’avait malheureusement pas pu se développer assez pour voir la lumière du jour et embellir leurs existences; de toutes façons, à l’époque, Ezra pensait que cet enfant à naitre était celui d’un autre. Et alors qu’il prononçait ces mots, le Beauregard s’était décalé, était en premier dans la maison puisqu’il bloquait le passage de l’entrée avec ses béquilles et son équilibre précaire, et n’avait fini par se tourner complètement vers Lily que lorsque cette dernière fut à son tour à l’intérieur. Et, si un grand sourire avait été là pour illuminer son visage jusque maintenant, en voyant que Lily portait l’un de ses deux bras en écharpe, il le perdit instantanément, son beau sourire. « Pourquoi t’as le bras en écharpe ? » Oh, la panique ne mit qu’une seconde et une seule avant d’atteindre à la fois son regard et le timbre de sa voix. Comment avait-il pu passer à côté d’un élément si important ? « Qu’est-ce qu’il s’est passé, Lily ? » Et Dieu qu’il maudissait présentement ses béquilles et ses jambes encore bien trop fragiles, car il ne sentait pas apte à faire autre chose que de tirer la première chaise qu’il avait à portée de main pour s’y asseoir et ne pas finir le postérieur sur le carrelage - là où il aurait préféré s’approcher de la jeune femme pour l’observer sous toutes les coutures et comprendre ce qu’il s’était passé.

Le temps s’écoule à la parfaite vitesse lorsqu’elle se repose tout contre Ezra, un bras pourtant retenu contre son dos parce qu’elle n’oublie pas qu’il commence à peine à réellement se remettre de sa blessure. Elle ne voudrait pas le faire tomber et être la cause d’une nouvelle douleur et ordre de rester à domicile, pas alors qu’elle sait à quel point il correspond à ce genre de personne s’épanouissant bien plus auprès d’autrui et à l’air libre. Il pourra le faire en se sachant futur papa, maintenant, en témoigne de ses doigts qu’elle garde contre le bas de son dos et de son visage qu’elle refuse de déloger de son torse. Elle se réjouit du simple baiser qu’il pose contre son crâne, ayant plus que jamais besoin d’un tel instant de pause et de délicatesse. « Je t’aime aussi, tu sais. » Si seulement tout pouvait être aussi simple, elle demanderait à signer aussitôt.

Pour l’heure encore, Lily demande simplement à rentrer dans l’appartement plutôt que de continuer à avoir cette discussion sur le pas de la porte, quand bien même elle avait été la première à ne pas pouvoir attendre davantage avant de lui annoncer la nouvelle. « Elle peut entrer et ne jamais repartir. » Parler d’elle à la troisième personne étant loin de la dérange, elle rigole donc paisiblement. Il ne sait pas à quel point ces paroles tombent dans tout sauf l’oreille d’une sourde, elle qui n’a plus aucune envie de retourner dans l’appartement qu’elle partageait jusque là avec Alfie. Si elle n’a pas le coeur à l’avouer pour le moment, Lily doit bien avouer qu’elle penche effectivement pour l’option consistant à ne jamais repartir, à commencer parce qu’elle n’a de toute façon nulle part où aller. « J’en doutais pas, tu sais. Enfin, je veux dire, si tu m’en parles c’est que c’est pour de vrai je sais que tu ferais pas de blague sur ce sujet. » Non, en effet, elle n’aurait jamais eu le coeur à lui faire une blague sur un tel sujet, surtout alors qu’elle est elle même à fleur de peau dès qu’il est question de la parentalité et, surtout, de sa capacité à enfin devenir mère. “Le foetus a l’air sain. C’est ce que je voulais te dire.” Ils n’ont pas pu faire beaucoup de test à cause de l’âge de ce dernier, encore bien trop jeune pour être formé et analysé, mais de ce qu’ils ont retenu des maigres tests, tout va bien. En tant que jeune mère, c’est tout ce qu’elle veut entendre et tout ce à quoi elle se raccroche, aussi. Ses mots sont bas, murmurés telle une confession. Annoncer que son enfant est en bonne santé est une chose qu’elle avance avec retenue.

La douceur de l’instant est revue à la baisse lorsqu’elle entre dans l’appartement et, par la même occasion, prend un peu de recul sur le Beauregard. « Pourquoi t’as le bras en écharpe ? » Pour peu, et si la douleur ne le lui rappelait pas à chaque mouvement, elle aurait pu oublier ce léger détail ponctuant désormais sa vie. Dos à lui, elle n’a pas à fournir d’efforts supplémentaires pour inventer un sourire rassurant qu’il ne verra de toute façon pas. « Qu’est-ce qu’il s’est passé, Lily ? » Il demande encore face au silence de la brune, laquelle l’entend tirer une chaise, sans nul doute pour s’y appuyer. De son côté, pourtant, elle prend place dans la cuisine comme si cet endroit était sien, ouvrant les placards avec stratégie pour leur faire un thé à tous les deux. Lorsqu’elle se retourne en sa direction, après quelques secondes à peine, c’est pour afficher un sourire rassurant, travaillé. “Je suis juste tombée d’un peu trop haut. C’est pas grave, Ez, c’est juste une mauvais chute.” Son corps va guérir sans le moindre mal, il a seulement besoin d’un peu de temps pour cela et, très vite, tout sera oublié. Ezra n’a pas besoin de s’en faire pour elle, et encore moins pour sa santé. Ce qu’il a encore moins besoin de savoir, c’est que cette blessure n’est absolument pas due à un accident. “C’est ce qui m’a permis de faire une prise de sang.” Lily annonce le positif depuis le négatif, ne voulant pas lui donner de raisons de s’inquiéter, ne voulant pas non plus en parler davantage.

La bouilloire en fond sonore, elle se rapproche à nouveau du Beauregard et passe une main délicate entre ses mèches de cheveux. Elle ne veut pas être une source de stress pour le brun, elle ne veut pas être une source de quoi que ce soit hormis de bonheur et tout ce qui en est synonyme. A son tour, elle dépose un baiser contre son front. “Je voulais que tu sois le premier au courant.” Parce qu’il est le père, parce qu’il est le premier concerné, parce qu’elle a en lui une confiance aveugle. Parce qu’elle n’avait pas le moins du monde prévu qu’Alfie s’immisce dans ses plans d’une telle façon, aussi. “Mais… est-ce qu’on pourrait attendre un peu avant d’en parler ?” Elle demande plus bas en mordant l’intérieur de sa lèvre, éternellement soucieuse à l’idée de ne pas arriver au terme de cette nouvelle grossesse. “C’est juste une assurance, tu sais…” Annoncer à tout le monde qu’elle est enceinte est une chose merveilleuse ; finalement leur avouer qu’aucun enfant ne verra le jour est profondément destructeur, elle le sait un peu trop d’expérience.

« Le foetus a l’air sain. C’est ce que je voulais te dire. » Le résumé que Lily lui fit de la situation, des nouvelles qu’elle voulait lui apporter, était amplement suffisant pour Ezra. Au moins, il pouvait réellement se réjouir à l’idée d’être de nouveau papa dans les mois à venir. Il savait que bien des choses pouvaient arriver entre temps, mais n’avait-il pas le droit de se projeter un peu, rien qu’un peu, et imaginer qu’ils allaient pouvoir être heureux et former une belle famille alors que la possibilité leur avait déjà échappé une fois ? Et réellement, cela aurait suffi pour aujourd’hui et il serait resté heureux pour le reste des heures de la journée si son regard n’avait malheureusement pas attrapé un détail qui lui avait échappé jusque maintenant - et qui ne lui donnait en rien envie de sourire. Et le fait que Lily reste à distance de lui, ne semblant pas pressée de lui faire face, agissant presque comme s’il n’était pas dans la pièce lui jeta un froid dans le dos. « Lily ? » Il insista une fois de plus, ne cachant pas que sa voix grimpait un brin de trop dans les aigus en cet instant, alors que ses sourcils se fronçaient sur son visage. Son équilibre était encore frêle et ses forces en rien constantes, mais si pour avoir une réponse il lui fallait se mettre sous les yeux de la jeune femme, il ferait les efforts nécessaires. Les mains d’Ezra cherchaient déjà à tâtons les béquilles qu’il avait posé à même le sol l’instant d’avant lors la voix de Lily se fit enfin de nouveau entendre. « Je suis juste tombée d’un peu trop haut. C’est pas grave, Ez, c’est juste une mauvais chute. » Le visage d’Ezra ne savait se défaire des sourcils froncés, de cet air inquiet; et même si les mots de la brune faisaient sens sans aucun soucis, il lui semblait compliqué de les intégrer. « Une mauvaise chute ? T’as fait quoi pour faire une mauvaise chute ? » Parce-qu’il savait Lily précautionneuse, il la savait attentive aux détails. Une mauvaise chute était quelque-chose qui pouvait arriver à n’importe qui, et n’importe quand. Mais ce n’était pas le genre d’aventure qui laissait qui que ce soit serein - et pourtant, elle paraissait sereine, Lily. Bien plus que ce que pouvait l’être Ezra.

« C’est ce qui m’a permis de faire une prise de sang. » Prêt à rétorquer de suite, la bouche du Beauregard se ferma pourtant d’un coup sec en entendant les mots de Lily. « Tu veux dire que t’as appris que t’étais enceinte aujourd’hui ? » Il ne minimisait pas le problème du bras de Lily clairement blessé et de cette chute à peine expliquée, simplement se concentrer sur cette partie là de la conversation, sans qu’il ne s’en rende comptes réellement, lui mettait du baume au coeur et lui lissait les traits tirés d’inquiétude que son visage affichait depuis la poignée de dernières minutes. Les pas de la jeune femme se firent finalement dans sa direction. « Je voulais que tu sois le premier au courant. » Et sans préavis, sans avoir le temps de l’anticiper, un doux sourire étira ses lèvres alors que les gestes autant que les paroles de la jeune femme le rassurait - de quoi, il ne savait guère mais c’était cette sensation qui s’immisçait en lui en tous cas. Cela paraissait peut-être logique aux yeux du monde entier, mais l’idée de savoir qu’il avait été le premier mis au courant pour quelque-chose le concernant lui faisait du bien - ce n’était pas de cette façon là que les événements s’étaient passés, la dernière fois. « Mais… est-ce qu’on pourrait attendre un peu avant d’en parler ? » Le regard d’Ezra accrocha celui de la brune, alors qu’il attrapait délicatement des doigts la main de la jeune femme qui passait dans ses cheveux sur les derniers instants. « C’est juste une assurance, tu sais… » - « Je sais, je sais. » Elle n’avait pas besoin de terminer sa phrase, ni même d’ajouter le moindre détail à ses pensées: il savait parfaitement où elle voulait en venir. Après tout, il avait été présent la dernière fois - sans savoir qu’il était le second protagoniste de cette histoire, mais il avait essayé les larmes roulantes sur les joues de Lily. « Je sais ce qui peut arriver si tôt, et je sais aussi que je devrais pas être autant content parce-qu’on sait jamais, et tout ça. » Il ne désirait pour aucune raison penser à tout ce versant là de l’arrivée d’un enfant dans une famille, mais il ne devait pourtant pas minimiser les risques que cela puisse arriver. « Tant que ce sera pas le bon moment, je dirais rien. J’aime bien l’idée en plus que ce soit notre petit secret. » Le sourire qui étirait ses lèvres était toujours aussi tendre, et ce fut avec un naturel déconcertant que délicatement ses bras se glissèrent autour des hanches de la jeune femme pour la rapprocher de lui au maximum. Ainsi, il pouvait même poser sa joue sur le bas-ventre de Lily et être au plus proche de ce enfant qui serait sien et leur dans quelques mois.

Il était resté silencieux quelques instants, se mordait d’avance les doigts de relancer cette partie là de la discussion, mais l’inquiétude qu’il avait ressenti à la vision de Lily blessée s’était juste dissipée le temps d’une distraction - mais pas plus. « Pourquoi tu m’as pas appelé, après être tombée ? J’aurais pu faire en sorte de te rejoindre à l’hôpital, j’aurais pu demander à Thomas de me donner un coup de main pour être là pour toi… » Parce-qu’il avait déjà tendance à être très protecteur envers ses proches, cela n’allait pas s’arranger auprès de Lily maintenant qu’il savait qu’elle portait son enfant. C’était peut-être niais, comme façon de faire, mais dans l’esprit d’Ezra s’il fallait qu’il se plie en quatre pour qu’elle puisse se sentir au meilleur de sa forme, il le ferait. Après tout, elle était en train de créer un nouvel être humain et rien que pour ça, elle méritait d’être placée sur un piédestal de sa part à lui. « Surtout que t’es plus toute seule, maintenant. » Autant parce-qu’il ne lui lâcherait pas la main en cours de route que parce-que son corps était l’hôte de deux êtres depuis qu’ils avaient appris que d’ici à quelques mois, ils seraient trois dans cette famille.

Et de façon assez prévisible, Ezra continue d’être inquiet à son sujet, ses yeux plus froncés que jamais, son regard tentant de capter celui de Lily. La jeune femme, elle, a cessé de trouver des paquets de thé invisibles dans les placards pour donner toute son attention au brun et uniquement à lui, sa main lui servant à se retenir contre le plan de travail. « Une mauvaise chute ? T’as fait quoi pour faire une mauvaise chute ? » Elle penche légèrement la tête, le genre de mouvement qui remplace un Ezra … prononcé dans un murmure presque synonyme de reproches. Il est d’un instinct protecteur en temps normal, c’est un fait, mais Lily ne peut déjà qu’anticiper que tout ce caractère sera bien plus fort encore à partir de maintenant, à partir du moment où elle est enceinte, à partir du moment où son enfant sera dans ce monde. “Je suis tombée d’un escabeau, Ez. C’est une chute stupide que j’aurais pu éviter.” Elle prend le blâme, bien sûr, incapable de laisser planer le moindre indice sur la culpabilité que porte Alfie dans toute cette histoire. Dans un soupir, elle consent finalement à gommer la distance entre eux et se rapprocher du jeune père dont l’inquiétude se lit sur les traits de son visage ; visage sur lequel elle passe délicatement sa main pour le rassurer, le lisser. Ses empreintes suivent la ligne tracée par sa mâchoire, elle trouve place contre l’accoudoir du fauteuil, dans un équilibre assez stable pour qu’elle puisse pousser la tête d’Ezra à se reposer contre son ventre et elle de caresser ses cheveux avec douceur, sans un mot supplémentaire.

« Tu veux dire que t’as appris que t’étais enceinte aujourd’hui ? » Ses yeux trouvent les siens le temps d’un sourire entendu. Elle l’a appris hier, en réalité, mais la temporalité des choses reste la même - à un mensonge près - et elle ne veut pas être celle qui retirera ce sourire du visage d’Ezra Beauregard. “Oui.” Et elle aurait sincèrement voulu qu’il soit le premier tenu au courant de la nouvelle, ce n’est que le Destin qui en a décidé autrement. La seule chose qu’elle se permet de lui demander, parce qu’il est très bien placé pour comprendre une telle demande, c’est de garder le secret encore deux mois supplémentaires, le temps pour le bébé de se développer jusqu’à un certain stade où toutes les premières incertitudes sur son avenir devraient être passées. Jusqu’à un stade où elle pourra se permettre d’annoncer à tout son entourage être enceinte sans avoir à leur annoncer une terrible nouvelle suite à ça. « Je sais, je sais. Je sais ce qui peut arriver si tôt, et je sais aussi que je devrais pas être autant content parce-qu’on sait jamais, et tout ça. » Il est terre à terre, Ezra, et il est surtout doté d’un talent d’empathie et de compréhension rare. Elle hoche la tête dans un sourire tout différent et bien plus ému, désormais - les hormones, dira-t-on. “T’as le droit d’être heureux, Ez.” Jamais elle ne lui retirera ce droit, jamais elle ne lui demandera de contenir son sourire et encore moins cette lueur brillant au fond de ses yeux clairs. Il a le droit d’être heureux, maintenant plus jamais alors que leur avenir est jalonné d’incertitudes en tous genres. “J’aime bien l’idée que tu le sois.” Parce qu’il a déjà vécu beaucoup de choses horribles, beaucoup de choses qu’elle ne souhaiterait qu’à ses pires ennemis - parce que oui, bien sûr que Lily les souhaiterait à quelqu’un. Il a le droit de goûter au bonheur de façon durable, et l’arrivée d’un enfant dans sa vie est assez particulier pour être souligné. Elle aime d’autant plus l’idée que ce bonheur ne soit pas seulement le sien, mais bien le leur. « Tant que ce sera pas le bon moment, je dirais rien. J’aime bien l’idée en plus que ce soit notre petit secret. » Il passe ses bras autour d’elle pour la rapprocher de lui, geste auquel elle n’émet aucune restriction, aucun doute même. “On prendra soin de ce secret.” De ce secret, et de leur enfant surtout.

Ils sont pourtant loin de vivre le parfait conte de fées que Lily voulait connaître, raison pour laquelle les nouveaux mots d’Ezra dénotent déjà du reste et mettent à mal l’harmonie de l’instant. « Pourquoi tu m’as pas appelé, après être tombée ? J’aurais pu faire en sorte de te rejoindre à l’hôpital, j’aurais pu demander à Thomas de me donner un coup de main pour être là pour toi… » Et déjà, Lily fait de son mieux pour ne pas souffler, se contentant pour l’heure de fermer les yeux pour cacher une culpabilité autant qu’un certain agacement. L’arrivée à venir de cet enfant change déjà beaucoup de choses et en changera bien d’autres ensuite encore, mais il ne peut pas lui demander d’agir comme si tout était évident entre eux soudainement. “Tu n’aurais rien pu faire de plus. J’ai bien compris que c’était cassé, j’ai juste eu à appeler un taxi pour aller à l’hôpital.” Elle ne veut pas déranger et, surtout, elle ne veut pas susciter la pitié de quiconque. Elle n’aurait pas voulu lui annoncer sa paternité à venir à l’hôpital pour autre chose qu’un contrôle lié au bébé, tout comme elle aurait encore moins pu l’appeler juste après sa dispute avec Alfie, bien trop chamboulée pour avoir le plein contrôle d’elle-même, de ses mots, de ses mouvements. Elle avait besoin de temps pour elle, d’une nuit dans un hôtel où elle n’existerait que sous le nom d’une réservation et d’un numéro de porte. Non, pas de petit-déjeuner, merci. Elle avait besoin de tout sauf de lui, et ce sont des mots égoïstes qu’elle ne lui partagerait jamais, bien trop consciente que cela ne reflète en rien l’avis qu’elle tient sur le Beauregard et toute l’affection sincère qu’elle lui porte. « Surtout que t’es plus toute seule, maintenant. » Pour le rassurer, elle retrouve sa main contre la sienne et la serre doucement. “Mais si tu y tiens vraiment, je suis certaine que l’écharpe irrite ma peau et qu’elle aurait terriblement besoin d’un massage avec de la crème.” Elle s’échappe du sujet, elle l’esquisse, elle sourit pour cacher sa peine. Elle sourit pour ne pas avoir à dire que les premiers jours sont toujours les plus douloureux et que, dans son cas, ce sont bien les plus réminiscences de sa discussion avec Alfie qui la blessent et la terrifient encore, au delà de la seule et simple douleur physique. Dans un dernier geste pour tenter de clore la discussion, elle avance son visage au-dessus du sien et l’abaisse seulement pour retrouver ses lèvres dans un sourire qui n’a rien de calculé et un baiser qui l’est tout aussi peu. “Tu n’as pas besoin de t’exercer au papa poule avec moi. Tu le fais déjà très bien avec Noah.” Lily annonce, son front contre le sien et ses longs cheveux de part et d’autre du visage d’Ezra. “Je comptais rester cette nuit, est-ce que ça peut te rassurer ?” La question est sincère, elle prend le temps de caresser une fois de plus sa joue et d’examiner ses traits, comme si lui aussi risquait de disparaître du jour au lendemain.

Il le lisait sans aucun mal dans le regard qu’elle était en train de lui jeter que son inquiétude était surement de trop et qu’il n’avait aucune raison de s’en faire de la sorte; mais ce n’était pas la question qu’il venait de lui poser, et il ne changerait pas de sujet simplement parce-que Lily voyait dans son comportement de l’exagération là où ce n’était pas nécessaire. « Je suis tombée d’un escabeau, Ez. C’est une chute stupide que j’aurais pu éviter. » Il pinça ses lèvres, hocha la tête un instant ou deux. Peut-être que c’était là une chute qui aurait pu être évitée, mais elle était tout de même arrivée et la jeune femme avait désormais le bras en écharpe. Et puis, avec les nouvelles qu’elle était venue lui donner aujourd’hui, Ezra ne s’inquiétait plus simplement que pour elle mais également pour la petite créature qui commençait doucement à se développer en son sein. « Oui. » Créature dont elle avait appris l’existence également aujourd’hui, dont le reste du monde ne devait rien savoir encore pour le moment. Il connaissait la façon de faire, Ezra: pas parce-qu’il l’avait vécu à l’époque en connaissance de causes - même s’il aurait du -, mais parce-que Lily était déjà passé par des événements qui permettent de se rappeler que la vie n’était pas si facilement toute rose. « T’as le droit d’être heureux, Ez. J’aime bien l’idée que tu le sois. » Alors, un léger sourire se fit voir sur ses lèvres. « T’es heureuse aussi ? » Il supposait sans aucun mal que la réponse était positive à cette question, puisque le sourire de Lily était sincère lorsqu’elle mentionnait cet enfant à venir et qu’elle était celle à l’origine de ce projet là entre eux, mais entendre la jeune femme le dire ne serait pas quelque-chose de mauvaise: cela permettrait d’alléger le coeur d’Ezra d’une quelconque inquiétude supplémentaire qui n’avait pas lieu d’être. « On prendra soin de ce secret. » Le Beauregard hocha la tête: comme à la prunelle de ses yeux.

Comme il comptait d’autant plus prendre soin de Lily, maintenant qu’il la savait enceinte de son enfant - de leur enfant -, même si ce n’était pas le rôle qui lui semblait prédestiné en jetant un coup d’oeil à leur histoire commune. Même si cela embêtait d’ailleurs profondément Lily - il avait beau mettre régulièrement du temps à comprendre les signaux que le monde extérieur lui accordait, il avait su lire entre les lignes dans la stature de la demoiselle en cet instant qu’il se trouvait juste à la limite du comportement qu’il pouvait adopter sans dépasser les bornes. « Tu n’aurais rien pu faire de plus. J’ai bien compris que c’était cassé, j’ai juste eu à appeler un taxi pour aller à l’hôpital. » Il pinça les lèvres, se retenant à son tour d’ajouter qu’il aurait pu être présent pour elle et que c’était déjà quelque-chose de plus de fait, mais cela n’était en rien les paroles qu’elle attendait et qu’il se devait de prononcer; et même si tout le poussait à pouvoir faire son maximum, il comprenait que parfois afin de pouvoir agir de la sorte il était préférable de se mettre en retrait. « D’accord. » Qu’Ezra finit par concéder. Elle était plut têtue que lui de toutes façons, et gagnerait cette discussion. Au moins, il avait l’assurance que désormais les choses étaient analysées et classées comme en rie susceptibles d’être dangereuses pour elle ou pour le bébé - et c’était là tout ce qu’il souhaitait s’assurer, en réalité. « Mais si tu y tiens vraiment, je suis certaine que l’écharpe irrite ma peau et qu’elle aurait terriblement besoin d’un massage avec de la crème. » Alors, le sourire qu’Ezra étira ne fit simplement qu’échos à celui de la jeune femme, si ce n’était qu’il était peut-être un peu plus grand, un plus rayonnant, car il ne connaissait pas tous les dessous de cette histoire qu’elle refusait de lui expliquer et qu’il prenait l’idée d’échapper à cette discussion comme une porte qui se fermait sur le sujet. Une fois de plus, il se mordrait les doigts lorsqu’il apprendrait l’envers du décor - mais ce ne serait pas pour de suite, Lily préférait le tenir à l’écart de la réalité en générale une dizaine d’années avant de lui avouer la vérité. « Je vois que tu perds pas le nord quand même, hein. » Le baiser qu’elle lui accorda par la suite fut accueilli à bras ouverts, presque littéralement.

« Tu n’as pas besoin de t’exercer au papa poule avec moi. Tu le fais déjà très bien avec Noah. » Là, ce fut au tour du Beauregard de lever les yeux au ciel. « Profites en pour rigoler encore un peu, bientôt tu agiras exactement pareil tu verras. » Peut-être qu’effectivement, Ezra avait tendance à agir avec son fils comme un papa-poule mais en même temps, il avait toutes les excuses du monde pour le faire - à commencer par le faire qu’il n’avait pu voir son fils grandir les six premières années de sa vie et que cette dernière avait failli s’éteindre lorsque les deux hommes Beauregard avaient enfin fini par se rencontrer. Noah aurait quarante ans qu’Ezra serait toujours à agir de la même façon avec lui, il le savait d’avance. Le regard du jeune homme ne lâchait ne rien celui de la brune, pourtant, doux sourire accroché là où il était attendu. Il se moquait gentiment d’elle, avec un fond de vérité certes, mais pour souligner d’autant plus que l’inquiétude dont il faisait preuve quelques instants avant été mise en arrière et qu’il ne comptait pas revenir sur ce sujet là. « Je comptais rester cette nuit, est-ce que ça peut te rassurer ? » D’une main, avec douceur, il arrêta le geste de la demoiselle pour poser sa paume contre la peau de la main de Lily - sans décoller cette dernière de son propre visage. « Bien sur que ça me rassurerait. » Mais. « Mais j’étais sérieux tu sais quand j’ai dit que tu pouvais venir là et ne jamais repartir. » Ce n’était pas un mais qui allait à l’encontre des dires de la première partie de la phrase, bien au contraire. C’était là une façon d’appuyer d’autant plus sur les paroles qu’il avait adressé à Lily alors qu’elle se pointait chez lui. Ils avaient déjà lancé plus d’une fois dans des conversations, un peu comme ça, le fait que Lily était chez elle ici et qu’elle pouvait aller et venir comme bon lui semblait. Mais le fond avait toujours été le même: la vérité était aussi simple que cela et que si elle voulait être chez elle ici et de façon davantage permanente, elle n’avait qu’à le dire. Ezra ne voulait cependant pas de nouveau alourdir la conversation, ou appuyer sur un point qui serait peut-être s’avancer de trop aux yeux de Lily en cet instant, alors il ajouta avec un sourire quelque peu moqueur: « Mais bon, avec ton bras en moins on va se retrouver dans une situation où c’est moi qui vais devoir cuisiner et tu risques de vouloir repartir en courant dès ce soir si c’est le cas. » Oh, elle était parfaitement au courant des - non - prouesses culinaires du Beauregard. Même Noah connaissait le numéro du pizzaiolo du coin par coeur, désormais.

Les choses ne vont pas aussi bien que Lily pourrait l’espérer mais l’annonce de sa grossesse permet au moins de leur donner une raison de sourire et peut-être même d’être heureux, état d’esprit qu’elle ne peut que souhaiter au Beauregard. Il a vécu le pire comme le meilleur et elle promet de participer autant que possible à son bonheur ; certainement rien d’autre. « T’es heureuse aussi ? » Aussi étonnée que touchée par sa question qui n’a rien d’enfantine dans leur situation, elle partage déjà un premier sourire avec lui. Encore une fois, elle aurait préféré qu’aucune contrepartie ne s’imisce dans son esprit ni aucun ‘mais’ d’aucune sorte, mais la réponse ne change pas, plus évidente que jamais. “Bien sûr, oui. T’as pas idée d’à quel point.” Son sourire, calqué sur celui d’Ezra, grandit un peu plus. Il est la seule raison pour laquelle elle est heureuse en cet instant bien précis. Sans lui, la journée de la veille aurait suffit à la mener plus bas que terre et surtout l’y laisser. Désormais, maintenant que la nouvelle est partagée avec le premier concerné et qu’elle s’est entendue avec lui sur le fait de garder l’annonce secrète pendant quelques semaines, elle sent un immense poids se retirer de ses épaules. Rien ne peut être pire et, surtout, beaucoup de choses peuvent être bien meilleures encore.

Avec un flot de paroles rapide, elle souhaite mettre derrière eux le sujet de l’incident et, surtout, de son accident. Elle veut et doit protéger Ezra, raison pour laquelle elle le tient éternellement à part de toute une portion de sa vie, persuadée que ce n’est que bon pour son bien autant que c’est éphémère. Quand cet enfant sera là et qu’elle passera le plus clair de son temps auprès d’eux deux, tenir un tel secret sera plus difficile que jamais, pour ne pas dire impossible. Lily ne fait rien par plaisir et observer l’australien ravaler et se forcer à ne rien ajouter de plus à la discussion n’a rien de facile pour elle qui rêve d’un jour où ils pourront tout se dire, sans la moindre crainte, filtre ou retenue. Ce n’est pas encore arrivé, de façon évidente. « D’accord. » Elle souffle imperceptiblement, soulagée qu’il ne tente pas d’aller plus loin et décide de rendre les armes. Il n’aurait rien trouvé de bon le cas contraire et, dans l’idée de désamorcer la situation et de tous deux les faire passer à autre chose, c’est avec un sourire amusé qu’elle lui propose de s’occuper en lui massant le bras. C’est un échappatoire comme un autre, sans doute, mais il a au moins le mérite d’être une parfaite safe zone pour chacun d’eux. « Je vois que tu perds pas le nord quand même, hein. » Enfin, c’est bien plus par envie que par besoin qu’elle retrouve ses lèvres pour l’embrasser, cette histoire momentanément derrière eux. Avec un peu de chance, elle aura vraiment le droit à son massage.

« Profites en pour rigoler encore un peu, bientôt tu agiras exactement pareil tu verras. » Elle se pince les lèvres, coupable. Par avance, elle sait qu’elle s’occupera de son enfant comme de la prunelle de ses yeux, quitte sans doute à se montrer un peu trop étouffante parfois. Après tout, cela fait plus de dix ans qu’elle se prépare à devenir mère et élever aussi bien que possible un petit humain en ce monde. “C’est pas une critique. Tu es un très mignon papa poule.” Simplement, elle le préfère lorsqu’il donne toute cette attention à son fils et non à elle, à cause de cette éternelle crainte qu’il trouve une faille qu’elle a failli à cacher. Pour l’heure, le sourire qu’elle affiche suffit à lui prouver qu’elle n’est définitivement pas en train de lui reprocher quoi que ce soit. Au contraire, elle lui prouve n’avoir aucun ressenti à son sujet lorsqu’elle finit par lui demander à demi-mots de rester pour la nuit, espérant plus que jamais que sa réponse soit positive, comme elle l’a toujours été jusque-là. Le fait qu’il prenne le temps de déposer sa main contre celle de Lily, déjà contre la joue du brun, suffit à lui donner un aperçu de sa réponse. « Bien sûr que ça me rassurerait. » Et elle le bénit, Ezra, pour être un homme constant et droit. « Mais j’étais sérieux tu sais quand j’ai dit que tu pouvais venir là et ne jamais repartir. » Elle le sait bien, ça. Elle l’a su dès la première proposition de sa part et toutes celles qui s’en sont suivies n’ont été qu’une éternelle confirmation. Elle le sait autant qu’elle pensait que c’était une mauvaise idée hier encore, parce qu’Alfie a besoin d’elle, parce que sa relation avec Ezra ne porte aucune étiquette lui autorisant à partager son toit et son lit de façon quotidienne. Pourtant, c’est bien chez lui qu’elle se réfugie perpétuellement depuis plusieurs mois et c’est bien lui qu’elle retrouve encore aujourd’hui, détestant plus que jamais Alfie Maslow. Ses pensées divaguent, sa bouche s’ouvre pour mieux se refermer dans un bruit. « Mais bon, avec ton bras en moins on va se retrouver dans une situation où c’est moi qui vais devoir cuisiner et tu risques de vouloir repartir en courant dès ce soir si c’est le cas. » Lily rigole de bon coeur, prise de court par le fait qu’il s’autorise à déjà faire des blagues sur son état de santé. “Moi qui allais proposer de commander à manger pour ce soir, t’as raison, vaut mieux qu’on occupe les prochaines heures à t’apprendre comment préparer des légumes.” Elle reprend dans le même élan, n’ayant désormais plus aucun mal à trouver ses mots. Ce sont les instants simples qu’elle chérit le plus à ses côtés, mais elle refuse tout de même de le laisser sans réponse, raison pour laquelle elle prend le temps de revenir sur une portion de leur conversation. “Tu me donnes quelques jours pour y réfléchir sérieusement ?” Les mensonges reprennent déjà alors qu’en vérité, sa décision est déjà prise: elle ne quittera sans doute plus jamais cet appartement, et certainement pas pour retourner avec Alfie. “Même si je reste persuadée que tes talents de masseur risqueraient de faire pencher la balance.” Elle reprend et termine son argument, la tête penchée en arrière pour qu’elle puisse un instant jouer avec ses cheveux. Plus que jamais, elle veut vivre avec Ezra.

La question était simple comme bonjour, aux yeux d’Ezra - il ne voyait pas Lily répondre autre chose que oui ou non, peut-être avec un peu plus d’arguments que lui ajoutés cependant, mais sa réponse commencerait comme ça dans son esprit. Après tout, soit elle était heureuse soit elle ne l’était pas, mais la possibilité d’une autre réponse n’effleurait même pas l’esprit du Beauregard. Son coeur retint cependant son souffle un instant, alors qu’elle ne répondait pas dans la seconde - petite crainte que la réponse soit négative tout de suite balayée lorsque les lèvres de la brune s’étirèrent en sourire. « Bien sûr, oui. T’as pas idée d’à quel point. » Parce-qu’après tout, elle était la personne à l’origine du projet qui grandissait désormais sous son nombril, et Ezra espérait bien qu’elle soit réellement heureuse alors que ce qui étaient des idées, des suppositions et des envies encore quelques jours plus tôt se transformaient en réalité. D’ici à quelques mois, ils seraient parents, un bambin en pleine apprentissage de la vie entre les mains et auraient toutes les raisons du monde d’être heureux jusqu’à la fin des temps - parce-qu’importe ce que le monde autour d’eux pouvait dire et qu’importe ce qui pourrait leur arriver, un enfant était une source infinie de joie et de baume au coeur jusqu’à temps que ce dernier soit trop vieux pour continuer à faire des efforts.

« C’est pas une critique. Tu es un très mignon papa poule. » Il plissa le bout du nez, se moquant en silence de la réponse de Lily - mais seulement en silence. En réalité, l’idée d’être associé au terme papa-poule ne le dérangeait en rien et même ajoutait là une couche de baume à son coeur. S’il n’avait pas agir de la sorte avec Noah, ou pas assez à son avis - et surtout de façon bien trop tardive -, il aurait tout le loisir de s’adonner à ce rôle là dès que le petit être qui serait leur enfant d’ici à quelques mois pointerait le bout de son nez. Alors, même s’il prétendait être d’une quelconque façon vexé alors que ce n’était en rien le cas, ce fut un sourire qui illumina son visage en plus du reste de ses expressions. Lily ferait une bonne maman poule, aussi, dans un style bien différent de lui mais d’une manière qui pourrait fonctionner sans trop de soucis. « Du moment que je suis mignon ça me va. » Bien sur qu’ici et là, c’était l’humour qui prenait le dessus plutôt que tout le reste car c’était la façon dont Ezra savait le mieux s’en sortir dans des situations au contexte parfois un brin délicat.

Cependant, au delà de l’humour avec lequel il teintait facilement ses paroles, Ezra se sentit obligé de préciser - peut-être pour une énième fois, il ne nierait pas si on lui pointait une telle chose du doigt - à la jeune femme qu’une porte ouverte l’attendait réellement et qu’il serait plus que ravi qu’elle saisisse l’opportunité. Au delà du fait qu’il était sincère en lui disant qu’il l’aimait et qu’il se faisait du soucis pour elle - ça avait été en réalité le cas durant la dernière décennie, de près ou de loin, il avait toujours porté la brune dans son coeur -, il voulait maximiser leurs chances de faire les choses au mieux pour leur futur enfant et pour lui, pouvoir être présent auprès de Lily autant de temps que possible au fil des jours était primordial. Si elle préférait continuer de résider ailleurs,  il accommoderait son quotidien autrement; mais les choses seraient d’autant plus faciles pour tout le monde si elle considérait réellement l’idée de prendre ses cartons et de les déposer dans le même foyer où elle se tenait en cet instant. « Moi qui allais proposer de commander à manger pour ce soir, t’as raison, vaut mieux qu’on occupe les prochaines heures à t’apprendre comment préparer des légumes. » Bien sur qu’elle choisis dans un premier temps de répondre à la partie des paroles d’Ezra qui contenait la marque d’humour, l’emprunte de légèreté. C’était le moyen de prendre un peu d’élan avant d’engager quelque-chose de plus sérieux, moins simple. « T’es en train de me dire que j’ai loupé une occasion de me taire, c’est ça ? » Parce-que blague mise à part, il aurait largement préféré miser sur l’option commander plutôt que sur légumes - mais bon, de ce côté là, ça n’avait jamais été lui le chef et ce n’était pas avec le temps et ce qui les attendait que les choses iraient dans son sens.

« Tu me donnes quelques jours pour y réfléchir sérieusement ? » - « T’as tout le temps du monde. » Ezra n’avait pas attendu une seule seconde pour répondre à la question de la jeune femme, hochant lentement la tête. « Je sais que ça fait beaucoup de choses à digérer d’un coup, et que tu préfères quand tu peux avoir le contrôle de la situation. » Ce n’était en rien un reproche ou même un commentaire déplacé, simplement la constatation de ce qu’il connaissait depuis des années - et d’un exemple parmi tant d’autres sur sa liste de pourquoi Lily et lui se complétaient, finalement. Le Beauregard faisait partie de ces personnes qui n’avait que peu d’organisation dans sa vie privée, alors la présence de quelqu’un comme Lily ne pouvait être que bénéfique dans sa vie. « Même si je reste persuadée que tes talents de masseur risqueraient de faire pencher la balance. » Et alors, un rire côté Beauregard se fit entendre - franc, fort. Il y mettrait du sien, elle pourrait compter sur cette partie là de l’histoire. En revanche, il n’était pas autant persuadé qu’elle que cela pouvait être comparé à un talent. Mais oui, promis, il essayerait du plus fort qu’il le pourrait. « Ca PLUS mes futurs talents de cuisinier hors pairs, madame va être servie. » Et puis, avec et sans réellement de transition en réalité - simplement une suite d’idées de choses qui allaient peut-être ravir Lily mais surement surtout lui faire lever les yeux au ciel. « Oh, d’ailleurs, Noah m’a demandé s’il pouvait avoir un chien et j’ai dit que c’était négociable pour Noël. » Alors son petit sourire se transforma lentement mais surement, de façon appropriée, en petite grimace - après tout, si elle décidait de poser ses affaires ici de façon bien plus permanente, autant qu’elle soit au courant de suite. Parce-que, qu’importe qui vivait sous ce toit, qu’importe si Lily emménageait et que Noah était toujours loin, Ezra ne comptait pas déroger à sa promesse. « Mais en vérité je compte lui faire la surprise dès qu’il reviendra. » Parce-que dans son esprit, à côté de tout ça, il n’y avait aucune version de la réalité dans laquelle ils vivaient où Noah ne pouvait pas revenir vivre chez son père.

Ezra adoucit considérablement sa journée, il lui permet de voir toutes les choses sous un angle nouveau et sans nul doute infiniment plus plaisant. Elle se permet de l’observer avec un sourire doux, comblé. Tout n’est pas comme elle se l’était imaginé, tout n’est pas parfait, tout n’est pas enviable mais elle pense pourtant pouvoir prétendre au bonheur ou tout du moins à une partie de celui-ci. Rien n’est comme elle se l’était imaginé, au final, mais peut-être que ce n’est pas si pire qu’il y paraît. Son bras lui fait encore terriblement mal et elle se refuse à toute médication dont elle n’aurait pas au préalable discuté avec son médecin mais ce n’est rien en comparaison de tout le bonheur que l’arrivée de cet enfant lui procure déjà, à elle, et à lui aussi, qu’elle accable parfois de compliments d’adolescents. « Du moment que je suis mignon ça me va. » Et lui d’y répondre de l’éternelle même façon, les acceptant sans jamais être capable de s’en vanter pour autant. C’est comme s’il n’avait pas conscience de la personne qu’il est, Ezra, et elle se jure d’assez le lui répéter pour qu’il l’accepte le moment venu.

Pour l’heure, elle reste encore bien trop occupée à doser ses paroles, entre rêve et réalité, pour pleinement se concentrer sur son envie de rendre le Beauregard heureux. Elle doit se remémorer de ce qu’il peut ou non savoir, de ce qu’il peut ou non croire et, surtout, de ce en quoi il peut ou non avoir espoir. Bien sûr qu’elle ne rêve plus que d’une vie avec lui, désormais, c’est évident - ça l’est d’autant plus à en juger par la façon dont sa dernière entrevue avec Alfie s’est terminée. Cependant, elle ne peut pas se permettre de soudainement lui sauter dans les bras, comme si tout était aussi simple, comme si toute leur histoire pouvait se résumer à ce que Lily Keegan désire - ou bien si, justement ? « T’as tout le temps du monde. » Quand bien même sa décision est déjà prise, elle le remercie d’un simple signe de tête et d’un clignement de paupières. Elle ne le laissera pas attendre indéfiniment, c’est promis, mais pour l’heure elle occupera sa maison de façon informelle, parce que tout est bien plus simple ainsi. « Je sais que ça fait beaucoup de choses à digérer d’un coup, et que tu préfères quand tu peux avoir le contrôle de la situation. » Elle étire un sourire en coin, prise de court par des paroles qu’elle n’attendait pas. “Touchée.” Lily murmure donc naturellement, sans penser à ce qu’il en dira à son tour, ni aux autres conséquences de ce simple mot. Il le connaît bien assez pour le savoir, même elle ne peut le nier. Avec lui, elle veut croire que les choses seront différentes. Avec lui, elle veut croire qu’elle peut arriver à faire les choses bien, du début à la fin, sans aucun dommage collatéral, et surtout pas Ezra ni même Noah.

Dans un sourire amusé, Lily préfère finalement prendre la tangente et changer malicieusement de sujet, soulignant les avantages qu’elle aurait à possiblement envisager une vie auprès du brun face à elle. « Ca PLUS mes futurs talents de cuisinier hors pairs, madame va être servie. » Son sourire n’en finit plus, ses yeux n’ayant pour vue que les siens. Elle sera heureuse, elle le sait déjà. Parce qu’elle connaît Ezra, parce qu’elle sait ce qui les attend désormais et, surtout, parce que c’est la vie qu’elle aurait dû choisir il y a longtemps de ça. « Oh, d’ailleurs, Noah m’a demandé s’il pouvait avoir un chien et j’ai dit que c’était négociable pour Noël. » Le changement de sujet l’étonne, sans que ce soit pourtant sorti de nulle part non plus. La main qu’elle a posée contre sa hanche sans s’en rendre compte refuse catégoriquement de s’en déloger désormais, sans que cela ne semble le déranger pour autant. Son regard chavire vers la curiosité, une mince surprise aussi. “C’est lui qui veut un chien ou c’est toi ?” Les deux, sans nul doute, parce que père et fils sont comme des jumeaux avec quelques décennies d’écart. La brune n’ajoute rien, la décision du Beauregard étant déjà prise, son avis n’allant de toute façon pas contre cette idée. Tout ce qu’elle souligne, c’est qu’il la questionne déjà sans que rien ne soit officiel, ni son emménagement dans cette maison, ni un quelconque rôle auprès de Noah, ou d’Ezra lui-même. Pourtant, tout semble naturel, évident. « Mais en vérité je compte lui faire la surprise dès qu’il reviendra. » Comprenant sans mal le sous entendu de cette question et l’aspect quelque peu hasardeux de la date de son retour, elle caresse doucement sa peau avec sa main, voulant le rassurer sans insister de trop avec des mots surfaits. “Il sera le plus heureux garçon du monde.” Et en attendant, elle se donne donc pour objectif que de chercher auprès d’Ezra le meilleur chien de famille qui soit pour le garçon, et pour eux aussi.