Le stress féminin – insérez ici un soupire de lassitude.
On avait beau la qualifier de sexiste, cette conviction n’en restait pas moins encrée dans l’esprit du quinquagénaire : les gonzesses n’étaient pas capables de gérer leurs émotions et sa fille, ce matin-là, en était la preuve irréfutable. « Attend ! » Antone coupa le contact. « J’ai oublié ma trousse ! » Dit-elle avant de descendre une fois de plus de la moto. C’était le troisième faux départ de la matinée pour Soo dont l’examen avait lieu une heure et demi plus tard, en centre-ville. Rendu patient par les années d’expérience au contact de la gent féminine, Toni observa sa fille remonter l’allée de jardin en direction de la demeure familiale. Sur le pas de la porte, Maeva était là, la trousse tendue en direction de l’étudiante. Le corse croisa le regard de sa sœur qui lui décocha un sourire narquois. Le voir se faire manipuler par ses nièces restait indéniablement l’un des passe-temps préférés de la marseillaise.
Lorsqu’ils arrivèrent à proximité du centre d’examen, Antone gara sa Harley sur une place de parking attenante à un café. S’il était évident que sa fille n’avait pas besoin de caféine pour être survoltée en ce jour de grand jury, il n’en restait pas moins qu’un smoothie ou un jus d’orange seraient les bienvenus pour compenser le petit déjeuner qu’elle avait boudé au réveil, incapable d’avaler quoique ce soit de solide. « On respire. » Intima-t-il tout en lui tenant la porte à sa progéniture. Il pouvait voir entre ses sourcils froncés que Soo s’inquiétait inutilement. En tant que professeur, Antone fréquentait bon nombre d’étudiants et pouvait affirmer que sa fille se positionnait dans la catégorie des plus doués d’entre eux – toute subjectivité paternelle (presque) mise à part. Elle allait s’en sortir et passer haut la main, Toni n’avait aucun doute là-dessus, mais convaincre cette tête de mule au moins aussi bornée que lui était une tâche ardue.
Ils étaient assis l’un face à l’autre, parlant de tout et de rien, lorsqu’un tintement de cloche se fit entendre. Antone, qui tournait le dos à la porte, n’y prêta aucune attention, considérant qu’il s’agissait d’un client lambda. Sa fille, revanche, ouvrit de grands yeux et se mit à rougir à une vitesse alarmante derrière la paille de son smoothie. « C’est lui ! » Étouffa-t-elle en coréen tout en se cachant soudainement derrière ses longues mèches de cheveux noires. Toni fut surpris de la voir réagir de la sorte, Soo était-elle en train de rougir ? Curieux, il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. Son regard tomba sur le profil d’un jeune homme aux cheveux rose en train de passer commande au comptoir. Instantanément, le père se dit qu’il était fort peu probable que sa gentille petite fille parfaite fréquente ce genre de punk mais c’était bien mal connaître Soo et tout ce que cette introvertie cachait de passions hasardeuses et de mauvais coups responsables de la plupart des disputes à la maison. « Lui qui ? » Demanda le corse. « Fisher ! » L’artiste qu’elle écoutait en boucle depuis des années ? Jamais Sisco ne l’aurait imaginé avec un tel look, lui qui ne connaissait du chanteur que sa voix et ses compositions. « Alors quoi ? » Interrogea-t-il, amusé de voir son enfant aussi intimidée. « Va le voir ! » Il avait l’impression de remonter le temps et d’être à nouveau ce jour où ils étaient allés rendre visite au père noël du centre commercial pour prendre une photo. Soo secoua nerveusement la tête. « Non, je … » Elle jeta un œil à sa montre, visiblement tiraillée entre son envie d’entrer en contact avec son idole et celle de ne surtout pas arriver en retard à l’examen.
Ton casque pour écouter la musique sur tes oreilles, tu te mets dans la file pour attendre ton tour. Tu as l’album Eternal Blue de Spiritbox dans les oreilles et autant dire que vu la qualité de ton casque et la voix de Courtney qui crie fort, tu n’entends absolument rien de ce qu’il se passe autour de toi. Tu n’as pas envie de faire la conversation avec la personne devant toi dans la file, ni la future qui sera derrière toi nope. Surtout pas quand tu es en train d’écouter un si bon album que tu aimes de tout ton coeur et que tu n’as pas écouté depuis longtemps. L’impression de retrouver un vieil ami à chaque fois. T’es venu à pied parce qu’il fait bon ce matin et il fait beau aussi. Fortitude à Spring Hill c’est franchement pas loin mais la réalité c’est surtout que tu as des grandes jambes Jordan. Tu vas forcément plus vite qu’une personne lambda. Mais ouais, marcher avec de la musique que tu aimes dans tes oreilles c’est une des choses que tu préfères faire.
Un IMMENSE sourire s’affiche sur tes lèvres quand c’est ton tour de commander au comptoir et que la toute dernière chanson de l’album touche EXACTEMENT à sa fin. Tu aimes tellement quand le timing est si parfait comme ça. Tout d’un coup tu sais que cette journée va être une bonne journée. Tu ôtes ton casque que tu laisses poser sur tes épaules autour de ton cou. Tu commandes ton milkshake, la plus grande taille et à la pistache. Tu vas attendre au coin du comptoir qu’il soit prêt et vraiment le sourire sur ton visage est toujours si large. Tu regardes même un peu les gens qui sont dans l’endroit, tu vois une table libre, tu iras t’asseoir un peu, t’as marché près de 50 minutes, tu mérites. Et puis ton regard qui croise celui d’une jeune fille qui détourne aussitôt la tête. Tu regardes la personne à côté d’elle. Hmmm. T’as une impression de déjà vu et peut être que tu restes plus longtemps qu’il ne serait correct à regarder le joli monsieur qui en plus a l’air bien grand. « Large milkshake pistache pour Jordan. » Ton gobelet qui est prêt et qui te sort de ta fixation. Merci encore l’univers hein. Il est bien avec toi aujourd’hui Jordan. Ouais. Tu apprécies. « C'est moi. Merci. » Poli comme un coeur toujours. Tu vas prendre ta boisson.
La panique de Soo était palpable. Pris au dépourvu par tant d'émotions aussi soudaines, Antone observa sa fille attraper son sac, se lever d'un bond, courir vers la sortie en s'attirant les regards des clients, s'arrêter net, tourner les talons, revenir vers lui pour lui embrasser la joue puis fuir à nouveau tel l'enfant de 6 ans qu'elle était jadis. A travers la baie vitrée du café, le corse vit sa cascade de cheveux noirs disparaître au vent tandis qu'elle traversait la rue pour rejoindre le centre d'examen. Il ne l'avait jamais vu dans cet état.
Face à lui, le smoothie de Soo à peine entamé criait à l'abandon. Antone s'en empara et commença à le siroter tout en se tournant une nouvelle fois vers la cause de toute cette agitation. Incroyable de constater à quel point ce drôle de phénomène venait de transformer son Hermione Granger de fille en petite souris effrayée. Fisher venait de récupérer sa commande au bar et Toni en profita pour lui faire signe. Il n'avait rien à perdre à tenter le tout pour le tout en entrant en contact avec ce garçon et chercha à attirer son attention. D'un geste de la main, il invita l'idole à le rejoindre, lui rendant par la même occasion ce grand sourire sympathique qu'il affichait sous ses cheveux rose.
« Vous venez de faire fuir ma fille ! » L'accusa-t-il gentiment, en lui indiquant la place laissée vacante par Soo. « C'est votre plus grande fan. » Le corse pesait ses mots. Il aurait pu fredonner de tête la plupart des mélodies de son album tellement ce de dernier avait tourné en boucle des mois durant, au première étage de la maison Sisco, là ou se trouvait la chambre de Soo.
Tu avances jusqu’au coin où se trouve les pailles et tu en prends une en même temps que tu vois l’homme de juste avant te faire signe. Tu lui donnes ton attention et tu comprends qu’il veut te parler ? La jeune fille qui était à ses côtés n’est plus là et c’est parce qu’il te parle énormément ce type que tu t’approches de lui. Intrigué. Tu n’arrives pas à mettre de nom sur son visage mais tu es certain.e de l’avoir déjà rencontré. « Vous venez de faire fuir ma fille ! » Tu es surpris.e de l’information car tu as absolument rien fait pour. « C'est votre plus grande fan. » Oh. Tu apprécies qu’il ait donné toutes ces informations d’entré de jeu car tu comprends bien mieux tout à coup. « Vraiment ? » Tu es touché.e, surpris.e, flatté.e et encore bien d’autres adjectif qui sont que du bon à ton âme. Un doux sourire sur ton visage alors que tu t’assoies un peu trop naturellement à la table de ce mec que tu ne connais pas du tout. Ton cerveau qui est perturbé - dans le bon sens - par cette nouvelle, tu ne réfléchis plus tant que ça. Tu voulais t’asseoir pour boire ton milk shake, tu es à présent assis et tu es en train d’ôter la paille de son papier pour pouvoir enfin goûter la douceur de cette boisson qui est la meilleure du monde (en toute objectivité).
« Elle va revenir ? » Tu demandes naïvement car tu sais réellement pas et maintenant que t’es en train de te taper la causette avec son père, peut être que ça sera plus simple pour elle. « Je vous ai déjà croisé non ? » Tu demandes enfin alors que tu le dévisages presque oui. « Je suis sûr je vous ai déjà croisé. » Que tu ajoutes la voix bien plus sûre que deux secondes avant avec ta question. « C’est quoi votre nom ? » Car ça va pouvoir t’aider c’est certain. C’est une information non négligeable. Tu réaliseras bien vite après ses informations qu'il est le type avec qui tu as visité l'aquarium il y a un millénaire de ça. Un fantôme du passé. De cette autre vie. Ca te fait réaliser tout le chemin que tu as parcouru depuis... Ca te met toujours autant une claque et tu es vraiment très très reconnaissant.e jusqu'à la fin de tes jours.