Perché sur le toit de la banque, Jax a laissé la Justice enfermer Hoover à défaut de l’expédier au cimetière. Depuis, le sommeil est revenu. Aussi soudainement qu’il s’était réveillé de son coma insomniaque chronique, le voilà à nouveau capable de dormir plus de deux ou trois heures par jour. Les effets bénéfiques de ses nuits complètes se lisent sur son visage aux traits beaucoup moins tirés, quand bien même c’est les sourcils froncés qu’il se présente à l’accueil du service psychiatrique de l’hôpital. Reposé ou non, l’agent n’aime pas se trouver ici.
Comme à chaque fois, Mills s’assied sur la même chaise et s’enferme dans sa musique le temps que la secrétaire se libère. Pendue au téléphone, cette dernière lui fait signe que ça ne sera pas long avant qu’elle n’accède à sa requête. Elle est nouvelle, cela se voit, l'ancienne était capable de faire plusieurs tâches en même temps. Qu'importe. Jax est venu ajouter d’autres rendez-vous à son planning déjà lourdement chargé en séances de retourne cerveau. Contrairement à d’habitude, les écouteurs nichés dans ses oreilles diffusent une musique douce, volontairement choisie pour calmer la violence de ses démons que les entrevues avec la psy ont tendance à malmener. Un conseil de Sparrow pour travailler sur l’aigreur que le suivi psychologique imposé par l’AFP lui inspire. L’objectif de cet été est simple : mettre les bouchées double afin de valider son test de réhabilitation. Septembre, date fatidique, approche à grand pas.
Mains dans les poches de son jean, Jackson attend son tour. C’est la fin d’après-midi et personne d’autre ne patiente à ses côtés. Derrière la porte du cabinet, le dernier patient ne devrait plus tarder à sortir, signant de son départ la fin des consultations journalières. Dehors, un soleil timide d’automne éclaire le parc de l’hôpital. Dans quelques jours à peine aura lieu la première course de RUN FOR JUDY, comme le précise le t-shirt au nom de l’événement qu'il porte en guise de publicité. Mills s’applique à y penser chaque fois que son esprit essaye de lui jouer des tours en revenant sur les événements désagréables de ces derniers mois. Toujours sur les conseils de Sparrow, il a accepté de partager le travail d’organisation avec Joy afin de ne pas faire de l’association un sable dans lequel se cacher la tête telle une autruche mais plutôt un terreau fertile ou se reconstruire maintenant que sa raison de survivre n’existe plus. Le procès, la vengeance, la colère … Il doit '' tourner la page ''. Si l’image semble poétique, la pratique, elle, n’a rien de plaisant à mettre en place. Un pas après l’autre, l’agent apprend à aller de l’avant et ne plus vivre dans le passé.
La porte du cabinet s’ouvre. Par réflexe, Jax lève les yeux. Le regard qu’il croise vient le chercher dans toute son impulsivité animale. Interpelé, il se redresse tout en tirant sur le fil de ses écouteurs. Son esprit passe d’une ambiance sonore décontractée au silence pesant s’installant dans le hall d'accueil tandis que Brody lui fait face. Enceinte ?! Mills bloque sur son ventre, affichant une expression horrifiée. Assise à exacte distance de l’un comme de l’autre, la secrétaire raccroche et se tourne vers l’agent. « C’est pour une prise de rendez-vous ? » L'intéressé ne répond pas, trop concentré sur la gestion de son agressivité que la vision de Deborah réveille instantanément. Silencieux, il serre le poing et s’efforce de réagir de manière civilisée, convaincu qu’un scandale dans le service du professionnel de santé en charge de faire les comptes rendus de ses séances à ses employeurs ne lui apportera que des emmerdes. « S’il vous plait. » Finit-il par répondre d’une voix rendue raide par la crispation. Se détourner de la brune, la sortir de son champ de vision et jouer la carte de l'indifférence reste sa meilleure porte de sortie. Aussi s'approche-t-il du comptoir sur lequel il s'accoude. « Mills. »« Jackson ? » Hochement de tête.
Rares étaient les moments où Debbie excellait dans ce domaine : fermer sa gueule. Elle détenait la palme quand elle était chez la psy. Endroit où il était pourtant important de s’exprimer, la brune ne disait rien ou pas grand-chose. Elle détestait cet endroit, elle détestait ce qu’on essayait de lui faire subir, elle détestait parler de ce qu’elle avait vécu et des conséquences que ça avait aujourd’hui. Son ventre rond lui rappelait tous les jours ces temps-ci. La même physionomie qu’une femme enceinte de trois mois et demi-quatre mois mais un utérus vide. Non, bien sûr que non ça ne lui faisait pas plaisir de parler de ça. Alors souvent la psy parlait toute seule. Elle posait des questions, l’Irlandaise ne répondait que le strict minimum. Un jeu du chat et de la souris et Debbie était clairement la souris. Elle parvenait, parfois, à détourner les questions, à répondre ce qu’on n’attendait pas mais souvent elle était prise au piège. Sa mine défaite en sortant du cabinet en était témoin.
La psy posait des questions qui fâchaient mais sur l’instant, Deborah en oubliait son énervement et c’était la peur qui frappait son estomac lorsque son regard croisait le sien : Connor. Instinctivement, sa main était restée sur la poignée de la porte qu’elle venait de fermer et son regard dérivait un instant sur la secrétaire. Qu’est-ce qu’il foutait là lui ? Si on lui disait qu’il venait pour des stages de gestion de la colère, ça ne l’étonnerait même pas… Pendant un instant, elle se demandait pourquoi il la fixait ainsi. Des mois en arrière, elle aurait parié sa main à couper qu’il était venu, elle ne savait comment, récupérer son carnet à la con. Aujourd’hui, rien que par son regard, il arrivait à lui foutre le doute. Et si ce n’était pas lui ? Et si elle l’avait perdu ? Et s’il mettait à exécution ses menaces à la sortie de l’hôpital ? Mouais, au moins elle sera déjà sur place, voyons le positif…
Et finalement tous ses doutes s’envolèrent lorsqu’il approchait de la secrétaire en lui répondant par la positive et en donnant son nom. Les traits de son visage ne cachaient absolument pas le choc, la claque qu’elle venait de se prendre en pleine face. Son physique qu’elle rapportait à Connor, sa voix qu’elle associait à Jax, son véritable prénom révélé par cette femme, la façon qu’il avait eu de lui parler la dernière fois qu’ils avaient communiqué et qu’elle lui avait donné son prénom… toutes les pièces du puzzle se remettaient en place et expliquaient, presque, ce regard d’énervement qu’il portait aujourd’hui sur elle. Jackson était l’homme d’Halloween et davantage encore de Tinder. « Putain... » Un murmure, incapable d’exprimer autre chose. Instantanément, elle repensait aux conversations qu’ils avaient eu, au flirt maintenu pendant longtemps et plus encore à tout ce qu’elle lui avait confié. Qu’avait-il cherché au juste ? La baiser plus qu’il ne l’avait déjà fait histoire d’achever le traumatisme ? Elle avait envie de gerber et rien à voir avec une quelconque nausée liée à sa grossesse nerveuse. Alors sans demander son reste – ni prendre le prochain rendez-vous qui justifiait jusqu’ici son attente – elle se dirigeait vers les toilettes situées dans le couloir.
Pourquoi fallait-il que tout s’enchaine quand elle ne cherchait qu’à tout éteindre ? Les médias qui les pressaient (Camil et elle) pour en savoir plus, les symptômes de sa grossesse nerveuse qui ne la laissaient plus tranquille ne serait-ce qu’une journée, l’alcool qu’elle avait trouvé comme seul remède mais qui commençait sérieusement à se faire une place trop importante dans sa vie, l’absence de ses plus proches amis, la déception et la peine pour le peu qu’elle tentait de s’en faire… Elle avait cette sensation de tourbillon incessant, persuadée qu’un pas en avant équivalait à dix en arrière quelques jours plus tard. Elle s’enfonçait sans voir le bout du tunnel et de rage, ne supportant juste plus son propre reflet pitoyable, c’était son poing qui frappait le miroir, le côté de sa main. Par chance, elle ne s’était pas blessée mais pour combien de temps encore ? Les deux mains en appui sur le bord du lavabo, son regard embué par les larmes ne l’empêchait pas de le voir, ce morceau de miroir brisé qui était tombé dans la vasque.
Ça serait si facile. Personne ne viendrait la chercher ici.
L’idée la traversait réellement pour la première fois. Les paupières closes pour rompre le contact, c’était l’image de Camil qui venait à elle. Il n’avait rien demandé, elle n’avait pas le droit de lui faire ça quand bien même il s’en remettrait. Rapidement suivie de celle de son fils, lui rappelant sans difficulté cette hypothèse qu’Adorján lui avait faite. Elle s’en voulait instantanément de penser à mettre fin à ses jours, elle se détestait pour ça mais que pouvait-elle faire d’autre quand elle avait cette sensation de vivre dans le chagrin en permanence ? Les phalanges de ses doigts devenaient pâles par la pression, les muscles de ses bras un peu tremblants par le trop grand poids qu’elle mettait dessus. Le faciès penché en avant, ses cheveux bruns dissimulaient sans difficulté son visage crispé, ses larmes silencieuses, sa mâchoire serrée par la force qu’elle y mettait pour ne pas céder à cette pulsion qui lui paraissait être la seule solution à cet instant précis. Et si c’était le cas ? Et si c’était la seule ?
Se focaliser sur la prise de rendez-vous s'avère difficile. Jackson tente d'accorder toute son attention aux propos que lui tient la secrétaire mais les acouphènes lui vrillant les oreilles rendent la tâche ardue. Sa mâchoire crispée trahit silencieusement son état d'esprit tandis qu'il parvient à faire illusion aux yeux de la nouvelle employée en poste depuis trop peu de temps pour connaître l'animal et ses sautes d'humeur chroniques. Cependant, le fait de parvenir à sauver les apparences ne rend pas moins intense la tempête intérieure venue remuer la vase. Sous la surface, Mills est aux prises avec les mêmes pulsions colériques responsables du trou dans la porte de sa chambre. Distrait, il laisse la secrétaire enregistrer les dates, approuve en hochant la tête et abandonne l'idée de noter les rendez-vous dans l'agenda de son téléphone portable au profit de la feuille qu'on lui imprimera de toute façon en résumé du planning des consultations. Tandis que résonne dans la salle d'attente désormais vide le son des touches pressées sur le clavier par les ongles manucurés, l'agent rumine. Il dirait bien à l'employée d'éviter de faire se chevaucher ses séances avec celles de la patiente tout juste sortie de la pièce mais la puérilité de la demande l'en dissuade. C'est plus renfermé que jamais qu'il quitte la réception, le papier chiffonné fourré dans la poche arrière de son jean et les écouteurs balançant autour de son cou au rythme de sa démarche déterminée à foutre le camp fissa.
Un bruit de verre brisé attire son attention tandis qu'il remonte le couloir. L'agent pile net, rattrapé par son intuition légendaire. Il sait. Avant même d'avoir envisagé d'ouvrir la porte des toilettes, Jax devine qui se cache derrière. C'est pourquoi la voix de Sparrow résonne à l'intérieur de sa tête, lui conseillant de laisser couler, de continuer son chemin, de résister à cette tentation que le sort lui sert sur un plateau d'argent comme pour mieux le mettre à l'épreuve. En plein dilemme, le corps de l'agent hésite, figé dans une immobilité inquiétante à deux pas des sanitaires. La crispation de son poing s'accentue lorsqu'il entend les sifflements de sa paranoïa tenter de prendre le dessus sur la raison à laquelle son esprit associe le timbre imaginaire de sa collègue. Mills ferme les yeux, inspire profondément, cherche à calmer le cercle vicieux des pensées corrosives tout juste bonnes à jeter du sel sur les plaies non cicatrisées de son orgueil mis à mal par toute cette histoire lui revenant à la gueule au moment où il s'y attend le moins ; au moment où sa détermination tremble encore d'avoir été à si rudement mise à l'épreuve, de l'autre côté du viseur, face aux portes du tribunal.
Il fait un pas, puis un autre et s'attend à passer au travers de ce test lorsque tout à coup sa main se pose sur la poignée de la porte. Mills ne réfléchit pas lorsqu'il la pousse et la referme derrière lui avec une aisance propre aux agents de terrain. Ses gestes sont nets, précis, tactiques, silencieux malgré la vivacité de la poigne avec laquelle il chope Deborah à la gorge sans s'inquiéter du miroir brisé dans l'évier ou de quoique ce soit d'autre. Sa vision, entravée d'un voile rouge mêlant colère et frustration, est étrangement réduite lorsque son regard se pose sur le visage de la poupée larmoyante collée au mur. À peine si ses pieds touchent encore le sol ; à peine si Jax prend conscience du point auquel il est en train de merder à l'instant même.
« Ça va mal se terminer pour toi si tu continues à m'chercher comme ça. »
Mais qui cherche qui, en réalité ? Son visage à quelques centimètres de celui de la brune n'est pas sans rappeler l'expression haineuse qu'il affichait en octobre 2021, le nez si prêt de la bouche de Hoover dans les chiottes du Casino qu'il aurait pu deviner la saveur des petits fours gobés par ce connard lors du gala de charité. Le temps d'un instant, Mills confond les réalités et superpose la frustration de ne pas savoir son agresseur six pieds sous terre avec la rancœur qu'il éprouve envers Brody. Ce transfert dangereux le rend aussi dominant que mauvais, tout ce qu'il faut pour laisser le champ libre aux voix qu'il est seul à entendre : celles de ses convictions biaisées depuis l'accident.
Personne ne veut le tuer. Personne ne le surveille. Personne ne complote contre lui. ... Mais personne n'est là pour le lui rappeler. Ni Sparrow, ni le psy, ni le bon sens.
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Dernière édition par Jackson Mills le Ven 5 Aoû 2022 - 3:52, édité 2 fois
Elle l’avait entendu, la porte d’entrée. Si elle se souciait de ne pas être vue dans cet état de vulnérabilité extrême – d’où l’intérêt de ne pas relever les yeux ni de tourner la tête vers la source du grincement – elle se fichait bien de savoir de qui il s’agissait. Tout ce qu’elle attendait était un nouveau claquement de porte. Soit parce qu’il aurait fait demi-tour, soit parce qu’il entrait dans une des cabines, peu importe au fond. Peut-être que c’était ce qu’elle aurait dû faire, s’enfermer dans une cabine. Les secondes lui semblaient être une éternité. Une sensation rattrapée par la réalité lorsqu’il la saisissait à la gorge. Tout allait soudainement très vite. Le seul claquement que ses tympans percevait était celui de son dos contre le mur, lui arrachant un cri rapide et une grimace de douleur. Ce n’était malheureusement pas la première fois qu’elle se retrouvait dans cette position. Le souvenir de Joseph l’écrasant littéralement contre la porte de la salle de bain remontait un instant à la surface. Juste le temps de disparaitre lorsqu’elle sentait son corps se tendre, hissé contre le béton, littéralement soulevée du sol de quelques centimètres. Une action qui, paradoxalement, lui ramenait les pieds sur Terre quelques instants. Ils étaient deux à lui en vouloir et le cœur du patin qu’elle était devenu se serrait à l’idée qu’elle puisse se dire que c’était tant mieux. Peut-être allait-il le faire à sa place…
Elle ne l’empêcherait pas.
A vrai dire, elle ne se débattait déjà pas et ne trouvait même pas d’intérêt à expliquer qu’elle ne cherchait rien et que la vie était tout simplement mal faite. Elle l’écoutait à peine, assaillie par des souvenirs ambivalents. La pointe de ses chaussures qui touchait à peine le sol lui faisait penser à cette pointe de pieds qu’elle avait exercé dans l’étreinte quand elle l’avait accueilli au parc. La force qu’il mettait pour la maintenir contre le mur n’était pas sans rappeler la facilité qu’il avait eu de la rapprocher de lui. Ses propres mains, enroulées par réflexe humain contre son avant-bras sans pour autant chercher à le défaire, étaient aussi délicates que celle qu’elle y avait apposé pendant leur baiser. Le vide dans son regard qui maintenait avec difficulté le sien tant le désir de clore les paupières définitivement était fort était à l’opposé même de l’étincelle qui s’était rallumée ce soir d’anniversaire. Quelle conne… Quelle putain de conne elle avait été ! Pas de quoi lui donner envie d’arrêter la manœuvre – ce n’était pas comme si elle avait envie de quoi que ce soit ces dernières semaines dans tous les cas. Si Jackson n’exerçait pas de pression profonde autour de son cou, c’était la gravité qui jouait ce rôle. Attirée de tout son poids vers le sol, c’était son corps qui s’écrasait dans sa main, imprimant l’empreinte de ses doigts sur sa peau fine. La peine qu’elle avait à respirer commençait à s’entendre dans le sifflement irrégulier de ses tentatives vaines de prendre assez d’air. C’était ainsi que les choses allaient se terminer ? Dans de vulgaires chiottes ? Elle ne se surprenait même plus à penser qu’elle ne méritait de toute façon pas mieux. Etouffée dans sa propre tristesse, le coeur au ralenti, le peu de force qu’il lui restait dans le réflexe de maintenir sa pointe de pieds semblait s’envoler. Jackson devenait son salut, le corps évanouit entre ses phalanges. Lavée du péché de s’ôter la vie, il paraissait qu’elle lui octroyait cette dernière tâche.
L'odeur de son shampoing. Jax pensait l'avoir oubliée ... jusqu'à la sentir à nouveau lui chatouiller les narines. Ses doigts se remémorent la pression délicate avec laquelle ils avaient encerclé la nuque de la jeune femme, lors de ce baiser anonyme au parc. Rien à voir avec leur crispation du moment tandis qu'ils cisailleraient presque la gorge de Deborah dans ces toilettes bien loin du ciel étoilé, des plats irlandais et de tout ce que l'obscurité avait d'enviable à leur offrir ... Sans lumière, pas de visu sur ce visage que Mills associe à la fois au chantage, aux mensonges et à la manipulation. Tout ce qu'il n'aime pas subir et tout ce à quoi il a pourtant l'habitude de prendre part dans son travail. Mais le travail c'est différent. Les criminels dans le viseur du projet epsilon, par exemple, méritent qu'on leur pourrissent la vie ... Lui, qu'avait-il demandé, au juste ? Certainement pas à ce qu'une michto en manque de divertissement s'amuse à le trahir à une période de sa vie où la moindre de ses émotions étaient à fleur de peau. Car s'il peine à se l'avouer, Jax sait pourtant bien que la tombée de rideau sur le petit manège de Brody est arrivée au pire moment : quelques jours à peine avant la fin du procès.
Dieu qu'il l'avait maudite, la nuit précédent le verdict, pour ce manque ressenti. Le manque de Swad, de cette confidente à qui parler, de cette amie imaginaire, de ce fantasme sur lequel concentrer son attention à défaut de sombrer dans la vendetta et de se retrouver armé jusqu'aux dents, quelques heures plus tard, prêt à finir en taule pour homicide volontaire et prémédité. Tout cela, au détriment de l'association, de Judy, de ses collègues et de ceux qui, d'une manière ou d'une autre, comptaient sur lui. La colère inouïe que Jackson avait ressenti en découvrant le pot aux roses ne l'avait clairement pas aidé à gérer son impulsivité, tout comme la frustration d'avoir été à ce point pris pour un con l'avait rendu plus téméraire que la moyenne ...
Téméraire, comme maintenant.
Mills vient tout simplement de perdre le contrôle de sa force et c'est ce constat plus que l'inquiétude vis à vis de l'état de santé de la brune qui le fait réagir. « Merde. » Un souffle choqué lui échappe tandis que la réalité le gifle. Il reprend contact avec ce qu'il se passe dans la pièce et lâche prise juste à temps pour permettre à Brody de reprendre un ultime souffle d'air. Par réflexe, l'agent la rattrape avant qu'elle ne s'écrase au sol, à moitié inconsciente et plus rouge qu'une pivoine. Pliant les genoux il accompagne la chute de son ennemie et fronce les sourcils aussi bien de contrariété que d'incompréhension. Pourquoi cette bitch ne s'est-elle pas débattue ? Il n'a même pas senti ses mains autour de son avant-bras, à bien failli la tuer sans même s'en rendre compte et sent son sang se glacer lorsque son regard croise à nouveau le ventre rond de la future mère. « A quoi tu joues, putain ? » Grince-t-il entre ses dents, paradoxal dans la façon qu'il a de la prendre dans ses bras comme on protège une victime en état de choc alors que ses inflexions, elles, témoignent de son ressentiment et de son agressivité. Sa main se pose sur le nombril de Brody, inquiète pour la vie fragile de l'autre côté de l'épiderme. Jax essaye de comprendre mais peine à trouver le moindre sens à l'attitude de l'irlandaise. Il pourrait jurer que les larmes sur son visage cramoisie étaient présentes avant qu'il ne l'étrangle mais ne sait plus s'il peut encore se fier à ses perceptions. Jusqu'ou cette actrice est-elle prête à aller pour faire illusion ?
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Dernière édition par Jackson Mills le Ven 5 Aoû 2022 - 3:58, édité 1 fois
Le corps évanouit, les membres inertes. On pourrait la croire morte quand elle se laissait juste faire. La sensation de liberté en bout de course et surtout de paix. Celle qu’elle recherchait depuis trop longtemps pour croire à son existence de son vivant. Rest In Peace, pas vrai ? C’est bientôt fini se disait-elle quand les forces semblaient la quitter. Dans un dernier reflexe comme pourrait l’avoir quelqu’un en train de se noyer, l’une de ses jambes s’était repliée contre le mur, probablement à la recherche d’un appui inexistant pour tenter de s’échapper. Moment judicieux qu’avait trouvé Jackson pour lâcher sa prise, lui octroyant un répit qu’elle ne souhaitait pas. A croire qu’il était fait pour l’emmerder jusqu’au bout celui-là. Sans surprise, elle chutait de tout son poids, ses muscles en manque d’oxygène incapables de la porter. Prise dans une toux significative d’une personne reprenant un souffle de vie, elle ne se rendait pas de suite compte qu’il l’avait rattrapé pour mieux l’accompagner vers le sol. Elle peinait à entendre ce qu’il lui disait, davantage préoccupée par la nécessité naturelle de retrouver un rythme cardiaque et une respiration. Elle avait la sensation de toujours sentir ses doigts pressants sa jugulaire et pour cause, des ecchymoses apparaissaient au fil des secondes. S’il n’était pas possible d’en distinguer clairement des marques digitales, eux savaient de quoi ces bleus résultaient. Marquée sur la peau pendant quelques jours, marquée dans la tête probablement pour le restant de ses jours.
Elle ne reprenait contact avec la réalité qu’au moment de sentir sa main se poser sur son ventre arrondi par sa supposée grossesse. C’est qu’elle avait oublié de fermer sa veste en sortant du cabinet. Immédiatement, elle chassait sa main et quittait ses bras. « Lâche-moi, putain. » Et lui alors, à quoi jouait-il ? Il avait failli la tuer pour mieux se préoccuper d’un hypothétique bébé. Tous ces sentiments qui la traversaient la perdaient un peu plus. Dans un ultime effort, elle s’était traînée dans le coin de la pièce, le dos contre le mur, en position fœtale assise sous le lavabo. Tant pis si elle se coupait, s’égratignait avec les morceaux de miroir au sol. Peu encline à un quelconque contact physique comme verbal, elle ne lui accordait aucun regard, aucun mot. La tête dans sa main – son bras en appui sur l’un de ses genoux – tournée vers le mur, ses cheveux cachaient de nouveau son visage. Elle s’isolait, complètement. Le léger tremblement de ses membres témoignait encore du traumatisme physique précédent. Ses iris étaient de nouveau embués de larmes mais elle ne les laissait pas couler, trop concentrée à écouter son départ. Elle en avait marre, juste marre. De lui, d’elle, de subir, de survivre.
Le silence se posait dans la pièce, trop à son goût. Le temps suspendu, les secondes qu’elle lui avait accordé pour s’en aller avaient l’allure d’éternité. Juste le temps que son sang bout, que de rage les larmes coulent et qu’elle s’adresse enfin à lui. « Tu veux quoi de plus, putain de merde ?! Tu as récupéré ton dû, tu t’es vengé, tu t’es bien foutu de ma gueule… Maintenant, casses-toi ! Laisses-moi tranquille, c’est trop demandé ?! » Dans son regard, la rage avait pris le pas sur sa tristesse. Persuadée d’avoir été manipulée pour venger cette histoire de son carnet à la con, elle regrettait amèrement de ne pas s’être rendue de suite au commissariat ce jour-là. Toujours tout remettre à demain et voilà le résultat. Même en finir, elle n’avait pas été capable de le faire correctement et à temps.
Lorsqu'elle repousse sa main, Jax ne peut s'empêcher de feuler tel un fauve dont l'instinct protecteur tolère mal d'être contrarié. Quelque chose - son intuition, évidemment, partie de son être tellement plus lucide que le reste de sa personne - lui intime de rester alerte malgré l'apparente inoffensivité que dégage Bordy et son corps recroquevillé sous le lavabo. Il ne lui fait pas confiance. Un étrange mélange de sentiments, composé de suspicion, d'indignation et de dégoût, le submerge lorsqu'il réalise la présence des bris de miroir sur le sol. Qu'était-elle en train de faire, dans ces toilettes, avant qu'il ne débarque ? Ce manque de résistance face à la strangulation avait-il à voir avec des pensées suicidaires ?
Instantanément, des images de Judy et de ses poignets entourés de pansements lui reviennent en mémoire. Les souvenirs déprimants de l'hiver passé pincent dans leur sillage la corde sensible de son affection envers la gamine, lui rappelant à quel point il s'était senti minable lors de la lecture de sa lettre d'adieux. Assis seul au chevet de l'adolescente endormie, Jackson s'était si souvent demandé ce qui avait bien pu la pousser à vouloir en finir et ce qu'il aurait pu - aurait du ! - faire pour éviter ce drame ... Là, confronté à ce qu'il soupçonne être le même genre de détresse chez Brody, son esprit peine à faire un choix. Mills refuse d'offrir ne serait-ce qu'un peu de compassion à cette connasse mais s'interdit simultanément de ne pas considérer la vie qu'elle porte. Sa mémoire s'active, fouille et classe, remonte les archives de 2022 jusqu'à ce que des réminiscences des propos tenus par Swad au début de leur conversation Tinder lui reviennent. Son visage se crispe alors d'une grimace révoltée. N'avait-elle pas dit regretter de ne pas connaître l'enfant qu'elle avait abandonné ? Et s'il y avait un peu de vrai dans le tas de mensonges qu'elle lui avait servi pour le tenir en haleine, de l'autre côté de l'écran, quoi penser de la voir prête à se trancher les veines alors qu'elle en porte présentement un deuxième ? Ou était-il, au juste, le putain de problème mentale de cette gonzesse pour en arriver à pareille conclusion ?!
« Tu veux quoi de plus, putain de merde ?! Tu as récupéré ton dû, tu t’es vengé, tu t’es bien foutu de ma gueule… Maintenant, casses-toi ! Laisses-moi tranquille, c’est trop demandé ?! » L'agressivité de Debbie le sort de ses réflexions internes. Jax n'a pas bougé de sa position initiale : les rotules séparées du carrelage par la fine couche de jean qu'il porte et les fesses en appui sur les talons de ses Air Max, figé dans une contemplation atterrée de l'irresponsable. L'assise pourrait être confortable si les muscles de ses cuisses n'étaient pas aussi serrés dans ce pantalon pas fait pour les flexions. « Me parle pas sur ce ton ! » Gronde-t-il, montrant lui aussi les crocs. Mills a beau s'être fait doucher par la vision de son visage de poupée agonisante entre ses doigts, il n'en demeure pas moins contrarié. Une colère froide, par opposition à celle explosive lui ayant fait perdre le contrôle de sa force quelques minutes auparavant. Peu à peu, la lave en fusion de l'on devine derrière les veines apparentes de ses avant-bras se transforme en acide corrosif. « T'es pas sérieuse ... » Sa tête secoue de droite à gauche, preuve qu'il rejette en block ce qui, pourtant, ressemble de plus en plus à une tentative de suicide avortée en plein vol. « J'sais pas ce qui me donne le plus envie de vomir : que tu t'poses en victime de ton propre jeu tordu ou que t'envisages de laisser ce bébé mourir avec toi ! »
Qu’on lui foute la paix, qu’on la laisse tranquille, qu’on lui tourne le dos : c’est tout ce qu’elle voulait à cet instant, c’est tout ce qu’elle aimerait qu’il fasse. Seulement il fallait croire que Jackson était né pour l’emmerder (ou lui sauver maladroitement la vie, dans une réflexion plus lucide). Il restait là et le silence couvrait de son manteau froid l’entièreté de la pièce. Elle aimerait qu’il s’en aille ou que quelqu’un rentre, pour sûr que ça le ferait sûrement fuir. Aucun de ses vœux ne prenait la forme de la réalité. Il restait là, sans bouger, sans rompre le silence dans lequel il lui semblait entendre ses propres battements du cœur. Deborah était excédée. La colère montait et elle fut la première à briser le silence. Qu’il dégage ! Il n’en faisait pourtant rien, encore. Il l’engueulait comme on le ferait sur une enfant (réminiscence d’un souvenir avec Judy peut-être ?) et ça avait tendance à d’autant plus l’agacer. Elle ne supportait plus qu’on la traite comme une gamine ou plus exactement qu’on ne lui accorde pas le statut d’adulte. Pendant combien de temps allait-on encore lui reprocher d’être irresponsable quand cela fait des années qu’elle se débrouille toute seule ? En temps normal, elle aurait rétorqué du tac au tac qu’elle lui parlait sur le ton qu’elle voulait, en le demandant certainement sur un ton sarcastique s’il allait tenter de la tuer encore une fois si elle ne changeait pas ledit ton. Aujourd’hui, elle se contentait de serrer les dents en basculant sa tête en arrière contre le mur. Ravaler ses larmes de rage, s’efforcer de ne pas répondre pour éviter d’enclencher une quelconque conversation. Gagner du temps pour éviter le doute sur ce qui l’attend.
« Je m’en cogne de ce que tu penses. Vomis pour n’importe quelle raison, si ça peut te faire fermer ta grande gueule, ça m’arrange… » disait-elle sur un ton bien trop posé pour de tels mots. Aucune animosité mais un surplus de lassitude. Lassée de se battre, à la fois avec les gens et avec elle-même. Lassée de devoir se justifier en permanence, quoi qu’elle fasse, en bien ou en mal. Lassée de tenter d’aider les autres pour s’oublier elle-même. Lassée d’avoir fautée sur toute la ligne, du début à la fin. Elle n’a jamais été assez bien, pour personne. Le constat était assez douloureux pour lui faire chasser une larme qui avait trouvé le sillage des précédentes. Un pincement de lèvres, un mordillement de l’intérieur de sa joue et de nouveau un regard – qu’elle ne lâchait pas cette fois. Elle aurait voulu se taire, elle aurait voulu ne plus échanger avec lui pour lui donner d’autant plus de raison de s’en aller… mais elle en était visiblement incapable. Elle avait beau se forcer, elle ne se maîtrisait pas. Encore une preuve qu’elle n’était pas assez. « J’ai jamais joué avec toi... A part à Halloween où je voulais te faire cracher je ne sais quel morceau, je ne me suis jamais moquée de toi et je ne t’ai jamais menti. » Comme quoi, elle ne se moquait pas tant de ce qu’il pouvait penser… « J’ai juste répondu à un sympathique anonyme sur un réseau social qui est venu de lui-même matcher mon compte… alors si c’est pas toi le bâtard de l’histoire, tu peux t’en prendre qu’au hasard. » soulignait-elle maladroitement pour lui faire comprendre que de son côté aussi, elle semblait lui reprocher d'être le premier des connards.
Spoiler:
J'ai ouï-dire que tu voulais rp mais que tu étais à jour alors je me suis octroyée le plaisir de te répondre.
La réponse de Brody a beau cingler de vulgarité et de mépris, elle a au moins le mérite d'avoir changé de ton. Et, dans cette zone de flou, ce moment de flottement durant lequel ses émotions sont tout sauf stables, prêtes à repartir au quart de tour dans la violence de leur expression, c'est, en définitive, la seule chose dont Mills a besoin pour garder son calme. Tel une manivelle, en combattant farouche qu'il est depuis si longtemps qu'il ne se souvient même plus de l'époque où ne pas rétorquer faisait encore son quotidien d'enfant bien éduqué, Jackson renvoie les coups. Ne pas attaquer reste le moyen le plus sûr de se préserver de sa frénésie, de ne pas s'exposer aux retours de flamme et d'éviter de regretter amèrement d'avoir inséré une pièce dans la machine de son impulsivité anarchique. Deborah ne le sait pas, mais la lassitude qui l'anime est la meilleure gardienne de sa sécurité en cet instant précis ; alliée de choix dans la désescalade d'un conflit capable de crever le plafond et de dépasser les sommets du raisonnable si l'on attendait là-maintenant-tout-de-suite de Jax qu'il régule quoique ce soit. Le contrôle fébrile que l'agent a de ses travers n'est pas suffisant pour deux. La sortie de piste responsable des traces que l'on voit naître autour du cou de la brune embourbe les roues de son arbitre mentale. Ne pilotent que les instincts et Dieu sait que les siens sont pénibles lorsqu'on leur jette des cailloux à la figure ...
Mills la regarde chasser ses larmes, figé dans ce qu'il pense être la réponse la plus appropriée à toute cette merde explosive qui les entoure : l'observation. Intérieurement, les soldats de son orgueil, de sa rancœur et de sa déception niée au point d'en être devenue toxique restent sur leur garde. Rarement toilettes ont autant ressemblés à un ring de boxe ; à genoux au milieu du champ de mines, c'est ce que Jax fait : tenir sa garde. Lorsque Bordy redresse vers lui son regard tourmenté, l'animal ne cille pas, connecté à l'analyse non verbale de l'irlandaise autant par déformation professionnelle que par souvenir de ce matin d'Halloween où il avait, pour la première fois, fait connaissance avec les mimiques et autres expressions faciales trahissant chez elle le mensonge et la manipulation. Elle ne l'arnaquera pas deux fois. De ça, il en est certain avant même qu'elle ne reprenne la parole. Aussi ne s'en retrouve-t-il que plus interdit lorsque les mots de Deborah résonnent entre eux sur le ton de l'aveu que l'on crache comme elle avait tenté de les lui faire cracher en échange du carnet. La peine sur son visage lui contracte l'estomac. Qui feindrait les regrets en pareilles circonstances ? Alors que tout faux semblant a foutu le camp, qu'il n'y a désormais plus rien à gâcher, puisque tout est mort avec cet appel dont il se souvient subitement comme s'il avait eu lieu hier. « J’ai juste répondu à un sympathique anonyme sur un réseau social qui est venu de lui-même matcher mon compte … » 2,4 km selon Tinder. 3, après correction de la principale intéressée. Ils en avaient ri ... « Alors si c’est pas toi le bâtard de l’histoire, tu peux t’en prendre qu’au hasard. »
Le doute s'installe, insupportable, obligeant Jackson à changer de position. Le voilà qui se laisse aller vers l'arrière, s'adossant à son tour contre le mur. La distance de sécurité les séparant l'un de l'autre est nécessaire, preuve que l'élastique de sa mauvaise humeur est si radicalement tendu que l'agent préfère ne pas se donner l'opportunité de déraper à nouveau. Posant les coudes sur les genoux de ses jambes repliées, il se prend la tête entre les mains, migraineux, contrarié, incapable de faire le point et de rassembler tous les indices qui lui permettraient de dégager le vrai du faux de cette histoire sans queue ni tête. « Pour c'que ça change ... » Finit-il par répondre au carrelage, se parlant autant à lui-même qu'à Brody. Négligemment sa main se referme sur l'un des bris de miroir. Jax y croise son reflet, s'observe comme s'il cherchait à se reconnaître dans l'image de cet homme devenu incapable de faire confiance à qui que ce soit et pour lequel les contours du réel prennent des aspects de dégradé progressif tout sauf rassurant. Où commence les mensonges ? Ou finit la vérité ? Dans cette histoire à dormir debout comme dans toutes les autres ... Le PSI, Hoover, l'AFP, l'amnésie, les promesses de réintégration toujours repoussée ... Mills sature. Son corps, aussi grand et fort soit-il, ne peut contenir toutes les incertitudes que débite son mental tourmenté. Inconsciemment, il serre le poing et se coupe, ne sentant même pas la douleur et ne réalisant la blessure qu'à l'instant où coule une fine rigole de sang le long de son avant bras. Réflexe de gamin casse-cou : Jax essuie dans son t-shirt. RUN FOR JUDY se teinte de rouge, interpelant son regard et le reconnectant à la réalité concrète, celle dont il n'a pas encore trouvé de raison de douter : sa raison de se battre. « Il est hors de question que je change d'hôpital. » Affirme-t-il fermement, réponse aux injonctions de la brune qui souhaiterait le voir disparaître de son périmètre. Non, Jax ne lâchera pas ce point d'encrage parmi les derniers auxquels il trouve encore matière à s'accrocher. « Si j'dois composer avec le hasard, tu devras composer avec la fatalité. » Comme le Brexit : No deal. Avec son ventre de future mère, l'agent se doute bien que Deborah et lui seront amenés à se recroiser dans les couloirs. Tant pis, il serrera les dents.
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Dernière édition par Jackson Mills le Sam 12 Nov 2022 - 20:43, édité 1 fois
Il était le premier à lâcher son regard en se laissant basculer vers l’arrière pour s’asseoir à son tour contre un mur et peut-être que c’était mieux ainsi. Qu’il ne voit pas et t’entende pas son soupir de tristesse en tentative de retient de larmes quand il avouait que ça ne changeait rien. Ses mots ne devraient pas lui faire si mal et pourtant… Il avait tort. Pour elle en tout cas, ça changeait tout. N’est-ce pas la suspicion de mensonges qui les avait amenés dans cette situation, à ne même plus savoir se voir en peinture ? Deborah n’était pas femme à parler pour le plaisir – il le savait pourtant. Ses mots comptaient et qu’il puisse savoir qu’elle n’avait pas menti dans leurs échanges Tinder lui semblait important. L’idée qu’il puisse en avoir rien à foutre de sa sincérité la mettrait habituellement en colère. Aujourd’hui, ça ne faisait que relever sa tristesse. Sa raison devrait comprendre que Jackson n’avait plus confiance en ses mots mais depuis des mois, elle n’en avait plus de raison. Seul son cœur et ses sentiments étaient à découvert à tous ceux un tant soit peu attentif. La réflexion éteinte, elle se prenait de plein fouet la moindre parole, le moindre reproche. Tout ce qu’elle entendait était que rien n’avait compté entre eux finalement. Les lèvres pincées, elle regrettait amèrement d’avoir pu se confier, d’avoir ne serait-ce qu’alimenter la conversation d’une quelconque façon que ce soit. Poupée au visage fendu par la fatigue d’avoir mal de façon continue.
Elle ne revenait réellement à la réalité que lorsqu’il initiait un geste, celui de s’essuyer sur son t-shirt. Elle ne pipait pas mot mais cette couleur rouge ne faisait que lui rappeler ce qu’elle était venue faire dans ces toilettes. La vue du sang accélérait son cœur d’un stress qu’elle n’expliquait pas, comme si elle réalisait seulement ce qui aurait pu arriver s’il n’était pas entré, si elle avait cédé à cette pulsion suicidaire. Elle en venait à présent à avoir peur d’elle-même, de ce qu’elle serait capable de faire contre sa propre personne dès l’instant où elle allait se retrouver seule. C’était donc ça le fond du trou ? Ne plus savoir être à l’aise même avec soi-même ? C’était si paradoxal d’avoir peur de ce qui semblait être la seule solution pour arrêter d’avoir mal. Alors maladroitement, elle roulait des yeux et soupirait quelques mots. « Tu n’as rien compris... » et elle ne comptait pas lui expliquer. Elle ne lui avait jamais demandé de changer d’hôpital, seulement de sortir de ces chiottes pour lui permettre de commettre l’irréparable. La fatalité dont il parlait lui semblait toute tracée et ne ressemblait pas à des rencontres fortuites dans ces couloirs. Alors non sans difficulté, elle se redressait pour se mettre debout et articulait ce qu’elle estimait être les derniers mots qu’elle lui adressait. « Tu n’auras pas à changer d’hôpital. » Parce qu’elle ne reviendrait pas. Ni ici, ni nulle part. C’était les derniers pas qu’elle emboîtait dans ces couloirs quand ses doigts refermaient – enfin – sa veste pour camoufler ce ventre qu’elle n’était plus capable de voir avant d’attraper la poignée de la porte qu’elle tirait pour s’extirper d’ici. Elle ne prenait même pas la peine de faire un détour par la secrétaire pour un prochain rendez-vous et se contentait de baisser le regard en longeant les couloirs. L’ascenseur lui semblait bien lent à arriver tandis qu’elle n’osait même plus croiser son propre reflet dans le métal de ses portes.
« Tu n’as rien compris... » Jax s'interdit de relever la condescendance. Il ne roule même pas des yeux, se contente juste de la regarder se redresser du coin de l'œil, déterminé à camper sur ses positions. Son esprit est tourné vers Judy qui a besoin d'aide et tous les bénévoles dont le dévouement leur a permis, à Joy et lui, de rendre possible ce projet un peu fou pour lequel Mills court du matin au soir, au sens propre comme au figuré. Se retrancher derrière l'asso relèverait presque du réflexe de survie, comme si son inconscient savait bien que sans elle, il n'y aurait plus aucun garde-fou capable de l'empêcher de tourner mal. Genre plus mal encore que d'être le responsable des traces de doigts dont les contours gagnent en netteté et en contraste autour du cou de Brody.
« Tu n’auras pas à changer d’hôpital. » Mills garde le silence, la regardant fermer sa veste par-dessus ce ventre rond qu'il ne comprend pas, qu'il ne se souvient pas avoir senti sous ses doigts le soir de leur pique-nique. Il essaye de se convaincre que rien de grave n'est à déplorer, que Bordy tient debout, qu'elle ne semble avoir aucune douleur sous le nombril. L'inverse lui glacerait le sang. Il est fébrile rien que d'y penser, rien que de se dire qu'il pourrait être responsable de la pire abomination qui soit. Aucune femme, quelle qu'elle soit, conasse ou pas, ne mérite de perdre un bébé. Jax en sait quelque chose : il a vu sa mère perdre une partie de son âme en même temps que le fœtus de sa petite-sœur. Rattrapé par le souvenir des émotions détestables de ce drame, l'agent hésite. Devrait-il se lever et accompagner Deborah jusqu'à la sortie ? Juste pour être certain qu'elle ne tombe pas, qu'elle ne se retrouve pas dans une situation dangereuse, seule et toujours dans cette détresse psychologique qu'il sait désormais être belle et bien réelle. Aussi réelle que celle dans laquelle il refuse d'avouer se trouver également.
Finalement la brune ne lui laisse pas le temps de trancher. Elle disparait sans un au revoir. Jax se laisse aller contre le mur. La tête basculée vers l'arrière, le visage offert au plafond depuis lequel la lumière blafarde des néons donne à son t-shirt ensanglanté des airs de films d'horreur. Le silence est lourd, oppressant, propice à l'introspection indésirable. Mills se prend le contre-coup. Il réalise à quel point il a été faible et dangereux, incapable de se contrôler, incapable de faire abstraction aux voix pernicieuses qui doivent bien se marrer maintenant qu'il se retrouve comme un con sur le carrelage, face au fait accompli. De colère contre lui-même, il frappe à plusieurs reprises l'arrière de son crâne contre le mur. Cette tête brûlée, trouée comme un gruyère et parasitée de pensées anxiogènes commence à peser lourd sur ses épaules pourtant si larges.
Ce n'est qu'après plus d'un quart d'heure à se perdre dans ses remords qu'il se redresse enfin, se lave les mains et ramasse les débris laissés par l'irlandaise. Personne d'autre qu'eux n'a besoin de savoir ce qu'il s'est passé dans ces toilettes. Entre menteurs, ils peuvent garder leurs vilains petits secrets.